Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

1a 2ae = Prima Secundae = 1ère partie de la 2ème Partie

Question 17 : Des actes commandés par la volonté

 

          Apres avoir parlé des actes volontaires dans leur rapport avec les moyens, nous avons maintenant à nous occuper des actes commandés par la volonté. — A ce sujet neuf questions se présentent : 1° Commander est-ce l’acte de la volonté ou de la raison ? — 2° Les animaux ont-ils l’empire sur leurs actes ? — 3° Du rang que le commandement occupe par rapport à l'usage. — 4° Le commandement et l’acte commandé ne forment-ils qu’un seul et même acte ou sont-ils des actes différents ? — 5° L’acte de la volonté est-il commandé ? — 6° L’acte de la raison peut-il l’être ? — 7° Les actes de l’appétit sensitif ; — 8° les actes de l’âme végétative ; — 9° les actes des membres extérieurs peuvent-ils l’être également ?

 

Article 1 : Le commandement est-il un acte de la volonté ou de la raison ?

 

          Objection N°1. Il semble que le commandement ne soit pas un acte de la raison, mais de la volonté. En effet commander, c’est imprimer une sorte de mouvement ; car Avicenne distingue quatre espèces de moteur : un moteur qui perfectionne, qui dispose, qui commande et qui conseille. Or, c’est à la volonté qu’il appartient de mouvoir toutes les autres puissances de l’âme, comme nous l’avons dit (quest. 9, art. 1). Donc le commandement est l’acte de la volonté.

          Réponse à l’objection N°1 : Commander ne consiste pas à imprimer un mouvement quelconque, mais à dire ou à ordonner une chose à quelqu’un, ce qui est le propre de la raison.

 

          Objection N°2. Comme c’est à celui qui est soumis qu’il appartient d’être commandé, de même c’est à celui qui est libre qu’il appartient d’exercer le commandement. Or, la source ou la racine de la liberté est surtout dans la volonté. Donc il appartient à la volonté de commander.

          Réponse à l’objection N°2 : La racine de la liberté c’est la volonté, comme sujet, mais comme cause c’est la raison. Car ce qui fait que la volonté peut librement se porter vers divers objets, c’est que la raison peut avoir différentes idées du bien; c’est pour ce motif que les philosophes définissent le libre arbitre, le libre jugement de la raison, parce que la raison est cause de la liberté.

 

          Objection N°3. L’acte suit le commandement immédiatement. Or, l’acte ne suit pas immédiatement la décision de la raison ; car celui qui pense qu’il doit faire une chose, ne la fait pas aussitôt. Donc le commandement n'est pas l’acte de la raison, mais de la volonté.

          Réponse à l’objection N°3 : Ce raisonnement prouve que le commandement n’est pas l’acte absolu de la raison, mais qu’il suppose une certaine impulsion de la volonté, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.).

 

          Mais c’est le contraire. Némésius (De nat. hom., chap. 10) et Aristote (Eth., liv. 1, chap. ult.) disent que l’appétit obéit à la raison. Donc c’est à la raison qu’il appartient de commander.

 

          Conclusion Le commandement est essentiellement l’acte de la raison, mais il présuppose toutefois l'acte de la volonté dont la vertu imprime à la raison elle-même le mouvement qui lui est nécessaire pour commander et entrer dans l’exercice de ses actes.

          Il faut répondre que le commandement est l’acte de la raison, mais qu’il présuppose toutefois l’acte de la volonté. Pour s’en convaincre jusqu’à l’évidence il faut observer que les actes de la volonté et de la raison se rapportent réciproquement l’un à l’autre. Ainsi la raison raisonne sur le vouloir et la volonté veut raisonner ; tantôt l’acte de la raison précède l’acte de la volonté et tantôt c’est le contraire. Et comme la vertu du premier acte subsiste dans l’acte qui suit, il arrive quelquefois qu’un acte appartient à la volonté et qu’il renferme virtuellement quelque chose qui procède d’un acte rationnel, comme nous l’avons dit à propos de l’usage (quest. 16, art. 1) et de l’élection (quest. 13, art. 1), et réciproquement un acte rationnel peut renfermer en lui virtuellement quelque chose d’un acte volontaire. Le commandement est à la vérité un acte qui appartient essentiellement à la raison. Car celui qui commande ordonne à celui qui lui obéit de faire une chose, et il le lui ordonne en le lui intimant ou en le lui dénonçant. Or, c’est à la raison qu’il appartient d’intimer ou de dénoncer quelque chose, et elle peut le faire de deux manières : 1° d’une manière absolue, c’est ce qu’on fait en employant le verbe à l’indicatif, comme quand on dit à quelqu’un : Voici ce que vous avez à faire (Dans ce cas on indique à l’individu ce qu’il doit faire, mais on ne l'y engage pas efficacement.). 2° La raison peut intimer une chose en portant quelqu’un à la faire. Cette intimation s’exprime par l’impératif, comme quand on dit à quelqu’un : Faites cela. Or, le premier moteur des facultés de l’âme relativement à l’exercice de leurs actes, c’est la volonté, comme nous l’avons dit (quest. 9, art. 1). Donc puisque le second moteur ne meut qu’en vertu du premier, il s’ensuit que le mouvement que la raison imprime en commandant provient virtuellement de la volonté. D’où il résulte que le commandement est l’acte de la raison, mais qu’il présuppose l’acte de la volonté qui met elle-même la raison en mouvement, pour qu’elle puisse commander et produire les actes qui lui sont propres.

