Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
1a 2ae = Prima Secundae = 1ère partie de la 2ème Partie
Question 21 :
Des conséquences ou des effets des actes humains relativement à leur bonté ou
leur malice
Après
avoir parlé de la bonté et de la malice des actes humains considérée en
elle-même nous avons maintenant à l’examiner dans ses effets. A ce sujet quatre
questions se présentent : 1° L’acte humain est-il vertueux ou vicieux selon
qu’il est bon ou mauvais ? — 2° Est-il louable ou blâmable ? — 3° Est-il méritoire
ou déméritoire ? (Le mérite et le démérite des actes sont reconnus dans
l’Ecriture dans une foule d’endroits, et le concile de Trente a condamné la
doctrine contraire soutenue par Luther et Calvin : Si quis dixerit hominis justificati bona opera ità
esse dona Dei, ut non sint etiam
bona ipsius iustificati merita… anathema sit (sess. 6, can.
52).) — 4° Est-il méritoire ou déméritoire aux yeux de Dieu ? (L'Ecriture le dit formellement : Car il faut que nous comparaissions tous devant le tribunal du Christ,
afin que chacun reçoive ce qui est dû à son corps, selon le bien ou le mal
qu’il aura fait (2 Cor., 2, 10).
Et ailleurs : mais chacun recevra sa propre récompense, selon son travail (1 Cor., 3, 8). Cette vérité a été niée
par les antinomiens et par les hérétiques modernes, qui refusaient d'admettre
l’utilité des œuvres pour le salut. Luther, Calvin, Mélanchton,
ont soutenu cette erreur.)
Article
1 : L’acte humain est-il vertueux ou vicieux selon qu’il est bon ou mauvais ?
Objection
N°1. Il semble qu’un acte humain ne soit pas une vertu ou un péché par là même
qu'il est bon ou mauvais. Car les péchés sont des monstres dans la nature,
comme le dit Aristote (Phys., liv. 2,
text. 82). Or, les monstres ne sont pas des actes,
mais ce sont des choses engendrées contrairement aux lois naturelles ; tandis
que ce qui est l’effet de l’acte et de la raison imite ce qui est l’effet de la
nature, comme le dit au même endroit ce philosophe. Donc de ce qu’un acte est
mauvais et déréglé il ne s’ensuit pas que ce soit un péché.
Réponse
à l’objection N°1 : On donne le nom de monstres aux péchés qui se produisent
dans l’ordre de la nature contrairement à ses lois.
Objection
N°2. Le péché, dit encore Aristote (Phys.,
liv. 2, text. 82) se produit dans la nature et l’art,
toutes les fois que la nature et l’art ne parviennent pas à leur fin. Or, la
bonté et la malice de l’acte humain consistent surtout dans l’intention finale
et dans son exécution. Il semble donc que la malice de l’acte n’en fasse pas un
péché.
Réponse
à l’objection N°2 : Il y a deux sortes de fin : une fin dernière et une fin
prochaine. Or, dans le péché de nature l’acte manque sa fin
dernière qui est la perfection de l’être engendré ; mais il ne manque pas
absolument sa fin prochaine ; car la nature opère quelque chose en le formant.
De même dans le péché de la volonté l’acte est toujours en défaut par rapport à
sa fin dernière, parce qu’aucun acte mauvais ne peut se rapporter à la
béatitude qui est la fin dernière, bien qu’il ne s'écarte pas de la fin prochaine
que la volonté se propose et qu’elle atteint. Mais comme on ne se propose cette
fin prochaine qu’en vue de la fin dernière, on peut trouver dans l’intention
même qui se rapporte à cette fin une raison de droiture et de péché (En
dernière analyse, on juge donc de la moralité de l’acte selon qu’il s'écarte ou
non de sa fin dernière.).
Objection
N°3. Si la malice de l’acte produisait le péché il s’ensuivrait que partout où
le mal existerait il y aurait péché. Or, c’est faux. Car le châtiment bien qu’il
soit un mal n’est cependant pas un péché. Donc de ce qu’un acte est mauvais il
n’en résulte pas que ce soit un péché.
Réponse
à l’objection N°3 : Tout être se rapporte à sa fin par son acte. C'est pourquoi
la nature du péché, qui consiste dans ce qu’il y a de désordonné par rapport à
la fin, existe à proprement parler dans l’acte, tandis que le châtiment regarde
la personne qui pèche, comme nous l’avons dit (1a pars, quest. 48,
art. 5, réponse N°4, et art. 6, réponse N°3).
