Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
1a 2ae = Prima Secundae = 1ère partie de la 2ème Partie
Question 14 :
Du conseil qui précède l’élection
Nous
avons maintenant à nous occuper du conseil. — A ce sujet six questions se
présentent : 1° Le conseil est-il une recherche ? (Le conseil est la cause de l’élection.
Avant de juger ce que l’on doit choisir, il est nécessaire que l’on délibère,
et que la raison se livre à des recherches. C’est ce que saint Thomas veut
établir dans cet article.) — 2° A-t-il pour objet la fin ou seulement les
moyens ? — 3° N’a-t-il pour objet que ce que nous faisons ? — 4° Embrasse-t-il
tout ce que nous faisons ? — 5° Procède-t-il d'après un ordre résolutif ? (On
distingue deux sortes de procédés ou de recherches, celle qui est résolutive et
celle qui est composée. La recherche est composée quand on va des causes aux
effets, parce qu’on commence par la cause, qui est une chose simple, pour
arriver aux effets, qui sont une chose composée. La recherche est au contraire résolutive quand on part des effets pour arriver à leur
cause ; ce qui a lieu dans le conseil, parce que nous partons de la fin, qui
est le principe de nos actions, pour arriver aux moyens.) — 6° Procède-t-il
indéfiniment ?
Article
1 : Le conseil est-il une recherche ?
Objection
N°1. Il semble que le conseil ne soit pas une recherche. Car saint Jean
Damascène dit (De orth.
fid., liv. 2, chap. 22) que le conseil
est l’appétit. Or, il n’appartient pas à l’appétit de faire des recherches.
Donc le conseil n’en est pas une.
Réponse
à l’objection N°1 : Quand les actes de deux puissances sont ordonnés l’un par
rapport à l’autre, il y a dans chacun de ces actes quelque chose qui appartient
aux deux puissances ; c’est pourquoi ils peuvent l’un et l’autre tirer leur
dénomination de chacune d’elles. Or, il est évident que l’acte de la raison qui
dirige l'homme à l’égard des moyens et l’acte de la volonté qui suit sous ce
rapport l’impulsion de la raison sont ordonnés l’un
par rapport à l’autre. C’est ce qui fait que dans l’élection qui est l’acte de
la volonté il y a quelque chose de rationnel, et que dans le conseil qui est
l’acte de la raison il y a quelque chose de volontaire. Ce qu’il y a de
rationnel dans l’élection c’est l'ordre, et ce qu’il y a de volontaire dans le
conseil c’est la matière (Saint Thomas a déjà fait ressortir (quest. 13, art.
1) que ce qu’il y a de formel dans l’élection est propre à la raison.). Car le
conseil a pour objet ce que l’homme veut faire, et il en est comme le motif,
parce que du moment où l’homme veut la fin il est porté à prendre conseil sur
les moyens. C’est pourquoi Aristote dit (Eth., liv. 6) que l’élection est l’intellect
appétitif pour montrer que la raison et la volonté y contribuent, et que
saint Jean Damascène dit que le conseil est un appétit rationnel pour indiquer
qu’il appartient d’une part à la volonté qui est l’objet et la matière des
recherches qu’il suppose, et de l’autre à la raison qui est l’auteur même de
ces recherches.
Objection
N°2. C'est à l’intellect discursif qu’il appartient de rechercher et de
questionner ; par conséquent cet attribut ne convient pas à Dieu dont la
connaissance n’est pas discursive, comme nous l’avons dit (1a pars,
quest. 14, art. 7). Or, l’Ecriture attribue à Dieu le conseil. Car l’Apôtre dit
(Ephes., 1, 11) : qu’il opère toutes choses selon le conseil de sa volonté. Donc le
conseil n’est pas une recherche.
Réponse
à l’objection N°2 : Dans toutes les choses que nous affirmons de Dieu nous
devons comprendre qu'elles sont exemptes de tous les défauts et de toutes les
imperfections qu’elles ont en nous. Ainsi nous avons la science des
conséquences, mais nous ne l’obtenons que discursivement en allant des causes
aux effets. Au contraire, cette science en Dieu implique une certitude parfaite
qui provient de la connaissance qu’il a de tous les effets dans leur cause
première, et elle ne suppose aucun procédé discursif. De même on attribue à
Dieu le conseil en raison de la certitude de ses arrêts et de ses jugements.
