Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

1a 2ae = Prima Secundae = 1ère partie de la 2ème Partie

Question 98 : De la loi ancienne

 

          Nous avons maintenant à nous occuper de la loi ancienne. Et d’abord, de la loi elle-même, ensuite de ses préceptes. Touchant la loi six questions se posent : 1° La loi ancienne est-elle bonne ? (Cet article est une réfutation des hérétiques qui prétendaient que la loi ancienne était mauvaise. Simon le Magicien avança le premier cette erreur (Const., liv. 6, chap. 29). Il fut suivi par Marcion, Valentin et les autres hérétiques que saint Irénée réfute (liv. 1, chap. 10, 22 et 29), et par Manès et ses disciples, comme on le voit dans saint Augustin (Hæres., 46), et dans un très grand nombre de ses ouvrages.) — 2° Vient-elle de Dieu ? (Les hérétiques qui niaient que la loi ancienne fût bonne, l’attribuaient au mauvais principe. Le concile de Tolède a condamné cette erreur en ces termes : Si quis dixerit vel credi­derit, alterum Deum esse priscæ legis, alte­rum Evangeliorum, anathema sit. Le concile de Trente a défini que les deux Testaments n’avaient qu’un seul auteur (sess. 4), de sorte que celle proposition est de foi.) — 3° Vient-elle de Dieu par l’intermédiaire des anges ? (Le sentiment de saint Thomas est celui qui a été le plus généralement adopté par les Pères. Cependant quelques -uns d’entre eux entendent par l’Ange le Verbe de Dieu (Cypr., liv. 2, Cont. Jud., chap. 5 ; Tertull., liv. Cont. Jud., chap. 9 ; Euseb. Cæsar., liv. 1 Demonst., chap. 5 et liv. 5, chap. 10), mais cette interprétation n’est pas facile à justifier.) — 4° A-t-elle été donnée pour tout le monde ? (Bossuet fait admirablement ressortir la beauté du plan providentiel, dans son magnifique Discours sur l’histoire universelle.) — 5° Oblige-t-elle tous les hommes ? (D’après cet article on voit qu’il n’y avait pas que les Juifs qui pussent se sauver et que le salut était aussi possible aux gentils.) — 6° A-t-elle été donnée dans le temps qui convenait ? (Saint Thomas traite la même question (3a pars, quest. 2), quand il se demande pourquoi l’Incarnation a été si longtemps différée. Voyez à cet égard le Discours sur l’histoire universelle de Bossuet (2e partie, suite de la religion).)

 

Article 1 : La loi ancienne était-elle bonne ?

 

          Objection N°1. Il semble que la loi ancienne n’ait pas été bonne. Car on lit dans Ezéchiel (20, 25) : Je leur ai donné des préceptes imparfaits et des ordonnances où ils ne trouveront pas la vie. Or, une loi n’est bonne qu’à cause de la bonté des préceptes qu’elle renferme. Donc la loi ancienne ne valait rien.

          Réponse à l’objection N°1 : Il s’agit en cet endroit des préceptes cérémoniels. Le Seigneur dit qu’ils n’étaient pas bons, parce qu’ils ne conféraient pas la grâce qui purifie du péché, quoiqu’en les pratiquant les hommes se soient reconnus pécheurs. C’est pourquoi il ajoute expressément : Je leur ai donné des ordonnances où ils ne trouvent pas la vie, c’est-à-dire par lesquelles ils ne peuvent obtenir la vie de la grâce. Et on lit ensuite : Je les ai souillés dans leurs présents, c’est-à-dire j’ai montré qu’ils étaient souillés lorsque pour l’expiation de leurs péchés ils offraient tous leurs premiers-nés.

 

          Objection N°2. Pour qu’une loi soit bonne, il faut qu’elle soit utile au bien général, comme le dit saint Isidore (Etym., liv. 5, chap. 3). Or la loi ancienne ne fut pas salutaire, mais elle fut plutôt nuisible et mortelle. Car l’Apôtre dit (Rom., 7, 8) : Sans la loi, le péché était mort ; et moi j’étais vivant, parce que j’ai été un temps où je vivais sans la loi ; mais le précepte étant survenu, le péché est ressuscité et je suis mort. Et ailleurs (5, 20) : La loi est survenue pour donner lieu à l’abondance du péché. Donc la loi ancienne n’était pas bonne.

          Réponse à l’objection N°2 : On dit que la loi était non la cause efficiente, mais la cause occasionnelle de la mort, par suite de son imperfection, parce qu’elle ne conférait pas la grâce par laquelle les hommes pouvaient faire ce qu’elle commandait et éviter ce qu’elle défendait. Cette occasion ne venait pas de la loi, mais elle provenait des hommes. Aussi l’Apôtre dit-il au môme endroit : Le péché ayant pris occasion du commandement de s’irriter davantage, m’a trompé et m’a tué par le commandement même. Pour la même raison il dit encore que la loi est survenue, pour donner lieu à l’abondance du péché (ut abundaret delictum). Le mot pour (ut) indique que le péché a été la conséquence, mais non l’effet direct de la loi, en ce sens que les hommes ont pris de la loi occasion de pécher davantage ; soit parce que le péché a été plus grave après la prohibition de la loi, soit que la concupiscence ait été plus ardente : car nous convoitons plus vivement ce qui nous est défendu.

