Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

1a 2ae = Prima Secundae = 1ère partie de la 2ème Partie

Question 102 : Des causes des préceptes cérémoniels

 

          Nous avons maintenant à nous occuper des causes des préceptes cérémoniels. A ce sujet six questions se présentent : 1° Les préceptes cérémoniels ont-ils une cause ? (Il n’y a rien dans les œuvres de Dieu qui n’ait une cause : Nihil in terrâ sine causâ fit (Job, chap. 5).) — 2° Ont-ils une cause littérale ou figurative ? — 3° Des causes des sacrifices. (Nous ferons observer ici que cette explication de la loi ancienne a toujours été considérée par tous les savants comme une des parties les plus admirables de la Somme. C’est le chef-d'œuvre de celui qui a fait autant de prodiges qu’il a écrit d’articles.) — 4° Des causes des choses sacrées. — 5° Des causes des sacrements. — 6° Des causes des observances.

 

Article 1 : Les préceptes cérémoniels ont-ils une cause ?

 

          Objection N°1. Il semble que les préceptes cérémoniels n’aient pas de cause. Car à l’occasion de ces paroles de l’Apôtre (Eph., 2, 15) : il a aboli la loi des ordonnances avec ses prescriptions, la glose dit (interl.) : annulant la loi ancienne quant aux observances charnelles par les décrets, ou les préceptes évangéliques qui sont conformes à la raison. Or, si les observances de l’ancienne loi avaient eu une raison d’être, les décrets raisonnables de la loi nouvelle les auraient en vain annulés. Donc ces observances cérémonielles n’en avaient pas.

          Réponse à l’objection N°1 : Les observances de l’ancienne loi considérées en elles-mêmes n’avaient pas de raison, par exemple il n’y avait pas de raison pour qu’un vêtement ne fût pas de laine et de lin. Mais considérées par rapport à leur fin, elles avaient une raison ; ainsi elles figuraient une chose ou excluaient une autre ; tandis que les décrets de la loi nouvelle, qui consistent principalement dans la foi et l’amour de Dieu, sont d’après la nature même de leur acte des choses raisonnables.

 

         Objection N°2. La loi ancienne a succédé à la loi de nature. Or, dans la loi de nature il y eut un précepte qui n’avait pas d’autre raison que d’éprouver l’obéissance de l’homme, comme le remarque saint Augustin (Sup. Gen. ad litt., liv. 8, chap. 6 et 13) en parlant de la défense qui portait sur l’arbre de vie. Il devait donc y avoir aussi dans la loi ancienne des préceptes qui eussent seulement pour objet d’éprouver l’homme et qui fussent par eux-mêmes sans raison.

          Réponse à l’objection N°2 : On ne défendit pas à nos premiers parents de toucher à l’arbre de la science du bien et du mal, parce que cet arbre était naturellement mauvais, mais cette défense eut sa raison par rapport à la fin à laquelle cet arbre se rapportait, c’est-à-dire relativement à ce qu’il avait de figuratif. C’est ainsi que les préceptes cérémoniels ont une raison d’être quand on les considère par rapport à leur fin.

 

          Objection N°3. On dit que les œuvres de l’homme sont morales, selon qu’elles procèdent de la raison. Par conséquent si les préceptes cérémoniels existaient pour une raison quelconque, ils ne différeraient pas des préceptes moraux. Il semble donc qu’ils n’aient pas de cause, car la raison du précepte se tire de sa cause.

          Réponse à l’objection N°3 : Les préceptes moraux considérés en eux-mêmes ont des causes raisonnables, comme ces préceptes : Vous ne tuerez, pas, vous ne volerez pas, tandis que les préceptes cérémoniels n’ont de causes raisonnables qu’autant qu’on les considère par rapport à leur fin, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.).

 

          Mais c’est le contraire. Il est dit (Ps. 18, 9) : Le précepte du Seigneur est lumineux, il éclaire les yeux. Or, les préceptes cérémoniels sont des préceptes de Dieu. Donc ils sont lumineux. Ce qui n’aurait pas lieu, s’ils n’avaient une cause raisonnable.

 

          Conclusion Puisque d’après l’Apôtre tout ce qui vient de Dieu est ordonné, il est nécessaire que les préceptes cérémoniels se rapportent à une fin d’après laquelle on puisse leur assigner des causes raisonnables.

          Il faut répondre que puisque le sage ordonne toutes choses, d’après Aristote (Met., liv. 1, chap. 2), il faut que ce qui procède de la divine sagesse ait été ordonné, comme le dit saint Paul (Rom., chap. 13). Or, pour que des choses soient ordonnées il faut deux conditions. La première c’est qu’elles se rapportent à la fin légitime qui est le principe de tout ordre en matière pratique ; car les choses qui arrivent par hasard, contrairement à l’intention finale qu’on avait, ou celles qui ne se font pas sérieusement, mais en plaisantant, nous disons qu’elles n’ont pas été ordonnées. La seconde c’est que le moyen soit proportionné à la fin. D’où il suit que la raison des moyens se tire de la fin, comme la raison de la disposition d’une scie provient de l’intention qu’on a eu de la faire couper, ce qui est la fin qu’on s’est proposée, comme le dit Aristote (Phys., liv. 2, text. 88). Or, il est évident que les préceptes cérémoniels, comme tous les autres préceptes de la loi, ont été établis par la divine sagesse. C’est pourquoi il est dit (Deut., 4, 6) : C’est votre loi qui fera paraître votre sagesse et votre intelligence devant les peuples. Il est donc nécessaire de reconnaître que les préceptes cérémoniels ont été établis pour une fin, d’après laquelle on peut assigner leurs causes raisonnables (Dans l’article suivant saint Thomas détermine quelle est la nature de ces causes.).

 

Article 2 : Les préceptes cérémoniels ont-ils une cause littérale ou seulement figurative ?

 

          Objection N°1. Il semble que les préceptes cérémoniels n’aient pas de cause littérale, mais qu’ils n’aient qu’une cause figurative. Car les principaux d’entre ces préceptes étaient la circoncision et l’immolation de l’agneau pascal. Or, ces deux choses n’avaient qu’une cause figurative, puisqu’elles avaient été données l’une et l’autre comme signe. En effet on lit dans la Genèse (17, 11) : Vous circoncirez votre chair, afin que cette circoncision soit la marque de l’alliance que je fais avec vous. Et il est dit à l’égard de la célébration de la Pâque (Ex., 13, 9) : Elle sera comme un signe dans votre main et comme un monument devant vos yeux. Donc à plus forte raison les autres préceptes cérémoniels n’ont-ils qu’une cause figurative.

          Réponse à l’objection N°1 : Comme l’intelligence du sens métaphorique dans les Ecritures est littéral, parce que les mots ont été employés précisément pour qu’ils aient cette signification, de même le sens des cérémonies légales qui sont commémoratives des bienfaits de Dieu ou de toute autre chose qui appartient à l’état présent de ce monde, ne sortent pas de l’ordre des causes littérales. Il faut donc qu’on dise de la célébration de la Pâque qu’elle est le signe de la délivrance de l’Egypte, et qu’on dise de la circoncision qu’elle est le signe de l’alliance que Dieu a faite avec Abraham ; ce qui se rapporte à la cause littérale.

 

          Objection N°2. L’effet est proportionné à sa cause. Or, tous les préceptes cérémoniels sont figuratifs, comme nous l’avons dit (quest. préc., art. 2). Donc ils n’ont qu’une cause figurative.

          Réponse à l’objection N°2 : Cette raison serait concluante, si les préceptes cérémoniels avaient été donnés exclusivement pour figurer l’avenir mais non pour honorer Dieu dans le présent.

 

          Objection N°3. Ce qui de soi peut être indifféremment d’une manière ou d’une autre, ne paraît pas avoir une cause littérale. Or, parmi les préceptes cérémoniels il y en a qui peuvent être exécutés indifféremment d’une manière ou d’une autre ; tel est, par exemple, le nombre des animaux qu’on doit offrir et toute autre circonstance particulière de cette nature. Donc les préceptes de l’ancienne loi n’ont pas une raison littérale.

          Réponse à l’objection N°3 : Comme dans les lois humaines nous avons dit (quest. 96, art. 1) qu’elles ont en général une raison, mais que relativement à leurs conditions particulières elles dépendent de la volonté de ceux qui les instituent, de même il y a dans les cérémonies de l’ancienne loi une foule de déterminations particulières, qui n’ont pas de cause littérale, mais qui n’ont qu’une cause figurative (C’est ce qui a égaré souvent les incrédules et ce qui les a empêchés de saisir le véritable sens de ces cérémonies. Alors ils en ont pris occasion de blasphémer ce qu’ils ignoraient.), bien que considérées en général ces mêmes cérémonies aient une cause littérale.

 

          Mais c’est le contraire. Comme les préceptes cérémoniels figuraient le Christ, de même aussi les histoires de l’Ancien Testament (La manière dont Eve fut formée de la cote d’Adam, l’arche de Noé et le sacrifice d’Abraham, sont autant de faits figuratifs.). Car il est dit (1 Cor., 10, 11) que tout se passait en figures. Or, dans les histoires de l’Ancien Testament, indépendamment du sens mystique ou figuré il y a encore le sens littéral. Donc les préceptes cérémoniels indépendamment des causes figuratives avaient encore des causes littérales.

 

          Conclusion Puisque la raison des moyens doit se prendre de la fin, les cérémonies de l’ancienne loi doivent avoir une raison littérale, selon qu’elles se rapportent au culte de Dieu, et elles doivent avoir une raison mystique, selon qu’elles figurent le Christ.

          Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. préc.), la raison des moyens doit se prendre de la fin. Or, les préceptes cérémoniels avaient deux sortes de fin. Ils étaient établis pour honorer Dieu dans un temps et pour figurer le Christ ; comme les paroles des prophètes regardaient le temps présent et étaient à la fois la figure de l’avenir, selon la remarque de saint Jérôme (Sup. Os., chap. 1, Abiit et accepit). On peut donc par conséquent considérer les raisons des préceptes cérémoniels de l’ancienne loi de deux manières : 1° par rapport au culte divin que l’on devait observer à cette époque ; et ces raisons sont littérales, soit qu’elles aient pour but d’éviter l’idolâtrie, soit qu’elles rappellent quelques-uns des bienfaits de Dieu ; soit qu’elles manifestent l’excellence de la Divinité ; soit qu’elles indiquent la disposition d’esprit qui était alors exigée des adorateurs de Dieu (Toutes ces disjonctions indiquent autant de points de vue particuliers sous lesquels on peut envisager les préceptes cérémoniels dans leur sens littéral.). 2° On peut assigner leurs causes ou leurs raisons selon qu’ils étaient établis pour figurer le Christ. Sous ce rapport leurs raisons étaient figuratives et mystiques, soit qu’on les applique au Christ et à l’Eglise, ce qui appartient au sens allégorique, soit qu’on les applique aux mœurs des chrétiens, ce qui constitue le sens moral, soit qu’on les rapporte à la gloire future où le Christ doit nous introduire, ce qui revient au sens anagogique.