 

Article 2 : Les animaux ont-ils l’empire sur leurs actions ?

 

          Objection N°1. Il semble que les animaux aient l’empire sur leurs actions. Car, d’après Avicenne, la puissance qui commande le mouvement est la puissance appétitive, et la puissance qui l’exécute réside dans les muscles et dans les nerfs. Or, ces deux puissances se trouvent chez les animaux. Donc ils ont l’empire sur leurs actes.

          Réponse à l’objection N°1 : On dit que la puissance appétitive commande le mouvement, en ce sens qu’elle meut la raison qui commande, mais cela n’existe que dans les hommes. Chez les animaux la puissance appétitive ne commande pas, à proprement parler, ou si on dit qu’elle commande, il faut prendre ce mot dans une large acception et entendre simplement qu'elle est une puissance motrice.

 

          Objection N°2. Il est dans la nature de l’esclave d’être commandé. Or, le corps est à l’âme ce que l'esclave est au maître, suivant Aristote (Pol., liv. 1, chap. 2). Donc le corps est commandé par l’âme, même chez les animaux qui sont formés d’une âme et d’un corps.

          Réponse à l’objection N°2 : Dans les animaux le corps a tout ce qu'il faut pour obéir, mais l’âme n'a pas tout ce qu'il faut pour commander, puisqu’elle n’a pas de quoi ordonner. C'est pourquoi le rapport qui existe en eux de l’un à l’autre n’est pas le rapport de celui qui commande à celui qui est commandé, mais seulement de celui qui meut à celui qui est mû.

 

          Objection N°3. Par le commandement l’homme est porté à l’action. Or, les animaux sont portés à l’action, comme le dit saint Jean Damascène (De fid. orth., liv. 2, chap. 22). Donc le commandement existe dans les animaux.

          Réponse à l’objection N°3 : Les animaux ne se portent pas à l’action de la même manière que les hommes. Car les hommes se portent à l’action selon l’ordre de la raison ; c’est pourquoi leur élan a toujours le caractère du commandement, tandis que les animaux se portent à l’action instinctivement. En effet, quand ils perçoivent une chose qui leur convient ou qui ne leur convient pas, aussitôt leur appétit est naturellement poussé à la rechercher ou à la fuir. Ainsi l’animal est toujours porté par un être extérieur à agir ; il ne règle pas lui-même ses actions ; c’est ce qui fait qu’il y a en lui un mouvement brusque et précipité et qu’il n’a pas d'empire sur ses actes.

 

          Mais c’est le contraire. Le commandement est l’acte de la raison, comme nous l’avons dit (art. préc). Or, la raison n’existe pas chez les animaux. Donc le commandement n’existe pas non plus.

 

          Conclusion Le commandement étant l’acte de la raison il est impossible qu’il existe dans les animaux.

          Il faut répondre que commander n’est rien autre chose que d’ordonner (ordinare) quelqu’un pour faire une chose en lui intimant une certaine impulsion. Or, ordonner est l’acte propre de la raison ; par conséquent il est impossible que le commandement existe de quelque manière dans les animaux qui sont absolument dépourvus de raison (Le commandement renferme trois choses ; il consiste : 1° à déterminer ce que l’on doit faire et à ordonner les moyens qu’on doit employer ; 2° à indiquer positivement ce qu’il faut faire ; 5° à mouvoir la puissance qui doit exécuter la chose commandée. Or, la raison est nécessaire pour déterminer la fin et les moyens, parce qu’il faut comparer et juger ; elle est nécessaire pour les indiquer, puisqu’il faut parler ; enfin elle contribue à mettre la puissance exécutrice en mouvement, quoique ce soit aussi l’œuvre de la volonté.).

 

Article 3 : L’usage précède-t-il le commandement ?

 

          Objection N°1. Il semble que l’usage précède le commandement. Car le commandement est un acte de la raison qui présuppose l’acte de la volonté, comme nous l’avons dit (art. 1). Or, l’usage est un acte de la volonté, comme nous l’avons prouvé (quest. 16, art. 1). Donc l’usage précède le commandement.

          Réponse à l’objection N°1 : Tout acte volontaire ne précède pas l’acte rationnel qui constitue le commandement. Mais il y en a qui le précèdent, comme l’élection, et il y en a qui le suivent, comme l’usage, parce que quand le conseil qui est le jugement de la raison a prononcé, la volonté choisit, et après l’élection la raison lui commande d’exécuter ce qu’elle a choisi. Alors la volonté commence à user en exécutant les ordres de la raison, et cette volonté est une volonté étrangère quand on commande à une autre personne, ou bien c’est la volonté même du sujet qui commande quand c’est à soi-même qu’on intime ses ordres.

