Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
1a 2ae = Prima Secundae = 1ère partie de la 2ème Partie
Question 70 :
Des fruits de l’Esprit-Saint (Dans cette question saint Thomas commente en général ce
que dit l’Ecriture sur les fruits de l’Esprit-Saint,
et il s’attache tout particulièrement à un passage de saint Paul qui se trouve
dans son Epitre aux Galates.)
Après
avoir parlé des dons et des béatitudes, nous avons à parler des fruits de l’Esprit-Saint. — A ce sujet quatre questions se présentent :
1° Les fruits de l’Esprit-Saint sont-ils des actes ?
— 2° Diffèrent-ils des béatitudes ? — 3° De leur nombre. (Cet article est le
commentaire raisonné de la dernière partie du chapitre 5 de l’Epître de saint
Paul aux Galates.) — 4° De l’opposition qu’il y a entre eux et les œuvres de la
chair. (Il ne s’agit pas ici de l’appétit considéré en lui-même, car l’Apôtre
dit lui-même (Eph., 5,
29) : Car jamais personne n’a haï sa
propre chair ; mais il la nourrit et la soigne. Il s’agit seulement de l’appétit
sensitif qui porte l’homme vers les choses sensibles, contrairement à la raison
qui l’élève au-dessus. C’est cette opposition qui constitue leur lutte : Colluctatio spiritus adversus carnem.)
Article
1 : Les fruits de l’Esprit-Saint désignés (Gal., chap. 5) sont-ils des actes ?
Objection
N°1. Il semble que les fruits de l’Esprit-Saint
désignés par saint Paul (Gal., chap.
5) ne soient pas des actes. En effet, ce qui produit un fruit ne doit pas être
considéré comme un fruit, car on irait ainsi indéfiniment. Or, nos actes
produisent des fruits, puisqu’il est écrit (Sag., 3, 15) : Le fruit des bons
travaux est glorieux, et saint Jean dit (Jean, 6, 36) : Celui qui moissonne reçoit une récompense et
amasse des fruits pour la vie éternelle. Donc on ne donne pas à nos actes
le nom de fruits.
Réponse
à l’objection N°1 : Le fruit ayant la nature en quelque sorte du dernier terme
ou de la fin, rien n’empêche qu’un fruit n’en produise un autre, comme une fin
se rapporte à une autre fin. Par conséquent nos œuvres considérées comme les
effets de l’Esprit-Saint qui opère en nous sont des
fruits, mais selon qu’elles se rapportent à la vie éternelle ce sont plutôt des
fleurs. De là il est écrit (Ecclésiastique,
24, 23) : Mes fleurs produiront des
fruits d’honneur et de gloire.
Objection
N°2. Comme le dit saint Augustin (De
Trin., liv. 10, chap. 10) : Nous jouissons des choses que nous connaissons
dans lesquelles la volonté se repose avec complaisance. Or, notre volonté ne
doit pas se reposer dans nos actes pour eux-mêmes. Donc on ne doit pas dire que
nos actes sont des fruits.
Réponse
à l’objection N°2 : Quand on dit que la volonté se délecte dans une chose pour
elle-même, on peut entendre cela de deux manières. 1° Le mot pour peut indiquer
la cause finale, et en ce sens l’homme ne se délecte que dans sa fin dernière.
2° Ce mot peut indiquer la cause formelle, et de cette manière un individu peut
se délecter dans tout ce qui lui est agréable par sa forme. Ainsi il est
évident qu’un malade se réjouit dans la santé pour elle-même comme dans sa fin,
tandis qu’il prend plaisir à une médecine agréable, non comme à sa fin, mais
comme à une chose qui a un bon goût ; à l’égard d’une médecine mauvaise à
prendre il ne l’aime pas pour elle-même, mais seulement pour l’avantage qu’il
en espère. Il faut donc dire que l’homme doit se délecter en Dieu pour lui-même
comme dans sa fin dernière, mais il ne se délecte pas dans les actes vertueux
pour ce motif, il n’y trouve de plaisir qu’à cause de l’agrément qu’offrent
toutes ces actions par suite de leur droiture et de leur honnêteté. C’est ce
qui fait dire à saint Ambroise (De
Paradis., chap. 13, et De Isaac,
chap. 5) qu’on appelle fruits les œuvres des vertus, parce qu’elles remplissent
d’une joie pure et franche ceux qui les possèdent.
