Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
1a 2ae = Prima Secundae = 1ère partie de la 2ème Partie
Question 99 : Des
préceptes de la loi ancienne
Nous
avons maintenant à nous occuper des préceptes de la loi ancienne ; et d’abord
de leur distinction ; ensuite de chaque genre de préceptes en particulier. A
l’égard de leur distinction il y a six questions à faire : 1° Y a-t-il dans la
loi ancienne plusieurs préceptes ou n’y en a-t-il qu’un seul ? — 2° La loi
ancienne renferme-t-elle des préceptes moraux ? — 3° Indépendamment des
préceptes moraux, renferme-t-elle des préceptes cérémoniels ? — 4°
Contient-elle en outre des préceptes judiciels ? — 5°
Y a-t-il encore d’autres préceptes que ceux-là ? — 6° De quelle manière la loi
portait-elle à observer ces divers préceptes ? (Dans cet article saint Thomas
montre parfaitement que la sanction de la loi ancienne était merveilleusement
en rapport avec le caractère des hommes pour lesquels elle a été faite.
D’ailleurs, sa doctrine n’est que le commentaire de la comparaison que saint
Paul établit entre le premier homme et l’homme nouveau, entre Adam et le
Christ.)
Article
1 : La loi ancienne ne renfermait-elle qu’un seul précepte ?
Objection
N°1. Il semble qu’il n’y avait dans la loi ancienne qu’un seul précepte. Car une
loi n’est rien autre chose qu’un précepte, comme nous l’avons vu (quest. 90,
art. 2 et 3). Or, la loi ancienne est une. Donc elle ne renferme qu’un seul
précepte.
Réponse
à l’objection N°1 : On dit que la loi ancienne est une, parce qu’elle n’a
qu’une seule et même fin. Néanmoins elle renferme divers préceptes selon la
diversité des moyens qui mènent à cette fin. Comme l’art de bâtir est un par
rapport à l’unité de la fin, puisqu’il a pour but la construction d’un édifice,
mais il n’en renferme pas moins divers préceptes, selon les différents actes
qui s’y rapportent.
Objection
N°2. L’Apôtre dit (Rom., 13, 6) : S’il y a un
autre commandement, il est renfermé dans cette parole : Vous aimerez votre
prochain comme vous-même. Or, ce commandement est un. Donc la loi ancienne
n’en renferme qu’un seul.
Réponse
à l’objection N°2 : Comme le dit l’Apôtre (1
Tim., 1, 5), la
fin du précepte est la charité. Car toute la loi a pour but d’inspirer aux
hommes l’amour de leurs semblables ou l’amour de Dieu. C’est pourquoi toute la
loi est renfermée dans ce seul précepte : Vous
aimerez votre prochain comme vous-mêmes, parce qu’il est la fin de tous les
autres. Car dans l’amour du prochain se trouve renfermé l’amour de Dieu (Il
renferme aussi l’amour que nous devons avoir pour nous, puisqu’il est dit que
nous devons l’aimer comme nous-mêmes.),
quand on aime le prochain par rapport à Dieu. C’est pour ce motif que l’Apôtre
réduit à ce seul précepte les deux préceptes qui ont pour objet l’amour de Dieu
et du prochain, dont le Seigneur a dit (Matth., 22,
10) : Ces deux préceptes renferment toute
la loi et les prophètes.
Objection
N°3. Il est dit dans l’Evangile (Matth., 7, 12) : Faites aux autres ce que vous voudriez qu’on
vous fît à vous-même ; voilà la loi et les prophètes.
Or, toute la loi ancienne est renfermée dans la loi et les prophètes. Donc elle
ne comprend qu’un seul précepte.
Réponse
à l’objection N°3 : Comme le dit Aristote (Eth., liv. 9, chap. 8), l’amitié
que l’on a pour autrui vient de l’amitié que l’homme a pour lui-même,
c’est-à-dire que l’homme est pour les autres ce qu’il est pour lui-même. C’est
pourquoi en disant : Faites aux autres ce
que vous voudriez qu’on fît pour vous-mêmes, on
explique une règle de l’amour du prochain qui est implicitement renfermée dans
ces paroles (Matth., 19, 29) : Vous aimerez votre prochain comme vous-même. Par conséquent c’est
une explication de ce précepte (C’est une explication de ce précepte plutôt
qu’un précepte nouveau.).