 

          Objection N°2. Le commandement est une des choses qui se rapportent à la fin. Or, l’usage a pour objet ces choses. Donc il semble qu’il soit antérieur au commandement.

          Réponse à l’objection N°2 : Comme les actes sont antérieurs aux puissances, de même les objets le sont aux actes. Or, l’usage a pour objet ce qui se rapporte à la fin. Donc par là même que le commandement se rapporte à la fin, on peut plutôt conclure qu’il est antérieur à l’usage qu’il ne lui est postérieur.

 

          Objection N°3. On appelle usage tout acte qui procède d'une puissance mue par la volonté, parce que la volonté use des autres puissances, comme nous l’avons dit (quest. 16, art. 1). Or, le commandement est un acte de la raison mue par la volonté, ainsi que nous l’avons vu (art. 1). Donc le commandement est une espèce d’usage. Et puisque ce qui est général est antérieur à ce qui est propre, il s’ensuit que l’usage est antérieur au commandement.

          Réponse à l’objection N°3 : Comme l’acte de la volonté qui use de la raison pour commander précède le commandement lui-même, de même on peut dire que cet usage de la volonté est précédé par un ordre de la raison (Par cet ordre l’entendement ordonne à la volonté de porter la raison à examiner les moyens et à les choisir après les avoir ainsi conférés entre eux.), parce que les actes de ces puissances se réfléchissent réciproquement les uns sur les autres.

 

          Mais c’est le contraire. Saint Jean Damascène dit (De orth. fid., liv. 2, chap. 22) que l’impulsion à l’action précède l'usage. Or, l’impulsion à l’action est l'effet du commandement. Donc le commandement précède l'usage.

 

          Conclusion Le commandement est naturellement antérieur à son usage.

          Il faut répondre que l’usage du moyen, selon qu’il existe dans la raison qui le rapporte à la fin, précède l’élection, comme nous l’avons dit (quest. préc., art. 4). Donc à plus forte raison précède-t-il le commandement. Mais l’usage du moyen, selon qu’il est soumis à la puissance exécutrice, est postérieur au commandement, parce que l’usage de celui qui emploie une chose est simultanément uni avec l’acte de l’objet dont il se sert. Car on ne fait pas usage d'un bâton avant d’agir de quelque manière avec le bâton lui-même. Or, le commandement n’existant pas simultanément avec l’acte de celui qui est commandé, puisque l’ordre précède naturellement l’obéissance, et qu’il a quelquefois sur l’exécution une priorité de temps, il s’ensuit qu’il est manifeste que le commandement précède l’usage.

 

Article 4 : Le commandement et l’acte commandé ne forment-ils qu’un seul et même acte ou forment-ils des actes différents ?

 

          Objection N°1. Il semble que l’acte commandé ne forme pas avec le commandement un seul et même acte. Car les actes qui se rapportent à différentes puissances sont divers entre eux. Or, l’acte commandé et le commandement appartiennent à différentes puissances, parce que la puissance qui commande est autre que la puissance qui est commandée. Donc l’acte commandé et le commandement ne forment pas un seul et même acte.

          Réponse à l’objection N°1 : Si les puissances diverses n'étaient pas ordonnées l’une par rapport à l’autre, leurs actes seraient absolument différents. Mais quand une puissance en meut une autre, leurs actes sont un en quelque sorte ; car l’acte du moteur et du mobile est un seul et même acte, comme le dit Aristote (Phys., liv. 3, text. 20 et 21).

 

          Objection N°2. Toutes les choses qu’on peut séparer l’une de l’autre sont diverses ; car on ne sépare pas un être de lui-même. Or, l’acte commandé se sépare quelquefois du commandement ; car le commandement précède quelquefois et l’acte commandé ne suit pas immédiatement. Donc le commandement diffère de l’acte commandé.

          Réponse à l’objection N°2 : De ce que le commandement et l’acte commandé peuvent être séparés l’un de l’autre il s’ensuit qu’ils sont multiples dans leurs parties. Car les parties de l’homme peuvent être séparées les unes des autres, ce qui ne les empêche pas d’être unis dans leur tout.

 

          Objection N°3. Toutes les choses dont l’une est avant l’autre sont différentes. Or, le commandement précède naturellement l’acte commandé. Donc ces deux actes sont différents.

          Réponse à l’objection N°3 : Pour les êtres qui sont multiples dans leurs parties et un dans leur tout, rien n’empêche qu’une chose soit avant une autre. Ainsi, dans l’homme l’âme est d’une certaine manière antérieure au corps, et le cœur existe avant les autres membres.

 

          Mais c’est le contraire. Aristote dit (Top., liv. 3, chap. 2) que quand une chose existe à cause d’une autre il n’y en a qu’une. Or, l’acte commandé n’existe qu’à cause du commandement. Donc ces deux choses n’en font qu’une.

 

          Conclusion Le commandement et l’acte commandé ne font qu’un seul et même acte humain, comme un tout est un, bien qu'il soit multiple par rapport à ses parties.

