Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
1a 2ae = Prima Secundae = 1ère partie de la 2ème Partie
Question 17 :
Des actes commandés par la volonté
Apres
avoir parlé des actes volontaires dans leur rapport avec les moyens, nous avons
maintenant à nous occuper des actes commandés par la volonté. — A ce sujet neuf
questions se présentent : 1° Commander est-ce l’acte de la volonté ou de la
raison ? — 2° Les animaux ont-ils l’empire sur leurs actes ? — 3° Du rang que
le commandement occupe par rapport à l'usage. — 4° Le commandement et l’acte
commandé ne forment-ils qu’un seul et même acte ou sont-ils des actes
différents ? — 5° L’acte de la volonté est-il commandé ? — 6° L’acte de la
raison peut-il l’être ? — 7° Les actes de l’appétit sensitif ; — 8° les actes de
l’âme végétative ; — 9° les actes des membres extérieurs peuvent-ils l’être
également ?
Article
1 : Le commandement est-il un acte de la volonté ou de la raison ?
Objection
N°1. Il semble que le commandement ne soit pas un acte de la raison, mais de la
volonté. En effet commander, c’est imprimer une sorte de mouvement ; car
Avicenne distingue quatre espèces de moteur : un moteur qui perfectionne, qui
dispose, qui commande et qui conseille. Or, c’est à la volonté qu’il appartient
de mouvoir toutes les autres puissances de l’âme, comme nous l’avons dit
(quest. 9, art. 1). Donc le commandement est l’acte de la volonté.
Réponse
à l’objection N°1 : Commander ne consiste pas à imprimer un mouvement
quelconque, mais à dire ou à ordonner une chose à quelqu’un, ce qui est le
propre de la raison.
Objection
N°2. Comme c’est à celui qui est soumis qu’il appartient d’être commandé, de
même c’est à celui qui est libre qu’il appartient d’exercer le commandement.
Or, la source ou la racine de la liberté est surtout dans la volonté. Donc il
appartient à la volonté de commander.
Réponse
à l’objection N°2 : La racine de la liberté c’est la volonté, comme sujet, mais
comme cause c’est la raison. Car ce qui fait que la volonté peut librement se
porter vers divers objets, c’est que la raison peut avoir différentes idées du
bien; c’est pour ce motif que les philosophes définissent le libre arbitre, le
libre jugement de la raison, parce que la raison est cause de la liberté.
Objection
N°3. L’acte suit le commandement immédiatement. Or, l’acte ne suit pas
immédiatement la décision de la raison ; car celui qui pense qu’il doit faire
une chose, ne la fait pas aussitôt. Donc le commandement n'est pas l’acte de la
raison, mais de la volonté.
Réponse
à l’objection N°3 : Ce raisonnement prouve que le commandement n’est pas l’acte
absolu de la raison, mais qu’il suppose une certaine impulsion de la volonté,
comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.).
Mais
c’est le contraire. Némésius (De nat. hom., chap. 10) et
Aristote (Eth., liv. 1, chap. ult.) disent que l’appétit
obéit à la raison. Donc c’est à la raison qu’il appartient de commander.
Conclusion
Le commandement est essentiellement l’acte de la raison, mais il présuppose
toutefois l'acte de la volonté dont la vertu imprime à la raison elle-même le
mouvement qui lui est nécessaire pour commander et entrer dans l’exercice de
ses actes.
Il
faut répondre que le commandement est l’acte de la raison, mais qu’il
présuppose toutefois l’acte de la volonté. Pour s’en convaincre jusqu’à l’évidence
il faut observer que les actes de la volonté et de la raison se rapportent
réciproquement l’un à l’autre. Ainsi la raison raisonne sur le vouloir et la
volonté veut raisonner ; tantôt l’acte de la raison précède l’acte de la
volonté et tantôt c’est le contraire. Et comme la vertu du premier acte
subsiste dans l’acte qui suit, il arrive quelquefois qu’un acte appartient à la
volonté et qu’il renferme virtuellement quelque chose qui procède d’un acte
rationnel, comme nous l’avons dit à propos de l’usage (quest. 16, art. 1) et de
l’élection (quest. 13, art. 1), et réciproquement un acte rationnel peut
renfermer en lui virtuellement quelque chose d’un acte volontaire. Le
commandement est à la vérité un acte qui appartient essentiellement à la
raison. Car celui qui commande ordonne à celui qui lui obéit de faire une
chose, et il le lui ordonne en le lui intimant ou en le lui dénonçant. Or, c’est
à la raison qu’il appartient d’intimer ou de dénoncer quelque chose, et elle
peut le faire de deux manières : 1° d’une manière absolue, c’est ce qu’on fait
en employant le verbe à l’indicatif, comme quand on dit à quelqu’un : Voici ce que vous avez à faire (Dans ce
cas on indique à l’individu ce qu’il doit faire, mais on ne l'y engage pas
efficacement.). 2° La raison peut intimer une chose en portant quelqu’un à la
faire. Cette intimation s’exprime par l’impératif, comme quand on dit à quelqu’un
: Faites cela. Or, le premier moteur
des facultés de l’âme relativement à l’exercice de leurs actes, c’est la
volonté, comme nous l’avons dit (quest. 9, art. 1). Donc puisque le second
moteur ne meut qu’en vertu du premier, il s’ensuit que le mouvement que la
raison imprime en commandant provient virtuellement de la volonté. D’où il
résulte que le commandement est l’acte de la raison, mais qu’il présuppose l’acte
de la volonté qui met elle-même la raison en mouvement, pour qu’elle puisse
commander et produire les actes qui lui sont propres.
