Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

1a 2ae = Prima Secundae = 1ère partie de la 2ème Partie

Question 73 : Du rapport des péchés entre eux

 

          Après avoir parlé de la distinction des péchés, nous avons à nous occuper du rapport qu’ils ont entre eux. — A ce sujet dix questions se présentent : 1° Tous les péchés et tous les vices sont-ils connexes ? (L’Ecriture suppose que tous les péchés ne sont pas connexes entre eux comme les vertus (Jacques, 2, 11) : En effet, celui qui a dit : Tu ne commettras point d’adultère, dit aussi : Tu ne tueras point. Si donc tu ne commets pas d’adultère, mais que tu commettes un meurtre, tu es transgresseur de la loi. Ce qui montre évidemment qu’on peut être adultère sans être homicide.) — 2° Sont-ils tous égaux ? (On peut citer à cet égard une foule de passages de l’Ecriture (Jér., 7, 26) : ils ont fait le mal plus que leurs pères. (Lam., 4, 6) : L’iniquité de la fille de mon peuple est devenue plus grande que le péché de Sodome.) — 3° La gravité des péchés se considère-t-elle d’après leurs objets ? (L’Ecriture le suppose (1 Rois, 2, 25) : Si un homme pèche contre un homme, on peut lui rendre Dieu favorable ; mais si un homme pèche contre le Seigneur, qui priera pour lui ? Voy. Ex., chap. 22, Deut., chap. 25, et Gen., chap. 9, etc.) — 4° Se considère-t-elle d’après la dignité des vertus auxquelles ils sont opposés ? (Cet article n’est qu’une conséquence de ceux qui précèdent.) — 5° Les péchés charnels sont-ils plus graves que les péchés spirituels ? (Billuart appelle sur cet article l’attention de ceux qui méprisent les autres, à cause des chutes qu’ils font, et qui ne craignent pas de pécher par orgueil, par envie, et de faire des calomnies et des médisances.) — 6° La gravité des péchés se considère-t-elle d’après leurs causes ? — 7° La considère-t-on d’après les circonstances ? (Le concile de Trente a décidé formellement que l’on devait déclarer en confession les circonstances qui changent l’espèce du péché (sess. 14, can. 5) : Eas circunstantias in confessione explicandas quæ speciem peccati mutant, quod sine illis fieri nequeat, ut de gravitate criminum recte censere possint. Mais doit-on déclarer les circonstances aggravantes ? Cette question est controversée. Saint Thomas est pour la négative (In 4 Sent., dist. 16, quest. 3, art. 2, quest. 5, et c. 2). Saint Alphonse de Liguori également (De panit., n° 468) ainsi que de Lugo, Lessius, Bonacina, etc. L’affirmative est soutenue par Suarez, Billuart, Collet, etc.) — 8° Est-ce d’après la quantité du dommage causé ? — 9° Est-ce d’après la condition de la personne offensée ? — 10° L’importance de la personne qui pèche aggrave-t-elle le péché ? (L’Ecriture dit (Sag., 6, 6-7) : ceux qui commandent seront jugés avec une rigueur extrême, car les petits sont traités avec miséricorde ; mais les puissants seront puissamment tourmentés.)

 

Article 1 : Tous les péchés sont-ils connexes ?

 

          Objection N°1. Il semble que tous les péchés soient connexes. Car il est écrit (Jacques, 2, 10) : Quiconque ayant observé toute la loi, la viole en un seul point, est coupable comme s’il l’avait toute violée. Or, quand on est coupable d’avoir transgressé tous les commandements de la loi, c’est comme si on avait fait tous les péchés ; car, comme ledit saint Ambroise (De parad., chap. 8), le péché est une transgression de la loi divine et une désobéissance aux ordres du ciel. Donc quiconque fait un péché est coupable de tous les autres.

          Réponse à l’objection N°1 : Saint Jacques parle des péchés non d’après leur rapport avec leur objet, ce qui constitue leur distinction, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article et quest. 72, art. 1), mais il en parle d’après l’éloignement qui résulte de ce que l’homme en les commettant s’écarte de la loi de Dieu. Car tous les préceptes de la loi ont un seul et même auteur, comme le dit cet apôtre (ibid.) ; par conséquent c’est le même Dieu qu’on méprise quand on les transgresse. C’est en ce sens qu’il dit que celui qui le blesse en un point devient coupable de tous les autres ; parce qu’en faisant un péché, par là même qu’il méprise Dieu il mérite d’être puni ; et c’est ce même mépris qui fait que tous les péchés sont punissables.

 

          Objection N°2. Tout péché exclut la vertu qui lui est opposée. Or, celui qui manque d’une vertu est privé de toutes les autres, comme on le voit d’après ce que nous avons dit (quest. 65, art. 1). Donc celui qui fait un péché est privé de toutes les vertus ; et comme celui qui manque d’une vertu a le vice qui lui est contraire, il s’ensuit que celui qui a un péché les a tous.

         Réponse à l’objection N°2 : Comme nous l’avons dit (quest. 71, art. 4), tout péché ne détruit pas la vertu qui lui est opposée. Ainsi le péché véniel ne la détruit pas ; le péché mortel détruit la vertu infuse, puisqu’il détourne de Dieu, mais un seul péché mortel ne détruit pas l’habitude d’une vertu acquise. Toutefois si on multiplie le même péché, cette réitération d’actes produisant une habitude contraire, l’habitude de la vertu acquise se trouve par là même détruite, et du moment où elle est détruite la prudence n’existe plus ; parce que quand l’homme agit contre une vertu quelconque, il agit contre la prudence sans laquelle aucune vertu morale ne peut exister, comme nous l’avons vu (quest. 58, art. 4, et quest. 65, art. 1). C’est pourquoi toutes les vertus morales sont conséquemment détruites relativement à leur être formel et parfait qu’elles possèdent selon qu’elles participent à la prudence ; mais les inclinations à la vertu subsistent. Il ne résulte donc pas de là que l’homme pour ce motif ait tous les vices ou tous les péchés : 1° parce qu’il y a plusieurs vices opposés à la même vertu, de telle sorte qu’on peut être privé d’une vertu par l’un d’eux, quoiqu’on n’ait pas les autres ; 2° parce que le péché est directement contraire à la vertu, quant à l’inclination qui nous porte à faire des actions vertueuses, comme nous l’avons dit (quest. 71, art. 1). Par conséquent du moment où il subsiste dans l’homme certaines inclinations vertueuses, on ne peut pas dire qu’il ait les vices ou les péchés qui leur sont opposés (En un mot, les péchés sont contraires à l’acte de la vertu, mais ils ne sont pas contraires à l’habitude.).

 

          Objection N°3. Toutes les vertus sont connexes, parce qu’elles ont un seul et même principe, ainsi que nous l’avons vu (quest. 65, art. 1 et 2). Or, comme les vertus se réunissent dans un seul et même principe, de même les péchés. Car comme l’amour divin qui produit la cité de Dieu est le principe et la racine de toutes les vertus ; de même l’amour de soi qui produit la cité de Babylone est la raison de tous les péchés, tel qu’on le voit dans saint Augustin (De civ. Dei, liv. 14 chap. 28 et ult., et in Psal. 64). Donc tous les péchés et tous les vices sont connexes de manière que celui qui en a un possède tous les autres.