          Il faut répondre que rien n’empêche qu’une chose ne soit multiple sous un rapport et une sous un autre. Même tous les êtres multiples sont un sous un rapport, comme le dit saint Denis (De div. nom., chap. ult.). Cependant il y a cette différence à reconnaître, c'est que les uns sont absolument multiples et qu’ils ne sont un que relativement ; tandis que pour les autres c’est absolument le contraire. D’ailleurs on peut raisonner à l’égard de l’unité comme à l’égard de l’être. Or, l’être absolu est une substance, tandis que l’être relatif est un accident ou un être de raison. C’est pourquoi tout ce qui est un substantiellement est un absolument et multiple relativement. Ainsi, dans le genre de la substance le tout composé de ses parties intégrantes ou essentielles est un absolument ; car le tout est l’être et la substance absolue, tandis que les parties sont des êtres et des substances renfermées dans le tout. Mais les choses qui diffèrent substantiellement, et qui sont une accidentellement, offrent une diversité absolue et une unité relative. C’est ainsi qu’une multitude d'hommes forment un peuple, une grande quantité de pierres un monceau. Cette unité est une unité d’ordre ou de composition. De même une multitude d'individus qui sont un par le genre ou l’espèce forment une multiplicité absolue et une unité relative ; car être un dans le genre ou l’espèce c'est être un rationnellement. Or, comme dans l’ordre physique un tout se compose de matière et de forme, tel que l'homme qui a une âme et un corps, et qui n’en est pas moins un être naturellement un, bien qu’il ait une multitude de parties ; de même, dans l’ordre moral, l’acte de la puissance inférieure se rapporte matériellement à l’acte de la puissance supérieure, en ce sens que la première de ces puissances n’agit qu’en vertu de l’autre qui lui donne l’impulsion. Car l’acte du premier moteur se confond ici formellement avec l’acte de son instrument. D’où il résulte évidemment que le commandement et l’acte commandé ne forment qu’un seul acte humain ; comme un tout est un, bien qu’il soit multiple par rapport à ses parties.

 

Article 5 : L’acte de la volonté est-il commandé ?

 

          Objection N°1. Il semble que l’acte de la volonté ne soit pas commandé. Car saint Augustin dit (Conf., liv. 7, chap. 9) : L’esprit commande à l’esprit de vouloir, mais il n’obéit pas. Or, le vouloir est l’acte de la volonté. Donc l’acte de la volonté n'est pas commandé.

          Réponse à l’objection N°1 : Comme le dit saint Augustin dans ce même endroit, quand l’âme se commande parfaitement de vouloir elle veut en effet ; et s’il arrive qu’elle se commande et qu’elle ne veuille pas, c’est qu’elle ne se commande pas parfaitement. L’imperfection de son commandement résulte de ce que la raison est portée par divers motifs à commander ou à ne pas commander. De là les fluctuations auxquelles elle est en proie, et l’imperfection de son commandement.

 

          Objection N°2. C’est à celui qui est capable de comprendre le commandement qu’il convient d’être commandé. Or, ce n’est pas à la volonté qu’il appartient de comprendre le commandement, puisque la volonté diffère de l’intellect qui comprend. Donc l’acte de la volonté n’est pas commandé.

          Réponse à l’objection N°2 : Comme dans les membres corporels tout membre n’agit pas seulement pour lui-même, mais pour le corps entier (l’œil, par exemple voit pour tout le corps), ainsi il en est des puissances de l’âme. Car l’intellect comprend non seulement pour lui-même, mais pour toutes les puissances, et la volonté veut non seulement pour elle-même, mais encore pour toutes les puissances. C’est pourquoi l’homme se commande à lui-même l’acte de sa volonté, parce qu’il est tout à la fois intelligent et voulant.

 

          Objection N°3. Si un acte de la volonté est commandé, pour le même motif tous ses actes le sont aussi. Or, si tous les actes de la volonté sont commandés il faut remonter indéfiniment d'actes en actes, parce que, comme il y a toujours un acte de la volonté qui précède l’acte de la raison qui commande, ainsi que nous l’avons dit (art. 1), si cet acte est commandé il faudra en supposer un autre qui lui soit antérieur, lequel sera lui-même précédé d’un autre, et cela indéfiniment. Or, il répugne qu’on procède ainsi d’une manière indéfinie. Donc l’acte de la volonté n'est pas commandé.

          Réponse à l’objection N°3 : Le commandement étant l’acte de la raison, il n’y a d’acte commandé que celui qui est soumis à cette faculté. Or, le premier acte de la volonté ne procède pas de la raison (Ce premier acte qui est la simple volition de l’esprit ne peut être commandé.), mais de l’instinct de la nature, ou d’une cause supérieure, comme nous l’avons dit (quest.9, art. 4). Ainsi, il n’est donc pas nécessaire d’aller d’acte en acte jusqu'à l’infini.

 

          Mais c’est le contraire. Tout ce qui est en notre pouvoir est soumis à notre empire (Pour savoir quels sont les actes qui sont commandés, il faut partir de ce principe général. Ainsi tous les actes qui ne dépendent que de notre libre arbitre peuvent être commandés. Ceux qui n’en dépendent pas ne peuvent l’être.). Or, les actes de la volonté sont les choses qui sont le plus en notre pouvoir. Car nous ne sommes maîtres de nos actes qu’autant qu’ils sont volontaires. Donc les actes de la volonté sont commandés.