Article
2 : Les animaux ont-ils l’empire sur leurs actions ?
Objection
N°1. Il semble que les animaux aient l’empire sur leurs actions. Car, d’après
Avicenne, la puissance qui commande le mouvement est la puissance appétitive,
et la puissance qui l’exécute réside dans les muscles et dans les nerfs. Or,
ces deux puissances se trouvent chez les animaux. Donc ils ont l’empire sur
leurs actes.
Réponse
à l’objection N°1 : On dit que la puissance appétitive commande le mouvement,
en ce sens qu’elle meut la raison qui commande, mais cela n’existe que dans les
hommes. Chez les animaux la puissance appétitive ne commande pas, à proprement
parler, ou si on dit qu’elle commande, il faut prendre ce mot dans une large
acception et entendre simplement qu'elle est une puissance motrice.
Objection
N°2. Il est dans la nature de l’esclave d’être commandé. Or, le corps est à l’âme
ce que l'esclave est au maître, suivant Aristote (Pol., liv. 1, chap. 2). Donc le corps est commandé par l’âme, même
chez les animaux qui sont formés d’une âme et d’un corps.
Réponse
à l’objection N°2 : Dans les animaux le corps a tout ce qu'il faut pour obéir,
mais l’âme n'a pas tout ce qu'il faut pour commander, puisqu’elle n’a pas de
quoi ordonner. C'est pourquoi le rapport qui existe en eux de l’un à l’autre
n’est pas le rapport de celui qui commande à celui qui est commandé, mais
seulement de celui qui meut à celui qui est mû.
Objection
N°3. Par le commandement l’homme est porté à l’action. Or, les animaux sont
portés à l’action, comme le dit saint Jean Damascène (De fid. orth., liv. 2, chap.
22). Donc le commandement existe dans les animaux.
Réponse
à l’objection N°3 : Les animaux ne se portent pas à l’action de la même manière
que les hommes. Car les hommes se portent à l’action selon l’ordre de la raison
; c’est pourquoi leur élan a toujours le caractère du commandement, tandis que
les animaux se portent à l’action instinctivement. En effet, quand ils
perçoivent une chose qui leur convient ou qui ne leur convient pas, aussitôt
leur appétit est naturellement poussé à la rechercher ou à la fuir. Ainsi
l’animal est toujours porté par un être extérieur à agir ; il ne règle pas
lui-même ses actions ; c’est ce qui fait qu’il y a en lui un mouvement brusque
et précipité et qu’il n’a pas d'empire sur ses actes.
Mais
c’est le contraire. Le commandement est l’acte de la raison, comme nous l’avons
dit (art. préc). Or, la raison n’existe pas chez les
animaux. Donc le commandement n’existe pas non plus.
Conclusion
Le commandement étant l’acte de la raison il est impossible qu’il existe dans
les animaux.
Il
faut répondre que commander n’est
rien autre chose que d’ordonner (ordinare) quelqu’un pour faire une chose en lui intimant une
certaine impulsion. Or, ordonner est l’acte propre de la raison ; par
conséquent il est impossible que le commandement existe de quelque manière dans
les animaux qui sont absolument dépourvus de raison (Le commandement renferme
trois choses ; il consiste : 1° à déterminer ce que l’on doit faire et à
ordonner les moyens qu’on doit employer ; 2° à indiquer positivement ce qu’il
faut faire ; 5° à mouvoir la puissance qui doit exécuter la chose commandée.
Or, la raison est nécessaire pour déterminer la fin et les moyens, parce qu’il
faut comparer et juger ; elle est nécessaire pour les indiquer, puisqu’il faut
parler ; enfin elle contribue à mettre la puissance exécutrice en mouvement,
quoique ce soit aussi l’œuvre de la volonté.).
Article
3 : L’usage précède-t-il le commandement ?
Objection
N°1. Il semble que l’usage précède le commandement. Car le commandement est un
acte de la raison qui présuppose l’acte de la volonté, comme nous l’avons dit
(art. 1). Or, l’usage est un acte de la volonté, comme nous l’avons prouvé
(quest. 16, art. 1). Donc l’usage précède le commandement.
Réponse
à l’objection N°1 : Tout acte volontaire ne précède pas l’acte rationnel qui
constitue le commandement. Mais il y en a qui le précèdent, comme l’élection,
et il y en a qui le suivent, comme l’usage, parce que quand le conseil qui est
le jugement de la raison a prononcé, la volonté choisit, et après l’élection la
raison lui commande d’exécuter ce qu’elle a choisi. Alors la volonté commence à
user en exécutant les ordres de la raison, et cette volonté est une volonté
étrangère quand on commande à une autre personne, ou bien c’est la volonté même
du sujet qui commande quand c’est à soi-même qu’on intime ses ordres.