Objection
N°3. Parmi les fruits de l’Esprit-Saint l’Apôtre
énumère des vertus, telles que la charité, la mansuétude, la foi et la
chasteté. Or, les vertus ne sont pas des actes, mais des habitudes, comme nous
l’avons dit (quest. 55, art. 1). Donc les fruits ne sont pas des actes.
Réponse
à l’objection N°3 : Les noms des vertus se prennent quelquefois pour les actes
des vertus elles-mêmes. Ainsi saint Augustin dit (Tract. 40 in Joan. post med. et De doct. christ., liv. 3, chap. 10) que la foi
consiste à croire ce qu’on ne voit pas, et que la charité est le mouvement de
l’âme qui nous fait aimer Dieu et le prochain. C’est de cette manière que l’on
prend les noms des vertus pour désigner les fruits.
Mais
c’est le contraire. Il est écrit (Matth., 12, 33)
: L’arbre se connaît par ses fruits,
c’est-à-dire, selon l’interprétation des saints docteurs, l’homme se connaît
par ses œuvres. Donc les actes humains reçoivent le nom de fruits
Conclusion
Les fruits de l’Esprit-Saint, selon qu’ils procèdent
de l’homme non d’après la faculté de sa raison, mais d’après une puissance
supérieure qui est la vertu de l’Esprit-Saint,
peuvent être appelés des actes humains.
Il
faut répondre que le mot fruit est
transporté métaphoriquement des choses corporelles aux choses spirituelles. Or,
parmi les choses corporelles on donne ce nom au produit de la plante quand il
est parvenu à sa perfection, et qu’il a en lui-même une certaine douceur. Un
fruit peut se rapporter à deux choses, à l’arbre qui le produit et à l’homme
qui le détache de l’arbre. D’après cela, en appliquant ce mot aux choses
spirituelles, on peut le prendre en deux sens : 1° on peut appeler le fruit de
l’homme, par analogie à l’arbre, ce que l’homme produit ; 2° on peut entendre
par là ce qu’il acquiert. Tout ce que l’homme acquiert ne mérite pas toutefois
le nom de fruit, il n’y a que ce qui est son dernier terme, ce qui cause sa délectation.
Car quand l’homme a un champ et un arbre, on ne donne pas à ces possessions le
nom de fruit, on le réserve à ce qui est le but suprême de ses espérances,
c’est-à-dire à ce que l’homme se propose de recueillir de son champ et de son
arbre. Et d’après cela le fruit de l’homme est sa fin
dernière dont il doit jouir. Or, si on appelle fruit ce que l’homme produit, il
s’ensuit que les actes humains sont des fruits. Car l’opération est l’acte
second de celui qui opère, et elle est une cause de délectation si elle est en
rapport avec le sujet qui la produit. Ainsi donc si l’opération de l’homme
procède de lui conformément à sa raison, on dit alors qu’elle est un fruit de
la raison, mais si elle procède de l’homme d’après une vertu plus haute, qui
est la vertu de l’Esprit-Saint, on dit qu’elle est le
fruit de l’Esprit-Saint, c’est-à-dire le produit
d’une semence divine. Car saint Joan dit (Jean, 3, 9) : Quiconque est né de Dieu ne fait pas le péché, parce que la semence
divine reste en lui.
Article
2 : Les fruits diffèrent-ils des béatitudes ?
Objection
N°1. Il semble que les fruits ne diffèrent pas des béatitudes. Car on attribue
les béatitudes aux dons, comme nous l’avons dit (quest. 69, art. 3). Or, les
dons perfectionnent l’homme selon qu’il est mû par l’Esprit-Saint.
Donc les béatitudes sont les fruits de l’Esprit-Saint.
Réponse
à l’objection N°1 : Cette raison prouve que les béatitudes sont des fruits,
mais elle ne prouve pas que tous les fruits sont des béatitudes.
Objection
N°2. Ce que les fruits de la vie éternelle sont à la béatitude future, qui a
pour objet la réalité, les fruits de la vie présente le sont à la béatitude
actuelle, qui consiste dans l’espérance. Or, le fruit de la vie éternelle est
la béatitude future elle-même. Donc les fruits de la vie présente sont aussi
des béatitudes.