 

          Conclusion Puisque la raison peut ordonner les actes de la volonté, il est nécessaire qu’ils soient commandés par elle.

          Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. 1), le commandement n’est rien autre chose que l’acte de la raison qui ordonne, en imprimant une certaine impulsion pour faire quelque chose. Or, il est évident que la raison peut ordonner les actes de la volonté. Car comme elle peut juger qu’il est bon de vouloir une chose, de même elle peut ordonner ou commander que l’homme la veuille. D’où il suit évidemment que l’acte de la volonté peut être commandé.

 

Article 6 : L’acte de la raison est-il commandé ?

 

          Objection N°1. Il semble que l’acte de la raison ne puisse pas être commandé. Car il paraît absurde qu’une chose se commande à elle-même. Or, la raison est la faculté qui commande, comme nous l’avons dit (art. 1). Donc l’acte de la raison n’est pas commandé.

          Réponse à l’objection N°1 : La raison se commande à elle-même de la même manière que la volonté se meut, ainsi que nous l’avons dit (quest. 9, art. 3) ; c’est-à-dire que ces deux puissances se replient sur leurs propres actes, et que d’une chose elles tendent à une autre.

 

          Objection N°2. Ce qui existe par essence diffère de ce qui existe par participation. Or, la puissance dont l’acte est commandé par la raison est la raison par participation, comme le dit Aristote (Eth., liv. 1, chap. ult.). Donc l’acte de la puissance qui est la raison par essence n’est pas commandé.

          Réponse à l’objection N°2 : Par suite de la diversité des objets soumis à l’acte de la raison rien n’empêche que la raison ne participe d’elle-même ; ainsi la connaissance des conclusions participe de la connaissance des principes.

 

          Objection N°3. L’acte commandé est celui qui est en notre puissance. Or, il n’est pas toujours en notre pouvoir de connaître et de juger la vérité, ce qui est l’acte de la raison. Donc l’acte de la raison ne peut pas être commandé.

 

          Mais c’est le contraire. Ce que nous faisons par notre libre arbitre peut être un acte commandé. Or, les actes de la raison dépendent du libre arbitre. Car saint Jean Damascène dit (De orth. fid., liv. 2, chap. 22) que l’homme recherche, approfondit, juge et dispose au moyen de son libre arbitre. Donc les actes de la raison peuvent être commandés.

 

          Conclusion Les actes de la raison sont commandés par rapport à leur exercice, puisqu’ils dépendent de nous, mais à l’égard de l'objet qui les spécifie ils ne le sont pas toujours ; ils ne le sont que quand ils portent sur des choses dont la vérité est contingente.

          Il faut répondre que la raison se réfléchissant sur elle-même, elle peut ordonner ses actes comme elle ordonne ceux des autres puissances. Par conséquent, ces actes peuvent être commandés. Mais il faut observer que l’acte de la raison peut se considérer de deux manières : 1° Par rapport à son exercice. En ce sens il peut toujours être commandé. Ainsi, on peut toujours se commander l’attention, le raisonnement et tous les autres actes de la raison (A l’exception de l’acte premier de la raison, qui ne dépend pas toujours de nous. Car il y a beaucoup de pensées bonnes ou mauvaises qui nous viennent d’un principe extérieur, de Dieu ou du démon, et que nous ne pouvons commander. Seulement c’est à nous à voir si nous devons nous y arrêter ou les rejeter.). 2° Par rapport à son objet. On distingue relativement à l’objet deux sortes d'actes rationnels : l’un qui consiste à connaître la vérité à l’égard d’une chose, et celui-là n’est pas toujours en notre pouvoir. Car on n’arrive à cette connaissance que par la vertu d'une lumière naturelle ou surnaturelle. C’est pour ce motif que l’acte de la raison ne dépend pas de nous à cet égard, et qu’il ne peut être commandé. L’autre consiste dans l’assentiment que nous donnons aux choses que nous percevons. Quand il s’agit de choses perçues auxquelles l’intellect adhère naturellement comme sont les premiers principes, il n’est pas en notre pouvoir d’y consentir ou de n’y pas consentir. C’est le fait de la nature, et c’est pour cela qu’à proprement parler ce phénomène est soumis à ses lois. Mais quand l’objet perçu ne convainc pas pleinement l’intelligence au point d’entraîner nécessairement son adhésion ou son dissentiment, et qu’il lui est permis de suspendre son jugement pour un motif quelconque, il est en notre pouvoir d’y adhérer ou de n’y pas adhérer, et ces actes dépendent par là même de notre commandement.

          La réponse à l’objection N°3 est évidente d'après ce que nous avons dit.

 

Article 7 : L’acte de l’appétit sensitif est-il commandé ?

