Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

1a 2ae = Prima Secundae = 1ère partie de la 2ème Partie

Question 52 : Du développement des habitudes

 

          Après avoir parlé de la formation des habitudes, nous avons à nous occuper de leur développement. — A ce sujet trois questions se présentent : 1° Les habitudes se fortifient-elles ? — 2° Augmentent-elles par addition ? — 3° Tout acte ajoute-t-il à l’habitude ?

 

Article 1 : Les habitudes augmentent-elles ou se fortifient-elles ?

 

          Objection N°1. Il semble que les habitudes ne puissent être augmentées. Car l’augmentation se rapporte à la quantité, comme le dit Aristote (Phys., liv. 5, text. 18). Or, les habitudes n’appartiennent pas au genre de la quantité (Elles appartiennent à la qualité.). Donc elles ne sont pas susceptibles d’accroissement.

          Réponse à l’objection N°1 : Comme le mot de grandeur est emprunté aux quantités corporelles pour être appliqué aux perfections intelligibles des formes, il en est de même du mot augmentation qui a la grandeur pour terme.

 

          Objection N°2. L’habitude est une perfection, comme le dit Aristote (Phys., liv. 7, text. 17 et 18). Or, la perfection impliquant la fin et le terme ne paraît pas capable de plus et de moins. Donc l’habitude ne peut pas être augmentée.

          Réponse à l’objection N°2 : L’habitude est une perfection, mais cette perfection n’est pas telle qu’elle soit le terme de son sujet ; en lui donnant son être spécifique, et il n’est pas dans sa nature de renfermer son terme comme les espèces des nombres ; par conséquent rien n’empêche qu’elle ne soit susceptible de plus et de moins.

 

          Objection N°3. Dans les choses qui sont capables de plus et de moins il arrive qu’il y a altération : car on dit qu’une chose s’altère quand de moins chaude elle le devient davantage. Or, dans les habitudes il n’y a pas d’altération, comme le prouve Aristote (Phys., liv. 7, text. 15 et 17). Donc les habitudes ne peuvent être augmentées.

          Réponse à l’objection N°3 : L’altération se rapporte directement aux qualités de la troisième espèce ; mais elle peut secondairement appartenir aux qualités de la première. En effet qu’il y ait altération sous le rapport du chaud et du froid, il s’ensuit que l’animal change sous le rapport de la santé et de la maladie. De même qu’il y ait altération dans les passions de l’appétit sensitif ou dans les puissances sensitives-cognitives, il en résulte un changement par rapport à la science et à la vertu, comme le dit Aristote (Phys., liv. 7, text. 20).

 

          Mais c’est le contraire. La foi est une habitude et elle s’accroît. Car les disciples disaient à leur divin maître (Luc, 17, 5) : Seigneur, augmentez notre foi. Donc les habitudes s’accroissent.

 

          Conclusion Les habitudes et les dispositions considérées en elles-mêmes ou relativement, et selon que les sujets y participent, peuvent être plus ou moins fortes et sont par conséquent susceptibles d’accroissement et de diminution.

