Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

1a 2ae = Prima Secundae = 1ère partie de la 2ème Partie

Question 23 : De la différence des passions entre elles

 

          Après avoir parlé du sujet des passions, nous avons maintenant à nous occuper de la différence des passions entre elles. — A ce sujet quatre questions se présentent : 1° Les passions qui sont dans l’appétit concupiscible sont-elles différentes de celles qui sont dans l’appétit irascible ? — 2° La contrariété des passions de l’irascible résulte-t-elle toujours de l’opposition du bien et du mal ? — 3° Y a-t-il une passion qui n’ait pas son contraire ? — 4° Y a-t-il des passions de différente espèce qui existent dans la même puissance sans être opposées entre elles ?

 

Article 1 : Les passions qui sont dans l’appétit concupiscible sont-elles différentes de celles qui sont dans l’irascible ?

 

          Objection N°1. Il semble que ce soient les mêmes passions qui existent dans l’appétit irascible et dans l’appétit concupiscible. Car Aristote dit (Eth., liv. 2, chap. 5) que les passions de l’âme sont celles qui produisent la joie et la tristesse. Or, la joie et la tristesse sont dans l’appétit concupiscible. Donc toutes les passions sont dans cet appétit, et il n’y a pas lieu de distinguer celles qui sont dans l’irascible de celles qui sont dans le concupiscible.

          Réponse à l’objection N°1 : Comme nous l’avons dit (1a pars, quest. 81, art. 2), les animaux ont reçu une force irascible pour surmonter les obstacles qui empêchent l’appétit concupiscible de tendre vers son objet, soit qu’il ait de la peine à obtenir le bien qu’il désire, soit qu’il lui soit difficile d’échapper au mal qu'il voudrait éviter. C’est pourquoi les passions de l’irascible ont toutes pour termes les passions du concupiscible. D’où il résulte que les passions qui sont dans l’irascible ont pour conséquence la joie et la tristesse qui sont dans le concupiscible (La joie et la tristesse sont toujours la conséquence dernière de toutes les passions, parce que si l’on réussit on est content, et si on ne réussit pas on est triste.).

 

          Objection N°2. A propos de ces paroles de l'Evangile : Le royaume des cieux est semblable au levain, etc. (Matth., 13, 33), saint Jérôme dit que nous possédons dans la raison la prudence, dans l’irascible la haine des vices, et dans le concupiscible le désir des vertus. Or, la haine existe dans le concupiscible aussi bien que l’amour son contraire, comme le dit Aristote (Top., liv. 2, chap. 3). Donc la même passion se trouve dans le concupiscible et l’irascible.

          Réponse à l’objection N°2 : Saint Jérôme attribue à l’irascible la haine des vices, non à cause de la haine en elle-même, qui convient, à proprement parler, à l’appétit concupiscible, mais à cause des combats que la puissance irascible est appelée à soutenir.

 

          Objection N°3. Les passions et les actes diffèrent d'espèce selon leurs objets. Or, les passions de l’irascible et du concupiscible ont les mêmes objets qui sont le bien et le mal. Donc les passions de l’irascible sont les mêmes que celles du concupiscible.

          Réponse à l’objection N°3 : Le bien, comme chose délectable, meut la puissance concupiscible ; mais si le bien est difficile à obtenir il a par là même quelque chose qui répugne à cette puissance. C’est pour ce motif qu’il a été nécessaire qu’il y en eût une autre qui tendît vers lui. Il en est de même du mal. Cette seconde puissance est celle de l’irascible. D’où il suit que les passions de l’appétit concupiscible et de l’appétit irascible ne sont pas de même espèce.

 

          Mais c’est le contraire. Les actes des puissances différentes sont de différente espèce, comme voir et entendre. Or, l’irascible et le concupiscible sont deux puissances qui partagent l’appétit sensitif, comme nous l’avons dit (1a pars, quest. 81, art. 2). Donc, puisque les passions sont des mouvements de l’appétit sensitif, comme nous l’avons vu (quest. 22, art. 2), il s’ensuit que celles qui sont dans l’irascible ne sont pas de même espèce que celles qui sont dans le concupiscible.

 

          Conclusion Comme la puissance de l’irascible n'est pas de même espèce que celle du concupiscible, de même toutes les passions qui appartiennent à l’irascible sont d’une autre espèce que celles qui sont dans le concupiscible.