Nous obtenons cette certitude à force de recherches, mais Dieu n’a pas besoin
d’avoir recours à ces moyens. C’est pourquoi le conseil pris en ce sens ne
convient pas à Dieu, et c’est ce qui fait dire à saint Jean Damascène (De fid., liv.
2, chap. 22) que Dieu ne prend pas conseil, parce qu’il n’y a réellement que
celui qui ignore qui soit obligé de délibérer.
Objection
N°3. La recherche porte sur ce qui est douteux. Or, le conseil a pour objet des
biens qui sont certains, selon cette parole de saint Paul (1 Cor., 7, 25) : A l’égard
des vierges je n’ai pas de précepte à vous donner de la part du Seigneur, mais
je vous donne un conseil. Donc le conseil n’est pas une recherche.
Réponse
à l’objection N°3 : Rien n’empêche que des biens qui sont très certains au
jugement des sages et des hommes spirituels ne paraissent pas tels au vulgaire
et aux hommes charnels. C’est ce qui fait qu’à ce sujet on donne des conseils.
Mais
c’est le contraire. Némésius dit (De nat. hom.,
chap. 34) : Tout conseil est une question, mais toute question n’est pas un
conseil.
Conclusion
Le conseil est une recherche de la raison qui précède le jugement qu’elle porte
sur ce que nous devons choisir.
Il
faut répondre que l’élection, comme nous l’avons dit (quest. préc.,
art. 4), résulte du jugement que la raison porte sur ce que nous devons faire.
Or, à l’égard des choses que l’on doit faire il y a beaucoup d’incertitude. Car
les actions se rapportent à des choses contingentes qui sont très incertaines à
cause de l’inconstance de leur nature. Et comme dans les choses douteuses et
incertaines la raison ne porte pas de jugement sans une recherche préalable, il
est nécessaire que cette recherche précède le jugement que la raison doit
porter sur ce que nous devons choisir. C’est à cette recherche qu’on donne le
nom de conseil, et c’est ce qui fait dire à Aristote (Eth., liv. 3, chap. 3) que l’élection est un désir réfléchi (Aristote
en donne la preuve en ajoutant : que le jugement étant le résultat de la
délibération, notre désir est alors l’effet de la réflexion.), ou l’appétit
préalablement éclairé par le conseil.
Article
2 : Le conseil a-t-il pour objet la fin ou seulement les moyens ?
Objection
N°1. Il semble que le conseil ait pour objet non seulement les moyens, mais
encore la fin. Car on peut faire des recherches sur toutes les choses qui
paraissent douteuses. Or, par rapport aux actions de l’homme il y a doute non seulement
sur les moyens, mais encore sur la fin. Donc puisque le conseil consiste à
examiner ce que l’on doit faire, il semble qu’il peut se rapporter à la fin aussi
bien qu’aux moyens.
Réponse
à l’objection N°1 : Ce que l’on admet comme fin est déjà déterminé ; par
conséquent tant qu’une chose paraît incertaine on ne la considère pas comme une
fin. C’est pourquoi si elle est l’objet du conseil, le conseil ne porte pas
pour cela sur une fin, mais sur un moyen.
Objection
N°2. Les actions humaines forment la matière du conseil. Or, il y a des actions
humaines qui sont des fins, comme le dit Aristote (Eth., liv. 1, in princ.,
chap. 1). Donc le conseil peut avoir pour objet la fin.
Réponse
à l’objection N°2 : Le conseil ne porte sur les actions humaines qu’autant
qu’elles regardent une fin quelconque. Par conséquent si une action humaine est
une fin, le conseil ne peut l’avoir comme telle pour objet.
Mais
c’est le contraire. Némésius dit (De nat. hom.,
chap. 34) : Le conseil porte sur les moyens, mais jamais sur la fin.
