Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
1a 2ae = Prima Secundae = 1ère partie de la 2ème Partie
Question 95 : De
la loi humaine
Après
avoir parlé de la loi naturelle nous devons nous occuper de la loi humaine. Et
d’abord de la loi humaine considérée en elle-même, ensuite de sa puissance et
enfin de ses variations. Sur cette loi considérée en elle-même, il y a quatre
choses à examiner : 1° son utilité (Cet article est une réfutation de l’erreur
de Luther, qui prétendait que les chrétiens étaient libres et que l’on ne
pouvait leur imposer des lois qu’autant qu’ils le voulaient.) ; 2° son origine
; 3° sa qualité (Les conditions énumérées par saint Isidore sont adoptées dans
le droit canon (Jur. canon., dist. 4, chap. 2).) ; 4° sa
division.
Article
1 : Etait-il utile que les hommes fissent des lois ?
Objection
N°1. Il semble qu’il n’était pas utile que les hommes fissent des lois. Car le
but de toute loi, c’est de rendre les hommes bons, comme nous l’avons dit
(quest. 92, art. 1). Or, les hommes sont plutôt portés au bien par des avis qui
les persuadent que par des lois qui les contraignent. Il n’était donc pas
nécessaire de faire des lois.
Réponse
à l’objection N°1 : Ceux qui sont bien disposés sont plutôt portés à la vertu
par des avertissements persuasifs que par la violence, mais que ceux qui sont
mal disposés ne la pratiquent qu’autant qu’ils y sont contraints.
Objection
N°2. Comme le dit Aristote (Eth., liv. 5, chap. 4), les hommes ont recours au juge comme
à la justice vivante. Or, cette justice vivante est meilleure que la justice
morte que les lois renferment. Il aurait donc été préférable de confier
l’exécution de cette justice à l’arbitrage des juges plutôt que de faire des
lois.
Réponse
à l’objection N°2 : Comme l’observe Aristote (Rhet., liv. 1, chap. 1) : Il vaut mieux que tout soit réglé par une loi
que de laisser tout à l’arbitrage des juges, et cela pour trois raisons : 1°
parce qu’il est plus facile de trouver quelques hommes sages, capables de faire
de bonnes lois, que d’en trouver autant qu’il en faudrait pour bien juger
chaque affaire en particulier. 2° Parce que ceux qui font des lois considèrent
d’après un long temps ce que la loi doit prescrire, tandis que les jugements
que l’on porte sur des faits particuliers reposent sur des cas qui se
présentent subitement. Or, il est plus facile à l’homme de voir, d’après une
foule d’expériences, ce qui est juste que de le décider d’après un fait unique.
3° Parce que les législateurs jugent en général et sur des faits à venir ;
tandis que ceux qui président à un jugement jugent des choses présentes pour
lesquelles ils peuvent avoir de l’amour ou de la haine, ou toute autre passion
; ce qui corrompt le jugement. Comme la justice vivante ne se rencontre pas
dans beaucoup de juges et que d’ailleurs elle est mobile, il a donc été
nécessaire, toutes les fois que la chose a été possible, de déterminer par une
loi la sentence que l’on devait porter et de laisser peu de choses à
l’arbitrage des juges.
Objection
N°3. Toute loi a pour objet de diriger les actes humains, comme on le voit
d’après ce que nous avons dit (quest. 90, art. 1 et 2). Or, les actes humains
consistant dans des choses individuelles qui sont infinies, ce qui appartient à
leur direction ne peut être suffisamment examiné que par un sage qui considère
chaque chose en particulier. Il aurait donc été mieux de faire diriger ces
actes par l’arbitrage d’hommes éclairés que par une loi établie à cet effet.
Par conséquent il n’était pas nécessaire de faire des lois.
Réponse
à l’objection N°3 : Il y a des choses particulières que la loi ne peut pas
embrasser et qu’il est nécessaire d’abandonner à l’appréciation des juges,
comme le dit Aristote (Rhet.,
liv. 1, chap. 1) ; par exemple, c’est aux juges à voir si un fait a eu lieu et
à en connaître les circonstances (C’est ce qui constitue la matière des
procès.).
Mais
c’est le contraire. Saint Isidore dit (Etym., liv. 5, chap. 20) : Les lois ont été faites pour
comprimer l’audace des hommes, pour mettre l’innocence en sûreté et pour
imposer un frein aux mauvais desseins des méchants par la crainte des
supplices. Or, toutes ces choses sont absolument nécessaires au genre humain.