 

          Objection N°3. Pour qu’une loi soit bonne, il faut qu’elle soit possible à observer, et selon la nature et les coutumes humaines. Or, il n’en était pas ainsi de la loi ancienne. Car saint Pierre dit (Actes, 15, 10) : Pourquoi tentez-vous Dieu en imposant aux disciples un joug que ni nos pères, ni nous, n’avions pu porter ? Il semble donc que la loi ancienne n’ait pas été bonne.

          Réponse à l’objection N°3 : On ne pouvait porter le joug de la loi sans le secours de la grâce que la loi ne donnait pas. Car saint Paul dit (Rom., 9,16) : Cela ne dépend ni de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde, c’est-à-dire qu’il ne suffit pas de vouloir obéir à Dieu et de courir dans ses voies, mais qu’il faut sa grâce pour bien faire. C’est pourquoi le Psalmiste dit (Ps. 118, 32) : J’ai couru dans la voie de vos commandements, après que vous avez dilaté mon cœur, c’est-à-dire par le don de la grâce et de la charité.

 

          Mais c’est le contraire. L’apôtre saint Paul dit lui-même (Rom., 7, 12) : Ainsi la loi est véritablement sainte et le commandement est saint, juste et bon.

 

          Conclusion La loi ancienne ayant été faite conformément à la droite raison, pour détourner les hommes de la concupiscence du péché, elle a été bonne, quoiqu’elle n’ait pas été parfaite, parce qu’elle ne conduisait à rien de parfait.

          Il faut répondre que la loi ancienne fut certainement bonne. Car, comme on prouve qu’une doctrine est vraie parce qu’elle est conforme à la raison, ainsi on prouve au même titre qu’une loi est bonne. Or, la loi ancienne était conforme à la raison, parce qu’elle réprimait la concupiscence que la raison condamne, comme on le voit par ces paroles : Vous ne convoiterez pas ce qui appartient à votre prochain (Ex., 20, 17). Elle défendait aussi tous les péchés qui sont contraires à la raison. D’où il est manifeste qu’elle était bonne. Et c’est ce qui faisait dire à l’Apôtre (Rom., 7, 22) : Je me plais dans la loi de Dieu selon l’homme intérieur. Et encore (ibid., 16) : Je consens à la loi, parce qu’elle est bonne. — Mais il faut observer que, comme le dit saint Denis (De div. nom., chap. 4), le bien a divers degrés. En effet il y a un bien parfait et un bien imparfait. La bonté à l’égard des moyens est parfaite, quand ils sont par eux-mêmes suffisant pour atteindre leur but fin. Le bien imparfait est ce que l’on fait pour arriver à une fin, mais qui est insuffisant pour l’atteindre. Par exemple, une médecine parfaitement bonne est celle qui guérit, et une médecine imparfaite c’est celle qui soulage, sans pouvoir guérir. De plus il ne faut pas oublier que la fin de la loi humaine est autre que celle de la loi divine. Car la loi humaine a pour but la tranquillité de temporelle de l’Etat. Elle atteint cette fin en réprimant les actes extérieurs qui peuvent troubler le repos et la paix des citoyens. La loi divine a pour but de conduire l’homme à la félicité éternelle (La fin de la loi mosaïque ne se rapporte pas, comme on l’a prétendu, exclusivement aux biens temporels, mais saint Thomas enseigne qu’elle était principalement spirituelle et surnaturelle. Voyez d’ailleurs ce qu’il dit encore (quest. suiv., art. 2).). Comme tout péché le détourne de cette fin, elle défend non seulement les actes extérieurs, mais encore les actes intérieurs. C’est pourquoi pour que la loi humaine soit parfaite, il suffit qu’elle défende les fautes et qu’elle applique les peines, mais cela ne suffit pas pour la perfection de la loi divine. Il faut qu’elle rende l’homme absolument apte à jouir de la félicité éternelle, ce qui ne peut se faire que par la grâce de l’Esprit-Saint, qui répand dans nos cœurs la charité qui est l’accomplissement de la loi. Car, comme le dit l’Apôtre (Rom., 6 23) : La grâce de Dieu est la vie éternelle. Or, la loi ancienne ne pouvait pas conférer cette grâce ; c’était une chose réservée au Christ, parce que, selon l’expression de saint Jean (Jean, 1, 17) : La loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité nous sont venues par Jésus-Christ. D’où il résulte qu’à la vérité la loi ancienne était bonne, mais qu’elle était imparfaite, selon ces paroles de saint Paul (Héb., 7, 19) : La loi n’a rien conduit à la perfection.

 

Article 2 : La loi ancienne est-elle venue de Dieu ?

