Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

1a 2ae = Prima Secundae = 1ère partie de la 2ème Partie

Question 101 : Des préceptes cérémoniels considérés en eux-mêmes

 

          Après avoir parlé des préceptes moraux, nous devons nous occuper des préceptes cérémoniels. Nous parlerons l° de ces préceptes considérés en eux-mêmes ; 2° de leur cause ; 3° de leur durée. — Sur le premier point quatre questions se présentent : 1° Quelle est la nature des préceptes cérémoniels ? (Le concile de Trente a indiqué la raison pour laquelle on a établi des cérémonies dans la loi ancienne comme dans la loi nouvelle (Voy. sess. 22, chap. 5).) — 2° Sont-ils figuratifs ? (Tous les Pères se sont attachés à montrer ce que ces préceptes avaient de figuratif. Le pape Eugène IV a déclaré que tel était leur caractère au concile de Florence au nom du concile, dans le décret où il décide qu’ils sont tous abrogés.) — 3° Ont-ils dû être multiples ? — 4° De leur distinction. (La division indiquée ici par saint Thomas est suivie par la plupart des théologiens, et le pape Eugène IV l’a adoptée au concile de Florence : Sacro-sancta Romana Ecclesia firmiter credit, profitetur et docet legalia Veteris Testamenti seu Mosaïcæ legis : quæ dividuntur in cæremonias, sacra, sacrificia, sacramenta cessasse.)

 

Article 1 : La nature des préceptes cérémoniels consiste-t-elle en ce qu’ils appartiennent au culte de Dieu ?

 

          Objection N°1. Il semble que la nature des préceptes cérémoniels ne consiste pas en ce qu’ils appartiennent au culte de Dieu. Car dans la loi ancienne on commandait aux Juifs de s’abstenir de viandes, comme on le voit (Lév., chap. 11), de ne pas faire usage de certains vêtements. Ainsi il est dit (Lév., 19, 19) : Vous ne porterez- point de robes tissues de fils différents. Et ailleurs il leur est défendu (Nom., 15, 38) de mettre des franges aux quatre coins de leurs manteaux. Or, ces préceptes ne sont pas des préceptes moraux, puisqu’ils n’existent pas dans la loi nouvelle. Ce ne sont pas non plus des préceptes judiciels, puisqu’ils ne se rapportent pas au jugement que l’on doit porter entre les hommes. Ce sont donc des préceptes cérémoniels, et comme ils n’appartiennent en rien au culte de Dieu, il semble que ce caractère ne soit pas de l’essence de ces préceptes.

          Réponse à l’objection N°1 : Ce qui appartient au culte de Dieu comprend non seulement les sacrifices et les autres choses qui paraissent se rapporter à Dieu immédiatement, mais encore la préparation convenable de ceux qui adorent le Seigneur ; comme la science qui a pour objet une fin comprend en même temps tout ce qui est une préparation à cette fin. Or, les préceptes que la loi renferme sur les vêtements et la nourriture de ceux qui adorent Dieu regardent la préparation de ses ministres, pour qu’ils soient aptes au culte divin, comme ceux qui sont au service d’un roi font usage d’observances toutes particulières. C’est pour ce motif que ces préceptes sont compris parmi les préceptes cérémoniels.

 

          Objection N°2. Il y a des auteurs qui disent qu’on appelle préceptes cérémoniels ceux qui appartiennent aux solennités, comme s’ils tiraient leurs noms des cierges (cereis) qu’on brûle dans cette circonstance. Or, indépendamment des préceptes qui se rapportent aux solennités, il y en a beaucoup d’autres qui appartiennent au culte de Dieu. Il semble donc qu’on n’appelle pas cérémoniels les préceptes de la loi, parce qu’ils se rapportent au culte de Dieu.