Donc on a dû faire des lois.
Conclusion
Il a été nécessaire pour la paix et la tranquillité du genre humain que les
hommes fissent des lois pour détourner les méchants du mal, par la crainte des
châtiments et pour qu’ils puissent faire le bien.
Il
faut répondre que, comme nous l’avons dit (quest. 63, art. 1), l’homme a
naturellement une certaine aptitude pour la vertu, mais il ne peut arriver à la
perfection de la vertu que par une règle ou une éducation particulière. C’est
ainsi que nous voyons qu’il a besoin d’une certaine industrie pour se procurer
les choses nécessaires à la vie, comme la nourriture et le vêtement. La nature
lui donne ce qui en est l’origine en lui donnant une raison et des mains, sans
lui fournir ce qui en est le complément, comme elle le fait pour les autres
animaux qui reçoivent d’elle tout ce qu’il leur faut pour se vêtir et se
nourrir. Par rapport à cette éducation, l’homme se suffit difficilement à
lui-même ; parce que la perfection de la vertu consiste surtout à l’éloigner
des plaisirs coupables, auxquels il est très-enclin
surtout pendant sa jeunesse, et alors il a besoin d’un frein plus ferme. C’est
pourquoi il faut qu’il reçoive d’autrui cette éducation par laquelle on arrive
à la vertu. — A la vérité, pour les jeunes gens qui sont portés à la vertu, par
suite des bonnes dispositions de leur nature, ou par la coutume, ou plutôt
encore par la grâce, c’est assez de la discipline paternelle qui s’exerce par
de sages avis. Mais comme il y a des caractères difficiles, enclins aux vices,
et que les paroles ne peuvent pas facilement émouvoir, il a été nécessaire de
les détourner du mal par la force ou par la crainte, afin qu’en les empêchant
de mal faire, ils laissassent du moins les autres en repos, et qu’ils prissent
ensuite l’habitude de faire volontairement ce qu’ils faisaient d’abord par
crainte et qu’ils devinssent vertueux eux-mêmes. Or, cette espèce de discipline
qui contraint par la crainte du châtiment est la discipline des lois. Il a donc
été nécessaire pour la paix du genre humain et dans l’intérêt de la vertu qu’on
fit des lois. Car, comme le dit Aristote (Pol.,
liv. 1, chap. 2), si l’homme quand il est d’une vertu parfaite est le meilleur
des animaux, de même il devient le pire de tous, s’il vit sans loi et sans
justice ; parce qu’il a les armes de la raison pour satisfaire ses convoitises
et sa cruauté ; ce que ne possèdent pas les autres animaux (La loi naturelle ne
suffit pas, parce qu’il y a une foule de choses particulières qu’elle ne
détermine pas, et que d’ailleurs elle ne spécifie aucune peine. La loi divine
n’en prescrit que d’éloignées et d’invisibles, qui n’ont pas d’influence sur
ceux qui manquent de conscience. C’est ce qui faisait dire à saint Augustin que
sans les lois humaines la société ne serait plus qu’un vaste bridage.).
Article
2 : Toute loi humaine vient-elle de la loi naturelle ?
Objection
N°1. Il semble que toute loi humaine ne vienne pas de la loi naturelle. Car
Aristote dit (Eth.,
liv. 5, chap. 7) que le droit légal peut être indifféremment établi d’une
manière ou d’une autre. Or, il n’en est pas ainsi des choses qui découlent de
la loi naturelle. Donc toutes les choses qui sont statuées par les lois
humaines ne viennent pas de cette loi.
Réponse
à l’objection N°1 : Aristote parle des choses que la loi établit en déterminant
ou en spécifiant les préceptes de la loi naturelle.
Objection
N°2. Le droit positif se distingue par opposition au droit naturel, comme on le
voit dans saint Isidore (Etym., liv. 5, chap. 4) et dans Aristote (Eth., liv. 5,
chap. 4). Or, les choses qui viennent des principes généraux de la loi de
nature, comme conséquences, appartiennent a. cette loi, ainsi que nous l’avons
dit (quest. préc., art. 3 et 4). Donc ce qui appartient à la loi humaine ne
découle pas de la loi naturelle.