          Il faut répondre que le mot accroissement ou augmentation, comme tout ce qui appartient à la quantité, se transporte métaphoriquement des quantités corporelles aux choses spirituelles et intellectuelles par suite de la communauté de nature qu’il y a entre notre entendement et les choses matérielles qui tombent sous l’imagination. Or, dans les quantités corporelles on dit qu’une chose est grande selon qu’elle parvient au degré de quantité qu’elle doit avoir. Ainsi une quantité qu’on trouve grande pour un homme, n’est pas considérée comme telle dans un éléphant. Par rapport à la forme nous disons donc qu’une chose est grande quand elle est arrivée à sa perfection. Et comme le bien est de même nature que la perfection, il s’ensuit que pour les êtres qui ne sont pas grands par leur masse, être plus grand ou être meilleur c’est la même chose, comme le dit saint Augustin (De Trin., liv. 6, chap. 8). Mais la perfection de la forme peut se considérer de deux manières : 1° en elle-même ; 2° selon que le sujet y participe. Quand on considère la perfection de la forme en elle-même, on dit qu’elle est grande ou petite ; ainsi on dit qu’on a beaucoup ou peu de beauté, une grande ou une petite science. Quand on considère la perfection de la forme selon que le sujet y participe, on emploie le plus et le moins : ainsi on dit du sujet qu’il est plus ou moins blanc, plus ou moins sain. Toutefois cette distinction ne suppose pas que la forme existe en dehors de la matière et du sujet ; mais elle s’appuie sur ce que la forme est autre considérée dans son espèce que dans le sujet qui y participe. — D’après cela, touchant l’augmentation et la diminution des habitudes et des formes, il y a parmi les philosophes quatre opinions, comme le rapporte Simplicius dans son commentaire des Catégories (in Prædic. qualit.). En effet Plotin et les autres platoniciens supposaient que les qualités et les habitudes étaient susceptibles de plus et de moins, parce qu’elles étaient matérielles et qu’elles avaient quelque chose d’indéterminé par suite de l’infinité de la matière. D’autres pensaient au contraire que les qualités et les habitudes n’étaient pas par elles-mêmes susceptibles de plus et de moins ; mais qu’on leur appliquait le plus et le moins selon leur diverse participation ; ainsi le plus et le moins ne se rapportent pas à la justice, mais au juste. Aristote est de cette opinion dans ses Catégories (in Prædic. qualit.). La troisième opinion, qui tient le milieu entre les deux précédentes, est celle des stoïciens. Ils supposaient qu’il y a des habitudes qui sont susceptibles déplus et de moins, comme les arts, mais qu’il y en a d’autres qui ne le sont pas comme les vertus (Ils faisaient consister la vertu dans un point indivisible.). Enfin la quatrième opinion a été celle des philosophes qui enseignaient que les qualités et les formes immatérielles ne sont pas susceptibles de plus et de moins, mais qu’il en est autrement des qualités et des formes matérielles (Saint Thomas n’admet aucun de ces sentiments et prouve qu’ils sont erronés totalement ou partiellement.). — Pour découvrir la vérité à cet égard, il faut observer que ce qui assigne à un objet son espèce, doit être fixe, stable et en quelque sorte indivisible. En effet tout ce qui a ce caractère est renfermé sous cette espèce, et tout ce qui s’en éloigne en plus ou en moins appartient à une autre espèce plus parfaite ou plus imparfaite. C’est ce qui fait dire à Aristote (Met., liv. 8, text. 10) que les espèces des choses sont comme les nombres qui changent d’espèces si l’on y ajoute ou si l’on en retranche quelque chose. Si donc une forme ou une substance quelconque appartient par elle-même, ou par une partie d’elle-même à une espèce, il faut qu’elle ait, considérée en elle-même, une raison déterminée qui ne soit pas susceptible de plus et de moins. Telles sont la chaleur, la blancheur et les autres qualités absolues qui ne dépendent point d’un rapport quelconque, et telle est à plus forte raison la substance qui est l’être par elle-même (Ainsi les formes qui sont établies en leur espèce par une chose absolue et constitutive de leur essence ne sont susceptibles ni de plus ni de moins.). Quant aux formes relatives qui tirent leur espèce d’un objet auquel elles se rapportent, elles peuvent en elles-mêmes varier en plus ou en moins ; elles sont cependant de la même espèce, par suite de l’unité de l’objet auquel elles se rapportent et qui les spécifie. C’est ainsi que le mouvement est en lui-même plus ou moins rapide ; son espèce reste néanmoins la même, à cause de l’unité du terme qui la détermine. On peut en dire autant de la santé. Car le corps est en santé quand il est dans la disposition qui convient à la nature animale, et comme il y a différentes dispositions qui peuvent lui convenir, il s’ensuit que la disposition du corps peut varier du plus au moins, sans que la condition essentielle de la santé cesse d’exister. D’où Aristote conclut (Eth., liv. 10, chap. 3) que la santé elle-même est capable de plus et de moins. En effet la mesure n’est pas la même pour tous, ni pour le même