          Il faut répondre que les passions qui sont dans l’irascible sont d’une autre espèce que celles qui sont dans Je concupiscible. Car puisque les puissances diverses ont des objets divers, ainsi que nous l’avons dit (1a pars, quest. 77, art. 3), il est nécessaire que les passions des différentes puissances se rapportent à des objets différents. Par conséquent, les passions des puissances diverses doivent à plus forte raison différer d’espèce entre elles. Car il faut une plus grande différence objective pour établir une différence d’espèce entre les puissances que pour en établir une entre les passions ou les actes. En effet, comme dans la nature la diversité de genre est une conséquence de la diversité de la matière, et la diversité d’espèce une conséquence de la diversité de forme considérée dans la même matière ; de même dans les actes de l’âme les actes qui appartiennent à différentes puissances diffèrent entre eux, non seulement pour l’espèce, mais encore pour le genre. Quant aux actes ou aux passions qui se rapportent à différents objets spéciaux compris sous l’objet général d’une même puissance, ils diffèrent entre eux comme les espèces du même genre (Ainsi les passions de l’irascible et celles du concupiscible sont de différents genres, et celles qui appartiennent à l’une de ces deux puissances diffèrent entre elles d’espèce.). Ainsi donc, pour connaître quelles sont les passions qui existent dans l’irascible, et quelles sont celles qui se trouvent dans le concupiscible, il faut s'arrêter à l’objet de ces deux puissances. Or, nous avons dit (1a pars, quest. 81, art. 2) que l’objet de la puissance concupiscible est le bien ou le mal sensible pris d’une manière absolue, c’est-à-dire l’agréable ou le douloureux. Mais comme il est nécessaire que l’âme surmonte des difficultés ou livre des combats pour obtenir cette sorte de bien, ou pour éviter cette sorte de mal, parce que l’un et l’autre se trouvent, pour ainsi dire, placés au-dessus de la puissance ordinaire de l’âme, l’irascible a par là même pour objet le bien et le mal considérés comme choses ardues et difficiles à atteindre ou à fuir. Conséquemment, toutes les passions qui se rapportent au bien ou au mal absolument, appartiennent à l’appétit concupiscible, comme la joie, la tristesse, l'amour, la haine, etc. Toutes celles qui se rapportent au bien ou au mal affecté d’un caractère qui le rend difficile à obtenir ou à éviter, appartiennent à l’irascible comme l’audace, la crainte, l’espérance, etc.

 

Article 2 : La contrariété des passions de l’irascible existe-t-elle toujours en raison de l’opposition du bien et du mal ?

 

          Objection N°1. Il semble que la contrariété des passions de l’irascible n’existe qu’en raison de l’opposition du bien et du mal. Car les passions de l’appétit irascible se rapportent à celles de l’appétit concupiscible, comme nous l’avons dit (art. préc., réponse N°1). Or, les passions de l’appétit concupiscible ne sont opposées que par suite de l’opposition qui existe entre le bien et le mal ; tels sont : l’amour et la haine, la joie et la tristesse. Donc il en est de même des passions de l’irascible.

 

          Objection N°2. Les passions diffèrent d’après leurs objets comme les mouvements d’après leurs termes. Or, il n’y a contrariété dans les mouvements qu’en raison de l’opposition qui existe entre les termes, comme le prouve Aristote (Phys., liv. 5, text. 49). Donc il n’y a contrariété dans les passions qu’en raison de la contrariété de leurs objets. Comme l’objet de l’appétit est le bien ou le mal, il ne peut donc y avoir dans la puissance appétitive d'autre opposition entre les passions que celle qui résulte de l’opposition du bien et du mal.

 

          Objection N°3. Toute passion de l’âme suppose qu’on s’approche ou qu’on s’éloigne de l’objet, comme le dit Avicenne (De nat., liv. 6). Or, on s’approche d’un objet par suite de ce qu’il a de bon, et on s’en éloigne par suite de ce qu’il a de mauvais ; parce que, comme le bien est ce que tous les êtres appètent, suivant Aristote (Eth., liv. 1, in princ.), de même le mal est ce que tous fuient. Donc il ne peut y avoir opposition dans les passions de l’âme qu’en raison du bien et du mal.

 

          Mais c’est le contraire. La crainte et l’audace sont opposées, comme on le voit (Eth., liv. 3, chap. 7). Or, la crainte et l’audace ne diffèrent pas entre elles sous le rapport du bien et du mal, puisqu’elles se rapportent l’une et l’autre à certains maux. Donc toute opposition qui existe entre les passions de l’irascible ne résulte pas de l'opposition du bien et du mal.

 

          Conclusion Dans les passions de l’irascible il y a opposition sous le rapport des objets et suivant qu’on s’approche ou qu’on s’éloigne du même terme ; mais dans les passions du concupiscible il n’y a opposition que relativement aux objets.