Mais
c’est le contraire. La bonté de l’acte humain, comme nous l’avons vu (quest. 19,
art. 4), dépend principalement de la loi éternelle, et par conséquent sa malice
consiste dans son désaccord avec cette loi. Or, c’est là ce qui constitue la
nature du péché. Car saint Augustin dit (Cont.
Faustum, liv. 22, chap. 27) que le péché est une
parole, une action, ou un désir contraire à la loi éternelle. Donc l’acte
humain est un péché par là même qu’il est mauvais.
Conclusion
Puisqu’on dit qu’un acte est bon ou mauvais selon qu’il est conforme ou non à
la raison et à la loi éternelle, il est nécessaire que l’acte humain par là
même qu’il est bon ou mauvais soit une vertu ou un péché.
Il
faut répondre que la définition du mal a plus d’étendue que celle du péché, et
la définition du bien plus d’étendue que celle du juste (Tout mal n’est pas un
péché. Ainsi la douleur, le châtiment, sont des maux sans être des péchés. Tout
bien n’est pas non plus une chose droite, une action vertueuse. Par exemple la
volupté est illicite et défendue par la loi.). Car toute privation du bien dans
un être quelconque constitue le mal, tandis que le péché consiste à proprement
parler dans l’acte qu’on fait pour une fin à laquelle il ne doit pas être
rapporté. Or, le rapport légitime d'une chose à sa fin a pour mesure une règle
quelconque. Cette règle dans les êtres qui agissent naturellement est la vertu
même de la nature qui les incline vers cette fin. Par conséquent, quand un acte
procède d’une vertu naturelle, conformément à l’inclination qu’elle a
naturellement pour sa fin, alors il conserve sa rectitude, parce que c’est un
milieu qui ne s’écarte pas de ses extrêmes, c’est-à-dire qui se tient renfermé
entre son principe et sa fin. Mais quand un acte sort de cette rectitude, en ce
cas on dit que c’est un péché ou une monstruosité dans la nature (C’est un mal
physique.). — Pour les choses volontaires, la règle prochaine est la raison
humaine, et la règle suprême la loi éternelle. Par conséquent, quand un acte
humain se rapporte à sa fin conformément à la raison et à la loi éternelle,
alors l’acte est droit, mais quand il s’écarte de cette ligne on dit que c’est
un péché. Or, il est évident, d’après ce que nous avons dit (quest. 19, art. 3
et 4), que tout acte volontaire est mauvais par là même qu’il s’écarte de la raison
et de la loi éternelle, et que tout acte est bon selon qu’il s’accorde avec l’une
et l’autre. D’où il suit que l’acte humain, par là même qu’il est bon ou
mauvais, est une vertu ou un péché.
Article
2 : L’acte humain, selon qu’il est bon ou mauvais, est-il louable ou blâmable ?
Objection
N°1. Il semble que l’acte humain, par là même qu’il est bon ou mauvais, ne soit
pas louable ou blâmable. Car le péché existe dans la nature, comme le dit
Aristote (Phys., liv. 2, text. 82-84). Or, les choses qui sont naturelles ne sont ni
louables, ni blâmables, d’après ce même philosophe (Eth., liv. 3, chap. 5). Donc l’acte humain, par là même que c’est un
mal ou un péché, ce n’est pas une faute, et conséquemment, par là même qu’il
est bon, ce n’est pas non plus une chose louable.
Réponse
à l’objection N°1 : L’agent naturel n’a pas puissance sur ses actes, parce que
la nature est nécessairement déterminée dans ses effets. C’est pourquoi, bien
que le péché existe dans les actes naturels, il n’y a cependant pas là de
faute.
Objection
N°2. Comme le péché se produit dans les actes moraux, de même on le trouve dans
les œuvres d’art. Car, comme le dit Aristote (Phys., liv. 2, text. 82), le grammairien
ne pèche pas quand il écrit mal, et le médecin quand il donne à tort une
potion. Or, un homme d’art n’est pas coupable pour la chose qu’il fait mal,
parce qu’il appartient à son art ou à sa science de faire comme il lui plaît de
bonnes ou de mauvaises choses. Il semble donc que l’acte moral, par là même qu’il
est mauvais, ne soit pas coupable.