individu dans tous les temps : tout en s’affaiblissant la santé subsiste cependant jusqu’à un certain point. Ces différentes dispositions ou ces diverses mesures d’après lesquelles on apprécie la santé, sont susceptibles d’excès et de défaut ; par conséquent si on ne donnait le nom de santé qu’à la mesure la plus parfaite, alors on ne dirait pas qu’elle est plus ou moins bonne (Ce qui fait que les formes relatives sont susceptibles de plus et de moins, c’est qu’elles peuvent approcher plus ou moins du terme auquel elles se rapportent.). Ainsi donc on voit de quelle manière une qualité ou une forme peut être augmentée ou diminuée par elle-même, et de quelle manière elle ne peut pas l’être. — Si on considère la qualité ou la forme selon la participation du sujet, on trouvera encore qu’il y a des qualités et des formes susceptibles de plus et de moins, et d’autres qui ne le sont pas. Simplicius (loc. cit.) attribue la cause de cette différence à ce que la substance ne peut par elle- même recevoir le plus et le moins, parce qu’elle est l’être absolu, et que pour ce motif toute forme à laquelle le sujet participe substantiellement n’est pas susceptible d’accroissement et de diminution. C’est ce qui fait que dans le genre de la substance il n’y a rien qu’on désigne par le plus et le moins. Et parce que la quantité se rapproche de la substance, et que la forme et la figure suivent la quantité, il en résulte que sous ce rapport elles ne sont pas susceptibles de plus ou de moins. C’est ce qui fait dire à Aristote (Phys., liv. 7, text. 15), que quand un être reçoit une forme et une figure, on ne dit pas qu’il est altéré, mais plutôt qu’il est fait ou produit. Quant aux autres qualités qui s’éloignent davantage de la substance, et qui sont unies à la passivité et à l’activité (C’est-à-dire dont la participation a lieu par l’entremise de l’action ou de la passion, comme la chaleur et le froid, la science et la santé ; le sujet peut y participer plus ou moins.), elles reçoivent le plus et le moins selon la participation du sujet. — Mais il est possible de donner une explication plus complète de cette différence. Car, comme nous l’avons dit, ce qui détermine l’espèce d’un être, doit être fixe, stable et indivisible. Il peut donc se faire de deux manières que le sujet ne participe pas à la forme selon le plus et le moins : 1° parce que le sujet participe à l’espèce en elle-même ; de là il arrive qu’on ne participe à aucune forme substantielle selon le plus et le moins. C’est pourquoi Aristote dit (Met., liv. 8, text. 10), que comme le nombre n’admet pas le plus et le moins, de même la substance considérée dans son espèce, c’est-à-dire par rapport à la participation de sa forme spécifique. Mais si on la considère avec la matière, c’est-à-dire selon ses dispositions matérielles, on trouve en elle le plus et le moins. 2° La même chose peut arriver parce que l’indivisibilité étant de l’essence de la forme, il est nécessaire que si une chose participe à la forme, elle y participe selon la nature de son indivisibilité. D’où il suit que les espèces des nombres ne sont pas susceptibles de plus et de moins, parce que chacune d’elles est formée par l’unité qui est indivisible. La même raison existe à l’égard des différentes espèces de quantité continue qui se prennent des nombres, comme deux coudées, trois coudées ; pour les relations, comme le double et le triple ; pour les figures, comme le triangle et le tétragone. Aristote donne cette raison (in Prædic. qua­nt.), lorsqu’il se demande pourquoi les figures ne sont pas susceptibles de plus et de moins, et qu’il répond : que tout ce qui admet la définition ou l’essence du triangle ou du cercle est triangle ou cercle de la même façon, parce que l’indivisibilité est de l’essence de ces formes ; par conséquent tous les êtres qui y participent y participent indivisiblement. — Il est donc évident que quand les habitudes et les dispositions sont relatives (Saint Thomas résume ici tout ce qui précède.2), comme le dit Aristote (Phys., liv. 7, text. 17), il peut y avoir en elles augmentation et diminution. Dans un cas elles peuvent aussi en elles-mêmes être susceptibles de plus et de moins, selon qu’on dit que la santé est plus ou moins bonne, la science plus ou moins grande quand elle embrasse plus ou moins d’objets (Ainsi la science de toutes les vérités de l’ordre naturel est plus grande que celle qui n’en renferme qu’une partie.). Enfin il peut en être ainsi selon la participation du sujet. Ainsi la science ou la santé est reçue dans l’un mieux que dans l’autre, selon la diversité d’aptitude qui résulte soit de la nature, soit du travail. Car l’habitude et la disposition ne spécifient pas le sujet qui les possède, et ne sont pas essentiellement indivisibles (Par là même qu’elles ne constituent pas leur sujet dans son espèce, ces formes ne sont pas absolues, et comme elles ne consistent pas dans un point indivisible, elles offrent une certaine latitude. Ainsi on peut avoir plus ou moins de santé, plus ou moins de science.). Nous dirons (quest. 66) d’ailleurs ce qu’il en est d’elles par rapport à la vertu.