 

Article 3 : Peut-on assigner une raison convenable des cérémonies qui appartiennent aux sacrifices ?

 

          Objection N°1. Il semble qu’on ne puisse pas assigner une raison convenable des cérémonies qui appartiennent aux sacrifices. Car on offrait en sacrifice ce qui est nécessaire pour soutenir la vie de l’homme, comme des animaux et des pains. Or, Dieu n’a pas besoin d’un tel soutien, suivant ces paroles du Psalmiste (Ps. 49, 13) : Mangerai-je les chairs de vos taureaux ou boirai-je le sang de vos boucs ? Donc c’est à tort qu’on offrait à Dieu ces sacrifices.

          Réponse à l’objection N°1 : Dieu ne voulait pas qu’on lui offrit ces sacrifices à cause des choses offertes, comme s’il en avait eu besoin. Aussi il dit (Is., 1, 11) : Les holocaustes de vos béliers, et la graisse de vos troupeaux, et le sang de vos génisses, de vos agneaux et de vos boucs, je n’en veux pas. Mais il voulait qu’on les lui offrît, comme nous l’avons dit (art. préc.), soit pour détourner les Juifs de l’idolâtrie, soit pour exprimer la manière dont le cœur de l’homme devait se rapporter à lui, soit pour figurer le mystère de la Rédemption du genre humain par le Christ.

 

          Objection N°2. On n’offrait pour le sacrifice divin que trois genres de quadrupèdes, des bœufs, des brebis et des boucs ; en fait d’oiseaux on offrait en général des tourterelles et des colombes ; sauf pour la purification des lépreux où l’on faisait un sacrifice de passereaux. Or, il y a beaucoup d’autres animaux plus nobles que ceux-là, et puisqu’on doit offrir à Dieu ce qu’il y a de meilleur, il semble qu’on n’aurait pas dû seulement offrir ces choses en sacrifices.

          Réponse à l’objection N°2 : Relativement à toutes ces choses il y a eu une raison de convenance pour laquelle on offrait à Dieu ces animaux et on ne lui en offrait pas d’autres. 1° C’était pour détourner de l’idolâtrie ; parce que les idolâtres offraient tous les autres animaux à leurs dieux ou s’en servaient pour des maléfices. Les Egyptiens, au milieu desquels les Juifs avaient vécu, avaient en abomination le meurtre des animaux que Moïse fit offrir, et c’est pour cette raison qu’ils ne les sacrifiaient pas à leurs dieux. Aussi est-il dit dans la loi (Ex., 8, 26) : Nous immolerons au Seigneur notre Dieu les animaux dont la mort est une abomination aux yeux des Egyptiens. Car les Egyptiens adoraient les brebis et les boucs, parce que c’était sous leur figure que les démons leur apparaissaient, et ils se servaient des bœufs pour l’agriculture dont ils faisaient une chose sacrée. 2° Ces sacrifices étaient convenables pour exprimer les rapports qui doivent exister entre l’esprit de l’homme et Dieu, et cela pour deux motifs : d’abord parce que ce sont surtout ces animaux qui soutiennent la vie de l’homme, et que par là même qu’ils sont très purs ils se nourrissent d’aliments qui sont très purs aussi. Les autres animaux sont au contraire des animaux sauvages qui ne servent pas généralement à l’usage de l’homme, ou si ce sont des animaux domestiques, ils se nourrissent d’aliments grossiers et immondes, comme le porc et la poule. Or, on ne doit offrir à Dieu que ce qui est pur. On offrait tout particulièrement des colombes et des tourterelles, parce que ces oiseaux étaient très communs dans la terre promise. Ensuite la pureté de l’esprit est désignée par l’immolation de ces animaux. Car, comme le dit la glose (Cette citation est tirée de la glose manuscrite d’Hésychius.) (in proœm. ad Levit., vers. fin.), nous offrons un veau, quand nous triomphons de l’orgueil de la chair ; un agneau quand nous réprimons les mouvements contraires à la raison ; un bouc quand nous sommes maîtres de nos passions charnelles ; une tourterelle quand nous conservons la chasteté ; des pains azymes, quand nous sommes à l’égard de nos semblables remplis de la plus grande sincérité. Quant à la colombe il est évident qu’elle désigne la simplicité et la chasteté du cœur. 3° Il a été convenable d’offrir ces animaux en figure du Christ, parce que, comme on le voit au même endroit de la glose, le Christ est immolé sous la figure du veau à cause de la vertu de la croix, sous celle de l’agneau à cause de son innocence, sous celle du bélier à cause de sa puissance, sous celle du bouc parce qu’il a pris la ressemblance de notre chair de péché. La tourterelle et la colombe montraient l’union des deux natures, ou si l’on veut la tourterelle représentait la chasteté et la colombe la charité, et l’aspersion de la farine de froment figurait les chrétiens qui devaient être lavés par l’eau du baptême.

 

          Objection N°3. Comme l’homme tient de Dieu l’empire qu’il exerce sur les oiseaux du ciel et sur les bêtes de la terre, de même celui qu’il a sur les poissons. Donc c’est à tort que les poissons étaient exclus des sacrifices divins.

          Réponse à l’objection N°3 : Les poissons qui vivent dans l’eau sont plus étrangers à l’homme que les autres animaux qui vivent dans l’air, comme l’homme lui-même. De plus, une fois que les poissons sont hors de l’eau ils meurent immédiatement ; ils ne pouvaient donc pas être offerts dans le temple comme les autres animaux.

 

          Objection N°4. La loi ordonnait indifféremment d’offrir des tourterelles et des colombes. Par conséquent, comme il était commandé d’offrir les petits des colombes, on aurait dû de même offrir aussi les petits des tourterelles.

          Réponse à l’objection N°4 : Les tourterelles sont meilleures que leurs petits, tandis que c’est le contraire pour les colombes. C’est pourquoi, comme le dit Maimonide (liv. 3, Dux errant., chap. 47), la loi ordonne d’offrir des tourterelles et les petits des colombes ; parce qu’on doit offrir à Dieu tout ce qu’on a de mieux.

 

          Objection N°5. Dieu est l’auteur de la vie non seulement des hommes, mais encore des animaux, comme on le voit par ce qui est dit (Gen., chap. 1). Or, la mort étant opposée à la vie, on n’aurait donc pas dû offrir à Dieu des animaux tués, mais des animaux vivants ; surtout puisque l’Apôtre nous exhorte (Rom., 12, 1) à lui offrir nos corps comme une hostie vivante, sainte et agréable à ses yeux.

          Réponse à l’objection N°5 : On tuait les animaux offerts en sacrifice parce que les hommes ne les mangent qu’après qu’ils sont tués, et on les faisait passer par le feu, parce que c’est ainsi que se prépare notre nourriture. De même le meurtre des animaux désignait la destruction des péchés, et il indiquait que les hommes avaient mérité la mort par leurs crimes, comme si l’on avait tué ces animaux à leur place pour signifier l’expiation de leurs iniquités. Le meurtre de ces animaux figurait aussi le meurtre du Christ.

 

          Objection N°6. Si les animaux n’étaient offerts à Dieu qu’après qu’ils étaient tués, il semble qu’il était indifférent de les faire périr d’une manière ou d’une autre. C’est donc à tort que l’on détermine le mode d’immolation, surtout à l’égard des oiseaux, comme on le voit (Lév., chap. 1).

          Réponse à l’objection N°6 : La loi déterminait une manière particulière de tuer les animaux immolés, pour exclure celles que les idolâtres employaient en sacrifiant à leurs idoles. Ou bien, d’après Moïse Maimonide (loc. cit., chap. 49), la loi a choisi le genre de mort qui devait le moins faire souffrir les animaux que l’on tuait, et par là elle empêchait ceux qui les offraient d’être cruels, et le corps des animaux était moins dégradé.

 

          Objection N°7. Tout défaut dans un animal mène à la corruption et à la mort. Si donc on offrait à Dieu des animaux tués, on a eu tort de défendre l’immolation d’un animal imparfait, tel que d’un animal boiteux, ou aveugle, ou qui eût quelque tache.

          Réponse à l’objection N°7 : Les animaux qui ont des taches sont ordinairement peu recherchés, et c’est pour cette raison qu’on a défendu de les offrir à Dieu en sacrifices. C’est aussi pour cela qu’il était défendu d’offrir dans la maison de Dieu l’argent d’une prostituée ou le prix d’un chien (Deut., 23, 18). Pour la même cause on n’offrait pas d’animaux avant leur septième jour, parce que ces animaux étaient encore comme des fruits avortés qui sont sans consistance.

 

          Objection N°8. Ceux qui offrent des hosties à Dieu doivent y participer, d’après ce mot, de l’Apôtre (1 Cor., 10, 18) : Ceux qui mangent les hosties ne participent-ils pas de l’autel ? C’est donc à tort que l’on enlevait certaines parties des victimes à ceux qui les offraient, comme le sang, la graisse, la poitrine et l’épaule droite.