Objection
N°2. Le commandement est une des choses qui se rapportent à la fin. Or, l’usage
a pour objet ces choses. Donc il semble qu’il soit antérieur au commandement.
Réponse
à l’objection N°2 : Comme les actes sont antérieurs aux puissances, de même les
objets le sont aux actes. Or, l’usage a pour objet ce qui se rapporte à la fin.
Donc par là même que le commandement se rapporte à la fin, on peut plutôt
conclure qu’il est antérieur à l’usage qu’il ne lui est postérieur.
Objection
N°3. On appelle usage tout acte qui
procède d'une puissance mue par la volonté, parce que la volonté use des autres
puissances, comme nous l’avons dit (quest. 16, art. 1). Or, le commandement est
un acte de la raison mue par la volonté, ainsi que nous l’avons vu (art. 1).
Donc le commandement est une espèce d’usage. Et puisque ce qui est général est
antérieur à ce qui est propre, il s’ensuit que l’usage est antérieur au
commandement.
Réponse
à l’objection N°3 : Comme l’acte de la volonté qui use de la raison pour
commander précède le commandement lui-même, de même on peut dire que cet usage
de la volonté est précédé par un ordre de la raison (Par cet ordre l’entendement
ordonne à la volonté de porter la raison à examiner les moyens et à les choisir
après les avoir ainsi conférés entre eux.), parce que les actes de ces
puissances se réfléchissent réciproquement les uns sur les autres.
Mais
c’est le contraire. Saint Jean Damascène dit (De orth. fid.,
liv. 2, chap. 22) que l’impulsion à l’action précède l'usage. Or, l’impulsion à
l’action est l'effet du commandement. Donc le commandement précède l'usage.
Conclusion
Le commandement est naturellement antérieur à son usage.
Il
faut répondre que l’usage du moyen, selon qu’il existe dans la raison qui le
rapporte à la fin, précède l’élection, comme nous l’avons dit (quest. préc.,
art. 4). Donc à plus forte raison précède-t-il le commandement. Mais l’usage du
moyen, selon qu’il est soumis à la puissance exécutrice, est postérieur au
commandement, parce que l’usage de celui qui emploie une chose est
simultanément uni avec l’acte de l’objet dont il se sert. Car on ne fait pas
usage d'un bâton avant d’agir de quelque manière avec le bâton lui-même. Or, le
commandement n’existant pas simultanément avec l’acte de celui qui est
commandé, puisque l’ordre précède naturellement l’obéissance, et qu’il a
quelquefois sur l’exécution une priorité de temps, il s’ensuit qu’il est
manifeste que le commandement précède l’usage.
Article
4 : Le commandement et l’acte commandé ne forment-ils qu’un seul et même acte
ou forment-ils des actes différents ?
Objection
N°1. Il semble que l’acte commandé ne forme pas avec le commandement un seul et
même acte. Car les actes qui se rapportent à différentes puissances sont divers
entre eux. Or, l’acte commandé et le commandement appartiennent à différentes
puissances, parce que la puissance qui commande est autre que la puissance qui
est commandée. Donc l’acte commandé et le commandement ne forment pas un seul
et même acte.
Réponse
à l’objection N°1 : Si les puissances diverses n'étaient pas ordonnées l’une
par rapport à l’autre, leurs actes seraient absolument différents. Mais quand
une puissance en meut une autre, leurs actes sont un en quelque sorte ; car
l’acte du moteur et du mobile est un seul et même acte, comme le dit Aristote (Phys., liv. 3, text.
20 et 21).
Objection
N°2. Toutes les choses qu’on peut séparer l’une de l’autre sont diverses ; car
on ne sépare pas un être de lui-même. Or, l’acte commandé se sépare quelquefois
du commandement ; car le commandement précède quelquefois et l’acte commandé ne
suit pas immédiatement. Donc le commandement diffère de l’acte commandé.
Réponse
à l’objection N°2 : De ce que le commandement et l’acte commandé peuvent être séparés
l’un de l’autre il s’ensuit qu’ils sont multiples dans leurs parties. Car les
parties de l’homme peuvent être séparées les unes des autres, ce qui ne les empêche
pas d’être unis dans leur tout.
Objection
N°3. Toutes les choses dont l’une est avant l’autre sont différentes. Or, le
commandement précède naturellement l’acte commandé. Donc ces deux actes sont
différents.
Réponse
à l’objection N°3 : Pour les êtres qui sont multiples dans leurs parties et un
dans leur tout, rien n’empêche qu’une chose soit avant une autre. Ainsi, dans
l’homme l’âme est d’une certaine manière antérieure au corps, et le cœur existe
avant les autres membres.
Mais
c’est le contraire. Aristote dit (Top.,
liv. 3, chap. 2) que quand une chose existe à cause d’une autre il n’y en a qu’une.
Or, l’acte commandé n’existe qu’à cause du commandement. Donc ces deux choses n’en
font qu’une.
Conclusion
Le commandement et l’acte commandé ne font qu’un seul et même acte humain, comme
un tout est un, bien qu'il soit multiple par rapport à ses parties.