          Réponse à l’objection N°3 : L’amour de Dieu a une vertu unitive dans le sens qu’il ramène les affections de l’homme de la multiplicité à l’unité ; c’est ce qui fait que les vertus qui sont des effets de l’amour de Dieu ont de la connexion entre elles. L’amour de soi, au contraire, disperse les affections de l’homme sur divers points, parce que l’homme s’aime en recherchant pour lui-même les biens temporels qui sont variés et divers, et c’est pour cette raison que les vices et les péchés qui sont des effets de l’amour de soi ne sont pas connexes.

 

          Mais c’est le contraire. Il y a des vices qui sont réciproquement contraires, comme le prouve Aristote (Eth., liv. 2, chap. 8). Or, il est impossible que les contraires existent simultanément dans le même sujet. Par conséquent les péchés et les vices ne peuvent pas être connexes entre eux.

 

          Conclusion Puisqu’il y a des vices ou des péchés qui sont contraires l’un à l’autre et que les contraires ne peuvent exister simultanément dans le même sujet, il ne peut se faire que tous les péchés soient connexes.

          Il faut répondre que l’intention de celui qui agit conformément à la vertu pour obéir à la raison est autre que l’intention de celui qui pèche pour s’écarter de cette même raison. Car tout agent qui est vertueux a l’intention de suivre la règle de la raison ; c’est ce qui fait que toutes les vertus tendent au même but et qu’elles ont toutes de la connexion entre elles, parce qu’elles se réunissent toutes dans la droite raison pratique qui est la prudence, comme nous l’avons dit (quest. 65, art. 1). Mais l’intention de celui qui pèche n’a pas pour but de s’écarter de ce qui est conforme à la raison, elle tend plutôt vers le bien qui sollicite son appétit et d’où elle tire son espèce. Or, les biens de cette nature vers lesquels tend l’intention du pécheur qui s’écarte de la raison, sont des biens divers qui n’ont aucune connexion entre eux, et qui sont même quelquefois contraires. Ainsi donc puisque les vices et les péchés tirent leur espèce de l’objet auquel ils se rapportent, il est évident que d’après ce qui constitue l’espèce du péché ils n’ont aucune connexion entre eux. Car on ne pèche pas en allant de la multiplicité à l’unité, comme il arrive par les vertus qui sont connexes entre elles, mais on pèche plutôt en s’écartant de l’unité pour aller à la multiplicité (Il y a cependant des péchés qui ont de la connexion entre eux. Ainsi l’impureté mène à la gourmandise, la jactance et l’hypocrisie à la vaine gloire.).

 

Article 2 : Tous les péchés sont-ils égaux ?

 

          Objection N°1. Il semble que tous les péchés soient égaux. Car pécher c’est faire ce qui n’est pas permis. Or, faire ce qui n’est pas permis est répréhensible en toutes choses d’une seule et même manière. Donc le péché est répréhensible d’une seule et même manière, et par conséquent un péché n’est pas plus grave qu’un autre.

          Réponse à l’objection N°1 : Il n’est pas permis de faire des péchés précisément parce qu’ils sont une dérogation à l’ordre ; par conséquent plus cette dérogation est grande et plus ils sont illicites, et par là même plus ils sont graves.

 

          Objection N°2. Tout péché consiste en ce que l’homme transgresse la règle de la raison qui est aux actes humains ce que la règle linéaire est aux objets matériels. Par conséquent pécher c’est comme si l’on dépassait une ligne qui a été tracée. Or, qu’on s’écarte plus ou moins d’une ligne, on la dépasse toujours également et de la même manière, parce que les privations ne sont susceptibles ni de plus, ni de moins. Donc tous les péchés sont égaux.

          Réponse à l’objection N°2 : Ce raisonnement suppose que le péché est une pure privation.

 

          Objection N°3. Les péchés sont opposés aux vertus. Or, toutes les vertus sont égales, comme le dit Cicéron (Paradox., 3). Donc tous les péchés sont égaux.

          Réponse à l’objection N°3 : Les vertus sont proportionnellement égales dans un seul et même sujet. Cependant une vertu l’emporte sur une autre en dignité selon son espèce ; et un homme est plus vertueux qu’un autre par rapport à la même espèce de vertu, comme nous l’avons dit (quest. 66, art. 1 et 2). D’ailleurs quand les vertus seraient égales, il ne s’ensuivrait pas que les vices le sont aussi, parce que les vertus sont connexes, tandis que les vices et les péchés ne le sont pas.

 

          Mais c’est le contraire. Notre-Seigneur dit à Pilate (Jean, 19, 11) : Celui qui m’a livré à vous a commis un plus grand péché. Or, il est constant que Pilate a péché. Donc il y a des péchés plus grands que d’autres.

 

          Conclusion Puisque les péchés ne nous privent pas absolument de tout le bien de la raison, mais qu’il arrive que nous nous écartons tantôt plus, tantôt moins de sa rectitude, on ne peut pas dire que tous les péchés soient égaux.

          Il faut répondre que l’opinion combattue par Cicéron dans ses Paradoxes (loc. cit.) fut celle des stoïciens qui prétendaient que tous les péchés sont égaux. De là est née l’erreur de quelques hérétiques (Ces hérétiques sont Novatien et Jovinien. On peut voir l’ouvrage composé par saint Jérôme contre ce dernier (Cont. Jovin., liv. 2, chap. 16).) qui en supposant que tous les péchés sont égaux disaient aussi que toutes les peines de l’enfer sont égales. Autant qu’on peut en juger d’après les paroles de Cicéron, les stoïciens avaient été amenés à ce sentiment parce qu’ils considéraient le péché seulement du côté de la privation, c’est-à-dire selon qu’il s’écarte de la raison, et comme d’ailleurs ils pensaient qu’aucune privation n’est susceptible de plus et de moins, ils ont cru que tous les péchés sont égaux. Mais si l’on y regarde de plus près on trouvera qu’il y a deux sortes de privations. Il y a une privation pure et simple qui consiste en quelque sorte dans la corruption de l’être ; c’est ainsi que la mort est une privation de vie et les ténèbres une privation de lumière. Ces privations n’admettent pas le plus et le moins, parce qu’il ne reste rien de l’habitude opposée. Car on n’est pas moins mort après deux, trois ou quatre jours qu’après une année, quand le cadavre est déjà tombé en dissolution. De même une maison n’est pas plus ténébreuse quand une lanterne est recouverte de plusieurs voiles, que quand elle est couverte d’un seul qui intercepte complètement la lumière. Il y a une autre privation qui n’est pas simple, mais qui conserve encore quelque chose de l’habitude opposée. Cette privation consiste plutôt dans l’altération de l’être que dans sa corruption intégrale. C’est ainsi que la maladie trouble l’harmonie des humeurs, mais de telle sorte qu’il en reste toujours quelque chose, autrement l’animal ne resterait pas vivant. Il en est de même de la difformité et des autres choses semblables. Ces privations admettent le plus et le moins, parce qu’elles laissent subsister quelque chose de l’habitude contraire. Car il importe beaucoup à la maladie ou à la difformité, qu’elle s’écarte plus ou moins de l’état où doivent être les humeurs ou les membres. On en doit dire autant des vices et des péchés. En effet ils troublent l’ordre légitime de la raison, mais non pas au point de le détruire totalement ; autrement le mal, quand il est complet, se détruit lui-même, comme le dit Aristote (Eth., liv. 4, chap. 5). Car la substance de l’acte ou l’affection de l’agent ne pourrait subsister s’il ne restait quelque chose de l’ordre rationnel. C’est pourquoi il importe beaucoup à la gravité du péché qu’il s’écarte plus ou moins de la droiture de la raison. D’après cela on doit dire que tous les péchés ne sont pas égaux.