          Réponse à l’objection N°8 : Il y avait trois genres de sacrifice. L’un qu’on brûlait tout entier et qu’on appelait l’holocauste (Ce mot vient des mots grecs δλον qui signifie tout entier, et καὑστον, brûlé.) parce qu’il était tout à fait consumé. On offrait à Dieu ce sacrifice spécialement par respect pour sa majesté et par amour pour sa bonté. Il convenait à l’état de perfection de ceux qui suivent les conseils. C’est pourquoi il était brûlé tout entier, afin de montrer que comme l’animal réduit en vapeurs s’élevait tout entier dans les airs, de même l’homme et tout ce qui lui appartient est soumis au domaine de Dieu et doit lui être offert. — L’autre était le sacrifice pour le péché. On l’offrait à Dieu pour la rémission des péchés. Il convenait à l’état des pénitents qui satisfont pour leurs crimes. Il était divisé en deux parts, dont l’une était brûlée et l’autre servait à l’usage des prêtres pour indiquer que l’expiation des péchés est une œuvre que Dieu accomplit par le ministère des prêtres. Seulement quand on offrait ce sacrifice pour le péché du peuple entier, ou spécialement pour le péché d’un prêtre, alors on le brûlait tout entier. Car les prêtres ne devaient pas faire usage de ce qu’ils offraient pour leur péché, afin qu’il ne restât rien du péché en eux et parce que dans ce cas il n’y aurait pas eu de satisfaction pour le péché, puisque si ceux qui offrent une chose pour leur péché en faisaient usage, ce serait comme s’ils ne l’offraient pas. — Le troisième sacrifice était appelé l’hostie pacifique (A l’égard de tous ces sacrifices on peut consulter avec fruit les explications que donne Mézenguy dans son Ancien Testament et le Traité du sacrifice de Jésus-Christ, par Plowden.). On l’offrait à Dieu en action de grâce, ou pour le salut et la prospérité de ceux qui l’offraient, en retour d’un bienfait que l’on devait recevoir ou que l’on avait reçu. Il convenait à l’état de ceux qui progressent en accomplissant les commandements. On le divisait en trois parts : la première était brûlée en l’honneur de Dieu ; la seconde était mangée par les prêtres ; la troisième par ceux qui l’offraient pour montrer que le salut de l’homme vient de Dieu, sous la direction de ses ministres et avec la coopération de ceux qui sont sauvés. On avait soin en général que le sang et la graisse ne fussent donnés ni aux prêtres, ni à ceux qui offraient le sacrifice. Le sang était répandu sur le bord de l’autel en l’honneur de Dieu et la graisse était brûlée sur le feu. Ces prescriptions avaient pour but de : 1° détourner de l’idolâtrie. Car les idolâtres buvaient le sang de leurs victimes et en mangeaient les graisses, d’après ces paroles (Deut., 32, 38) : Ils mangeaient la graisse de leurs victimes et ils buvaient le vin de leurs sacrifices. 2° Elles servaient ensuite à moraliser le peuple. En effet, on défendait aux Juifs l’usage du sang pour qu’ils eussent horreur de le répandre. Ainsi il est dit (Gen., 9, 4) : Vous ne mangerez pas de chair avec le sang, parce que j’ai en horreur ceux qui le répandent, et je vengerai le vôtre quand il aura été répandu. Ils ne devaient pas manger de la graisse pour éviter la luxure. C’est ce qui fait dire au prophète (Ez., 34, 3) : Vous tuiez tout ce qui était gras. 3° On recommandait ces choses par respect pour Dieu. Car le sang est surtout nécessaire à la vie (c’est ce qui fait dire que l’âme est dans le sang) et la graisse montre l’abondance de la nourriture. C’est pourquoi pour faire voir que c’est de Dieu que nous tenons la vie et tous les biens que nous possédons, on répandait le sang et on brûlait la graisse par honneur pour lui. 4° Ces choses figuraient l’effusion du sang du Christ et l’abondance de la charité par laquelle il s’est offert à Dieu pour nous. — De ces hosties pacifiques, le prêtre avait la poitrine et l’épaule droite pour exclure une espèce de divination qu’on appelle spatulamantie (Saint Thomas traite en particulier de ce genre de divination et de tous les autres, 2a 2æ, quest. 95, art. 3, réponse N°1), parce qu’elle se faisait par les pattes des animaux immolés et au moyen d’un os de la poitrine. C’est pourquoi on ne donnait pas ces parties de la victime à ceux qui l’offraient. On indiquait encore par là que la sagesse du cœur était nécessaire au prêtre pour instruire le peuple, ce que représentait la poitrine qui couvre le cœur, et on montrait qu’il lui fallait aussi la force pour supporter ses défauts, ce qui était figuré par l’épaule droite.

 

          Objection N°9. Comme on offrait les holocaustes pour honorer Dieu, de même aussi les hosties pacifiques et les hosties pour le péché. Or, on n’offrait à Dieu en holocauste aucun animal du sexe féminin, bien qu’on eût offert des holocaustes de quadrupèdes aussi bien que d’oiseaux. Donc on avait tort, dans les hosties pacifiques et dans les sacrifices pour le péché, d’offrir des animaux du sexe féminin, et de ne pas offrir des oiseaux pour des hosties pacifiques.

          Réponse à l’objection N°9 : L’holocauste était le plus parfait des sacrifices. On n’offrait en holocauste qu’un male ; parce qu’une femelle est un animal imparfait. Les pauvres offraient des tourterelles et des colombes, parce qu’ils ne pouvaient pas offrir d’autres animaux. Comme on offrait gratuitement les hosties pacifiques, personne n’était tenu d’en offrir ; c’était une chose purement volontaire. C’est pourquoi on n’offrait pas ces oiseaux parmi les hosties pacifiques ; on ne les offrait que parmi les holocaustes et les hosties pour le péché qu’il fallait offrir quelquefois. D’ailleurs ces oiseaux conviennent à la perfection des holocaustes, à cause de la hauteur de leur vol, et ils conviennent aussi aux hosties pour le péché, parce qu’ils gémissent au lieu de chanter.

 

          Objection N°10. Toutes les hosties pacifiques paraissent être du même genre. On n’aurait donc pas dû établir cette différence, c’est qu’on ne pourrait pas manger la chair de certaines hosties pacifiques le lendemain, tandis qu’on pourrait manger celles d’autres hosties, comme on le voit (Lév., chap. 7).

          Réponse à l’objection N°10 : De tous les sacrifices l’holocauste était le principal, parce qu’on le brûlait tout entier en l’honneur de Dieu et qu’on ne mangeait aucune partie de la victime. L’hostie pour le péché tenait le second rang sous le rapport de la sainteté, parce que les prêtres ne la mangeaient que dans le sanctuaire le jour même du sacrifice. En troisième lieu venaient les hosties pacifiques offertes en action de grâce et que l’on mangeait le jour même, mais dans toute la ville de Jérusalem (C’est-à-dire qu’on pouvait manger l’hostie pacifique, peu importe dans quelle maison, il n’y avait pas de lieu désigné pour cela.). Enfin au quatrième rang se trouvaient les hosties pacifiques qu’on avait vouées (ex voto) et dont on pouvait manger les chairs le lendemain. La raison de cette gradation, c’est que l’homme est obligé envers Dieu : 1° à cause de sa majesté souveraine ; 2° pour les fautes qu’il a commises ; 3° pour les bienfaits qu’il en a reçus ; 4° pour ceux qu’il en espère.

 

          Objection N°11. Tous les péchés ont ceci de commun, c’est qu’ils éloignent de Dieu. Donc pour tous les péchés on n’aurait dû offrir qu’un seul genre de sacrifice pour se réconcilier avec lui.

          Réponse à l’objection N°11 : Les péchés s’aggravent en raison de l’état du pécheur, comme nous l’avons dit (quest. 73, art. 10). C’est pourquoi la loi ordonne d’offrir une autre hostie pour le péché d’un prêtre, et d’un prince ou d’une autre personne privée. Or, il est à remarquer, comme le dit Moïse Maimonide, que plus le péché était grave, et plus était vile l’espèce d’animal offert pour lui. Ainsi la chèvre qui est l’animal le plus vil était offerte pour l’idolâtrie qui est le péché le plus grave ; on offrait un veau pour l’ignorance du prêtre et un bouc pour celle du prince.

 

          Objection N°12. Tous les animaux qu’on offrait en sacrifice, on ne les offrait que d’une seule manière, c’est-à-dire après qu’ils étaient tués. Il ne semble donc pas convenable qu’on ait offert de différentes manières les fruits de la terre. Ainsi tantôt on offrait les épis, tantôt la farine, tantôt le pain, qui avait été cuit quelquefois dans le four, d’autres fois dans la poêle ou sur le gril.

          Réponse à l’objection N°12 : La loi sur les sacrifices a voulu pourvoir à la pauvreté de ceux qui les offraient, afin que celui qui ne pourrait pas avoir un quadrupède offrît au moins un oiseau, que celui qui ne pourrait avoir un oiseau offrit un pain, et que s’il ne pouvait offrir un pain, il offrît du moins de la farine ou des épis. La cause figurative de ces choses c’est que le pain signifie le Christ qui est le pain vivant, selon l’expression de saint Jean (Jean, chap. 6). Le pain était pour ainsi dire dans l’épi, sous la loi de nature, en la foi des patriarches ; il fut comme la farine sous la loi mosaïque et les prophètes ; il fut un pain formé après que le Verbe se fut uni à notre humanité ; il fut brûlé par le feu, c’est-à-dire formé par l’Esprit-Saint dans le sein virginal de sa mère ; il fut pour ainsi dire rôti (in sartagine) en passant par les épreuves qu’il eut à souffrir dans le monde ; enfin il fut consumé, comme sur un gril, sur la croix.

 

          Objection N°13. Nous devons rendre hommage à Dieu pour toutes les choses dont nous faisons usage. C’est donc à tort qu’indépendamment des animaux on n’ait offert à Dieu que le pain, le vin, l’huile, l’encens et le sel.

          Réponse à l’objection N°13 : Parmi les productions de la terre dont l’homme fait usage, les unes servent à le nourrir, et parmi celles-ci on offrait le pain ; les autres lui servent de boisson, et parmi celles-là on offrait le vin ; d’autres sont un condiment, comme le sel et l’huile qu’on offrait aussi. Enfin il y en a qui sont des remèdes, comme l’encens qu’on offrait et qui est tout à la fois aromatique et fortifiant. Au reste le pain figurait la chair du Christ, le vin son sang par lequel nous avons été rachetés ; l’huile la grâce, le sel la science, et l’encens la prière.

 

          Objection N°14. Les sacrifices corporels expriment le sacrifice intérieur du cœur par lequel l’homme offre son esprit à Dieu. Or, il y a dans le sacrifice intérieur plus de cette douceur dont le miel est le symbole, qu’il n’y a de cette aigreur que le sel représente. Car il est dit (Ecclésiastique, 24, 27) : Mon esprit est plus doux que le miel. C’est donc à tort que dans les sacrifices on défendait de mettre du miel et du levain, ce qui donne au pain un bon goût, et qu’on ordonnait de mettre du sel, ce qui est un mordant, et de l’encens qui a une saveur amère. Il semble donc, que ce qui appartient aux cérémonies des sacrifices n’ait pas une cause raisonnable.

