Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
1a 2ae = Prima Secundae = 1ère partie de la 2ème Partie
Question 88 : Du
péché véniel et du péché mortel
Le
péché véniel et le péché mortel se distinguant d’après la peine qu’ils
méritent, nous devons maintenant en parler. Nous nous
occuperons : 1° du péché véniel comparé au péché mortel ; 2° du péché véniel
considéré en lui-même. Sur le premier point six questions se présentent : 1°
Est-il convenable de distinguer le péché véniel du péché mortel ? (Wiclef, Luther et Calvin ont avancé que tous les péchés
étaient mortels de leur nature et qu’ils méritaient tous par eux-mêmes les
peines éternelles. Le concile de Trente a condamné cette erreur (sess. 6, chap.
11, et chap. 15, et sess, 16, chap. 5). S. Pie v et
Grégoire XII ont condamné aussi cette proposition de Baïus
: Nullum est peccatum naturâ suâ veniale,
sed omne peccatum meretur pœnam æternam. Parmi les
Pères on peut lire sur cette question : saint Augustin, Epist. 108 ; Tertullien, De animâ, chap. 17 ; Origène, Hom. 35 sup. Luc., chap. 6 ; saint Léon qui tire la même conséquence
des paroles de saint Paul (1 Cor.,
chap. 3).) — 2° Sont-ils d’un genre différent ? — 3° Le péché véniel est-il une
disposition au péché mortel ? — 4° Le péché véniel peut-il devenir mortel ? —
5° Une circonstance aggravante peut-elle d’un péché véniel faire un péché mortel
? — 6° Le péché mortel peut-il devenir véniel ? (D’après les théologiens, le
péché qui est mortel dans son genre devient véniel de trois manières : 1° quand
il y a légèreté de matière ; par exemple, si l’on fait une médisance légère qui
ne compromette pas la réputation du prochain ; 2° quand l’advertance n’est qu’imparfaite
; 3° quand il y a défaut d’un parfait consentement. Ces deux dernières
conditions reviennent à ce que saint Thomas appelle l’imperfection de l’acte ;
il admet aussi la première, mais il ne regarde pas alors le péché comme étant
mortel ex genere
suo.)
Article
1 : Est-il convenable de distinguer le péché véniel du péché mortel ?
Objection
N°1. Il semble qu’il ne soit pas convenable de distinguer le péché véniel du péché
mortel. Car saint Augustin dit (Cont.
Faust., liv. 22, chap. 27) : Le péché est une parole, une action ou un
désir contraire à la loi éternelle. Or, le péché, par là même qu’il est contraire
à la loi éternelle, est mortel. Donc tout péché est mortel, et par conséquent
il n’y a pas lieu de distinguer le péché véniel du péché mortel.
Réponse
à l’objection N°1 : La division du péché en véniel et en mortel n’est pas une
division du genre en espèces, qui participent également à la nature du genre,
mais il s’agit d’espèces analogues qui se disent du même genre, comme le
parfait et l’imparfait. C’est pourquoi la nature parfaite du péché, telle que
l’expose saint Augustin (loc. cit.),
convient au péché mortel. Mais on ne donne au péché véniel le nom de péché que
d’une manière imparfaite et comparativement au péché mortel. C’est ainsi qu’on
donne à l’accident le nom d’être par rapport à la substance, en prenant l’être
dans un sens imparfait. Car le péché véniel n’est pas contre la loi ; parce que
celui qui pèche véniellement ne fait pas ce que la loi défend, ni n’omet pas ce
qu’elle ordonne d’une manière obligatoire, mais il agit sans suivre la loi,
parce qu’il n’observe pas le mode d’action que la loi prescrit.
Objection
N°2. L’Apôtre dit (1 Cor., 10, 31) : Soit que
vous mangiez ; soit que vous buviez, soit que vous fassiez autre chose, faites
tout pour la gloire de Dieu. Or, celui qui pèche agit contre ce précepte,
car on ne pèche pas pour la gloire de Dieu. Par conséquent puisque c’est un
péché mortel d’agir contre la loi de Dieu, il semble que tous ceux qui pèchent
fassent des péchés mortels.
Réponse
à l’objection N°2 : Ce précepte de l’Apôtre est affirmatif, par conséquent il
n’oblige pas à toujours. Ainsi il n’agit pas contre ce précepte, celui qui ne
rapporte pas en acte à la gloire de Dieu tout ce qu’il fait. Il suffit donc
qu’un individu se rapporte à Dieu habituellement, lui et tout ce qu’il possède,
pour qu’il ne pèche pas mortellement, quoiqu’il ne rapporte pas actuellement à
la gloire de Dieu l’acte qu’il fait. Or, le péché véniel n’empêche pas qu’on ne
rapporte ses actions à la gloire de Dieu d’une manière habituelle (Les
thomistes sont partagés sur le sens qu’il faut donner à ces paroles de saint
Thomas. Cajétan, Alvarès,
les théologiens de Salamanque ont à cet égard des sentiments particuliers. Nous
croyons avec Billuart que quand l’Ange de l’Ecole dit
que dans le juste le péché véniel se rapporte habituellement à Dieu comme à sa
fin dernière, il s’agit là simplement de la concomitance de l’habitude avec
l’acte ; dans le sens que l’acte ne détruit pas l’habitude de la charité. Voyez
Billuart, De peccatis (Dissert. 8, art.
