Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

1a 2ae = Prima Secundae = 1ère partie de la 2ème Partie

Question 15 : Du consentement

 

          Après avoir parlé du conseil nous devons nous occuper du consentement qui est un acte de la volonté également en rapport avec les moyens. — A cet égard quatre questions se présentent : 1° Le consentement est-il un acte de la puissance appétitive ou de la puissance intellectuelle ? — 2° Le consentement existe-t-il chez les animaux ? — 3° A-t-il pour objet la fin ou les moyens ? — 4° Le consentement à l’acte n’appartient-il qu’à la partie supérieure de l’âme ?

 

Article 1 : Le consentement est-il un acte de la puissance appétitive ou de la puissance intellectuelle ?

 

          Objection N°1. Il semble que le consentement n’appartienne qu’à la partie intellectuelle de l’âme. Car saint Augustin attribue (De Trin., liv. 12, chap. 12) le consentement à la raison supérieure. Or, la raison désigne la faculté qui perçoit. Donc le consentement appartient à cette faculté.

          Réponse à l’objection N°1 : Comme le dit Aristote (De animâ, liv. 3, text. 42) la volonté consiste dans la raison. Par conséquent quand saint Augustin attribue le consentement à la raison, il considère la raison comme renfermant en elle la volonté.

 

          Objection N°2. Consentir, c’est sentir en même temps (cum sentire). Or, le sentiment appartient à la puissance qui perçoit. Donc le consentement aussi.

          Réponse à l’objection N°2 : Sentir appartient, à proprement parler, à la puissance intellectuelle (Dans ce cas le sentiment n’est rien antre chose que l’opinion qui appartient directement à la puissance cognitive.), mais par l’analogie qu’il a avec l’expérience le consentement appartient à la puissance appétitive, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.).

 

          Objection N°3. Comme l’assentiment suppose l'adhésion de l’intellect à une chose, de même aussi le consentement. Or, l’assentiment appartient à l’intellect, qui est la faculté qui perçoit. Donc le consentement également.

          Réponse à l’objection N°3 : L’assentiment (sentire ad) est un sentiment qui se rapporte à un objet étranger et qui implique par conséquent une certaine distance entre le sujet et l’objet auquel il adhère. Mais le consentement signifie au contraire sentir avec, en même temps, et il implique pour ce motif une certaine union avec l’objet auquel on consent. C’est pourquoi le consentement se rapporte plutôt à la volonté qui a pour fonction de tendre vers les objets, tandis que l’assentiment se rapporte plutôt à l’intellect dont l’action n’est pas de tendre vers les objets, mais de faire tendre les objets vers lui, comme nous l'avons dit (1a pars, quest. 16, art. 1, et quest. 27, art. 4 et quest. 59, art. 2), quoiqu’on ait l’habitude d’employer ces mots comme s’ils étaient synonymes. — On peut encore répondre que l’intellect donne son assentiment selon qu’il est mû par la volonté.

 

          Mais c’est le contraire. Saint Jean Damascène dit (De orth. fid., liv. 2, chap. 22) que si l’on juge et qu’on n’aime pas il n’y a pas de consentement. Or, l’amour appartient à la puissance appétitive. Donc le consentement aussi.

 

          Conclusion Consentir signifiant sentir avec, en même temps, et impliquant une certaine union entre le sujet et l’objet consenti, le consentement doit être plutôt considéré comme l’acte de la faculté appétitive dont le caractère propre est de tendre vers un autre objet que comme l’acte de la faculté intellectuelle.

          Il faut répondre que le consentement implique l’adhésion des sens à une chose. Or, le propre des sens c’est de connaître les objets présents. Car l’imagination perçoit les images corporelles même quand les choses qu’elles représentent sont absentes, tandis que l’intellect perçoit les raisons universelles et il peut les percevoir indifféremment, en présence comme à l’absence des objets individuels qui s’y rapportent. Et comme l’acte de la puissance appétitive est une inclination vers l’objet lui-même en raison d’une certaine ressemblance, il arrive de là que l’adhésion de la puissance appétitive à l’objet qu'elle désirait reçoit le nom de sentiment, parce qu’elle est une expérience de la chose à laquelle elle s’attache, selon le degré de complaisance qu’elle y met. C’est ainsi qu'il faut entendre ces paroles de l'Ecriture (Sag., 1, 1) : Sentez ou éprouvez le Seigneur dans sa bonté. Par là on voit que sentir ou consentir est un acte de la puissance appétitive.