 

Article 3 : La gravité des péchés varie-t-elle d’après leurs objets ?

 

          Objection N°1. Il semble que la gravité des péchés ne varie pas selon les objets. Car la gravité du péché appartient au mode ou à la qualité du péché lui-même. Or, l’objet est la matière du péché même. Donc la gravité des péchés ne varie pas selon la diversité de leurs objets.

          Réponse à l’objection N°1 : Quoique l’objet soit la matière que l’acte a pour terme, il est néanmoins sa fin en ce sens que c’est sur lui que se porte l’intention de l’agent, comme nous l’avons dit (quest. 72, art. 3, réponse N°2). Or, la forme de l’acte moral dépend de sa fin (C’est de là qu’il tire sa gravité et son espèce), comme nous l’avons vu (quest. préc., art. 6, et quest. 18, art. 6).

 

          Objection N°2. La gravité du péché est l’intensité de sa malice. Or, le péché ne tire pas sa malice de l’objet auquel il se rapporte, puisque cet objet est un bien désirable, mais il la tire plutôt de ce qu’il détourne l’homme de Dieu. Donc la gravité des péchés ne varie pas selon la diversité de leurs objets.

          Réponse à l’objection N°2 : Du moment où l’on se tourne vers un bien qui est changeant, il arrive qu’on se détourne du bien immuable, et c’est là ce qui constitue l’essence du mal. C’est pourquoi il faut que d’après la diversité des objets vers lesquels on se tourne, il en résulte une diversité de gravité dans la malice du péché.

 

          Objection N°3. Les péchés qui ont divers objets sont de divers genres. Or, les choses qui sont de divers genres ne peuvent pas être comparées entre elles, comme le prouve Aristote (Phys., liv. 7, text. 30 à 32). Donc un péché n’est pas plus grave qu’un autre d’après la diversité des objets.

          Réponse à l’objection N°3 : Tous les objets des actes humains se rapportent réciproquement l’un à l’autre. C’est ce qui fait que tous les actes humains ont en quelque sorte un même genre qui leur est commun, d’après lequel ils se rapportent à la fin dernière. C’est pourquoi rien n’empêche de comparer tous les péchés entre eux.

 

          Mais c’est le contraire. Les péchés tirent leur espèce de leurs objets, comme nous l’avons dit (quest. 72, art. 1). Or, il y a des péchés qui sont plus graves que d’autres dans leur espèce. Ainsi l’homicide est plus grave que le vol. Donc la gravité des péchés diffère d’après leurs objets.

 

         Conclusion Puisque les péchés tirent leur espèce de leur objet, il est nécessaire que leur gravité varie d’après ces mêmes objets.

          Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. préc. et quest. 72, art. 5), la gravité des péchés diffère de la même manière qu’une maladie peut être plus grave qu’une autre. Car comme la santé consiste dans un certain équilibre des humeurs en rapport avec la nature de l’animal ; de même la vertu consiste dans une certaine mesure des actes humains qui les rend conformes à la droite raison. Or, il est évident que plus une maladie est grave, et plus elle trouble le rapport dans lequel les humeurs doivent être à l’égard du principe vital. Ainsi dans le corps humain les maladies du cœur qui est le principe de la vie, ou les maladies des parties qui avoisinent le cœur, sont les plus dangereuses. De même il faut que plus le péché est grave et plus profond soit le désordre qu’il produit à l’endroit du principe qui tient le premier rang dans l’ordre de la raison. Or, la raison ordonne toutes les actions d’après la fin. C’est pourquoi dans les actes humains plus la fin d’où le péché procède est élevée et plus le péché est grave. Comme les objets des actes sont leurs fins, ainsi que nous l’avons vu (quest. 72, art. 3, réponse N°2), il s’ensuit que la gravité des péchés varie selon la diversité des objets. Et puisque d’ailleurs il est évident que les choses extérieures se rapportent à l’homme comme à leur fin et que l’homme se rapporte lui-même à Dieu, il en résulte que le péché qui a pour objet la substance même de l’homme, tel que l’homicide, est plus grave que le péché qui a pour objet les choses extérieures, tel que le vol ; et que le péché qui se commet immédiatement contre Dieu , tel que l’infidélité et le blasphème, etc., est plus grave encore. Et dans l’ordre de chacun de ces péchés il y en a aussi de plus graves que d’autres, selon qu’ils se rapportent plus ou moins principalement à leur objet. Mais comme les péchés tirent des objets leur espèce, la différence de gravité qui se considère d’après les objets est la première différence et la principale, parce qu’elle est comme une conséquence de l’espèce.

 

Article 4 : La gravité des péchés diffère-t-elle selon la dignité des vertus auxquelles ils sont opposés ?

 

          Objection N°1. Il semble que la gravité des péchés ne diffère pas selon la dignité des vertus auxquelles ils sont opposés ; de telle sorte, par exemple, qu’un péché plus grave soit opposé à une plus grande vertu. Car il est écrit (Prov., 15, 5) : Il y a dans une justice abondante la plus grande vertu. Et le Seigneur dit (Matth., chap. 5) : Une justice abondante comprime la colère qui est un péché moindre que l’homicide qu’empêche une justice moins parfaite. Donc le plus petit péché est opposé à la plus grande vertu.

          Réponse à l’objection N°1 : Ce raisonnement repose sur l’opposition considérée au point de vue de la répression du péché ; car c’est ainsi qu’une justice abondante ou parfaite empêche jusqu’aux moindres fautes.

 

          Objection N°2. Aristote dit (Eth., liv. 2, chap. 3, circ. fin.) que la vertu a pour objet ce qui est difficile et ce qui est bien. D’où il semble qu’une vertu plus grande se rapporte à une chose plus difficile. Or, le péché est moindre, si l’homme vient à faillir dans une circonstance plus difficile, que dans une circonstance qui l’est moins. Donc un moindre péché est opposé à une plus grande vertu.

          Réponse à l’objection N°2 : La vertu qui a pour objet le bien le plus difficile est directement contraire au péché qui a pour objet le mal le plus difficile. Car de part et d’autre il y a une certaine prééminence qui résulte de ce que la volonté se montre plus portée au bien ou au mal, par là même qu’elle ne se laisse arrêter par aucune difficulté.

 

          Objection N°3. La charité est une vertu plus grande que l’espérance et la foi, comme le dit saint Paul (1 Cor., chap. 13). Or, la haine, qui est opposée à la charité, est un péché moindre que l’infidélité ou le désespoir, qui sont contraires à l’espérance et à la foi. Donc un moindre péché est contraire à une plus grande vertu.