Réponse
à l’objection N°2 : Dans les choses d’art le rapport de la raison n’est pas le
même que dans les choses morales. Car en fait d’art la raison se rapporte à une
fin particulière qu’elle a elle-même conçue et imaginée. En morale elle se
rapporte à la fin générale de toute la vie humaine, et c’est à cette fin que
les fins particulières doivent elles-mêmes se rapporter. Or, le péché étant une
déviation de l’être par rapport à sa fin, comme nous l’avons dit (art. 1), il
arrive que dans une œuvre d’art il peut y avoir deux sortes de péché : 1°
L’œuvre peut s’écarter de la fin particulière que l’homme de l’art se
proposait. Dans ce cas le péché est propre à l’art lui-même. C’est ce qui a
lieu, par exemple, quand l’artiste fait une mauvaise œuvre lorsqu’il a
l’intention d’en faire une bonne, ou qu’il en fait une bonne lorsqu’il a
l'intention d’en faire une mauvaise. 2° L’œuvre peut pêcher en s'écartant de la
fin commune à l’humanité (L’artiste qui fait, par exemple, une statue indécente,
s’écarte de la fin commune à l’humanité, qui est la vertu et l’honnêteté. Il ne
pèche pas comme artiste, si sa statue est très bien exécutée, mais il pèche
comme homme.). Ainsi on dit qu’on pèche de cette manière quand on a l’intention
de faire une mauvaise œuvre et qu’on la fait pour tromper quelqu’un. Mais ce
péché n’est pas propre à l’artisan comme artisan, c'est en lui le fait de
l’homme. Par conséquent l’artisan est responsable du premier péché comme
artisan, tandis que l’homme est responsable du second comme homme. Or, dans
l’ordre moral où l’on ne considère que le rapport de la raison avec la fin générale de l’humanité, le mal ou le péché résulte
toujours de la déviation de l’acte relativement à cette fin. C’est pourquoi
l'homme est coupable de ce péché comme homme et comme être moral. D’où Aristote
conclut (Eth., liv. 6, chap. 5) qu’une faute
volontaire dans les arts est préférable à une faute involontaire, mais qu’il
n’en est pas de même à l’égard de la prudence, ni à l’égard des vertus morales
dont la prudence est la règle.
Objection
N°3. Saint Denis dit (De div. nom., chap. 4)
que le mal est infirme et impuissant. Or, l’infirmité ou l’impuissance détruit
ou diminue la culpabilité. Donc l’acte humain n’est pas coupable selon qu’il
est mauvais.
Réponse
à l’objection N°3 : L’infirmité qui se trouve dans les péchés volontaires ne
détruit ni ne diminue la malice de l’action, parce qu’elle dépend de la volonté
humaine qui en est elle-même la cause.
Mais
c’est le contraire. Aristote dit (Eth., liv. 1, chap.
12) que les œuvres vertueuses sont louables, et les œuvres contraires blâmables
ou coupables. Or, les actes bons sont des actes de vertu, puisque la vertu est
ce qui rend bon celui qui la possède et ce qui le met en état de bien exécuter
ses œuvres, suivant ce même philosophe (Eth., liv. 2, chap.
6). Les actes opposés sont conséquemment mauvais. Donc l’acte humain, par là même
qu’il est bon ou mauvais, est louable ou blâmable.
Conclusion
Puisque tous les actes humains procèdent de nous librement, il est nécessaire
que chacun de ces actes soit louable ou blâmable selon qu'il est bon ou
mauvais.
Il
faut répondre que comme la définition du mal a plus d’étendue que celle du
péché, de même la définition du péché a plus d’étendue que celle de la faute (Dans
la langue de saint Thomas, le mot péché
s’entend tout à la fois des choses naturelles et libres, et il est applicable à
l’ordre physique aussi bien qu’à l’ordre moral. Le mot faute ne s’entend que des actes libres et volontaires. Et il n’y a
que ces actes qui soient dignes de louange ou de blâme.). Car un acte n’est
coupable ou louable qu’autant qu’on l’impute à un agent. En effet, on ne loue
ou on ne blâme qu’autant qu’on impute à quelqu’un la malice ou la bonté d’un de
ses actes. Et alors l’acte est imputé à l’agent quand celui-ci en est le maître
au point d’exercer sur lui son souverain domaine. Or, il en est ainsi de tous
les actes volontaires, parce que l’homme par sa volonté est maître de ses
actions, comme on le voit par ce que nous avons dit (quest. 1, art. 1 et 2). D’où
il résulte qu’il n’y a que la bonté ou la malice des actes volontaires qui
mérite la louange ou le blâme, c’est-à-dire des actes dont le mal constitue
tout à la fois un péché et une faute.
Article
3 : L’acte humain est-il méritoire ou déméritoire selon qu’il est bon ou
mauvais ?
Objection
N°1. Il semble que l’acte humain ne soit pas méritoire ou déméritoire en raison
de sa bonté ou de sa malice. Car le mérite et le démérite se rapportent
à une rétribution qui n’a lieu que pour les actes qui sont faits pour un autre.
