Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

1a 2ae = Prima Secundae = 1ère partie de la 2ème Partie

Question 25 : De l’ordre respectif des passions

 

          Après avoir parlé de la moralité des passions nous avons maintenant à nous occuper de leur ordre respectif. — A cet égard il y a quatre questions à examiner. Nous traiterons : 1° De l’ordre des passions de l’irascible par rapport à celles du concupiscible. — 2° De l’ordre respectif des passions du concupiscible. — 3° De l’ordre respectif des passions de l’irascible. — 4° Des quatre principales passions.

 

Article 1 : Les passions de l’irascibles sont-elles antérieures aux passions du concupiscible ou est-ce le contraire ?

 

          Objection N°1. Il semble que les passions de l’irascible soient antérieures aux passions du concupiscible. Car l’ordre des passions est déterminé par l’ordre des objets. Or, l’objet de l’irascible est le bien ardu, difficile, qui paraît tenir le premier rang entre tous les autres biens. Donc les passions de l’irascible semblent avoir le pas sur celles du concupiscible.

          Réponse à l’objection N°1 : Cette raison serait concluante s’il était dans la nature de l’objet du concupiscible d’être opposé à ce qui est difficile, comme il est dans la nature de l’objet de l’irascible d’être ardu et pénible. Mais comme l’objet du concupiscible est le bien absolu, il existe naturellement avant l’objet de l’irascible, de la même manière que ce qui est commun ou général est antérieur à ce qui est propre ou particulier.

 

          Objection N°2. Le moteur est antérieur à l’objet qui est mû. Or, l’irascible est au concupiscible ce qu’est le moteur au mobile. Car il a été donné aux animaux pour détruire les obstacles qui empêchent le concupiscible de jouir de son objet, comme nous l’avons dit (quest. 23, art. 1), et celui qui écarte un obstacle remplit la fonction de moteur, comme le dit Aristote (Phys., liv. 8, text. 32). Donc les passions de l’irascible sont antérieures aux passions du concupiscible.

          Réponse à l’objection N°2 : Celui qui écarte l’obstacle n’est pas moteur par lui-même, mais par accident. Or, maintenant nous parlons de l’ordre que les passions suivent par elles-mêmes. C’est pourquoi de ce que l’irascible écarte ce qui empêche le concupiscible de se reposer dans son objet il ne s’ensuit qu’une chose, c’est que les passions de l’irascible précèdent celles du concupiscible qui regardent le repos, et c’est sur celles-là que porte la troisième objection.

 

          Objection N°3. La joie et la tristesse sont des passions de l’appétit concupiscible. Or, la joie et la tristesse sont une conséquence des passions de l’irascible. Car Aristote dit (Eth., liv. 4, chap. 5) que la punition calme l’impétuosité de la colère et remplace la tristesse par la délectation. Donc les passions de l’appétit concupiscible sont postérieures à celles de l’irascible.

 

          Mais c’est le contraire. Les passions de l’appétit concupiscible se rapportent au bien absolu, tandis que celles de l’irascible ont pour objet le bien restreint, c’est-à-dire le bien difficile. Donc, puisque le bien absolu est antérieur au bien qui est restreint, il semble que les passions de l’appétit concupiscible soient antérieures à celles de l’irascible.

 

          Conclusion Les passions de l’appétit concupiscible précèdent celles qui appartiennent à l’irascible de telle sorte que celles-ci tirent des premières leur origine et les ont pour termes.