          Réponse à l’objection N°3 : La charité n’est pas un amour quelconque, mais c’est l’amour de Dieu ; par conséquent toute haine ne lui est pas opposée directement ; il n’y a que la haine de Dieu qui est en effet le plus grave des péchés (Il faut avoir bien soin d’opposer ce qu’il y a de plus élevé dans la vertu à ce qu’il y a de plus élevé dans le vice, parce que cette comparaison n’est possible qu’autant que toutes choses sont égales d’ailleurs.).

 

          Mais c’est le contraire. Aristote dit (Eth., liv. 8, chap. 10) que ce qu’il y a de pire est contraire à ce qu’il y a de mieux. Or, le mieux en morale est la vertu la plus grande, et le pire est le péché le plus grave. Donc le plus grand péché est opposé à la plus grande vertu.

 

          Conclusion Puisqu’on considère la gravité du péché et la dignité de la vertu d’après l’objet d’où elles tirent l’une et l’autre leur espèce, il faut relativement à l’objet que le plus grand vice soit contraire à la plus grande vertu, quoiqu’on puisse dire aussi que les moindres vices lui sont opposés parce qu’ils sont comprimés par une vertu plus grande.

          Il faut répondre qu’un péché est opposé à la vertu de deux manières. 1° Il lui est opposé directement et principalement, ce qui arrive quand il se rapporte au même objet (Comme la tempérance et l’intempérance.). Car les contraires se rapportent à la même chose. De cette manière il faut que le péché le plus grave soit opposé à la plus grande vertu. Car comme la gravité du péché se prend de l’objet lui-même, ainsi il en est de la dignité de la vertu, puisque l’un et l’autre tire son espèce de l’objet, comme nous l’avons vu (quest. 60, art. 5, et quest. 62, art. 1). Il faut donc que le plus grand péché soit directement contraire à la plus grande vertu, comme étant ce qu’il y a de plus extrême dans le même genre. 2° On peut considérer l’opposition de la vertu à l’égard du péché d’après l’étendue ou la puissance de la vertu qui le comprime. Car plus la vertu est forte et plus elle éloigne l’homme du péché qui lui est contraire, de sorte qu’elle empêche non-seulement le péché, mais encore ce qui peut porter à le faire (Ainsi une chasteté parfaite nous éloigne même des moindres pensées qui pourraient porter atteinte à la pureté.). Dans ce cas il est manifeste que plus la vertu est grande et plus les péchés qu’elle empêche sont médiocres ; comme plus la santé est brillante et plus sont faibles les indispositions qu’elle éloigne. En ce sens c’est le moindre péché qui est, par rapport à l’effet, opposé à la plus grande vertu.

 

Article 5 : Les péchés charnels sont-ils moins graves que les péchés spirituels ?

 

          Objection N°1. Il semble que les péchés charnels ne soient pas moins graves que les péchés spirituels. En effet, l’adultère est plus grave que le vol. Car il est écrit (Prov., 6, 30) : Ce n’est pas une grande faute qu’un homme qui dérobe pour avoir de quoi manger… mais celui qui est adultère perdra son âme par la folie de son cœur. Or, le vol se rapporte à l’avarice qui est un péché spirituel, tandis que l’adultère appartient à la luxure qui est un péché charnel. Donc les péchés charnels sont plus graves.

          Réponse à l’objection N°1 : L’adultère n’appartient pas seulement au péché de luxure, mais encore au péché d’injustice ; et sous ce dernier rapport on peut le ramener à l’avarice, comme le dit la glose (Hieron) à l’occasion de ces paroles de l’Apôtre (Eph., chap. 5) : Tout fornicateur, tout impur ou tout avare. Alors l’adultère est plus grave que le vol, par là même que l’homme tient plus à sa femme qu’à ses biens.

 

          Objection N°2. Saint Augustin dit (De civ. Dei, liv. 2, chap. 4, et liv. 4, chap. 31) que le diable se réjouit surtout du péché de luxure et d’idolâtrie. Or, ce qui réjouit le plus le diable c’est la plus grande faute. Donc puisque la luxure est un péché charnel, il semble que les péchés charnels soient les fautes les plus graves.

          Réponse à l’objection N°2 : On dit que le diable se réjouit davantage du péché de luxure, parce que c’est à ce péché qu’on s’attache le plus fortement, et qu’il est difficile à l’homme de s’en détacher. Car le désir des jouissances est insatiable, comme le dit Aristote (Eth., liv. 3, chap. 12).

 

          Objection N°3. Aristote prouve (Eth., liv. 7, chap. 6) que celui qui ne peut contenir sa concupiscence est plus honteux que celui qui ne contient pas sa colère. Or, la colère est un péché spirituel, d’après saint Grégoire (Mor., liv. 31, chap. 17) : tandis que la concupiscence appartient aux péchés charnels. Donc le péché charnel est plus grave que le péché spirituel.

          Réponse à l’objection N°3 : D’après Aristote (Eth., liv. 7, chap. 6), il est plus honteux de ne pas se contenir à l’égard de la concupiscence qu’à l’égard de la colère, parce que cet acte participe moins de la raison. C’est ce qui lui a fait dire (Eth., liv. 3, chap. 10) que les péchés d’intempérance sont les plus honteux, parce qu’ils se rapportent à des plaisirs qui nous sont communs avec les brutes (La colère a du moins une certaine apparence de justice dont elle s’autorise pour satisfaire sa vengeance.). D’où il arrive que ces péchés rendent en quelque sorte l’homme semblable à la brute, et il s’ensuit, comme le dit saint Grégoire (loc. cit.), qu’ils sont plus ignominieux.

 

          Mais c’est le contraire. Saint Grégoire dit (Mor., liv. 31, chap. 11) que les péchés charnels sont des fautes moins graves, mais plus honteuses que les péchés spirituels.

 

          Conclusion Puisque les péchés charnels attaquent, comme tels, le corps lui-même, et que dans l’ordre de la charité on doit moins aimer le corps que Dieu et le prochain que blessent les péchés spirituels ; il est évident que ces derniers sont plus graves que les autres, quoiqu’ils soient moins honteux.

          Il faut répondre que les péchés spirituels sont plus graves que les péchés charnels. Ce qui ne signifie pas que tout péché spirituel est plus grave que- tout péché charnel quel qu’il soit ; mais on veut dire qu’à ne considérer que la différence établie entre eux par leur caractère propre, et toutes choses égales d’ailleurs, les péchés spirituels sont plus graves que les autres. On peut en donner trois raisons. La première se tire du sujet. Car les péchés spirituels appartiennent à l’esprit qui nous tourne vers Dieu et qui nous en détourne ; tandis que les péchés charnels se consomment dans la délectation de l’appétit charnel, dont la fonction principale est de nous porter vers le bien corporel. C’est pourquoi le péché charnel tient davantage, comme tel, au mouvement qui nous porte vers l’objet que nous désirons, et c’est ce qui fait qu’il produit une adhésion plus ferme et plus profonde. Le péché spirituel, au contraire, tient plus de l’aversion qui est précisément ce qui constitue la nature du péché. C’est pour cette raison que le péché spirituel, comme tel, est une faute plus grave. — La seconde raison peut se prendre de l’être contre lequel on pèche. Car le péché charnel, comme tel, se rapporte au corps qui, dans l’ordre de la charité, doit être moins aimé que Dieu et le prochain contre lesquels les péchés spirituels sont une offense. C’est pour cela que les péchés spirituels sont plus graves. — La troisième raison peut se déduire du motif ; parce que plus l’impulsion qui porte l’homme à pécher est puissante et moins l’homme pèche, comme nous le verrons (art. suiv.). Or, les péchés charnels sont produits par une impulsion plus forte, car ils ont pour cause la concupiscence de la chair qui nous est innée. C’est pourquoi les péchés spirituels, comme tels, sont plus graves.