Conclusion
Le conseil étant une recherche de la raison touchant ce que l’on doit faire, il
ne porte que sur les moyens et jamais sur la fin, à moins qu’il ne s'agisse d’une
fin secondaire qui se rapporte à une fin ultérieure.
Il
faut répondre que dans les choses pratiques la fin a la nature du principe,
parce que les raisons des moyens se prennent toujours de la fin. Or, on ne met
jamais un principe en question ; mais dans toute recherche il faut toujours
qu'on suppose les principes admis. Par conséquent le conseil étant une question
il ne porte pas sur la fin, mais seulement sur les moyens. Cependant ce qui est
fin relativement à certains objets peut se rapporter à une autre fin, comme le
principe d’une démonstration peut être la conclusion d’une autre. Ainsi ce qu’on
prend pour une fin dans une recherche, peut être considéré comme un moyen dans
une autre, et devenir à ce titre l’objet du conseil.
Article
3 : Le conseil ne porte-t-il que sur ce que nous faisons ?
Objection
N°1. Il semble que le conseil ne porte pas seulement sur nos actions. Car le
conseil implique une conférence ou une conversation quelconque. Or, cette
conférence peut avoir lieu entre plusieurs personnes sur des choses immuables
dont nous ne sommes pas les auteurs, comme la nature des êtres. Donc le conseil
n’a pas seulement pour objet nos actions.
Réponse
à l’objection N°1 : Le conseil n’implique pas une conférence quelconque, mais
une conférence qui a pour objet ce que l’on doit faire, comme nous l’avons dit
(dans le corps de l’article.).
Objection
N°2. On peut demander conseil sur ce que la loi défend ; de là est venu le nom
de jurisconsulte. Or, ceux qui
demandent ces conseils ne sont pas les auteurs de la loi. Donc le conseil n’a
pas seulement pour objet nos propres actions.
Réponse
à l’objection N°2 : Ce que la loi établit, bien que ce ne soit pas l’œuvre de
celui qui demande un conseil, est cependant une lumière qui le dirige dans ses
opérations. Car le seul motif qui le fait agir c’est ce que la loi prescrit.
Objection
N°3. Il y en a qui consultent sur des événements futurs qui ne sont pas en
notre pouvoir. Donc le conseil n’a pas seulement pour objet ce que nous faisons.
Réponse
à l’objection N°3 : Le conseil n’a pas seulement pour objet ce que l’on fait,
mais encore ce qui se rapporte à l’action. C’est pourquoi on consulte les
événements futurs, parce que selon la connaissance qu’il a de l’avenir l’homme
décide ce qu’il doit faire et ce qu’il ne doit pas faire.
Objection
N°4. Si le conseil ne portait que sur nos actions, personne ne consulterait à
l’égard de ce que doit faire un autre. Or, cette conséquence est évidemment
fausse. Donc le conseil n’a pas seulement pour objet ce que nous faisons.
Réponse
à l’objection N°4 : Nous consultons pour les autres suivant qu’ils ne font en
quelque sorte qu'un même être avec nous ; soit que nous leur soyons unis
d’affection (c’est ainsi qu’un ami s’inquiète des affaires de son ami comme des
siennes), soit qu’ils nous servent d'instruments. Car l’agent principal et
l’agent instrumental ne forment en quelque sorte qu’une seule et même cause,
puisque l’un agit par l’autre. C’est ainsi que le maître consulte à l’égard de
ce que doit faire son serviteur.
Mais
c’est le contraire. Némésius dit (De nat. hom.,
chap. 34) que nous consultons sur les choses qui sont en nous et sur celles que
nous pouvons faire.
Conclusion
Le conseil supposant, à proprement parler, une conférence entre plusieurs
personnes sur des choses particulières et contingentes que nous faisons et que
nous pouvons faire, il porte sur ce que nous faisons en vue d'une fin.