          Réponse à l’objection N°2 : Cette interprétation ne paraît pas très convenable, d’autant plus qu’on ne trouve guère dans la loi qu’on ait brûlé des cierges dans les solennités. Mais on préparait sur le candélabre des flambeaux qu’on alimentait avec de l’huile d’olive, comme on le voit (Lév., chap. 24). — Néanmoins on peut dire que dans les solennités on observait avec plus de soin toutes les autres choses qui appartenaient au culte, et que dans ce sens tous les préceptes cérémoniels sont compris dans l’observation des fêtes.

 

          Objection N°3. D’après d’autres auteurs on les nomme cérémoniels parce qu’ils sont les règles (norma) du salut. Car le mot grec χαϊρε a le même sens que le mot latin salve (salut). Or, tous les préceptes de la loi sont des règles du salut, et il n’y a pas que ceux qui appartiennent au culte de Dieu. Donc ces derniers ne sont pas les seuls qui reçoivent le nom de cérémoniels.

          Réponse à l’objection N°3 : Cette explication ne paraît pas non plus très satisfaisante ; car le mot cérémonie n’est pas un mot grec, mais un mot latin. — On peut dire néanmoins que le salut de l’homme venant de Dieu, on considère surtout comme des règles de salut les préceptes cérémoniels qui mettent l’homme en rapport avec lui ; et qu’ainsi on appelle cérémoniels les préceptes qui appartiennent au culte de Dieu.

 

          Objection N°4. Le rabbin Moïse (Le rabbin Moïse ; saint Thomas désigne ici Maimonide, ou Moïse fils de Maimon, qui fut le rabbin le plus célèbre qu’aient eu les Juifs. Il naquit à Cordoue vers l’an 1139 et mourut en 1209 ; il fut enterré à Tibériade.) a dit (Lib. dux errant., chap. 27 et 28) qu’on appelle cérémoniels les préceptes dont la raison n’est pas évidente. Or, il y a beaucoup de préceptes qui appartiennent au culte de Dieu et dont la raison est évidente, comme l’observation du sabbat, la célébration de la Pâque, la scénopégie (On appelait ainsi la fête des Tabernacles dont il sera d’ailleurs parlé (quest. 102, art. 4, réponse N°10).) et plusieurs autres dont la loi elle-même explique le motif. Donc les préceptes cérémoniels ne sont pas ceux qui appartiennent au culte de Dieu.

          Réponse à l’objection N°4 : Cette raison des préceptes cérémoniels est probable sous un aspect. Ce n’est pas qu’on les appelle cérémoniels parce que leur raison n’est pas évidente, mais ce défaut d’évidence est une conséquence de leur nature, parce que les préceptes qui appartiennent au culte de Dieu devant être figuratifs, comme on le verra (art. suiv.), il s’ensuit que leur raison n’est pas aussi manifeste.

 

          Mais c’est le contraire. Il est dit (Ex., 18, 19) : Donnez-vous au peuple pour toutes les choses qui regardent Dieu… pour apprendre au peuple les cérémonies et la manière d’honorer Dieu.

 

          Conclusion Puisque le propre des préceptes cérémoniels est de déterminer les préceptes qui se rapportent à Dieu, il est certain qu’on doit appeler cérémoniels, proprement parler, les préceptes qui appartiennent au culte de Dieu.

          Il faut répondre qu’ainsi que nous l’avons dit (quest. 99, art. 4), les préceptes cérémoniels déterminent les préceptes moraux par rapport à Dieu, comme les préceptes judiciels déterminent les préceptes moraux par rapport au prochain. Et puisque l’homme se rapporte à Dieu par le culte qui lui est dû, il s’ensuit que les préceptes cérémoniels proprement dits sont ceux qui appartiennent au culte de Dieu. — Nous avons donné la cause de ce nom lorsque nous avons distingué les préceptes cérémoniels des autres (quest. 99, art. 3).

 

Article 2 : Les préceptes cérémoniels sont-ils figuratifs ?