4).), il empêche seulement qu’on ne les lui rapporte d’une manière actuelle.
Car il n’exclut pas la charité qui se rapporte à Dieu habituellement ; par
conséquent de ce qu’une personne pèche véniellement il ne s’ensuit pas qu’elle
pèche mortellement.
Objection
N°3. Celui qui s’attache à une chose par l’amour, s’y attache, soit pour en
jouir, soit pour en user, comme le dit saint Augustin (De doct. christ.,
liv. 1, chap. 3 et 4). Or, celui qui pèche ne s’attache jamais au bien qui
change pour en user, puisqu’il ne le rapporte pas au bien qui nous rend
heureux, ce qui en constitue l’usage proprement dit, selon la remarque du même
Père (loc. cit.). Donc il jouit du
bien qui change, et comme la perversité humaine consiste à jouir des choses
dont on devrait user, encore selon l’expression de saint Augustin (Quæst., liv. 83,
quest. 30), et que d’ailleurs c’est cette perversité qu’on désigne sous le nom
de péché mortel, il s’ensuit que celui qui pèche le fait toujours mortellement.
Réponse
à l’objection N°3 : Celui qui pèche véniellement s’attache au bien temporel,
non pour en jouir, parce qu’il ne place pas en lui sa fin, mais pour en user,
puisqu’il le rapporte à Dieu non pas actuellement, mais habituellement.
Objection
N°4. Celui qui s’avance vers un terme s’éloigne par là même d’un autre. Or,
celui qui pèche s’avance vers le bien qui change. Donc il s’éloigne du bien
immuable, et par conséquent il pèche mortellement. Ce qui prouve qu’il n’y a
pas lieu de distinguer le péché véniel du péché mortel.
Réponse
à l’objection N°4 : Le bien muable n’est considéré comme un terme opposé au
bien immuable que quand on place en lui sa fin (Ce qu’on fait dans le péché
mortel, mais non dans le péché véniel.). Car ce qui se rapporte à une fin ne
peut pas être un terme.
Mais
c’est le contraire. Saint Augustin dit (Hom. 7 in Joan, et
Ench., chap. 44) qu’il y a le crime qui
mérite damnation, et la faute vénielle qui ne mérite pas cette peine. Comme il
désigne par le mot crime le péché
mortel, il s’ensuit que c’est avec raison que l’on distingue le péché véniel du
péché mortel.
Conclusion
Tout péché est mortel ou véniel, c’est-à-dire qu’il
attaque l’ordre de la charité même ou ce qui s’y rapporte.
Il
faut répondre que des choses qui ne paraissent pas opposées quand on les entend
au propre le deviennent quand on les prend dans un sens métaphorique. Ainsi le
mot rire (ridere) n’est pas opposé au mot se dessécher (arescere). Cependant si on prend
le premier de ces mots (ridere)
dans un sens métaphorique et qu’on l’applique à la prairie quand elle est en
pleine fleur et dans sa première beauté, il est opposé au second (arescere). De
même si on prend le mot mortel dans
son sens propre et qu’on le rapporte à la mort du corps, il ne parait pas être
en opposition avec le mot véniel, ni appartenir
au même genre. Mais si on le prend métaphoriquement, comme quand il s’agit des
péchés, le mortel est opposé à celui qui est véniel. En effet le péché étant
une infirmité de l’âme, comme nous l’avons vu (quest. 71, art. 1, réponse N°3 ;
quest. 72, art. 5, et quest. 74, art. 9, réponse N°2), on appelle mortel celui
qui par analogie aux maladies qui donnent la mort produit dans l’âme un mal
irréparable, en la séparant de son principe vital, ainsi que nous l’avons dit
(quest. 72, art. 5). Or, le principe de la vie spirituelle que la vertu
alimente est le rapport de l’homme avec sa fin dernière, comme nous l’avons vu
(quest. 72, art. 5, et quest. 87, art. 3). Du moment où l’on a cessé d’être en
rapport avec cette fin, aucun principe intrinsèque ne peut réparer ce désastre
; il n’y a que la puissance divine qui en soit capable, comme nous l’avons dit
(quest. 87, art. 3) ; parce que le dérèglement des choses qui se rapportent à
la fin se répare d’après la fin, comme l’erreur qui touche aux conséquences se
rectifie par la vérité des principes. Celui qui erre à l’égard de la fin
dernière ne peut donc pas se réhabiliter au moyen d’un secours plus élevé,
comme celui qui erre sur les principes ; c’est pourquoi on dit que ces fautes
sont mortelles, parce qu’elles sont en quelque sorte irréparables. Au
contraire, les péchés qui portent sur les moyens, sans que l’action cesse de se
rapporter à la fin dernière, sont réparables, et on dit qu’ils sont véniels.
