Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
1a 2ae = Prima Secundae = 1ère partie de la 2ème Partie
Question 66 :
De l’égalité des vertus
Nous
avons maintenant à nous occuper de l’égalité des vertus. — A cet égard six
questions se présentent : 1° La vertu peut-elle être plus ou moins grande ? —
2° Toutes les vertus qui existent simultanément dans le même sujet sont-elles
égales ? (L’Ecriture suppose qu’il y a égalité (1
Rois, 2, 26) : Samuel s’avançait et
croissait, et il plaisait à Dieu et aux hommes. (Luc, 1,
80) : L’enfant croissait et se fortifiait en esprit.) — 3° De la comparaison
des vertus morales avec les vertus intellectuelles. — 4° De la comparaison des
vertus morales entre elles. — 5° De la comparaison des vertus intellectuelles
entre elles. — 6° De la comparaison des vertus théologales entre elles.
Article
1 : La vertu peut-elle être plus ou moins grande ?
Objection
N°1. Il semble que la vertu ne puisse pas être plus ou moins grande. Car il est
écrit (Apoc., chap. 21) que les côtés de la cité de Jérusalem sont égaux, et par là on désigne
les vertus, comme le dit la glose (ord.
ex Nic. de Lyr.). Donc
toutes les vertus sont égales, et par conséquent une vertu ne peut pas être
plus grande qu’une autre.
Réponse
à l’objection N°1 : Cette égalité ne doit pas seulement s’entendre d’une
quantité absolue, mais encore d’une quantité proportionnelle, parce que toutes
les vertus croissent dans l’homme proportionnellement, comme nous le verrons
(art. suiv.).
Objection
N°2. Toute chose dont l’essence consiste en ce qu’il y a de plus grand ne peut
être ni plus ni moins grande. Or, l’essence de la vertu consiste en ce qu’il y
a de plus grand, puisque la vertu est le dernier degré de la puissance, comme
le dit Aristote (De cælo,
liv. 1, text. 116). Et saint Augustin enseigne (De lib. arb.,
liv. 2, chap. 19) que les vertus sont les biens les plus grands dont personne
ne peut faire mauvais usage. Il semble donc que la vertu ne puisse être ni plus
ni moins grande.
Réponse
à l’objection N°2 : Cet extrême qui appartient à la vertu peut être susceptible
de plus ou de moins de perfection selon les modes que nous venons de
déterminer, puisque cet extrême n’est pas indivisible, ainsi que nous l’avons
dit (dans le corps de l’article.).
Objection
N°3. La valeur de l’effet se mesure d’après la vertu de l’agent. Or, les vertus
parfaites qui sont les vertus infuses proviennent de Dieu dont la vertu est
uniforme et infinie. Il semble donc qu’une vertu ne puisse pas être plus grande
qu’une autre.
Réponse
à l’objection N°3 : Dieu à l’égard des vertus n’opère pas nécessairement (Il
est complètement libre dans la dispensation de ses dons.), comme dans l’ordre
de la nature, mais il agit conformément à l’ordre de sa sagesse d’après
laquelle il accorde aux hommes différente mesure de vertu, suivant ces paroles
de l’Apôtre (Eph., 4, 7) : La grâce a été donnée à chacun de nous, selon la mesure du don de
Jésus-Christ.
Mais
c’est le contraire. Partout où il y a accroissement et surabondance, il peut y
avoir inégalité. Or, il y a dans les vertus surabondance et accroissement. Car
il est écrit (Matth., 5, 20) : Si votre justice n’est pas plus pleine et plus parfaite que celle des
Scribes et des Pharisiens, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux.
Et ailleurs (Prov., 15, 5) : La justice abondante est la plus grande
vertu. Il semble donc que la vertu puisse être plus ou moins grande.
Conclusion
Dans les vertus de différente espèce l’une est plus grande et plus excellente
qu’une autre ; mais on ne peut pas dire que la vertu de la même espèce soit en
elle-même plus ou moins grande ; cependant quand on la considère par rapport au
sujet, on dit qu’elle est plus ou moins grande, soit qu’on la voie dans le même
individu en des temps divers, soit qu’on la regarde dans des hommes différents
dont l’un est mieux disposé que l’autre.
Il
faut répondre que quand on demande si une vertu peut être plus grande qu’une
autre, la question peut s’entendre en deux sens : 1° Il peut s’agir des vertus
qui sont d’espèce différente. En ce cas il est évident qu’une vertu est plus
grande qu’une autre. Car la cause l’emporte toujours sur son effet, et parmi
les effets ils sont d’autant plus remarquables qu’ils se rapprochent davantage
de leur cause. Or, il est manifeste d’après ce que nous avons dit (quest. 61,
art. 2) que la cause et la racine du bien que l’homme peut faire est la raison.