 

Article 2 : Les habitudes s’augmentent-elles par l’addition ?

 

          Objection N°1. Il semble que les habitudes s’augmentent par addition. Car le mot d’augmentation, comme nous l’avons dit (art. 1), a été transporté des quantités corporelles aux formes. Or, dans les quantités corporelles il n’y a pas d’augmentation sans addition. C’est ce qui fait dire à Aristote (De Gen., liv. 1, text. 31) que l’augmentation est une addition faite à une grandeur préexistante. Donc dans les habitudes il n’y a pas d’augmentation qui ne se fasse par addition.

          Réponse à l’objection N°1 : On augmente la grandeur des corps de deux manières : 1° en ajoutant un sujet à un autre (C’est-à-dire une matière à une autre matière semblable.), comme on le voit à l’égard de l’accroissement des choses vivantes ; 2° par la seule intensité sans aucune addition, comme il en est des choses qui se raréfient, d’après Aristote (Phys., liv. 4, text. 93).

 

          Objection N°2. L’habitude n’est augmentée que par un agent. Or, tout agent produit quelque chose dans le sujet qui subit son action ; ainsi l’agent qui échauffe produit la chaleur dans le sujet qui est échauffé. Donc il ne peut pas y avoir augmentation sans qu’il n’y ait addition.

          Réponse à l’objection N°2 : La cause qui augmente l’habitude produit toujours quelque chose dans le sujet, mais ce n’est pas une forme nouvelle. Elle fait que le sujet participe plus parfaitement à la forme qui préexiste, ou qu’il prend plus d’extension.

 

          Objection N°3. Comme ce qui n’est pas blanc est en puissance à l’égard de ce qui l’est, de même ce qui est moins blanc est en puissance par rapport à ce qui l’est davantage. Or, ce qui n’est pas blanc ne devient tel qu’en acquérant de la blancheur. Donc ce qui est moins blanc ne devient plus blanc que par suite d’une nouvelle blancheur qui s’y surajoute.

          Réponse à l’objection N°3 : Ce qui n’est pas encore blanc est en puissance par rapport à la forme elle-même, puisqu’il ne l’a pas encore ; c’est pourquoi l’agent produit dans le sujet une forme nouvelle. Mais ce qui est moins chaud ou moins blanc n’est pas en puissance à l’égard de la forme, puisqu’il la possède déjà en acte : mais il est en puissance relativement à la perfection du mode de participation, et c’est ce qui résulte de l’action de l’agent.