 

Article 6 : La gravité des péchés se considère-t-elle d’après leur cause ?

 

          Objection N°1. Il semble que la gravité du péché ne se considère pas d’après sa cause. Car plus la cause du péché est puissante et plus elle porte vivement au mal, et par conséquent plus il est difficile de lui résister. Or, le péché diminue par là même qu’on lui résiste plus difficilement ; car c’est parce qu’il est faible que le pécheur ne résiste pas facilement au péché, et le péché, qui est l’effet de la faiblesse, est regardé comme le plus léger. Donc le péché ne tire pas sa gravité de sa cause.

          Réponse à l’objection N°1 : Cette objection porte sur la cause motrice extrinsèque qui diminue le volontaire ; l’accroissement de cette cause diminue en effet le péché, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.).

 

          Objection N°2. La concupiscence est une cause générale de péché. C’est ce qui fait dire à la glose (ord. ex spir. et litt., chap. 4), à l’occasion de ces paroles de saint Paul (Rom., chap. 7) : Je ne connaissais pas la concupiscence, que la loi est bonne, parce qu’en empêchant la concupiscence elle empêche tout mal. Or, plus la concupiscence qui triomphe de l’homme est forte et moins le péché est grave. Donc la gravité du péché diminue en raison de la grandeur de la cause.

          Réponse à l’objection N°2 : Si sous la concupiscence on comprend le mouvement même de la volonté, alors quand la concupiscence est plus forte le péché est plus grand. Mais si par concupiscence on entend une passion qui est le mouvement de l’appétit concupiscible, alors la concupiscence, qui précède le jugement de la raison et le mouvement de la volonté, diminue le péché en raison de sa puissance, parce que celui qui pèche, pressé par une concupiscence plus vive, succombe à une tentation plus forte, et sa faute lui est moins imputable. Au contraire si la concupiscence ainsi entendue suit le jugement de la raison et le mouvement de la volonté, en ce cas plus la concupiscence est puissante et plus le péché est grave. Car le mouvement de la concupiscence ne s’élève alors plus ardent que parce que la volonté se porte vers son objet d’une manière effrénée.

 

          Objection N°3. Comme la droiture de la raison est cause de l’acte vertueux, de même le défaut de raison semble être cause du péché. Or, plus le défaut de raison est grand et moindre est le péché, au point que celui qui manque de l’usage de la raison est tout à fait exempt de fautes, et que celui qui pèche par ignorance pèche plus légèrement. Donc la grandeur de la cause n’augmente pas la gravité du péché.

          Réponse à l’objection N°3 : Cette raison repose sur la cause qui produit l’involontaire, et cette cause diminue en effet le péché, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.).

 

          Mais c’est le contraire. En multipliant la cause on multiplie l’effet. Donc si la cause du péché est plus grande le péché sera plus grave.

 

          Conclusion La gravité des péchés doit se considérer d’après leurs causes, mais non de la même manière ; car la grandeur du péché varie d’après la volonté et la cause finale, tandis que le péché diminue en raison des causes qui affaiblissent le jugement de la raison ou le mouvement libre de la volonté.

          Il faut répondre qu’en matière de péché, comme en tout autre genre, on peut considérer deux sortes de causes. L’une qui est par elle-même la cause propre du péché, et c’est la volonté même du pécheur. Car la volonté est à l’acte du péché ce que l’arbre est à ses fruits, comme le dit saint Augustin (Cont. Jul., liv. 1, chap. 8) dans sa glose sur ces paroles de saint Matthieu (chap. 7) : Un bon arbre ne peut produire de mauvais fruits. Plus cette cause est puissante et plus le péché est grave, parce que l’homme pèche d’autant plus grièvement que sa volonté est plus fortement portée au mal. Mais le péché a d’autres causes qui sont en quelque sorte extrinsèques et éloignées, et qui portent la volonté au mal. On doit faire une distinction entre ces causes. Car il y en a qui portent la volonté à pécher conformément à sa nature. Telle est la fin qui est l’objet propre de cette faculté (Car quand la fin est bonne elle incline librement la volonté au bien, et quand elle est mauvaise elle l’incline librement au mal.). Cette cause augmente le péché ; car il pèche plus grièvement celui dont la volonté est portée au mal, en vue d’une fin qui est pire. Il y a d’autres causes qui portent la volonté au mal contre la nature et l’ordre de cette faculté qui est faite pour être mue librement d’après elle-même, conformément au jugement de la raison. Par conséquent les causes qui affaiblissent le jugement de la raison, comme l’ignorance, ou qui entravent le libre mouvement de la volonté, comme la faiblesse et la violence, la crainte, etc., diminuent le péché comme elles diminuent aussi le volontaire ; au point que quand l’acte est absolument involontaire, il n’y a plus de péché.

 

Article 7 : Les circonstances aggravent-elles le péché ?

 

          Objection N°1. Il semble que les circonstances n’aggravent pas le péché. Car le péché tire sa gravité de son espèce. Or, les circonstances ne déterminent pas l’espèce du péché, puisque ce sont des accidents. Donc la gravité du péché ne se considère pas d’après les circonstances.

          Réponse à l’objection N°1 : Il y a certaine circonstance qui détermine l’espèce de l’acte moral, comme nous l’avons vu (quest. 18, art. 10). Cependant la circonstance qui ne détermine pas l’espèce peut aggraver le péché ; parce que comme la bonté d’une chose s’apprécie non seulement d’après son espèce, mais encore d’après ses accidents ; de même la malice de l’acte se juge non seulement d’après son espèce, mais encore d’après les circonstances.

 

          Objection N°2. Une circonstance est mauvaise ou non. Si elle est mauvaise, elle produit par elle-même une certaine espèce de mal ; mais si elle n’est pas mauvaise, elle n’est pas capable d’aggraver le péché. Donc une circonstance n’augmente le péché d’aucune manière.

          Réponse à l’objection N°2 : La circonstance peut aggraver le péché dans l’un et l’autre cas. Car si elle est mauvaise, il n’est pas nécessaire pour cela qu’elle constitue l’espèce du péché, car elle peut ajouter à sa malice, tout en le maintenant dans son espèce, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.). Si elle n’est pas mauvaise, elle peut aggraver le péché relativement à la malice d’une autre circonstance (Ainsi le plus et le moins qui sont indifférents en eux-mêmes augmentent le bien ou le mal auquel ils sont adjoints. Il y a, par exemple, un plus grand mal à prendre cent francs à la même personne que si on ne lui avait pris que cinq francs.).

 

          Objection N°3. La malice du péché se tire de ce qu’il nous détourne de Dieu. Or, les circonstances sont une conséquence du péché, relativement à l’objet vers lequel elles nous portent. Donc elles n’en augmentent pas la malice.