Réponse
à l’objection N°2 : Ce raisonnement s’appuie sur les choses qui découlent de la
loi naturelle, à titre de conséquences.
Objection
N°3. La loi naturelle est la même pour tous les hommes. Car Aristote dit (Eth., liv. 5,
chap. 7) que le droit naturel est ce qui a partout la même puissance. Si donc
les lois humaines venaient de la loi naturelle il s’ensuivrait qu’elles seraient
les mêmes pour tous ; ce qui est évidemment faux.
Réponse
à l’objection N°3 : On ne peut pas partout appliquer de la même manière les
préceptes généraux de la loi naturelle, parce que les choses humaines varient
beaucoup, et c’est de là que provient la diversité des lois positives chez les
différentes nations.
Objection
N°4. On peut assigner une raison de ce qui vient de la loi naturelle. Or, on ne
peut pas, comme le dit le jurisconsulte (Liv. 1, tit.
3, De leg. et senatus cons.), rendre raison de toutes les lois qui
ont été faites par nos ancêtres. Donc elles ne viennent pas toutes de la loi
naturelle.
Réponse
à l’objection N°4 : Cette parole du jurisconsulte doit s’entendre des choses
que les ancêtres ont introduites, par rapport aux déterminations particulières
de la loi naturelle. A l’égard de ces déterminations, le jugement des hommes
expérimentés et prudents tient lieu de principes, dans le sens qu’ils voient
immédiatement la résolution particulière, à laquelle il convient le mieux de
s’arrêter. C’est ce qui fait dire à Aristote (Eth., liv. 6, chap. 12), qu’en
ces circonstances, il faut faire autant d’attention aux assertions et aux
opinions des personnes d’âge et d’expérience qu’aux démonstrations (Si l’on
était fidèle à cette sage maxime, ce serait un moyen
infaillible d’éviter bien des erreurs.).
Mais
c’est le contraire. Cicéron dit (De invent., liv. 2) que la crainte des lois
et la religion ont sanctionné les choses fondées sur la nature et approuvées
par la coutume.
Conclusion
Puisque dans les choses humaines on appelle juste une chose par là même qu’elle
est conforme à la règle de la raison, et qu’une loi n’existe qu’autant qu’elle
est juste, il est nécessaire que toute loi humaine découle de la loi naturelle,
qui est la règle première de la raison.
Il
faut répondre que, comme le dit saint Augustin (De lib. arb., liv. 1, chap.
5), une loi n’existe qu’autant qu’elle est juste ; par conséquent un décret n’a
force de loi qu’en raison de ce qu’il est conforme à la justice. Or, dans les
choses humaines on dit qu’une chose est juste par là même qu’elle est droite et conforme à la règle de la raison. Et comme la
règle première de la raison est la loi naturelle, ainsi que nous l’avons dit
(quest. préc., art. 2), il s’ensuit que toute loi humaine n’est une loi
véritable qu’autant qu’elle procède de la loi de nature ; et que si elle
s’écarte de cette loi dans un point, elle n’est plus une loi, mais une
corruption de la loi. — Toutefois on doit observer qu’une chose peut découler
de la loi naturelle de deux manières : 1° comme les conséquences découlent des
principes ; 2° comme les déterminations particulières se rapportent aux idées
générales. Le premier mode ressemble à celui qu’on emploie dans les sciences
pour tirer d’un principe des conséquences démonstratives. Le second est
analogue à ce qu’on fait dans les arts pour appliquer des formes générales à un
objet spécial. C’est ainsi que l’artisan détermine la forme générale d’une
maison pour tel ou tel édifice particulier. Il y a donc des choses qui
découlent des principes généraux de la loi naturelle par manière de conséquence
: c’est ainsi que ce précepte : Il ne
faut pas tuer est une conséquence que l’on peut déduire de ce principe : Il ne faut faire de mal à personne. Il y
en a d’autres qui viennent de la loi de nature par détermination. Ainsi la loi
de nature veut que celui qui pèche soit puni (Le principe général n’indique pas
de quelle manière il doit être puni. Par conséquent si le législateur décide
qu’il doit être incarcéré ou mis à mort, c’est la prudence humaine qui lui
dicte cette peine et on ne peut pas la considérer comme étant de droit naturel.