Mais
c’est le contraire. L’Apôtre dit (Eph., 2, 15) que par sa doctrine
il a aboli la loi chargée de tant de préceptes, et la glose fait remarquer
qu’il s’agit là de la loi ancienne. Donc cette loi renferme en elle une foule
de préceptes.
Conclusion
Il n’y a dans la loi ancienne qu’un seul précepte par rapport à la fin de la
loi qui est unique et qui consiste dans l’amour de Dieu et du prochain, mais il
y a plusieurs préceptes en raison de la diversité des moyens qui mènent à cette
fin.
Il
faut répondre qu’un précepte légal, pour être obligatoire, doit avoir pour
objet une chose que l’on doit faire. L’obligation de faire une chose provient
de la nécessité où l’on est d’atteindre une fin. Par conséquent il est de
l’essence du précepte qu’il se rapporte à une fin, en ce sens que ce qu’il
ordonne doit être nécessaire ou utile pour arriver à cette fin. Or, pour une
même fin plusieurs choses peuvent être nécessaires ou
utiles. Par conséquent on peut à l’égard de différentes choses donner divers
préceptes qui se rapportent à une seule et même fin. Il faut donc dire que tous
les préceptes de la loi ancienne sont un par rapport à leur fin qui est une,
mais qu’ils sont multiples en raison de la diversité des moyens qui se
rapportent à cette fin.
Article
2 : La loi ancienne renferme-t-elle des préceptes moraux ?
Objection
N°1. Il semble que la loi ancienne ne renferme pas de préceptes moraux. Car la
loi ancienne se distingue de la loi naturelle, comme nous l’avons vu (quest. 91,
art. 4, et quest. 98, art. 5). Or, les préceptes moraux appartiennent à la loi
naturelle. Donc ils n’appartiennent pas à la loi ancienne.
Réponse
à l’objection N°1 : La loi ancienne se distingue de la loi naturelle, non comme
si elle lui était absolument étrangère, mais parce qu’elle lui ajoute quelque
chose. Car comme la grâce présuppose la nature, de même il faut que la loi
divine présuppose la loi naturelle.
Objection
N°2. La loi divine doit venir au secours de l’homme, quand la raison humaine
lui fait défaut, comme on le voit dans les choses de foi qui sont supérieures à
la raison. Or, la raison de l’homme paraît suffire aux préceptes moraux. Donc
ces préceptes ne font pas partie de la loi ancienne qui est une loi divine.
Réponse
à l’objection N°2 : Il était convenable que la loi divine vînt au secours de
l’homme non seulement à l’égard des choses que la raison ne peut atteindre,
mais encore à l’égard de celles qui peuvent être pour la raison humaine un
embarras. Or, la raison humaine ne pouvait errer en général sur les préceptes
moraux relativement aux préceptes les plus communs de la loi naturelle, quoique
l’habitude du péché l’eût obscurcie par rapport aux actions particulières. Au
contraire, touchant les autres préceptes moraux qui sont comme des conséquences
déduites des principes généraux de la loi de nature, la raison d’une foule d’individus
s’est trompée, de telle sorte qu’ils croyaient permises des choses qui sont
mauvaises en elles-mêmes. Il a donc fallu que l’autorité de la loi divine vînt
au secours de l’homme sous ce double rapport, comme on propose à notre foi non
seulement les choses auxquelles la raison ne peut atteindre, telles que le
mystère de la Trinité, mais encore celles que la raison droite peut connaître,
telles que l’unité de Dieu, afin d’éviter les erreurs dans lesquelles la raison
d’un grand nombre est tombée.
Objection
N°3. On dit que la loi ancienne est la
lettre qui tue, comme on le voit (1
Cor., chap. 3). Or, les préceptes moraux ne tuent pas, mais ils vivifient,
d’après ces paroles du Psalmiste (Ps.
118, 93) : Je n’oublierai jamais vos
justices, parce que c’est en elles que vous m’avez vivifié. Donc les
préceptes moraux n’appartiennent pas à la loi ancienne.
Réponse
à l’objection N°3 : Comme le prouve saint Augustin (Lib. de spir. et litt.,
chap. 14), la lettre de la loi par rapport aux préceptes moraux tue
occasionnellement, en ce sens qu’elle ordonne ce qui est bien, sans donner
l’aide de la grâce pour l’accomplir (Jansénius est tombé dans l’erreur la plus
grave en disant que Dieu n’avait eu pour but, en donnant aux Juifs une loi, que
de multiplier leurs péchés en leur prescrivant des choses qu’ils ne pouvaient
observer, et d’humilier par là leur orgueil. Mais cette fin eût été indigne de
Dieu, puisqu’elle eût été directement contraire à sa sainteté.).