Il
faut répondre que rien n’empêche qu’une chose ne soit multiple sous un rapport
et une sous un autre. Même tous les êtres multiples sont un sous un rapport,
comme le dit saint Denis (De div. nom., chap.
ult.). Cependant il y a cette différence à reconnaître, c'est que les uns sont
absolument multiples et qu’ils ne sont un que relativement ; tandis que pour
les autres c’est absolument le contraire. D’ailleurs on peut raisonner à l’égard
de l’unité comme à l’égard de l’être. Or, l’être absolu est une substance,
tandis que l’être relatif est un accident ou un être de raison. C’est pourquoi
tout ce qui est un substantiellement est un absolument et multiple
relativement. Ainsi, dans le genre de la substance le tout composé de ses
parties intégrantes ou essentielles est un absolument ; car le tout est l’être
et la substance absolue, tandis que les parties sont des êtres et des
substances renfermées dans le tout. Mais les choses qui diffèrent
substantiellement, et qui sont une accidentellement, offrent une diversité
absolue et une unité relative. C’est ainsi qu’une multitude d'hommes forment un
peuple, une grande quantité de pierres un monceau. Cette unité est une unité d’ordre
ou de composition. De même une multitude d'individus qui sont un par le genre
ou l’espèce forment une multiplicité absolue et une unité relative ; car être
un dans le genre ou l’espèce c'est être un rationnellement. Or, comme dans l’ordre
physique un tout se compose de matière et de forme, tel que l'homme qui a une
âme et un corps, et qui n’en est pas moins un être naturellement un, bien qu’il
ait une multitude de parties ; de même, dans l’ordre moral, l’acte de la
puissance inférieure se rapporte matériellement à l’acte de la puissance
supérieure, en ce sens que la première de ces puissances n’agit qu’en vertu de
l’autre qui lui donne l’impulsion. Car l’acte du premier moteur se confond ici
formellement avec l’acte de son instrument. D’où il résulte évidemment que le
commandement et l’acte commandé ne forment qu’un seul acte humain ; comme un
tout est un, bien qu’il soit multiple par rapport à ses parties.
Article
5 : L’acte de la volonté est-il commandé ?
Objection
N°1. Il semble que l’acte de la volonté ne soit pas commandé. Car saint
Augustin dit (Conf., liv. 7, chap. 9) : L’esprit commande
à l’esprit de vouloir, mais il n’obéit pas. Or, le vouloir est l’acte de la
volonté. Donc l’acte de la volonté n'est pas commandé.
Réponse
à l’objection N°1 : Comme le dit saint Augustin dans ce même endroit, quand
l’âme se commande parfaitement de vouloir elle veut en effet ; et s’il arrive
qu’elle se commande et qu’elle ne veuille pas, c’est qu’elle ne se commande pas
parfaitement. L’imperfection de son commandement résulte de ce que la raison
est portée par divers motifs à commander ou à ne pas commander. De là les
fluctuations auxquelles elle est en proie, et l’imperfection de son
commandement.
Objection
N°2. C’est à celui qui est capable de comprendre le commandement qu’il convient
d’être commandé. Or, ce n’est pas à la volonté qu’il appartient de comprendre
le commandement, puisque la volonté diffère de l’intellect qui comprend. Donc l’acte
de la volonté n’est pas commandé.
Réponse
à l’objection N°2 : Comme dans les membres corporels tout membre n’agit pas
seulement pour lui-même, mais pour le corps entier (l’œil, par exemple voit
pour tout le corps), ainsi il en est des puissances de l’âme. Car l’intellect
comprend non seulement pour lui-même, mais pour toutes les puissances, et la
volonté veut non seulement pour elle-même, mais encore pour toutes les
puissances. C’est pourquoi l’homme se commande à lui-même l’acte de sa volonté,
parce qu’il est tout à la fois intelligent et voulant.
Objection
N°3. Si un acte de la volonté est commandé, pour le même motif tous ses actes
le sont aussi. Or, si tous les actes de la volonté sont commandés il faut
remonter indéfiniment d'actes en actes, parce que, comme il y a toujours un
acte de la volonté qui précède l’acte de la raison qui commande, ainsi que nous
l’avons dit (art. 1), si cet acte est commandé il faudra en supposer un autre
qui lui soit antérieur, lequel sera lui-même précédé d’un autre, et cela
indéfiniment. Or, il répugne qu’on procède ainsi d’une manière indéfinie. Donc
l’acte de la volonté n'est pas commandé.
Réponse
à l’objection N°3 : Le commandement étant l’acte de la raison, il n’y a d’acte
commandé que celui qui est soumis à cette faculté. Or, le premier acte de la
volonté ne procède pas de la raison (Ce premier acte qui est la simple volition
de l’esprit ne peut être commandé.), mais de l’instinct de la nature, ou d’une
cause supérieure, comme nous l’avons dit (quest.9, art. 4). Ainsi, il n’est
donc pas nécessaire d’aller d’acte en acte jusqu'à l’infini.
Mais
c’est le contraire. Tout ce qui est en notre pouvoir est soumis à notre empire
(Pour savoir quels sont les actes qui sont commandés, il faut partir de ce
principe général. Ainsi tous les actes qui ne dépendent que de notre libre
arbitre peuvent être commandés. Ceux qui n’en dépendent pas ne peuvent l’être.).
Or, les actes de la volonté sont les choses qui sont le plus en notre pouvoir.