          Réponse à l’objection N°14 : On n’offrait pas le miel dans les sacrifices à Dieu ; soit parce qu’on avait coutume d’en offrir dans les sacrifices des idoles, soit pour éloigner toute douceur charnelle et tout plaisir sensible de ceux qui veulent sacrifier au Seigneur. On n’offrait pas de levain, pour écarter la corruption, et peut-être (Saint Thomas emploie ici une expression dubitative, parce qu’aucun interprète avant lui n’avait fait la même remarque, et aussi probablement parce que les gentils offraient également du sel et de l’encens, ce qui n’empêchait pas les Hébreux d’en offrir aussi. Homère parle du sel qu’il appelle divin, et Ovide dit en parlant de l’encens (Met., liv. 4) : Templa tibi statuam, solvam tibi thuris honores. Il vaut donc mieux s’arrêter à la raison précédente.) aussi parce que les gentils en offraient ordinairement dans leurs sacrifices. Mais on offrait le sel, parce qu’il empêche la putréfaction, et que les sacrifices de Dieu doivent être purs, et parce que le sel désigne aussi le discernement de la sagesse ou la mortification de la chair. On offrait à Dieu de l’encens pour désigner la dévotion de l’esprit qui est nécessaire à ceux qui offrent un sacrifice et aussi pour indiquer l’odeur de la bonne renommée : car l’encens est gras et odoriférant. C’est également pour cette raison que dans le sacrifice de la jalousie on n’offrait point d’encens, parce qu’il provenait plus du soupçon que de la dévotion de celui qui l’offrait.

 

          Mais c’est le contraire. Il est dit (Lév., 1, 9) : Le prêtre brûlera toutes les offrandes sur l’autel pour en faire au Seigneur un holocauste d’agréable odeur. Or, selon l’expression de la Sagesse (7, 28) : Dieu n’aime que celui qui habite avec la sagesse. D’où l’on peut conclure que tout ce qui est agréable à Dieu est sage, et que par conséquent les cérémonies des sacrifices étaient sagement établies, c’est-à-dire qu’elles avaient des causes raisonnables.

 

          Conclusion Selon que les sacrifices se rapportaient au culte de Dieu, leur cause provenait ou de ce qu’ils élevaient l’âme de l’homme vers lui, ou de ce qu’ils l’éloignaient de l’idolâtrie ; selon qu’ils figuraient le Christ, ils eurent pour cause sa passion et son immolation volontaire qu’ils représentaient.

          Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. préc.), les cérémonies de l’ancienne loi avaient une double cause : l’une littérale d’après laquelle elles se rapportaient au culte de Dieu ; l’autre figurative ou mystique, selon qu’elles avaient pour but de figurer le Christ. A ce double point de vue, on peut convenablement assigner la cause des cérémonies qui appartenaient aux sacrifices. Car, suivant que les sacrifices se rapportaient au culte de Dieu, on peut leur assigner deux sortes de cause. La première, c’est qu’ils représentaient le rapport de l’âme à Dieu, et qu’ils excitaient celui qui les offrait à s’unir à lui. Or, pour que l’âme soit en bon rapport avec Dieu, il faut qu’elle reconnaisse qu’elle tient de lui, comme de son premier principe, tout ce qu’elle possède et qu’elle le lui rapporte comme à sa fin dernière. C’est ce que les oblations et les sacrifices (La différence des oblations et des sacrifices est indiquée 2a 2æ, quest. 85, art. 5, réponse N°3) représentaient. Car l’homme en offrant à Dieu pour sa gloire différentes choses, reconnaissait qu’il les tenait de lui, d’après ces paroles de David (1 Par., 29, 14) : Tout est à vous, Seigneur, et nous vous avons donné ce que nous avons reçu de votre main. C’est pourquoi dans l’oblation des sacrifices l’homme protestait que Dieu était le premier principe de la création, et la fin dernière à laquelle tout doit être rapporté. Et parce que la droiture des rapports que l’homme doit avoir avec Dieu exige qu’il ne reconnaisse que lui pour le premier auteur des êtres et qu’il ne place pas sa fin dans un autre, il était défendu dans la loi d’offrir un sacrifice à un autre qu’à Dieu, d’après ces paroles (Ex., 22, 29) : Celui qui immole à d’autres dieux qu’au Seigneur sera mis à mort (D’après les Septante l’expression est plus énergique έξολοθρευθήσεται : morte eradicabitur, d’après l’édit. sext.). On peut donc assigner une première cause raisonnable aux cérémonies qui regardent les sacrifices. — La seconde cause provient de ce qu’ils éloignaient les hommes des sacrifices idolâtriques. Aussi les préceptes qui regardent les sacrifices n’ont-ils été donnés au peuple juif qu’après qu’il se fut laissé entraîner à l’idolâtrie, en adorant le veau d’or ; comme si ces sacrifices avaient été établis pour que le peuple, qui avait de la propension à sacrifier, offrît ses sacrifices à Dieu et jamais aux idoles. C’est ce qui fait dire au prophète (Jér., 7, 22) : Je n’ai pas dit à vos pères et je ne leur ai pas ordonné au jour où je les ai tirés de l’Egypte de m’offrir des holocaustes et des victimes. — Mais parmi tous les dons que Dieu a accordés au genre humain depuis qu’il est tombé dans le péché, le premier de tous est le don qu’il lui a fait de son Fils, selon cette parole de saint Jean (Jean, 3, 16) : Dieu a tellement aimé le monde qu’il lui a donné son Fils unique, afin que celui qui croit en lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle. C’est pourquoi le plus grand de tous les sacrifices, c’est celui par lequel le Christ s’est offert lui-même à Dieu en odeur de suavité, selon l’expression de saint Paul (Eph., 5, 2). C’est pour ce motif que tous les autres sacrifices étaient offerts dans l’ancienne loi pour figurer ce sacrifice unique et tout particulier, comme on représente ce qui est parfait par des choses imparfaites. C’est ce qui fait dire à l’Apôtre (Héb., 10, 11) que les prêtres de l’ancienne loi offraient plusieurs fois les mêmes hosties qui ne pouvaient jamais effacer les péchés, mais que le Christ n’en a offert qu’une seule pour tous les péchés. Et comme la raison de la figure se prend de l’objet qu’elle représente, il s’ensuit que les raisons des sacrifices figuratifs de l’ancienne loi doivent se prendre du véritable sacrifice du Christ.

 

Article 4 : Peut-on assigner une raison certaine des cérémonies qui appartiennent aux choses sacrées ?

 

          Objection N°1. Il semble qu’on ne puisse assigner une raison suffisante des cérémonies de l’ancienne loi qui appartiennent aux choses sacrées. Car saint Paul dit (Actes, 17, 24) : Dieu, qui a fait le monde et tout ce qu’il renferme, par la même qu’il est le maître du ciel et de la terre, n’habite pas dans des temples faits de mains d’hommes. C’est donc à tort que sous l’ancienne loi on a fait un tabernacle ou un temple pour le culte de Dieu.

          Réponse à l’objection N°1 : Le culte de Dieu embrasse deux choses : Dieu qui est adoré et les hommes qui l’adorent. Dieu qu’on adore n’est renfermé lui-même dans aucun lieu corporel ; par conséquent il n’a pas fallu à cause de lui faire un tabernacle ou un temple spécial. Mais les hommes qui l’adorent sont des êtres corporels, et à cause d’eux il a fallu qu’on construisît pour le culte divin un tabernacle ou un temple spécial, et cela pour deux motifs : 1° afin qu’en se réunissant dans ce lieu avec la pensée d’y adorer Dieu, les hommes fussent pénétrés d’un respect plus profond ; 2° pour que la disposition du temple ou du tabernacle exprime ce qui regarde l’excellence de la divinité ou de l’humanité du Christ. C’est ce que dit Salomon (3 Rois, 8, 27) : Si le ciel et les deux des deux ne peuvent vous contenir, à plus forte raison cette maison que je vous ai construite ! Puis il ajoute : Que vos yeux soient ouverts sur cette maison dont vous avez dit : Mon nom sera là pour entendre la prière de votre serviteur et d’Israël votre peuple. D’où il est manifeste que le sanctuaire n’a pas été fait pour contenir Dieu comme s’il y habitait localement ; mais pour que le nom de Dieu soit là, c’est-à-dire pour que sa connaissance soit manifestée par ce qui s’y disait et ce qui s’y passait, et c’est par suite de la sainteté du lieu que les prières qu’on y faisait étaient plus dignes d’être exaucées, à cause de la dévotion de ceux qui les adressaient au ciel (Voyez à ce sujet la magnifique prière que fit Salomon après la consécration du temple.).

 

          Objection N°2. L’état de l’ancienne loi n’a été changé que par le Christ. Or, le tabernacle désignait l’état de l’ancienne loi. On n’aurait donc pas dû changer le tabernacle en construisant un temple.

          Réponse à l’objection N°2 : L’état de la loi ancienne ne fut pas changé avant le Christ, quant à l’accomplissement de la loi qui fut l’œuvre seule du Christ, mais il le fut quant à la condition du peuple qui vivait sous cette loi. En effet le peuple fut d’abord dans le désert sans avoir de demeure fixe, et il eut ensuite à soutenir divers combats contre les nations voisines. Mais enfin au temps de David et de Salomon il jouit de la tranquillité la plus parfaite (Pendant tout le règne de Salomon il n’y eut pas de guerre, et c’est pour cela qu’il a été appelé le roi pacifique.). C’est alors que le temple fut bâti à l’endroit que Dieu avait lui-même marqué à Abraham pour y faire son sacrifice. Car il est dit (Gen., 22, 2) que le Seigneur ordonna à Abraham d’offrir son fils en holocauste sur une des montagnes qu’il lui montrerait. Puis la Genèse ajoute (ibid., 14) qu’Abraham appela ce lieu d’un nom qui signifie : le Seigneur voit ; comme si d’après la prévision de Dieu ce lieu avait été choisi pour son culte. C’est pourquoi il est écrit dans la loi (Deut., 12, 5) : Vous viendrez au lieu que le Seigneur votre Dieu aura choisi, et vous offrirez vos holocaustes et vos victimes. Or, ce lieu n’a pas dû être désigné pour la construction du temple avant le temps que nous venons de fixer, pour trois raisons que donne Maimonide. La première, de peur que les nations ne se l’appropriassent ; la seconde pour qu’elles ne le détruisissent pas, et la troisième de crainte que chaque tribu ne voulut l’avoir dans son lot, ce qui aurait été la source d’une foule de dissensions et de discordes. C’est pourquoi le temple n’a pas été bâti avant que le peuple n’eût un roi qui fût capable de comprimer ces guerres intestines. Auparavant il y avait un tabernacle portatif qui restait en divers lieux, comme si le lieu où Dieu devait être adoré n’avait pas encore été déterminé. Telle est la raison littérale pour laquelle il y eut d’abord un tabernacle et ensuite un temple. On peut en donner aussi une raison figurative, c’est que ces deux choses signifiaient un double état. Ainsi le tabernacle, qui était mobile, signifiait l’état de la vie présente qui est changeante, tandis que le temple, qui était fixe et stable, représentait l’état de la vie future qui est absolument immuable. C’est pourquoi il est dit (3 Rois, 6, 7) que quand on le construisit on n’entendit ni le bruit du marteau, ni celui de la hache, pour indiquer qu’il n’y aura ni trouble, ni tumulte dans la vie à venir. — Ou bien encore le tabernacle désignait l’état de l’ancienne loi, tandis que le temple construit par Salomon était la figure de la loi nouvelle. Ainsi il n’y a que les Juifs qui aient travaillé à la construction du tabernacle, tandis que les gentils, c’est-à-dire les ouvriers de Tyr et de Sidon, ont été occupés à bâtir le temple.