Or, tous les actes bons ou mauvais de l’homme ne se rapportent pas à un autre ;
il y en a qu’il fait pour lui-même. Donc tout acte humain bon ou mauvais n’est
pas méritoire ou déméritoire.
Réponse
à l’objection N°1 : Quelquefois les actes humains sont bons ou mauvais,
quoiqu’ils ne se rapportent pas au bien ou au mal d’un autre individu. Dans ce
cas ils se rapportent au bien ou au mal d’un autre tiers qui est la société
elle-même.
Objection
N°2. On ne mérite ni châtiment, ni récompense pour avoir disposé comme on l’a
voulu des choses dont on est le maître. Ainsi, quand un homme détruit ce qui
lui appartient, on ne le punit pas comme s’il détruisait le bien d’un autre.
Or, l’homme est maître de ses actes. Donc s’il dispose bien ou mal de ses
actes, il ne mérite pour cela ni peine, ni récompense.
Réponse
à l’objection N°2 : L’homme qui est maître de ses actes mérite ou démérite,
selon qu’il appartient à la société dont il est le membre, parce qu’en
disposant bien ou mal de ses actes, il est utile ou nuisible aux intérêts de la
société qu’il doit servir.
Objection
N°3. De ce qu’un homme s’amasse du bien, il ne mérite pas qu’un autre l’en
récompense, et il en est de même pour le mal qu’il se fait. Or, un bon acte est
un bien et une perfection pour celui qui l’accomplit, et un acte déréglé est au
contraire pour lui un mal. Donc de ce que l’homme fait un acte bon ou mauvais,
il ne mérite, ni ne démérite.
Réponse
à l’objection N°3 : Le bien ou le mal que l’on se fait à soi-même par ses actes
rejaillit sur la société, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.).
Mais
c’est le contraire. Isaïe dit (Is., 3, 10) : Dites au juste qu’il goûtera le fruit de ses
vertus ; mais malheur à l’impie, car il recevra le châtiment de ses crimes.
Conclusion
Les actes humains bons ou mauvais sont méritoires ou déméritoires selon qu’ils
se rapportent à la justice rémunérative.
Il
faut répondre que le mérite et le démérite se rapportent à la rétribution qui
se fait conformément à la justice. Or, la justice exige qu'on traite chacun
selon le bien ou le mal qu’il fait à autrui. Or, il est à remarquer que tout
être qui vit en société est en quelque sorte une partie et un membre de la
société entière. Par conséquent celui qui fait du bien ou du mal à l’individu
qui existe en société, son action rejaillit sur tout le corps social, comme une
blessure à la main agit conséquemment sur l’homme tout entier. Ainsi donc,
quand quelqu’un travaille pour le bien ou pour le mal d’une autre personne, il
y a là deux raisons de mérite ou de démérite. La première provient de ce qui
lui est dû en particulier par la personne qu’il aide ou qu’il offense ; la
seconde résulte de ce qui lui revient du côté de la société entière. Quand
quelqu’un se propose, en agissant, de faire directement le bien ou le mal de
toute la société, il lui est dû quelque chose, premièrement et principalement
par la société en général, secondement par tous les membres de la société.
Quand quelqu'un fait une action qui tourne à son avantage ou à sa perte, il lui
en revient encore quelque chose, parce que cette action tourne au bien général,
en ce sens du moins qu’il fait lui-même partie de la société. A la vérité on ne
lui doit rien, parce qu’il a fait son propre bien ou son propre mal, à moins qu’on
ne dise par analogie que l’homme doit observer une sorte de justice envers
lui-même. Il est donc évident que l’acte bon ou mauvais est louable ou
blâmable, selon qu’il est au pouvoir de la volonté ; c'est une vertu ou un
péché, selon le rapport qu’il a avec la fin ; il est méritoire ou déméritoire,
selon qu’il se rapporte à la justice rémunérative.
Article
4 : L’acte humain est-il méritoire ou déméritoire aux yeux de Dieu, selon qu’il
est bon ou mauvais ?
Objection
N°1. Il semble qu’un acte humain bon ou mauvais n’ait ni mérite, ni démérite
par rapport à Dieu, parce que, comme nous l’avons dit (art. 3), le mérite et le
démérite se rapportent à la rémunération du bien ou du mal qu’on a fait à
autrui. Or, l’acte humain, bon ou mauvais, ne fait ni bien, ni mal à Dieu. Car
il est dit (Job, 35, 6) : Si vous péchez,
en quoi lui nuirez-vous ? Si vous faites le bien, qu'est-ce qu'il lui en
reviendra ? Donc l’acte humain, bon ou mauvais, n’a ni mérite, ni démérite
devant Dieu.