Cari le péché est pardonné (veniam habet) quand il n’est plus digne de peine, et il cesse de
mériter punition quand il n’existe plus, comme nous l’avons dit (quest. 87,
art. 6). Ainsi donc le péché mortel et le péché véniel sont opposés, comme ce
qui est réparable est opposé à ce qui ne l’est pas. Et j’entends ce qui ne peut
être réparé par un principe interne ; car il ne s’agit pas ici de la puissance
divine qui peut guérir toutes les maladies corporelles et spirituelles. C’est pourquoi
on a raison de distinguer le péché véniel du péché mortel.
Article
2 : Le péché mortel et le péché véniel sont-ils d’un genre différent ?
Objection
N°1. Il semble que le péché véniel et le péché mortel ne soient pas d’un genre
différent, c’est-à-dire que le péché mortel soit d’un genre et le péché véniel
d’un autre. Car dans les actes humains le genre de bien et de mal se détermine
comparativement à la matière ou à l’objet, comme nous l’avons dit (quest. 18,
art. 2 et 8). Or, à l’égard de tout objet ou de toute matière, on peut pécher
mortellement et véniellement ; car l’homme peut aimer le bien qui change, moins
que Dieu, et alors il pèche véniellement, ou plus que Dieu, et dans ce cas il
pèche mortellement. Donc le péché véniel et le péché mortel ne sont pas d’un
genre différent.
Réponse
à l’objection N°1 : Par là même qu’on choisit ce qui est contraire à la charité
divine, on est convaincu de préférer cette chose à la charité divine elle-même
et par conséquent de l’aimer plus que Dieu. C’est pourquoi les péchés qui sont
par eux-mêmes opposés à la charité supposent qu’il y a quelque chose que l’on
aime plus que Dieu, et par là même ils sont mortels dans leur genre.
Objection
N°2. Nous avons dit (art. préc.) que le péché mortel
est celui qui est irréparable, tandis que le péché véniel est celui qui peut
être réparé. Or, il n’y a d’irréparable que le péché qui se fait par malice et
que quelques auteurs appellent irrémissible ; tandis que l’on peut réparer le
péché que l’on commet par faiblesse ou par ignorance, et qu’on dit rémissible.
Donc le péché mortel et le péché véniel diffèrent comme le péché commis par
malice diffère du péché de faiblesse et d’ignorance. Et puisque ces derniers ne
diffèrent pas sous le rapport du genre, mais sous le rapport de la cause, comme
nous l’avons dit (quest. 79 à 78), il s’ensuit que le péché véniel et le péché
mortel ne sont pas d’un genre différent.
Réponse
à l’objection N°2 : Ce raisonnement s’appuie sur le péché qui est véniel
d’après sa cause.
Objection
N°3. Nous avons dit (quest. 74, art. 3, réponse N°3, et art. 10) que les mouvements
subits de la sensibilité aussi bien que de la raison sont des péchés véniels.
Or, il y a des mouvements subits dans tout genre de péché. Donc il n’y a pas de
péchés qui soient véniels dans leur genre.
Réponse
à l’objection N°3 : Ce raisonnement s’appuie sur le péché qui est véniel par
suite de l’imperfection de l’acte.
Mais
c’est le contraire. Saint Augustin (De purgat. serm.) énumère
certains genres de péchés véniels et certains genres de péchés mortels.
Conclusion
Le péché véniel et le péché mortel diffèrent de genre d’après leurs objets ;
mais comme les actes moraux tirent leur bonté ou leur malice, non seulement de
leur objet, mais encore de la disposition de l’agent, il arrive qu’un péché qui
est véniel dans son genre devient mortel par suite de l’intention mauvaise de
celui qui le commet, et qu’un péché mortel dans son genre est véniel à cause de
l’imperfection de l’acte, quand il est subit et qu’il n’a pas été délibéré par
la raison.