          Réponse à l’objection N°3 : La raison doit ordonner l’acte non seulement par rapport à l’objet, mais encore par rapport à toutes les circonstances. C’est pourquoi quand on veut juger si l’on s’écarte de la règle de la raison, on considère la nature de chaque circonstance, par exemple si l’on agit quand on ne doit pas ou bien là où l’on ne doit pas. Cet écart suffit pour constituer l’essence du mal. Et du moment où l’on s’écarte de la règle de la raison, il s’ensuit qu’on se détourne de Dieu auquel l’homme doit être uni par la droite raison.

 

          Mais c’est le contraire. L’ignorance d’une circonstance diminue le péché. Car celui qui pèche par suite de l’ignorance d’une circonstance mérite d’être pardonné, comme le dit Aristote (Eth., liv. 3, chap. 1). Or, il n’en serait pas ainsi si les circonstances n’aggravaient pas le péché. Donc elles l’aggravent.

 

          CONCLUSION. — Puisque la cause qui produit une chose est naturellement apte à lui donner de l’accroissement ; par là même que les circonstances produisent le péché, il est nécessaire qu’elles soient de nature à l’aggraver.

 

          Il faut répondre que la cause qui produit une chose est naturellement capable de lui donner de l’accroissement, comme le dit Aristote en parlant de l’habitude de la vertu (Eth., liv. 2, chap. 1 et 2). Or, il est évident que le péché est produit par le défaut d’une circonstance quelconque. Car on ne s’écarte de l’ordre de la raison qu’autant qu’en agissant on n’observe pas les circonstances voulues. D’où il est manifeste que les circonstances sont de nature à aggraver le péché. Ce qui arrive de trois manières : 1° Quand la circonstance change l’espèce du péché. Ainsi le péché de fornication consiste en ce que l’homme s’approche d’une femme qui n’est pas la sienne. Mais si une autre circonstance survient et que cette femme, par exemple, soit l’épouse d’un autre, cette circonstance change l’espèce du péché, et en fait une injustice, parce que dans ce cas l’homme usurpe ce qui appartient à autrui ; et d’après cela l’adultère est un péché plus grave que la fornication. 2° D’autres fois la circonstance n’aggrave pas le péché en en changeant l’espèce, mais elle en multiplie la raison. Par exemple, si le prodigue donne lorsqu’il ne doit pas et à qui il ne doit pas donner, il multiplie le même genre de péché plus que s’il se bornait de donner à qui il ne doit pas, et parla même le péché devient plus grave ; comme la maladie devient plus grave du moment où elle attaque un plus grand nombre de parties du corps. C’est ce qui fait dire à Cicéron (Parad., 3) qu’en portant atteinte à la vie de son père on pèche contre plusieurs choses ; car on s’attaque à celui dont on a reçu l’être, la nourriture, l’éducation, et le rang qu’on occupe dans sa maison et dans l’Etat. 3° Une circonstance aggrave le péché par là même qu’elle augmente la difformité qui provient d’une autre circonstance. Ainsi, prendre à autrui ce qui lui appartient constitue un vol. Mais si on ajoute qu’on lui a pris beaucoup, le péché devient plus grave, quoique prendre peu ou beaucoup ne constitue pas de soi le bien ou le mal.

 

Article 8 : La gravité du péché est-elle augmentée selon l’étendue du préjudice qu’il cause ?

 

          Objection N°1. Il semble que la gravité du péché ne s’augmente pas selon l’étendue du dommage. Car le dommage est un fait qui est une conséquence de l’acte du péché. Or, un fait subséquent n’ajoute ni à la bonté, ni à la malice de l’acte, comme nous l’avons dit (quest. 20, art. 5). Donc le péché ne s’aggrave pas en raison de l’étendue du dommage qu’il cause.

         Réponse à l’objection N°1 : Comme nous l’avons dit (quest. 20, art. 5), quand il s’agissait de la bonté et de la malice des actes extérieurs, l’événement subséquent, s’il a été prévu et voulu, ajoute à la bonté ou à la malice de l’acte (Cet article revient par conséquent au principe émis dans le traité des actes humains sur la bonté et la malice des actes extérieurs.).

 

          Objection N°2. Le dommage existe surtout dans les péchés qui sont contre le prochain, parce que personne ne veut se nuire à lui-même. Or, personne ne peut nuire à Dieu, selon ces paroles de Job (Job, 35, 06 : Quand vos iniquités se multiplieront que ferez-vous contre lui ?... votre impiété nuira à l’homme qui vous ressemble. Si donc le péché s’aggravait en raison du dommage, il s’ensuivrait que le péché qu’on commet contre le prochain serait plus grave que le péché qu’on commet contre Dieu ou contre soi-même.

          Réponse à l’objection N°2 : Quoique le dommage aggrave le péché, il ne s’ensuit pas que le péché soit aggravé par cela seul, et même le péché est plus grave par lui-même en raison de ce qu’il a de déréglé, comme nous l’avons dit (art. 3). Par conséquent le dommage n’aggrave le péché qu’autant qu’il rend son acte plus déréglé. Il ne s’ensuit donc pas, de ce que le dommage existe surtout dans les péchés qui sont contre le prochain, que ces péchés soient les plus graves ; car il y a plus de dérèglement dans les péchés qui sont contre Dieu et dans certains péchés qu’on fait contre soi-même. Cependant on peut dire que quoique personne ne puisse nuire à Dieu dans sa substance, néanmoins on peut nuire aux choses qui sont de Dieu, par exemple en détruisant la foi, en violant les choses saintes, ce qui produit des fautes très graves. Un individu se nuit aussi quelquefois sciemment et volontairement, comme par exemple ceux qui se suicident, bien qu’ils rapportent finalement ces actions à quelque bien apparent, tel que la délivrance d’une peine profonde.

 

          Objection N°3. On cause plus de tort à quelqu’un quand on le prive de la vie de la grâce que quand on le prive de la vie de la nature ; parce que la vie de la grâce est meilleure que la vie de la nature, au point que l’homme doit mépriser la vie de la nature pour ne pas perdre la vie de la grâce. Or, l’homme qui excite une femme à la fornication la prive, autant qu’il est en lui, de la vie de la grâce en la portant au péché mortel. Si donc la gravité du péché résultait du tort causé, il s’ensuivrait qu’un simple fornicateur pécherait plus grièvement qu’un homicide ; ce qui est manifestement faux. Donc le péché n’est pas plus grave en raison de l’étendue du dommage.

          Réponse à l’objection N°3 : Cette raison n’est pas concluante pour deux motifs : 1° parce que l’homicide a l’intention directe de nuire au prochain, tandis que le fornicateur qui provoque une femme ne se propose pas le mal d’autrui, mais son plaisir propre ; 2° parce que l’homicide est la cause directe et suffisante de la mort du corps, tandis que personne ne peut être par soi la cause suffisante de la mort spirituelle d’un autre. Car on ne meurt spirituellement que par l’effet de sa propre volonté en consentant au péché.

 

          Mais c’est le contraire. Saint Augustin dit (De lib. arb., liv. 3, chap. 14) que le vice étant contraire à la nature, on ajoute autant à la malice du vice qu’on retranche à l’intégrité de la nature. Or, l’affaiblissement de l’intégrité de la nature est un dommage. Donc le péché est d’autant plus grave que le dommage est plus grand.