 

          Objection N°1. Il semble que l’acte de l’appétit sensitif ne soit pas commandé. Car saint Paul dit (Rom., 7, 19) : Je ne fais pas le bien que je veux. Et la glose, commentant ces paroles (Aug., liv. 3, Cont. Jul., chap. 26), ajoute : L’homme veut n’avoir pas de concupiscence, et cependant il est soumis à cette passion. Or, la concupiscence est un acte de l’appétit sensitif. Donc l’acte de l’appétit n’est pas soumis à notre commandement.

          Réponse à l’objection N°1 : Si l’homme convoite ce qu’il ne voudrait pourtant pas convoiter, cela provient des dispositions du corps qui empêchent l’appétit sensitif de suivre totalement les prescriptions de la raison. D’où l’Apôtre ajoute au même endroit : Je vois dans mes membres une autre loi qui répugne à la loi de mon esprit. Cela peut être aussi l’effet du mouvement premier de la concupiscence, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.).

 

          Objection N°2. La matière corporelle n’obéit qu’à Dieu relativement aux transformations formelles qu’elle est susceptible de recevoir, comme nous l’avons dit (1a pars, quest. 105, art. 1, et quest. 110, art. 2). Or, les actes de l’appétit sensitif dépendent des transformations formelles du corps, par exemple du chaud ou du froid. Donc ces actes ne sont pas soumis au commandement de l’homme.

          Réponse à l’objection N°2 : Les qualités ou les dispositions du corps se rapportent de deux manières à l’acte de l’appétit sensitif : 1° Elles peuvent être antécédentes ; comme quand quelqu’un se trouve corporellement disposé d’une façon favorable à telle ou telle passion ; 2° elles peuvent être conséquentes ; comme quand on s’échauffe par suite de la colère. Les dispositions antécédentes ne sont pas soumises à l’empire de la raison, parce qu’elles sont l’effet de la nature ou qu’elles proviennent d’un mouvement antérieur que la raison ne peut calmer immédiatement ; mais les dispositions conséquentes obéissent à la raison, parce qu’elles suivent les mouvements du cœur qui sont eux-mêmes diversifiés par les divers actes de l’appétit sensitif.

 

          Objection N°3. Le propre motif de l’appétit sensitif est l’objet perçu par les sens ou l’imagination. Or, il n’est pas toujours en notre pouvoir de percevoir quelque chose au moyen de ces deux facultés. Donc l'acte de l’appétit sensitif n'est pas soumis à notre commandement.

          Réponse à l’objection N°3 : La perception des sens exigeant un objet sensible extérieur, il n’est pas en notre puissance de percevoir cet objet s'il n’est pas présent. Mais quand il l’est, l’homme peut se servir de ses sens comme bon lui semble, pourvu que ses organes corporels ne lui fassent pas défaut. Quant à ce que l’imagination perçoit, il est soumis à la raison suivant la force ou la faiblesse de l’imagination elle-même. Car si l’homme ne peut pas imaginer ce que la raison considère, cela provient ou de ce que ces choses ne sont pas de son domaine, comme les choses incorporelles, ou de ce que l’imagination elle-même se trouve très affaiblie par suite d’une indisposition organique.

 

          Mais c’est le contraire. Némésius dit (De nat. hom., chap. 16) que ce qui obéit à la raison se divise en deux choses, le désir et la colère. Ces deux choses appartenant à l’appétit sensitif, il s’ensuit que les actes de cet appétit sont soumis à l’empire de la raison.

 

          Conclusion Les actes de l’appétit sensitif, selon qu’ils dépendent de cette puissance de l’âme, sont soumis à l’empire de la raison, mais selon qu’ils résultent des dispositions du corps ils s’accomplissent quelquefois en dehors de cet empire.

          Il faut répondre qu’un acte est soumis à notre commandement selon qu’il est en notre puissance de le faire ou de ne le pas faire, comme nous l’avons dit (art. 6). Par conséquent, pour savoir jusqu’à quel point l’acte de l’appétit sensitif est soumis à l’empire de la raison il faut examiner jusqu’à quel point nous en sommes maîtres. D’abord il faut savoir que l’appétit sensitif diffère de l’appétit intelligentiel qu’on appelle la volonté, en ce que l’appétit sensitif est la puissance d’un organe corporel, tandis qu’il n’en est pas de même de la volonté. Or, tout acte qui procède d’une faculté qui fait usage d’un organe corporel dépend non seulement de la puissance de l’âme, mais encore des dispositions de l’organe corporel lui-même. Ainsi la vision dépend de la faculté visuelle et de la qualité de l’œil qui peut aider ou entraver l’exercice de cette faculté. Par conséquent, l’acte de l'appétit sensitif dépend non seulement de la puissance appétitive, mais encore des dispositions du corps. Ce qui se rapporte à la puissance de l’âme suit la perception. Or, la perception de l’imagination, par là même qu’elle est particulière, a pour règle la perception de la raison qui est universelle ; comme une puissance active particulière est régie par une puissance active universelle. C’est pourquoi, sous ce rapport, l’acte de l’appétit sensitif est soumis à l’empire de la raison. Mais il n’en est pas de même des qualités et des dispositions du corps. Elles ne dépendent pas de la raison, et c’est pour ce motif que les mouvements de l’appétit sensitif ne peuvent totalement relever de son empire. Il arrive aussi quelquefois que l’appétit sensitif est tout à coup mis en mouvement à l’occasion d'objets perçus par l’imagination ou les sens ; alors ce mouvement premier (Ces mouvements, que les théologiens appellent molus primò primi, ne sont pas des actes humains, puisqu’ils échappent à la raison : ce sont des actes de l’homme qui n’ont par là même aucune vertu morale.) échappe à l'empire de la raison, bien qu’elle eût pu l'empêcher, si elle l’eût prévu. C’est ce qui fait dire à Aristote (Pol., liv. 1, chap. 3) que la raison commande à l’irascible et au concupiscible, non d’une manière souveraine comme l’autorité du maître sur l’esclave, mais d’une manière restreinte comme l’autorité qu’exerce un roi sur des sujets libres qui ne sont pas totalement soumis à ses ordres.