          Il faut répondre que la passion est un mouvement, comme le dit Aristote (Phys., liv. 3, text. 19-21). Il faut donc juger de l’opposition des passions d'après l’opposition des mouvements ou des changements. Or, il y a dans les mouvements ou les changements deux sortes d’opposition (Phys., liv. 6, text. 46-52) : l’une qui consiste à s’approcher et à s’éloigner du même terme. Cette opposition est, à proprement parler, celle qui résulte des changements, c’est-à-dire de la génération, qui est un changement vers l’être, et de la corruption, qui est un changement contraire. L’autre opposition résulte de l’opposition des termes, qui est, à proprement parler, l’opposition des mouvements. Ainsi, blanchir, qui est un mouvement du noir au blanc, est opposé à noircir, qui est un mouvement du blanc au noir. Dans les passions de l’âme on distingue donc aussi deux sortes d’opposition : l’une, qui provient de l’opposition des objets, c’est-à-dire de l’opposition du bien et du mal, l’autre qui consiste à s’approcher et à s’éloigner du même terme. La première de ces deux oppositions, celle qui résulte des objets, existe entre les passions de l’appétit concupiscible, mais on les trouve l’une et l’autre dans les passions de l’appétit irascible. La raison en est que l’objet de l’appétit concupiscible, est, comme nous l’avons dit (art. préc), le bien ou le mal sensible pris dans un sens absolu. Or, le bien, en tant que bien, ne peut pas être un terme dont on s’éloigne ; c’est toujours le terme vers lequel on tend ; parce qu’aucun être ne s’éloigne du bien connu pour tel, tous au contraire le recherchent vivement. De même il n’y a pas d’être qui recherche le mal pour lui-même ; tous au contraire le fuient. C’est pour ce motif que le mal ne peut pas être un terme vers lequel on tende, et que c’est nécessairement un terme dont on s’éloigne. Toute passion de l’appétit concupiscible qui se rapporte au bien, tend donc vers lui, comme l'amour, le désir et la joie. Et toute passion qui se rapporte au mal s’en éloigne, comme la haine, la fuite ou l’abomination, et la tristesse. Par conséquent, il ne peut pas y avoir dans les passions de l’appétit concupiscible d’opposition fondée sur ce que l’une s’approche et l’autre s’éloigne du même terme. Mais l’objet de l’appétit irascible est le bien ou le mal sensible, non pris d’une manière absolue, mais affecté d’un caractère qui en fait une chose difficile et ardue, comme nous l’avons dit (art. préc). Or, le bien ardu ou difficile excite à tendre vers lui selon qu’il est bon, ce qui appartient à la passion de l’espérance. En même temps ce qu’il y a en lui d’ardu et de difficile en éloigne (L’objet de l’appétit irascible est un bien mélangé de mal ; c’est pourquoi il est de nature à produire des mouvements opposés. Ainsi l’espérance tend vers lui, parce qu’elle est surtout frappée par ce qu’il y a de bon dans l’objet ; le désespoir s’en éloigne au contraire, parce qu’il est surtout frappé par ce qu’il y a de mal, qui est la difficulté de la chose.), et c’est ce qui appartient à la passion du désespoir. De même, le mal qui est ardu doit être évité en tant que mal. Et c’est ce qui se rapporte à la passion de la crainte ; il y a aussi en lui quelque chose qui fait qu’on est attiré vers lui, c’est sa difficulté même, c’est-à-dire que l’homme aime à le vaincre, parce qu’il croit par là échapper à sa tyrannie. C’est par l'audace qu’il tend à ce triomphe. Dans les passions de l’appétit irascible il y a donc une opposition qui résulte de l’opposition du bien et du mal, comme l’opposition qu’il y a entre l’espérance et la crainte. Il y a encore une autre opposition qui provient de ce qu'on s'approche et de ce qu’on s’éloigne du même terme (Ainsi l’audace diffère de la crainte, quoiqu’elles aient l’une et l’autre le mal pour objet, parce que l’une l’attaque et l’autre le fuit.). Telle est celle qui se trouve entre l’audace et la crainte.

          Par là la réponse aux objections est évidente.

 

Article 3 : Y a-t-il une passion de l’âme qui n’ait pas son contraire ?

 

          Objection N°1. Il semble que toute passion de l'âme ait son contraire. Car toutes les passions de l’âme existent ou dans l’appétit irascible ou dans l’appétit concupiscible, comme nous l’avons dit (art. préc). Or, ces deux sortes de passions ont l’une et l’autre leur contraire. Donc toutes les passions de l'âme ont leur contraire.