Car nous ne sommes maîtres de nos actes qu’autant qu’ils sont volontaires. Donc
les actes de la volonté sont commandés.
Conclusion
Puisque la raison peut ordonner les actes de la volonté, il est nécessaire qu’ils
soient commandés par elle.
Il
faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. 1), le commandement n’est rien
autre chose que l’acte de la raison qui ordonne, en imprimant une certaine
impulsion pour faire quelque chose. Or, il est évident que la raison peut
ordonner les actes de la volonté. Car comme elle peut juger qu’il est bon de
vouloir une chose, de même elle peut ordonner ou commander que l’homme la
veuille. D’où il suit évidemment que l’acte de la volonté peut être commandé.
Article
6 : L’acte de la raison est-il commandé ?
Objection
N°1. Il semble que l’acte de la raison ne puisse pas être commandé. Car il
paraît absurde qu’une chose se commande à elle-même. Or, la raison est la
faculté qui commande, comme nous l’avons dit (art. 1). Donc l’acte de la raison
n’est pas commandé.
Réponse
à l’objection N°1 : La raison se commande à elle-même de la même manière que la
volonté se meut, ainsi que nous l’avons dit (quest. 9, art. 3) ; c’est-à-dire
que ces deux puissances se replient sur leurs propres actes, et que d’une chose
elles tendent à une autre.
Objection
N°2. Ce qui existe par essence diffère de ce qui existe par participation. Or,
la puissance dont l’acte est commandé par la raison est la raison par
participation, comme le dit Aristote (Eth., liv. 1,
chap. ult.). Donc l’acte de la puissance qui est la raison par essence n’est
pas commandé.
Réponse
à l’objection N°2 : Par suite de la diversité des objets soumis à l’acte de la
raison rien n’empêche que la raison ne participe d’elle-même ; ainsi la
connaissance des conclusions participe de la connaissance des principes.
Objection
N°3. L’acte commandé est celui qui est en notre puissance. Or, il n’est pas
toujours en notre pouvoir de connaître et de juger la vérité, ce qui est l’acte
de la raison. Donc l’acte de la raison ne peut pas être commandé.
Mais
c’est le contraire. Ce que nous faisons par notre libre arbitre peut être un
acte commandé. Or, les actes de la raison dépendent du libre arbitre. Car saint
Jean Damascène dit (De orth. fid., liv. 2, chap.
22) que l’homme recherche, approfondit, juge et dispose au moyen de son libre
arbitre. Donc les actes de la raison peuvent être commandés.
Conclusion
Les actes de la raison sont commandés par rapport à leur exercice, puisqu’ils
dépendent de nous, mais à l’égard de l'objet qui les spécifie ils ne le sont
pas toujours ; ils ne le sont que quand ils portent sur des choses dont la
vérité est contingente.
Il
faut répondre que la raison se réfléchissant sur elle-même, elle peut ordonner
ses actes comme elle ordonne ceux des autres puissances. Par conséquent, ces
actes peuvent être commandés. Mais il faut observer que l’acte de la raison
peut se considérer de deux manières : 1° Par rapport à son exercice. En ce sens
il peut toujours être commandé. Ainsi, on peut toujours se commander l’attention,
le raisonnement et tous les autres actes de la raison (A l’exception de l’acte
premier de la raison, qui ne dépend pas toujours de nous. Car il y a beaucoup
de pensées bonnes ou mauvaises qui nous viennent d’un principe extérieur, de
Dieu ou du démon, et que nous ne pouvons commander. Seulement c’est à nous à
voir si nous devons nous y arrêter ou les rejeter.). 2° Par rapport à son
objet. On distingue relativement à l’objet deux sortes d'actes rationnels : l’un
qui consiste à connaître la vérité à l’égard d’une chose, et celui-là n’est pas
toujours en notre pouvoir. Car on n’arrive à cette connaissance que par la
vertu d'une lumière naturelle ou surnaturelle. C’est pour ce motif que l’acte
de la raison ne dépend pas de nous à cet égard, et qu’il ne peut être commandé.
L’autre consiste dans l’assentiment que nous donnons aux choses que nous
percevons. Quand il s’agit de choses perçues auxquelles l’intellect adhère
naturellement comme sont les premiers principes, il n’est pas en notre pouvoir
d’y consentir ou de n’y pas consentir. C’est le fait de la nature, et c’est
pour cela qu’à proprement parler ce phénomène est soumis à ses lois. Mais quand
l’objet perçu ne convainc pas pleinement l’intelligence au point d’entraîner
nécessairement son adhésion ou son dissentiment, et qu’il lui est permis de
suspendre son jugement pour un motif quelconque, il est en notre pouvoir d’y
adhérer ou de n’y pas adhérer, et ces actes dépendent par là même de notre
commandement.
La
réponse à l’objection N°3 est évidente d'après ce que nous avons dit.
Article
7 : L’acte de l’appétit sensitif est-il commandé ?
Objection
N°1. Il semble que l’acte de l’appétit sensitif ne soit pas commandé. Car saint
Paul dit (Rom., 7, 19) : Je ne fais pas le bien que je veux. Et
la glose, commentant ces paroles (Aug., liv. 3, Cont. Jul.,
chap. 26), ajoute : L’homme veut n’avoir pas de concupiscence, et cependant il
est soumis à cette passion. Or, la concupiscence est un acte de l’appétit
sensitif. Donc l’acte de l’appétit n’est pas soumis à notre commandement.