 

          Objection N°1. Il semble que la loi ancienne ne soit pas venue de Dieu. Car il est dit (Deut., 32, 4) : Les œuvres de Dieu sont parfaites. Or, la loi ancienne était imparfaite, comme nous l’avons vu (art. préc., et quest. 91, art. 5). Donc elle n’est pas venue de Dieu.

          Réponse à l’objection N°1 : Rien n’empêche qu’une chose qui n’est pas parfaite absolument le soit néanmoins par rapport au temps. C’est ainsi qu’on dit qu’un enfant est parfait non absolument, mais par rapport à son âge. De même les lois qu’on donne aux enfants sont parfaites relativement à la condition de ceux pour lesquels on les porte quoiqu’elles ne le soient pas absolument. Et tels ont été les préceptes de la loi ancienne. C’est pour ce motif que l’Apôtre dit (Gal., 3, 24) : La loi nous a servi de pédagogue, pour nous mener comme des enfants à Jésus-Christ.

 

          Objection N°2. L’Ecclésiaste dit (3, 14) : J’ai appris que toutes les œuvres que Dieu a faites, durent éternellement. Or, la loi ancienne n’a pas duré toujours, puisque l’Apôtre dit (Héb., 7, 18) : Il est vrai que la première loi a été abolie à cause de sa faiblesse et de son inutilité. Donc la loi ancienne n’a pas été l’œuvre de Dieu.

          Réponse à l’objection N°2 : Les œuvres que Dieu a faites pour durer toujours sont en effet éternelles ; et ce sont celles qui sont parfaites. Mais la loi ancienne a été abrogée par le règne de la grâce, non comme étant mauvaise, mais parce qu’elle devenait faible et inutile pour cette époque ; parce que, comme l’Apôtre l’ajoute : elle ne menait rien à la perfection. C’est pourquoi il dit ailleurs (Gal., 3, 25) : Depuis que la foi est connue, nous ne sommes plus sous un maître.

 

          Objection N°3. Un sage législateur doit non seulement détourner les maux, mais encore les occasions du péché. Or, la loi ancienne fut une occasion de péché, comme nous l’avons dit (art. préc.). Donc Dieu, qui n’a pas son semblable parmi les législateurs, selon l’expression de Job (36, 22), ne devait pas donner une pareille loi.

         Réponse à l’objection N°3 : Comme nous l’avons dit (quest. 79, art. 4), Dieu permet quelquefois qu’on tombe dans le péché pour qu’on se relève plus humble. De même il a voulu donner une loi que les hommes ne puissent accomplir par leurs forces, afin que le sentiment de leur faiblesse et de leurs fautes les portât à recourir à la grâce avec humilité.

 

          Objection N°4. L’Apôtre dit (1 Tim., 2, 4) que Dieu veut que tous les hommes soient sauvés. Or, la loi ancienne n’était pas suffisante pour sauver les hommes, comme nous l’avons vu (art. préc.). Donc ce n’était pas à Dieu à donner une pareille loi, par conséquent elle ne vient pas de lui.

          Réponse à l’objection N°4 : Quoique la loi ancienne fût insuffisante pour sauver les hommes, ils avaient néanmoins un autre secours que Dieu leur avait accordé simultanément avec la loi pour qu’ils pussent faire leur salut ; c’était la foi au médiateur, par laquelle les anciens ont été justifiés, comme nous le sommes nous-mêmes. Par conséquent Dieu n’a pas manqué de donner aux hommes les secours nécessaires pour se sauver.

 

          Mais c’est le contraire. Le Seigneur dit (Matth., 15, 6) en parlant aux Juifs qui avaient reçu la loi ancienne : Vous avez rendu inutile par vos traditions la loi de Dieu, et il avait dit un peu auparavant : Honorez votre père et votre mère : ce qui est évidemment renfermé dans la loi ancienne. Donc cette loi vient de Dieu.

 

          Conclusion Puisque la loi ancienne menait l’homme au Christ qui devait chasser les démons, elle n’était pas l’œuvre des démons, mais l’œuvre de Dieu.

          Il faut répondre que la loi ancienne a été donnée par le Dieu de bonté qui est le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ (Saint Thomas emploie à dessein cette expression, parce que les manichéens affectaient de dire que le Dieu de l’ancienne loi n’était pas le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ.). Car la loi ancienne mettait les hommes en rapport avec le Christ de deux manières : 1° En rendant au Christ témoignage. Ainsi le Christ dit lui-même (Luc, 24, 44) : Il fallait que tout ce qui a été écrit de moi dans la loi, dans les Psaumes et dans les Prophètes, s’accomplît. Et ailleurs (Jean, 5, 46) : Si vous croyiez Moïse, vous me croiriez sans doute, parce que c’est de moi qu’il a écrit. 2° En disposant les hommes à la venue du Messie, parce qu’en les écartant de l’idolâtrie elle les attachait au culte du Dieu unique qui devait sauver le genre humain par le Christ. C’est ce qui a fait dire à l’Apôtre (Gal., 3, 23) : Avant l’avènement de la foi, nous étions sous la garde de la loi qui nous tenait renfermés sous le culte du vrai Dieu, pour nous disposer à embrasser cette foi qui devait nous être révélée un jour. Or, il est évident que celui qui dispose quelqu’un pour une fin est le même que celui qui l’y conduit ; je dis que c’est le même, soit qu’il agisse par lui-même, soit qu’il agisse par ses sujets. Car le diable n’aurait pas fait une loi qui mît les hommes en rapport avec le Christ son ennemi, suivant cette parole de l’Evangile (Matth., 12, 26) : Si Satan chasse Satan, son royaume est divisé. La loi ancienne a donc eu pour auteur le Dieu qui a sauvé les hommes par la grâce du Christ.