 

          Conclusion Tout dommage, s’il a été prévu et voulu, ou s’il résulte par lui- même de l’acte du péché, aggrave directement le péché lui-même ; il n’en est pas de même s’il a été prévu, mais qu’il n’ait pas été voulu, et encore moins s’il n’a été ni voulu, ni prévu, et qu’il se rapporte accidentellement au péché.

          Il faut répondre que le dommage peut se rapporter de trois manières au péché. En effet quelquefois le dommage qui résulte du péché a été prévu et voulu ; comme quand on fait quelque chose avec l’intention de nuire à autrui, tel qu’un vol ou un homicide. Alors l’étendue du dommage augmente directement la gravité du péché ; parce que le dommage est par lui-même l’objet du péché (Le péché lui emprunte par conséquent espèce et sa malice.). — Quelquefois le dommage a été prévu, mais il n’a pas été voulu ; comme quand quelqu’un passant dans un champ, pour arriver plus rapidement à un rendez-vous, nuit sciemment à ce qui a été semé dans ce champ, bien qu’il n’en ait pas l’intention. Alors l’étendue du dommage aggrave le péché, mais indirectement, parce que le penchant violent de la volonté au mal fait qu’on ne craint pas de porter aux autres ou à soi-même un dommage qu’on ne voudrait pas leur causer absolument. — Enfin d’autres fois le dommage n’a été ni prévu, ni voulu. Dans ce cas s’il se rapporte par accident au péché, il ne l’aggrave pas directement (Mais il l’aggrave indirectement.). Ainsi quand quelqu’un se livre à une chose mauvaise, on lui impute tous les maux qui en résultent en dehors de son intention, à cause de la négligence qu’il a mise à considérer les suites fâcheuses de son action. Mais si le tort est par lui-même une conséquence de l’acte du péché, quoiqu’il n’ait été ni voulu, ni prévu, il aggrave directement le péché ; parce que toutes les conséquences qui découlent par elles-mêmes d’un péché appartiennent en quelque sorte à l’espèce du péché même. Par exemple, si quelqu’un fait publiquement un acte de fornication, le scandale général qui en résulte aggrave directement sa faute, quoiqu’il ne l’ait pas eu en vue et que peut-être il ne l’ait pas prévu. — Toutefois il en est autrement du mal que le pécheur peut se faire à lui-même. En effet ce mal, s’il se rapporte accidentellement au péché, et qu’il n’ait été ni prévu, ni voulu, il n’aggrave pas la faute, et n’est pas une conséquence de sa gravité. Tel est le cas, par exemple, de celui qui court pour tuer quelqu’un et qui se blesse au pied. Mais si ce mal est par lui-même une conséquence de l’acte du péché, quoiqu’il n’ait été ni prévu, ni voulu, alors ce n’est pas l’étendue du mal qui ajoute à la gravité du péché, mais c’est au contraire la gravité du péché qui produit la gravité du mal. Ainsi un infidèle qui n’a jamais entendu parler des peines de l’enfer, souffrira plus dans l’éternité pour un homicide que pour un vol (La peine étant la conséquence du crime, elle doit lui être proportionnée.) ; car comme il n’a pas songé à ce châtiment et qu’il ne l’a pas prévu, ce n’est pas là ce qui aggrave sa faute, comme il arrive pour le fidèle, qui pèche d’autant plus grièvement que les peines qu’il méprise sont plus grandes pour satisfaire la volonté qu’il a de pécher ; mais la gravité de ces peines résulte uniquement de la gravité du péché.

 

Article 9 : Le péché s’aggrave-t-il d’après la condition de la personne contre laquelle on le commet ?

 

          Objection N°1. Il semble que le péché ne s’aggrave pas en raison de la condition de la personne qu’il offense. Car s’il en était ainsi il s’aggraverait surtout du moment où l’on offense un homme juste et saint. Mais cette circonstance n’aggrave pas le péché ; car un homme vertueux qui supporte tout avec égalité d’âme est moins blessé d’une injure reçue que les autres qui se scandalisent intérieurement. Donc la condition de la personne contre laquelle on pèche n’aggrave pas le péché.

          Réponse à l’objection N°1 : Celui qui fait une injure à une personne vertueuse la trouble, autant qu’il est en soi, intérieurement et extérieurement. Mais s’il arrive que cette personne ne soit pas troublée intérieurement, c’est un effet de sa bonté qui ne diminue en rien la faute de celui qui l’a offensée.

 

          Objection N°2. Si la condition de la personne aggravait le péché, cet effet résulterait surtout de la parenté. Car, comme le dit Cicéron (Paradox., 3), en tuant un esclave on ne fait qu’un péché, mais en portant atteinte à la vie de son père on en commet plusieurs. Or, la parenté de la personne contre laquelle on pèche ne paraît pas aggraver le péché. Car on n’a personne de plus proche que soi, et cependant celui qui se fait du tort à lui-même pèche moins que s’il en faisait à autrui ; par exemple, il est moins coupable en tuant son cheval que s’il tuait le cheval d’un autre, comme le prouve Aristote (Eth., liv. 5, chap. ult.). Donc la parenté de la personne n’aggrave pas le péché.

          Réponse à l’objection N°2 : Le tort qu’on se cause à soi-même à l’égard des choses qui sont du domaine de la volonté, comme les biens qu’on possède, est moins répréhensible que le tort qu’on cause à un autre, parce qu’on agit ainsi d’après sa propre volonté. Mais quand il s’agit des biens qui n’appartiennent pas au domaine de la volonté, comme lesbiens naturels et les biens spirituels, dans ce cas c’est un péché plus grave de se nuire à soi-même. Car celui qui se tue fait une plus grande faute que celui qui en tue un autre. Quant aux biens de nos proches, comme ils ne sont pas soumis au domaine de notre volonté, il ne s’ensuit pas qu’en leur portant dommage nous fassions un péché moins grave, à moins que par hasard les possesseurs n’y consentent.

 

          Objection N°3. La condition de la personne qui pèche aggrave principalement le péché en raison de sa dignité ou de sa science, d’après ces paroles de l’Ecriture (Sag., 6, 7) : Les puissants seront puissamment tourmentés. Et saint Luc dit (Luc, 12, 47) : Le serviteur qui connaît la volonté de son maître et qui ne la fait pas recevra une multitude de coups. Donc ce serait pour la même raison que la dignité ou la science de la personne offensée aggraverait le péché. Mais il ne semble pas qu’on pèche plus grièvement en faisant injure à une personne riche ou puissante qu’en manquant à un pauvre, parce que devant Dieu il n’y a pas acception de personnes (Col., 3, 25), et que d’ailleurs c’est d’après son jugement qu’on doit apprécier la gravité du péché. Donc la condition de la personne offensée n’aggrave pas le péché.

          Réponse à l’objection N°3 : Il n’y a pas acception de personnes si Dieu punit plus sévèrement celui qui pèche contre des personnes plus élevées. Car il agit ainsi parce qu’il en résulte un plus grand mal.

 

          Mais c’est le contraire. Car dans l’Ecriture sainte le péché que l’on commet contre les serviteurs de Dieu est tout spécialement repris : ainsi il est dit (3 Rois, 19, 14) : Ils ont détruit vos autels et ils ont fait périr par le glaive vos prophètes. Le péché commis contre les parents y est aussi tout particulièrement blâmé, d’après ces paroles du prophète (Mich., 7 6) : Le fils insulte le père et la fille s’élève contre sa mère. Ailleurs c’est le péché que l’on commet contre les personnes constituées en dignité qui se trouve formellement dénoncé. Ainsi il est parlé (Job, 34, 18) de celui qui dit au roi, apostat, et qui appelle les chefs des impies. Donc la condition de la personne offensée aggrave le péché.

