Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
1a 2ae = Prima Secundae = 1ère partie de la 2ème Partie
Question 55 :
Des vertus considérées par rapport à leurs essences
Après
avoir parlé des habitudes en général, nous avons maintenant à nous occuper des
habitudes en particulier. Et comme les habitudes, d’après ce que nous avons dit
(quest. préc., art. 3), se distinguent par le bien et le mal, il faut
traiter d’abord des bonnes habitudes qui sont les vertus, et de ce qui les
accompagne, c’est-à-dire des dons, des béatitudes et des fruits ; ensuite des
habitudes mauvaises, c’est-à-dire des vices et des péchés. — A l’égard de la
vertu il y a cinq choses à examiner : 1° son essence ; 2° son sujet ; 3° ses
divisions ; 4° sa cause ; 5° ses propriétés. — Touchant l’essence de la vertu
il y a quatre questions à faire : 1° La vertu humaine est-elle une habitude ? —
2° Est-elle une habitude pratique ? — 3° Est-elle une bonne habitude ? (Dans la
définition de la vertu le mot habitude désigne
le genre prochain et l’adjectif qualificatif désigne la différence.) — 4° De la
définition de la vertu.
Article
1 : La vertu humaine est-elle une habitude ?
Objection
N°1. Il semble que la vertu humaine ne soit pas une habitude. Car la vertu est
le dernier effort de la puissance, comme on le voit (De cælo, liv. 1, text.
116). Or, le dernier effort d’une chose appartient au genre de l’objet qu’elle
perfectionne. Ainsi le point est du genre de la ligne. Donc la vertu
n’appartient pas au genre de l’habitude, mais au genre de la puissance.
Réponse
à l’objection N°1 : Quelquefois on appelle vertu la chose à laquelle la vertu
se rapporte, que ce soit son objet ou son acte. Ainsi on appelle foi tantôt la
chose qu’on croit, tantôt l’acte de la croyance lui-même, et tantôt l’habitude
par laquelle on croit. Par conséquent quand on dit que la vertu est le dernier
effort de la puissance, on entend par là l’objet de la vertu. Car le degré le
plus élevé que puisse atteindre la puissance est ce qu’on appelle la vertu
d’une chose. Par exemple si quelqu'un peut porter cent livres, mais pas
davantage, sa force se considère d’après ces cent livres et non d’après
soixante. Au contraire l’objection supposait que la vertu était essentiellement
le dernier degré de la puissance (Ce qui est faux.).
Objection
N°2. Saint Augustin dit (De lib. arb., liv. 2, chap. 19) que la vertu
est le bon usage du libre arbitre. Or, l’usage du libre arbitre est un acte.
Donc la vertu n’est pas une habitude, mais un acte.
Réponse
à l’objection N°2 : On dit dans le même sens que la vertu est le bon usage du
libre arbitre, parce que c’est à cela que la vertu se rapporte comme à son acte
propre. Car l’acte de la vertu n’est rien autre chose que le bon usage du libre
arbitre.
Objection
N°3. Nous ne méritons pas par les habitudes, mais par les actes ; autrement
l’homme mériterait continuellement, même en dormant. Or, nous méritons par les
vertus. Donc les vertus ne sont pas des habitudes, mais des actes.
Réponse
à l’objection N°3 : Nous prenons le mot mériter en deux sens : 1° nous l’entendons
du mérite de la même manière que le mot courir s’entend de la course ; 2° nous
désignons aussi par là le principe du mérite, comme le mot courir peut se
rapporter à la puissance motrice. C’est dans ce dernier sens que nous disons
qu’on mérite par les vertus et les habitudes (Ainsi l’habitude est le principe
et la racine du mérite.).