Réponse
à l’objection N°2 : Le fruit de la vie éternelle est absolument le fruit
dernier et parfait ; c’est pourquoi on ne le distingue nullement de la
béatitude future. Mais les fruits de la vie présente ne sont pas absolument les
derniers fruits et des fruits parfaits ; c’est ce qui fait que tous les fruits
ne sont pas des béatitudes.
Objection
N°3. Il est dans la nature du fruit d’être une chose agréable qui vient en
dernier lieu. Or, ces caractères appartiennent à l’essence de la béatitude,
comme nous l’avons dit (quest. 3, art. 1 ; quest. 11, art. 3). Donc le fruit
est de la même nature que la béatitude, par conséquent on ne doit pas distinguer
l’un de l’autre.
Réponse
à l’objection N°3 : Il faut quelque chose de plus pour l’essence de la
béatitude que pour celle du fruit, comme nous l’avons dit (dans le corps de
l’article.).
Mais
c’est le contraire. Les choses qui sont de différentes espèces sont aussi
différentes entre elles. Or, on divise en deux parties distinctes les fruits et
les béatitudes, comme on le voit par l’énumération des uns et des autres. Donc
les fruits diffèrent des béatitudes.
Conclusion
Puisque toutes les actions vertueuses dans lesquelles l’homme se délecte
peuvent être appelées des fruits, tandis qu’il n’en est pas de même des béatitudes,
à moins qu’elles ne soient parfaites, il est évident que les fruits diffèrent
des béatitudes.
Il
faut répondre que l’essence de la béatitude requiert plus de choses que
l’essence du fruit. Car pour le fruit il suffit que la chose soit dernière et
agréable, tandis que pour la béatitude il faut de plus qu’elle soit parfaite et
excellente. Par conséquent toutes les béatitudes peuvent être appelées des
fruits, mais non réciproquement. Car on donne le nom de fruit à toutes les
actions vertueuses dans lesquelles l’homme se délecte, tandis qu’on ne donne le
nom de béatitudes qu’aux œuvres parfaites, qui en raison de leur perfection
sont attribuées aux dons plutôt qu’aux vertus, comme nous l’avons dit (quest.
69, art. 1 et 3).
Article
3 : Les fruits sont-ils convenablement énumérés par l’Apôtre ?
Objection
N°1. Il semble que l’Apôtre dans son Epitre aux
Galates (chap. 5)
ait énuméré à tort douze fruits. Car ailleurs il dit que la vie présente ne
produit qu’un fruit (Rom., 6, 22) : Le fruit que vous retirez est votre propre
sanctification. Et le prophète avait dit (Is., 27, 9)
: Tout votre fruit ici-bas consiste dans
la destruction du péché. On ne doit donc pas admettre douze fruits.
Réponse
à l’objection N°1 : La sanctification est produite par toutes les vertus qui
effacent les péchés. L’Apôtre les désigne en cet
endroit par le nom de fruit qu’il
emploie au singulier à cause de l’unité du genre, qui se divise en plusieurs
espèces, ce qui fait qu’on distingue plusieurs fruits.
Objection
N°2. Le fruit est ce qui est produit par une semence spirituelle, comme nous
l’avons dit (art. 1). Or, le Seigneur (Matth., chap.
13) distingue trois sortes de fruits qui naissent de la semence spirituelle
clans une bonne terre : le centième,
le soixantième et le trentième. Donc on ne doit pas en
reconnaître douze.
Réponse
à l’objection N°2 : Les mots de centième,
soixantième et trentième ne désignent pas des actes vertueux de différentes
espèces, mais seulement les divers degrés de perfection de la même vertu. Ainsi
on dit que la continence conjugale est représentée par le trentième fruit, celle des veuves par le soixantième et celle des vierges par le centième. Les Pères distinguent encore ces trois sortes de fruits
qu’indique l’Evangile d’après les trois degrés de la vertu, et ils établissent
ces trois degrés parce qu’en toute chose la perfection peut se considérer dans
son principe, son milieu et sa fin.