Mais
c’est le contraire. L’Ecriture dit (Ecclésiastique, 17, 9) : Il leur a prescrit une loi de discipline et
les a rendus héritiers de la loi de vie. Or, la discipline appartient aux mœurs
; car par ces paroles de l’Apôtre : Tout
châtiment, etc. (Héb., 12, 11), la glose dit que la
discipline est la formation des mœurs par les moyens difficiles. Donc la loi
que Dieu a donnée renfermait des préceptes moraux.
Conclusion
Il a fallu que dans la loi ancienne il y eût pour la sanctification du peuple
des préceptes concernant les actes de vertus, et ce sont ceux-là qu’on appelle
des préceptes moraux.
Il
faut répondre que la loi ancienne renfermait des préceptes moraux, comme on le
voit (Ex., chap. 20) : Vous ne tuerez point. Vous ne volerez point.
Et cela à juste titre. Car, comme la loi humaine a principalement pour but de
porter les hommes à s’aimer les uns les autres, de même la loi divine se
propose tout spécialement d’unir l’homme à Dieu. Mais la ressemblance étant la
raison de l’amour, d’après cette parole de l’Ecriture (Ecclésiastique, 13, 19) : Tout
animal aime son semblable, il est impossible qu’il y ait amitié entre
l’homme et Dieu qui est l’être le plus excellent, si les hommes ne deviennent
bons eux-mêmes. C’est pourquoi il est dit (Lévit., 19, 2) : Vous serez saints, parce que je suis saint.
Or, la bonté de l’homme est la vertu qui rend bon celui qui la possède. Il a
donc fallu qu’il y eût des préceptes de la loi ancienne qui concernent les
actes de vertu, et ce sont là les préceptes moraux qu’elle renferme.
Article
3 : La loi ancienne contient-elle des préceptes cérémoniels, indépendamment des
préceptes moraux ?
Objection
N°1. Il semble que la loi ancienne ne renferme pas de préceptes cérémoniels
indépendamment des préceptes moraux. Car toute loi qu’on donne aux hommes doit
diriger les actes humains. Or, on appelle les actes humains les actes moraux,
comme nous l’avons dit (quest. 1, art. 3). Il semble donc que la loi ancienne
qui a été donnée aux hommes ne doive renfermer que des préceptes moraux.
Réponse
à l’objection N°1 : Les actes humains s’étendent aussi au culte divin ; c’est
pourquoi la loi ancienne qui a été donnée aux hommes renferme des préceptes à
cet égard.
Objection
N°2. Les préceptes qu’on appelle cérémoniels semblent appartenir au culte
divin. Or, le culte divin est un acte de vertu, c’est l’acte de la religion
qui, comme le dit Cicéron (De invent.,
liv. 2), rend un culte à la nature divine et l’honore par des cérémonies. Par
conséquent puisque les préceptes moraux ont pour objets des actes de vertus,
comme nous l’avons dit (art. préc.), il semble qu’on
ne doive pas distinguer de ces préceptes les préceptes cérémoniels.
Réponse
à l’objection N°2 : Comme nous l’avons dit (quest. 94, art. 4), les préceptes
de la loi naturelle sont généraux et ont besoin d’être précisés. Ils le sont
par la loi humaine et par la loi divine. Et comme les déterminations qui
proviennent de la loi humaine n’appartiennent pas à la loi naturelle, mais au
droit positif, de même les déterminations des préceptes de la loi naturelle,
qui sont l’effet de la loi divine, se distinguent des préceptes moraux, qui
appartiennent à la loi de nature. Par conséquent, puisque le culte de Dieu est
un acte de vertu, c’est un précepte moral ; mais la détermination de ce
précepte par exemple, si on doit lui offrir telles ou telles offrandes, tels ou
tels présents, appartient aux préceptes cérémoniels. C’est pourquoi on les
distingue des préceptes moraux.
Objection
N°3. Il semble que les préceptes cérémoniels soient ceux qui signifient figurativement
quelque chose. Or, comme le dit saint Augustin (De doct. Christ., liv. 2, chap. 3 et 14), les paroles sont ce qui
parmi les hommes signifie le mieux les choses. Donc il n’a pas été nécessaire
de renfermer dans la loi des préceptes cérémoniels à l’égard de certains actes
figuratifs.