Objection
N°4. Saint Augustin dit (De mor. Eccl., liv. 1, chap. 15)
que la vertu est l’ordre de l’amour : et ailleurs (Quæst., liv. 83, quest. 30) que l’ordre qu’on appelle vertu consiste à
jouir de ce qu’on doit jouir et à user de ce qu’on doit user. Or, l’ordre
désigne ou un acte ou une relation. Donc la vertu n’est pas une habitude, mais
un acte ou une relation.
Réponse
à l’objection N°4 : On dit que la vertu est l’ordre de l’amour, en ce sens que
c’est la vertu qui dispose et qui ordonne ce sentiment ; car c’est par la vertu
que l’amour se règle en nous.
Objection
N°5. Comme il y a des vertus humaines, de même il y a aussi des vertus
naturelles. Or, les vertus naturelles ne sont pas des habitudes, mais des
puissances. Donc les vertus humaines n’en sont pas non plus.
Réponse
à l’objection N°5 : Les puissances naturelles sont par elles-mêmes déterminées
à un objet unique, mais qu’il n’en est pas de même des puissances rationnelles,
et c’est pour cela, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.), qu’il
n’y a pas de parité.
Mais
c’est le contraire. Aristote dit (in Prædic. qualit.) que la
science et la vertu sont des habitudes.
Conclusion
La vertu étant une perfection de la puissance par rapport à l’acte, elle est
nécessairement une habitude.
Il
faut répondre que la vertu exprime la perfection de la puissance. Car la
perfection d’un être se considère surtout par rapport à sa fin, et la fin de la
puissance est l’acte. Par conséquent on dit que la puissance est parfaite selon
qu’elle est déterminée à l’acte qui lui est propre. Or, il y a des puissances
qui sont par elles-mêmes déterminées à leurs actes, comme les puissances
naturelles actives (Ainsi les corps graves tendent d’eux-mêmes au centre de la
terre.) : c’est pour ce motif qu’on dit que ces puissances sont par elles-mêmes
des vertus. Mais les puissances
rationnelles qui sont propres à l’homme ne sont pas ainsi déterminées par
rapport à leur objet ; elles sont au contraire indifférentes à l’égard de
plusieurs. Ce qui les détermine à l’acte ce sont les habitudes, comme nous
l’avons vu (quest. 49, art. 3), et c’est ce qui fait dire que les vertus
humaines sont des habitudes.
Article
2 : La vertu humaine est-elle une habitude pratique ?
Objection
N°1. Il semble qu’il ne soit pas de l’essence de la vertu humaine d’être une
habitude pratique. Car Cicéron dit (De Tusc., liv. 4 in
fin.) qu’il en est de la vertu de l’âme comme de la santé et de la beauté du
corps. Or, la santé et la beauté ne sont pas des habitudes pratiques. Donc la
vertu n’en est pas une non plus.
Réponse
à l’objection N°1 : Le mode de l’action suit la disposition de l’agent. Car
tout ce qui est d’une certaine nature produit certains actes. C’est pourquoi
quand la vertu est le principe d’une opération quelconque, il faut qu’il y ait
préalablement dans le sujet qui opère une disposition conforme à cette vertu.
Mais la vertu règle l’action ; c’est pourquoi elle est dans l’âme une disposition
qui a pour effet d’ordonner les puissances d’une certaine manière les unes par
rapport aux autres et relativement à ce qui est en dehors d’elles. C’est pour
ce motif que la vertu, considérée comme une disposition qui convient à l’âme,
ressemble à la santé et à la beauté qui sont les dispositions normales du corps
; mais cela n’empêche pas que la vertu ne soit aussi le principe de l’action.
Objection
N°2. Dans les choses naturelles la vertu ne se rapporte pas seulement à l’action,
mais encore à l’être, comme on le voit par Aristote qui dit (De cælo, liv. 1,
text. 20) qu’il y a des êtres qui ont la vertu
d’exister toujours ; qu’il y en a d’autres qui n’ont pas la vertu d’exister
toujours, mais dans un temps déterminé. Or, ce que la vertu naturelle est par rapport
aux choses naturelles, la vertu humaine l’est par rapport aux êtres
raisonnables. Donc la vertu humaine ne se rapporte pas seulement à l’action,
mais encore à l’être.