 

Article 3 : La loi ancienne a-t-elle été donnée par l’intermédiaire des anges ?

 

          Objection N°1. Il semble que la loi ancienne n’ait pas été donnée par l’intermédiaire des anges, mais qu’elle vienne de Dieu immédiatement. Car on donne le nom d’ange à un envoyé, et par conséquent ce nom implique un ministère, mais non une domination, d’après ces paroles du Psalmiste (Ps. 102, 20) : Bénissez le Seigneur, vous tous qui êtes ses anges… ses ministres. Or, nous lisons que la loi ancienne a été donnée par Dieu. Car il est dit (Ex., 20, 1) : Le Seigneur a prononcé ces paroles, puis il ajoute : Je suis le Seigneur, votre Dieu. On trouve fréquemment ces mêmes expressions dans l’Exode et les autres livres de la loi. Donc la loi a été donnée par Dieu immédiatement.

          Réponse à l’objection N°1 : Comme le dit saint Grégoire (in princ. Mor., chap. 1) : L’ange qui apparut à Moïse reçoit tantôt le nom d’ange et tantôt celui de seigneur. On lui donne le nom d’ange à cause de l’office qu’il remplissait extérieurement par la parole, et on lui donne le nom de seigneur, parce qu’intérieurement il commandait et représentait ainsi le Seigneur au nom duquel il parlait.

 

          Objection N°2. Saint Jean dit (Jean, 1, 17) : La loi a été donnée par Moïse. Or, Moïse l’a reçue de Dieu immédiatement, puisqu’il est écrit (Ex., 33, 2) : Le Seigneur parlait à Moïse face à face, comme un ami a coutume de parler à un ami. Donc la loi ancienne fut donnée par Dieu immédiatement.

          Réponse à l’objection N°2 : Comme le dit saint Augustin (Sup. Gen. ad litt., liv. 12, chap. 27), on lit dans l’Exode : Le Seigneur a parlé à Moïse face à face, et peu après on ajoute : Montrez-moi votre gloire. Il sentait donc, dit ce docteur, ce qu’il voyait, et il désirait ce qu’il ne voyait pas. Il ne voyait donc pas l’essence de Dieu, et par conséquent ce n’était pas Dieu qui l’instruisait immédiatement. Ainsi quand il est dit que le Seigneur lui parlait face à face, l’Ecriture s’exprime selon l’opinion du peuple qui pensait que Moïse s’entretenait avec Dieu bouche à bouche, lorsqu’il lui parlait, et qu’il lui apparaissait par une de ses créatures, c’est-à-dire par un ange et par la nue ; ou bien par ces mots face à face, il faut entendre une contemplation supérieure et familière qui est au-dessous de la vision de l’essence divine.

 

          Objection N°3. Il n’y a que le Prince qui puisse faire la loi, comme nous l’avons dit (quest. 90, art. 3). Or, il n’y a que Dieu qui soit le roi des âmes : les anges ne sont que des esprits qui lui tiennent lieu de ministres, selon l’expression de saint Paul (Héb., 1, 14). Donc la loi ancienne n’a pas dû être donnée par les anges, puisqu’elle avait pour but le salut des âmes.

          Réponse à l’objection N°3 : Il n’y a que le prince qui puisse établir une loi de son autorité propre, mais quelquefois il promulgue par d’autres la loi qu’il a faite. De même Dieu a établi la loi de son autorité propre, mais il l’a promulguée par ses anges.

 

          Mais c’est le contraire. L’Apôtre dit (Gal., 3, 19) : La loi a été donnée par le ministère des anges et par l’entremise d’un médiateur. Et saint Etienne dit (Actes, 7, 53) : Vous avez reçu la loi par le ministère des anges.

 

          Conclusion Comme il était convenable que la loi nouvelle, par là même qu’elle était plus parfaite que l’ancienne, fût donnée aux hommes immédiatement par Dieu, de même il était convenable que la loi ancienne leur fût manifestée par le ministère des anges.