Réponse
à l’objection N°3 : Comme le dit saint Denis (De cœl. hier., chap. 4), les choses divines ne
peuvent être manifestées aux hommes que sous des images sensibles. Or, les
images frappent davantage l’esprit quand on ne les exprime pas seulement par
paroles, mais qu’elles s’offrent encore aux sens. C’est pourquoi l’Ecriture ne
nous fait pas seulement connaître les choses de Dieu par des paroles figurées,
comme lorsqu’elle emploie des expressions métaphoriques, mais elle a encore
recours aux images des objets qu’elle place sous nos yeux ; ce qui appartient
aux préceptes cérémoniels.
Mais
c’est 1e contraire. Moïse dit (Deut., 4, 13) : Le
Seigneur vous fit connaître les dix commandements qu’il écrivit sur les deux
tables de pierre, et il m’ordonna en même ternies de vous apprendre les
cérémonies et les ordonnances que vous devez observer. Or, les dix
commandements sont des préceptes moraux. Donc indépendamment des préceptes
moraux il y a encore d’autres préceptes cérémoniels.
Conclusion
Puisque la loi ancienne mettait l’homme en rapport avec Dieu, ce qui se fait
non seulement par des actes intérieurs, mais encore par des actes extérieurs,
il a été nécessaire qu’indépendamment des préceptes moraux elle renfermât des
préceptes cérémoniels qui déterminassent le culte qu’on doit rendre à la
divinité.
Il
faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. préc.),
la loi divine a principalement pour but de mettre les hommes en rapport avec
Dieu, tandis que la loi humaine se propose tout spécialement de régler les
rapports des hommes entre eux. C’est pour cela que les lois humaines ne se sont
pas occupées du culte divin, sinon par rapport au bien général de la société.
C’est aussi pour ce motif qu’elles ont créé une foule de fictions à l’égard des
choses divines, selon que leurs auteurs l’ont cru utile pour former les mœurs
des hommes (Et aussi pour maintenir la puissance que les prêtres exerçaient sur
eux. Car il est à remarquer que les prêtres du polythéisme se faisaient de la
crédulité populaire un instrument de domination et qu’ils ont dans ce dessein
favorisé beaucoup les superstitions.), comme on le voit par le rit des gentils. La loi divine, au contraire, a mis les
hommes en rapport entre eux, selon qu’il convenait à l’ordre qui tend vers Dieu
et qui est son but principal. Or, l’homme se rapporte à Dieu non seulement par
les actes intérieurs de l’esprit qui sont la foi, l’espérance et l’amour, mais
encore par des actes extérieurs qui attestent sa dépendance à l’égard de la
Divinité, et on dit que ces actes appartiennent au culte de Dieu. Ce culte
reçoit le nom de cérémonie, ce qui
signifie présents de Cérès (munia Cereris) qu’on
appelait la déesse des fruits, parce qu’on offrait à Dieu les prémices des
récoltes, ou, comme le rapporte Valère Maxime (liv. 1, chap. 1 num. 10), le mot de cérémonie
a été employé pour signifier le culte divin chez les Latins. Il vient de la
ville de Cæres (Ceres ou Cœris était une petite ville d’Etrurie qui existait encore
du temps de Strabon.1), près de Rome, parce qu’après la prise de cette dernière
cité par les Gaulois, les Romains ont offert en ce lieu des sacrifices et
l’avaient tout particulièrement en vénération (Aulu Gelle (liv. 4, chap. 9) est d’accord avec Valère Maxime sur
cette étymologie, et Virgile parait y faire allusion (Eneid., liv. 8, v. 597). Mais
Macrobe fait venir ce même mot de carere, manquer (Saturn,, liv. 3, chap. 3).). C’est
ainsi qu’on appelle tout spécialement préceptes cérémoniels les préceptes de la
loi qui appartiennent au culte divin.
Article
4 : Indépendamment des préceptes moraux et cérémoniels, y a-t-il encore des
préceptes judiciels ?
Objection
N°1. Il semble qu’indépendamment des préceptes moraux et cérémoniels il n’y ait
pas dans l’ancienne loi de préceptes judiciels. Car
saint Augustin dit (Cont. Faust.,
liv. 6, chap. 2, et liv. 10, chap. 2, et liv. 19, chap. 18) que dans la loi
ancienne il y avait des préceptes pour la vie qu’on devait mener, et des
préceptes pour la vie qui devait être figurée. Or, les préceptes qui concernent
la vie qu’on devait mener, sont les préceptes moraux, et les autres sont les
préceptes cérémoniels. En dehors de ces deux genres de préceptes, la loi ne
devait donc pas renfermer d’autres préceptes, comme les préceptes judiciels.