C’est pourquoi la prudence qui perfectionne la raison l’emporte en bonté sur
les autres vertus morales qui perfectionnent la puissance appétitive, selon
qu’elle participe à la raison. Et parmi ces dernières vertus l’une est d’autant
meilleure que l’autre, suivant qu’elle approche davantage de la raison. Par conséquent
la justice qui réside dans la volonté l’emporte sur les autres vertus morales,
et la force qui réside dans l’irascible (L’irascible se rapporte à la raison
plus directement que le concupiscible, parce que l’homme ne s’irrite que pour
obtenir une juste satisfaction, et la raison a plus de part dans son acte que
dans l’acte du concupiscible. Ou bien, d’après saint Thomas lui-même (art. 4),
la force perfectionne l’appétit relativement à ce qui regarde immédiatement la
vie et la mort, tandis que la tempérance qui a pour objet les plaisirs de la table
et des sens ne se rapporte à la conservation de l’individu que médiatement.) l’emporte sur la tempérance qui réside dans le concupiscible
et qui participe moins de la raison, comme on le voit (Eth., liv. 7, chap. 6). 2° Il
peut s’agir d’une vertu de même espèce. Alors, d’après ce que nous avons dit
(quest. 52, art. 1) quand il était question de l’intensité des habitudes, la
vertu peut être dite plus ou moins grande de deux manières : 1° en elle-même ;
2° relativement au sujet qui y participe. Quand on la considère en elle-même,
sa grandeur ou sa faiblesse se juge d’après les objets auxquels elle se
rapporte. Or, quiconque a une vertu, par exemple, la tempérance, il la possède
par rapport à tous les objets auxquels elle s’étend (Autrement il ne serait pas
vraiment tempérant ; il ne le serait que pour certaines choses.) ; ce qui n’a
pas lieu pour la science et l’art. Car quiconque est grammairien ne sait pas
tout ce qui concerne la grammaire. En ce sens les stoïciens ont eu raison de
dire, comme l’observe Simplicius (Un des commentateurs les plus célèbres
d’Aristote.) (in Præd. qualit.), que la vertu n’est pas susceptible de plus et
de moins, comme la science et l’art, parce que son essence consiste en ce qu’il
y a de plus grand. Mais si on considère la vertu par rapport au sujet qui y
participe, alors il arrive qu’elle est plus ou moins grande, soit qu’on la
considère dans le même sujet à des époques différentes, soit qu’on la regarde
dans divers individus ; parce que pour atteindre le milieu de la vertu qui est
conforme à la droite raison l’un est mieux disposé qu’un autre, parce qu’il est
plus exercé, ou parce qu’il a naturellement une disposition meilleure, ou parce
que le jugement de sa raison est plus pénétrant, ou parce qu’il a reçu avec
plus d’abondance le don de la grâce (Ainsi d’après saint Thomas il y a quatre
causes qui peuvent ajouter à l’intensité de nos habitudes et par suite à
l’énergie de nos actes.) qui est accordé à chacun selon la mesure que le Christ détermine, comme le dit saint Paul (Eph., 4, 7). Sous ce rapport les stoïciens
étaient dans l’erreur quand ils pensaient qu’on ne devait appeler aucun homme
vertueux, s’il n’avait les dispositions les plus parfaites pour la vertu. Car
il n’est pas nécessaire pour l’essence de la vertu qu’on arrive à ce juste
milieu qui existe dans un point indivisible, comme le pensaient les stoïciens,
mais il suffit qu’on s’en approche, comme l’observe Aristote (Eth., liv. 2,
chap. 6). Ce point indivisible est atteint plus facilement et de plus près par
l’un que par l’autre, comme on le voit à l’égard des chasseurs qui dirigent
leurs flèches vers un but déterminé.
Article
2 : Toutes les vertus qui existent simultanément dans le même sujet sont-elles
égales ?
Objection
N°1. Il semble que toutes les vertus qui sont dans le même sujet n’y soient pas
également intenses. Car l’Apôtre dit (1 Cor., 7, 7) : Chacun a son don particulier selon qu’il le reçoit de Dieu, l’un d’une
manière et l’autre d’une autre. Or, un don ne serait pas plus propre à l’un
qu’à l’autre si celui qui a reçu de Dieu les vertus infuses les possédait
toutes également. Il semble donc que toutes les vertus qui sont dans le même
sujet ne soient pas égales.
Réponse
à l’objection N°1 : La parole de l’Apôtre peut s’entendre des dons de la grâce
gratuitement donnée (gratis data),
qui ne sont pas communs à tous les hommes, et qui ne sont pas égaux dans le
même individu. — Ou bien on peut dire que ces paroles se rapportent à la mesure
de la grâce sanctifiante d’après laquelle l’un reçoit toutes les vertus avec
plus d’abondance qu’un autre, parce qu’il possède plus abondamment la prudence
ou la charité dans laquelle sont unies toutes les vertus infuses.