Il
faut répondre que le péché véniel tire son nom du mot venia (pardon). On peut donc dire
qu’un péché est véniel, d’abord parce qu’il a obtenu son pardon. C’est ainsi
que, d’après saint Ambroise (De Parad.,
chap. 14), tout péché devient véniel par la pénitence, et on dit en ce sens
qu’il est véniel par l’événement (Car par la pénitence il arrive qu’il est
effet pardonné.). On dit ensuite que le péché est véniel quand il n’a rien en
soi qui le rende irrémissible, totalement ou en partie. En partie quand il a en
soi quelque chose qui le diminue, comme quand il résulte de la faiblesse et de
l’ignorance ; dans ce cas on dit qu’il est véniel d’après sa cause. Totalement,
lorsqu’il ne détruit pas le rapport de l’âme avec sa fin
dernière et que par conséquent il ne mérite pas une peine éternelle, mais
temporelle. C’est de ce dernier qu’il s’agit ici, car pour les deux premiers il
est évident qu’ils n’ont pas un genre déterminé. Mais le troisième peut en
avoir un, de telle sorte qu’on distingue le péché qui est véniel dans son
genre, du péché qui est mortel dans le sien, comme on détermine le genre ou
l’espèce de l’acte d’après son objet. En effet, quand la volonté se porte vers
quelque chose qui est en soi contraire à la charité qui met l’homme en rapport
avec sa fin dernière, ce péché a dans son objet de
quoi être mortel. Il est donc mortel dans son genre, soit qu’il soit contraire
à l’amour de Dieu, comme le blasphème, le parjure, etc., soit qu’il soit
contraire à l’amour du prochain, comme l’homicide, l’adultère, etc. Par
conséquent tous ces péchés sont mortels dans leur genre (Il y a en eux gravité
de matière.). Mais quand la volonté de celui qui pèche se porte vers une chose
qui renferme en elle un certain désordre, sans être toutefois contraire à
l’amour de Dieu et du prochain, comme une parole oiseuse, un rire superflu,
etc. ; ces péchés sont véniels dans leur genre (Au contraire, il y a en eux
légèreté de matière.), comme nous l’avons dit (quest. 87, art. 5). — Toutefois les
actes moraux tirant leur bonté et leur malice non seulement de leur objet, mais
encore de la disposition de l’agent, comme nous l’avons vu (quest. 78, art. 4,
et quest. 77, art. 6), il arrive quelquefois que ce qui est péché véniel dans
son genre, en raison de son objet, devient mortel à cause de l’agent ; soit
parce qu’il met en lui sa fin dernière, soit parce qu’il le rapporte à une
chose qui est un péché mortel dans son genre, comme quand quelqu’un dit une
parole oiseuse pour commettre un adultère. — De même l’agent est cause qu’un
péché qui est mortel dans son genre, devient véniel, parce que l’acte est
imparfait, c’est-à-dire qu’il n’a pas été délibéré par la raison qui est le
principe propre du mal, comme nous l’avons dit (quest. 74, art. 10) à propos
des mouvements subits de l’infidélité.
Article
3 : Le péché véniel est-il une disposition au péché mortel ?
Objection
N°1. Il semble que le péché véniel ne soit pas une disposition au péché mortel.
Car un opposé ne dispose pas à l’autre. Or, le péché véniel et le péché mortel
sont opposés, comme nous l’avons dit (art. 1). Donc le péché véniel n’est pas
une disposition au péché mortel.
Réponse
à l’objection N°1 : Le péché véniel et le péché mortel ne sont pas opposés,
comme deux espèces d’un même genre, ainsi que nous l’avons dit (art. 1, réponse
N°1), mais comme l’accident est opposé à la substance. Par conséquent, comme un
accident peut être une disposition à une forme substantielle, de même le péché
véniel est une disposition au péché mortel.
Objection
N°2. L’acte dispose à quelque chose qui lui ressemble dans son espèce. C’est ce
qui fait dire à Aristote (Eth., liv. 2, chap. 1 et 2) que les actes semblables engendrent
des dispositions et des habitudes semblables. Or, le péché mortel et le péché
véniel diffèrent de genre et d’espèce, comme nous l’avons dit (art. 2). Donc le
péché véniel ne dispose pas au péché mortel.
Réponse
à l’objection N°2 : Le péché véniel ne ressemble pas au péché mortel dans
l’espèce. Cependant il lui ressemble dans le genre en ce sens que l’un et
l’autre impliquent un défaut de soumission, quoique ce soit d’une manière
différente, comme nous l’avons dit (art. 1 et 2).
Objection
N°3. Si on appelle péché véniel celui qui dispose au péché mortel, il faudra
que tout ce qui dispose au péché mortel soit un péché véniel. Or, toutes les
bonnes œuvres disposent au péché mortel : car saint Augustin dit dans sa règle
que l’orgueil tend des embûches aux bonnes œuvres pour les perdre. Donc il y
aurait des bonnes œuvres qui seraient des péchés véniels, ce qui répugne.
Réponse
à l’objection N°3 : Une bonne œuvre n’est pas par elle- même une disposition au
péché mortel, cependant elle peut en être la matière ou l’occasion par
accident, tandis que le péché véniel dispose par lui- même au péché mortel,
comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.).
Mais
c’est le contraire. Il est écrit (Ecclésiastique,
19, l) : Celui qui méprise les petites
choses tombe peu à peu. Or, celui qui pèche véniellement semble mépriser
les petites choses. Donc il se dispose peu à peu à tomber totalement dans le
péché mortel.
Conclusion
Le péché mortel et le péché véniel étant d’espèce différente, le péché véniel
ne peut être une disposition au péché mortel, sinon par suite de la disposition
de l’agent et indirectement en écartant tout ce qui y mettait obstacle.