Réponse
à l’objection N°1 : Les préceptes moraux, aussi bien que les préceptes judiciels, ont pour but de diriger la conduite de l’homme.
C’est pourquoi ils sont renfermés l’un et l’autre sous le premier membre de la
phrase de saint Augustin, c’est-à-dire qu’ils sont compris parmi les préceptes
qui doivent régler la conduite.
Objection
N°2. Sur ces paroles du Psalmiste (Ps.
118) : Je ne me suis pas écarté de vos
jugements, la glose dit (Ord. Cassiod.), c’est-à-dire des choses que vous avez
établies pour être ma règle de conduite. Or, la règle de conduite appartient
aux préceptes moraux. Donc on ne doit pas distinguer les préceptes judiciels de ces préceptes.
Réponse
à l’objection N°2 : Le jugement (judicium) signifie l’exécution de la justice. Cette
exécution résulte de l’application de la raison à des cas particuliers ; par
conséquent les préceptes judiciels ont ceci de commun
avec les préceptes moraux, c’est qu’ils découlent de la raison, et ils ont cela
de commun avec les préceptes cérémoniels, c’est qu’ils sont une détermination
des préceptes généraux. C’est pourquoi on comprend quelquefois les préceptes judiciels et les préceptes moraux sous le mot judicia ; comme
dans ce passage (Deut.,
5, 1) : Ecoute, Israël, les cérémonies et
les jugements (judicia).
D’autres fois on renferme sous le même mot les préceptes judiciels
et les préceptes cérémoniels, comme dans cet endroit (Lév., 18, 4) : Vous suivrez mes jugements et vous
observerez mes préceptes. Ici le mot précepte
se rapporte aux préceptes moraux, et le mot jugement
aux préceptes judiciels et cérémoniels.
Objection
N°3. Le jugement paraît être un acte de justice, d’après ces paroles du
Psalmiste (Ps. 93, 15) : Jusqu’à ce que la justice de Dieu fasse
éclater son jugement. Or, l’acte de la justice, comme l’acte des autres
vertus, appartient aux préceptes moraux. Donc ces préceptes renferment en eux
les préceptes judiciels, et on ne doit pas par
conséquent les en distinguer.
Réponse
à l’objection N°3 : L’acte de la justice en général appartient aux préceptes
moraux, mais la détermination de cet acte en particulier appartient aux
préceptes judiciels.
Mais
c’est le contraire. Il est écrit (Deut., 6, 1) : Tels sont les préceptes, les cérémonies et
les jugements. Or, ceux qu’on appelle préceptes par antonomase, ce sont les
préceptes moraux. Par conséquent indépendamment de ces préceptes il v a les
préceptes cérémoniels et judiciels.
Conclusion
Indépendamment des préceptes moraux et cérémoniels, on a ajouté des préceptes judiciels qui ont pour objet de faire observer la justice
parmi les hommes.
Il
faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. 2 et 3), il appartient à la loi
divine d’ordonner les hommes entre eux et par rapport à Dieu. Ces deux choses
considérées en général appartiennent l’une et l’autre au dictamen de la loi de
nature, auquel les préceptes moraux se rapportent. Mais il faut que l’une et
l’autre soient déterminées par la loi divine ou la loi
humaine, parce que les principes qu’on connaît naturellement sont généraux
aussi bien dans les sciences spéculatives que dans les sciences pratiques. Par conséquent
comme les préceptes cérémoniels précisent le précepte général qui regarde le
culte divin ; de même les préceptes judiciels
précisent et déterminent le précepte général, qui concerne la justice que les
hommes doivent observer entre eux. — Ainsi il faut donc que la loi ancienne
renferme trois préceptes : les préceptes moraux
qui relèvent du dictamen de la loi naturelle (Les préceptes moraux sont les
préceptes généraux qui sont gravés en nous par la main de la nature, et qui
sont aux autres préceptes ce que les principes sont aux conséquences.), les
préceptes cérémoniels qui déterminent
le culte divin, et les préceptes judiciels qui déterminent la justice qu’on doit observer
parmi les hommes. Aussi, après avoir dit (Rom.,
chap. 7) que la loi est sainte,
l’Apôtre ajoute que ses préceptes sont
justes, bons et saints ; justes,
par rapport aux préceptes judiciels ; saints, par rapport aux préceptes
cérémoniels (car on appelle saint ce qui a été dédié à Dieu) ; bons ou honnêtes par rapport aux préceptes
moraux.