Objection
N°2. Si toutes les vertus étaient également intenses dans le même sujet il
s’ensuivrait que quiconque surpasserait quelqu’un dans une vertu le surpasserait
dans toutes les autres. Mais cela est évidemment faux ; car on loue les divers
saints spécialement pour différentes vertus. Ainsi Abraham est loué pour sa
foi, Moïse pour sa douceur et Job pour sa patience. Et à l’égard de chaque
confesseur l’Eglise chante : Il ne s’en
est point trouvé de semblable à lui pour conserver la loi du Très-Haut ;
parce qu’il a eu la prérogative de cette vertu. Donc toutes les vertus ne sont
pas égales dans le même sujet.
Réponse
à l’objection N°2 : On loue principalement un saint pour une vertu et un autre
saint pour une autre, parce qu’ils avaient plus d’aisance à produire les actes
d’une vertu que ceux d’une autre (Les actes de ces vertus ont été aussi plus
nombreux dans leur vie, et on en a été tout particulièrement frappé.).
Objection
N°3. Plus l’habitude est intense et plus l’homme fait avec plaisir et facilité
les œuvres qui s’y rapportent. Or, l’expérience démontre qu’un homme fait plus
agréablement et plus facilement l’acte d’une vertu que l’acte d’une autre. Donc
toutes les vertus ne sont pas égales dans le même sujet.
Mais
c’est le contraire. Saint Augustin dit (De
Trin., liv. 6, chap. 4) : Tous ceux qui sont égaux en force le sont aussi
en prudence et en tempérance, et ainsi des autres vertus. Or, il n’en serait
pas ainsi si toutes les vertus du même homme n’étaient pas égales. Donc elles
le sont.
Conclusion
Toutes les vertus qui existent simultanément dans le même sujet considérées par
rapport à sa participation doivent être regardées comme égales d’une égalité de
proportion en ce sens qu’elles se développent toutes dans l’homme
proportionnellement ; mais si on les considère par rapport à la nature de
l’espèce, il n’est pas douteux que l’une ne soit plus grande que l’autre.
Il
faut répondre que la grandeur des vertus, comme on le voit (art. préc.), peut se considérer de deux manières. 1° Par rapport
à l’espèce. En ce sens il n’est pas douteux que dans le même homme une vertu ne
soit plus grande qu’une autre, par exemple que la charité ne soit plus grande
que la foi et l’espérance. 2° On peut la considérer par rapport à la
participation du sujet, c’est-à-dire selon qu’elle est plus ou moins grande
dans celui qui la possède. De cette manière toutes les vertus du même homme
sont égales d’une certaine égalité de proportion (L’égalité est absolue entre
deux choses de même dimension : deux lignes de trois mètres sont ainsi égales
entre elles. Elle est proportionnelle quand elle repose sur un rapport. C’est
ainsi que 4 est à 12 ce que 3 est à 9. Il y a égalité parce que 4 est le tiers
de 12 comme 5 est le tiers de 9.), c’est-à-dire qu’elles se développent également
dans l’homme, comme les doigts de la main qui étant d’une grandeur inégale sont
cependant égaux proportionnellement, puisqu’ils grandissent de la sorte. Or, on
doit expliquer cette égalité de la même manière que nous avons expliqué l’union des vertus entre elles. Car l’égalité est
la connexion des vertus considérée par rapport à leur développement. Or, nous
avons dit (quest. 65, art. 1) qu’on peut donner de cette connexion deux sortes
de raison. La première est en rapport avec la pensée de ceux qui considèrent
les quatre vertus cardinales comme des conditions générales communes à toutes
les vertus dont l’une se rencontre simultanément avec les autres en toute
matière. Dans ce cas on ne peut dire la vertu égale qu’autant qu’elle possède également toutes ces conditions générales. C’est la
raison que donne saint Augustin quand il dit (De Trin., liv. 6, chap. 4) : Si vous dites que ces hommes sont
égaux en force, mais que l’un l’emporte sur l’autre en prudence, il s’ensuit
que la force du premier est moins prudente que celle du second, et que par là
même ils ne sont pas égaux en force, puisque la force du dernier est plus
prudente : vous trouverez qu’il en est de même des autres vertus si vous les
parcourez toutes au même point de vue. — La seconde raison que nous avons
donnée de la connexion des vertus se trouve en rapport avec le sentiment de
ceux qui croient que les vertus cardinales ont des matières déterminées.
D’après cette théorie la raison de l’union des vertus morales se tire de la
prudence et de la charité relativement aux vertus infuses, mais non de
l’inclination qui se considère dans le sujet, comme nous l’avons dit (quest. 65,
art. 1 et 2). Ainsi donc la raison de l’égalité des vertus peut se considérer
du côté de la prudence par rapport à ce qu’il y a de formel dans toutes les
vertus morales. Car du moment où cette raison est parfaitement égale dans un
même individu, il faut que le milieu se trouve établi proportionnellement à
cette droite raison dans toute matière qui est l’objet des vertus. Mais par
rapport à ce qu’il y a de matériel dans les vertus morales, c’est-à-dire à
l’égard de l’inclination que nous avons à produire les actes d’une vertu, un
homme peut être plus apte à produire les actes d’une vertu que ceux d’une
autre, soit par nature, soit par habitude, soit aussi par l’effet du don de la
grâce (Les quatre causes que saint Thomas a indiquées dans l’article précédent
comme influant sur le développement de nos habitudes, retrouvent ici leur
application.).