          Il faut répondre que Dieu a donné la loi ancienne par le ministère des anges (Pour concilier ensemble tous les Pères, on a distingué dans la loi deux parties : les préceptes de la loi naturelle et les préceptes positifs, tels que les préceptes cérémoniels. On a prétendu que Dieu était l’auteur immédiat des premiers, et qu’il avait donné les autres par l’intermédiaire de ses anges. Mais cette distinction ne paraît pas fondée ; car les raisonnements de saint Thomas s’appliquent à la loi entière, et c’est aussi le sentiment de la plupart des théologiens.). Indépendamment de la raison générale qu’en donne saint Denis, qui dit (De cœlest. hier., chap. 4) que les choses divines doivent arriver aux hommes par l’intermédiaire des anges, il y a une raison spéciale pour laquelle la loi ancienne a dû être donnée par leur ministère. En effet nous avons dit (art. 1) que la loi ancienne était imparfaite, mais qu’elle disposait au salut parfait que le genre humain devait recevoir par le Christ. Or, on voit que dans toutes les puissances et dans tous les arts bien réglés celui qui tient le premier rang fait par lui-même l’action principale et parfaite, tandis que ce qui est une préparation à cette œuvre dernière, il l’opère par ses ministres ou ses serviteurs. Ainsi celui qui fait un vaisseau en assemble par lui-même toutes les pièces, mais il les fait préparer par les ouvriers qu’il a sous ses ordres. C’est pourquoi il a été convenable que la loi parfaite de la nouvelle alliance fût l’œuvre immédiate du Dieu fait homme ; tandis que la loi ancienne fut donnée par les anges qui sont des ministres de la Divinité. L’Apôtre prouve de cette manière (Héb., 1, 2) la supériorité de la loi nouvelle sur l’ancienne ; parce que dans le Nouveau Testament Dieu nous a parlé dans la personne de son Fils, tandis que dans l’Ancien il nous a parlé par ses anges.

 

Article 4 : La loi ancienne n’a-t-elle dû être donnée qu’au peuple juif ?

 

          Objection N°1. Il semble que la loi ancienne n’a pas dû être donnée seulement au peuple juif. Car la loi préparait au salut que devait opérer le Christ, comme nous l’avons dit (art. préc.). Or, ce salut devait être opéré non seulement parmi les Juifs, mais encore dans toutes les nations, d’après ces paroles du prophète (Is., 49, 6) : C’est peu que vous me serviez pour réparer les tribus de Jacob et pour convertir les restes d’Israël, je vous ai établi pour être la lumière des nations et le salut que j’envoie jusqu’aux extrémités de la terre. Donc la loi ancienne n’a pas dû être donnée relativement à un seul peuple, mais à toutes les nations.

          Réponse à l’objection N°1 : Quoique le salut qui devait s’opérer fût préparé pour toutes les nations, néanmoins il fallait que le Christ naquît d’un seul peuple qui eût pour ce motif des privilèges tout particuliers, selon la remarque de saint Paul (Rom., 9, 4). C’est ainsi que Dieu adopta les Juifs pour ses enfants, qu’il fit éclater sa gloire parmi eux, qu’il les honora de son alliance, qu’il leur donna sa loi, qu’il les instruisit des cérémonies de son culte et qu’il leur adressa ses promesses.

 

          Objection N°2. Comme le dit saint Pierre (Actes, 10, 34) : Dieu ne fait point acception des personnes, mais en toute nation celui qui le craint et dont les œuvres sont justes lui est agréable. Il n’a donc pas dû ouvrir à un peuple plutôt qu’à d’autres la voie du salut.

          Réponse à l’objection N°2 : Il y a acception de personnes quand il s’agit de choses qui sont dues strictement, mais il n’en est pas ainsi pour les choses qui sont purement gratuites. Car celui qui donne du sien libéralement à l’un plutôt qu’à l’autre ne fait pas une acception de personnes ; mais s’il était le dispensateur des biens d’une communauté et qu’il ne les distribuât pas également à chacun selon ses mérites, il ferait alors une acception de personnes. Or, les bienfaits salutaires que Dieu accorde au genre humain sont purement gratuits, par conséquent il ne fait pas acception des personnes quand il préfère les uns aux autres. Ainsi saint Augustin dit (Liv. de prædest. Sanct., chap. 8) : Tous ceux que Dieu enseigne il les enseigne par miséricorde, ceux qu’il n’enseigne pas il ne les enseigne pas par justice, car ce délaissement provient de la damnation du genre humain pour le péché du premier homme.

 

          Objection N°3. La loi a été donnée par les anges, comme nous l’avons dit (art. préc.). Or, Dieu a confié à ses anges non seulement la garde des Juifs, mais encore celle de toutes les nations ; car il est écrit (Eccl., 17, 14) : Il a établi un prince, pour gouverner chaque nation. De plus il distribue à toutes les nations les biens temporels dont il a beaucoup moins de soin que des biens spirituels. Il aurait donc dû donner la loi à tous les peuples.

