Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
1a 2ae = Prima Secundae = 1ère partie de la 2ème Partie
Question 51 :
De la cause des habitudes considérée par rapport à leur formation
Après
avoir parlé du sujet des habitudes, nous avons maintenant à nous occuper de
leur cause. Nous la considérerons d’abord par rapport à leur formation, ensuite
par rapport à leur accroissement et enfin par rapport à leur affaiblissement et
à leur perte. — A l’égard de leur formation quatre questions se présentent : 1°
Y a-t-il quelque habitude qui provienne de la nature ? — 2° Y a-t-il quelque
habitude qui soit l’effet des actes ? — 3° Un seul acte peut-il produire une
habitude ? — 4° Y a-t-il dans les hommes des habitudes qui viennent de Dieu ?
Article
1 : Y a-t-il quelque habitude qui provienne de la nature ?
Objection
N°1. Il semble qu’aucune habitude ne provienne de la nature. Car l’usage des
choses qui viennent de la nature n’est pas soumis à la volonté. Or, l’habitude
est une chose dont on fait usage quand on veut, comme le dit le commentateur (De animâ, liv.
3, text. 18). Donc l’habitude ne provient pas de la
nature.
Réponse
à l’objection N°1 : Cette objection repose sur la nature selon qu’on la
considère comme opposée à la raison et à la volonté (C’est ainsi qu’on distingue
dans l’homme ce qui est naturel, ce qui est raisonnable et ce qui est
volontaire.), quoique la raison et la volonté appartiennent d’ailleurs à la
nature humaine.
Objection
N°2. La nature ne fait pas par deux ce qu’elle peut faire par un seul. Or, les
puissances de l’âme procèdent de la nature. Si donc les habitudes des
puissances en provenaient aussi, les habitudes et les puissances ne feraient
qu’un.
Réponse
à l’objection N°2 : On peut naturellement surajouter à la puissance quelque
chose qui ne peut appartenir à la puissance elle-même. Ainsi dans les anges il
ne peut appartenir à leur puissance intellectuelle de connaître par elle-même
toutes choses, parce qu’il faudrait qu’elle fût l’acte de tout ce qui existe,
ce qui n’appartient qu’à Dieu. Car ce qui fait connaître une chose doit être la
ressemblance actuelle de l’objet qu’on connaît ; d’où il suit que si la
puissance de l’ange connaissait par elle-même toutes choses, elle serait la
ressemblance et l’acte de tout ce qui existe. Il est donc nécessaire qu’on
surajoute à leur puissance intellectuelle des espèces intelligibles qui sont
les ressemblances des choses qu’ils comprennent. C’est ainsi que par la
participation de la sagesse divine et non par leur essence propre ils peuvent
avoir en acte l’intelligence des choses qu’ils comprennent. Il est par là même
évident que tout ce qui appartient à l’habitude naturelle ne peut pas
appartenir à la puissance.
Objection
N°3. La nature ne fait pas défaut dans les choses nécessaires. Or, les
habitudes sont nécessaires pour bien agir, comme nous l’avons dit (quest. 49,
art. 4). Si donc il y avait des habitudes qui vinssent de la nature, il semble
que la nature ne manquerait pas de produire toutes les habitudes nécessaires.
Puisqu’il est évident que cela n’est pas, il s’ensuit que l’habitude ne
provient pas de la nature.
Réponse
à l’objection N°3 : La nature ne se rapporte pas de la même manière à toutes
les différentes habitudes, parce qu’il y en a qui peuvent provenir d’elle et
d’autres qui n’en proviennent pas, comme nous l’avons dit (réponse précédente).
C’est pourquoi il ne s’ensuit pas, s’il y a des habitudes naturelles, qu’elles
le soient toutes.
Mais
c’est le contraire. Aristote place (Eth., liv. 6,
chap. 6) parmi les autres habitudes l’intelligence des principes qui provient
de la nature. Car nous disons que les premiers principes nous sont
naturellement connus.
Conclusion
Puisque parmi les autres habitudes l’intelligence des principes est innée à
tout le monde, il y a une habitude qui nous vient de la nature.