Il
faut répondre que le conseil, comme le mot l’indique, implique, à proprement
parler, une conférence qui se tient entre plusieurs personnes. Car le mot consilium est
pour considium,
et il exprime une assemblée où plusieurs siègent (consident) pour conférer
ensemble. Or, il est à remarquer que quand on veut parvenir à une connaissance
certaine sur des choses particulières et contingentes, il y a plusieurs
conditions ou circonstances à observer. Un seul homme ne peut pas facilement
les embrasser toutes ; mais on est plus sûr de les découvrir complètement quand
on est plusieurs, parce que l’un voit ce que l’autre ne voit pas. Quand il s’agit
des choses nécessaires et universelles, l’étude en est plus simple et plus
absolue, et il peut arriver plutôt qu'un seul homme puisse par lui-même suffire
à cette sorte d’étude. C’est ce qui fait que le conseil porte, à proprement
parler, sur ce qui est contingent et individuel. La connaissance de la vérité,
dans l'ordre pratique, n'a pas un caractère de grandeur qui la fasse rechercher
pour elle-même comme la connaissance des choses universelles et nécessaires. On
ne la recherche qu’en raison de ce qu’elle est utile pour l’action, parce que
les actions se rapportent toujours à ce qui est contingent et individuel. C’est
pour ce motif qu’on doit dire que le conseil porte, à proprement parler, sur
nos actions.
Article
4 : Le conseil a-t-il pour objet tout ce que nous faisons ?
Objection
N°1. Il semble que le conseil ait pour objet tout ce que nous devons faire. Car
l’élection résulte, comme nous l’avons dit (art. 1) de l’appétit préalablement
éclairé par le conseil. Or, l’élection a pour objet tout ce que nous faisons.
Donc le conseil aussi.
Réponse
à l’objection N°1 : L’élection présuppose le conseil par rapport au jugement ou
à la sentence. Par conséquent, quand le jugement ou la sentence est manifeste
par elle-même sans aucune recherche, on n’a pas besoin d'avoir recours au
conseil.
Objection
N°2. Le conseil suppose une recherche rationnelle. Or, dans toutes les choses
que nous ne faisons pas d’après l’impétuosité de la passion nous procédons d’une
manière logique et rationnelle. Donc le conseil a pour objet tout ce que nous
faisons.
Réponse
à l’objection N°2 : La raison ne fait pas de recherche à l’égard des choses
évidentes, mais elle juge immédiatement. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire
que dans toutes les actions rationnelles le conseil intervienne.
Objection
N°3. Aristote dit (Eth., liv. 3, chap. 3) que quand on peut
faire une chose par plusieurs moyens on consulte pour savoir lequel est le plus
facile et le meilleur, et que quand on ne peut la faire que par un seul moyen
on consulte encore pour savoir de quelle manière. Or, tout ce qu’on fait se
fait par plusieurs moyens ou par un seul. Donc le conseil a pour objet toutes
les actions que l’on fait.
Réponse
à l’objection N°3 : Quand on peut faire une chose par un seul moyen, mais de
différentes manières, il peut y avoir doute, comme quand on peut faire une
chose par plusieurs moyens. C'est pour ce motif qu’en ce cas on a besoin de
conseil. Mais quand la chose et le mode sont l’un et l’autre positivement déterminés,
alors il n’y a plus lieu de consulter.
Mais
c’est le contraire. Némésius dit (De nat. hom.,
chap. 34) qu’on ne prend pas conseil pour les œuvres de science ou d’art.
Conclusion
On ne consulte pas sur les points que la science ou l’art ont décidé ou qui sont de peu d’importance, mais seulement sur
les objets qui sont sérieux et qui offrent de l’incertitude ou du doute.
Il
faut répondre que le conseil, comme nous l’avons dit (art. 1), est une certaine
recherche. Or, nous avons coutume de faire des recherches sur les choses qui
nous semblent douteuses ; c’est ce qui fait que l'argumentation a pour objet de
rendre certain ce qui est douteux. Dans les choses pratiques il arrive qu’il n’y
a pas lieu de douter pour deux raisons : 1° Quand on marche vers une fin
déterminée par des voies qui le sont aussi, comme il arrive dans les arts dont
le mode d’opération est certain. Ainsi, un écrivain ne demande pas comment il
doit tracer ses lettres, parce que c’est une chose déterminée par l’art. 2° On
ne doute pas non plus quand il importe peu qu’une chose soit d’une manière ou d’une
autre. Et on regarde comme de peu d’importance toutes les circonstances qui ne
sont pas de nature à aider ou à entraver beaucoup l’action d'un être vers sa
fin. La raison regarde même comme nulles les choses qui n'ont presque pas de
gravité (C’est l’axiome : Parum pro nihilo reputatur, sur lequel on revient souvent en morale.).
