Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

1a 2ae = Prima Secundae = 1ère partie de la 2ème Partie

Question 70 : Des fruits de l’Esprit-Saint (Dans cette question saint Thomas commente en général ce que dit l’Ecriture sur les fruits de l’Esprit-Saint, et il s’attache tout particulièrement à un passage de saint Paul qui se trouve dans son Epitre aux Galates.)

 

          Après avoir parlé des dons et des béatitudes, nous avons à parler des fruits de l’Esprit-Saint. — A ce sujet quatre questions se présentent : 1° Les fruits de l’Esprit-Saint sont-ils des actes ? — 2° Diffèrent-ils des béatitudes ? — 3° De leur nombre. (Cet article est le commentaire raisonné de la dernière partie du chapitre 5 de l’Epître de saint Paul aux Galates.) — 4° De l’opposition qu’il y a entre eux et les œuvres de la chair. (Il ne s’agit pas ici de l’appétit considéré en lui-même, car l’Apôtre dit lui-même (Eph., 5, 29) : Car jamais personne n’a haï sa propre chair ; mais il la nourrit et la soigne. Il s’agit seulement de l’appétit sensitif qui porte l’homme vers les choses sensibles, contrairement à la raison qui l’élève au-dessus. C’est cette opposition qui constitue leur lutte : Colluctatio spiritus adversus carnem.)

 

Article 1 : Les fruits de l’Esprit-Saint désignés (Gal., chap. 5) sont-ils des actes ?

 

          Objection N°1. Il semble que les fruits de l’Esprit-Saint désignés par saint Paul (Gal., chap. 5) ne soient pas des actes. En effet, ce qui produit un fruit ne doit pas être considéré comme un fruit, car on irait ainsi indéfiniment. Or, nos actes produisent des fruits, puisqu’il est écrit (Sag., 3, 15) : Le fruit des bons travaux est glorieux, et saint Jean dit (Jean, 6, 36) : Celui qui moissonne reçoit une récompense et amasse des fruits pour la vie éternelle. Donc on ne donne pas à nos actes le nom de fruits.

          Réponse à l’objection N°1 : Le fruit ayant la nature en quelque sorte du dernier terme ou de la fin, rien n’empêche qu’un fruit n’en produise un autre, comme une fin se rapporte à une autre fin. Par conséquent nos œuvres considérées comme les effets de l’Esprit-Saint qui opère en nous sont des fruits, mais selon qu’elles se rapportent à la vie éternelle ce sont plutôt des fleurs. De là il est écrit (Ecclésiastique, 24, 23) : Mes fleurs produiront des fruits d’honneur et de gloire.

 

          Objection N°2. Comme le dit saint Augustin (De Trin., liv. 10, chap. 10) : Nous jouissons des choses que nous connaissons dans lesquelles la volonté se repose avec complaisance. Or, notre volonté ne doit pas se reposer dans nos actes pour eux-mêmes. Donc on ne doit pas dire que nos actes sont des fruits.

          Réponse à l’objection N°2 : Quand on dit que la volonté se délecte dans une chose pour elle-même, on peut entendre cela de deux manières. 1° Le mot pour peut indiquer la cause finale, et en ce sens l’homme ne se délecte que dans sa fin dernière. 2° Ce mot peut indiquer la cause formelle, et de cette manière un individu peut se délecter dans tout ce qui lui est agréable par sa forme. Ainsi il est évident qu’un malade se réjouit dans la santé pour elle-même comme dans sa fin, tandis qu’il prend plaisir à une médecine agréable, non comme à sa fin, mais comme à une chose qui a un bon goût ; à l’égard d’une médecine mauvaise à prendre il ne l’aime pas pour elle-même, mais seulement pour l’avantage qu’il en espère. Il faut donc dire que l’homme doit se délecter en Dieu pour lui-même comme dans sa fin dernière, mais il ne se délecte pas dans les actes vertueux pour ce motif, il n’y trouve de plaisir qu’à cause de l’agrément qu’offrent toutes ces actions par suite de leur droiture et de leur honnêteté. C’est ce qui fait dire à saint Ambroise (De Paradis., chap. 13, et De Isaac, chap. 5) qu’on appelle fruits les œuvres des vertus, parce qu’elles remplissent d’une joie pure et franche ceux qui les possèdent.