Il
faut répondre qu’une chose peut être naturelle à une autre de deux manières :
1° selon la nature de l’espèce, comme il est naturel à l’homme de rire et au
feu de s’élever en l’air ; 2° selon la nature de l’individu, comme il est
naturel à Socrate ou à Platon d’être malade ou en santé d’après leur propre
complexion. On peut encore, sous ces deux rapports, dire qu’une chose est
naturelle en deux sens : quand elle vient tout entière de la nature, ou qu’elle
vient en partie de la nature et en partie d’un principe extérieur. Ainsi quand
on guérit quelqu’un par lui-même, sa santé est entièrement l’effet de la nature
; mais quand on le guérit avec l’aide de la médecine, sa guérison est en partie
l’effet de la nature et en partie l’effet d’un principe extérieur. Si donc nous
parlons de l’habitude selon qu’elle est une disposition du sujet par rapport à
la forme ou à la nature, prise peu importe dans lequel des sens que nous venons
de déterminer, elle est naturelle. Car il y a une disposition naturelle qui est
essentielle à l’espèce humaine en dehors de laquelle aucun homme ne se trouve,
et c’est cette disposition naturelle qui se rapporte à la nature de l’espèce (Ainsi
la santé est une habitude naturelle par rapport à notre espèce, parce que
l’espèce humaine ne peut exister sans une santé quelconque.). Mais cette
disposition ayant une certaine largeur, il arrive qu’elle convient dans des
degrés divers à des hommes différents selon la nature des individus. Elle peut
venir totalement de la nature, ou elle peut venir partie de la nature et partie
d’un principe extérieur, comme nous l’avons dit en parlant de ceux que l’art
guérit. — L’habitude, qui est une disposition à l’action et qui a pour sujet
une des puissances de l’âme, comme nous l’avons dit (quest. 50, art. 2), peut
être naturelle selon la nature de l’espèce et selon la nature de l’individu ;
selon la nature de l’espèce, d’après le rapport qu’elle a avec l’âme qui est
notre principe spécifique (Ainsi il y a des habitudes qui résultent de notre
forme spécifique, comme la connaissance des vérités premières.), puisqu’elle
est la forme du corps ; selon la nature de l’individu, par rapport au corps qui
est notre principe matériel (Telles sont les habitudes qui résultent de la
nature particulière du tempérament.). Cependant sous ces deux rapports il n’y a
pas dans l’homme d’habitudes naturelles qui proviennent entièrement de la
nature. Mais il y en a dans les anges, parce qu’ils ont naturellement en eux
des espèces intelligibles, ce que n’a pas la nature humaine, comme nous l’avons
dit (1a pars, quest. 55, art. 2). Il y a donc dans les hommes
quelques habitudes naturelles qui procèdent partie de leur nature et partie
d’un principe extérieur. Mais ces habitudes ne sont pas les mêmes dans les
puissances cognitives que dans les puissances appétitives. Dans les puissances
cognitives il peut y avoir des habitudes dont le commencement est naturel, et
cela sous le rapport de la nature de l’espèce et de la nature de l’individu.
Par rapport à la nature de l’espèce cette habitude vient de l’âme ; c’est ainsi
qu’on dit que l’intelligence des principes est une habitude naturelle. Car,
d’après la nature de l’âme intellectuelle, il est constant qu’une fois que
l’homme sait ce qu’est le tout et ce qu’est la partie, il connaît que le tout
est plus grand que la partie, et il en est de même du reste. Mais il ne peut
connaître ce qu’est le tout et ce qu’est la partie que par les espèces
intelligibles qu’il reçoit des images sensibles. C’est ce qui fait dire à
Aristote (Post., liv. 2, text. ult.) que la connaissance des principes nous arrive
par les sens. Par rapport à la nature de l’individu il y a aussi une habitude
cognitive dont le commencement est naturel. Ainsi par la disposition de ses
organes un homme est plus apte à bien concevoir qu’un autre, selon que nous
avons besoin pour comprendre des puissances sensitives. — Pour les puissances
appétitives il n’y a pas d’habitude qui soit naturelle dans sa formation (C’est-à-dire,
il n’y a pas d’habitude naturelle qui ait dans l’âme une première disposition
qui soit un commencement de développement par rapport à la substance de
l’habitude elle-même.) du côté de l’âme. Il n’y en a pas quant à la substance
de l’habitude, il y en a seulement quant à ses principes. C’est ainsi qu’on dit
que les principes du droit commun sont des semences de vertus. Et il en est
ainsi, parce que l’inclination de la puissance vers les objets qui lui sont
propres et qui semble être le commencement de l’habitude, n’appartient pas à
l’habitude elle-même, mais plutôt à la nature de la puissance. Mais du côté du
corps, par rapport à la nature de l’individu, il y a des
habitudes appétitives dont la formation ou le principe est naturel. Car
il y en a qui, d’après la complexion propre de leurs corps, sont disposés à la
chasteté, ou à la douceur, ou à d’autres habitudes.