Article
5 : Y a-t-il dans la loi ancienne d’autres préceptes que les préceptes moraux, judiciels et cérémoniels ?
Objection
N°1. Il semble qu’il y ait dans la loi ancienne d’autres préceptes que les
préceptes moraux, judiciels et cérémoniels. Car les
préceptes judiciels appartiennent à l’acte de la
justice qui règle les rapports d’homme à homme, les préceptes cérémoniels
appartiennent à l’acte de religion qui est la vertu par laquelle on rend à Dieu
le culte qui lui est dû. Or, indépendamment de ces vertus, il y a beaucoup
d’autres vertus morales comme la tempérance, la force, la libéralité, etc.,
ainsi que nous l’avons dit (quest. 60, art. 5). Donc il faut qu’indépendamment
de ces préceptes, la loi ancienne en renferme une foule d’autres.
Réponse
à l’objection N°1 : Entre toutes les autres vertus morales il n’y a que la
justice qui implique l’idée de chose due. C’est pourquoi la loi ne peut
déterminer les choses morales qu’autant qu’elles appartiennent à la justice,
dont la religion est une partie, comme le dit Cicéron (De invent., liv. 2). Par
conséquent la justice légale ne peut pas être quelque chose en dehors des
préceptes cérémoniels et judiciels.
Objection
N°2. Il est dit (Deut., 11, 1) : Aimez le Seigneur votre Dieu et observez ses préceptes, ses cérémonies,
ses jugements et ses ordonnances. Or, le mot précepte désigne des préceptes moraux, comme nous l’avons vu (art. préc.). Donc, indépendamment des préceptes moraux, judiciels et cérémoniels, la loi en renferme d’autres qu’on
désigne sous le nom d’ordonnances.
Objection
N°3. Au même livre (Deut., 6, 17), il est dit : Gardez les préceptes du Seigneur votre Dieu,
les témoignages et les cérémonies qu’il vous a ordonnés. Donc
indépendamment de tous les préceptes, la loi renferme encore des témoignages (testimonia).
Objection
N°4. Le Psalmiste dit (Ps. 118, 93) :
Je n’oublierai jamais les justifications
de vos ordonnances (justificationes),
c’est-à-dire la loi, selon la remarque de la glose (Gloss. interl.). Donc il n’avait pas
seulement dans l’ancienne loi les préceptes moraux, cérémoniels et judiciels, mais il y avait encore des justifications (justificationes).
Mais
c’est le contraire. Au commencement de la loi, on lit (Deut., 6, 1) : Voici les
préceptes et les cérémonies et les jugements que le Seigneur m’a commandé de
vous enseigner. Donc ces trois choses renferment tous les préceptes de la
loi.
Conclusion
Tous les préceptes de la loi sont ou moraux, ou cérémoniels, ou judiciels ; si l’on en trouve d’autres ils se rapportent à
ces derniers ou ils regardent leur observation.