 

          Objection N°1. Il semble que les préceptes cérémoniels ne soient pas figuratifs. Car il est du devoir de tout docteur de s’exprimer de manière à être facilement compris, comme le dit saint Augustin (De doct. christ., liv. 4, chap. 4 et 10), et il semble que ce soit surtout nécessaire à un législateur ; parce que les préceptes de la loi sont proposés au peuple, et par conséquent la loi doit être claire, comme l’observe saint Isidore (Etym., liv. 5, chap. 21). Si donc les préceptes cérémoniels ont été établis pour figurer quelque chose, il semble que Moïse ait eu tort de ne pas expliquer ce qu’ils signifiaient.

          Réponse à l’objection N°1 : On ne doit révéler les choses divines aux hommes qu’autant qu’ils en sont capables. Autrement ce serait leur fournir une occasion de chute, puisqu’ils mépriseraient ce qu’ils ne pourraient comprendre. C’est pourquoi il a été plus utile de faire connaître aux Juifs grossiers les mystères divins sous le voile des figures, afin que du moins ils en eussent une connaissance implicite, puisque par ces ligures ils rendaient hommage au vrai Dieu.

 

          Objection N°2. Les choses que l’on fait pour rendre un culte à Dieu doivent être de la plus grande décence. Or, il semble qu’il n’appartienne qu’aux acteurs ou aux poètes de faire des actes pour en représenter d’autres ; car autrefois on représentait sur les théâtres d’autres actions au moyen de celles qu’on mettait sous les yeux des spectateurs. Il semble donc qu’on ne doive rien faire de semblable pour le culte de Dieu, et puisque les préceptes cérémoniels se rapportent à lui, comme nous l’avons dit (art. préc.), il s’ensuit qu’ils ne doivent pas être figuratifs.

          Réponse à l’objection N°2 : Comme la raison humaine ne perçoit pas les choses poétiques, parce qu’elles manquent de vérité, de même elle ne peut saisir parfaitement les choses divines, parce que leur vérité la dépasse. C’est pourquoi dans l’une et l’autre circonstance on a besoin d’avoir recours à des images sensibles.

 

          Objection N°3. Saint Augustin dit (Ench., chap. 3) qu’on honore Dieu surtout par la foi, l’espérance et la charité. Or, les préceptes qui ont pour objet la foi, l’espérance et la charité ne sont pas figuratifs. Donc les préceptes cérémoniels ne doivent pas l’être.

          Réponse à l’objection N°3 : Saint Augustin parle en cet endroit du culte intérieur, auquel le culte extérieur doit nécessairement se rapporter, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.).

 

         Objection N°4. Notre-Seigneur dit (Jean, 4, 24) : Dieu est esprit, et il faut que ceux qui l’adorent, l’adorent en esprit et en vérité. Or, la figure n’est pas la vérité ; au contraire elle s’en distingue par opposition. Donc les préceptes cérémoniels qui appartiennent au culte de Dieu ne doivent pas être figuratifs.

          Réponse à l’objection N°4 : Il faut répondre de même que pour la troisième, parce que les hommes sont arrivés plus pleinement par le Christ au culte spirituel de Dieu.

 

          Mais c’est le contraire. L’Apôtre dit (Col., 2, 16) : Que personne ne vous condamne à présent pour le manger et pour le boire, ou au sujet des jours de fêtes, des nouvelles lunes et des jours de sabbat, puisque toutes ces choses n’étaient que l’ombre de celles qui devaient arriver (On peut voir à cet égard le chap. 9 de l’Epitre de saint Paul aux Hébreux.).

 

          Conclusion Comme on ne doit livrer aux hommes les mystères divins que selon qu’ils en sont capables, de peur qu’ils ne méprisent ce qu’ils ne peuvent comprendre, c’est avec raison qu’on a prescrit à ce peuple grossier les préceptes cérémoniels de la loi ancienne sous le voile des figures sensibles.

          Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. préc.), on appelle préceptes cérémoniels ceux qui se rapportent au culte de Dieu. Or, il y a deux sortes de culte, le culte intérieur et le culte extérieur. L’homme étant composé d’un corps et d’une âme, il doit employer l’un et l’autre à honorer Dieu, de telle sorte que l’âme le serve par un culte intérieur et le corps par un culte extérieur. C’est ce qui fait dire au Psalmiste (Ps., 83, 3) : Mon cœur et ma chair sont brûlés d’ardeur pour le Dieu vivant. Et comme le corps se rapporte à Dieu par l’âme, de même le culte extérieur se rapporte au culte intérieur. Or, le culte intérieur consiste en ce que l’âme est unie à Dieu par l’intelligence et la volonté. C’est pourquoi selon les différentes manières dont l’intelligence et la volonté de celui qui honore Dieu peuvent être légitimement unies à lui, les actes extérieurs de l’homme peuvent de différentes manières se rapporter au culte divin. — En effet dans l’état de la béatitude future l’entendement humain verra la vérité divine en elle-même. Alors le culte extérieur ne consistera pas en figure ; il s’exprimera uniquement par la louange qui procède de la connaissance et de l’affection intérieure, suivant ces paroles du prophète (Is., 51, 3) : On verra dans Sion la joie et l’allégresse, on y entendra des actions de grâces et des cantiques de louange. Dans l’état de la vie présente nous ne pouvons voir la vérité divine en elle-même (Selon le langage de l’Apôtre, nous ne le voyons maintenant qu’en énigme, mais nous le verrons dans le ciel face à face.), il faut que ses rayons brillent à nos yeux sous des images sensibles, selon l’expression de saint Denis (De cœl. hier., chap. l), mais de différentes manières, selon les divers états de la connaissance humaine. Car dans l’ancienne loi la vérité divine n’était pas évidente en elle-même, et la voie pour y parvenir n’était pas ouverte, comme le dit l’Apôtre (Héb., chap. 9). C’est pourquoi il fallait que le culte extérieur de l’ancienne loi ne figurât pas seulement la vérité future qui doit nous être manifestée dans le ciel, mais il devait encore figurer le Christ qui est la voie qui mène à la céleste patrie. Au contraire dans l’état de la loi nouvelle cette voie nous est révélée. Elle n’a donc plus besoin d’être figurée à l’avance comme une chose à venir. Il faut plutôt qu’on la rappelle comme une chose passée ou présente. Il n’y a plus maintenant à figurer que la vérité future de la gloire qui ne nous a pas encore été révélée, et c’est ce que dit l’Apôtre (Héb., 10, 1) : La loi avait l’ombre des biens futurs, mais non l’image des choses mêmes qu’elle représentait. Car l’ombre étant moins que l’image, il nous fait entendre que l’image appartient à la loi nouvelle et l’ombre à la loi ancienne.

 

Article 3 : Fallait-il qu’il y eût beaucoup de préceptes cérémoniels ?

 

          Objection N°1. Il semble qu’il ne fallait pas qu’il y eût beaucoup de préceptes cérémoniels. Car les moyens doivent être proportionnés à la fin. Or, les préceptes cérémoniels, comme nous l’avons dit (art. 1 et 2), avaient pour but d’honorer Dieu et de figurer Jésus-Christ. Puisqu’il n’y a qu’un Dieu duquel tout procède et qu’il n’y a qu’un seul Seigneur Jésus-Christ par lequel tout a été fait, selon l’expression de l’Apôtre (1 Cor., 8, 6), il s’ensuit que les préceptes cérémoniels ne devaient pas être multipliés.

          Réponse à l’objection N°1 : Quand un moyen est suffisant pour arriver à une fin, il n’en faut qu’un pour l’atteindre ; comme il ne faut qu’une médecine, si elle est assez efficace, pour recouvrer la santé. Dans ce cas il n’est pas nécessaire d’en employer plusieurs. Mais par suite de la faiblesse et de l’imperfection du moyen on est obligé de le multiplier. C’est ainsi qu’on donne beaucoup de remèdes à un malade quand un seul ne suffit pas pour le guérir. Or, les cérémonies de l’ancienne loi étaient imparfaites et impuissantes pour représenter le mystère du Christ qui est ce qu’il y a de plus excellent, et pour soumettre les esprits des hommes à Dieu. C’est ce qui a fait dire à l’Apôtre (Héb., 7, 18) : La première loi a été abolie, à cause de sa faiblesse et de son inutilité, parce qu’elle n’a rien conduit à la perfection. C’est pour cette raison qu’il a fallu multiplier les cérémonies.