 

          Objection N°3. La loi divine doit principalement porter les hommes au culte de Dieu. Or, pour le développement du culte divin, il faut qu’il y ait beaucoup d’autels et beaucoup de temples, comme on le voit sous la loi nouvelle. Il semble donc que sous la loi ancienne ce n’était pas assez d’un seul tabernacle ou d’un seul temple, mais qu’il en aurait fallu plusieurs.

          Réponse à l’objection N°3 : On peut donner une raison littérale et une raison figurative de l’unité du tabernacle ou du temple. La raison littérale c’est qu’on a voulu par là exclure l’idolâtrie ; parce que les gentils élevaient divers temples à leurs divers dieux. C’est pourquoi pour affermir dans les hommes la croyance en son unité, Dieu a voulu qu’on ne lui offrît un sacrifice que dans un seul lieu. Et aussi pour leur montrer par là que le culte corporel ne lui était pas agréable par lui-même, il les empêchait de lui offrir çà et là des sacrifices partout où ils se trouvaient. Mais le culte de la loi nouvelle dont le sacrifice renferme la grâce spirituelle est par lui-même agréable à Dieu. C’est pour cette raison que sous cette loi on a multiplié les autels et les temples. — Toutefois à l’égard de ce qui appartenait au culte spirituel de Dieu, qui consiste dans l’enseignement de la loi et des prophètes, il y avait sous la loi ancienne divers lieux déterminés où l’on se réunissait pour louer Dieu. C’est ce qu’on appelait les synagogues, comme on donne maintenant le nom d’églises (Ecclesia et synagoga, ces deux mots ont à peu près le même sens étymologiquement. Le vénérable Bède fait cependant à leur égard une distinction assez subtile (in chap. 5 Proverb.). Après avoir montré que le mot église signifie convocatio (de έκκλησία) et le mot synagogue congregatio (de σύνάγω), il fait ressortir par là la différence des deux sociétés dont l’une est spirituelle et l’autre terrestre.) aux lieux où les chrétiens se réunissent pour chanter les louanges du Seigneur. Ainsi notre Eglise a remplacé le temple et la synagogue, parce que le sacrifice de l’Eglise est lui-même spirituel et que par conséquent on ne distingue plus le lieu où l’on sacrifie du lieu où l’on enseigne. — La raison figurative qu’on peut eu donner, c’est qu’on représentait par là l’unité de l’Eglise militante ou triomphante.

 

          Objection N°4. Le tabernacle ou le temple se rapportait au culte de Dieu. Or, on doit surtout vénérer en Dieu son unité et sa simplicité. Il ne paraît donc pas convenable que le tabernacle ou le temple ait été séparé par des voiles.

          Réponse à l’objection N°4 : Comme l’unité du temple ou du tabernacle représentait l’unité de Dieu ou l’unité de l’Eglise, de même la distinction du tabernacle ou du temple représentait la distinction des choses qui lui sont soumises et qui nous portent à le vénérer. En effet, le tabernacle était divisé en deux parties, dont l’une qu’on appelait le Saint des saints était à l’Occident et l’autre qu’on appelait le Saint était à l’Orient. De plus il y avait devant le tabernacle le parvis. Cette distinction avait donc une double raison. La première, c’est que le tabernacle ayant été fait pour le culte divin, il était divisé de manière à représenter les différentes parties du monde. Car la partie qu’on appelait le Saint des saints figurait la partie la plus élevée de l’univers qui appartient aux substances spirituelles, tandis que la partie qu’on appelait le Saint représentait le monde corporel. C’est pourquoi le Saint était séparé du Saint des saints par un voile qui était de quatre couleurs pour désigner les quatre éléments : il était de lin pour désigner la terre, parce que c’est la terre qui produit le lin, de pourpre pour signifier l’eau, parce que la couleur de la pourpre vient de certains coquillages qu’on trouve dans la mer ; d’hyacinthe pour indiquer l’air, parce que l’hyacinthe a la couleur de l’air ; et d’écarlate deux fois teinte pour rappeler le feu. Ce voile était ainsi placé parce que la matière des quatre éléments est un obstacle qui nous dérobe la vue des substances spirituelles. Le grand prêtre seul entrait dans le tabernacle intérieur, c’est-à-dire dans le Saint des saints, et cela une seule fois par an pour montrer que la perfection finale de l’homme consiste à entrer dans ce monde supérieur. Quant au tabernacle extérieur, c’est-à-dire le Saint, les prêtres y entraient tous les jours, mais le peuple n’y entrait pas ; il n’avait accès que dans le parvis, parce que le peuple peut voir les choses corporelles ; mais il n’y a que les sages qui puissent par la réflexion en pénétrer les raisons intérieures. — Dans le sens figuratif, le tabernacle extérieur ou le Saint représentait l’état de l’ancienne loi, comme le dit l’Apôtre (Héb., chap. 9), parce que les prêtres qui offraient les sacrifices entraient toujours dans ce tabernacle. Le tabernacle intérieur, ou le Saint des saints, figurait la gloire céleste ou l’état spirituel de la loi nouvelle qui est un commencement de la gloire future et dans lequel le Christ nous a introduits ; ce que représentait le grand prêtre en y entrant seul une fois par an. Le voile figurait les mystères spirituels cachés dans les anciens sacrifices. Ce voile était orné de quatre couleurs : le lin désignait la pureté de la chair, la pourpre les souffrances que les saints ont endurées pour Dieu, l’écarlate deux fois teinte le double amour qu’on doit avoir pour Dieu et le prochain, et l’hyacinthe la méditation des choses du ciel. Sous la loi ancienne, l’état du peuple était autre que celui des prêtres. Car le peuple considérait les sacrifices corporels eux-mêmes qu’on offrait dans le parvis, tandis que les prêtres méditaient la raison de ces sacrifices et avaient une foi plus explicite sur les mystères du Christ. C’est pourquoi ils entraient dans le tabernacle extérieur qui était, aussi séparé du parvis par un voile ; parce qu’il y avait à l’égard du mystère du Christ des choses qui étaient cachées au peuple et que les prêtres connaissaient (Sur cette différence de la foi et de la connaissance des prêtres et du peuple, voyez 2a 2æ, quest. 2, art. 7 et 8.). Cependant elles ne leur avaient pas été pleinement révélées, comme elles le furent ensuite dans le Nouveau Testament, selon la remarque de saint Paul (Eph., 3, 5) : mystère qui, dans les autres générations, n’a pas été connu des enfants des hommes, comme il a été révélé maintenant par l’Esprit à ses saints apôtres et prophètes.

 

          Objection N°5. La vertu du premier moteur qui est Dieu se manifeste d’abord à l’Orient où commence le premier mouvement. Or, le tabernacle a été fait pour adorer Dieu. Donc on devait le tourner plutôt du côté de l’Orient que du côté de l’Occident.

          Réponse à l’objection N°5 : La loi prescrivit l’adoration vers l’Occident pour détourner de l’idolâtrie. Car tous les gentils adoraient le visage tourné vers l’Orient par respect pour le soleil. C’est ce qui fait dire au prophète (Ez., 8, 16) qu’il a vu des hommes ayant le dos tourné au temple du Seigneur et la face vers l’Orient pour adorer le soleil à son lever. C’était pour détourner les Juifs de cette coutume que dans le tabernacle le Saint des saints était à l’Occident pour qu’on adorât le visage tourné de ce côté. La raison figurative qu’on peut aussi en donner, c’est que toute la disposition du tabernacle avait pour but de figurer la mort du Christ, qui est représentée par le couchant, d’après ces paroles du Psalmiste (Ps. 97, 5) : Il est monté vers le couchant, le Seigneur est son nom.

 

          Objection N°6. Le Seigneur a commandé (Ex., 20, 4) de ne faire ni image taillée, ni aucune figure. C’est donc à tort que dans le tabernacle ou dans le temple on a sculpté les images des chérubins. Il semble qu’on y ait placé aussi sans motif raisonnable l’arche, le propitiatoire, le chandelier, la table et un double autel.