Réponse
à l’objection N°2 : La vertu qui se rapporte à l’être n’est pas propre à
l’homme (C’est une vertu naturelle, mais ce n’est pas une vertu morale.), il
n’y a que la vertu qui se rapporte aux actions raisonnables qui lui soit
propre.
Objection
N°3. Aristote dit (Phys., liv. 7, text. 17) que la vertu est la disposition de l’être parlait
par rapport à ce qu’il y a de mieux. Or, la meilleure chose à laquelle l’homme
puisse être disposé par la vertu, c’est Dieu lui-même auquel l’âme est préparée
par la ressemblance qu’elle a avec lui, comme le prouve saint Augustin (De mor. Eccl., liv. 1, chap. 11). Il semble donc que la vertu
soit une qualité de l’âme qui se rapporte à Dieu pour nous rendre semblables à
lui, mais qui ne se rapporte pas à l’action. Donc ce n’est pas une habitude
pratique.
Réponse
à l’objection N°3 : La substance de Dieu étant son action, la meilleure manière
dont l’homme puisse lui ressembler c’est en agissant. Par conséquent, comme
nous l’avons déjà dit (quest. 3, art. 2), la félicité ou la béatitude par
laquelle l’homme se rend surtout semblable à Dieu et qui est la fin de la vie
humaine consiste dans l’action.
Mais
c’est le contraire. Aristote dit (Eth., liv. 2, chap. 6) que la vertu d’une chose est ce qui
rend bonne son action.
Conclusion
La vertu humaine étant la perfection de la puissance par rapport à l’action, il
faut qu’elle soit une habitude pratique.
Il
faut répondre que la vertu, par la nature même du mot, implique une perfection
de la puissance, comme nous l’avons dit (art. préc.).
Par conséquent par là même qu’il y a deux sortes de puissances, l’une qui se rapporte
à l’être et l’autre à l’action, on appelle vertu la perfection de l’une et de
l’autre. Or, la puissance qui se rapporte à l’être provient de la matière qui
est l’être en puissance, et la puissance qui se rapporte à l’acte provient de
la forme qui est le principe de l’action ; parce que tout être agit selon qu’il
est en acte. Dans la constitution de l’homme le corps est comme la matière et
l’âme est comme la forme. Par rapport au corps l’homme se confond avec les
autres animaux, et il en est de même par rapport aux forces qui sont communes à
l’âme et au corps. Il n’y a que les forces qui sont propres à l’âme,
c’est-à-dire les facultés rationnelles, qui n’appartiennent qu’à l’homme. C’est
pourquoi la vertu humaine, dont nous parlons ici, ne peut pas appartenir au
corps, mais seulement à ce qui est propre à l’âme. Ainsi donc la vertu humaine
ne se rapporte pas à l’être, mais plutôt à l’action (Elle ne se rapporte pas à
la matière mais à la forme, et comme le propre de la forme est d’agir, il s’ensuit
que la vertu est une habitude opérative ou agissante.) ; c’est pourquoi il est
dans sa nature d’être une habitude pratique.
Article
3 : La vertu humaine est-elle une bonne habitude ?
Objection
N°1. Il semble qu’il ne soit pas de l’essence de la vertu d’être une bonne
habitude. Car le péché est toujours pris pour le mal. Or, il y a la vertu du
péché, selon ces paroles de l’Apôtre (1 Cor., 15, 58) : La loi est la vertu du péché. Donc la vertu n’est pas toujours une
bonne habitude.