 

          Objection N°2. Toute passion de l’âme a pour objet le bien ou le mal qui sont universellement les objets de la puissance appétitive. Or, la passion qui a le mal pour objet est opposée à la passion qui se rapporte au bien. Donc toute passion a son contraire.

 

          Objection N°3. Toute passion de l’âme existe suivant qu’elle se rapproche ou qu’elle s’éloigne du même terme, comme nous l’avons dit (art. préc). Or, celle qui s’éloigne est contraire à celle qui s’approche et réciproquement. Donc toute passion de l’âme a son contraire.

 

          Mais c’est le contraire. La colère est une passion de l’âme. Or, il n’y a pas de passion qui soit contraire à celle-là, comme le dit Aristote (Eth., liv. 4, chap. 5). Donc toute passion n’a pas son contraire.

 

          Conclusion Entre toutes les passions de l’âme il n’y a que la colère à laquelle aucune autre passion ne soit opposée, ni de la part des objets, ni de la part du mouvement qui la porte à son terme.

          Il faut répondre que la colère a cela de particulier qu’elle ne peut avoir de contraire ni sous le rapport du mouvement qui pousse au terme ou qui en éloigne, ni sous le rapport de l’opposition qui existe entre le bien et le mal. Car la colère est produite par un mal présent difficile à vaincre. Il est nécessaire, en présence de ce mal, ou que l’appétit succombe, et alors il ne sort pas des limites de la tristesse qui est une passion de l’appétit concupiscible ; ou bien il se meut pour se venger du mal qui le blesse, et c’est alors que la colère se déclare. L’âme ne peut pas en cette circonstance chercher à fuir, parce qu'on suppose le mal déjà présent ou même passé ; par conséquent il n’y a pas de passion qui soit contraire au mouvement de la colère, selon l’opposition qui existe entre ce qui s’approche et ce qui s’éloigne du même terme. De même il n’y a pas non plus d’opposition fondée sur ce que le bien et le mal ont de contraire. Car ce qu’il y a d'opposé au mal sous lequel on gémit, c'est le bien dont on est déjà en possession et qui ne peut par conséquent plus rien offrir d’ardu ou de difficile. Après la conquête du bien il ne reste plus d’autre mouvement que le repos de l’appétit dans l’objet qu’il possède, ce qui est le fait de la joie qui est une passion de l’appétit concupiscible. Ainsi donc il ne peut pas y avoir dans l’âme de mouvement qui soit contraire à celui de la colère. Il n’y a que la cessation de ce mouvement qui lui soit contraire, d’après Aristote (Rhet., liv. 2, chap. 3), qui oppose le mot adoucir au mot irriter. Toutefois, de ces deux choses opposées, l’une est plutôt la négation ou la privation de l’autre qu'elle n'est son contraire (C’est pour ce motif qu’on ne compte pas la mansuétude et la douceur parmi les passions.).

          La réponse aux objections est par là même évidente.

 

Article 4 : Y a-t-il des passions de différente espèce qui résident dans la même puissance sans être opposées entre elles ?

 

          Objection N°1. Il semble que dans une puissance il ne puisse pas y avoir des passions d’espèce différente qui ne soient pas contraires entre elles. Car les passions de l’âme diffèrent selon leurs objets. Or, les objets des passions de l’âme sont le bien et le mal, et c’est la différence qu’il y a entre le bien et le mal qui sert de fondement à leur opposition. Donc il n’y a pas de passions de différente espèce dans une même puissance qui ne soient opposées entre elles.

 

          Objection N°2. La différence d’espèce est une différence qui résulte de la forme. Or, toute différence qui résulte de la forme repose sur une opposition quelconque, comme le dit Aristote (Met., liv. 10, text. 24). Donc les passions de la même puissance qui ne sont pas contraires ne diffèrent pas d’espèce.

 

          Objection N°3. Puisque toute passion de l’âme consiste à s’approcher du bien ou à s’éloigner du mal, il semble nécessaire que toute différence entre les passions provienne soit de la différence du bien et du mal, soit de la différence qu’il y a entre l’approche et l’éloignement, soit du plus ou du moins qui peut exister dans l’un ou l’autre de ces mouvements. Or, les deux premières différences produisent une opposition dans les passions de l’âme, comme nous l’avons dit (art. 2). Quant à la troisième elle ne change pas l’espèce, parce qu’alors il y aurait dans l’âme une infinité d’espèces de passions. Donc il ne peut se faire que les passions de la même puissance qui diffèrent d’espèce ne soient pas contraires.