 

          Objection N°2. La multitude des préceptes cérémoniels était une occasion de transgression, d’après ces paroles de saint Pierre (Actes, 5, 10) : Pourquoi tentez-vous Dieu, en plaçant sur la tête des disciples un joug que ni nous, ni nos pères n’avons pu porter ? Or, la transgression des préceptes de Dieu est contraire au salut de l’homme. Par conséquent, puisque toute loi doit avoir pour effet de sauver les hommes, comme le dit saint Isidore (Etym., liv. 5, chap. 3), il semble qu’on n’aurait pas dû faire une foule de préceptes cérémoniels.

          Réponse à l’objection N°2 : Il est d’un législateur sage de permettre de faibles transgressions pour en éviter de plus grandes. C’est pourquoi, pour empêcher le crime de l’idolâtrie et celui de l’orgueil qui serait né dans le cœur des Juifs, s’ils avaient accompli tous les préceptes de la loi, Dieu a eu soin de multiplier les préceptes cérémoniels pour multiplier par là même les occasions de chute.

 

          Objection N°3. Les préceptes cérémoniels appartenaient au culte extérieur de Dieu et au culte corporel, comme nous l’avons dit (art. préc.). Or, la loi devait affaiblir ce culte corporel, puisqu’elle se rapportait au Christ qui a appris aux hommes à adorer Dieu en esprit et en vérité, comme on le voit (Jean, chap. 4). On n’aurait donc pas dû multiplier ces préceptes.

          Réponse à l’objection N°3 : La loi ancienne affaiblit le culte corporel dans beaucoup de points : c’est pour cela qu’elle établit qu’on n’offrirait pas des sacrifices en tout lieu, et que tout le monde n’aurait pas le droit de les offrir. Elle renferme encore beaucoup d’autres observances qui ont le même but, comme le remarque Moïse l’Egyptien (Saint Thomas lui donne le surnom d’Egyptien, parce que Maïmonide s’était enfui en Egypte où il fit quelque temps le commerce des pierreries et où il exerça la médecine ; ce qui le fit désigner sous le nom d’Egyptiens. Nicolaï suppose à tort que ce Moïse n’est pas le même que Maimonide.). Toutefois il ne fallait pas tellement affaiblir le culte corporel de Dieu que les hommes fussent entraînés au culte des dieux.

 

          Mais c’est le contraire. Il est dit dans Osée (8, 12) : Je leur avais prescrit un grand nombre de lois, et dans Job (11, 6) : Dieu vous a parlé pour vous découvrir les secrets de sa sagesse et la multitude des préceptes de sa loi.

 

          Conclusion Pour détourner les méchants de l’idolâtrie à laquelle ils étaient absolument enclins, et pour développer dans les bons l’amour de Dieu, en les engageant à élever souvent leurs cœurs vers lui, il était bon que dans l’ancienne loi il y eût une foule de préceptes cérémoniels.

          Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (quest. 90, art. 2 et 3, et quest. 96, art. 1), toute loi est faite pour un peuple. Dans un peuple il y a toujours deux espèces d’hommes. Les uns sont portés au mal et ils doivent être contenus par les préceptes de la loi, ainsi que nous l’avons vu (quest. 95, art. 1) ; les autres sont portés au bien ou par la nature, ou par l’habitude, ou par la grâce. La loi doit instruire ces derniers et les porter à se perfectionner de plus en plus. Par rapport à ces deux espèces d’hommes, il était convenable qu’il y eût dans la loi ancienne une multitude de préceptes cérémoniels. Car dans ce peuple il y en avait qui étaient portés à l’idolâtrie ; il était donc nécessaire qu’on les en détournât par des préceptes cérémoniels pour les attacher au culte de Dieu. Et, parce qu’ils étaient entraînés à l’idolâtrie d’une multitude de manières, il fallait établir une foule de préceptes pour réprimer chacune de ces tentations. Il fallait d’ailleurs imposer à ces Juifs charnels tant de prescriptions qu’ils fussent en quelque sorte forcés de rester attachés au culte de Dieu et qu’ils ne pussent se livrer à l’idolâtrie. — Relativement à ceux qui étaient portés au bien, il fut également nécessaire de multiplier les préceptes cérémoniels, soit parce que c’était un moyen d’élever de différentes manières leur esprit vers Dieu et de l’y maintenir plus assidûment, soit parce que le mystère du Christ que ces préceptes représentaient apporta au monde une multitude de bienfaits, et qu’il y avait à ce sujet une foule de choses à considérer qu’il a fallu figurer par différentes cérémonies (En donnant la raison spéciale de chaque précepte cérémoniel, saint Thomas fait voir dans la question suivante qu’ils avaient tous le double caractère qu’il indique dans cet article.).

 

Article 4 : Les cérémonies de l’ancienne loi sont-elles convenablement divisées en sacrifices, sacrements, choses sacrées et observances ?

 

          Objection N°1. Il semble que les cérémonies de l’ancienne loi soient divisées à tort en sacrifices, sacrements, choses sacrées et observances. Car les cérémonies de l’ancienne loi figuraient le Christ. Or, il n’y avait de figuratifs que les sacrifices qui représentaient le sacrifice par lequel le Christ s’est offert comme oblation et comme hostie à Dieu, selon l’expression de l’Apôtre (Eph., 5, 2). Donc il n’y avait que les sacrifices qui fussent des préceptes cérémoniels.

          Réponse à l’objection N°1 : Les sacrifices devaient être offerts dans certains lieux et par des personnes déterminées et que tout cela appartient au culte de Dieu. Par conséquent comme les sacrifices figurent le Christ immolé, de même les sacrements et les choses sacrées de la loi ancienne figuraient les sacrements et les choses sacrées de la loi nouvelle, et les observances figuraient la vie que devait mener le peuple sous la loi évangélique (C’est ce qui se trouve démontré dans la question suivante.) ; ainsi toutes ces choses se rapportent au Christ.

 

          Objection N°2. La loi ancienne se rapportait à la loi nouvelle. Or, dans la loi nouvelle le sacrifice est le sacrement de l’autel. Donc dans la loi ancienne on n’aurait pas dû distinguer les sacrements des sacrifices.

          Réponse à l’objection N°2 : Le sacrifice de la loi nouvelle, c’est-à-dire l’eucharistie, renferme le Christ qui est l’auteur de la sanctification. Car il a sanctifié le peuple par son sang, comme le dit l’Apôtre (Héb., 13, 12). C’est pourquoi ce sacrifice est aussi un sacrement. Mais les sacrifices de la loi ancienne ne renfermaient pas le Christ, ils le figuraient seulement, et c’est pour cette raison qu’on ne les appelle pas des sacrements. D’ailleurs il y avait dans la loi ancienne des sacrements qui étaient la figure des nôtres, bien qu’il y eût des sacrifices qui s’adjoignissent à certaines consécrations.

 

          Objection N°3. On appelle sacré ce qui a été dédié à Dieu. C’est dans ce sens qu’on disait que le tabernacle et ses vases étaient sacrés. Or, tous les préceptes cérémoniels se rapportaient au culte de Dieu, comme nous l’avons dit (art. 1). Donc tous les préceptes cérémoniels étaient sacrés, et par conséquent on n’aurait pas dû faire une distinction spéciale pour les choses sacrées.

          Réponse à l’objection N°3 : Les sacrifices et les sacrements étaient aussi des choses sacrées, mais il y avait des choses sacrées, c’est-à-dire dédiées au culte de Dieu, qui n’étaient ni des sacrifices, ni des sacrements : c’est pour ce motif qu’elles conservaient le nom de choses sacrées.