          Il faut répondre que les passions de l’appétit concupiscible se rapportent à plus de choses que celles de l’irascible. Car dans les passions de l’appétit concupiscible on en trouve qui appartiennent au mouvement, comme le désir, et il y en a qui appartiennent au repos, comme la joie et la tristesse. Dans les passions de l’irascible il n’y en a point qui appartiennent au repos, mais toutes se rapportent au mouvement. La raison en est que l’objet dans lequel on se repose n’a plus rien de difficile et d’ardu, ce qui est de l’essence de l’irascible. Or, le repos, puisqu’il est la fin du mouvement, est ce qui est le premier dans l’intention et le dernier dans l’exécution. Si donc on compare les passions de l’irascible aux passions du concupiscible, qui indiquent le repos dans le bien, il est évident que les premières précèdent les secondes par rapport à l’exécution. Ainsi l’espérance précède la joie et la produit, d’après ces paroles de l’Apôtre (Rom., 13, 12) : Réjouissez-vous dans l’espérance. Mais la passion de l’appétit concupiscible, qui implique le repos dans le mal, c’est-à-dire la tristesse, lient le milieu entre deux passions de l’irascible. D’abord elle suit la crainte ; car, quand le mal qu’on craignait est arrivé, la tristesse se produit. Ensuite elle précède la colère ; car, quand par suite d’une tristesse antérieure un sentiment de vengeance s’élève, ce mouvement appartient à la colère. Et comme on pense que c’est une bonne chose de tirer vengeance d’un acte mauvais, quand celui qui est en colère y est parvenu, il s’en réjouit. Ainsi, il est manifeste que toute passion de l’irascible a pour terme une passion du concupiscible qui se rapporte au repos, c’est-à-dire à la joie ou à la tristesse. Mais si on compare les passions de l’irascible à celles du concupiscible, qui impliquent mouvement, évidemment celles-ci sont les premières, parce que les passions de l’irascible ajoutent aux passions du concupiscible, comme l’objet de l’irascible ajoute à celui du concupiscible la difficulté. Car l’espérance a de plus que le désir l’effort que l’esprit fait pour atteindre le bien difficile qu’il ambitionne. De môme la crainte ajoute à la fuite \a à l’aversion une certaine dépression de l’esprit qui résulte de la difficulté du mal qu’on redoute. Ainsi donc les passions de l’irascible tiennent le milieu entre les passions du concupiscible, qui impliquent un mouvement vers le bien ou le mal, et celles qui impliquent un repos dans l’un ou l’autre. Il est donc évident que ces passions ont leur principe dans les passions du concupiscible, et qu’elles ont aussi en elles leur terme (Elles proviennent toutes de l’amour et de la haine, et aboutissent toutes à la joie ou à la tristesse.).

 

Article 2 : L’amour est-il la première des passions du concupiscible ?

 

          Objection N°1. Il semble que l’amour ne soit pas la première des passions du concupiscible. Car la puissance concupiscible doit son nom à la concupiscence qui est la même passion que le désir. Or, la dénomination vient toujours de ce qu’il y a de principal, comme le dit Aristote (De animâ, liv. 2, text. 49). Donc la concupiscence est avant l’amour.

          Réponse à l’objection N°1 : Nous nommons les choses selon qu’elles nous sont connues. Car les mots, comme le dit Aristote (Perih., liv. 1, in princ.), sont l’image des conceptions de l’esprit. Or, nous connaissons ordinairement la cause par l’effet. L’effet de l’amour, quand on possède l’objet aimé, c’est la délectation ; si on ne le possède pas, c’est le désir ou la concupiscence. Selon la remarque de saint Augustin (De Trin., liv. 10, chap. 12), l’amour est plus sensible lorsqu’il est sollicité par le besoin et le désir. C’est ce qui fait que de toutes les passions de l’appétit concupiscible la concupiscence est la plus vive, et c’est pour ce motif qu’elle donne son nom à la faculté ou à la puissance.

 

          Objection N°2. L’amour implique une certaine union ; car, comme le dit saint Denis (De div. nom., chap. 4), c’est une force unitive et concrétive. Or, la concupiscence ou le désir est un mouvement qui tend à l’union du sujet avec la chose qu’il convoite ou qu’il désire. Donc la concupiscence est antérieure à l’amour.

          Réponse à l’objection N°2 : Il y a deux sortes d’union entre le sujet aimant et l’objet aimé. L’une qui est réelle, c’est-à-dire qui consiste dans l’union avec la chose elle-même ; cette union appartient à la joie ou à la délectation qui est une conséquence du désir. L’autre qui est affective et qui consiste dans l’aptitude ou la proportion qui existe entre le sujet et l’objet. Ainsi elle résulte de ce que, quand un être a de l’aptitude et de l’inclination pour un autre, il participe déjà par là même à quelque chose de sa nature. C’est dans ce sens que l’amour implique l’union, et cette union précède le désir.

 

          Objection N°3. La cause est avant l’effet. Or, la délectation est quelquefois cause de l’amour, car il y en a qui aiment pour se délecter (Eth., liv. 8, chap. 2, et suiv.). Donc la délectation est antérieure à l’amour et par conséquent l’amour n’est pas la première des passions du concupiscible.

          Réponse à l’objection N°3 : La délectation produit l’amour, selon qu’elle est la première dans l’intention.