La
réponse à la troisième objection est par là même évidente.
Article
3 : Les vertus morales l’emportent-elles sur les vertus intellectuelles ?
Objection
N°1. Il semble que les vertus morales l’emportent sur les vertus intellectuelles.
Car ce qui est plus nécessaire et plus stable est meilleur. Or, les vertus
morales sont plus stables que les sciences qui sont des vertus intellectuelles,
et sont aussi plus nécessaires à la vie humaine. Donc elles sont préférables
aux vertus intellectuelles.
Réponse
à l’objection N°1 : Les vertus morales sont plus stables que les vertus
intellectuelles, parce qu’on en fait usage dans ce qui a rapport aux
circonstances ordinaires de la vie. Mais il est évident que les objets des
sciences qui sont nécessaires et qui existent toujours de la même manière, sont
plus stables que les objets des vertus morales qui comprennent les choses
particulières que nous devons faire. Si les vertus morales sont plus
nécessaires à la vie humaine, cela ne prouve pas qu’elles soient plus nobles
absolument, mais relativement. Au contraire de ce que les vertus
intellectuelles spéculatives ne se rapportent pas à autre chose, comme l’utile
se rapporte à une fin, il en résulte qu’elles sont plus nobles. Car il en est
ainsi parce qu’elles commencent en quelque sorte notre béatitude qui consiste
dans la connaissance de la vérité, comme nous l’avons dit (quest. 3, art. 6).
Objection
N°2. Il est de l’essence de la vertu de rendre bon celui qui la possède. Or,
c’est d’après ses vertus morales qu’on dit que l’homme est bon, mais non
d’après ses vertus intellectuelles, à l’exception seule de la prudence. Donc la
vertu morale vaut mieux que la vertu intellectuelle.
Réponse
à l’objection N°2 : D’après ses vertus morales on dit de l’homme qu’il est bon
absolument, mais on ne le dit pas d’après ses vertus intellectuelles, par la
raison que l’appétit met les autres puissances en mouvement pour qu’elles
agissent, comme nous l’avons dit (quest. 9, art. 1 et quest. 56, art. 3). Par
conséquent ceci ne prouve qu’une chose, c’est que la
vertu morale vaut mieux relativement.
Objection
N°3. La fin est plus noble que les moyens. Or, comme le dit Aristote (Eth., liv. 6,
chap. 12), la vertu morale rend droite l’intention relativement à la fin, et la
prudence règle le choix des moyens. Donc la vertu morale est plus noble que la
prudence qui est une vertu intellectuelle ayant pour objet les choses morales.
Réponse
à l’objection N°3 : La prudence dirige non seulement les vertus morales pour le
choix des moyens, mais encore pour la détermination de la fin. Car la fin de
chaque vertu morale consiste à atteindre le milieu dans la matière qui lui est
propre (Dans les passions ou les opérations.), et c’est en effet à la raison
droite de la prudence à le déterminer, comme le dit Aristote (Eth., liv. 2,
chap. 6, et Eth., liv. 6, chap. ult.).
Mais
c’est le contraire. La vertu morale consiste dans ce qui est raisonnable par
participation, tandis que la vertu intellectuelle consiste dans ce qui est
raisonnable par essence, comme le dit Aristote (Eth., liv. 1, chap. ult.). Or, ce
qui est raisonnable par essence est plus noble que ce qui est raisonnable par
participation. Donc la vertu intellectuelle est plus noble que la vertu morale.
Conclusion
Quoique l’essence de la vertu consiste plutôt dans les habitudes morales que
dans les habitudes intellectuelles, cependant les vertus intellectuelles qui
perfectionnent la raison sont des habitudes absolument plus nobles que les
vertus morales qui perfectionnent l’appétit ; parce que l’objet de la raison
est plus noble que celui de l’appétit.
Il
faut répondre qu’on peut dire d’une chose qu’elle est plus ou moins grande de
deux manières : 1° d’une manière absolue ; 2° d’une manière relative. Car rien
n’empêche qu’une chose ne soit meilleure absolument sans l’être relativement.
Ainsi la philosophie vaut absolument mieux que les richesses, mais elle est
moins utile relativement, c’est-à-dire pour le cas où l’on est dans la
nécessité. Or, on considère une chose absolument quand on la considère selon la
nature propre de son espèce ; et la vertu tire son espèce de son objet, comme
on le voit d’après ce que nous avons dit (quest. 54, art. 2 et quest. 60, art.