 

          Objection N°3. Parmi les fruits de l’Esprit-Saint l’Apôtre énumère des vertus, telles que la charité, la mansuétude, la foi et la chasteté. Or, les vertus ne sont pas des actes, mais des habitudes, comme nous l’avons dit (quest. 55, art. 1). Donc les fruits ne sont pas des actes.

          Réponse à l’objection N°3 : Les noms des vertus se prennent quelquefois pour les actes des vertus elles-mêmes. Ainsi saint Augustin dit (Tract. 40 in Joan. post med. et De doct. christ., liv. 3, chap. 10) que la foi consiste à croire ce qu’on ne voit pas, et que la charité est le mouvement de l’âme qui nous fait aimer Dieu et le prochain. C’est de cette manière que l’on prend les noms des vertus pour désigner les fruits.

 

          Mais c’est le contraire. Il est écrit (Matth., 12, 33) : L’arbre se connaît par ses fruits, c’est-à-dire, selon l’interprétation des saints docteurs, l’homme se connaît par ses œuvres. Donc les actes humains reçoivent le nom de fruits

 

          Conclusion Les fruits de l’Esprit-Saint, selon qu’ils procèdent de l’homme non d’après la faculté de sa raison, mais d’après une puissance supérieure qui est la vertu de l’Esprit-Saint, peuvent être appelés des actes humains.

          Il faut répondre que le mot fruit est transporté métaphoriquement des choses corporelles aux choses spirituelles. Or, parmi les choses corporelles on donne ce nom au produit de la plante quand il est parvenu à sa perfection, et qu’il a en lui-même une certaine douceur. Un fruit peut se rapporter à deux choses, à l’arbre qui le produit et à l’homme qui le détache de l’arbre. D’après cela, en appliquant ce mot aux choses spirituelles, on peut le prendre en deux sens : 1° on peut appeler le fruit de l’homme, par analogie à l’arbre, ce que l’homme produit ; 2° on peut entendre par là ce qu’il acquiert. Tout ce que l’homme acquiert ne mérite pas toutefois le nom de fruit, il n’y a que ce qui est son dernier terme, ce qui cause sa délectation. Car quand l’homme a un champ et un arbre, on ne donne pas à ces possessions le nom de fruit, on le réserve à ce qui est le but suprême de ses espérances, c’est-à-dire à ce que l’homme se propose de recueillir de son champ et de son arbre. Et d’après cela le fruit de l’homme est sa fin dernière dont il doit jouir. Or, si on appelle fruit ce que l’homme produit, il s’ensuit que les actes humains sont des fruits. Car l’opération est l’acte second de celui qui opère, et elle est une cause de délectation si elle est en rapport avec le sujet qui la produit. Ainsi donc si l’opération de l’homme procède de lui conformément à sa raison, on dit alors qu’elle est un fruit de la raison, mais si elle procède de l’homme d’après une vertu plus haute, qui est la vertu de l’Esprit-Saint, on dit qu’elle est le fruit de l’Esprit-Saint, c’est-à-dire le produit d’une semence divine. Car saint Joan dit (Jean, 3, 9) : Quiconque est né de Dieu ne fait pas le péché, parce que la semence divine reste en lui.

 

Article 2 : Les fruits diffèrent-ils des béatitudes ?

 

          Objection N°1. Il semble que les fruits ne diffèrent pas des béatitudes. Car on attribue les béatitudes aux dons, comme nous l’avons dit (quest. 69, art. 3). Or, les dons perfectionnent l’homme selon qu’il est mû par l’Esprit-Saint. Donc les béatitudes sont les fruits de l’Esprit-Saint.

          Réponse à l’objection N°1 : Cette raison prouve que les béatitudes sont des fruits, mais elle ne prouve pas que tous les fruits sont des béatitudes.