 

Article 2 : Le consentement existe-t-il chez les animaux ?

 

          Objection N°1. Il semble que le consentement se trouve chez les animaux. Car le consentement implique la détermination de l’appétit à une chose unique. Or, l’appétit des animaux ne se rapporte qu’à un seul et même objet. Donc le consentement existe chez eux.

          Réponse à l’objection N°1 : Dans les animaux l’appétit est en effet déterminé à une chose, mais passivement, tandis que le consentement implique une détermination de l’appétit qui est plutôt active que passive.

 

          Objection N°2. Quand on rejette ce qui précède on rejette aussi ce qui suit. Or, le consentement précède l’exécution de l’œuvre. Donc si les animaux n’étaient pas capables de consentement ils ne pourraient pas non plus exécuter quelque chose ; ce qui est évidemment faux.

          Réponse à l’objection N°2 : En rejetant ce qui précède on rejette ce qui suit quand ce qui suit est produit uniquement et exclusivement par ce qui précède. Mais quand une chose résulte de plusieurs causes, il ne s’ensuit pas qu’on la rejette en rejetant l’une des causes qui lui sont antérieures. Par exemple si le froid et le chaud ont la propriété de durcir les corps (car la chaleur durcit la tuile et le froid solidifie l'eau en la congelant) ; du moment où l’on éloigne le calorique, il ne s’ensuivra pas que tous les corps cesseront d’être durs. Or, l’exécution d'une œuvre quelconque résulte non seulement du consentement, mais encore de l’ardeur de l’appétit tel qu’il existe dans les animaux.

 

          Objection N°3. On dit quelquefois que les hommes consentent à agir par passion, soit par concupiscence, soit par colère. Or, les animaux agissent par passion. Donc il y a en eux consentement.

          Réponse à l’objection N°3 : Les hommes qui agissent passionnément peuvent ne pas suivre leur passion, tandis qu’il n’en est pas de même des animaux. Il n’y a donc pas de similitude à établir.

 

          Mais c’est le contraire. Saint Jean Damascène dit (De orth. fid., liv. 2, chap. 22) que l’homme après avoir jugé dispose et aime ce qu’il a trouvé bon, et c’est ce qu'on appelle consentir. Or, les animaux ne jugent pas. Donc il n’y a pas en eux consentement.

 

          Conclusion Puisque les animaux n’appliquent pas leur mouvement appétitif à faire une chose, il est impossible qu’il y ait en eux consentement.

          Il faut répondre que le consentement, à proprement parler, n’existe pas dans les animaux. La raison en est que le consentement requiert l'application du mouvement appétitif pour faire une chose. Or, pour appliquer ce mouvement appétitif à la chose que l’on fait il faut être maître de ce mouvement. Ainsi un bâton peut toucher une pierre, mais pour appliquer un bâton à une pierre il faut avoir le pouvoir de le mouvoir. Les animaux n’étant pas maîtres du mouvement de leur appétit et ce mouvement n'existant en eux que d’une manière instinctive, il s’ensuit qu'ils appètent mais qu’ils n'appliquent pas à une chose leur mouvement appétitif. C’est pourquoi le consentement, à proprement parler, n’existe pas en eux ; il ne se trouve que dans les êtres raisonnables qui sont maîtres du mouvement de leur appétit et qui peuvent l’appliquer ou ne le pas appliquer à une chose ou à une autre.

 

Article 3 : Le consentement a-t-il pour objet la fin ou les moyens ?

 

          Objection N°1. Il semble que le consentement ait pour objet la fin. Car la fin est ce qu’il y a de principal. Or, nous consentons aux moyens en vue de la fin. Donc à plus forte raison consentons-nous à la fin.