1). Par conséquent absolument parlant la vertu la plus noble est celle qui a le
plus noble objet. L’objet de la raison est évidemment plus noble que l’objet de
l’appétit. Car la raison perçoit les choses en général, tandis que l’appétit se
porte vers celles qui sont particulières. Les vertus intellectuelles qui
perfectionnent la raison sont donc, absolument parlant,
plus nobles que les vertus morales qui perfectionnent l’appétit. — Mais si on
considère la vertu par rapport à l’acte, alors la vertu morale qui perfectionne
l’appétit et qui a pour fonction de faire agir les autres puissances, comme
nous l’avons dit (quest. 9, art. 1), est la plus
noble. Et comme on donne le nom de vertu à ce qui est le principe d’un acte,
parce qu’il est la perfection d’une puissance, il s’ensuit que l’idée de vertu
convient plutôt aux vertus morales (Les vertus intellectuelles sont des vertus
imparfaites, parce qu’elles ne nous donnent que la faculté de bien agir, tandis
que les verts morales nous portent à faire bon usage de toutes nos ressources
puisqu’elles impliquent la droiture de la volonté.) qu’aux vertus
intellectuelles ; quoique les vertus intellectuelles soient absolument parlant
des habitudes plus nobles.
Article
4 : La justice est-elle la principale des vertus morales ?
Objection
N°1. Il semble que la justice ne soit pas la principale des vertus morales. Car
c’est une plus grande chose de donner du sien à quelqu’un que de rendre à un
individu ce qu’on lui doit. Or, le premier acte appartient à la libéralité et
le second à la justice. Il semble donc que la libéralité soit une vertu plus
grande que la justice.
Réponse
à l’objection N°1 : L’acte de libéralité doit être fondé sur un acte de
justice. Car on ne ferait pas un acte de libéralité si on ne donnait pas du
sien, comme le dit Aristote (Polit.,
liv. 2, chap. 1). Par conséquent la libéralité ne pourrait exister sans la
justice qui distingue ce qui nous appartient de ce qui ne nous appartient pas.
Mais la justice peut exister sans la libéralité ; elle est donc absolument plus
grande qu’elle, parce qu’elle est plus générale et que d’ailleurs elle lui sert
de fondement. Toutefois la libéralité est relativement plus grande, puisqu’elle
est l’ornement de la justice et son supplément.
Objection
N°2. Ce qu’il y a de plus parfait en soi semble être ce qu’il y a de plus grand
dans chaque chose. Or, d’après l’apôtre saint Jacques (1, 4) : La patience produit une œuvre parfaite. Il
semble donc que la patience soit plus grande que la justice.
Réponse
à l’objection N°2 : On dit que la patience produit une œuvre parfaite en
supportant les maux par rapport auxquels elle exclut non seulement l’injuste
vengeance qu’exclut aussi la justice ; non seulement la haine, ce que fait la
charité ; non seulement la colère, ce que produit la douceur ; mais encore la
tristesse déréglée, qui est la racine de tous les vices que nous venons
d’énumérer. C’est pourquoi, sous un rapport, elle est plus grande et plus
parfaite, parce qu’elle coupe le mal dans sa racine. Mais elle n’est pas
absolument plus parfaite que toutes les autres vertus, parce que la force non
seulement supporte les peines sans trouble, ce qui est l’effet de la patience,
mais encore elle se mêle à elles toutes les fois qu’il le faut. De là celui qui
est fort est patient, mais non réciproquement. Ainsi la patience est une partie
de la force.
Objection
N°3. La magnanimité produit ce qu’il y a de grand dans
toutes les vertus comme le dit Aristote (Eth., liv. 4, chap. 3). Donc elle
grandit aussi la justice elle-même, et par conséquent elle est plus grande
qu’elle.
Réponse
à l’objection N°3 : La magnanimité n’est pas possible sans d’autres vertus qui
existent préalablement, comme le dit Aristote (Eth., liv. 4, chap. 3). Ainsi
elle est par rapport à elles comme leur ornement, par conséquent elle est
relativement plus grande que toutes les autres, mais elle ne l’est pas
absolument.
Mais
c’est le contraire. Aristote dit (Eth., liv. 5, chap. 1) que la justice est la plus noble des
vertus.
Conclusion
La justice étant de toutes les vertus morales celle qui approche le plus de la
raison parce qu’elle réside dans la volonté et qu’elle règle l’homme non
seulement en lui-même, mais encore par rapport à autrui, elle est la plus
excellente de ces vertus et après elle viennent la force et la tempérance.
Il
faut répondre qu’on peut dire d’une vertu qu’elle est plus ou moins grande dans
son espèce, d’une manière absolue ou d’une manière relative. On dit absolument
qu’elle est plus grande quand le bien que la raison approuve brille en elle
avec plus d’éclat, comme nous l’avons dit (art. 1). A ce prix la justice
l’emporte sur toutes les vertus morales, comme étant plus rapprochée de la
raison, ce qui est évident par rapport au sujet et par rapport à l’objet. Par rapport
au sujet ; car la justice réside subjectivement dans la volonté, et la volonté
est l’appétit rationnel (Les autres vertus, telles que la force et la
tempérance, résident au contraire dans l’appétit sensitif.), comme on le voit
d’après ce que nous avons dit (1a pars, quest. 80). Par rapport à
l’objet ou la matière, parce que la justice se rapporte aux opérations qui
règlent l’homme non seulement en lui-même, mais encore à l’égard des autres (La
force et la tempérance ne s’occupent que de notre intérêt particulier.). C’est
ce qui fait dire à Aristote (Eth., liv. 5,
chap. 1) que la justice est la plus noble des vertus. — Mais parmi les autres
vertus morales qui se rapportent aux passions, le bien que la raison approuve
brille d’autant plus dans chacune d’elles que le mouvement de l’appétit est
soumis à la raison dans un but plus élevé. Or, ce qu’il y a de plus élevé dans
les choses qui concernent l’homme, c’est la vie de laquelle tout le reste dépend.
