Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
1a 2ae = Prima Secundae = 1ère partie de la 2ème Partie
Question 82 : Du
péché originel considéré quant à son essence
Nous
avons à nous occuper du péché originel, quant à son essence. — A cet égard
quatre questions se présentent : 1° Le péché originel est-il une habitude ? (Sur
l’essence du péché originel il y a eu des opinions très diverses. Un luthérien,
Mathias, a avancé que le péché originel était la substance de l’âme ; ce qui
menait à faire Dieu l’auteur du péché puisqu’il est l’auteur de nos âmes ;
d’après Calvin et Jansénius le péché originel a souillé la nature au point
qu’il l’a rendue absolument mauvaise, de telle sorte qu’elle ne peut rien faire
de bien. Ces sentiments sont contraires à la doctrine catholique. Parmi les
docteurs orthodoxes il y a aussi controverse sur ce point. Albert de Pighi et Catharin ont avancé que
le péché originel est le péché actuel d’Adam ; mais cette opinion particulière
a eu peu de partisans, et elle parait opposée aux paroles du concile de Trente
(sess. 5, can. 5). Pierre Lombard, Richard de Saint-Victor et plusieurs des
théologiens qui ont vécu avant saint Thomas ont fait consister le péché
originel dans une qualité morbide qui serait passée d’Adam à ses descendants.
Le sentiment de saint Thomas est le plus universellement suivi.) — 2° N’y en
a-t-il qu’un dans la même personne ? (Le concile de Trente s’exprime ainsi
(sess. v) : Adæ peccatum origine
unum est, et propagatione, non imitatione
transfusum omnibùs, id
est, unicuique proprium.
Ce qui est parfaitement conforme à la doctrine de notre grand docteur. Albert
de Pighi et Catbarin ont
supposé à tort que le péché originel n’était pas quelque chose
d’intrinsèquement inhérent à l’âme.) — 3° Est-ce la concupiscence ? — 4° Existe-t-il
également dans tous les hommes ?
Article
1 : Le péché originel est-il une habitude ?
Objection
N°1. Il semble que le péché originel ne soit pas une habitude. Car le péché originel
est la privation de la justice originelle, comme le dit saint Anselme (Lib. de concept. Virgin., chap. 2, 3 et
26). Or, la privation étant opposée à l’habitude, il s’ensuit que le péché
originel n’est pas une habitude.
Réponse
à l’objection N°1 : Comme une maladie corporelle implique une certaine
privation, dans le sens qu’elle détruit l’égalité de la santé et qu’elle a
aussi quelque chose de positif, parce qu’elle suppose un dérèglement dans la
disposition des humeurs ; de même le péché originel comprend la privation de la
justice originelle et avec elle la disposition déréglée des parties de l’âme.
Ce n’est donc pas une pure privation, mais une habitude altérée et corrompue
(L’Apôtre paraît indiquer lui-même que le péché
originel est une habitude (Rom., 7,
20) : ce n’est plus moi qui le fais, mais
c’est le péché qui habite en moi. Voyez à ce sujet le concile de Trente
(sess. 5).).
Objection
N°2. Le péché actuel est plus coupable que le péché originel, parce qu’il est
plus volontaire. Or, l’habitude du péché actuel n’est pas une faute, autrement
il s’ensuivrait que l’homme qui dort en état de péché ferait une faute. Donc
aucune habitude originelle n’est coupable.
Réponse
à l’objection N°2 : Le péché actuel est un dérèglement de l’action, tandis que
le péché originel étant le péché de la nature, est une disposition déréglée de
la nature elle-même, qui est coupable en raison de ce qu’elle vient du premier
homme, comme nous l’avons dit (quest. préc., art. 1). Cette disposition déréglée de la nature est une
habitude, tandis qu’il n en est pas de même de la disposition déréglée d’une
action. C est pourquoi le péché originel peut être une habitude, sans qu’il en
soit de même du péché actuel.
Objection
N°3. A l’égard du mal l’acte précède toujours l’habitude. Car aucune habitude
mauvaise n’est infuse, mais acquise. Or, il n’y a pas d’acte qui précède le
péché originel. Donc le péché originel n’est pas une habitude.