 

          Objection N°4. Les observances viennent du verbe observer. Or, on devait observer tous les préceptes de la loi. Car il est dit (Deut., 8, 11) : Observez et prenez bien garde d’oublier jamais le Seigneur votre Dieu, et de négliger ses préceptes, ses lois et ses cérémonies. On ne doit donc pas considérer les observances comme une partie des préceptes cérémoniels.

          Réponse à l’objection N°4 : Les prescriptions qui concernaient la manière de vivre du peuple de Dieu conservaient en général le nom d’observances, parce qu’elles étaient inférieures aux choses sacrées. Car on ne les appelait pas des choses sacrées, parce qu’elles n’avaient pas un rapport immédiat au culte de Dieu, comme le tabernacle et ses vases, mais elles se rattachaient par voie de conséquence aux préceptes cérémoniels parce, qu’elles servaient à rendre le peuple propre au culte de Dieu.

 

          Objection N°5. On place parmi les préceptes cérémoniels les solennités, puisqu’elles étaient une ombre de l’avenir, comme on le voit (Col., chap. 2). On y place aussi les oblations et les présents, comme le dit saint Paul (Héb., chap. 9), et cependant ces choses ne paraissent renfermées dans aucune partie de la division précitée. Donc cette division n’est pas exacte.

          Réponse à l’objection N°5 : Comme on offrait les sacrifices dans un lieu déterminé, de même on les offrait aussi à des époques particulières. Par conséquent les solennités paraissent être rangées parmi les choses sacrées. Les oblations et les présents sont comptés parmi les sacrifices, parce qu’on les offrait à Dieu. C’est ce qui fait dire à l’Apôtre (Héb., 5, 1) : Tout Pontife est pris d’entre les hommes et est établi pour eux, en ce qui regarde le culte de Dieu, afin qu’il offre des dons et des sacrifices pour les péchés.

 

          Mais c’est le contraire. Dans l’ancienne loi on appelle cérémonie chacune des choses que nous avons désignées. En effet on appelle ainsi les sacrifices (Nom., 15, 24) : Ils offriront un veau avec l’oblation de la farine, comme le prescrivent les cérémonies. Il est dit du sacrement de l’ordre (Lév., 7, 35) : Voilà l’onction d’Aaron et de ses fils dans les cérémonies du Seigneur. On lit aussi à l’égard des choses sacrées (Ex., 38, 21) : Ce sont là tous les instruments de l’arche d’alliance énumérés par l’ordre de Moïse dans les cérémonies des lévites. Enfin au sujet des observances on trouve (3 Rois, 9, 6) : Si vous vous écartez en ne me suivant pas et en n’observant pas les cérémonies que je vous ai prescrites.

 

          Conclusion Les cérémonies de l’ancienne loi sont ou les sacrifices dans lesquels consiste tout particulièrement le culte de Dieu, ou les choses sacrées qui appartiennent aux instruments du culte divin ; ou les sacrements qui se rapportent à la sanctification du peuple ou des prêtres ; ou enfin les observances par lesquelles on distingue ceux qui honorent Dieu de ceux qui ne l’honorent pas.

          Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. 1 et 2), les préceptes cérémoniels se rapportent au culte de Dieu. On peut considérer dans le culte le culte lui-même, les individus qui le pratiquent, et les instruments dont ils se servent. Le culte lui-même consiste spécialement dans les sacrifices que l’on offre par respect pour Dieu. Les instruments du culte appartiennent aux choses sacrées, comme le tabernacle, les vases, etc. Par rapport aux individus on peut considérer deux choses : leur institution pour le culte divin, ce qui se fait par une consécration du peuple ou des ministres, et c’est à cela que se rapportent les sacrements ; et enfin leur manière de vivre par laquelle on les distingue de ceux qui n’adorent pas Dieu, et c’est à cette dernière chose qu’appartiennent les observances qui regardent la nourriture, les vêtements, etc.

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.

 

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