Article
2 : Y a-t-il quelque habitude qui résulte des actes ?
Objection
N°1. Il semble qu’aucune habitude ne puisse être produite par un acte. Car
l’habitude est une qualité, comme nous l’avons dit (quest. 49, art.1). Or,
toute qualité est produite dans un sujet selon qu’il est capable de la recevoir.
Donc, puisque l’agent par là même qu’il agit ne reçoit pas quelque chose, mais
émet plutôt quelque chose hors de lui, il semble qu’une habitude ne puisse être
produite dans un agent par ses propres actes.
Réponse
à l’objection N°1 : L’agent, comme tel, ne reçoit rien, mais selon qu’il est mû
par un autre il reçoit de son moteur quelque chose, et c’est ainsi que
l’habitude se produit.
Objection
N°2. Le sujet dans lequel est produite une qualité est mû par rapport à cette
qualité, comme on le voit à l’égard des choses qui sont échauffées ou
refroidies. D’un autre côté ce qui produit l’acte d’où résulte la qualité
communique un mouvement, comme on le voit par ce qui échauffe ou ce qui
refroidit. Si donc une habitude était produite dans un sujet par son acte il
s’ensuivrait que le moteur et celui qui est mû, l’agent et le patient seraient
une même chose ; ce qui est impossible, comme le dit Aristote (Phys., liv. 3, text.
8).
Réponse
à l’objection N°2 : Le même être ne peut être sous le même rapport moteur et
mobile. Mais rien n’empêche que le même être soit mû par lui-même sous des
rapports divers, comme le prouve Aristote (Phys.,
liv. 8, text. 28).
Objection
N°3. L’effet ne peut pas être plus noble que sa cause. Or, l’habitude est plus
noble que l’acte qui la précède ; ce qui est évident, puisqu’elle rend les
actes plus nobles. Donc l’habitude ne peut pas être produite par l’acte qui la
précède.
Réponse
à l’objection N°3 : L’acte qui précède l’habitude, selon qu’il procède d’un
principe actif, procède d’un principe plus noble que l’habitude qu’il engendre
: comme la raison est un principe plus noble que l’habitude de la vertu morale
produite par la réitération des actions dans la puissance appétitive, et comme
l’intelligence des principes est plus noble que la science des conclusions.
Mais
c’est le contraire. Aristote enseigne (Eth., liv. 2,
chap. 1 et 2) que les habitudes des vertus et des vices proviennent
des actes.
Conclusion
Les actes multipliés produisent dans la puissance passive qui est mue une
qualité qu’on nomme une habitude.
Il
faut répondre qu’un agent n’a quelquefois qu’un seul principe actif qui produit
son acte. Ainsi il n’y a dans le feu qu’un seul principe actif qui est celui de
la chaleur. Dans un agent de cette nature les actes ne peuvent produire une
habitude. De là il arrive que les choses naturelles ne peuvent être soumises à
la coutume, ni modifiées par elle (Eth., liv. 2 in princ.).
Mais il y a des agents qui renferment en eux le principe actif et le principe
passif de leurs actes, comme on le voit au sujet des actes humains. Car les
actes de la vertu appétitive procèdent de la puissance appétitive selon qu’elle
est mue par la puissance cognitive qui représente son objet. De plus la puissance
intellectuelle, quand elle raisonne sur les conclusions, a sa proposition qui
est connue par elle-même comme son principe actif. Ainsi ces actes peuvent
produire dans les agents des habitudes non par rapport au premier principe
actif, mais par rapport au principe de l’acte qui meut et qui est mû (C’est-à-dire
que les habitudes se forment dans les puissances selon que celles-ci sont
passives et mues par une autre, mais non selon qu’elles sont actives.). Car
tout ce qui est passif et tout ce qui est mû par un autre, emprunte à l’action
de l’agent sa disposition. C’est pourquoi la réitération des actes produit dans
la puissance passive qui est mue une qualité qu’on nomme habitude. C’est ainsi
que les habitudes des vertus morales sont produites dans les puissances
appétitives selon que celles-ci sont mues par la raison, et que les habitudes
des sciences sont produites dans l’intellect selon qu’il est mu par les
propositions ou les vérités premières.