Réponse
à l’objection N°3 : Cette objection repose sur l’habitude qui porte la
puissance à l’acte ; mais le péché originel n’est pas une habitude de cette
nature, quoiqu’il produise, non pas directement, mais indirectement, une
inclination au mal, parce qu’il détruit la justice originelle qui réprimait les
mouvements déréglés, comme une maladie corporelle porte indirectement le corps
à des mouvements semblables. On ne doit pas dire non plus que le péché originel
est une habitude infuse ou acquise par un autre acte
que celui de notre premier père, mais c’est une habitude innée en nous par le
vice de notre origine.
Mais
c’est le contraire. Saint Augustin dit (De
peccat. merit. remiss., liv. 1, chap. 39) que le péché
originel porte les enfants à la concupiscence, quoi qu'ils n’aient pas
actuellement de convoitise. Or, une inclination suppose une habitude. Donc le
péché originel est une habitude.
Conclusion
Le péché originel est une habitude, non comme la science, mais comme une
disposition déréglée de la nature, et comme une langueur résultant de la
privation de la justice originelle.
Il
faut répondre que, comme nous l’avons dit (quest. 50, art. 1), il y a deux
sortes d’habitude. L’une qui porte la puissance à agir ; c’est ainsi que les
sciences et les vertus portent le nom d’habitudes. Le péché originel n’est pas
une habitude semblable. L’autre est la disposition d’une nature composée de
plusieurs éléments, d’après laquelle un sujet se trouve en bon ou en mauvais
rapport avec quelque chose. C’est ce qui arrive surtout quand cette disposition
est en quelque sorte transformée dans la nature elle-même, comme on le voit
évidemment à l’égard de la maladie et de la santé. Le péché originel est une
habitude de cette sorte. Car il est une disposition déréglée qui provient de la
rupture de cette harmonie dans laquelle consistait l’essence de la justice
originelle ; comme une maladie corporelle est une disposition déréglée du corps
qui détruit l’équilibre qui constitue l’essence même de la santé. C’est pour
cela qu’on appelle le péché originel une langueur de la nature.
Article
2 : Y a-t-il dans un même homme plusieurs péchés originels ?
Objection
N°1. Il semble qu’il y ait dans un seul homme beaucoup de péchés originels. Car
le Psalmiste dit (Ps. 1, 7) : Voilà que j’ai été conçu dans les iniquités
et que ma mère m’a conçu dans les péchés. Or, le péché dans lequel l’homme
est conçu est un péché originel. Donc il y en a plusieurs dans un même homme.
Réponse
à l’objection N°1 : On a mis le mot péché au pluriel conformément à la coutume
des saintes Ecritures qui emploient fréquemment le pluriel pour le singulier,
comme dans cet endroit de saint Matthieu (2, 20 ) : Ils sont morts, ceux qui cherchaient l’âme de l’enfant ; ou qu’on
s’est ainsi exprimé parce que tous les péchés actuels préexistent virtuellement
dans le péché originel comme dans leur principe (Voyez à cet égard la belle
lettre du pape saint Léon à Nicétas, évêque d’Aquilée
(Epist. 84).), ce qui le rend virtuellement
multiple ; ou parce que dans le péché du premier homme qui s’est transmis par
l’origine il y a eu plusieurs difformités morales : l’orgueil, la
désobéissance, la gourmandise et d’autres vices semblables ; ou enfin parce que
plusieurs parties de l’âme ont été souillées par cette faute.
Objection
N°2. Une seule et même habitude ne porte pas à des choses contraires ; car
l’habitude agit à la façon de la nature qui tend à un seul but. Or, le péché
originel produit dans le même homme un penchant à des péchés contraires. Donc
il n’est pas une habitude unique, mais il en implique plusieurs.
Réponse
à l’objection N°2 : Une seule habitude ne porte pas par elle- même et
directement, c’est-à-dire par sa propre forme, à des actes contraires, mais
elle y porte indirectement et par accident, c’est-à-dire en écartant ce qui
fait obstacle. Ainsi comme les éléments d’un corps mixte se portent vers des
lieux contraires une fois que leur harmonie est détruite, de même les puissances
diverses de l’âme se sont portées vers des objets différents quand l’harmonie
établie par la justice originelle n’a plus existé.