Cependant elle n’en est pas moins légitime, du moment qu’on la suppose conforme
à la raison.) ; mais si on lui inflige tel ou tel
châtiment, c’est une détermination de cette loi. Dans la loi humaine on trouve
ces deux choses. Mais celles qui sont du premier genre y sont renfermées non
comme établies par elle exclusivement, mais comme tirant de la loi naturelle
une partie de leur force ; tandis que celles qui sont du second genre, tirent
de la loi humaine exclusivement ce qu’elles ont de vigueur.
Article
3 : Saint Isidore décrit-il convenablement les qualités que doit avoir la loi
positive ?
Objection
N°1. Il semble que saint Isidore ne décrive pas convenablement les qualités que
doit avoir la loi positive, quand il dit (Etym., liv. 5, chap. 21) : La loi
doit être honnête, juste, possible à la nature, conforme à la coutume du pays,
convenable au lieu et au temps, nécessaire, utile, claire, de peur que par son
obscurité elle ne renferme quelque chose de captieux, ayant pour fin non
l’intérêt particulier, mais l’utilité commune. Car il avait renfermé plus haut
(ibid., chap. 3) toutes les qualités
de la loi dans ces trois conditions : c’est qu’elle devait être convenable à la
religion, conforme à la discipline et profitable au salut. Il était donc
inutile qu’il les multipliât ensuite.
Objection
N°2. La justice est une partie de l’honnêteté, comme le dit Cicéron (De offic., liv. 1). Après
avoir dit que la loi devait être honnête,
il était donc inutile d’ajouter qu’elle devait être juste.
Objection
N°3. La loi écrite, d’après saint Isidore (liv. 2, Etym., chap. 10, et liv. 5, chap. 3), se distingue de la coutume par
opposition. Il n’aurait donc pas dû mettre dans sa définition de la loi qu’elle
devait être conforme à la coutume du
pays.
Objection
N°4. Le mot nécessaire s’emploie en
deux sens. On appelle nécessaire, absolument, ce qui ne peut pas être autrement
; le nécessaire ainsi compris n’est pas soumis au jugement humain ; par
conséquent cette espèce de nécessité n’appartient pas à la loi humaine. Il y a
ensuite le nécessaire relatif qui existe en vue d’une fin. Cette nécessité se
confond avec l’utile ; par conséquent il était superflu d’employer ces deux
mots, et de dire que la loi devait être nécessaire
et utile.
Mais
c’est le contraire. Nous devons nous en tenir à l’autorité de saint Isidore.
Conclusion
Il faut que toute loi humaine ou positive soit juste, honnête, possible à la
nature, conforme à la coutume du pays, convenable au lieu et au temps,
nécessaire, utile, claire, et qu’elle ait pour fin l’intérêt général.
Il
faut répondre que toutes les choses qui existent pour une fin doivent avoir une
forme déterminée proportionnellement à cette fin. Ainsi la forme d’une scie
doit être telle qu’elle soit capable de couper, comme le dit Aristote (Phys., liv. 2, text.
88). De même toute chose qui est droite et mesurée doit avoir une forme
proportionnée à sa règle et à sa mesure. Or, la loi humaine a ce double
caractère ; car elle existe pour une fin, et elle est une règle ou une chose
mesurée ou réglée d’après une double règle supérieure qui est la loi divine et
la loi naturelle, comme on le voit d’après ce que nous avons dit (art. préc. et quest. 91, art. 2 à 4 ; et quest. 93, art. 3). La
fin de la loi humaine, c’est l’utilité des hommes, comme le dit le
jurisconsulte (liv. 25, De leg. et senatus cons.). C’est
pourquoi saint Isidore a d’abord demandé de la loi trois choses (Etym., liv. 5,
chap. 3) : c’est qu’elle convienne à la
religion, comme étant proportionnée à la loi divine ; qu’elle convienne à la discipline, comme étant
réglée conformément à la loi naturelle, et qu’elle soit profitable au salut, comme étant conforme aux intérêts des
hommes. Toutes les autres conditions qu’il a ensuite énumérées reviennent à ces
trois choses. En effet, quand on dit qu’elle doit être honnête, on exige par là qu’elle soit d’accord avec la religion (Qu’elle
ne commande ou qu’elle ne défende rien qui soit
contraire à la religion.). En ajoutant qu’il faut qu’elle soit juste, possible à la nature, conforme aux
coutumes du pays, qu’elle soit en rapport avec le temps et le lieu, c’est
vouloir qu’elle se règle sur la discipline. Car la discipline humaine se
considère : 1° Quant à l’ordre de la raison qui est compris par le mot juste. 2° Quant à la faculté de ceux qui
agissent ; car la discipline doit être en rapport avec les forces naturelles de
chacun et avec la position dans laquelle on se trouve (On ne doit pas trop
multiplier les préceptes, comme l’observe ailleurs saint Thomas (2a
2æ, quest. 105, art. 1, réponse N°3).). Ainsi on n’impose pas à des
enfants les mêmes charges qu’à des hommes mûrs, et l’homme ne peut pas vivre
seul en société, sans tenir compte des mœurs et des habitudes des autres. 3°
Quant aux circonstances, et c’est pour cela que saint Isidore a ajouté : convenable au temps et au lieu.