          Réponse à l’objection N°1 : Comme nous connaissons les conséquences par les principes, et que la connaissance de ces derniers n’est pas la science, mais quelque chose de plus, l’intelligence ; de même nous consentons aux moyens en vue de la fin, et ce n’est pas le consentement qui se rapporte à la fin, mais quelque chose de plus, c’est-à-dire la volonté.

 

          Objection N°2. L’action de l’intempérant est sa fin comme l’action de l'homme vertueux. Or, l’intempérant consent à l’acte qui lui est propre. Donc le consentement peut avoir la fin pour objet.

          Réponse à l’objection N°2 : L’intempérant a pour fin la délectation qu’il trouve dans son action, et c’est pour cette délectation qu'il consent à l’action plutôt que pour l’action elle-même.

 

          Objection N°3. L’appétit qui se rapporte aux moyens est l’élection, comme nous l’avons dit (quest. 13, art. 3). Si donc le consentement n’avait pour objet que les moyens, il ne paraîtrait différer en rien de l’élection, ce qui est évidemment faux d’après saint Jean Damascène qui dit (De orth. fid., liv. 2, chap. 22) qu’après la modification à laquelle il donne le nom de sentence ou de consentement a lieu l’élection. Donc le consentement n’a pas seulement rapport aux moyens.

          Réponse à l’objection N°3 : L’élection ajoute au consentement une relation par rapport à l’objet en faveur duquel on fait une préférence ; c’est pourquoi après le consentement donné il y a encore lieu à l’élection. Car il peut arriver que le conseil découvre plusieurs moyens pour arriver à une fin ; si tous ces moyens paraissent bons on peut consentir à chacun d'eux ; mais parmi plusieurs moyens qui conviennent nous pouvons en préférer un, et c’est le fait de l’élection. Dans le cas où il n’y aurait qu’un seul moyen qui convînt, le consentement et l’élection ne différeraient pas en réalité, mais seulement d’une manière rationnelle. Le consentement se rapporterait à la chose considérée au point de vue de la convenance, et l’élection établirait une préférence entre cette chose et celles qui ne plairaient pas.

 

         Mais c’est le contraire. Car saint Jean Damascène (De orth. fid., liv. 2, chap. 22) dit qu’il y a sentiment ou consentement quand l’homme dispose et aime ce qu’il a jugé bon d’après son conseil. Or, le conseil n’a pour objet que les moyens. Donc le consentement ne va pas au delà.

          Conclusion Puisque le consentement, à proprement parler, n’est que l'application du mouvement appétitif à ce que le conseil a décidé et que le conseil n’a pour objet que les moyens, il est constant que le consentement proprement dit ne s’étend pas lui-même au delà.

          Il faut répondre que le consentement est l’application du mouvement appétitif à quelque chose de préexistant qui est au pouvoir de celui qui l’applique. Or, dans la pratique il faut d’abord percevoir la fin, puis la désirer, puis prendre conseil sur les moyens et enfin désirer les moyens eux-mêmes. Comme l’appétit tend naturellement à sa fin dernière, il s’ensuit que l'application du mouvement appétitif à la fin perçue n’a pas le caractère d’un consentement, mais d’une simple volonté. Quant aux fins secondaires qui sont subordonnées à la fin principale, elles sont à titre de moyens l’objet du conseil. Le consentement peut alors porter sur elles en ce sens que le mouvement appétitif s’applique à ce que le conseil a jugé. Mais le mouvement de l'appétit vers la fin n’est pas appliqué au conseil, c’est plutôt le conseil qui lui est appliqué, parce que le conseil présuppose l’appétit de la fin, tandis que l’appétit des moyens présuppose la détermination du conseil. C’est pourquoi l’application du mouvement appétitif à l’objet que le conseil a déterminé constitue, à proprement parler, le consentement. Et comme le conseil ne se rapporte qu’aux moyens il s’ensuit que le consentement, à proprement parler, ne se rapporte pas non plus à autre chose.

 

Article 4 : N’appartient-il qu’à la partie supérieure de l’âme de consentir à l’action ?