 

          Mais c’est le contraire. Saint Augustin dit (De civ. Dei, liv. 14, chap. 7) que toutes les passions ont l’amour pour cause. Car l’amour qui aspire à posséder l’objet aimé, c’est le désir ; s’il le possède et s’il en jouit c’est la joie. L’amour est donc la première des passions du concupiscible.

 

          Conclusion Puisque toutes les passions de l’appétit concupiscible sont produites par l’amour, il est nécessaire qu’il soit la première de toutes.

          Il faut répondre que les objets du concupiscible sont le bien et le mal. Or, le bien est naturellement avant le mal, parce que le mal est la privation du bien ; par conséquent, toutes les passions dont le bien est l’objet sont naturellement avant les passions qui se rapportent au mal, et qui leur sont directement opposées. Car c’est parce qu’on cherche le bien qu’on repousse le mal qui lui est contraire. De plus, le bien a la nature de la fin, qui est la première dans l’intention et la dernière dans l’exécution. On peut donc considérer l’ordre des passions du concupiscible suivant ce qu’elles sont dans l’intention, et suivant ce qu’elles sont dans l’exécution. Selon l’exécution, ce qu’il y a de premier c’est ce qui se trouve d’abord dans ce qui tend à la fin. Or, il est évident que tout ce qui tend à une fin quelconque, a : 1° de l’aptitude à cette fin, ou une certaine proportion avec elle, car aucun être ne tend à une fin sans lui être proportionné ; 2° il se meut vers cette fin ; 3° il s’y repose après y être parvenu. Or, l’aptitude ou la proportion de l’appétit au bien c’est l’amour, qui n’est rien autre chose que le plaisir qu’on trouve dans le bien lui-même. Le mouvement vers le bien est le désir ou la concupiscence ; le repos dans le bien est la joie ou la délectation (Il règne un ordre semblable entre les passions concupiscibles qui ont le mal pour objet : la haine abhorre le mal, la fuite s’en éloigne, la douleur ou la tristesse la subit. L’amour se rapporte au bien considéré comme tel, le désir se rapporte au bien que l’on n’a pas, et la joie au bien qu’on possède. De même la haine regarde le mal considéré comme tel, la fuite le mal absent, et la douleur le mal présent.). Ainsi donc, par rapport à l’exécution l’amour précède le désir, et le désir la délectation. Par rapport à l’intention les passions suivent un ordre contraire. Car la délectation qu’on a en vue produit le désir et l’amour. En effet, la délectation est la jouissance, qui est en quelque sorte la fin qu’on se propose, comme le bien lui-même, ainsi que nous l’avons dit (quest. 11, art. 3, réponse N°3).

 

Article 3 : L’espérance est-elle la première des passions de l’irascible ?

 

          Objection N°1. Il semble que l’espérance ne soit pas la première des passions de l’irascible. Car l’irascible tire son nom de la colère (ira), et comme toute dénomination vient de ce qu’il y a de principal, il semble que la colère soit avant l’espérance et qu’elle l’emporte sur elle.

          Réponse à l’objection N°1 : La colère provient des autres passions, comme un effet provient de causes antérieures ; c’est ce qui fait que la puissance tire d’elle son nom, parce qu’elle est la passion qui éclate le plus ouvertement au dehors.

 

          Objection N°2. L’objet de l’irascible est le difficile. Or, il semble plus difficile de s’efforcer de vaincre un mal à venir dont on est menacé, comme le fait l’audace, ou un mal présent, comme le fait la colère, que de tâcher d’acquérir simplement un bien quelconque. De même il paraît plus difficile d’entreprendre de triompher d’un mal présent que d’un mal futur. Donc la colère parait être une passion supérieure à l’audace, et l’audace doit être elle-même avant l’espérance ; par conséquent l’espérance n’est pas la première des passions de l’irascible.

          Réponse à l’objection N°2 : La difficulté de la chose n’est pas le motif qui fait qu’on s’en approche ou qu’on la désire, mais c’est plutôt sa bonté. C’est pourquoi l’espérance qui se rapporte au bien le plus directement est la première des passions de l’irascible, bien que l’audace ou même la colère aient pour objet quelque chose de plus difficile.

 

          Objection N°3. Dans un mouvement qui tend à une fin on s’éloigne du point de départ avant d’arriver au terme. Or, la crainte et le désespoir supposent qu’on s’éloigne d’une chose, tandis que l’audace et l’espérance supposent au contraire qu’on s’avance vers elle. Donc la crainte et le désespoir précèdent l’espérance et l’audace.