Ainsi, nous ne consultons pas en ces deux circonstances, quoiqu’elles aient
rapport à la fin, comme le dit Aristote (Eth., liv. 3, chap. 3). Nous ne prenons pas conseil pour les petites
choses, ni pour celles qu’on doit produire d’une manière positivement
déterminée, comme tous les ouvrages d'art. Il n’y a d’exception que pour les
sciences conjecturales, comme la médecine, le commerce, etc.
Article
5 : Procède-t-il d’une manière résolutoire ?
Objection
N°1. Il semble que le conseil ne procède pas d’une manière résolutoire. Car le
conseil a pour objet ce que nous faisons. Or, nos actions ne procèdent pas d'une
manière résolutoire, mais plutôt d'une manière composée ; c’est-à-dire qu’elles
vont du simple au composé. Donc le conseil ne procède pas toujours d’une
manière résolutoire.
Réponse
à l’objection N°1 : Le conseil a pour objet les actions, mais la raison des
actions se prend de la fin. C’est pourquoi le raisonnement qui a pour objet les
actions suit un ordre contraire à celui que nous observons en agissant.
Objection
N°2. Le conseil est une recherche rationnelle. Or, la raison part des choses
qui sont les premières pour arriver aux dernières selon l’ordre le plus
rigoureux. Ainsi donc, le passé étant avant le présent et le présent avant
l'avenir, il semble que dans le conseil on doive aller du présent et du passé à
l’avenir, ce qui n’appartient pas à l’ordre résolutif. Donc le conseil ne
procède pas d’après cet ordre.
Réponse
à l’objection N°2 : La raison commence par ce qui est antérieur
rationnellement, mais elle ne commence pas toujours par ce qui a une priorité
de temps.
Objection
N°3. Le conseil ne porte que sur ce qui nous est possible, comme le dit
Aristote (Eth., liv. 3, chap. 3). Or, nous jugeons qu’une
chose nous est possible suivant que nous pouvons ou que nous ne pouvons pas l’atteindre.
Donc il est nécessaire que le conseil parte du présent dans ses investigations.
Réponse
à l’objection N°3 : A l’égard de ce que nous devons faire en vue d’une fin,
nous ne chercherions pas à savoir si une chose est possible, si nous ne savions
préalablement qu’elle est en harmonie avec la fin que nous nous proposons.
C’est pourquoi, avant d’examiner si une chose est possible, il faut auparavant
rechercher si elle est en rapport avec la fin qu'on veut atteindre.
Mais
c’est le contraire. Aristote dit (Eth., liv. 3, cap.
3) que celui qui consulte paraît questionner et résoudre.
Conclusion
Puisque le conseil commence par la fin, qui est la première dans l'intention et
la dernière dans l’exécution, on dit avec raison qu’il procède d’après un ordre
résolutoire.
Il
faut répondre que dans toute recherche on doit commencer par un principe. Si ce
principe est le premier dans l’être comme il est le premier dans la
connaissance, l’ordre que l’on suit alors n’est pas résolutif, mais il est
plutôt composé. Car quand on va de la cause à l’effet l’ordre est composé
puisque les causes sont plus simples que les effets. Mais si le principe qui
est le premier dans la connaissance est le dernier dans la réalité, la marche
qu’on suit est résolutive, puisque nous jugeons des
effets qui sont évidents en les résolvant dans leurs causes. Or, le conseil
prend pour principe la fin qui est la première dans l’intention et la dernière
dans la réalité ou l’exécution. Ainsi, il faut que le conseil procède d'après
un ordre résolutif, c’est-à-dire qu'on doit partir de ce qu’on se propose pour
l’avenir jusqu’à ce qu’on arrive à ce que l’on doit faire immédiatement.