Réponse
à l’objection N°1 : Si l’homme convoite ce qu’il ne voudrait pourtant pas
convoiter, cela provient des dispositions du corps qui empêchent l’appétit sensitif
de suivre totalement les prescriptions de la raison. D’où l’Apôtre ajoute au
même endroit : Je vois dans mes membres
une autre loi qui répugne à la loi de mon esprit. Cela peut être aussi l’effet
du mouvement premier de la concupiscence, comme nous l’avons dit (dans le corps
de l’article.).
Objection
N°2. La matière corporelle n’obéit qu’à Dieu relativement aux transformations
formelles qu’elle est susceptible de recevoir, comme nous l’avons dit (1a
pars, quest. 105, art. 1, et quest. 110, art. 2). Or, les actes de l’appétit
sensitif dépendent des transformations formelles du corps, par exemple du chaud
ou du froid. Donc ces actes ne sont pas soumis au commandement de l’homme.
Réponse
à l’objection N°2 : Les qualités ou les dispositions du corps se rapportent de
deux manières à l’acte de l’appétit sensitif : 1° Elles peuvent être
antécédentes ; comme quand quelqu’un se trouve corporellement disposé d’une
façon favorable à telle ou telle passion ; 2° elles peuvent être conséquentes ;
comme quand on s’échauffe par suite de la colère. Les dispositions antécédentes
ne sont pas soumises à l’empire de la raison, parce qu’elles sont l’effet de la
nature ou qu’elles proviennent d’un mouvement antérieur que la raison ne peut
calmer immédiatement ; mais les dispositions conséquentes obéissent à la
raison, parce qu’elles suivent les mouvements du cœur qui sont eux-mêmes
diversifiés par les divers actes de l’appétit sensitif.
Objection
N°3. Le propre motif de l’appétit sensitif est l’objet perçu par les sens ou l’imagination.
Or, il n’est pas toujours en notre pouvoir de percevoir quelque chose au moyen
de ces deux facultés. Donc l'acte de l’appétit sensitif n'est pas soumis à
notre commandement.
Réponse
à l’objection N°3 : La perception des sens exigeant un objet sensible
extérieur, il n’est pas en notre puissance de percevoir cet objet s'il n’est
pas présent. Mais quand il l’est, l’homme peut se servir de ses sens comme bon
lui semble, pourvu que ses organes corporels ne lui fassent pas défaut. Quant à
ce que l’imagination perçoit, il est soumis à la raison suivant la force ou la
faiblesse de l’imagination elle-même. Car si l’homme ne peut pas imaginer ce
que la raison considère, cela provient ou de ce que ces choses ne sont pas de
son domaine, comme les choses incorporelles, ou de ce que l’imagination
elle-même se trouve très affaiblie par suite d’une indisposition organique.
Mais
c’est le contraire. Némésius dit (De nat. hom.,
chap. 16) que ce qui obéit à la raison se divise en deux choses, le désir et la
colère. Ces deux choses appartenant à l’appétit sensitif, il s’ensuit que les
actes de cet appétit sont soumis à l’empire de la raison.
Conclusion
Les actes de l’appétit sensitif, selon qu’ils dépendent de cette puissance de l’âme,
sont soumis à l’empire de la raison, mais selon qu’ils résultent des
dispositions du corps ils s’accomplissent quelquefois en dehors de cet empire.
Il
faut répondre qu’un acte est soumis à notre commandement selon qu’il est en
notre puissance de le faire ou de ne le pas faire, comme nous l’avons dit (art.
6). Par conséquent, pour savoir jusqu’à quel point l’acte de l’appétit sensitif
est soumis à l’empire de la raison il faut examiner jusqu’à quel point nous en
sommes maîtres. D’abord il faut savoir que l’appétit sensitif diffère de l’appétit
intelligentiel qu’on appelle la volonté, en ce que l’appétit
sensitif est la puissance d’un organe corporel, tandis qu’il n’en est pas de
même de la volonté. Or, tout acte qui procède d’une faculté qui fait usage d’un
organe corporel dépend non seulement de la puissance de l’âme, mais encore des
dispositions de l’organe corporel lui-même. Ainsi la vision dépend de la
faculté visuelle et de la qualité de l’œil qui peut aider ou entraver l’exercice
de cette faculté. Par conséquent, l’acte de l'appétit sensitif dépend non seulement
de la puissance appétitive, mais encore des dispositions du corps. Ce qui se
rapporte à la puissance de l’âme suit la perception. Or, la perception de l’imagination,
par là même qu’elle est particulière, a pour règle la perception de la raison
qui est universelle ; comme une puissance active particulière est régie par une
puissance active universelle. C’est pourquoi, sous ce rapport, l’acte de l’appétit
sensitif est soumis à l’empire de la raison. Mais il n’en est pas de même des qualités
et des dispositions du corps. Elles ne dépendent pas de la raison, et c’est
pour ce motif que les mouvements de l’appétit sensitif ne peuvent totalement
relever de son empire. Il arrive aussi quelquefois que l’appétit sensitif est
tout à coup mis en mouvement à l’occasion d'objets perçus par l’imagination ou
les sens ; alors ce mouvement premier (Ces mouvements, que les théologiens
appellent molus primò primi, ne sont pas des actes humains, puisqu’ils
échappent à la raison : ce sont des actes de l’homme qui n’ont par là même
aucune vertu morale.) échappe à l'empire de la raison, bien qu’elle eût pu
l'empêcher, si elle l’eût prévu. C’est ce qui fait dire à Aristote (Pol., liv. 1, chap. 3) que la raison
commande à l’irascible et au concupiscible, non d’une manière
souveraine comme l’autorité du maître sur l’esclave, mais d’une manière
restreinte comme l’autorité qu’exerce un roi sur des sujets libres qui ne sont
pas totalement soumis à ses ordres.