Réponse
à l’objection N°1 : L’acte de l’homme ne peut rien faire perdre ni gagner à
Dieu en soi ; cependant l’homme ravit ou donne à Dieu quelque chose autant
qu’il est en lui, quand il observe ou n’observe pas l’ordre qu’il a établi.
Objection
N°2. L'instrument n’a ni mérite, ni démérite à l’égard de celui qui s’en sert,
parce que toute l’action de l'instrument provient de celui qui l’emploie. Or,
l’homme est en agissant l’instrument de la puissance divine, qui est son
principal moteur. Car il est dit (Is., 10, 15) : La hache se glorifiera-t-elle contre celui
qui s’en sert ? ou la scie s’élèvera-t-elle contre
celui qui la tire ? Le prophète compare évidemment l'homme en cet endroit à
un instrument. Donc, qu’il agisse bien ou mal, l'homme ne mérite, ni ne
démérite devant Dieu.
Réponse
à l’objection N°2 : L’homme est en effet mû par Dieu comme un instrument, mais
cela n’empêche pas qu’il ne se meuve lui-même par le libre arbitre (Le concile
de Trente a condamné ceux qui faisaient de l’homme un instrument purement
passif entre les mains de Dieu : Si quis dixerit liberum hominis arbitrium à Deo motum et excitatum, nihil cooperari assentiendo Deo excitanti atque vocanti… neque posse dissentire si velit, sed veluti
inanime quoddam nihil omninò agere tantùmque
passivè se habere, anathema sit (sess. 6, can.
4).), comme nous l’avons dit (quest. 10, art. 4). C’est ce qui fait que ses
actes sont méritoires ou déméritoires devant Dieu.
Objection
N°3. L’acte humain est méritoire ou déméritoire selon qu’il se rapporte à un
autre que celui qui le produit. Or, tout acte humain ne se rapporte pas à Dieu.
Donc tous les actes bons ou mauvais ne sont pas méritoires ou déméritoires aux
yeux de Dieu.
Réponse
à l’objection N°3 : L’homme n’appartient pas à la société civile par tout son
être et par tout ce qu’il a. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que tous
ses actes soient méritoires ou déméritoires par suite de leur rapport avec la
société. Mais tout ce qu’est l’homme, tout ce qu’il peut et tout ce qu’il a, il
doit le rapporter à Dieu. C’est pourquoi tout acte de l’homme, bon ou mauvais,
est méritoire ou déméritoire devant Dieu selon qu’il est raisonnable.
Mais
c’est le contraire. Il est dit (Ecclésiaste,
12 14) : Tout ce qui se fait, Dieu le
traduira en jugement, soit comme bon, soit comme mauvais. Or, le jugement
suppose qu’on récompensera chacun selon ses mérites ou ses démérites. Donc tout
acte humain bon ou mauvais est méritoire ou déméritoire devant Dieu.
Conclusion
Puisque Dieu est le gouverneur et le maître de tout l'univers et surtout des
créatures raisonnables dont il est la fin, les actes humains bons ou mauvais
sont méritoires ou déméritoires non seulement devant les hommes, mais encore
devant lui.
Il
faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. 3), l’acte d’un homme est
méritoire ou déméritoire selon qu’il se rapporte à autrui, soit par rapport à
lui, soit par rapport à la société. Or, nos actes bons ou mauvais sont
méritoires ou déméritoires devant Dieu de ces deux manières. Ils le sont par
rapport à lui en ce sens qu’il est la fin dernière de
l’homme. Or, il faut que tous les actes se rapportent à leur fin
dernière, comme nous l’avons vu (quest. 19, art. 10). Par conséquent celui qui
fait un acte mauvais qui n’est pas susceptible d’être rapporté à Dieu, ne rend
pas à la Divinité l’honneur qu’il lui doit comme à sa fin
dernière. — Ils le sont aussi par rapport à l’universalité des êtres, parce que
dans toute société celui qui la régit prend surtout soin du bien général. En
conséquence, c’est à lui qu’il appartient de rendre à chacun selon le bien ou
le mal qu'il fait à la société. Or, Dieu est le gouverneur et le maître de tout
l’univers, comme nous l’avons vu (1a pars, quest. 103, art. 6), et
spécialement des créatures raisonnables. D’où il est évident que les actes
humains sont méritoires ou déméritoires par rapport à lui. Autrement il s’ensuivrait
que Dieu ne prend aucun soin de nos actes.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
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