Objection
N°3. Le fruit par sa nature est quelque chose qui vient en dernier lieu et qui
est agréable. Or, on ne trouve pas ces qualités dans tous les fruits que l’Apôtre
énumère. Car la patience et la longanimité paraissent se rapporter aux choses
qui nous attristent, et la foi n’est pas ce qui vient en dernier lieu, il
semble que ce soit plutôt le premier fondement, par conséquent ce qui existe
tout d’abord. Donc il était inutile de placer ces vertus au nombre des fruits.
Réponse
à l’objection N°3 : La fermeté, qui empêche d’être troublé dans le chagrin est
quelque chose d’agréable, et la foi, bien qu’on la considère comme un
fondement, est cependant une dernière fin et une chose agréable parce qu’elle
implique la certitude. Aussi la glose (interl.) en expliquant ce passage de l’Apôtre dit : La foi, c’est-à-dire la certitude des choses invisibles.
Objection
N°4. Mais c’est le contraire. Il semble que cette énumération soit insuffisante
et incomplète. Car nous avons dit (art. préc.) qu’on
peut donner le nom de fruits à toutes les béatitudes. Or, elles ne figurent pas
toutes dans cette énumération, puisqu’on ne voit rien qui se rapporte à la
sagesse et aux actes de beaucoup d’autres vertus. Donc il semble que les fruits
ne soient pas complètement énumérés.
Réponse
à l’objection N°4 : D’après saint Augustin (Sup.
epist. ad Gal., chap. 5), l’Apôtre n’a pas eu
précisément pour but de nous apprendre combien il y a d’œuvres charnelles et de
fruits spirituels, mais il a voulu nous montrer de quelle manière il fallait
éviter les unes et rechercher les autres. Par conséquent il pourrait se faire
qu’il v eut plus ou moins de fruits qu’il n’en a énumérés. Cependant tous les
actes des dons et des vertus peuvent rentrer sous un certain rapport dans
ceux-ci, en ce sens que toutes les vertus et tous les dons doivent
nécessairement ordonner l’esprit de l’une des manières que nous avons
déterminées. Ainsi les actes de la sagesse et de tous les autres dons qui se
rapportent au bien rentrent dans la charité, la joie et la paix. Mais l’Apôtre
a énoncé de préférence ces derniers effets parce qu’ils impliquent plus
directement la jouissance des biens ou l’exclusion des maux, ce qui semble de l’essence
même du fruit.
Conclusion
C’est avec raison que l’Apôtre a compté douze fruits de l’Esprit-Saint,
selon ses diverses processions en nous.
Il
faut répondre que c’est avec raison que l’Apôtre a compté douze fruits (Les
douze fruits énumérés par l’Apôtre sont : la charité, la joie, la paix, la
patience, la longanimité, la bonté, la bienfaisance, la douceur, la bonne foi,
la modestie, la continence, et la chasteté (Gal., 5, 22).) et que c’est à ces douze fruits
qu’on peut appliquer ces paroles de l’Apocalypse : Des deux côtés du fleuve l’arbre de vie portait douze fruits. (Ap., 22. 2). En
effet, comme on appelle fruit ce qui procède d’un principe tel qu’une semence
ou une racine, il faut considérer la distinction de ces fruits d’après les
diverses processions de l’Esprit-Saint en nous. Cette
procession a trois buts différents : le premier c’est d’ordonner l’âme humaine
en elle-même, le second c’est de l’ordonner par rapport à ce qui est au même
niveau qu’elle, et le troisième c’est de l’ordonner par rapport à ce qui est
au-dessous d’elle. Or, l’âme est bien ordonnée en elle-même quand elle se
comporte sagement dans les biens et dans les maux. La première disposition de
l’âme à l’égard des biens est l’effet de l’amour, qui est l’affection première
et la racine de toutes les affections, comme nous l’avons dit (quest. 25, art.