C’est pourquoi la force qui soumet le mouvement appétitif à la raison
relativement à ce qui regarde la vie et la mort tient le premier rang parmi les
vertus qui ont pour objet les passions. Cependant elle doit être placée après
la justice. C’est ce qui fait dire à Aristote (Rhet., liv. 1, chap. 9) que les
vertus les plus grandes doivent être nécessairement celles qu’on honore le
plus, puisque la vertu est une puissance bienfaisante ; et que pour ce motif on
honore surtout les hommes justes et courageux ; car le courage ou la force est
utile à la guerre, et la justice l’est à la guerre aussi bien qu’à la paix. —
Après la force il faut placer la tempérance, qui soumet l’appétit à la raison
relativement aux choses qui se rapportent immédiatement à la vie, soit qu’il
s’agisse de la conservation de l’individu, soit qu’il s’agisse de l’espèce,
c’est-à-dire à l’égard des aliments et des jouissances charnelles. Ainsi ces
trois vertus sont considérées avec la prudence comme les vertus les plus
nobles. — On dit qu’une vertu est plus grande relativement quand elle est un
secours ou un ornement pour une vertu principale (La libéralité, la patience et
la magnanimité sont des ornements des quatre vertus cardinales, elles sont à
ces vertus ce que l’accident est à la substance ; or, la libéralité suppose la
justice, la patience est une partie de la force, et la magnanimité n’existe pas
sans les autres vertus principales. C’est ce qu’explique saint Thomas dans sa
réponse aux objections.). Ainsi la substance est absolument plus noble que
l’accident. Néanmoins un accident est relativement plus noble que la substance
en ce sens qu’il perfectionne la substance sous le rapport de son être accidentel.
Article
5 : La sagesse est-elle la plus grande des vertus intellectuelles ?
Objection
N°1. Il semble que la sagesse ne soit pas la plus grande des vertus intellectuelles.
Car celui qui commande est au-dessus de celui qui est commandé. Or, la prudence
semble commander à la sagesse. Car Aristote dit (Eth., liv. 1, chap. 2) que la science
qui décide de quelles connaissances on a besoin dans les Etats ; qui sont ceux
qui doivent s’en instruire, et jusqu’à quel point, c’est la politique qui
appartient à la prudence, comme on le voit (Eth., liv. 6, chap. 8). Donc,
puisque la sagesse est comprise au nombre des sciences, il semble que la
prudence lui soit supérieure.
Réponse
à l’objection N°1 : La prudence ayant pour objet les choses humaines, et la
sagesse se rapportant à la cause la plus élevée, il est impossible que la
prudence soit une vertu plus grande que la sagesse, à moins, comme le dit
Aristote (Eth.,
liv. 6, chap. 7), que l’homme ne soit la plus grande des choses qui sont au
monde. Il faut donc dire, comme on le voit (loc.
cit.), que la prudence ne commande pas à la sagesse, mais que c’est plutôt
le contraire. Car, comme le dit l’Apôtre (1
Cor., 2, 15), l’homme spirituel juge
toutes choses, et n’est jugé par personne. En effet la prudence ne peut
s’immiscer dans les choses élevées qui sont l’objet des considérations de la
sagesse. Son pouvoir s’étend seulement sur les choses qui conduisent à cette
vertu, c’est-à-dire qu’elle indique comment les hommes doivent y parvenir.
Ainsi la prudence ou la politique est la servante de la sagesse ; elle mène à
elle, elle lui prépare les voies, comme le serviteur au roi.
Objection
N°2. Il est de l’essence de la vertu de mettre l’homme en rapport avec la
félicité. Car, comme le dit Aristote (Phys.,
liv. 7, text. 17), la vertu est la disposition de ce
qui est parfait à ce qu’il y a de mieux. Or, la prudence est la droite raison
des choses que l’on doit faire, et qui doivent conduire l’homme à la béatitude,
tandis que la sagesse ne considère pas les actes humains qui doivent nous
assurer le bonheur futur. Donc la prudence est une vertu plus grande que la
sagesse.
Réponse
à l’objection N°2 : La prudence considère les moyens par lesquels on parvient à
la félicité ; mais la sagesse considère l’objet même de la félicité, qui est
l’objet intelligible le plus élevé. Et si la considération de la sagesse était
parfaite relativement à son objet, nous trouverions la félicité parfaite dans
l’acte même de cette vertu. Mais comme cet acte est imparfait en cette vie par
rapport à son objet principal qui est Dieu, il s’ensuit que c’est un
commencement ou une participation de la félicité future, et que par conséquent
elle approche plus du bonheur que la prudence.