Réponse
à l’objection N°1 : Le bien comme le parfait s’emploie métaphoriquement à
propos de choses mauvaises. Ainsi on dit un parfait brigand ou un bon voleur,
comme on le voit d’après ce qu’on lit dans Aristote (Met., liv. 5, text. 21). On emploie de la
même manière le mot vertu à l’occasion de choses mauvaises. C’est ainsi qu’on
dit que la loi est la vertu du péché,
ce qui signifie qu’elle a été l’occasion de son accroissement et que par elle
il s’est élevé pour ainsi dire à son plus haut point.
Objection
N°2. La vertu répond à la puissance. Or, la puissance se rapporte non seulement
au bien, mais encore au mal, d’après ces paroles du prophète (Is., 5, 22) : Malheur à vous qui êtes puissants à boire et à vous enivrer. Donc
la vertu se rapporte au bien et au mal.
Réponse
à l’objection N°2 : L’ivresse et l’excès de la boisson sont des péchés qui
consistent dans un défaut d’ordre du côté de la raison. Mais il arrive que
quand la raison fait défaut il reste une puissance inférieure qui peut
accomplir parfaitement ce qui est de sa sphère, tout en transgressant ou en
négligeant les lois de la raison. Toutefois on ne peut donner le nom de vertu
humaine à la perfection d’une pareille puissance, puisque la raison ne la
dirige pas (C’est une vertu purement naturelle qui résulte du tempérament.).
Objection
N°3. Suivant l’Apôtre (2 Cor., 12, 19) : La vertu trouve sa perfection dans la faiblesse. Or, la faiblesse
est un mal. Donc la vertu ne se rapporte pas seulement au bien, mais encore au
mal.
Réponse
à l’objection N°3 : La raison se montre d’autant plus parfaite qu’elle peut
mieux vaincre ou supporter les infirmités du corps et des parties inférieures
de l’âme. C’est pour ce motif qu’on dit que la vertu humaine qu’on attribue à
la raison trouve son perfectionnement dans la faiblesse, ce qui ne s’entend pas
de la faiblesse de la raison, mais de la faiblesse du corps et des parties
inférieures (Parce que la raison a plus aisé alors de les dompter et de les
tenir soumises.).
Mais
c’est le contraire. Saint Augustin dit (De
mor. Eccl., liv. 2,
chap. 6) : Personne ne mettra en doute que la vertu ne rende l’âme meilleure.
Et d’après Aristote (Eth., liv. 2, chap. 6) la vertu rend bon
celui qui la possède et rend ses actions méritoires.
Conclusion
La vertu humaine étant une habitude pratique, puisqu’elle dispose l’homme à
parvenir à son plus haut degré de perfection, elle est nécessairement une bonne
habitude qui opère le bien.
Il
faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. 1), la vertu implique la
perfection de la puissance. Par conséquent la vertu d’une chose est déterminée
par le degré le plus élevé auquel elle puisse atteindre, comme le dit Aristote
(De cælo,
liv. 1, text. 116). Or, le terme le plus élevé auquel
une puissance puisse atteindre, c’est le bien. Car tout mal implique un défaut.
C’est ce qui fait dire à saint Denis (De
div. nom.,
chap. 4) que tout mal est une infirmité. Il faut donc par là même que la vertu
d’une chose se rapporte au bien, et que conséquemment la vertu humaine, qui est
une habitude pratique, soit une bonne habitude et qu’elle opère le bien.
Article
4 : La vertu est-elle convenablement définie ?
Objection
N°1. Il semble qu’il ne soit pas convenable de définir la vertu comme on le
fait ordinairement en disant : La vertu
est une bonne qualité de l’esprit d’après laquelle on vit avec droiture, dont
personne ne fait un mauvais usage et que Dieu produit dans notre âme sans nous.
Car la vertu est la bonté de l’homme, puisqu’elle rend bon celui qui la
possède. Or, on ne peut pas plus dire que la bonté est bonne, qu’on ne peut
dire que la blancheur est blanche. Donc c’est à tort qu’on dit que la vertu est
une bonne qualité.