 

Article 8 : L’acte de l’âme végétative est-il commandé ?

 

          Objection N°1. Il semble que les actes de l’âme végétative soient soumis à l’empire de la raison. Car les facultés de l’âme sensitive sont plus nobles que celles de l’âme végétative. Or, les premières sont soumises à l’empire de la raison. Donc à plus forte raison les autres doivent-elles lui être soumises aussi.

          Réponse à l’objection N°1 : Plus un acte est immatériel, plus il est noble et plus il est soumis à l’empire de la raison. Conséquemment de ce que les facultés de l’âme végétative n’obéissent pas à la raison il est évident que ces facultés sont d’un ordre très infime.

 

          Objection N°2. On dit que l’homme est un petit monde parce que son âme est dans son corps comme Dieu dans l’univers. Or, Dieu est dans l’univers de telle façon que tout ce qui constitue l’ensemble des êtres obéit à ses ordres. Donc tout ce qui existe dans l’homme obéit à l'empire de la raison, même les facultés de l’âme végétative.

          Réponse à l’objection N°2 : La ressemblance ne se considère que sous un rapport : ainsi comme Dieu meut le monde, de même l’âme meut le corps ; mais on ne peut étendre à toutes choses cette analogie. Car l’âme n'a pas créé le corps de rien comme Dieu a créé le monde ; par conséquent le corps ne peut lui être totalement soumis comme le monde l’est à Dieu.

 

          Objection N°3. La louange et le blâme ne portent que sur des actes qui sont soumis à l’empire de la raison. Or, parmi les actes de la puissance nutritive et génératrice il y en a qui sont un objet de louange et de blâme et qui sont regardés comme des vertus ou des vices ; comme on le voit par la gourmandise, la luxure et les vertus qui leur sont opposées. Donc les actes de ces puissances sont soumis à l’empire de la raison.

          Réponse à l’objection N°3 : La vertu et le vice, la louange et le blâme ne peuvent se rapporter aux actes mêmes de la puissance nutritive ou génératrice, qui sont la digestion et la formation du corps humain. Mais ils regardent les actes de l’âme sensitive qui sont en rapport avec les actes de la puissance génératrice ou nutritive. Ainsi on mérite d’être loué ou blâmé à propos des plaisirs de la table ou de la chair, selon qu’on les recherche quand il faut ou quand il ne faut pas.

 

          Mais c’est le contraire. Némésius dit (De nat. hom., chap. 22) que ce qui ne dépend pas de la raison appartient dans l’homme à la puissance nutritive et génératrice.

 

          Conclusion Les actes de l’âme végétative résultant de l’appétit naturel ne sont soumis d’aucune manière à l’empire de la raison.

          Il faut répondre qu’il y a des actes qui procèdent de l'appétit naturel, d’autres de l’appétit animal ou intelligentiel. Car tout agent appète sa fin de quelque manière. L’appétit naturel ne résulte pas d’une perception comme l’appétit animal et l’appétit intelligentiel. Or, la raison commande à titre de puissance perceptive. C’est pourquoi son empire peut s’étendre sur tous les actes qui procèdent de l’appétit intelligentiel ou animal, mais non sur les actes qui procèdent de l’appétit naturel. Ces actes sont ceux de l’âme végétative ; c'est ce qui fait dire à Némésius (loc. cit.), qu'on appelle naturel ce qui tient à la génération et à la nutrition, et c’est pour ce motif que les actes de l’âme végétative ne sont pas soumis à l’empire de la raison (Les actes de l’âme végétative ne peuvent être commandés pour deux raisons : 1° parce qu’ils ne sont pas produits au moyen d’une perception ; 2° parce qu’ils dépendent des dispositions du corps sur lesquelles la raison n'a pas d'empire.).

 

Article 9 : Les actes des membres extérieurs sont-ils commandés ?

 

          Objection N°1. Il semble que les membres du corps n’obéissent pas à la raison relativement à leurs actes. Car il est constant que les membres du corps sont plus éloignés de la raison que les facultés de l’âme végétative. Or, les facultés de l’âme végétative n’obéissent pas à la raison, comme nous l’avons dit (art. préc). Donc les membres du corps lui obéissent encore beaucoup moins.