Il
faut répondre que dans la loi il y a des choses qui sont des préceptes et il y
en a d’autres qui se rapportent à l’accomplissement des préceptes. Les
préceptes ont pour objet ce que l’on doit faire : l’homme est porté à faire ce
qui est commandé par deux motifs, par l’autorité de celui qui commande, par
l’intérêt de celui qui obéit. Il y va de l’intérêt de ce dernier, quand il y
gagne quelque chose d’utile, d’agréable ou d’honnête, ou quand il évite un mal
qui lui est opposé. Il a donc fallu mettre dans la loi ancienne des choses qui
indiquent l’autorité de Dieu qui commande (Deut., 6, 4) : Ecoute, Israël, le
Seigneur ton Dieu, est le seul Dieu. Et ailleurs (Gen., 1, 1) : Au commencement
Dieu créa le ciel et la terre. Ces paroles sont les témoignages. Il a fallu aussi que dans la loi il y eût des
récompenses pour ceux qui l’observent et des châtiments pour ceux qui la
transgressent (C’est en cela que consiste la sanction de la loi.), comme on le
voit par ces paroles (Deut., 28, 1) : Si vous écoutez la voix du Seigneur votre Dieu… il vous élèvera
au-dessus de toutes les nations, etc. Ainsi on appelle justifications (Le mot témoignage
et le mot justification sont
encore pris dans un autre sens que saint Thomas indique à la fin de cet
article.) les actes par lesquels Dieu punit ou récompense justement. — Quant
aux choses que l’on doit faire elles ne sont de précepte qu’autant qu’elles
sont de devoir. Or, il y a deux sortes de devoir : l’un qui est conforme à la
règle de la raison, et l’autre qui est conforme à la règle de la loi qui le
détermine. C’est ainsi qu’Aristote distingue deux sortes de justice (Eth., liv. 5, chap. 7), la justice morale
et la justice légale. Il y a aussi deux espèces de devoir moral. Car la raison
nous dit de faire une chose comme étant nécessaire, au point que sans elle il
n’y a pas de vertu, ou bien elle nous la commande comme utile pour mieux
conserver l’ordre de la vertu. D’où il résulte qu’il y a des choses morales que
la loi commande ou défend avec la plus grande précision ; comme celles-ci : Vous ne tuerez pas, vous ne volerez pas,
et c’est ce qu’à proprement parler on appelle des préceptes. Il y en a d’autres qu’elle ne commande pas ou qu’elle ne
défend pas absolument comme des choses qui sont de devoir, mais pour un plus
grand bien, et c’est ce qu’on appelle des recommandations (Le mot mandatum ne
désigne dans ce sens qu’un conseil. Toutes ces définitions sont utiles pour
expliquer plusieurs passages de la Bible, qui présenteraient, sans cela,
quelque obscurité.) (mandata).
On engage d’une manière persuasive à les suivre, comme quand il est dit (Ex., 22, 26) : Si votre prochain vous a donné son manteau pour gage, rendez-le-lui
avant le coucher du soleil, et d’autres choses semblables. C’est ce qui
fait dire à saint Jérôme (in princ. in proœem. in Marc.),
que la justice est dans les préceptes et la charité dans les choses qui sont
recommandées (mandatis).
— Le devoir qui résulte de la détermination de la loi appartient aux préceptes judiciels pour les choses humaines, et aux préceptes
cérémoniels pour les choses divines. D’ailleurs on peut appeler ce qui regarde
les récompenses et les peines, des témoignages,
puisque ce sont des attestations de la justice divine, et tous les préceptes de
la loi peuvent recevoir le nom de justifications,
parce que ce sont des exécutions de la justice légale. On peut encore établir
une autre distinction entre les ordonnances (mandata) et les préceptes : c’est qu’on appelle précepte ce que
Dieu a ordonné par lui-même, et ordonnance ce qu’il a mandé (mandavit) par les
autres, ce que l’étymologie du mot paraît indiquer. — D’après toutes ces
considérations, il est évident que tous les préceptes de la loi sont renfermés
dans les préceptes moraux, cérémoniels et judiciels,
tandis que les autres choses ne sont pas des préceptes, elles sont seulement
établies pour les faire observer.
La
réponse aux autres objections est évidente d’après tout ce que nous avons dit
(dans le corps de l’article.).
Article
6 : La loi ancienne a-t-elle dû engager à observer ses préceptes par des
promesses et des menaces temporelles ?
Objection
N°1. Il semble que la loi ancienne n’ait pas dû engager à l’observance des
préceptes par des promesses et des menaces temporelles. Car le but de la loi
divine est de soumettre les hommes à Dieu par la crainte et l’amour. C’est
pourquoi il est dit (Deut., 10, 12) : Maintenant donc, Israël, qu’est-ce que le Seigneur votre Dieu demande
de vous, sinon que vous le craigniez, que vous marchiez dans ses voies et que
vous l’aimiez ? Or, le désir des choses temporelles éloigne de Dieu ; car
saint Augustin dit (Quæst.,
liv. 83, quest. 36) que la cupidité est le poison de la charité. Par conséquent
les promesses et les menaces temporelles paraissent contraires au but du législateur
; ce qui rend la loi blâmable, comme le dit Aristote (Polit., liv. 2, chap. 7).
Réponse
à l’objection N°1 : La cupidité qui fait que l’homme place sa fin dans les
biens temporels est le venin de la charité. Mais l’acquisition des biens temporels
que l’homme désire par rapport à Dieu est une voie qui mène les imparfaits à
l’amour divin, suivant ces paroles du Psalmiste (Ps. 48, 19) : Il vous bénira
quand vous lui ferez du bien.