          Réponse à l’objection N°3 : L’homme est privé des bienfaits de la grâce à cause du péché, mais il n’est pas privé des bienfaits naturels. Parmi ces derniers se trouve compris le ministère des anges que l’ordre de la nature exige, puisqu’il faut que les êtres inférieurs soient gouvernés par ceux qui sont au-dessus d’eux. Il en est de même des secours corporels que Dieu accorde non seulement aux hommes, mais encore aux bêtes, suivant cette parole du Psalmiste (Ps. 35, 8) : Vous sauverez, Seigneur, les hommes et les animaux.

 

          Mais c’est le contraire. Saint Paul s’écrie (Rom., chap. 3) : Quel est donc l’avantage des Juifs ? … Cet avantage est immense de toutes manières : principalement en ce que les oracles de Dieu leur ont été confiés. Et le Psalmiste dit (Ps., 147, 20) : Il n’a pas fait la même chose à toutes les nations, il ne leur a pas manifesté ses jugements.

 

          Conclusion Puisque les promesses du Christ ont été faites aux ancêtres des Juifs, il était convenable que ce peuple, dont le Christ devait naître, jouît d’une sainteté spéciale entre toutes les nations et que la loi ancienne ne fût donnée qu’à lui seul.

          Il faut répondre qu’on pourrait donner une raison pour laquelle la loi a été donnée au peuple juif plutôt qu’aux autres nations livrées à l’idolâtrie ; c’est que le peuple juif seul est resté attaché au culte d’un Dieu unique. C’est pourquoi les autres peuples étaient indignes de recevoir la loi, de peur que les choses saintes ne fussent données aux chiens. Mais cette raison ne paraît pas convenable ; parce que ce peuple après avoir reçu la loi tomba dans l’idolâtrie, ce qui fut plus grave, comme on le voit (Ex., chap. 32, et Amos, 5, 25) : Maison d’Israël, m’avez-vous offert de bon cœur des hosties et des sacrifices dans le désert où vous avez été pendant quarante ans ? Vous y avez porté le tabernacle de votre Moloch, et l’image de vos idoles, celle de l’étoile de Saturne que vous adoriez comme un Dieu ; toutes choses qui n’étaient que des ouvrages de vos mains. Et il est dit expressément (Deut., 9, 6) : Sachez que ce n’est pas à cause de votre justice que le Seigneur votre Dieu vous a donné cette terre en possession, puisque vous êtes un peuple dont la tête est très dure. Moïse donne plus haut le motif de cette préférence : C’est pour accomplir ce que le Seigneur a promis avec serment à vos pères Abraham, Isaac et Jacob. L’Apôtre montre quelle promesse leur a été faite quand il dit (Gal., 3, 16) : Les promesses de Dieu ont été faites à Abraham et à sa race. L’Ecriture ne dit pas : à ceux de sa race, comme si elle en eût voulu marquer plusieurs ; mais à sa race, c’est-à-dire à l’un de sa race qui est le Christ. Dieu a donc donné à ce peuple la loi et d’autres bienfaits particuliers, parce qu’il avait promis à ses ancêtres que ce serait d’eux que naîtrait le Messie. Car il était convenable que le peuple qui devait donner naissance au Messie fût tout spécialement sanctifié, d’après ces paroles (Lev., 19, 2) : Vous serez saints, parce que je suis saint. Les mérites d’Abraham n’ont pas été la cause de la promesse que Dieu lui a faite, en lui disant que le Messie sortirait de sa race ; cette promesse a été l’effet de l’élection gratuite de Dieu, et de sa vocation. C’est ce qui fait dire à Isaïe (Is., 41, 2) : Qui a fait sortir de l’Orient le juste Abraham et qui l’a appelé en lui ordonnant de te suivre ? C’est donc évidemment par l’effet d’une élection purement gratuite que les patriarches ont reçu les promesses de Dieu et que le peuple qui est sorti d’eux a reçu la loi, suivant ces paroles du Deutéronome (4, 36) : Vous avez entendu les paroles du Seigneur du milieu de ce feu, parce qu’il a aimé vos pères et qu’après eux il a choisi pour lui leur postérité. — Si on demande ensuite pourquoi il a choisi ce peuple pour donner naissance au Messie et pourquoi il n’en a pas choisi un autre, il faut en venir à la réponse que fait saint Augustin (Tract. Sup. Joan., 26) : Ne cherchez pas à pénétrer pourquoi il attire à lui celui-ci, et pourquoi il n’attire pas celui-là, ce serait vous exposer à tomber dans l’erreur (On touche alors aux mystères les plus profonds de la prédestination.).

 

Article 5 : Tous les hommes étaient-ils obligés d’observer la loi ancienne ?

 

          Objection N°1. Il semble que tous les hommes étaient obligés d’observer la loi ancienne. Car tous ceux qui sont soumis à un roi doivent être soumis à sa loi. Or, la loi ancienne a été donnée par Dieu qui est le roi de toute la terre, comme le dit le Psalmiste (Ps. 46). Donc tous ceux qui habitent la terre étaient tenus d’observer sa loi.