          Réponse à l’objection N°1 : Les membres ne se meuvent pas eux-mêmes, mais ils sont mus par les puissances de l’âme, parmi lesquelles il y en a qui se rapprochent plus de la raison que les facultés de l’âme végétative.

 

          Objection N°2. Le cœur est le principe du mouvement animal. Or, le mouvement du cœur n’est pas soumis à l’empire de la raison ; car Némésius dit (De nat. hom., chap. 22), que les pulsations du cœur ne peuvent être du domaine de cette faculté. Donc le mouvement des membres corporels n’est pas soumis aux ordres de la raison.

          Réponse à l’objection N°2 : Pour ce qui regarde l’intellect et la volonté, ce qui se trouve en premier lieu c’est ce qui est naturel et d’où tout le reste découle. Ainsi c’est de la connaissance des principes naturellement connus que découle la connaissance des conclusions, et c’est de la volonté de la fin naturellement désirée que sort le choix des moyens. De même dans les mouvements corporels leur principe est naturel. Or, le principe des mouvements du corps procède du mouvement du cœur ; par conséquent le mouvement du cœur est naturel et n’est pas volontaire. Car il est une conséquence de la vie qui résulte de l’union de l’âme et du corps, comme le mouvement des corps graves et légers est une conséquence de leur forme substantielle. D'après Aristote (Phys., liv. 8, text. 29), le mouvement du cœur est attribué à son principe générateur, et c’est pour ce motif qu'on donne à ce mouvement le nom de vital. De là Némésius dit (loc. cit. in arg.) que comme la génération et la nutrition n’obéissent pas à la raison, il en est de même des palpitations qui constituent la vitalité de l’être. Or, par palpitation il entend le mouvement du cœur qui se manifeste par les pulsations du pouls.

 

          Objection N°3. Saint Augustin dit (De civ. Dei, liv. 14, chap. 16) que parfois l’ardeur des passions charnelles s’élève inopportunément quand on ne le demande pas, et que parfois elle trompe celui qui la désire, de telle sorte que pendant que l’âme est de feu le corps est de glace. Donc les mouvements des membres n’obéissent pas à la raison.

         Réponse à l’objection N°3 : D’après saint Augustin (De civ. Dei, liv. 14, chap. 16, 20), la chair dans ses instants de rébellion n’obéit pas à la raison par suite du péché originel, afin que l’homme trouve la peine de sa rébellion envers Dieu dans ce qui sert à transmettre le péché même à ses descendants. Mais comme par le péché de notre premier père, ainsi que nous l’expliquerons (quest. 85, art. 1 et 3), la nature a été abandonnée à elle-même et privée du don surnaturel que Dieu avait accordé à l’homme, il faut trouver une raison naturelle de cette désobéissance de la chair envers la raison. Aristote l’assigne (De causis motûs anim., chap. 11) en disant que les mouvements du cœur et des parties génitales sont involontaires, parce qu'à la vue de certains objets ces membres entrent en mouvement, dès que l'intelligence et l'imagination représentent ce qui peut exciter les passions de l’âme auxquelles leur activité correspond. Mais il n’appartient ni à la raison, ni à l’intelligence de disposer du mouvement de ces membres, parce qu’il dépend de certaines modifications naturelles, qui tiennent à la chaleur et au froid, et qu’il n'est pas au pouvoir de la raison de produire. Ces modifications influent particulièrement sur ces deux parties du corps, parce que chacune d’elles est comme un animal séparé, en ce sens que chacune d’elles est un principe de vie. Or, le principe renferme le tout virtuellement. Car le cœur est le principe des sens (Le cœur, par lui-même, est le principe de tous les mouvements corporels, et l’organe générateur est le principe de l’existence, puisque c’est par lui que l’être se reproduit.), et la puissance du sperme qui sort de l’appareil génital renferme virtuellement l’animal tout entier. C’est pour ce motif que ces membres ont naturellement leurs mouvements propres, parce qu’il est nécessaire que les principes soient naturels, comme nous l'avons dit (Réponse N°2).

 

          Mais c’est le contraire. Car saint Augustin dit (Conf., liv. 8, chap. 9) que l’esprit commande à la main de se mouvoir, et celle-ci obéit avec une telle rapidité qu’à peine peut-on distinguer le commandement de l’exécution.

 

          Conclusion Les membres par lesquels la partie sensitive de l’âme exécute ses œuvres sont soumis à l’empire de la raison, mais ceux qui reçoivent le mouvement des facultés naturelles n’y sont pas soumis.

          Il faut répondre que les membres du corps sont les organes des puissances de l’âme ; par conséquent selon que les puissances de l’âme obéissent à la raison, les membres du corps lui obéissent aussi. Par conséquent les facultés sensitives étant soumises à l’empire de la raison tandis que les facultés naturelles ne le sont pas, il s’ensuit que tous les mouvements des membres qui sont produits par les puissances sensitives sont soumis à la raison (Ainsi les mouvements des pieds, des mains, etc., sont soumis à l’empire de la raison.), tandis que ceux qui résultent des facultés naturelles n’y sont pas soumis.

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.

 

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