1 et 2). C’est pour cela que parmi les fruits de l’Esprit-Saint
on met au premier rang la charité
dans laquelle l’Esprit-Saint se donne spécialement,
comme dans sa propre ressemblance, puisqu’il est lui-même amour. D’où l’Apôtre
dit (Rom., 5, 5) : La charité de Dieu a été répandue dans nos cœurs
par l’Esprit-Saint qui nous a été donné. L’amour
de la charité produit nécessairement la joie
; car celui qui aime se réjouit de son union avec l’objet aimé, et comme la
charité a toujours présent Dieu qu’elle aime, d’après ces paroles de saint Jean
(1 Jean, 4, 16)
: Celui qui demeure dans la charité
demeure en Dieu et Dieu en lui, il résulte que la joie est la conséquence
de la charité. Mais la perfection de la joie est la paix sous deux rapports : 1° à l’égard du repos que l’on goûte
quand on est à l’abri des causes extérieures de trouble. Car on ne peut jouir
parfaitement du bien que l’on aime, si l’on est troublé par
d’autres choses dans sa jouissance. D’ailleurs celui dont le cœur se
repose parfaitement et avec calme dans un objet, ne peut être inquiété par
aucun autre, parce qu’il considère toutes les autres choses comme rien. Aussi
il est écrit (Ps. 118, 165) : Ceux qui aiment votre loi jouissent d’une grande paix, et il n’y a
point pour eux de scandale ; c’est-à-dire que les choses extérieures ne les
empêchent pas de jouir de Dieu. 2° Par rapport à tous les désirs flottants et
incertains qu’elle apaise. Car on ne jouit pas d’une chose parfaitement quand
on trouve cette chose insuffisante. Par conséquent la paix implique ces deux
choses, c’est que les choses extérieures ne nous troublent pas et que nos
désirs se reposent dans un seul et même objet. C’est pourquoi après la charité
et la joie on met en troisième lieu la paix.
L’âme se comporte bien dans les maux de deux manières : 1° quand les maux dont
elle est menacée ne la troublent pas, ce qui est l’effet de la patience ; 2° quand elle ne se trouble
pas du retard des biens qu’elle attend, ce qui se rapporte à la longanimité. Car la privation d’un bien
est une chose mauvaise, comme le dit Aristote (Eth., liv. 5, chap. 3). — Par
rapport à ce qui est égal à l’homme, c’est-à-dire par rapport à son prochain,
l’âme humaine est bien disposée : 1° quand elle a la volonté de faire le bien,
ce qui regarde la bonté ; 2° quand
elle exécute ce dessein, ce qui résulte de la bénignité ou de la bienfaisance. Car on appelle bienfaisants ceux
que le feu de la charité rend très ardents à être utiles au prochain ; 3° quand
on supporte avec égalité d’âme les maux que le prochain nous fait, et c’est ce
qui se rapporte à la mansuétude qui
comprime la colère ; 4° quand on ne se borne pas à ne faire aucun tort au
prochain par colère, mais quand on ne lui nuit ni par fraude, ni par ruse, et
c’est ce qui regarde la bonne foi, si
on entend par là la fidélité. Mais si on désigne par ce mot la vertu qui nous
fait croire en Dieu, alors l’homme est par là même mis en rapport avec ce qui
est au-dessus de lui, de telle sorte qu’il soumet à Dieu son intelligence et
par conséquent tout ce qui lui appartient. — Quant à ce qui est au-dessous de
lui, l’homme est bien disposé relativement aux actions extérieures par la modestie qui observe une certaine
retenue dans toutes ses paroles et tous ses actes, et relativement aux
convoitises intérieures par la continence
et la chasteté, soit qu’on distingue
ces deux choses parce que la chasteté éloigne l’homme des plaisirs défendus et
la continence des plaisirs permis ; soit qu’on les distingue parce que celui
qui est continent subit les mouvements de la concupiscence sans se laisser
entraîner, tandis que celui qui est chaste ne les éprouve, ni ne s’en laisse
dominer.
Article
4 : Les fruits de l’Esprit-Saint sont-ils contraires
aux œuvres de la chair ?
Objection
N°1. Il semble que les fruits de l’Esprit-Saint ne
soient pas contraires aux œuvres de la chair que l’Apôtre énumère (Gal., chap. 5). Car les contraires appartiennent
au même genre. Or, les œuvres de la chair ne reçoivent pas le nom de fruits.
Donc les fruits de l’Esprit-Saint ne leur sont pas
contraires.