Réponse
à l’objection N°1 : Ce que l’intellect perçoit tout d’abord c’est l’être ; de
là toutes les fois que nous percevons un objet nous disons que c’est un être, que par conséquent il est un, et qu’il est bon, ce qui revient toujours à l’être. Ainsi nous disons que
l’essence est l’être, qu’elle est une et bonne, que l’unité est l’être, qu’elle
est une et bonne, et nous parlons de même de la bonté. Mais il n’en est pas ainsi
des formes spéciales, comme la blancheur et la santé ; car tout ce que nous
percevons nous ne le percevons pas avec ce double caractère. Cependant il est à
remarquer que comme les accidents et les formes non subsistantes reçoivent le
nom d’êtres, non parce qu’elles ont l’être, mais parce qu’il y a quelque chose
qui existe par elles, ainsi on dit que ces mêmes accidents sont bons ou qu’ils
sont un, non par suite d’une bonté ou d’une unité étrangère, mais parce qu’il y
a quelque chose qui est bon et qui est un par eux. On dit donc que la vertu est
bonne parce que par elle on opère quelque chose de bon.
Objection
N°2. La différence ne doit pas être plus générale que le genre puisqu’elle le
divise. Or, le bien est plus général que la qualité ; car il est identique avec
l’être. Donc le bien ne doit pas
entrer dans la définition de la vertu, comme la différence de la qualité.
Réponse
à l’objection N°2 : Le bien qui entre dans la définition de la vertu n’est pas
le bien général qui se confond avec l’être et qui a plus d’extension que la
qualité ; mais c’est le bien rationnel, selon cette expression de saint Denis (De div. nom., chap. 4) qui dit que le bien de
l’âme est conforme à la raison.
Objection
N°3. Saint Augustin dit (De Trin.,
liv. 12, chap. 3) : Dès que nous rencontrons une chose qui ne nous est pas
commune avec les animaux, elle appartient à l’esprit. Or, il y. a des vertus
qui appartiennent aux parties de l’âme qui sont dépourvues de raison, comme le
dit Aristote (Eth., liv. 3, chap. 10). Donc toute vertu
n’est pas une bonne qualité de l’esprit.
Réponse
à l’objection N°3 : La vertu ne peut exister dans la partie irrationnelle de
l’âme qu’autant que celle-ci participe à la raison, comme le dit Aristote (Eth., liv. 1, chap. ult.). C’est pourquoi
la raison ou l’esprit est le sujet propre de la vertu humaine.
Objection
N°4. La droiture semble appartenir à la justice ; c’est ce qui fait qu’on dit
des mêmes individus qu’ils sont droits et justes. Or, la justice est une espèce
de vertu. C’est donc à tort qu’on fait entrer l’idée de droiture dans la définition de la vertu.
Réponse
à l’objection N°4 : La justice est la rectitude propre qui a pour objet les
choses extérieures dont les hommes font usage et qui sont la matière propre de
cette vertu morale, comme on le verra (quest. 60, art. 3, et 2a 2æ,
quest. 67, art. 1-2). Mais la rectitude qui se rapporte à la fin légitime de
l’homme et à la loi divine qui est la règle de sa volonté, comme nous l’avons
dit (quest. 19, art. 4), est commune à toutes les vertus.
Objection
N°5. Celui qui s’enorgueillit d’une chose en fait mauvais usage. Or, un grand
nombre s’enorgueillissent de leur vertu. Car saint
Augustin dit (in Reg. 3) que
l’orgueil est un piège tendu aux bonnes actions pour les l’aire périr. Il est
donc faux que personne ne fasse mauvais
usage de la vertu.
Réponse
à l’objection N°5 : On peut faire mauvais usage de la vertu prise objectivement
; par exemple quand on pense mal de la vertu, qu’on la hait ou qu’on s’en
enorgueillit : mais l’usage de la vertu ne peut être vicieux dans son principe,
c’est-à-dire qu’un acte de vertu ne peut pas être un mauvais acte.