Objection
N°3. Plus la connaissance parait être grande et plus elle est parfaite. Or,
nous pouvons avoir une connaissance plus parfaite des choses humaines
auxquelles la science se rapporte que des choses divines qui sont
l’objet de la sagesse, comme le dit saint Augustin (De Trin., liv. 14, chap. 14). Car les choses divines sont
incompréhensibles, suivant ces paroles de l’Ecriture (Job, 36, 26) : Dieu est grand, il passe toute notre science.
Donc la science est une vertu plus grande que la sagesse.
Réponse
à l’objection N°3 : Comme le dit Aristote (De
animâ, liv. 1, text.
1), une connaissance est préférable à une autre, soit parce qu’elle traite de
choses plus nobles, soit parce quelle est plus certaine. Si donc les sujets
sont égaux en bonté et en noblesse, la vertu qui est la plus certaine est la
plus grande. Mais celle qui est moins certaine et qui traite d’objets plus
grands et plus relevés l’emporte sur celle qui est plus certaine et qui se
rapporte à des choses inférieures. C’est ce qui fait dire à Aristote (De cælo, liv.
2, text. 60) que c’est une grande chose de pouvoir
obtenir sur les corps célestes quelque connaissance, même à l’aide de raisonnements
faibles et simplement probables. Et ailleurs il dit (De part. animal, liv. 1, chap. 5) qu’on aime mieux connaître fort
peu de chose sur un sujet très relevé que de connaître à fond un sujet vulgaire
et rebattu. Ainsi la sagesse, qui a pour objet la connaissance de Dieu, ne peut
amener l’homme, surtout en cette vie, à la possession parfaite de cette
connaissance ; car il n’y a que Dieu qui la possède ainsi, comme le dit
Aristote (Met., liv. 1, chap. 2).
Mais, toute restreinte que soit la connaissance que nous pouvons avoir de Dieu
au moyen de la sagesse, elle est préférable à toutes les autres (C’est ce que
saint Augustin a parfaitement exprimé (Conf., liv. 5) : Beatus autem qui te scit, etiamsi omnes creaturas
nesciat. Qui vero te et illas novit, non propter illas beatior
est, sed propter te solum beatus.).
Objection
N°4. La connaissance des principes est plus noble que la connaissance des
conséquences. Or, la sagesse tire ses conclusions de principes indémontrables
qui appartiennent à l’intellect, comme le font d’ailleurs toutes les autres
sciences. Donc l’intellect est une vertu plus grande que la sagesse.
Réponse
à l’objection N°4 : La vérité et la connaissance des principes indémontrables
dépend de la nature des termes. Car, du moment où l’on sait ce qu’est le tout
et ce qu’est la partie, immédiatement on sait que le tout est toujours plus
grand que la partie. Or, la connaissance de la nature de l’être et du non-être,
du tout et de la partie et de toutes les autres conséquences de l’être, dont on
fait autant de termes qui constituent des principes indémontrables, appartient
à la sagesse ; parce que l’être en général est l’effet propre de la cause la
plus élevée qui est Dieu. C’est pourquoi la sagesse ne fait pas seulement usage
des principes indémontrables qui sont l’objet de l’intellect, en en tirant des
conclusions à la façon des autres sciences, mais elle les juge et les soutient
contre ceux qui les nient. D’où il suit qu’elle est une vertu plus grande que
l’intellect.
Mais
c’est le contraire. Aristote dit (Eth., liv. 6, chap. 7) que la sagesse est en quelque sorte
la tête de toutes les vertus intellectuelles.
Conclusion
Puisque la sagesse considère la cause la plus élevée qui est Dieu et
puisqu’elle juge, comme cause supérieure, de toutes les autres vertus
intellectuelles et qu’elle les ordonne toutes, on doit dire qu’entre les vertus
intellectuelles elle est la plus grande de toutes.
Il
faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. 1), la grandeur de la vertu se
considère relativement à l’espèce d’après son objet. Or, l’objet de la sagesse
l’emporte sur les objets de toutes les vertus intellectuelles. Car elle
considère la cause la plus élevée qui est Dieu, comme le dit Aristote (Met., liv. 1, chap. 1). Et, comme on
juge de l’effet par la cause, et des causes inférieures par la cause
supérieure, il s’ensuit que la sagesse juge de toutes les autres vertus
intellectuelles, qu’il lui appartient de les ordonner, et qu’elle est en
quelque sorte l’architecte qui indique la place que chacune d’elles doit
occuper.
Article
6 : La charité est-elle la plus grande des vertus théologales ?
Objection
N°1. Il semble que la charité ne soit pas la plus grande des vertus théologales.