Article
8 : L’acte de l’âme végétative est-il commandé ?
Objection
N°1. Il semble que les actes de l’âme végétative soient soumis à l’empire de la
raison. Car les facultés de l’âme sensitive sont plus nobles que celles de
l’âme végétative. Or, les premières sont soumises à l’empire de la raison. Donc
à plus forte raison les autres doivent-elles lui être soumises aussi.
Réponse
à l’objection N°1 : Plus un acte est immatériel, plus il est noble et plus il
est soumis à l’empire de la raison. Conséquemment de ce que les facultés de l’âme
végétative n’obéissent pas à la raison il est évident que ces facultés sont d’un
ordre très infime.
Objection
N°2. On dit que l’homme est un petit monde parce que son âme est dans son corps
comme Dieu dans l’univers. Or, Dieu est dans l’univers de telle façon que tout
ce qui constitue l’ensemble des êtres obéit à ses ordres. Donc tout ce qui
existe dans l’homme obéit à l'empire de la raison, même les facultés de l’âme
végétative.
Réponse
à l’objection N°2 : La ressemblance ne se considère que sous un rapport : ainsi
comme Dieu meut le monde, de même l’âme meut le corps ; mais on ne peut étendre
à toutes choses cette analogie. Car l’âme n'a pas créé le corps de rien comme
Dieu a créé le monde ; par conséquent le corps ne peut lui être totalement
soumis comme le monde l’est à Dieu.
Objection
N°3. La louange et le blâme ne portent que sur des actes qui sont soumis à
l’empire de la raison. Or, parmi les actes de la puissance nutritive et
génératrice il y en a qui sont un objet de louange et de blâme et qui sont
regardés comme des vertus ou des vices ; comme on le voit par la gourmandise,
la luxure et les vertus qui leur sont opposées. Donc les actes de ces
puissances sont soumis à l’empire de la raison.
Réponse
à l’objection N°3 : La vertu et le vice, la louange et le blâme ne peuvent se
rapporter aux actes mêmes de la puissance nutritive ou génératrice, qui sont la
digestion et la formation du corps humain. Mais ils regardent les actes de l’âme
sensitive qui sont en rapport avec les actes de la puissance génératrice ou
nutritive. Ainsi on mérite d’être loué ou blâmé à propos des plaisirs de la
table ou de la chair, selon qu’on les recherche quand il faut ou quand il ne
faut pas.
Mais
c’est le contraire. Némésius dit (De nat. hom.,
chap. 22) que ce qui ne dépend pas de la raison appartient dans l’homme à la
puissance nutritive et génératrice.
Conclusion
Les actes de l’âme végétative résultant de l’appétit naturel ne sont soumis d’aucune
manière à l’empire de la raison.
Il
faut répondre qu’il y a des actes qui procèdent de l'appétit naturel, d’autres
de l’appétit animal ou intelligentiel. Car tout agent
appète sa fin de quelque manière. L’appétit naturel ne résulte pas d’une
perception comme l’appétit animal et l’appétit intelligentiel.
Or, la raison commande à titre de puissance perceptive. C’est pourquoi son
empire peut s’étendre sur tous les actes qui procèdent de l’appétit intelligentiel ou animal, mais non sur les actes qui
procèdent de l’appétit naturel. Ces actes sont ceux de l’âme végétative ; c'est
ce qui fait dire à Némésius (loc. cit.), qu'on appelle naturel ce qui tient à la génération et à
la nutrition, et c’est pour ce motif que les actes de l’âme végétative ne sont
pas soumis à l’empire de la raison (Les actes de l’âme végétative ne peuvent
être commandés pour deux raisons : 1° parce qu’ils ne sont pas produits au
moyen d’une perception ; 2° parce qu’ils dépendent des dispositions du corps
sur lesquelles la raison n'a pas d'empire.).
Article
9 : Les actes des membres extérieurs sont-ils commandés ?
Objection
N°1. Il semble que les membres du corps n’obéissent pas à la raison
relativement à leurs actes. Car il est constant que les membres du corps sont
plus éloignés de la raison que les facultés de l’âme végétative. Or, les
facultés de l’âme végétative n’obéissent pas à la raison, comme nous l’avons
dit (art. préc). Donc les membres du corps lui
obéissent encore beaucoup moins.