 

          Objection N°2. Ce que les fruits de la vie éternelle sont à la béatitude future, qui a pour objet la réalité, les fruits de la vie présente le sont à la béatitude actuelle, qui consiste dans l’espérance. Or, le fruit de la vie éternelle est la béatitude future elle-même. Donc les fruits de la vie présente sont aussi des béatitudes.

          Réponse à l’objection N°2 : Le fruit de la vie éternelle est absolument le fruit dernier et parfait ; c’est pourquoi on ne le distingue nullement de la béatitude future. Mais les fruits de la vie présente ne sont pas absolument les derniers fruits et des fruits parfaits ; c’est ce qui fait que tous les fruits ne sont pas des béatitudes.

 

          Objection N°3. Il est dans la nature du fruit d’être une chose agréable qui vient en dernier lieu. Or, ces caractères appartiennent à l’essence de la béatitude, comme nous l’avons dit (quest. 3, art. 1 ; quest. 11, art. 3). Donc le fruit est de la même nature que la béatitude, par conséquent on ne doit pas distinguer l’un de l’autre.

          Réponse à l’objection N°3 : Il faut quelque chose de plus pour l’essence de la béatitude que pour celle du fruit, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.).

 

          Mais c’est le contraire. Les choses qui sont de différentes espèces sont aussi différentes entre elles. Or, on divise en deux parties distinctes les fruits et les béatitudes, comme on le voit par l’énumération des uns et des autres. Donc les fruits diffèrent des béatitudes.

 

          Conclusion Puisque toutes les actions vertueuses dans lesquelles l’homme se délecte peuvent être appelées des fruits, tandis qu’il n’en est pas de même des béatitudes, à moins qu’elles ne soient parfaites, il est évident que les fruits diffèrent des béatitudes.

          Il faut répondre que l’essence de la béatitude requiert plus de choses que l’essence du fruit. Car pour le fruit il suffit que la chose soit dernière et agréable, tandis que pour la béatitude il faut de plus qu’elle soit parfaite et excellente. Par conséquent toutes les béatitudes peuvent être appelées des fruits, mais non réciproquement. Car on donne le nom de fruit à toutes les actions vertueuses dans lesquelles l’homme se délecte, tandis qu’on ne donne le nom de béatitudes qu’aux œuvres parfaites, qui en raison de leur perfection sont attribuées aux dons plutôt qu’aux vertus, comme nous l’avons dit (quest. 69, art. 1 et 3).

 

Article 3 : Les fruits sont-ils convenablement énumérés par l’Apôtre ?

 

          Objection N°1. Il semble que l’Apôtre dans son Epitre aux Galates (chap. 5) ait énuméré à tort douze fruits. Car ailleurs il dit que la vie présente ne produit qu’un fruit (Rom., 6, 22) : Le fruit que vous retirez est votre propre sanctification. Et le prophète avait dit (Is., 27, 9) : Tout votre fruit ici-bas consiste dans la destruction du péché. On ne doit donc pas admettre douze fruits.

          Réponse à l’objection N°1 : La sanctification est produite par toutes les vertus qui effacent les péchés. L’Apôtre les désigne en cet endroit par le nom de fruit qu’il emploie au singulier à cause de l’unité du genre, qui se divise en plusieurs espèces, ce qui fait qu’on distingue plusieurs fruits.

 

          Objection N°2. Le fruit est ce qui est produit par une semence spirituelle, comme nous l’avons dit (art. 1). Or, le Seigneur (Matth., chap. 13) distingue trois sortes de fruits qui naissent de la semence spirituelle clans une bonne terre : le centième, le soixantième et le trentième. Donc on ne doit pas en reconnaître douze.

          Réponse à l’objection N°2 : Les mots de centième, soixantième et trentième ne désignent pas des actes vertueux de différentes espèces, mais seulement les divers degrés de perfection de la même vertu. Ainsi on dit que la continence conjugale est représentée par le trentième fruit, celle des veuves par le soixantième et celle des vierges par le centième. Les Pères distinguent encore ces trois sortes de fruits qu’indique l’Evangile d’après les trois degrés de la vertu, et ils établissent ces trois degrés parce qu’en toute chose la perfection peut se considérer dans son principe, son milieu et sa fin.