 

          Objection N°1. Il semble qu’il n'appartienne pas toujours à la raison supérieure de consentir à l’action. Car la délectation est une conséquence de l’action et la perfectionne, comme la beauté perfectionne la jeunesse, ainsi que le dit Aristote (Eth., liv. 10, chap. 4). Or, c’est à la raison inférieure qu’il appartient de consentir à la délectation suivant saint Augustin (De Trin., liv. 12, chap. 12). Donc il n’appartient pas qu’à la raison supérieure de consentir à l’action.

          Réponse à l’objection N°1 : Le consentement à la délectation de l’action appartient à la raison supérieure aussi bien que le consentement à l’action elle-même. Mais le consentement à la délectation qui résulte de la pensée appartient à la raison inférieure comme la pensée elle-même. Cependant du moment que la pensée ou son absence est considérée comme une action, elle relève de la raison supérieure qui en est le juge ainsi que de la délectation qui en est la conséquence. Mais quand on considère la pensée comme se rapportant à une autre action elle appartient alors à la raison inférieure. Car ce qui se rapporte à un autre objet appartient à un acte ou à une puissance inférieure à la fin qu’il a en vue. C’est pour ce motif que l’art qui a pour objet la fin reçoit le nom d’art architectonique ou principal.

 

          Objection N°2. On appelle volontaire l’action à laquelle nous consentons. Or, il y a beaucoup de facultés qui peuvent produire des actions volontaires. Donc la raison supérieure ne consent pas seule à l’action.

          Réponse à l’objection N°2 : Si les actions sont appelées volontaires parce que nous leur donnons notre consentement, il n’est pas nécessaire pour cela que le consentement appartienne à chacune des puissances de l’âme, il suffit qu’il vienne de la volonté qui est le principe du volontaire et qui réside dans la raison, comme nous l’avons dit (quest. 6, art. 1).

 

          Objection N°3. La raison supérieure a pour objet l'étude et la contemplation des choses éternelles, comme le dit saint Augustin (De Trin., liv. 12, chap. 7). Or, l’homme consent maintes fois à agir non pour des raisons éternelles, mais pour des raisons temporelles et même pour satisfaire quelques passions. Donc il n’appartient pas qu’à la raison supérieure de consentir à l’action.

          Réponse à l’objection N°3 : On dit que la raison supérieure consent à l’action non seulement parce qu’elle nous porte toujours à agir d’après des raisons éternelles, mais encore parce qu’elle n’entrave pas notre action au nom de ces mêmes raisons (C’est-à-dire que ces raisons éternelles ne l’empêchent pas d'agir et de faire ce qu’elles défendent.).

 

          Mais c’est le contraire. Saint Augustin dit (De Trin., liv. 12, chap. 12) qu’on ne peut affirmer que le péché ait été efficacement consommé si l’intelligence qui a un pouvoir souverain sur les membres pour les faire agir ou pour les en empocher ne consent à l’action mauvaise et ne s’y prête.

 

          Conclusion Le consentement à l’action étant la sentence finale qu’on porte en matière pratique, il n’appartient qu’à la partie supérieure de l’âme, c’est-à-dire à la raison selon qu’elle comprend en elle la volonté.

          Il faut répondre que c’est toujours à celui qui est au-dessus des autres et qui a droit de les juger qu’appartient la sentence finale. Car tant qu’il y a encore quelque chose à juger on ne rend pas l’arrêt suprême. Or, il est évident que la raison supérieure a droit de juger toutes choses, puisque nous jugeons des choses sensibles par notre raison (La raison par laquelle nous jugeons des choses sensibles est la raison inférieure.), et nous jugeons des choses qui ont rapport à notre raison par les raisons divines qui appartiennent à la raison supérieure. C’est pourquoi tant qu’on est incertain sur les prescriptions de la raison divine, la raison humaine ne peut porter aucun jugement qu’on puisse considérer comme un arrêt suprême. Or, en matière pratique l’arrêt suprême est le consentement à l’action. C’est pourquoi il appartient à la raison supérieure de consentir à l’action, et par raison supérieure nous entendons celle qui renferme en elle la volonté, comme nous l’avons dit (art. 1, réponse N°1).

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.

 

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