Relativement à ce qui suit, toutes ces expressions ont pour objet ce qui est
avantageux au salut. Ainsi le mot nécessaire
se rapporte au mal que l’on doit éviter, le mot utile au bien qu’il faut faire, et le mot claire a pour but de faire éviter les fautes qui pourraient
provenir de la loi elle-même (Si la loi était obscure ou captieuse et qu’elle
ne déterminât pas avec précision les devoirs que l’on a à remplir.). Et parce
que, comme nous l’avons dit (quest. 90, art. 2), toute loi a pour objet le bien
général, on a placé cette condition en dernier lieu.
La
réponse aux objections est par là même évidente.
Article
4 : Saint Isidore divise-t-il convenablement les lois humaines ?
Objection
N°1. Il semble que saint Isidore divise mal les lois humaines ou le droit humain
(Eth., liv.
5, chap. 4). Car il comprend sous ce droit, le droit des nations qui est ainsi
appelé, comme il le dit lui-même (chap. 6), parce que presque toutes les
nations en font usage. Or, le droit naturel, toujours d’après son propre
sentiment (chap. 4), étant ce qui est commun à toutes les nations, il s’ensuit
que le droit des nations n’est pas compris sous le droit positif humain, mais
plutôt sous le droit naturel.
Réponse
à l’objection N°1 : Le droit des gens est sous un rapport naturel à l’homme, en
ce qu’il est raisonnable et qu’il découle de la loi naturelle, comme une de ses
conséquences prochaines. Ce qui fait que les hommes sont tombés à cet égard
facilement d’accord ; cependant il est distinct de la loi naturelle, surtout de
ce qui est commun à tous les animaux.
Objection
N°2. Les choses qui ont la même force ne semblent pas différer formellement,
mais seulement matériellement. Or, les lois, les plébiscites, les
sénatus-consultes et toutes les autres choses semblables que saint Isidore distingue
(ibid., chap. 10), ont toutes la même
force. Il semble donc qu’elles ne diffèrent que matériellement, et puisque la
science n’a pas à s’occuper de ces sortes de distinctions parce qu’elles
peuvent être infinies, c’est donc à tort que l’on a ainsi divisé les lois
humaines.
Objection
N°3. Comme il y a dans une cité des magistrats, des prêtres et des soldats ; de
même il y a aussi d’autres fonctionnaires. Il semble donc que comme on
distingue un droit militaire et un droit public qui regarde les prêtres et les
magistrats, on devrait aussi distinguer d’autres droits qui se rapporteraient
aux autres charges de l’Etat.
Objection
N°4. On ne doit pas tenir compte de ce qui n’est qu’accidentel. Or, c’est par
accident qu’une loi est portée par tel ou tel individu. C’est donc à tort que
l’on divise les lois humaines d’après les noms des législateurs ; comme on dit
la loi Cornelia, la loi Falcidia (Cette
loi Falcidia, ainsi appelée du consul Falcidius, son auteur, avait pour objet d’annuler ou de
restreindre les legs injustes.), etc.
Mais
c’est le contraire. L’autorité de saint Isidore nous suffît.
Conclusion
La loi humaine, selon qu’elle découle de la loi naturelle, se divise en droit
des gens et en droit civil ; selon qu’elle a pour fin le bien commun elle se
divise selon la diversité des agents ; ainsi il y a la loi des soldats, des
magistrats et des prêtres ; ou selon la diversité des gouvernements ou des
choses qu’elle régit, ou enfin d’après les noms des législateurs.