Il
faut répondre que ce qui dispose est cause d’une certaine manière. Par
conséquent, comme il y a deux sortes de cause, il y a deux sortes de
disposition. En effet il y a une cause qui produit directement l’effet ; c’est
ainsi que la chaleur échauffe. Il y en a une qui le produit indirectement, en
éloignant ce qui lui fait obstacle, et c’est de cette manière qu’en écartant
une colonne on fait mouvoir la pierre qui reposait dessus. L’acte du péché
dispose ainsi à une chose de deux manières : 1° Directement. C’est de la sorte
qu’il dispose à un acte qui lui ressemble dans son espèce. Le péché qui est
véniel dans son genre ne dispose pas de cette première manière au péché qui est
mortel dans le sien, puisqu’ils sont d’espèce différente, mais il peut ainsi
disposer par voie de conséquence au péché qui est mortel par suite des
dispositions de l’agent. Car les actes des péchés véniels augmentant la
disposition ou l’habitude, la concupiscence peut s’enflammer au point que celui
qui pèche mette sa fin dans le péché véniel (On peut s’attacher au jeu au point
de négliger, pour satisfaire ce goût, des devoirs essentiels.). C’est ainsi que
celui qui a une habitude a pour fin l’opération qui est conforme à cette
habitude ; et qu’à force de pécher véniellement, le pécheur se trouve disposé à
pécher mortellement (Le péché véniel dispose encore directement au péché
mortel, quand il est mortel de sa nature et qu’il n’est véniel que par le
défaut d’advertance ou de consentement ; c’est ainsi que les premiers
mouvements de la fornication et de la colère conduisent à la consommation de
ces actes s’ils ne sont pas réprimés.). 2° Indirectement. L’acte humain dispose
ainsi à une chose en écartant ce qui lui faisait obstacle, et c’est de la sorte
que le péché qui est véniel dans son genre peut disposer au péché qui est
mortel dans le sien. Car celui qui fait un péché véniel dans son genre, néglige
un ordre quelconque, et par là même qu’il habitue sa volonté à ne pas se
soumettre dans les petites choses à l’ordre légitime, il la prépare à ne pas
respecter l’ordre de sa fin dernière elle-même, en choisissant ce qui est un
péché mortel dans son genre (La chute est d’autant plus facile qu’en
multipliant les péchés véniels on affaiblit les sources de la grâce.).
Article
4 : Le péché véniel peut-il devenir mortel ?
Objection
N°1. Il semble que le péché véniel puisse devenir mortel. Car saint Augustin expliquant
ces paroles de saint Jean : Celui qui ne
croit pas au Fils ne verra pas la vie, dit (Tract. 12 in Joan.) : Les moindres péchés, c’est-à-dire les péchés
véniels, si on les néglige, tuent l’âme. Or, ces paroles désignent le péché
mortel qui est la mort spirituelle de l’âme. Donc le péché véniel peut devenir
mortel.
Réponse
à l’objection N°1 : Saint Augustin veut dire que beaucoup de péchés véniels
produisent le péché mortel, dans le sens qu’ils y disposent.
Objection
N°2. Le mouvement de l’appétit qui précède le consentement de la raison est un
péché véniel, et après que la volonté y a consenti, c’est un péché mortel,
comme nous l’avons dit (quest. 74, art. 8, réponse N°2). Donc le péché véniel
peut devenir mortel.
Réponse
à l’objection N°2 : Le même mouvement sensitif qui a précédé le consentement de
la raison ne devient jamais un péché mortel, mais c’est l’acte même de la
raison qui par son assentiment constitue une faute de cette nature.
Objection
N°3. Le péché véniel et le péché mortel diffèrent comme une maladie guérissable
et une maladie qui ne l’est pas, ainsi que nous l’avons dit (art. 1). Or, une
maladie qui n’était pas incurable peut le devenir. Donc un péché véniel peut
devenir mortel.
Réponse
à l’objection N°3 : Une maladie corporelle n’est pas un acte, mais une
disposition permanente ; par conséquent tout en restant la même elle peut
changer : au lieu que le péché véniel est un acte transitoire sur lequel on ne
peut revenir, et sous ce point de vue il n’y a pas de parité.
Objection
N°4. Une disposition peut devenir une habitude. Or, le péché véniel est une
disposition au péché mortel, comme nous l’avons dit (art. préc.).
Donc le péché véniel peut devenir mortel.
Réponse
à l’objection N°4 : La disposition qui devient une habitude ne diffère de cette
dernière que comme l’imparfait diffère du parfait. C’est ainsi que la science
imparfaite devient une habitude en se perfectionnant. Mais le péché véniel est
une disposition d’un autre genre que le péché mortel. Il est comme l’accident par
rapport à la forme substantielle, et l’accident ne peut jamais se changer en
substance.
Mais
c’est le contraire. Les choses qui diffèrent infiniment ne se transforment pas
les unes dans les autres. Or, le péché mortel et le péché véniel diffèrent
infiniment. Donc le péché véniel ne peut devenir mortel.
Conclusion
Quoiqu’il ne puisse jamais se faire qu’un seul et même acte soit d’abord un
péché véniel, puis un péché mortel, et même quoique tous les péchés véniels du
monde entier n’égalent pas un seul péché mortel ; néanmoins il peut arriver
qu’une faute vénielle devienne mortelle par suite d’un changement quelconque,
ou que beaucoup de péchés véniels disposent à un péché mortel.