 

          Mais c'est le contraire. L’amour et la joie ne sont pas de la même espèce, et ils existent dans l’appétit concupiscible ; cependant ils ne sont pas contraires, ils sont plutôt cause l’un de l’autre. Donc il y a des passions de la même puissance qui diffèrent d’espèce et qui ne sont pas contraires.

 

          Conclusion Il y a dans la partie de l’âme appétitive des passions de différente espèce qui ne sont pourtant pas contraires, comme l’amour et la joie.

          Il faut répondre que les passions diffèrent selon les êtres actifs qui sont leurs objets. Or, la différence des êtres actifs peut se considérer de deux manières : d’abord sous le rapport de l’espèce ou de la nature des êtres actifs eux-mêmes ; c’est ainsi que le feu diffère de l’eau ; ensuite sous le rapport de la diversité de l’action qu’ils exercent (Ainsi le feu échauffe, et l’eau refroidit.). Or, la diversité de l’agent ou du moteur, relativement au mouvement qu’il imprime, peut se considérer dans les passions d’une manière analogue à ce qui se passe parmi les agents naturels. En effet, tout moteur attire à lui l’être qui subit son action ou il le repousse. S’il l’attire, il produit en lui trois choses : 1° il lui donne l’inclination ou l’aptitude nécessaire pour qu’il tende vers lui. C’est ainsi que le corps léger qui s’élève donne au corps engendré sa légèreté, pour qu’il ait la propension ou l’aptitude de s’élever comme lui. 2° Si le corps engendré est hors du lieu qui lui est propre, il lui donne la vertu de se mouvoir vers ce lieu. 3° Il lui donne la faculté de s’y reposer quand il y est parvenu, parce que la cause qui fait qu’une chose se repose dans un lieu est la même que celle qui la meut pour qu’elle y arrive. Il faut faire l’application des mêmes principes à la cause répulsive. Or, dans les mouvements de la partie appétitive de l’âme, le bien a une sorte de vertu attractive, et le mal une vertu répulsive. Le bien produit donc dans la puissance appétitive : 1° une inclination ou une aptitude qui fait que le bien s’harmonise ou s’identifie, pour ainsi dire, avec notre nature. C’est l’effet de la passion de l’amour à laquelle correspond la haine comme son contraire. 2° Si l’on n’est pas encore en possession du bien, il donne à l’appétit l’impulsion pour qu’il s’efforce d’arriver à l’objet qu’il aime. C’est ce qui se rapporte à la passion du désir ou de la concupiscence, et par opposition, c’est ce qui produit par rapport au mal la fuite ou l’abomination. 3° Quand on est arrivé à la possession du bien, il permet à l’appétit de se reposer dans la jouissance de ce qu’il possède. C’est ce qui produit la délectation ou la joie à laquelle est opposée la douleur ou la tristesse que le mal engendre (L’amour, le désir et la joie sont contraires à la haine, à la fuite et à la douleur, parce qu’elles ont des objets contraires ; les unes se rapportent au bien et les autres au mal. Mais l’amour, le désir et la joie ne sont pas des passions contraires entre elles, parce qu’elles ont le même objet. Toutefois elles ne sont pas de la même espèce, parce qu’elles se rapportent au bien sous des motifs différents. Il en est de même de la haine, de la fuite et de la douleur.). — Les passions de l’irascible présupposent l’aptitude ou l’inclination nécessaire pour faire le bien ou éviter le mal, comme existant d’après l’appétit concupiscible qui se rapporte absolument au bien ou au mal. Relativement au bien qu’on ne possède pas encore, on distingue l’espérance et le désespoir ; relativement au mal qui n’est pas encore arrivé, il y a la crainte et l’audace ; mais relativement au bien dont on jouit, il n’y a dans l’irascible aucune passion, parce qu’il n’y a plus alors rien d’ardu, comme nous l’avons dit (art. 3). Mais la passion de la colère est une suite du mal existant. Il est donc évident, d’après cela, qu’il y a dans l'appétit concupiscible trois sortes de passions qui ont chacune leur contraire ; ce sont : l’amour et la haine, le désir et la fuite, la joie et la tristesse. On en distingue aussi trois dans l’irascible : l’espérance et le désespoir, la crainte et l’audace, et la colère ; mais cette dernière n’a pas son contraire. Il y a donc en somme onze passions de différente espèce : six dans l’appétit concupiscible et cinq dans l’irascible ; ces onze espèces comprennent toutes les passions de l’âme (Bossuet reproduit cette théorie des passions dans son magnifique traité De la connaissance de Dieu et de soi-même.).

          La réponse aux objections est par là même évidente.

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.

 

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