Objection
N°6. L’homme est justifié par la vertu. Saint Augustin dit (Serm. 15, de Verb.
apost.,
chap. 11) : Celui qui t’a créé sans toi ne te justifiera pas sans toi. C’est
donc à tort qu’on dit que Dieu produit la
vertu dans nos âmes sans nous.
Réponse
à l’objection N°6 : La vertu infuse est produite en nous par Dieu sans que nous
agissions, mais non sans que nous y consentions, et c’est le sens qu’il faut
donner à ces paroles : que Dieu opère en
nous sans nous. Mais les choses que nous faisons, Dieu ne les produit pas
en nous sans que nous agissions : car il opère lui-même dans toutes les
volontés et toutes les natures.
Mais
c’est le contraire. La définition précédente est tirée de saint Augustin qui la
rapporte en plusieurs endroits, mais surtout dans son livre sur le libre
arbitre (De lib. arb.,
liv. 2, chap. 19 ; Cont. Jul., liv. 4, chap. 3, et Sup. illud Psal.
118, Feci judicium,
etc., conc. 26, ant. med.).
Conclusion
La vertu est une bonne qualité ou une bonne habitude de l’esprit par laquelle
on vit droitement, dont personne ne fait un mauvais usage et que Dieu produit
dans nos âmes sans nous.
Il
faut répondre que cette définition embrasse parfaitement toute la nature ou
toute l’essence de la vertu. Car la nature parfaite d’une chose résulte de
toutes ses causes, et la définition que nous venons de donner renferme toutes
les causes de la vertu. En effet la cause formelle de la vertu comme de toutes
choses se prend du genre et de la différence, et c’est ce qu’expriment ces mots
: bonne qualité. Le mot qualité exprime le genre de la vertu et
le mot bonne
la différence. La définition serait cependant meilleure si on mettait à la
place du mot qualité le mot habitude qui est le genre prochain. La
vertu pas plus que les autres accidents n’a de matière (ex quâ) dont elle est composée ; mais
elle a une matière (circà quam) à
laquelle elle se rapporte et une matière (in
quâ) dans laquelle elle existe, c’est-à-dire un
sujet. La matière à laquelle elle se rapporte est son objet ; il n’a pas pu
entrer dans sa définition parce que l’objet est ce qui détermine l’espèce même
de la vertu, et la définition qu’on donne ici est celle de la vertu en général.
C’est pourquoi au lieu de la cause matérielle on désigne le sujet en disant que
c’est une bonne qualité de l’esprit (Sous
le nom d’esprit on comprend ici en
général toutes les puissances raisonnables, l’intellect et la volonté et
l’appétit sensitif lui-même, selon qu’il est mû par la raison, comme on le
verra d’ailleurs dans la question suivante.). La vertu étant une bonne habitude
pratique, sa fin est l’action même. Mais il est à remarquer que parmi les
habitudes pratiques il y en a qui sont toujours portées au mal ; ce sont les
habitudes vicieuses : d’autres sont portées tantôt au bien et tantôt au mal,
comme l’opinion qui est tantôt vraie et tantôt fausse. Mais la vertu est une
habitude qui se rapporte toujours au bien ; c’est pourquoi pour la distinguer de
celles qui se portent au mal on dit : par
laquelle on vit avec droiture. Et pour qu’on ne la confonde pas avec celles
qui se portent tantôt au bien et tantôt au mal (Comme l’opinion, par exemple,
qui est tantôt dans le vrai et tantôt dans l’erreur.), on ajoute : dont personne ne fait mauvais usage. La
cause efficiente de la vertu infuse dont on donne la définition étant Dieu, on
dit : que Dieu la produit dans nos âmes
sans nous. Si on retranche ce dernier membre de phrase le reste de la
définition devient commun à toutes les vertus acquises et infuses.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
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