Il
faut répondre qu’on peut entendre de trois manières qu’un péché véniel devient
mortel : 1° Cette proposition peut signifier que le même acte numériquement
était d’abord un péché véniel et qu’il a été ensuite mortel. Ceci est
impossible, parce que le péché consiste principalement dans l’acte de la
volonté, comme tout acte moral. Par conséquent on ne dit pas qu’il y a un seul
acte moral si la volonté vient à changer ; quand même l’action serait continue
par sa nature. Or, si la volonté ne change pas, il ne peut pas se faire que de
vénielle la faute devienne mortelle. 2° On peut entendre qu’une faute qui est
vénielle dans son genre devient mortelle. Ce qui est possible, soit parce que
le pécheur met dans l’objet de cette faute sa fin (Par exemple, si quelqu’un
était tellement attaché au jeu qu’il fût dans la disposition actuelle de
manquer à un devoir essentiel plutôt que de le quitter. Mais il faut que la
disposition soit actuelle, parce que si elle n’était qu’habituelle ou
interprétative, le péché ne serait pas mortel ; car on pèche, non par les
habitudes, mais par les actes.), soit parce que cette faute vénielle se
rapporte à une faute mortelle comme à sa fin (Comme si l’on disait un mensonge
officieux pour faire un acte de fornication. Le péché véniel peut encore
devenir mortel dans trois circonstances : 1° par le mépris formel de la loi ;
2° en raison du scandale à l’égard des enfants, des domestiques, etc. ; 3° à
raison du danger prochain de tomber dans une faute grave. Dans ce cas on est
tenu de confesser l’espèce du péché auquel on s’est exposé, qu’on l’ait commis
ou non. Saint Thomas ne parle pas ici de ces trois circonstances, parce
qu’elles produisent une malice particulière, distincte de la nature même du
péché véniel, comme il l’observe dans l’article suivant), tel que nous l’avons
dit (art. 2). 3° On peut entendre par là qu’un grand nombre de péchés véniels
forment un péché mortel. Si on veut dire que beaucoup de péchés véniels
constituent intégralement un péché mortel, la proposition est fausse (La
pratique de l’Eglise le prouve, puisqu’elle ne fait pas une obligation absolue
de confesser les péchés véniels, quelque nombreux qu’ils soient.). Car tous les
péchés véniels du monde ne peuvent mériter la même peine qu’un seul péché
mortel ; ce qui est évident relativement à la durée, puisqu’un péché mortel
mérite une peine éternelle, tandis qu’un péché véniel ne mérite qu’une peine
temporelle, comme nous l’avons dit (art. 2). C’est aussi évident par rapport à
la peine du dam ; parce que le péché
mortel mérite la privation de la vue de Dieu, ce qui est une peine à laquelle
aucune autre ne peut se comparer, comme le dit saint Chrysostome (Hom. 24 ad pop. Ant.).
Quant à la peine du sens, c’est encore manifeste pour le remords qui agite la
conscience, quoique pour ce qui est de la peine du feu il y ait une certaine
proportion entre le châtiment de l’un et de l’autre. — Mais si l’on veut
seulement dire qu’une foule de péchés véniels produisent
un péché mortel en y disposant, alors la proposition est vraie, comme nous
l’avons prouvé (art. 3) en exposant les deux manières dont le péché véniel
dispose au péché mortel.
Article
5 : La circonstance peut-elle d’un péché véniel faire un péché mortel ?
Objection
N°1. Il semble que la circonstance puisse d’un péché véniel faire un péché
mortel. Car saint Augustin dit (De anim. defunct., serm. 4) que si la colère se prolonge longtemps et que
l’ivresse soit continuelle, elles passent au nombre des péchés mortels. Or, la
colère et l’ivresse ne sont pas des péchés mortels dans leur genre, mais des
péchés véniels ; autrement ils seraient toujours mortels. Donc la circonstance
fait qu’un péché véniel est mortel.
Réponse
à l’objection N°1 : La durée n’est pas une circonstance qui change l’espèce, ni
la fréquence ou l’assiduité de l’acte, sinon par accident, par suite de quelque
autre chose qui survient. Car une chose ne change pas d’espèce parce qu’on la
multiplie ou qu’on la prolonge, à moins qu’en multipliant ou en prolongeant un
acte, il ne survienne quelque chose qui en change l’espèce, comme la
désobéissance, le mépris (Le mépris de la loi ou du législateur, considéré
comme tel ; cette circonstance qui fait du péché véniel un péché mortel a une
malice propre, indépendante de celle de l’acte.), etc. Il faut donc dire que la
colère étant un mouvement de l’âme qui a pour but de nuire au prochain, si le
tort qu’elle a en vue est un péché mortel dans son genre, comme l’homicide ou
le vol, cette passion est aussi un péché mortel dans le sien. Elle peut être un
péché véniel par suite de l’imperfection de l’acte, quand elle est un mouvement
subit de la sensibilité ; mais si elle dure, elle revient à ce qu’elle est naturellement dans son genre par suite de l’assentiment
de la raison. Au contraire, si le tort que la colère se propose était véniel
dans son genre, comme quand on est fâché contre quelqu’un et qu’on veut
seulement lui dire quelques paroles légères et quelques plaisanteries qui le
choquent un peu, alors elle n’est pas un péché mortel, quelle que soit sa
durée, à moins que par accident quelque chose ne s’y joigne, comme s’il en
résultait un grave scandale (Le scandale est encore une circonstance qui a sa
malice propre et qui en s’ajoutant à la faute vénielle la rend mortelle.), ou
pour tout autre motif. Mais il faut dire à l’égard de l’ivresse qu’elle est par
sa nature un péché mortel. Car que l’homme perde sans nécessité l’usage de la
raison qui lui a été donnée pour s’élever à Dieu et pour éviter toutes les
fautes auxquelles il est exposé, c’est une chose absolument contraire à la
vertu. Toutefois cette faute peut être vénielle par ignorance ou par faiblesse,
comme quand un homme ignorant la force du vin ou sa propre faiblesse s’enivre
sans le savoir ; parce qu’alors ce n’est pas l’ivresse, mais l’excès de la
boisson qui lui est imputé à péché. Toutefois s’il
s’enivre fréquemment, cette ignorance ne peut l’excuser et empêcher que sa
volonté ne paraisse aimer mieux s’enivrer que de s’abstenir de boire par excès
; par conséquent le péché revient à sa nature.