          Réponse à l’objection N°6 : On peut donner la raison littérale et la raison figurative des choses qui étaient renfermées dans le tabernacle. La raison littérale se rapporte au culte de Dieu. Comme nous avons dit (réponse N°4) que le tabernacle intérieur qu’on appelait le Saint des saints représentait le monde supérieur des substances spirituelles, on y avait placé pour ce motif trois choses : l’arche d’alliance dans laquelle il y avait une urne d’or qui renfermait de la manne ; la verge d’Aaron qui avait fleuri, et les tables sur lesquelles étaient écrits les dix préceptes de la loi. Cette arche était placée entre deux chérubins qui se regardaient réciproquement, et sur l’arche il y avait une table de pierre qu’on appelait le propitiatoire et qui se trouvait au-dessus des ailes des chérubins, comme si les chérubins l’avaient portée et qu’elle fût en quelque sorte le siège de Dieu. On lui donnait le nom de propitiatoire, comme si Dieu se fût rendu de là propice au peuple à la prière du grand prêtre. Elle était portée par les chérubins qui étaient considérés comme des ministres soumis à Dieu, et l’arche d’alliance servait en quelque sorte d’escabeau au Seigneur qui était assis sur le propitiatoire. Ces trois emblèmes désignaient les trois choses qui existent dans le monde supérieur. Et d’abord Dieu qui est au-dessus de tout, incompréhensible à toute créature, et c’est pour cette raison qu’on ne lui donnait aucune figure, afin de représenter son invisibilité. Mais on avait figuré son siège, parce que l’on comprend la créature et qu’elle est soumise à Dieu, comme un siège l’est à celui qui l’occupe. Il y a ensuite dans le monde supérieur des substances spirituelles auxquelles on donne le nom d’anges. Elles sont représentées par les deux chérubins qui se regardent réciproquement pour désigner leur mutuel accord, d’après ces paroles de Job (25, 2) : C’est celui-là qui fait régner la paix dans les hauts lieux. On ne mit pas qu’un seul chérubin, pour indiquer la multitude des esprits célestes et pour détourner de leur culte ceux qui avaient reçu l’ordre de n’adorer qu’un seul Dieu. Enfin dans le monde intellectuel, il y a les raisons de toutes les choses qui sont cachées ici-bas, comme les raisons des effets sont renfermées dans leurs causes et les raisons des objets d’art dans l’ouvrier qui les produit. C’est ce que représentait l’arche, qui renfermait en elle trois choses qui étaient la figure de ce qui tient le premier rang dans les choses humaines. Ainsi la sagesse était figurée par les tables de la loi ; le pouvoir de celui qui commande par la verge d’Aaron, la vie par la manne qui avait été la nourriture des Juifs. Ou encore ces trois choses représentaient les trois attributs de Dieu : sa sagesse était désignée par les tables, sa puissance par la verge, et sa bonté par la manne, soit à cause de sa douceur, soit parce que Dieu l’a donnée à son peuple par un effet de sa miséricorde. C’est pourquoi elle était conservée en mémoire de ce bienfait. Ces trois choses ont été aussi figurées dans la vision d’Isaïe (Is., chap. 6). Car il vit le Seigneur assis sur un trône très haut et très élevé ; des séraphins étaient de chaque côté, et la maison de Dieu fut remplie de sa gloire. C’est ce qui faisait dire aux séraphins : Toute la terre est remplie de sa gloire. On ne représentait pas ainsi les images des séraphins pour leur offrir un culte (ce qui était défendu par le premier précepte de la loi), mais on les représentait pour indiquer qu’ils étaient les ministres de Dieu, comme nous l’avons déjà dit. — Le tabernacle extérieur qui représentait le siècle présent renfermait trois choses : l’autel des parfums qui était directement en face de l’arche, la table de proposition sur laquelle on plaçait douze pains et qui était du côté du nord, et le chandelier qui était du côté du midi. Ces trois choses paraissent correspondre aux trois choses qui étaient renfermées dans l’arche, mais elles représentaient plus manifestement les mêmes objets. Car les raisons des choses ont besoin d’être montrées plus sensiblement qu’elles ne le sont dans l’esprit de Dieu et des anges, pour être accessibles aux hommes sages que représentaient les prêtres qui entraient dans le tabernacle. Ainsi le chandelier était en quelque sorte le signe de la sagesse qui était exprimée sur les tables en termes intelligibles. L’autel des parfums représentait le devoir des prêtres qui ont pour mission d’amener le peuple à Dieu, ce qui était aussi figuré par la verge. Car sur cet autel on brûlait des parfums de bonne odeur ; ce qui indiquait que la sainteté du peuple est agréable à Dieu. En effet, il est dit que la fumée des parfums désigne les bonnes œuvres des saints (Apoc., chap. 7) La dignité sacerdotale était parfaitement représentée dans l’arche par la verge et dans le tabernacle extérieur par l’autel des parfums ; parce que le prêtre est médiateur entre Dieu et le peuple, qu’il le dirige par la puissance divine que la verge indique, et qu’il offre à Dieu, comme sur l’autel des parfums, le fruit de ses efforts, c’est-à-dire la sainteté du peuple lui-même. La table indique, comme la manne, ce qui sert de nourriture à notre vie ; seulement le pain est plus commun et plus grossier, tandis que la manne est plus agréable et plus exquise. On avait eu raison de placer le chandelier du côté du midi et la table du côté du nord, parce que le midi est la droite du monde et que le nord en est la gauche, comme on le voit (De cæl. et mund., liv. 2, text. 15). Or, la sagesse se met à droite comme tous les autres biens spirituels, tandis que la nourriture temporelle se place à gauche, d’après ces paroles du Sage (Prov., 3, 16) : Dans sa gauche les richesses et la gloire. La puissance sacerdotale tient le milieu entre les biens temporels et la sagesse spirituelle, parce que c’est par elle que Dieu dispense ces deux sortes d’avantages. — On peut encore donner de ces choses une autre raison plus littérale. En effet, l’arche renfermait les tables de la loi pour empêcher qu’on ne l’oublie. Ainsi il est dit (Ex., chap. 24) : Je vous donnerai deux tables de pierre, la loi et les préceptes que j’ai écrits pour que vous instruisiez les enfants d’Israël. La verge d’Aaron y était placée pour comprimer toutes les dissensions qui pouvaient s’élever parmi le peuple au sujet du sacerdoce d’Aaron. Ainsi il est dit (Nom., 17, 10) : Reportez la verge d’Aaron dans l’arche d’alliance, afin qu’elle y soit gardée en signe de la rébellion des enfants d’Israël. On conservait la manne dans l’arche pour perpétuer le souvenir du bienfait que le Seigneur a accordé aux enfants d’Israël dans le désert. Ainsi il est dit (Ex., 16, 32) : Remplissez-en un gomor et qu’on la garde pour les générations futures, afin qu’elles sachent de quel pain je vous ai nourris dans le désert. Le chandelier était là pour ajouter à l’éclat du tabernacle ; car il appartient à la beauté d’une maison d’être parfaitement éclairée. Il avait sept branches, comme le dit l’historien Josèphe (De antiq., liv. 3, chap. 7 et 8), pour représenter les sept planètes qui éclairent le monde entier. On le plaçait au midi, parce que le cours des planètes est pour nous de ce côté. L’autel des parfums avait été élevé pour répandre constamment dans le tabernacle une fumée d’une bonne odeur, soit par respect pour le tabernacle même, soit pour remédier aux exhalaisons mauvaises qui pouvaient résulter de l’effusion du sang et du meurtre des animaux. Car les choses qui sont fétides sont considérées comme viles, tandis que les hommes apprécient tout particulièrement celles qui répandent une bonne odeur. On avait placé là une table pour indiquer que les prêtres qui servaient au temple devaient vivre dans le temple. C’est pourquoi il n’y avait que les prêtres qui eussent le droit de manger les douze pains qui y étaient superposés en mémoire des douze tribus, comme on le voit (Matth., chap. 12). On ne mettait pas la table directement au milieu, devant le propitiatoire, pour ne pas suivre les rites des idolâtres. Car les gentils, dans les fêtes de la lune, plaçaient une table devant l’idole de cet astre. Ainsi il est dit (Jér., 7, 18) : Les femmes mêlent de la graisse avec de la farine pour faire des gâteaux à la reine du ciel. Dans le parvis, hors du tabernacle, se trouvait l’autel des holocaustes, sur lequel on offrait à Dieu en sacrifices les choses que le peuple possédait. C’est pourquoi le peuple, qui offrait ces choses par les mains des prêtres, pouvait rester dans le parvis ; mais il n’y avait que les prêtres, auxquels il appartenait d’offrir le peuple à Dieu, qui pussent s’approcher de l’autel intérieur sur lequel on offrait la dévotion et la sainteté même du peuple. Cet autel avait été placé hors du tabernacle, dans le parvis, pour ne pas imiter les idolâtres, parce que les gentils plaçaient leurs autels dans l’intérieur de leurs temples pour sacrifier à leurs idoles. — On peut déterminer la raison figurative de toutes ces choses d’après le rapport qu’il y avait entre le tabernacle et le Christ dont il était la figure. Or, il faut observer que pour marquer l’imperfection des figures légales, on a établi dans le temple différentes figures pour représenter le Christ. En effet, il est représenté par le propitiatoire ; parce qu’il est lui-même la victime de propitiation qui s’est offerte pour nos péchés (1 Jean, 2, 2). Ce propitiatoire était à bon droit porté par les chérubins, parce qu’il est écrit de lui : que tous les anges de Dieu l’adorent, comme on le voit (Héb., 1, 6). Il est aussi représenté par l’arche, parce que comme l’arche avait été faite de bois de Séthim, de même le corps du Christ était formé des membres les plus purs. Elle avait été couverte d’or, parce que le Christ fut rempli de la sagesse et de la charité dont l’or est le symbole. Dans l’arche il y avait une urne d’or contenant de la manne, ce qui représentait son âme sainte qui contenait toute la plénitude de la sainteté et de la divinité. Il y avait dans l’arche la verge, c’est-à-dire la puissance sacerdotale, parce que le Christ a été fait lui-même prêtre à jamais. Il y avait aussi les tables de la loi, pour montrer que le Christ est également législateur. Le Christ est figuré par le chandelier, car il dit lui-même (Jean, 8, 12) : Je suis la lumière du monde, et les sept branches indiquaient les sept dons de l’Esprit-Saint. Il est aussi figuré par la table, parce qu’il est lui-même la nourriture spirituelle, d’après ces paroles (Jean, 6, 51) : Je suis le pain de vie. Les douze pains signifiaient les douze apôtres ou leur doctrine, ou bien le chandelier et la table peuvent représenter la doctrine et la foi de l’Eglise qui éclaire et fortifie spirituellement. Le Christ est encore figuré par les deux autels, celui des holocaustes et des parfums ; parce qu’il faut que nous offrions à Dieu par lui toutes nos bonnes actions, soit les mortifications de notre chair que nous offrons en quelque sorte sur l’autel des holocaustes, soit les bonnes œuvres spirituelles que les chrétiens parfaits offrent à Dieu dans le Christ dans toute la pureté de leur cœur, comme sur l’autel des parfums, d’après ces paroles de l’Apôtre (Héb., 13, 15) : Offrons donc par lui sans cesse à Dieu une hostie de louange.

 

          Objection N°7. Le Seigneur a dit (Ex., 20, 24) : Vous me ferez un autel de terre, et ensuite : Vous ne monterez pas sur mon autel par des degrés. C’est donc à tort qu’on a ensuite ordonné de faire un autel de bois recouvert d’or ou d’airain et d’une telle élévation qu’on ne puisse y monter que par des gradins. Car il est dit (Ex., 27, 1) : Vous ferez un autel de bois de Séthim (Saint Jérôme donne à cet arbre l’épithète de hebraïca, parce qu’il prétend qu’il n’existait qu’en Judée. Voyez d’ailleurs ce qu’il en dit dans son commentaire sur Isaïe (chap. 41).) qui aura cinq coudées de long et autant de large et trois coudées de haut, et vous le couvrirez d’airain. Et plus loin (Ex., 30, 1) : Vous ferez un autel de bois de Séthim pour brûler les parfums et vous le couvrirez de l’or le plus pur.