Réponse
à l’objection N°1 : Les membres ne se meuvent pas eux-mêmes, mais ils sont mus
par les puissances de l’âme, parmi lesquelles il y en a qui se rapprochent plus
de la raison que les facultés de l’âme végétative.
Objection
N°2. Le cœur est le principe du mouvement animal. Or, le mouvement du cœur n’est
pas soumis à l’empire de la raison ; car Némésius dit
(De nat. hom.,
chap. 22), que les pulsations du cœur ne peuvent être du domaine de cette
faculté. Donc le mouvement des membres corporels n’est pas soumis aux ordres de
la raison.
Réponse
à l’objection N°2 : Pour ce qui regarde l’intellect et la volonté, ce qui se
trouve en premier lieu c’est ce qui est naturel et d’où tout le reste découle.
Ainsi c’est de la connaissance des principes naturellement connus que découle
la connaissance des conclusions, et c’est de la volonté de la fin naturellement
désirée que sort le choix des moyens. De même dans les mouvements corporels
leur principe est naturel. Or, le principe des mouvements du corps procède du
mouvement du cœur ; par conséquent le mouvement du cœur est naturel et n’est
pas volontaire. Car il est une conséquence de la vie qui résulte de l’union de
l’âme et du corps, comme le mouvement des corps graves et légers est une
conséquence de leur forme substantielle. D'après Aristote (Phys., liv. 8, text. 29), le mouvement du
cœur est attribué à son principe générateur, et c’est pour ce motif qu'on donne
à ce mouvement le nom de vital. De là Némésius dit (loc. cit. in arg.)
que comme la génération et la nutrition n’obéissent pas à la raison, il en est
de même des palpitations qui constituent la vitalité de l’être. Or, par
palpitation il entend le mouvement du cœur qui se manifeste par les pulsations
du pouls.
Objection
N°3. Saint Augustin dit (De civ. Dei,
liv. 14, chap. 16) que parfois l’ardeur des passions charnelles s’élève
inopportunément quand on ne le demande pas, et que parfois elle trompe celui
qui la désire, de telle sorte que pendant que l’âme est de feu le corps est de
glace. Donc les mouvements des membres n’obéissent pas à la raison.
Réponse
à l’objection N°3 : D’après saint Augustin (De
civ. Dei, liv. 14, chap. 16, 20), la chair dans ses instants de rébellion
n’obéit pas à la raison par suite du péché originel, afin que l’homme trouve la
peine de sa rébellion envers Dieu dans ce qui sert à transmettre le péché même
à ses descendants. Mais comme par le péché de notre premier père, ainsi que
nous l’expliquerons (quest. 85, art. 1 et 3), la nature a été abandonnée à
elle-même et privée du don surnaturel que Dieu avait accordé à l’homme, il faut
trouver une raison naturelle de cette désobéissance de la chair envers la
raison. Aristote l’assigne (De causis motûs anim.,
chap. 11) en disant que les mouvements du cœur et des parties génitales sont
involontaires, parce qu'à la vue de certains objets ces membres entrent en
mouvement, dès que l'intelligence et l'imagination représentent ce qui peut
exciter les passions de l’âme auxquelles leur activité correspond. Mais il
n’appartient ni à la raison, ni à l’intelligence de disposer du mouvement de
ces membres, parce qu’il dépend de certaines modifications naturelles, qui
tiennent à la chaleur et au froid, et qu’il n'est pas au pouvoir de la raison
de produire. Ces modifications influent particulièrement sur ces deux parties
du corps, parce que chacune d’elles est comme un animal séparé, en ce sens que
chacune d’elles est un principe de vie. Or, le principe renferme le tout
virtuellement. Car le cœur est le principe des sens (Le cœur, par lui-même, est
le principe de tous les mouvements corporels, et l’organe générateur est le
principe de l’existence, puisque c’est par lui que l’être se reproduit.), et la
puissance du sperme qui sort de l’appareil génital renferme virtuellement
l’animal tout entier. C’est pour ce motif que ces membres ont naturellement
leurs mouvements propres, parce qu’il est nécessaire que les principes soient
naturels, comme nous l'avons dit (Réponse N°2).
Mais
c’est le contraire. Car saint Augustin dit (Conf., liv. 8, chap. 9) que l’esprit commande à la main de se mouvoir,
et celle-ci obéit avec une telle rapidité qu’à peine peut-on distinguer le
commandement de l’exécution.
Conclusion
Les membres par lesquels la partie sensitive de l’âme exécute ses œuvres sont
soumis à l’empire de la raison, mais ceux qui reçoivent le mouvement des
facultés naturelles n’y sont pas soumis.
Il
faut répondre que les membres du corps sont les organes des puissances de l’âme
; par conséquent selon que les puissances de l’âme obéissent à la raison, les
membres du corps lui obéissent aussi. Par conséquent les facultés sensitives
étant soumises à l’empire de la raison tandis que les facultés naturelles ne le
sont pas, il s’ensuit que tous les mouvements des membres qui sont produits par
les puissances sensitives sont soumis à la raison (Ainsi les mouvements des
pieds, des mains, etc., sont soumis à l’empire de la raison.), tandis que ceux
qui résultent des facultés naturelles n’y sont pas soumis.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de
l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec
l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous
puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au
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la morale catholique et des lois justes.
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