 

          Mais c’est le contraire. Aristote dit (Phys., liv. 4, text. 84) : Ce qui est chaud le devient davantage sans qu’on produise dans la matière une chaleur qui n’existait pas quand elle était moins échauffée. Donc pour la même raison il y a augmentation dans les autres formes sans qu’il y ait addition.

 

          Conclusion Les habitudes s’augmentent selon la participation du sujet, c’est-à- dire suivant que le sujet participe plus parfaitement à une forme préexistante, mais elle ne s’augmente pas par l’addition d’une forme à une autre. Cependant on dit quelquefois que la science s’augmente en s’ajoutant à elle-même selon qu’elle s’étend à un plus grand nombre d’objets.

          Il faut répondre que la solution de cette question dépend de ce que nous avons dit précédemment. En effet nous avons vu (art. 1) que l’augmentation et l’affaiblissement des formes susceptibles de plus et de moins provient non pas de la forme considérée en elle-même, mais de la participation même du sujet. C’est pourquoi cette augmentation des habitudes et des autres formes ne résulte pas de ce qu’une forme s’ajoute à une autre, mais de ce que le sujet participe plus ou moins parfaitement à une seule et même forme. Comme un agent qui est en acte rend un objet actuellement chaud en le faisant participer à cette forme sans produire la forme elle-même, ainsi que le démontre Aristote (Met., liv. 7, text. 32), de même l’intensité d’action de l’agent rend l’objet plus chaud en le faisant participer plus parfaitement à cette forme, sans rien ajouter à la forme elle-même (Ainsi le soleil qui nous échauffe à son lever ne fait pas la chaleur, mais il nous fait participer à la chaleur que nous n’avions pas, et quand il arrive à son midi il ne produit pas en nous une chaleur nouvelle, mais il augmente la première.). Car si on admettait dans les formes une augmentation par addition, elle ne pourrait provenir que de la forme elle-même ou du sujet. Si cette addition se rapportait à la forme, nous avons déjà dit (art. préc.) que toute addition ou toute soustraction semblable en changerait l’espèce. Ainsi l’espèce de la couleur change quand on passe du pâle au blanc. Si on la rapportait au sujet elle ne pourrait avoir lieu qu’autant qu’une partie du sujet recevrait une forme qu’auparavant elle n’avait pas, comme si l’on disait que le froid augmente dans un homme qui ne le ressentait d’abord que dans une partie du corps, et qui l’éprouve ensuite en plusieurs endroits. Ou bien il faudrait dire qu’il en est ainsi parce qu’un sujet participant à la même forme s’est adjoint à un autre ; comme si on ajoutait un objet chaud à un autre qui est chaud également, ou un objet blanc à un autre qui l’est aussi. Dans ce cas-là on ne dit pas qu’une chose est plus blanche ou plus chaude, mais plus grande (Il y a augmentation sous le rapport de la quantité, mais la forme reste la même.). Mais comme il y a des accidents qui sont susceptibles d’accroissement en eux-mêmes (Il s’agit ici des formes relatives qui, comme on l’a vu dans l’article précédent, peuvent être accrues en elles-mêmes sans que leur espèce varie.), ainsi que nous l’avons dit (art. préc.), quelques-uns d’entre eux peuvent s’augmenter par addition. En effet le mouvement s’augmente parce qu’un autre mouvement vient s’adjoindre à lui, soit selon le temps où il existe, soit d’après le chemin qu’il parcourt : néanmoins la même espèce subsiste à cause de l’unité du terme. Le mouvement s’accroît pourtant aussi d’après la participation du sujet, en ce sens que le même mouvement peut s’exécuter avec plus ou moins de rapidité ou de promptitude. La science peut s’augmenter de cette manière en s’ajoutant à elle-même. Ainsi quand quelqu’un apprend plusieurs conséquences en géométrie, l’habitude de cette science s’accroît en lui selon l’espèce (Ainsi après avoir appris les premiers livres d’Euclide on devient plus savant si on apprend les autres.). La science augmente aussi dans un individu selon la participation du sujet, c’est-à-dire selon qu’un homme montre plus de facilité et de clarté dans l’étude et l’exposition de ces mêmes conséquences. — A l’égard des habitudes corporelles, il ne semble pas que l’augmentation se fasse par addition. Car on ne dit pas d’une manière absolue qu’un animal est sain ou qu’il est beau, s’il n’est pas réellement tel dans toutes ses parties. Mais pour parvenir au degré le plus parfait, c’est l’effet de la transformation des qualités simples qui ne s’augmentent qu’en raison de la participation plus ou moins complète du sujet. Nous dirons plus loin (quest. 66, art. 2) ce qu’il en est par rapport aux vertus.