Article
6 : Le conseil est-il indéfini dans ses recherches ?
Objection
N°1. Il semble que le conseil soit indéfini dans ses recherches. Car le conseil
est une recherche qui a pour objet les choses particulières dans lesquelles consiste l’action. Or, les choses particulières sont
infinies. Donc les recherches auxquelles le conseil se livre le sont aussi.
Réponse
à l’objection N°1 : Les objets individuels ne sont pas infinis en acte, mais en
puissance.
Objection
N°2. Dans ses recherches le conseil examine non seulement ce qu’on doit faire,
mais encore comment on peut lever les obstacles qu’on rencontre. Or, toutes les
actions humaines sont sujettes à une infinité d’obstacles, et chacun de ces
obstacles peut être levé par la raison. Donc à l’égard des obstacles qu'on doit
lever il y a une infinité de recherches à faire.
Réponse
à l’objection N°2 : Quoique l’action de l’homme puisse être entravée, elle ne
rencontre cependant pas toujours un obstacle qui l’arrête. Par conséquent, on
n’est pas toujours forcé de consulter sur un obstacle à écarter.
Objection
N°3. La science démonstrative ne fait pas de recherches à l’infini, parce
qu’elle part de principes qui sont connus par eux-mêmes et qui sont absolument
certains. Or, on ne peut avoir cette certitude à l’égard des choses
individuelles et contingentes qui sont variables et incertaines. Donc le
conseil se livre à des recherches indéfinies.
Réponse
à l’objection N°3 : Pour les choses individuelles et contingentes on peut
arriver à une certitude qui n’est pas absolue à la vérité, mais qui est
relative au moment présent, selon que l’opération existe. Car il n’est pas
nécessaire que Socrate soit assis, mais du moment qu’il est assis il est
nécessaire qu’il le soit. C’est un fait dont on peut être certain.
Mais
c’est le contraire. Aucun être ne tend à une chose à laquelle il lui est
impossible de parvenir, comme le dit Aristote (De cæl., liv. 1, text. 58). Or, il est impossible d’arriver à l’infini. Donc
si le conseil se livrait à des recherches infinies, personne n’entreprendrait
de consulter. Ce qui est évidemment faux.
Conclusion
Le conseil ne se livre à des recherches infinies qu’en puissance, car en acte,
ses recherches sont limitées du côté de leur principe aussi bien que de leur
terme.
Il
faut répondre que le conseil est fini dans ses recherches quant à son principe
et quant à son terme. En effet, ses recherches ont un double principe : l’un
qui est propre et qui est du genre même des choses pratiques ; c’est la fin,
qui n’est pas l’objet du conseil, mais que le conseil suppose comme son
principe, ainsi que nous l’avons dit (art. 2). L’autre est pris en quelque
sorte d’un autre genre. C’est ainsi que dans les sciences démonstratives une
science suppose des données qui lui sont fournies par une autre science, et sur
lesquelles elle ne fait pas de recherche. Or, ces principes que le conseil
suppose dans ses recherches sont tous les objets que les sens nous font
connaître, comme le pain, le fer, etc., et tout ce que nous apprenons en
général par les sciences spéculatives ou pratiques, comme ces propositions :
Dieu défend la fornication ; l’homme ne peut vivre s’il n’a des aliments
convenables. Sur ces divers points il n’y a pas de recherches à faire. — Les
recherches ont pour terme ce qu’il est en notre pouvoir de faire immédiatement.
Car, comme la fin est de la nature du principe, de même ce que l’on fait en vue
de la fin est de la nature de la conséquence. Par conséquent, quand ce qu’on
doit faire se présente à l’esprit, cette pensée a le caractère d’une dernière
conséquence après laquelle il n’y a plus lieu de faire des recherches. Mais
rien n’empêche que le conseil ne soit infini en puissance, parce qu’il y a une
infinité de choses qui peuvent être l’objet d’un conseil.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de
l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant
du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email
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retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la
propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation
catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale
catholique et des lois justes.
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