          Réponse à l’objection N°7 : Le Seigneur ordonna de construire un autel pour offrir des sacrifices en l’honneur de Dieu et des présents pour l’entretien des ministres qui servaient au tabernacle. A l’égard de la construction de l’autel le Seigneur a donné deux sortes de précepte : 1° au commencement de la loi (Ex., chap. 20) il a commandé de faire un autel de terre ou au moins de pierres non coupées, et ensuite de ne pas l’élever de manière qu’on eût besoin de degrés pour y monter. Toutes ces prescriptions étaient en haine du culte des idoles. Car les gentils construisaient à leurs idoles des autels ornés et très élevés dans lesquels ils supposaient une certaine sainteté et une certaine puissance. Le Seigneur dit encore aux Juifs (Deut., 16, 21) : Vous ne planterez ni de grands bois, ni aucun arbre auprès de l’autel du Seigneur votre Dieu, parce que les idolâtres avaient coutume de sacrifier sous les arbres pour y jouir de l’ombre et de la fraîcheur — La raison figurative de ces préceptes c’est que nous devons reconnaître dans le Christ, qui est notre autel, notre véritable nature corporelle quant à l’humanité, ce que figurait l’autel de terre, et nous devons croire que par rapport à la divinité il est égal à son Père, ce qu’on indique en disant qu’on ne devait pas monter à l’autel par des degrés. Et d’après le Christ nous ne devons pas non plus admettre la doctrine des gentils qui portait à la mollesse. Le tabernacle ayant été fait pour honorer Dieu, on n’eut plus à craindre ces occasions de scandale qui pouvaient faire tomber dans l’idolâtrie. C’est pourquoi le Seigneur ordonna de faire d’airain l’autel des holocaustes qui serait vu de tout le peuple, et de faire d’or l’autel des parfums que les prêtres seuls voyaient. L’airain n’était pas assez précieux pour que son abondance portât le peuple à l’idolâtrie. Et quand il est dit (Ex., 20, 26) : Vous ne monterez pas par des degrés à mon autel, de peur de découvrir votre honte, on doit observer que ce précepte avait encore pour but d’éloigner de l’idolâtrie, parce que dans les fêtes de Priape les gentils se montraient à nu devant le peuple. Il fut ensuite ordonné aux prêtres de mettre des caleçons, et l’on put sans aucun péril construire des autels si élevés qu’il fallait pour y monter des gradins. Ces gradins n’étaient pas fixes, mais ils étaient portatifs, et à l’heure du sacrifice les prêtres s’en servaient pour monter sur l’autel où ils devaient offrir les sacrifices.

 

          Objection N°8. Dans les œuvres de Dieu il ne doit rien y avoir de superflu, parce qu’on ne trouve rien de superflu dans les œuvres de la nature. Or, pour une tente ou pour une maison il suffit d’une couverture. C’est donc à tort qu’on en a mis plusieurs sur le tabernacle, et qu’on l’a recouvert avec des rideaux de poils de chèvre, des peaux de béliers teintes en rouge et des peaux couleur d’hyacinthe.

          Réponse à l’objection N°8 : Le corps du tabernacle était formé de tables ou de planches qui étaient droites dans leur longueur. A l’intérieur elles étaient couvertes de rideaux de quatre couleurs différentes, de lin retors, d’hyacinthe, de pourpre et d’écarlate deux fois teinte. Ces rideaux ne couvraient que les côtés du tabernacle. Pour en former le toit il y avait une couverture de peaux d’hyacinthes, sur celle-ci une autre couverture de peaux de béliers teintes en rouge, enfin sur cette dernière une troisième couverture de peaux de chèvres qui ne couvraient pas seulement le toit du tabernacle, mais qui descendaient encore jusqu’à terre, et qui revêtaient à l’extérieur les planches dont le tabernacle était composé. La raison littérale de toutes ces choses c’est qu’elles servaient en général à orner et à protéger le tabernacle pour le faire respecter. En particulier d’après quelques interprètes, les rideaux désignaient le ciel sidéral où l’on admire la variété des étoiles ; l’étamine (saga) signifiait les eaux qui sont au-dessus du firmament ; les peaux teintes en rouge le ciel empyrée où sont les anges, et les peaux d’hyacinthe le ciel de la sainte Trinité. — La raison figurative de toutes ces choses c’est que les planches dont le tabernacle était construit indiquent les fidèles dont l’Eglise est composée. Elles étaient couvertes au dedans par des rideaux de quatre couleurs, parce que les fidèles sont intérieurement ornés de quatre vertus. En effet le lin retors, d’après la glose (ordin. Ex., chap. 26), indique l’éclat de la chasteté qui brille dans la chair ; l’hyacinthe montre l’esprit qui désire les biens célestes ; la pourpre est le symbole de la chair soumise aux souffrances ; l’écarlate deux fois teinte représente l’âme qui au milieu des douleurs est tout éclatante par l’amour de Dieu et du prochain. Ce qui recouvrait le toit du tabernacle représentait les prélats et les docteurs, dans lesquels on doit trouver cette conversation toute céleste représentée par les peaux de couleur hyacinthe ; la disposition au martyre figurée par les peaux teintes en rouge ; l’austérité de la vie et la patience dans l’adversité, qu’indiquait la peau de chèvre qui était exposée à la pluie et aux vents, comme le dit la glose (loc. cit.).

 

          Objection N°9. La consécration extérieure représente la sainteté intérieure dont l’âme est le sujet. On avait donc tort de consacrer le tabernacle et ses vases, puisqu’ils étaient de choses inanimées.

          Réponse à l’objection N°9 : La consécration du tabernacle et de ses vases avait une cause littérale. C’est qu’on voulait les faire par là respecter davantage, en montrant par cette consécration qu’ils devaient être exclusivement employés au culte divin. La raison figurative, c’est que la sanctification de ces objets représentait la sanctification spirituelle du tabernacle vivant, c’est-à-dire des fidèles dont est composée l’Eglise du Christ.

 

          Objection N°10. Le Psalmiste dit (Ps. 33, 1) : Je bénirai le Seigneur en tout temps, sa louange sera toujours dans ma bouche. Or, les solennités sont établies pour louer Dieu. C’est donc à tort qu’on a déterminé certains jours pour les célébrer. Par conséquent il semble que les cérémonies des choses sacrées n’aient pas de causes convenables.

          Réponse à l’objection N°10 : Sous l’ancienne loi, il y avait sept fêtes que l’on faisait pendant un temps et une fête continuelle, comme on peut le voir (Nom., chap. 18 et 19). En effet, il y avait pour ainsi dire une fête continuelle, puisque tous les jours, soir et matin, on immolait un agneau. Cette fête et ce sacrifice perpétuel représentaient la perpétuité de la béatitude divine. La première des autres fêtes était celle qui revenait tous les sept jours ; c’était la fête du Sabbat, que l’on célébrait en mémoire de la création, comme nous l’avons dit (quest. 100, art. 5, réponse N°2). La seconde revenait tous les mois ; c’est la fête de la Néoménie, qu’on faisait en mémoire du gouvernement divin. Car ce qui existe sur cette terre varie principalement selon le mouvement de la lune (Les Juifs suivaient l’année lunaire et comptaient les époques d’après les révolutions de la lune.). On célébrait cette fête au renouvellement de la lune, mais non quand la lune était pleine, pour ne pas tomber dans le culte des idolâtres qui offraient alors leurs sacrifices à cet astre. Ces deux bienfaits étant communs à tout le genre humain, c’était pour ce motif qu’on faisait ces fêtes plus souvent. Les cinq autres fêtes se célébraient une fois l’an, et on y rappelait quelques bienfaits particuliers que Dieu avait accordés au peuple hébreu. Ainsi on célébrait la Pâque le premier mois, en mémoire de la délivrance de l’Egypte. Cinquante jours après on faisait la fête de la Pentecôte (La Pentecôte est aussi appelée la fête des semaines et la fête des premiers fruits (Nom., chap. 28, Lév., chap. 23 et Deut., chap. 16).), pour rappeler le bienfait de la loi. Les trois autres fêtes se célébraient dans le septième mois, qui comme le septième jour était presque employé tout entier à honorer Dieu. Ainsi le premier jour de ce mois il y avait la fête des trompettes, en mémoire de la délivrance d’Isaac, quand Abraham trouva un bélier arrêté par ses cornes dans un buisson et qu’il l’immola à sa place. Ces cornes étaient représentées par les trompettes qui annonçaient cette solennité. Cette fête des trompettes était en quelque sorte une invitation pour qu’on se préparât à la fête suivante qui se célébrait le dixième jour. C’était la fête de l’expiation, que l’on avait établie en mémoire du pardon que Dieu avait accordé à son peuple à la prière de Moïse, après l’adoration du veau d’or. Ensuite venait la fête des Tabernacles (scenopegia), qui durait sept jours, en mémoire de la protection que Dieu avait accordée à son peuple et de ce qu’il l’avait conduit à travers le désert où il avait habité sous des tentes. C’est pourquoi dans ce jour les Juifs devaient avoir à la main le fruit du plus bel arbre, c’est-à-dire un citron, une branche d’arbre très feuillée, c’est-à-dire un myrthe, qui est aussi une plante odoriférante, des branches de palmiers et des saules du torrent qui conservent longtemps leur verdeur (toutes ces choses se trouvent dans la terre promise), pour montrer que Dieu les avait menés par la terre aride du désert à une terre de délices. Le huitième jour on faisait une autre fête, celle des collectes, dans laquelle on recueillait du peuple ce qui était nécessaire aux dépenses du culte divin. Elle représentait l’union du peuple et la paix dont il jouissait dans la terre promise. — La raison figurative de ces fêtes, c’est que le sacrifice perpétuel de l’agneau représentait la perpétuité du Christ qui est l’agneau de Dieu, d’après ces paroles de l’Apôtre (Héb., 13, 8) : Jésus-Christ, hier, aujourd’hui et dans tous les siècles. Le sabbat indiquait le repos spirituel qui nous a été donné par le Christ, comme on le voit (Héb., chap. 4). La néoménie, qui est le commencement de la nouvelle lune, figurait l’illumination de l’Eglise primitive par le Christ, quand il prêcherait et qu’il ferait des miracles. La fête de la Pentecôte représentait la descente de l’Esprit-Saint sur les apôtres. La fête des trompettes figurait leur prédication. La fête de l’expiation indiquait que les chrétiens seraient purifiés de leurs péchés. La fête des Tabernacles signifiait leur pèlerinage en ce monde où ils marchent en faisant des progrès dans la vertu. La fête des collectes indiquait la réunion des fidèles dans le royaume des cieux ; c’est pourquoi on disait qu’elle était la plus sainte. Ces trois fêtes faisaient suite l’une à l’autre, parce qu’il faut que ceux qui ont été purifiés de leurs vices s’avancent dans la vertu jusqu’à ce qu’ils parviennent à la vision de Dieu, comme le dit le Psalmiste (Ps. 83).