          Réponse à l’objection N°1 : Tous ceux qui sont soumis à un roi doivent observer la loi qu’il a généralement établie pour tout le monde ; mais s’il fait des règlements particuliers pour ses serviteurs les plus familiers, les autres ne sont pas obligés de les suivre.

 

          Objection N°2. Les Juifs ne pouvaient être sauvés s’ils n’observaient la loi ancienne. Car il est dit (Deut., 27, 28) : Maudit soit celui qui n’est pas ferme dans les prescriptions de cette loi et qui ne les accomplit pas par ses œuvres. Si donc les autres hommes avaient pu être sauvés sans observer la loi ancienne, les Juifs auraient été d’une condition pire que la leur.

          Réponse à l’objection N°2 : Plus l’homme est étroitement uni à Dieu et meilleure est sa condition. C’est pourquoi plus le peuple juif était attaché au culte de Dieu et plus il l’emportait en dignité sur les autres nations. C’est ce qui faisait dire à l’auteur de la loi (Deut., 4, 8) : Y a-t-il un peuple célèbre qui ait comme celui-ci des cérémonies, des ordonnances pleines de justice et une loi aussi complète que la vôtre ? De même la condition des clercs est préférable à celle des laïques, et celle des religieux vaut mieux que celle des séculiers.

 

          Objection N°3. On admettait les gentils au rit judaïque et aux observances de la loi. Car il est dit (Ex., 12, 48) : Si quelque étranger veut vous être associé et faire la Pâque du Seigneur, tout ce qu’il y aura de mâle avec lui sera auparavant circoncis, et alors il pourra la célébrer et il sera comme un habitant de votre terre. Or, il eût été inutile que Dieu ordonnât d’admettre les étrangers aux observances légales, si l’on avait pu sans elles être sauvé. Donc personne ne pouvait être sauvé s’il n’observait la loi.

          Réponse à l’objection N°3 : Les gentils arrivaient au salut d’une manière plus sûre et plus parfaite avec les observances de la loi ancienne que sous la loi naturelle exclusivement. C’est pourquoi on les y admettait, comme maintenant encore les laïques qui deviennent clercs et les séculiers qui entrent en religion, quoiqu’on puisse être sauvé sans cela.

 

          Mais c’est le contraire. Saint Denis dit (De cœl. hier., chap. 9) qu’une multitude de gentils ont été amenés à Dieu par les anges. Or, il est constant que les gentils n’observaient pas la loi. Donc on a pu être sauvé sans l’observer.

 

          Conclusion La loi ancienne ayant ajouté à la loi de nature des préceptes qui étaient propres aux Juifs, le peuple juif était obligé d’observer tous ces préceptes, tandis que les autres nations n’étaient tenues qu’à suivre les préceptes de la loi naturelle.

          Il faut répondre que la loi ancienne manifestait les préceptes de la loi de nature et qu’elle y ajoutait des préceptes particuliers. Quant aux préceptes de la loi naturelle que renfermait la loi ancienne, tout le monde était tenu de les observer, non parce qu’ils étaient contenus dans la loi ancienne, mais parce qu’ils faisaient partie de la loi de nature. Mais quant aux préceptes qui étaient ajoutés à la loi ancienne, il n’y avait que le peuple juif qui fût tenu de les observer. La raison en est que la loi ancienne, comme nous l’avons dit (art. préc.), fut donnée au peuple juif pour qu’il fût tout spécialement sanctifié, par respect pour le Christ qui devait naître de lui. Or, ce qu’on établit pour la sanctification spéciale de quelques-uns n’est obligatoire que pour eux. C’est ainsi que les clercs qui sont attachés au service divin ont des obligations qui ne pèsent pas sur les laïques. De même les religieux sont tenus, en vertu de leur profession, à des œuvres de perfection auxquelles les séculiers ne sont point obligés. Pour la même raison le peuple juif avait des devoirs particuliers que les autres peuples ne devaient pas remplir. C’est pourquoi il est dit (Deut., 18, 13) : Vous serez parfait et sans tache devant le Seigneur votre Dieu. C’est aussi pour ce motif qu’ils faisaient une sorte de profession, comme on le voit par ces paroles du Deutéronome (26, 3) : Je professe aujourd’hui devant le Seigneur votre Dieu, etc.

 

Article 6 : La loi ancienne a-t-elle été donnée convenablement au temps de Moïse ?

 

          Objection N°1. Il semble qu’il ne soit pas convenable que la loi ancienne ait été donnée au temps de Moïse. Car cette loi préparait au salut qui devait s’opérer par le Christ, comme nous l’avons dit (art. 2). Or, l’homme immédiatement après le péché a eu besoin d’un remède salutaire. Donc la loi ancienne aurait dû être donnée immédiatement après la chute.

          Réponse à l’objection N°1 : Il n’était pas convenable que la loi ancienne fût donnée immédiatement après le péché du premier homme ; soit parce que l’homme, trop confiant dans sa raison, ne reconnaissait pas encore qu’il en avait besoin, soit parce que le dictamen de la loi naturelle n’avait pas encore été obscurci par l’habitude du péché.