Objection
N°3. Le péché originel souille toutes les parties de l’âme. Or, les différentes
parties de l’âme sont des sujets divers du péché, comme nous l’avons prouvé
(quest. 74). Donc puisqu’un seul péché ne peut pas exister dans divers sujets,
il semble que le péché originel ne soit pas un, mais multiple.
Réponse
à l’objection N°3 : Le péché originel souille les différentes parties de l’âme,
selon qu’elles appartiennent à un même tout ; comme la justice originelle les
embrassait toutes au même titre. C’est pourquoi il n’y a qu’un seul péché
originel, comme il n’y a dans un seul homme qu’une seule fièvre, quoique les
différentes parties du corps soient souffrantes.
Mais
c’est le contraire. Il est dit (Jean, 1, 20) : Voici l’agneau de Dieu, voici celui qui efface le péché du monde.
On emploie ici le singulier, parce que le péché du monde, qui est le péché
originel, est unique, comme l’observe la glose (Ordin.).
Conclusion
Le péché originel est un spécifiquement et proportionnellement dans tous les
hommes, mais il est différent numériquement dans des individus différents, et
il est un numériquement dans le même homme.
Il
faut répondre que dans un homme il n’y a qu’un seul péché originel. On peut en
donner deux raisons. La première se tire de la cause de ce péché. Car nous
avons dit (quest. préc., art. 2) qu’il n’y a que le
premier péché du premier homme qui passe à ses descendants ; par conséquent le
péché originel est un numériquement dans un seul homme, et il est un
proportionnellement dans tous les hommes, c’est-à-dire relativement à leur
premier principe. — La seconde raison peut se déduire de l’essence même de ce
péché. Car dans toute disposition déréglée l’unité d’espèce se considère par
rapport à la cause, tandis que l’unité numérique se prend du sujet (Ainsi quand
la cause est une l’espèce l’est aussi, et quand les sujets sont différents, il
v a multiplicité sous le rapport du nombre.), comme on le voit évidemment dans
les souffrances corporelles. En effet, les maladies de différente espèce sont
celles qui proviennent de causes diverses -, par exemple, d’un excès de chaud
ou de froid, d’une lésion du poumon ou du foie, mais dans le même homme il n’y
a numériquement qu’une seule maladie de la même espèce. Or, la cause de la
corruption qu’on désigne sous le nom de péché originel étant unique,
puisqu’elle n’est que la privation de la justice originelle par laquelle la soumission
de l’âme humaine à Dieu a été détruite, il s’ensuit que ce péché est un
spécifiquement et qu’il doit être un numériquement dans un seul et même
individu. — Dans des individus divers il est un d’espèce et de proportion, mais
il diffère numériquement (Le péché originel est multiplié numériquement parce
qu’il se trouve dans autant de sujets qu’il y a d’hommes, mais il est un dans
son espèce, parce qu’il n’a qu’une seule cause.).
Article
3 : Le péché originel est-il la concupiscence ?
Objection
N°1 ; Il semble que le péché originel ne soit pas la concupiscence. Car tout
péché est contre nature, comme le dit saint Jean Damascène (De fid. orth., liv. 2, chap. 4 et 30). Or, la
concupiscence est conforme à la nature ; car elle est l’acte propre de l’appétit
concupiscible qui est une puissance naturelle. Donc la concupiscence n’est pas
le péché originel.
Réponse
à l’objection N°1 : L’appétit concupiscible étant naturellement régi dans
l’homme par la raison, la concupiscence ne lui est naturelle qu’autant qu’elle
est conforme à la raison elle-même. Mais quand elle dépasse les limites de la
raison, elle est alors contraire à la nature de l’homme, et c’est cette
concupiscence qui est l’effet du péché originel (Selon l’expression du concile
de Trente : Ex peccato
est et ad peccatum inclinat.).
Objection
N°2. Par le péché originel, les passions
des péchés, selon l’expression de l’Apôtre, sont entrées en nous (Rom., chap. 7). Or, il y a beaucoup
d’autres passions que la concupiscence, comme nous l’avons vu (quest. 23, art.