Car la foi résidant dans l’intellect, l’espérance et la charité dans la puissance
appétitive, comme nous l’avons dit (quest. 62, art. 3), il semble que la foi
soit à l’espérance et à la charité ce que la vertu intellectuelle est à la
vertu morale. Or, la vertu intellectuelle est plus grande que la vertu morale,
comme nous l’avons prouvé (art. 3). Donc la foi est plus grande que l’espérance
et la charité.
Réponse
à l’objection N°1 : La foi et l’espérance ne sont pas à la charité ce qu’est la
prudence à la vertu morale, et cela pour deux raisons. La première c’est que
les vertus théologales ont un objet supérieur à l’âme humaine, tandis que la
prudence et les vertus morales se rapportent à ce qui est au-dessous de
l’homme. Or, à l’égard des choses qui sont supérieures à l’homme l’amour est
plus noble que la connaissance (Par la connaissance nous changeons en nous
d’une certaine manière les objets que nous connaissons, parce que nous ne
pouvons les connaître que selon notre manière d’être qui est finie et bornée.
Mais par l’amour nous n’attirons pas l’objet aimé en nous pour le subjectiviser
de cette façon, nous nous protons au contraire vers lui, et c’est pour cette
raison que quand il s’agit de Dieu et en général de tout ce qui est au-dessus
de nous, notre amour l’emporte sur notre connaissance.). Car la connaissance
est parfaite selon que les choses connues sont dans le sujet qui les connaît,
tandis que l’amour existe en proportion de l’attraction qui porte celui qui
aime vers l’objet aimé. D’ailleurs ce qui est au-dessus de l’homme est plus
noble en soi que dans l’homme, parce que chaque chose est dans l’être qui le
reçoit conformément à sa nature, tandis qu’au contraire les choses qui sont
au-dessous de l’homme sont plus nobles en lui qu’en elles-mêmes. La seconde
raison, c’est que la prudence règle les mouvements appétitifs qui regardent les
vertus morales, tandis que la foi ne règle pas le mouvement appétitif qui tend
vers Dieu et qui appartient aux vertus théologales, mais elle en montre
seulement l’objet. Ce mouvement appétitif surpasse la connaissance humaine,
d’après ces paroles de l’Apôtre (Eph., 3, 19) : La charité du Christ surpasse toute science.
Objection
N°2. Ce qui s’ajoute à une chose paraît être plus grand qu’elle. Or, l’espérance,
comme on le voit, s’ajoute à la charité, puisqu’elle présuppose l’amour, comme
le dit saint Augustin (Ench.,
chap. 8), et qu’elle ajoute un mouvement qui nous porte vers l’objet aimé. Donc
l’espérance est plus grande que la charité.
Réponse
à l’objection N°2 : L’espérance présuppose l’amour de l’objet qu’on espère
obtenir ; cet amour est ce qu’on appelle l’amour
de concupiscence. Celui qui désire ainsi ce qui est bon s’aime plus
lui-même que toute autre chose. Mais la charité implique un amour d’amitié, et
on y parvient par l’espérance, comme nous l’avons dit (quest. 62, art. 4).
Objection
N°3. La cause l’emporte sur l’effet. Or, la foi et l’espérance sont cause de la
charité. Car la glose dit (interl. in Matth, chap. 1) que la foi engendre l’espérance et
l’espérance la charité. Donc la foi et l’espérance sont plus grandes que la
charité.
Réponse
à l’objection N°3 : La cause qui perfectionne est supérieure à son effet, mais
il n’en est pas de même de la cause qui dispose. Car alors la chaleur du feu
l’emporterait sur l’âme à laquelle elle dispose la matière ; ce qui est
évidemment faux. Ainsi la foi engendre l’espérance et l’espérance la charité,
en ce sens que l’une dispose à l’autre.
Mais
c’est le contraire. L’Apôtre dit (1 Cor., 13, 13) : Ces trois vertus, la foi, l’espérance et la charité, existent à
présent, mais la charité est la plus excellente des trois.
Conclusion
La charité qui regarde Dieu plus prochainement que les autres vertus est la
plus excellente des vertus théologales.
Il
faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. 1 et 3), la grandeur de la
vertu se considère selon son espèce d’après l’objet. Les trois vertus théologales
se rapportant à Dieu comme à leur objet propre, on ne peut pas dire que l’une
soit plus grande que l’autre, parce qu’elle se rapporte à un objet plus grand,
mais parce que l’une regarde cet objet plus prochainement que l’autre. En ce
sens la charité est plus grande que les autres vertus. Car les autres vertus
impliquent dans leur essence une certaine distance qui les sépare de leur
objet. Ainsi la foi se rapporte à des choses qu’on ne voit pas et l’espérance à
des choses qu’on ne possède pas ; tandis que l’amour ou la charité a pour objet
ce qu’on possède déjà. En effet l’objet aimé est d’une certaine manière dans le
sujet qui l’aime, et celui qui aime est porté par son affection à s’unir à
l’objet aimé. C’est pourquoi il est écrit (1 Jean, 4, 16) : Celui qui demeure dans la charité demeure en
Dieu et Dieu en lui.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
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Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant
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