 

          Objection N°3. Le fruit par sa nature est quelque chose qui vient en dernier lieu et qui est agréable. Or, on ne trouve pas ces qualités dans tous les fruits que l’Apôtre énumère. Car la patience et la longanimité paraissent se rapporter aux choses qui nous attristent, et la foi n’est pas ce qui vient en dernier lieu, il semble que ce soit plutôt le premier fondement, par conséquent ce qui existe tout d’abord. Donc il était inutile de placer ces vertus au nombre des fruits.

          Réponse à l’objection N°3 : La fermeté, qui empêche d’être troublé dans le chagrin est quelque chose d’agréable, et la foi, bien qu’on la considère comme un fondement, est cependant une dernière fin et une chose agréable parce qu’elle implique la certitude. Aussi la glose (interl.) en expliquant ce passage de l’Apôtre dit : La foi, c’est-à-dire la certitude des choses invisibles.

 

          Objection N°4. Mais c’est le contraire. Il semble que cette énumération soit insuffisante et incomplète. Car nous avons dit (art. préc.) qu’on peut donner le nom de fruits à toutes les béatitudes. Or, elles ne figurent pas toutes dans cette énumération, puisqu’on ne voit rien qui se rapporte à la sagesse et aux actes de beaucoup d’autres vertus. Donc il semble que les fruits ne soient pas complètement énumérés.

          Réponse à l’objection N°4 : D’après saint Augustin (Sup. epist. ad Gal., chap. 5), l’Apôtre n’a pas eu précisément pour but de nous apprendre combien il y a d’œuvres charnelles et de fruits spirituels, mais il a voulu nous montrer de quelle manière il fallait éviter les unes et rechercher les autres. Par conséquent il pourrait se faire qu’il v eut plus ou moins de fruits qu’il n’en a énumérés. Cependant tous les actes des dons et des vertus peuvent rentrer sous un certain rapport dans ceux-ci, en ce sens que toutes les vertus et tous les dons doivent nécessairement ordonner l’esprit de l’une des manières que nous avons déterminées. Ainsi les actes de la sagesse et de tous les autres dons qui se rapportent au bien rentrent dans la charité, la joie et la paix. Mais l’Apôtre a énoncé de préférence ces derniers effets parce qu’ils impliquent plus directement la jouissance des biens ou l’exclusion des maux, ce qui semble de l’essence même du fruit.

 

          Conclusion C’est avec raison que l’Apôtre a compté douze fruits de l’Esprit-Saint, selon ses diverses processions en nous.