4). Donc le péché originel n’est pas plus la concupiscence qu’une autre
passion.
Réponse
à l’objection N°2 : Comme nous l’avons dit (quest. 25, art. 1), les passions de
l’irascible se ramènent aux passions du concupiscible, parce que celles-ci sont
les plus importantes. Et parmi ces dernières la concupiscence est celle qui
agit avec le plus de force et qui se fait le mieux sentir, ainsi que nous
l’avons observé (quest. 25, art. 2, réponse N°1). C’est pour ce motif qu’on
attribue le péché à la concupiscence, comme à la passion principale qui
renferme en elle d’une certaine manière toutes les autres.
Objection
N°3. Toutes les parties de l’âme sont déréglées par le péché originel, ainsi
que nous l’avons dit (art. préc., réponse N°1). Or, entre toutes les parties de l’âme
l’intellect tient le premier rang, comme l’observe Aristote (Eth., liv. 10,
chap. 7). Donc le péché originel est l’ignorance plutôt que la concupiscence.
Réponse
à l’objection N°3 : Comme l’intelligence et la raison tiennent le premier rang
entre tous les biens, de même la partie inférieure de l’âme qui obscurcit et
entraîne la raison occupe la première place entre tous les maux, ainsi que nous
l’avons dit (quest. 80, art. 2). C’est pour ce motif qu’on dit que le péché
originel est la concupiscence plutôt que l’ignorance, quoique l’ignorance soit
comprise parmi les défauts matériels qui sont la suite du péché originel.
Mais
c’est le contraire. Saint Augustin dit (Retract., liv. 1, chap. 15) : La concupiscence est la peine
de la faute originelle.
Conclusion
Puisque le péché originel est opposé à la justice originelle, il n’est rien
autre chose formellement que la privation de cette justice par laquelle la
volonté était soumise à Dieu ; mais matériellement il est cet attrait déréglé
qu’ont les autres puissances de l’âme pour le bien qui change, attrait qu’on
peut désigner d’une manière générale par le mot de concupiscence.
Il
faut répondre que chaque chose tire son espèce de sa forme. Or, nous avons dit
(art. préc.) que l’espèce du péché originel vient de
sa cause. Par conséquent il faut que ce qu’il y a de formel dans le péché
originel vienne de la cause de ce péché ; et comme les contraires sont produits
par des causes opposées, il s’ensuit que l’on doit considérer la cause du péché
originel d’après la cause de la justice originelle qui lui est opposée. Or,
l’ordre établi par la justice originelle consistait tout entier en ce que la
volonté de l’homme était soumise à Dieu, et comme cette soumission reposait premièrement
et principalement sur la volonté qui doit porter toutes les autres puissances
de l’âme vers leur fin, ainsi que nous l’avons dit (quest. 9, art. 1), il est
arrivé que du moment où la volonté s’est détournée de Dieu, il en est résulté
un désordre profond dans toutes les autres parties de l’âme. Ainsi donc la
privation de la justice originelle, par laquelle la volonté était soumise à
Dieu, est ce qu’il y a de formel dans le péché originel, tandis que tout le
dérèglement des autres puissances de l’âme est ce qu’il y a en lui de matériel.
Mais ce dérèglement consiste surtout en ce que les puissances de l’âme se
portent d’une manière désordonnée vers le bien qui change, et ce dérèglement
peut être désigné par le nom général de concupiscence.
Par conséquent le péché originel est matériellement la concupiscence, mais il
est formellement la privation de la justice originelle (Cet article peut être
opposé à la doctrine de Luther et de Calvin. Ces deux hérésiarques ont soutenu
que la concupiscence n’était pas seulement ce qu’il y a de matériel, mais
encore ce qu’il y a de formel dans le péché originel. Comme la concupiscence
n’est pas détruite par le baptême, Calvin a prétendu que le baptême n’effaçait
pas le péché originel, ce qui a été condamné par le concile de Trente (sess. 5,
can. 5).).
Article
4 : Le péché originel existe-t-il également dans tous les hommes ?