 

Article 3 : Tout acte augmente-t-il l’habitude ?

 

          Objection N°1. Il semble que tout acte fortifie l’habitude. Car en multipliant la cause on multiplie l’effet. Or, les actes sont les causes des habitudes, comme nous l’avons dit (quest. 51, art. 2). Donc la multiplication des actes fortifie les habitudes.

 

          Objection N°2. On porte le même jugement sur toutes les choses qui se ressemblent. Or, tous les actes qui procèdent de la même habitude sont semblables, comme le dit Aristote (Eth., liv. 2, chap. 1 et 2). Donc s’il y a des actes qui fortifient les habitudes, tout acte doit les fortifier.

 

          Objection N°3. Le semblable est fortifié par son semblable. Or, tout acte ressemble à l’habitude dont il procède. Donc tout acte fortifie l’habitude.

 

          Mais c’est le contraire. La même chose n’est pas cause des contraires, comme le dit Aristote (Eth., liv. 2, chap. 2). Or, il y a des actes qui procèdent d’une habitude et qui l’affaiblissent, par exemple, quand ils sont faits négligemment. Donc tout acte ne fortifie pas l’habitude.

 

          Conclusion Tout acte, quand il égale en intensité l’habitude et qu’il lui est proportionné, peut augmenter l’habitude et la rendre plus parfaite ; mais il en est autrement s’il manque d’énergie et s’il est fait avec négligence.

          Il faut répondre que les actes semblables produisent des habitudes semblables, comme le dit Aristote (Eth., liv. 2, chap. 1 et 2). Mais la ressemblance et la dissemblance ne se considèrent pas seulement d’après l’identité ou la diversité de la qualité, mais encore selon la différente manière dont on y participe. Car ce n’est pas seulement le noir qui ne ressemble pas au blanc, mais c’est encore ce qui est moins blanc à ce qui l’est davantage, puisqu’en effet il y a un mouvement de l’un à l’autre, comme de l’opposé à l’opposé, selon l’expression d’Aristote (Phys., liv. 5, text. 52). L’usage des habitudes consistant dans la volonté de l’homme, ainsi qu’on le voit d’après ce que nous avons dit (quest. 49, art. 3, et quest. 50, art. 5), comme il arrive que celui qui a une habitude ne s’en sert pas ou produit un acte contraire, de même il peut arriver qu’on fasse usage d’une habitude sans produire un acte dont l’énergie soit proportionnée à l’énergie de l’habitude elle-même. Si donc l’intensité de l’acte est égale proportionnellement à l’intensité de l’habitude ou qu’elle la surpasse, tout acte augmente l’habitude ou prépare son accroissement. Car il en est du développement des habitudes comme du développement des animaux. Tout aliment pris par l’animal ne contribue pas immédiatement à son développement, comme toute goutte d’eau ne creuse pas la pierre ; mais l’accroissement de l’animal résulte de ce qu’on multiplie les aliments, et les habitudes se développent selon qu’on réitère les mêmes actes. Mais si l’intensité de l’acte est proportionnellement inférieure à l’intensité de l’habitude, dans ce cas l’acte affaiblit plutôt qu’il ne fortifie l’habitude.

          Par là la réponse aux objections est évidente.

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.

 

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