Objection
N°2. La loi divine l’emporte sur la loi humaine. Or, nous voyons dans les
sciences que plus une science est élevée, plus les moyens par lesquels elle
procède le sont aussi. Donc puisque la loi humaine emploie les menaces et les
promesses temporelles pour agir sur les hommes, la loi divine n’aurait pas dû
procéder de la sorte, mais elle aurait dû employer des moyens plus élevés.
Réponse
à l’objection N°2 : La loi humaine agit sur les hommes au moyen de peines ou de
récompenses temporelles que les hommes eux-mêmes ont déterminées ; tandis que
la loi divine est sanctionnée par des récompenses ou des peines qui viennent de
Dieu ; par conséquent ses moyens sont plus élevés.
Objection
N°3. Ce qui arrive également aux bons et aux méchants ne peut être la récompense
de la justice ou la peine du péché. Or, comme le dit l’Ecclésiaste (9, 2), Tout arrive également au juste et à
l’injuste, au bon et au méchant, au pur et à l’impur, à celui qui immole des
victimes et à celui qui méprise les sacrifices. Donc il n’était pas
convenable d’assigner les biens et les maux temporels comme la récompense ou la
punition de ceux qui observent ou qui n’observent pas les préceptes de la loi
de Dieu.
Réponse
à l’objection N°3 : Comme on le voit en parcourant les récits de l’Ancien
Testament, le peuple en général fut toujours dans un état prospère tant qu’il
observait la loi ; et aussitôt qu’il s’écartait de ses préceptes, il tombait
dans une multitude de malheurs. Mais il y avait de simples particuliers qui
observaient parfaitement la loi et qui étaient malheureux, soit parce qu’ils
étaient déjà spirituels et qu’en les privant des biens temporels c’était le
moyen d’éprouver leur vertu, soit parce que ceux qui accomplissaient
extérieurement les œuvres de la loi avaient le cœur tout entier attaché aux
biens temporels et éloigné de Dieu, d’après ces paroles d’Isaïe (Is., 29, 13) : Ce
peuple m’honore des lèvres, mais leur cœur est loin de moi.
Mais
c’est le contraire. Le prophète dit (Is., 1, 19) : Si vous voulez m’écouter, vous serez
rassasiés des biens de la terre. Si vous ne le voulez pas et si vous m’irritez
contre vous, le glaive vous dévorera.
Conclusion
Il était convenable que la loi ancienne se servît des promesses et des menaces
temporelles pour mener à Dieu des hommes qui n’avaient d’affection que pour les
biens terrestres et passagers.
Il
faut répondre que, comme dans les sciences spéculatives les hommes sont portés
à donner leur assentiment aux conséquences par l’intermédiaire du raisonnement,
de même dans toutes les lois les hommes sont portés à en observer les préceptes
par les récompenses et les peines. Or, nous voyons que dans les sciences
spéculatives on fait usage d’arguments proportionnés à l’intelligence de celui
qu’on instruit. Par conséquent comme il faut dans les sciences procéder avec
ordre, en partant de ce qu’il y a de plus connu, de même il faut que celui qui
veut porter les hommes à observer des préceptes commence par les toucher
d’après ce qu’ils ont le plus à cœur. C’est ainsi qu’on engage les enfants à
faire quelque chose en leur donnant de petits présents. D’ailleurs nous avons
vu (quest. 98, art. 1 à 3) que la loi ancienne disposait à l’avènement du
Christ, comme l’imparfait mène au parfait. Elle a donc été donnée à un peuple
qui était encore imparfait comparativement à la perfection qu’il devait avoir
par le Christ. C’est pourquoi saint Paul compare la nation juive à un enfant
qui est sous un maître (Gal., chap. 3).
Or, la perfection de l’homme exige qu’il méprise les biens temporels pour
s’attacher aux biens spirituels, comme on le voit par ces paroles du même
Apôtre (Philipp., 3, 13) : Oubliant ce qui est derrière moi, je m’avance
vers ce qui est devant moi… et tout ce que nous sommes de parfaits, nous devons
avoir le même sentiment. Il appartient au contraire aux imparfaits de
désirer les biens temporels, mais par rapport à Dieu ; tandis que c’est aux
méchants à placer leur fin dans ces mêmes biens. Par conséquent, il était
convenable que la loi ancienne se servît des biens temporels que les hommes
imparfaits avaient profondément en affection, pour mener ces mômes hommes à
Dieu.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de
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