Article
3 : Un seul acte peut-il produire une habitude ?
Objection
N°1. Il semble qu’un seul acte puisse produire une habitude. Car une démonstration
est l’acte de la raison. Or, une démonstration produit la science qui est
l’habitude d’une conclusion. Donc une habitude peut provenir d’un acte unique.
Objection
N°2. Comme un acte augmente quand on le multiplie, il en est de même quand on
lui donne de l’intensité. Or, la multiplication des actes produit l’habitude.
Donc si un acte a beaucoup d’intensité il pourra également produire une
habitude.
Objection
N°3. La santé et la maladie sont des habitudes. Or, un seul acte peut guérir
l’homme ou le rendre malade. Donc un seul acte peut produire une habitude.
Mais
c’est le contraire. Aristote dit (Eth., liv. 1,
chap. 6) que comme le printemps n’est pas produit par une seule hirondelle, ni
par une seule journée ; de même un jour ou un temps
court ne rend pas l’homme heureux. Mais le bonheur est une action
habituellement conforme à la vertu parfaite, comme le dit le même philosophe (Eth., liv. 1, chap. 9 et 12). Donc
l’habitude de la vertu et pour la même raison toutes les autres habitudes ne
sont pas l’effet d’un seul acte.
Conclusion
Il est nécessaire que l’habitude de la vertu résulte de plusieurs actes, mais
les habitudes des puissances cognitives, comme celles du corps, s’acquièrent
quelquefois par un acte unique.
Il
faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. préc.),
l’habitude est engendrée par l’acte en ce sens que la puissance passive est mue
par un principe actif. Mais pour qu’une qualité soit produite dans un être
passif, il faut que le principe actif l’emporte totalement sur le principe
passif. Ainsi nous voyons que le feu ne pouvant pas totalement vaincre le
combustible qu’on lui offre ne s’enflamme pas aussitôt, mais il écarte peu à
peu les dispositions qui lui sont contraires, afin qu’en s’en rendant
complètement maître il lui imprime sa ressemblance. Or, il est évident que le
principe actif, qui est la raison, ne peut pas complètement triompher de la
puissance appétitive par un seul acte, parce que cette puissance se rapporte de
différentes manières à divers objets. La raison à la vérité juge par un acte
unique qu’on doit désirer telle ou telle chose selon des circonstances
particulières et sous un rapport déterminé. Mais par
là même la puissance appétitive n’est pas totalement vaincue au point de se
porter vers le même objet (Il reste toujours dans la puissance appétitive de
l’inclination pour les autres choses dont la raison lui commande de s’abstenir.
Et ce penchant ne peut être affaibli que par la réitération des mêmes actes de
vertu.), comme il arrive lorsque la répétition des mêmes actes lui ont rendu
cette inclination naturelle et ont formé en elle cette habitude. C’est pourquoi
l’habitude de la vertu ne peut être l’effet d’un acte unique, mais elle est
l’effet de plusieurs. — A l’égard des puissances cognitives il est à remarquer
qu’il y a deux sortes de passivité : l’une qui est l’intellect possible
lui-même, et l’autre qu’Aristote appelle l’intellect passif (De animâ, liv.
3, text. 20), qui est la raison particulière,
c’est-à-dire la pensée accompagnée de la mémoire et de l’imagination. Par
rapport à la première passivité, il peut y avoir un principe actif qui par un
seul acte triomphe complètement de la puissance du principe passif. Ainsi une
seule proposition évidente porte la conviction dans l’intelligence et la fait
adhérer fortement à une conclusion ; ce que ne produit pas une proposition
probable. C’est pourquoi quand il s’agit d’opinion il faut une foule d’actes
rationnels pour produire une habitude, même du côté de l’intellect possible.
Mais un seul acte rationnel peut produire une habitude scientifique par rapport
à l’intellect possible (Il en est ainsi parce que la vérité ne trouve pas
d’obstacle dans l’intellect possible.). Au contraire par rapport aux puissances
cognitives inférieures il est nécessaire qu’on répète plusieurs fois la même
chose afin de l’imprimer dans la mémoire. C’est ce qui fait dire à Aristote (De mem. et reminisc., chap. 2) que la réflexion
affermit la mémoire. Quant aux habitudes corporelles il est possible qu’elles
résultent d’un seul acte, si le principe actif est doué d’une grande puissance.