Réponse
à l’objection N°1 : Ce qui procède d’un arbre contrairement à sa nature n’est
pas un fruit, mais c’est plutôt une corruption. Et comme les œuvres des vertus
sont de même nature que la raison, tandis que les œuvres des vices lui sont
contraires, il s’ensuit que les actions vertueuses reçoivent le nom de fruits,
mais qu’il n’en est pas de même des actions vicieuses.
Objection
N°2. Il n’y a qu’une chose qui soit contraire à une autre. Or, l’Apôtre énumère
plus d’œuvres de la chair que de fruits de l’esprit. Donc les fruits de
l’esprit et les œuvres de la chair ne sont pas contraires.
Réponse
à l’objection N°2 : Le bien ne se fait que d’une seule façon (Parce que le bien
n’existe que selon qu’il est conforme à la règle.), tandis que le mal peut se
faire de beaucoup de manières (Car il y a bien des manières de s’écarter de la
voie.), comme le dit saint Denis (De div.
nom., chap.
4). C’est ce qui fait qu’il y a plusieurs vices opposés à une même vertu. Par
conséquent il n’est pas étonnant que l’on compte plus d’actions charnelles que
de fruits spirituels.
Objection
N°3. Parmi les fruits de l’esprit, l’Apôtre place d’abord la charité, la joie et la paix
auxquelles ne correspondent pas les œuvres de la chair qu’il met en premier
lieu et qui sont : la fornication, l’impureté et l’impudicité. Donc les fruits de l’esprit ne sont pas contraires aux œuvres
de la chair.
Mais
c’est le contraire. L’Apôtre dit (Gal., 5, 17) que la chair a des désirs contraires à l’esprit et que l’esprit en a de
contraires à la chair.
Conclusion
Les fruits de l’Esprit-Saint sont en général
contraires aux œuvres de la chair, quoiqu’il en soit autrement d’après leur
nature propre ; néanmoins les œuvres de la chair peuvent être rapportées à
chacun des fruits de l’Esprit-Saint.
Il
faut répondre qu’on peut considérer de deux manières les œuvres de la chair el
les fruits de l’Esprit-Saint. 1° On peut les
considérer d’une manière générale, et en ce sens les fruits de l’Esprit-Saint sont contraires à ceux de la chair. Car l’Esprit-Saint porte l’esprit de l’homme vers ce qui est
conforme ou plutôt vers ce qui est supérieur à la raison, tandis que l’appétit
de la chair ou l’appétit sensitif l’attire vers les biens sensibles qui sont
au-dessous de lui. Ainsi comme dans l’ordre naturel le mouvement d’en haut est
contraire au mouvement d’en bas, de même dans la vie humaine les œuvres de la
chair sont contraires aux fruits de l’esprit. 2° On peut considérer en
particulier et d’après leur propre nature chacun des fruits spirituels et chacune
des œuvres charnelles que l’Apôtre énumère ; sous ce rapport il n’est pas
nécessaire que l’un soit opposé à l’autre, parce que, comme nous l’avons dit
(art. préc.), l’Apôtre n’a pas eu l’intention
d’énumérer toutes les œuvres spirituelles, ni toutes les œuvres charnelles.
Cependant saint Augustin (loc. cit.),
dans l’explication qu’il donne de ce passage de saint Paul, établit entre les
fruits et les œuvres un certain rapprochement, et il oppose à chaque œuvre
charnelle un des fruits de l’Esprit-Saint. Ainsi à la
fornication qui est l’amour ou le
désir de satisfaire ses passions sensuelles en dehors du mariage, il oppose la charité qui unit l’âme à Dieu en qui
réside la vraie chasteté ; à l’impureté
qui est la conséquence de tous les désordres de la fornication il oppose la, joie de la tranquillité qui résulte de
la charité. Il fait contraster avec la paix
la servitude des idoles, par laquelle
on fait la guerre contre l’Evangile de Dieu. Aux vengeances, aux inimitiés,
aux disputes, aux animosités, aux jalousies, et aux dissensions,
il oppose la longanimité qui nous
fait supporter les maux des hommes avec lesquels nous vivons ; la bienfaisance qui nous porte à les
soigner, et la bonté qui est cause
que nous leur pardonnons. Aux hérésies
il oppose la foi ; à la jalousie la douceur ; à l’amour excessif
du boire et du manger la continence.
La
réponse à la troisième objection est par là même évidente.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue
de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements
du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était
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