          Réponse à l’objection N°3 : L’appétit se porte immédiatement et directement vers le bien qui est son objet propre, et c’est là ce qui le fait s’éloigner du mal. Car le mouvement de la partie appétitive de l’âme est en proportion non du mouvement naturel, mais de l’intention de la nature qui se rapporte à la fin avant de songer à écarter l’obstacle qui l’arrête ; car elle ne cherche à l’écarter que pour arriver au but qu’elle se propose.

 

          Mais c’est le contraire. Plus une chose s’approche de ce qui est au premier rang et plus elle s’élève elle-même. Or, l’espérance est la passion qui s’approche le plus de l’amour qui est la première des passions. Donc l’espérance est la première de toutes les passions de l’irascible.

 

          Conclusion De toutes les passions de l’irascible l’espérance étant celle qui se rapporte au bien de la manière la plus directe et la plus immédiate, elle est nécessairement avant toutes les autres.

          Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. 1), toutes les passions de l’irascible impliquent un mouvement vers quelque chose. Or, ce mouvement peut résulter de deux causes : 1° de l’aptitude ou de la proportion qu’il y a entre la puissance et l’objet, ce qui regarde l’amour ou la haine ; 2° de la présence du bien ou du mal, ce qui est propre à la tristesse ou la joie. Mais la présence du bien ne produit pas de passion dans l’irascible, comme nous l’avons dit (quest. 23, art. 3), il n’y a que la présence du mal qui puisse causer la colère. Dans l’ordre de la génération ou de l’exécution la proportion ou l’aptitude qu’il y a entre la puissance et son objet précédant la possession de cet objet, il s’ensuit que la colère est la dernière de toutes les passions de l’irascible dans l’ordre de la génération. Or, entre les autres passions de l’irascible qui impliquent un mouvement qui est la conséquence de l’amour du bien ou de la haine du mal, il faut que les passions qui ont le bien pour objet, comme l’espérance et le désespoir, soient naturellement antérieures aux passions qui se rapportent au mal, comme l’audace et la crainte. L’espérance doit aussi être placée avant le désespoir, parce que l’espérance est un mouvement vers le bien, considéré comme tel. Il est ainsi par sa nature doué d’une puissance attractive ; c’est ce qui fait que l’espérance se porte vers lui par elle-même. Le désespoir, au contraire, est un mouvement qui consiste à s’écarter du bien. Ce mouvement ne convient pas au bien considéré en lui-même, mais il lui convient relativement à une autre chose. Il ne s’y rapporte conséquemment que par accident. Pour la même raison la crainte est avant l’audace par là même qu’elle consiste à s’éloigner du mal. Quant à la priorité naturelle de l’espérance et du désespoir sur la crainte et l’audace, il suffit pour s’en convaincre jusqu’à l’évidence d’observer que comme le désir du bien est la raison qui nous fait éviter le mal, de même l’espérance et le désespoir sont la raison de la crainte et de l’audace. Car l’audace résulte de l’espérance qu’on a de la victoire, et la crainte provient de ce qu’on désespère du triomphe. La colère est ensuite produite par l’audace ; car celui qui désire se venger ne se met en colère qu’autant qu’il ose exercer sa vengeance, comme le dit Avicenne (De nat., liv. 6). Il est donc évident que l’espérance est la première de toutes les passions de l’irascible. — En résumé, si l’on veut connaître le rang qu’occupent respectivement toutes les passions selon l’ordre de leur génération, nous mettrons au premier l’amour et la haine ; au second le désir et la fuite ; au troisième l’espérance et le désespoir ; au quatrième la crainte et l’audace ; au cinquième la colère ; au sixième et dernier la joie et la tristesse qui résultent de toutes les passions, comme le dit Aristote (Eth., liv. 2, chap. 5). Mais il faut remarquer que, d’après ce que nous avons dit dans cet article (et art. 1 et 2), l’amour est avant la haine, le désir avant la fuite, l’espérance avant le désespoir, la crainte avant l’audace et la joie avant la tristesse.

 

Article 4 : Y a-t-il quatre passions principales : la joie, la tristesse, l’espérance et la crainte ?