Ainsi quelquefois une médecine forte rétablit immédiatement la santé.
La
réponse aux objections est par là même évidente.
Article
4 : Y a-t-il dans les hommes des habitudes infuses qui viennent de Dieu ?
Objection
N°1. Il semble qu’il n’y ait pas dans les hommes d’habitudes infuses qui
viennent de Dieu. Car Dieu est le même pour tous. Si donc il infusait des
habitudes dans les uns, il les infuserait dans tous les autres ; ce qui est
évidemment faux.
Réponse
à l’objection N°1 : Dieu est par sa nature le même pour tous ; mais dans
l’ordre de sa sagesse, pour une raison déterminée, il accorde à quelques-uns ce
qu’il n’accorde pas à d’autres.
Objection
N°2. Dieu opère en tous selon le mode qui convient à leur nature ; parce que
c’est à sa divine providence à conserver l’ordre naturel, comme le dit saint
Denis (De div. nom., chap. 4). Or, dans l’homme les
habitudes sont naturellement produites par les actes, comme nous l’avons dit
(art. préc.). Donc Dieu ne produit pas d’habitudes
dans les hommes sans qu’ils agissent.
Réponse
à l’objection N°2 : De ce que Dieu agit dans tous les êtres selon leur mode
d’existence il ne s’ensuit pas qu’il n’opère pas ce que la nature ne peut
opérer, mais il s’ensuit seulement qu’il ne fait rien d’absolument contraire à
leur nature.
Objection
N°3. Si Dieu infuse en nous une habitude, et que par cette habitude nous
produisions plusieurs actes, ces actes produisent à leur tour une habitude
semblable, comme le dit Aristote (Eth., liv. 2,
chap. 1 et 2) : il arrivera qu’il y aura dans le même sujet deux habitudes de
la même espèce, dont l’une sera acquise et l’autre infuse, ce qui paraît
impossible, parce que deux formes de la même espèce ne peuvent exister dans le
même sujet. Donc il n’y a pas d’habitude infuse dans l’homme qui vienne de
Dieu.
Réponse
à l’objection N°3 : Les actes produits par une habitude infuse ne produisent
pas une autre habitude, mais ils confirment celle qui préexiste, comme une
médecine prise par un homme en bonne santé ne lui procure pas une autre santé,
mais fortifie celle qu’il avait déjà auparavant.
Mais
c’est le contraire. Il est écrit (Ecclésiastique,
15, 5) : Le Seigneur l’a rempli de
l’esprit de sagesse et d’intelligence. Or, la sagesse et l’intelligence
sont des habitudes. Donc il y a dans l’homme des habitudes infuses qui viennent
de Dieu.
Conclusion
L’homme étant disposé à sa fin, qui surpasse les forces de la nature humaine,
par certaines habitudes, il est nécessaire que ces habitudes lui aient été
infuses par Dieu.
Il
faut répondre qu’il y a des habitudes infuses de Dieu dans l’homme pour deux
raisons. La première, c’est qu’il y a des habitudes par lesquelles l’homme est
bien disposé à l’égard de sa fin qui surpasse les forces de la nature humaine,
et qui est sa béatitude dernière et parfaite, comme nous l’avons dit (quest. 5,
art. 5). Comme les habitudes doivent être proportionnées à l’objet auquel elles
disposent l’homme, il s’ensuit nécessairement que celles qui le disposent à
cette fin surpassent les forces de sa nature, et par conséquent qu’elles ne
peuvent exister en lui qu’autant qu’elles y sont mises par Dieu, comme il en
est de toutes les vertus gratuites (Comme la foi, l’espérance, la charité et la
grâce.). — La seconde raison c’est que Dieu peut produire les effets des causes
secondes, sans le concours de ces causes, comme nous l’avons dit (1a
pars, quest. 105, art. 6). Ainsi, comme il produit quelquefois la santé sans
cause naturelle, pour montrer sa puissance, et qu’il fait par lui-même ce qu’il
pourrait faire par la nature, de même pour montrer sa vertu il infuse
quelquefois dans les hommes des habitudes qui auraient pu être l’effet d’une
cause naturelle. C’est ainsi qu’il a donné aux apôtres la science des Ecritures
et des langues, que les hommes peuvent obtenir par l’étude ou l’usage, quoique
plus imparfaitement.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
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l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
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