          Il faut répondre que c’est avec raison que l’Apôtre a compté douze fruits (Les douze fruits énumérés par l’Apôtre sont : la charité, la joie, la paix, la patience, la longanimité, la bonté, la bienfaisance, la douceur, la bonne foi, la modestie, la continence, et la chasteté (Gal., 5, 22).) et que c’est à ces douze fruits qu’on peut appliquer ces paroles de l’Apocalypse : Des deux côtés du fleuve l’arbre de vie portait douze fruits. (Ap., 22. 2). En effet, comme on appelle fruit ce qui procède d’un principe tel qu’une semence ou une racine, il faut considérer la distinction de ces fruits d’après les diverses processions de l’Esprit-Saint en nous. Cette procession a trois buts différents : le premier c’est d’ordonner l’âme humaine en elle-même, le second c’est de l’ordonner par rapport à ce qui est au même niveau qu’elle, et le troisième c’est de l’ordonner par rapport à ce qui est au-dessous d’elle. Or, l’âme est bien ordonnée en elle-même quand elle se comporte sagement dans les biens et dans les maux. La première disposition de l’âme à l’égard des biens est l’effet de l’amour, qui est l’affection première et la racine de toutes les affections, comme nous l’avons dit (quest. 25, art. 1 et 2). C’est pour cela que parmi les fruits de l’Esprit-Saint on met au premier rang la charité dans laquelle l’Esprit-Saint se donne spécialement, comme dans sa propre ressemblance, puisqu’il est lui-même amour. D’où l’Apôtre dit (Rom., 5, 5) : La charité de Dieu a été répandue dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné. L’amour de la charité produit nécessairement la joie ; car celui qui aime se réjouit de son union avec l’objet aimé, et comme la charité a toujours présent Dieu qu’elle aime, d’après ces paroles de saint Jean (1 Jean, 4, 16) : Celui qui demeure dans la charité demeure en Dieu et Dieu en lui, il résulte que la joie est la conséquence de la charité. Mais la perfection de la joie est la paix sous deux rapports : 1° à l’égard du repos que l’on goûte quand on est à l’abri des causes extérieures de trouble. Car on ne peut jouir parfaitement du bien que l’on aime, si l’on est troublé par d’autres choses dans sa jouissance. D’ailleurs celui dont le cœur se repose parfaitement et avec calme dans un objet, ne peut être inquiété par aucun autre, parce qu’il considère toutes les autres choses comme rien. Aussi il est écrit (Ps. 118, 165) : Ceux qui aiment votre loi jouissent d’une grande paix, et il n’y a point pour eux de scandale ; c’est-à-dire que les choses extérieures ne les empêchent pas de jouir de Dieu. 2° Par rapport à tous les désirs flottants et incertains qu’elle apaise. Car on ne jouit pas d’une chose parfaitement quand on trouve cette chose insuffisante. Par conséquent la paix implique ces deux choses, c’est que les choses extérieures ne nous troublent pas et que nos désirs se reposent dans un seul et même objet. C’est pourquoi après la charité et la joie on met en troisième lieu la paix. L’âme se comporte bien dans les maux de deux manières : 1° quand les maux dont elle est menacée ne la troublent pas, ce qui est l’effet de la patience ; 2° quand elle ne se trouble pas du retard des biens qu’elle attend, ce qui se rapporte à la longanimité. Car la privation d’un bien est une chose mauvaise, comme le dit Aristote (Eth., liv. 5, chap. 3). — Par rapport à ce qui est égal à l’homme, c’est-à-dire par rapport à son prochain, l’âme humaine est bien disposée : 1° quand elle a la volonté de faire le bien, ce qui regarde la bonté ; 2° quand elle exécute ce dessein, ce qui résulte de la bénignité ou de la bienfaisance. Car on appelle bienfaisants ceux que le feu de la charité rend très ardents à être utiles au prochain ; 3° quand on supporte avec égalité d’âme les maux que le prochain nous fait, et c’est ce qui se rapporte à la mansuétude qui comprime la colère ; 4° quand on ne se borne pas à ne faire aucun tort au prochain par colère, mais quand on ne lui nuit ni par fraude, ni par ruse, et c’est ce qui regarde la bonne foi, si on entend par là la fidélité. Mais si on désigne par ce mot la vertu qui nous fait croire en Dieu, alors l’homme est par là même mis en rapport avec ce qui est au-dessus de lui, de telle sorte qu’il soumet à Dieu son intelligence et par conséquent tout ce qui lui appartient. — Quant à ce qui est au-dessous de lui, l’homme est bien disposé relativement aux actions extérieures par la modestie qui observe une certaine retenue dans toutes ses paroles et tous ses actes, et relativement aux convoitises intérieures par la continence et la chasteté, soit qu’on distingue ces deux choses parce que la chasteté éloigne l’homme des plaisirs défendus et la continence des plaisirs permis ; soit qu’on les distingue parce que celui qui est continent subit les mouvements de la concupiscence sans se laisser entraîner, tandis que celui qui est chaste ne les éprouve, ni ne s’en laisse dominer.

 

Article 4 : Les fruits de l’Esprit-Saint sont-ils contraires aux œuvres de la chair ?

 

          Objection N°1. Il semble que les fruits de l’Esprit-Saint ne soient pas contraires aux œuvres de la chair que l’Apôtre énumère (Gal., chap. 5). Car les contraires appartiennent au même genre. Or, les œuvres de la chair ne reçoivent pas le nom de fruits. Donc les fruits de l’Esprit-Saint ne leur sont pas contraires.