 

          Conclusion La personne contre laquelle on pèche étant en quelque sorte l’objet du péché, il est nécessaire qu’en raison de sa condition et de sa dignité le péché soit aggravé.

          Il faut répondre que la personne contre laquelle on pèche est en quelque sorte l’objet du péché. Or, nous avons dit (art. 3) que la gravité du péché se considère avant tout d’après l’objet, et que la gravité est d’autant plus grande que son objet en est la fin la plus principale. Les fins principales des actes humains sont Dieu, l’homme lui-même et le prochain. Car tout ce que nous faisons se rapporte à l’une de ces fins, quoiqu’elles soient subordonnées l’une à l’autre. On peut donc d’après ces trois fins considérer les divers degrés de gravité du péché, selon la condition de la personne offensée. 1° On peut les considérer par rapport à Dieu à qui un homme est d’autant plus uni qu’il est plus vertueux ou qu’il lui est plus particulièrement consacré. C’est pourquoi l’injure faite à une personne de ce caractère remonte vers Dieu, d’après ces paroles du prophète (Zach., 2, 8) : Celui qui vous touche, touche ci la prunelle de mon œil. Par conséquent le péché devient plus grave par là même qu’on pèche contre une personne qui est plus unie à Dieu sous le rapport de la vertu ou de ses fonctions (Ainsi le péché est plus grave si l’on offense un saint ou une personne consacrée à Dieu.). 2° Par rapport à soi-même. Il est évident qu’on pèche d’autant plus grièvement que la personne offensée nous est plus étroitement unie par les liens du sang (C’est un plus grand crime d’offenser son père que son ami ; et il est plus grave d’offenser son ami qu’une personne étrangère.), de la reconnaissance ou de toute autre manière ; parce qu’il semble qu’on pèche davantage contre soi-même, ce qui aggrave le péché, d’après ces paroles de l’Ecriture (Ecclésiastique, 14, 5) : Celui qui est méchant pour lui-même, pour qui sera-t-il bon ? 3° Par rapport au prochain. On pèche d’autant plus grièvement que le péché atteint un plus grand nombre de personnes. C’est pourquoi le péché qu’on commet contre une personne publique, par exemple un roi ou un prince qui représente tout un peuple, est plus grave que le péché qu’on commet contre une personne privée. C’est pour ce motif qu’il est dit (Ecclésiastique, 24, 28) : Vous ne maudirez pas le prince de votre peuple. De même l’injure que l’on fait à une personne célèbre semble être plus grave par suite du scandale et du trouble qui en résulte.

 

Article 10 : La grandeur de la personne qui pèche aggrave-t-elle le péché ?

 

          Objection N°1. Il semble que la grandeur de celui qui pèche n’aggrave pas le péché. Car l’homme surtout devient grand en s’attachant à Dieu, d’après ces paroles de l’Ecriture (Ecclésiastique, 25, 13) : Combien il est grand celui qui a trouvé la sagesse et la science ! Mais il n’est pas au-dessus de celui qui craint le Seigneur. Or, plus une personne s’attache à Dieu, moins le péché lui est imputable. Car il est écrit (2 Paral., 30, 19) : Le Seigneur est bon ; il fera miséricorde à tous ceux qui cherchent de tout leur cœur le Seigneur Dieu de leurs pères, et il ne leur imputera point ce défaut de sanctification. Donc le péché n’est pas aggravé par la grandeur de la personne qui le commet.

          Réponse à l’objection N°1 : Ce passage s’applique aux fautes de négligence qui échappent subrepticement à l’infirmité de notre nature.

 

          Objection N°2. Il n’y a pas d’acception de personnes devant Dieu, comme le dit l’Apôtre (Rom., 2, 11). Donc il ne punit pas plus l’un que l’autre pour le même péché, et par conséquent le péché ne s’aggrave pas d’après la grandeur de la personne.

          Réponse à l’objection N°2 : Dieu ne fait pas acception de personnes en punissant davantage les grands, parce que leur grandeur ajoute à la gravité de leur faute, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.).

 

          Objection N°3. Personne ne doit retirer d’un bien un désavantage. Or, il en serait ainsi si ce que fait un grand lui était plutôt imputé à péché. Donc la grandeur de la personne qui pèche n’est pas une cause de l’augmentation du péché.

          Réponse à l’objection N°3 : Les grands n’ont pas à souffrir du bien qu’ils possèdent, mais du mauvais usage qu’ils en font.

 

          En sens contraire Mais c’est le contraire. Saint Isidore dit (De summo bono, liv. 2, chap. 18) : Le péché est d’autant plus grand que la personne qui le commet est plus élevée en vertu ou en dignité.

 

          Conclusion La grandeur de la personne qui pèche augmente le péché fait de propos délibéré, à cause de l’ingratitude dont elle se rend coupable pour tous les bienfaits qu’elle a reçus et à cause du scandale qu’elle produit ; quant à la grandeur qui est l’effet de la vertu, elle diminue au contraire le péché quand il naît de l’inadvertance et de la fragilité humaine.

          Il faut répondre qu’il y a deux sortes de péché. L’un qui échappe subrepticement à l’infirmité de la nature humaine. Ce péché est moins imputable à celui qui est plus avancé dans la vertu, parce qu’il néglige moins de réprimer ces sortes de fautes, que la faiblesse humaine ne peut pas toutefois complètement éviter. Il y a d’autres péchés qui sont délibérés. Ces péchés sont d’autant plus imputables à celui qui les commet qu’il est plus élevé. Et il peut en être ainsi pour quatre raisons : 1° parce que les grands, c’est-à-dire ceux qui l’emportent en science et en vertu, peuvent plus facilement résister au péché. C’est ce qui a fait dire au Seigneur (Luc, 12, 47) que le serviteur qui connaît la volonté de son maître et qui ne l’exécute pas sera battu de plusieurs coups. 2° A cause de l’ingratitude. Car tout ce qui grandit l’homme est un bienfait de Dieu, et en péchant l’homme se montre ingrat. Par conséquent plus il a reçu de biens dans l’ordre temporel et plus le péché qu’il commet est grave, suivant ces paroles de l’Ecriture (Sag., 6, 7) : Les puissants seront puissamment tourmentés. 3° A cause de la répugnance spéciale qu’il y a entre l’acte du péché et la grandeur de la personne ; comme quand un prince qui est le gardien de la justice vient à la violer, et comme quand un prêtre qui a fait vœu de chasteté vient à se déshonorer (C’est ce qui fait dire à saint Jérôme : Nugæ in ore laïci nugæ sunt, in ore autem sacerdotis blasphemiæ.). 4° A cause de l’exemple ou du scandale. Car, selon la réflexion de saint Grégoire (Past., liv. 1, chap. 2) : L’exemple étend considérablement la faute quand on honore le pécheur en raison de sa dignité. Les péchés des grands parviennent d’ailleurs à la connaissance d’un plus grand nombre de personnes et les hommes les tolèrent moins facilement.

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.

 

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