 

          Objection N°2. La loi ancienne a été donnée pour la sanctification de ceux dont le Christ devait naître. Or, c’est à Abraham qu’il a été d’abord promis que le Christ naîtrait de sa race (Gen., chap. 12). La loi aurait donc dû être donnée dès cette époque.

          Réponse à l’objection N°2 : On ne doit donner une loi qu’à un peuple, puisque c’est un précepte général, comme nous l’avons dit (quest. 96, art. 1, réponse N°2). C’est pourquoi au temps d’Abraham, Dieu n’a donné aux hommes que quelques préceptes familiers et pour ainsi dire domestiques (C’est ce que fait observer avec détail Suarez, quand il recherche si avant Moïse il y a eu une loi positive divine (Voyez son Traité des lois, liv. 9, chap. 1).) ; mais plus tard, quand leurs descendants se furent multipliés au point de former un peuple et qu’ils furent sortis de servitude, il a été convenable que la loi leur fût donnée. Car, comme le dit Aristote (Pol., liv. 3, chap. 3), les esclaves ne sont pas une partie du peuple ou de la cité qu’on doive soumettre à une loi.

 

          Objection N°3. Comme le Christ n’est pas né des autres descendants de Noé, et qu’il n’est né que d’Abraham à qui la promesse a été faite, de même il n’est pas né des autres enfants d’Abraham, sinon de David, à qui la promesse a été renouvelée, d’après cette parole de l’Ecriture (2 Rois, 23, 1) : Voici ce que dit David, cet homme établi pour annoncer et représenter le Christ du Dieu de Jacob. Donc la loi ancienne aurait dû être donnée après David comme elle l’a été après Abraham.

          Réponse à l’objection N°3 : Puisqu’il fallait que la loi fût donnée à un peuple, il n’y a pas que ceux dont le Christ devait naître qui l’ont reçue, mais elle a été reçue du peuple entier qui a été marqué du sceau de la circoncision, qui était le signe de la promesse faite à Abraham et acceptée par sa foi, selon l’expression de l’Apôtre (Rom., chap. 4). C’est pourquoi il a fallu qu’avant David la loi fût donnée au peuple qui était formé depuis longtemps.

 

          Mais c’est le contraire. L’Apôtre dit (Gal., 3, 19) : La loi a été établie pour faire connaître les transgressions jusqu’à l’avènement de ce fils d’Abraham auquel la promesse avait été faite. Aussi elle a été donnée par le ministère des anges et l’entremise d’un médiateur, c’est-à-dire, selon la remarque de la glose (Glos. ord.), elle a été donnée dans l’ordre convenable, par conséquent à l’époque qui convenait.

 

          Conclusion Il a été convenable que la loi ancienne fût donnée aux hommes du temps de Moïse pour qu’ils reconnussent leur faiblesse et qu’ils se préparassent plus parfaitement à recevoir la grâce divine.

          Il faut répondre qu’il était très convenable que la loi ancienne fût donnée au temps de Moïse. On peut en donner deux sortes de raison, parce qu’une loi s’impose à deux sortes d’hommes. Car on l’impose à ceux qui sont durs et orgueilleux pour les humilier et les dompter, et on l’impose aux bons pour les instruire et les aider à remplir leurs devoirs. Il a donc été convenable que la loi ancienne fût donnée à cette époque pour abaisser l’orgueil des hommes. Car l’homme s’enorgueillissait de deux choses, de la science et du pouvoir. De la science, comme si sa raison naturelle eût été suffisante pour le sauver ; c’est pourquoi pour le guérir de son orgueil à ce sujet, Dieu l’abandonna à sa propre raison sans le secours de la loi écrite, et il put faire l’expérience de la faiblesse de sa raison par l’entraînement avec lequel tous ses semblables se livrèrent à l’idolâtrie et à tous les crimes les plus honteux au temps d’Abraham. C’est pourquoi, après cette époque il fut nécessaire que la loi écrite fût donnée pour remédier à l’ignorance des hommes, parce que la loi fait connaître le péché, comme le dit l’Apôtre (Rom., chap. 7). Mais après que l’homme fut éclairé par la loi, son orgueil fut abattu par le sentiment de sa faiblesse, puisqu’il ne pouvait accomplir les devoirs qu’il connaissait. C’est pourquoi, comme le dit encore saint Paul (Rom., 8, 13), ce qu’il était impossible que la loi fît, à cause qu’elle était affaiblie par la chair, Dieu envoya son propre Fils… pour qu’il l’accomplit en nous. — A l’égard des bons la loi leur a été donnée à titre de secours ; ce qui fut surtout nécessaire au peuple, quand la loi naturelle commençait à être obscurcie par le débordement des crimes. Car il fallait que ce secours fût donné dans un certain ordre, pour que le genre humain marchât de l’imparfait au parfait. C’est pour ce motif qu’entre la loi de nature et la loi de grâce il a fallu qu’il y eût la loi ancienne.

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.

 

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