Il
faut répondre que chaque chose peut se diviser absolument d’après ce qui est
renfermé dans son essence ; ainsi l’âme raisonnable ou irraisonnable est
renfermée dans l’essence de l’animal : c’est pourquoi l’animal se divise
proprement et absolument en raisonnable et irraisonnable, mais non en blanc et
noir, ce qui indique des accidents tout à fait en dehors de son essence. Or, il
y a beaucoup de choses qui sont de l’essence de la loi humaine, et on peut
d’après chacune de ces choses la diviser d’une manière propre et absolue. En
effet : 1° Il est de l’essence de la loi humaine qu’elle découle de la loi
naturelle, comme on le voit d’après ce que nous avons dit (art. 2). Sous ce
rapport le droit positif se divise en deux parties : le droit des gens et le droit
civil d’après les deux manières dont la loi humaine vient de la loi de
nature, comme nous l’avons dit (ibid.).
Car le droit des gens embrasse ce qui sort de la loi naturelle, comme les
conséquences sortent des principes ; tels que les ventes, les achats et toutes
les autres choses sans lesquelles l’homme ne peut vivre en société ; ce qui
appartient à la loi de nature, puisque l’homme est naturellement un animal
sociable, comme le prouve Aristote (Pol.,
liv. 1, chap. 2). Ce qui découle de la loi naturelle par manière de détermination
particulière appartient au droit civil, d’après lequel chaque cité détermine ce
qui lui convient le mieux. 2° Il est de l’essence de la loi humaine d’avoir
pour fin le bien général de la cité. A ce point de vue, on peut diviser la loi
d’après les divers individus spécialement chargés de travailler au bien
général. C’est ainsi que les prêtres
qui prient Dieu pour le peuple, les magistrats
qui le gouvernent, les soldats qui
combattent pour son salut ont tous des devoirs et des droits particuliers mis
en rapport avec leurs emplois. 3° Il est de l’essence de la loi humaine d’être
établie par celui qui gouverne la cité ou l’Etat, comme nous l’avons dit
(quest. 90, art. 3). D’après cela on distingue les lois selon les différentes
espèces de gouvernement. Ainsi, comme le dit Aristote (Pol., liv. 3, chap. 10), l’une est la royauté, quand l’Etat est
gouverné par un seul ; dans ce cas les lois sont les constitutions des princes. L’autre est l’aristocratie, c’est-à-dire le gouvernement des principaux ou des
plus vertueux de la nation ; alors on prend l’avis des sages et l’on a pour
lois les sénatus-consultes. Une
troisième est l’oligarchie, c’est-à- dire le gouvernement d’un petit nombre de riches et
de puissants ; c’est de là que vient le droit prétorien qu’on appelle aussi honoraire.
Une quatrième est le gouvernement du peuple qu’on nomme démocratie ; ce qui produit les plébiscites.
Enfin il y a le gouvernement tyrannique qui est un gouvernement tout à fait
corrompu, et qui est impuissant pour ce motif à faire des lois. Il y a encore
un autre régime qui est un mélange de tous les autres et qui est le meilleur (Ce
sentiment qui n’est ici qu’indiqué doit être développé (quest. 105, art. 1).).
Sous ce gouvernement la loi est faite par les anciens de concert avec les
hommes du peuple, comme le dit saint Isidore (Etym., liv. 5, chap. 10) (La
division la plus ordinaire des lois humaines a pour objet de distinguer les
lois civiles et les lois ecclésiastiques.). — 4° Il est de l’essence de la loi
humaine qu’elle dirige les actes humains. A ce titre les lois se distinguent
d’après les différentes choses qui en sont l’objet. Quelquefois on donne à ces
lois les noms de leurs auteurs ; ainsi on appelle loi Julia la loi sur l’adultère, loi Cornelia la loi sur les sicaires, et ainsi des autres ; non point à
cause de leurs auteurs eux-mêmes, mais à cause des choses qu’elles traitent (Les
lois tirent aussi quelquefois leur nom de ceux qui résultent de ceux qui les
recueillent : jus papinianum.
D’autres fois on leur donne le nom des peuples pour lesquels elles ont été
faites : lois des Egyptiens, des Romains.).
La
réponse aux autres objections est par là même évidente, d’après ce que nous
avons dit (dans le corps de l’article.).
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de
l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec
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puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au
respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune
évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de
la morale catholique et des lois justes.
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