Objection
N°1. Il semble que le péché originel n’existe pas également dans tous les hommes.
Car le péché originel est la concupiscence déréglée, comme nous l’avons dit
(art. préc.). Or, tous les hommes ne sont pas
également enclins à la concupiscence. Donc le péché originel n’existe pas dans
tous également.
Réponse
à l’objection N°1 : Depuis la rupture du lien de la justice originelle qui
maintenait dans l’ordre toutes les facultés de l’âme, chacune de ces facultés
tend au mouvement qui lui est propre avec d’autant plus de force qu’elle a plus
d’énergie. Or, il arrive qu’il y a des puissances de l’âme qui ont plus
d’énergie dans les uns que dans les autres, à cause des différentes
dispositions du corps. Par conséquent, si un individu est plus porté à la
concupiscence qu’un autre, ce n’est pas en raison du péché originel, puisque le
lien de la justice originelle est également brisé dans tous les hommes, et que
les parties inférieures de l’âme sont également abandonnées à elles-mêmes chez
tout le monde ; mais cette différence résulte accidentellement des diverses
dispositions des puissances de l’âme (Ainsi le péché originel est égal dans
tous les hommes quant à ce qu’il y a en lui de formel, mais il n’en est pas de
même quant à ce qu’il a de matériel.).
Objection
N°2. Le péché originel est une disposition déréglée de l’âme comme la maladie
est une disposition déréglée du corps. Or, la maladie est susceptible de plus
ou de moins. Donc le péché originel aussi.
Réponse
à l’objection N°2 : La maladie corporelle n’est pas produite dans tous les
individus par une cause égale, quoiqu’elle soit de la même espèce ; par
exemple, si la fièvre vient de la bile qui est corrompue, cette corruption peut
être plus ou moins grande et plus ou moins éloignée et rapprochée du principe
de la vie. Mais la cause du péché originel est égale dans tous les hommes ; il
n’y a donc pas de parité.
Objection
N°3. Saint Augustin dit (De nup. et concup., liv. 1, chap.
23 et 24) que la passion transmet le péché originel à ceux qu’elle engendre.
Or, il arrive que la passion de l’un est plus grande que celle d’un autre dans
l’acte de la génération. Donc le péché originel peut être plus grand dans l’un
que dans l’autre.
Réponse
à l’objection N°3 : La passion qui transmet le péché originel dans les enfants
n’est pas la passion actuelle ; parce qu’en supposant que Dieu accorde à un
individu de n’éprouver dans l’acte de la génération aucune passion déréglée, il
n’en transmettrait pas moins à ses descendants la tache originelle. Mais il
faut entendre par passion cette disposition habituelle d’après laquelle
l’appétit sensitif n’est pas contenu sous l’empire de la raison, une fois que
le lien de la justice originelle est détruit, et cette espèce de passion est
égale dans tout le monde.
Mais
c’est le contraire. Car le péché originel est un péché de nature, comme nous
l’avons dit (quest. préc., art. 2). Or, la nature existe également dans tous les
hommes. Donc le péché originel aussi.
Conclusion
Puisque le péché originel est une privation de la justice originelle et qu’il
détruit absolument dans tous les hommes l’habitude opposée, il ne peut pas
exister dans l’un plus que dans l’autre.
Il
faut répondre que dans le péché originel il y a deux choses : l’une est le
défaut de la justice originelle, l’autre est le rapport de ce défaut au péché
du premier homme, d’où il vient par une origine viciée. Sous le premier aspect,
le péché originel n’est susceptible ni de plus ni de moins, parce que le don de
la justice originelle a été totalement ravi, et que quand les privations sont
absolues et complètes, telles que la mort et les ténèbres, elles ne sont pas
susceptibles de plus et de moins, ainsi que nous l’avons dit (quest. 73, art.
2). Il en est de même si on le considère sous le second aspect. Car tous les
hommes se rapportent également au premier principe de l’origine viciée d’où le
péché originel tire ce qu’il y a en lui de coupable ; puisque les relations ne
sont pas susceptibles de plus ou de moins. D’où il est évident que le péché
originel ne peut pas être plus grand dans un individu que dans un autre.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
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