Objection
N°2. Le Maître des sentences dit (Lib. 2
Sent., dist. 24) que la délectation, quand elle est morose, est un péché
mortel, mais que c’est un péché véniel quand elle ne l’est pas. Or, la morosité
est une circonstance. Donc la circonstance fait d’un péché véniel un péché
mortel.
Réponse
à l’objection N°2 : La délectation morose n’est regardée comme un péché mortel
que pour les choses qui sont des péchés mortels dans leur genre, et à l’égard
desquelles la délectation qui n’est pas morose n’est un péché véniel que par
suite de l’imperfection de l’acte, comme nous l’avons dit en parlant de la colère
(art. 1). Car on dit que la colère qui a de la durée et de la délectation
morose, à cause de l’assentiment de la raison délibérante.
Objection
N°3. Le mal et le bien diffèrent plus que le péché véniel et que le péché mortel
qui sont l’un et l’autre compris dans le genre du mal. Or, la circonstance fait
d’un acte bon un acte mauvais, comme on le voit quand quelqu’un fait l’aumône
par vaine gloire. Donc à plus forte raison peut-elle faire d’un péché véniel un
péché mortel.
Réponse
à l’objection N°3 : La circonstance ne fait pas d’un bon acte un mauvais, à
moins qu’elle ne constitue une espèce de péché, ainsi que nous l’avons dit
(quest. 18, art. 10 et 11).
Mais
c’est le contraire. La circonstance étant un accident, son étendue ne peut
excéder celle que l’acte comporte dans son genre. Car le sujet l’emporte
toujours sur l’accident. Si donc l’acte est un péché véniel dans son genre, il
ne peut pas se faire qu’une circonstance le rende mortel ; puisque le péché
mortel surpasse infiniment sous un rapport l’étendue du péché véniel, comme on
le voit d’après ce que nous avons dit (art. préc., Mais c’est le
contraire.).
Conclusion
Le péché qui est véniel dans son genre n’étant pas de la même espèce que celui
qui est mortel, il ne peut se faire d’aucune manière qu’une circonstance fasse
d’un péché véniel un péché mortel ; sinon quand cette circonstance est, par
rapport à l’acte moral, une différence spécifique qui constitue une nouvelle
espèce de péché.
Il
faut répondre que, comme nous l’avons dit (quest. 7, art. 1, et quest. 18, art.
10) en traitant des circonstances, la circonstance, considérée comme telle, est
un accident moral de l’acte. Cependant il arrive qu’on la prend pour sa
différence spécifique, et alors elle cesse d’être une circonstance et constitue
une espèce d’acte moral. C’est ce qui a lieu en matière de péché quand la
circonstance ajoute une difformité d’un autre genre. Ainsi quand on use d’une
femme qui n’est pas la sienne, c’est un acte dont la difformité morale est
contraire à la chasteté. Mais si cette femme est l’épouse d’un autre, on ajoute
à l’acte une nouvelle difformité contraire à la justice qui nous défend
d’usurper ce qui est à autrui. Alors cette circonstance constitue une nouvelle
espèce de péché qu’on appelle l’adultère. Mais il est impossible qu’une
circonstance fasse d’un péché véniel un péché mortel, si elle n’ajoute à l’acte
une difformité d’un autre genre. En effet nous avons dit (art. 1) que le péché
véniel est un mal en ce qu’il implique un certain désordre à l’égard de ce qui
se rapporte à la fin, tandis que le péché mortel implique un désordre qui
atteint la fin dernière elle-même. D’où il est manifeste qu’une circonstance ne
peut faire d’un péché véniel un péché mortel, si elle reste telle ; mais
qu’elle ne produit cet effet que quand elle passe à une autre espèce et qu’elle
devient en quelque sorte la différence spécifique de l’acte moral.
Article
6 : Un péché mortel peut-il devenir véniel ?