 

          Objection N°1. Il semble que les quatre passions principales ne soient pas la joie et la tristesse, l’espérance et la crainte. Car saint Augustin n’admet pas l’espérance, il lui substitue la cupidité (De civ. Dei, liv. 14, chap. 7 à 9).

          Réponse à l’objection N°1 : Saint Augustin met le désir ou la cupidité à la place de l’espérance, en ce sens qu’ils semblent se rapporter l’un et l’autre au même objet, c’est-à-dire au bien futur.

 

          Objection N°2. Dans les passions de l’âme on distingue deux ordres : celui de l’intention et celui de l’exécution ou de la génération. Si on considère les passions principales selon l’ordre de l’intention, on n’en peut reconnaître que deux principales, la joie et la tristesse qui sont le terme auquel on arrive. Si on les considère selon l’ordre d’exécution ou de génération, l’amour est alors une passion principale. Donc en aucune manière on ne peut dire qu’il y ait quatre passions principales : la joie et la tristesse, l’espérance et la crainte.

          Réponse à l’objection N°2 : Ces passions sont appelées principales selon l’ordre de l’intention et parce qu’elles sont le complément des autres. Ainsi, quoique la crainte et l’espérance ne soient pas absolument les dernières, elles sont cependant le terme de celles qui se rapportent à l’avenir. On ne peut faire d’instance qu’au sujet de la colère, qu’on ne peut pas néanmoins considérer comme une passion principale, parce qu’elle est un effort de l’audace qui ne peut être une passion de premier ordre (D’ailleurs la colère se résout toujours dans la joie ou la tristesse.), comme nous le verrons (quest. 45, art. 2, réponse N°3).

 

          Objection N°3. Comme l’audace est produite par l’espérance, de même la crainte par le désespoir ; donc on doit admettre parmi les passions principales l’espérance et le désespoir à titre de causes, ou l’espérance et l’audace en raison de leur affinité.

          Réponse à l’objection N°3 : Le désespoir implique l’éloignement du bien, ce qui est en quelque sorte accidentel (Car il ne le fuit pas pour lui-même. Il ne le fuit qu’en raison des difficultés qu’il offre.), et l’audace suppose qu’on s’attaque au mal, ce qui est encore un accident (Parce qu’elle n’attaque pas le mal pour lui-même. Elle ne l’attaque qu’en vue de remporter une victoire.). C’est pour ce motif qu’on ne peut dire que ces passions sont des passions principales, parce que ce titre ne peut convenir à ce qui existe par accident. On ne peut pas non plus, par conséquent, dire que la colère soit une passion principale, puisqu’elle résulte de l’audace.

 

          Mais c’est le contraire. Boëce (De Cons., liv. 1, met. 7), énumérant nos quatre passions principales, dit : Chassez les joies, chassez la crainte, dissipez l’espérance, et que la douleur ne s’empare pas de vous.

 

          Conclusion La joie, la tristesse, l’espérance et la crainte sont les quatre passions principales de l’âme, bien qu’à des titres différents.

          Il faut répondre qu’on dit généralement qu’il y a quatre passions principales, dont deux, la joie et la tristesse, qu’on appelle ainsi parce qu’elles sont le complément et le terme final de toutes les autres ; par conséquent, comme le dit Aristote (Eth., liv. 2, chap. 5), elles sont le résultat. La crainte et l’espérance sont des passions principales, non parce qu’elles sont absolument le complément de toutes les autres, mais parce qu’elles le sont relativement au mouvement par lequel l’appétit se porte vers un objet. Car le mouvement qui se porte vers le bien commence par l’amour, se continue par le désir et se termine par l’espérance ; par rapport au mal, il commence par la haine, se continue par la fuite et se termine par la crainte. C’est ce qui fait qu’on considère ces quatre passions selon la différence qu’il y a entre le présent et l’avenir ; car le mouvement regarde l’avenir, et le repos existe dans le présent. Ainsi la joie et la tristesse ont pour objet le bien et le mal présent, l’espérance et la crainte le bien et le mal futur. Pour toutes les autres passions qui ont pour objet le bien ou le mal présent ou à venir, elles se ramènent à celles-ci qui sont leur complément. C’est pour cette raison qu’il y a des auteurs qui disent que ces quatre passions sont principales, parce qu’elles sont générales ; ce qui est vrai, si l’espérance et la crainte désignent le mouvement de l’appétit qui se porte en général vers ce qu’il doit rechercher ou éviter.

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.

 

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