          Réponse à l’objection N°1 : Ce qui procède d’un arbre contrairement à sa nature n’est pas un fruit, mais c’est plutôt une corruption. Et comme les œuvres des vertus sont de même nature que la raison, tandis que les œuvres des vices lui sont contraires, il s’ensuit que les actions vertueuses reçoivent le nom de fruits, mais qu’il n’en est pas de même des actions vicieuses.

 

          Objection N°2. Il n’y a qu’une chose qui soit contraire à une autre. Or, l’Apôtre énumère plus d’œuvres de la chair que de fruits de l’esprit. Donc les fruits de l’esprit et les œuvres de la chair ne sont pas contraires.

          Réponse à l’objection N°2 : Le bien ne se fait que d’une seule façon (Parce que le bien n’existe que selon qu’il est conforme à la règle.), tandis que le mal peut se faire de beaucoup de manières (Car il y a bien des manières de s’écarter de la voie.), comme le dit saint Denis (De div. nom., chap. 4). C’est ce qui fait qu’il y a plusieurs vices opposés à une même vertu. Par conséquent il n’est pas étonnant que l’on compte plus d’actions charnelles que de fruits spirituels.

 

          Objection N°3. Parmi les fruits de l’esprit, l’Apôtre place d’abord la charité, la joie et la paix auxquelles ne correspondent pas les œuvres de la chair qu’il met en premier lieu et qui sont : la fornication, l’impureté et l’impudicité. Donc les fruits de l’esprit ne sont pas contraires aux œuvres de la chair.

 

          Mais c’est le contraire. L’Apôtre dit (Gal., 5, 17) que la chair a des désirs contraires à l’esprit et que l’esprit en a de contraires à la chair.

 

          Conclusion Les fruits de l’Esprit-Saint sont en général contraires aux œuvres de la chair, quoiqu’il en soit autrement d’après leur nature propre ; néanmoins les œuvres de la chair peuvent être rapportées à chacun des fruits de l’Esprit-Saint.

          Il faut répondre qu’on peut considérer de deux manières les œuvres de la chair el les fruits de l’Esprit-Saint. 1° On peut les considérer d’une manière générale, et en ce sens les fruits de l’Esprit-Saint sont contraires à ceux de la chair. Car l’Esprit-Saint porte l’esprit de l’homme vers ce qui est conforme ou plutôt vers ce qui est supérieur à la raison, tandis que l’appétit de la chair ou l’appétit sensitif l’attire vers les biens sensibles qui sont au-dessous de lui. Ainsi comme dans l’ordre naturel le mouvement d’en haut est contraire au mouvement d’en bas, de même dans la vie humaine les œuvres de la chair sont contraires aux fruits de l’esprit. 2° On peut considérer en particulier et d’après leur propre nature chacun des fruits spirituels et chacune des œuvres charnelles que l’Apôtre énumère ; sous ce rapport il n’est pas nécessaire que l’un soit opposé à l’autre, parce que, comme nous l’avons dit (art. préc.), l’Apôtre n’a pas eu l’intention d’énumérer toutes les œuvres spirituelles, ni toutes les œuvres charnelles. Cependant saint Augustin (loc. cit.), dans l’explication qu’il donne de ce passage de saint Paul, établit entre les fruits et les œuvres un certain rapprochement, et il oppose à chaque œuvre charnelle un des fruits de l’Esprit-Saint. Ainsi à la fornication qui est l’amour ou le désir de satisfaire ses passions sensuelles en dehors du mariage, il oppose la charité qui unit l’âme à Dieu en qui réside la vraie chasteté ; à l’impureté qui est la conséquence de tous les désordres de la fornication il oppose la, joie de la tranquillité qui résulte de la charité. Il fait contraster avec la paix la servitude des idoles, par laquelle on fait la guerre contre l’Evangile de Dieu. Aux vengeances, aux inimitiés, aux disputes, aux animosités, aux jalousies, et aux dissensions, il oppose la longanimité qui nous fait supporter les maux des hommes avec lesquels nous vivons ; la bienfaisance qui nous porte à les soigner, et la bonté qui est cause que nous leur pardonnons. Aux hérésies il oppose la foi ; à la jalousie la douceur ; à l’amour excessif du boire et du manger la continence.

          La réponse à la troisième objection est par là même évidente.

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.

 

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