Objection
N°1. Il semble qu’un péché mortel puisse devenir véniel. Car le péché véniel
est aussi éloigné du péché mortel que le mortel l’est du véniel. Or, le péché
véniel devient mortel, comme nous l’avons dit (art. 4 et 5). Donc le péché
mortel peut aussi devenir véniel.
Réponse
à l’objection N°1 : Le péché véniel diffère du mortel, comme l’imparfait du
parfait, comme un enfant d’un homme mûr. Or, d’un enfant l’on fait un homme,
mais non réciproquement. Cette raison n’est donc pas concluante.
Objection
N°2. Le péché véniel et le péché mortel diffèrent en ce que celui qui pèche mortellement
aime la créature plus que Dieu, tandis que celui qui pèche véniellement l’aime
moins. Or, il peut se faire qu’en commettant une faute qui est un péché mortel
dans son genre l’on aime la créature moins que Dieu, par exemple, si un
individu fait une fornication, tout en ignorant que la simple fornication soit
un péché mortel et qu’elle soit contraire à l’amour divin, de telle sorte que,
par amour pour Dieu, il serait dans la disposition de ne plus faire cette faute
s’il savait qu’en la faisant, il offense Dieu grièvement. Donc il ne pèche que
véniellement, et le péché mortel peut dans ce cas devenir véniel.
Réponse
à l’objection N°2 : Si l’ignorance est telle qu’elle excuse absolument du
péché, comme celle d’un furieux ou d’un insensé, alors celui qui fait une
fornication dans une pareille ignorance ne pèche ni véniellement, ni
mortellement. Mais si l’ignorance n’est pas invincible, alors elle est
elle-même un péché, et renferme en elle un défaut d’amour de Dieu, en ce sens
que l’homme néglige d’apprendre les moyens par lesquels il peut se conserver
dans cet amour.
Objection
N°3. Comme nous l’avons dit (art. préc., objection N°3) : Le bien diffère plus du mal que le péché
véniel du péché mortel. Or, l’acte qui est mauvais de soi peut devenir bon.
Ainsi un homicide peut devenir un acte de justice, tel qu’on le voit dans le
juge qui fait périr un brigand. Donc à plus forte raison un péché mortel
peut-il devenir véniel.
Réponse
à l’objection N°3 : Comme le dit saint Augustin (Lib. cont. mend., chap. 7), les
choses qui sont mauvaises en elles-mêmes ne peuvent devenir bonnes pour aucune
fin. Or, l’homicide est le meurtre d’un innocent, et à ce titre il ne peut être
louable d’aucune manière. Mais le juge qui fait mourir un brigand, ou le soldat
qui tue un ennemi de l’Etat, ne sont pas appelés des homicides, selon la
remarque du même docteur (De lib. arb., liv. 1, chap. 4 et 5).
Mais
c’est le contraire. Ce qui est éternel ne peut jamais devenir temporel. Or, le
péché mortel mérite une peine éternelle et le péché véniel une peine
temporelle. Donc le péché mortel ne peut jamais devenir véniel.
Conclusion
Quoique le péché véniel devienne mortel par suite d’une difformité mortelle qui
s’y a joute, comme quand une circonstance change l’espèce du péché néanmoins le
péché mortel ne devient pas véniel par suite d’une
difformité vénielle qui s’y adjoint, mais il devient plus grave encore.
Cependant on peut dire qu’un péché qui est mortel dans son genre devient véniel
par suite de l’imperfection de l’acte.
Il
faut répondre que le péché véniel et le péché mortel diffèrent comme le parfait
et l’imparfait dans le genre du péché, ainsi que nous l’avons dit (art. 1). Or,
l’imparfait, au moyen de quelque chose qu’on v ajoute, peut arriver au parfait
; par conséquent le péché véniel, quand on y ajoute une difformité qui est du
genre du péché mortel, devient mortel ; comme quand on dit une parole oiseuse
pour faire une fornication. Mais ce qui est parfait ne peut pas devenir
imparfait quand on y ajoute. C’est pourquoi le péché mortel ne devient pas
véniel par là même qu’on y ajoute une difformité qui est du genre du péché
véniel. Car celui qui fait une fornication ne diminue pas son péché en disant
une parole oiseuse, mais il l’aggrave plutôt à cause de la difformité qui s’y
adjoint. Cependant ce qui est mortel dans son genre peut être véniel à cause de
l’imperfection de l’acte, parce qu’il n’a pas parfaitement ce qu’il faut pour
un acte moral, comme tout acte qui n’a pas été délibéré, mais qui est subit,
ainsi que nous l’avons dit (art. 2). Ceci résulte d’une soustraction (Nous
avons employé cette expression par opposition au mot addition qui se rapporte au péché mortel qui s’ajoute au péché
véniel.) qui fait que la raison n’a pas pu délibérer (Pour qu’il y ait
délibération parfaite, il faut que l’intellect perçoive pleinement et
distinctement l’acte et sa malice, ou qu’il puisse le faire ; ce qui suppose
advertance parfaite et plein consentement.). Et comme l’acte moral se spécifie
d’après le conseil de la raison, il s’ensuit que cette soustraction en détruit
l’espèce.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de
l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
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