 

          Mais c’est le contraire. L’Apôtre dit (Héb., 8, 4) : Ceux qui offrent des dons selon la loi exercent un culte qui était l’ombre et la figure des choses célestes, d’après ce qui a été dit à Moïse quand il dressait le tabernacle : Voyez, lui fut-il dit, faites tout d’après le modèle qui vous a été montré sur la montagne. Or, ce qui représente l’image des choses célestes est tout à fait raisonnable. Donc les cérémonies des choses sacrées avaient une cause raisonnable.

 

          Conclusion Puisque tout le culte extérieur a principalement pour but de faire adorer Dieu par les hommes, il a fallu déterminer des temps particuliers, un tabernacle, des vases et des ministres spécialement affectés à ce culte.

          Il faut répondre que le culte extérieur a principalement pour but d’imprimer dans les hommes le respect pour la Divinité. Or, le cœur de l’homme est ainsi fait qu’il respecte moins les choses communes et qui ne sont pas distinctes des autres, tandis qu’il vénère et qu’il admire davantage celles qui se distinguent des autres par une certaine supériorité. C’est de là qu’est venue la coutume de faire mettre aux rois et aux princes, qui ont besoin d’être respectés par leurs sujets, des habits plus précieux et de leur faire construire des habitations plus vastes et plus splendides. C’est pourquoi il a fallu pour le culte de Dieu des époques spéciales, un tabernacle spécial des vases et des ministres spécialement affectés à cet office, afin d’inspirer aux hommes plus de respect pour la Divinité. — De même l’état de l’ancienne loi avait pour but, comme nous l’avons dit (art. 1 et art. 2), de figurer le mystère du Christ. Or, il faut que ce qui doit représenter une chose soit déterminé, afin que la figure ait de la ressemblance avec l’objet figuré (C’est pour cette raison qu’il n’y avait que Dieu qui pût déterminer ces choses par l’intermédiaire de ses prophètes, puisque leur détermination suppose la connaissance de l’avenir.). C’est pour ce motif qu’on a dû observer certaines choses particulières à l’égard de ce qui appartient au culte de Dieu.

 

Article 5 : Peut-on assigner une cause convenable aux sacrements de l’ancienne loi ?

 

          Objection N°1. Il semble qu’on ne puisse assigner une cause convenable aux sacrements de l’ancienne loi. En effet, les choses qui se font pour le culte divin ne doivent pas ressembler à celles que les idolâtres observaient. En effet il est dit (Deut., 12, 31) : Vous ne ferez pas comme les nations à l’égard du Seigneur votre Dieu. Car elles ont fait pour honorer leurs dieux toutes les abominations que le Seigneur a en horreur. Or, les adorateurs des idoles se faisaient des incisions avec des couteaux jusqu’à ce que le sang en sortît. Ainsi l’Ecriture rapporte (3 Rois, 18, 28) : Qu’ils se faisaient des incisions selon leur coutume avec des couteaux et des lancettes jusqu’à ce qu’ils fussent couverts de leur sang. C’est pourquoi le Seigneur dit aux Juifs (Deut., 14, 1) : Ne vous faites point d’incisions et ne vous faites point tondre pour pleurer les morts, parce que vous êtes un peuple saint et consacré au Seigneur votre Dieu, et qu’il vous a choisi de toutes les nations qui sont sur la terre, afin que vous fussiez particulièrement son peuple. C’est donc à tort que la loi avait prescrit la circoncision.

          Réponse à l’objection N°1 : La principale raison littérale de la circoncision, c’est qu’elle fut instituée pour protester de la foi en un seul Dieu. Et parce que Abraham fut le premier qui se sépara des infidèles en sortant de sa maison et de sa famille, il fut aussi le premier qui reçut la circoncision. L’Apôtre en donne lui-même cette cause (Rom., 4, 11). Il reçut, dit-il, la marque de la circoncision, comme le sceau de la justice qu’il avait reçue par la foi, lorsqu’il était encore incirconcis… Sa foi lui fut imputée à justice, parce qu’il espéra contre toute espérance, c’est-à-dire qu’il espéra dans la grâce contre l’espérance de la nature, qu’il deviendrait le père de beaucoup de nations, quoiqu’il fût vieux lui-même et que son épouse fût aussi très âgée et stérile. Et pour que cette protestation et cette imitation de la foi d’Abraham s’affermit dans le cœur des Juifs, ils reçurent dans leur chair ce signe qu’ils ne pouvaient plus oublier. C’est pourquoi il est dit (Gen., 17, 13) : Le pacte que j e fais avec vous sera marqué clans votre chair, comme le signe de notre alliance éternelle. On ne faisait la circoncision qu’au huitième jour, parce qu’auparavant l’enfant était trop faible et qu’on aurait pu le blesser grièvement, ses chairs n’étant pas encore assez affermies. C’est pour le même motif qu’on n’offrait pas d’animaux avant le huitième jour (C’est ce qui est expressément recommandé dans la loi (Ex., 22, 30) : vous les laisserez sept jours avec la mère, et vous me les offrirez le huitième.). On ne différait pas davantage, de peur que la crainte de la douleur n’en empêchât quelques-uns de se soumettre à cette cérémonie, et aussi de peur que les parents dont l’amour grandit, à mesure que leurs enfants se développent, ne soient portés à les soustraire à cette marque, après avoir vécu quelque temps avec eux et après les avoir vu croître et se fortifier. La seconde raison c’est que la circoncision avait pour but d’affaiblir la concupiscence. La troisième c’est qu’elle était une détestation des plaisirs de Vénus et de Priape, dans lesquels on honorait cette partie du corps. Le Seigneur n’a d’ailleurs défendu que les incisions qu’on se faisait dans le culte des idoles, par rapport auxquelles la circoncision n’avait pas la moindre ressemblance. — La raison figurative de la circoncision, c’est qu’elle représentait la destruction de la corruption qui devait être l’œuvre du Christ et qui sera parfaite dans le huitième âge qui est celui de la résurrection. Et parce que toute corruption qui résulte du péché et du châtiment a en nous une origine charnelle par suite du péché du premier homme, la circoncision se pratiquait pour ce motif sur l’organe de la génération. C’est ce qui fait dire à l’Apôtre (Col., 2, 11) : C’est en Jésus-Christ que vous avez été circoncis d’une circoncision qui n’a pas été faite de la main des hommes, mais par l’Esprit de Dieu, et qui consiste dans le dépouillement du corps de péché que produit la concupiscence de la chair, et qui est la véritable circoncision de Notre-Seigneur Jésus-Christ.

 

          Objection N°2. Ce que l’on fait pour honorer Dieu doit avoir de la décence et de la gravité, d’après ces paroles du Psalmiste (Ps. 34, 18) : Je vous louerai au milieu d’un peuple grave et nombreux. Or, il semble que ce soit pour les hommes une marque de légèreté de manger avec précipitation. On a donc eu tort de commander aux Juifs (Ex., chap. 12) de manger l’agneau pascal avec hâte. D’ailleurs toutes les prescriptions qui regardent la manière dont on devait manger cet agneau paraissent absolument déraisonnables.

          Réponse à l’objection N°2 : Le festin pascal avait pour cause littérale le souvenir du bienfait, par lequel le Seigneur tira les Juifs de l’Egypte. Ainsi en faisant ce repas ils avouaient qu’ils appartenaient à ce peuple que Dieu s’était choisi. Car quand ils furent délivrés de l’Egypte, on leur ordonna de marquer du sang de l’agneau le frontispice de leurs maisons, pour montrer qu’ils s’éloignaient des rites des Egyptiens qui adoraient le bélier. C’est pourquoi en aspergeant du sang de l’agneau ou en marquant les portes de leurs maisons, ils furent délivrés de la menace d’extermination qui pesait sur les Egyptiens. Or, en sortant de l’Egypte, il y eut deux choses qui caractérisèrent leur marche. C’est d’abord la précipitation de leur départ ; car les Egyptiens les pressaient de sortir avec rapidité, comme on le voit (Ex., 12, 33). Et celui qui ne se serait pas hâté de sortir avec la multitude, aurait été exposé à être victime des Egyptiens. Or, cette précipitation était exprimée de deux manières. 1° Par les choses qu’ils mangeaient. Car on leur avait ordonné de manger des pains azymes pour indiquer qu’ils ne pouvaient les laisser fermenter, parce que les Egyptiens les pressaient trop vivement, et on leur avait dit de manger ce qui avait été rôti au feu, sans broyer les os, parce que c’est la manière la plus expéditive de préparer une viande, et que celui qui est pressé ne prend pas le temps de briser les os. 2° Elle était exprimée par la manière dont ils devaient le manger. Car il est dit : Vous aurez les reins ceints, vos chaussures seront dans vos pieds, vous tiendrez à la main un bâton et vous mangerez en toute hâte ; ce qui montre manifestement des hommes prêts à partir en voyage. Le précepte qui leur ordonnait de manger l’agneau dans une seule maison et de ne pas en disperser les chairs au dehors avait le même sens, parce que leur empressement ne leur permettait pas de s’envoyer des cadeaux (Le mot xenia, qui est ici employé, vient du grec ξένος, et a d’abord signifié des présents faits à des étrangers, dona hospitalia.). Les laitues amères indiquaient l’amertume des souffrances qu’ils avaient endurées en Egypte. — La raison figurative est évidente. Car l’immolation de l’agneau pascal signifiait l’immolation du Christ, d’après ces paroles de saint Paul (1 Cor., 5, 7) : Le Christ notre pâque a été immolé. Le sang de l’agneau qui délivre de l’ange exterminateur, lorsqu’on en place sur le frontispice des maisons, indique la foi dans la passion du Christ qui est dans le cœur et la bouche des fidèles, et qui nous délivre du péché et de la mort, d’après ces paroles de saint Pierre (1 Pierre, 1, 18) : Vous avez été rachetés… par le précieux sang de l’agneau sans tache. On mangeait les chairs de l’agneau pour figurer la manducation du corps du Christ dans le sacrement. On les faisait rôtir au feu pour représenter sa passion ou sa charité. On les mangeait avec des pains azymes, pour montrer la vie pure des fidèles qui recevaient le corps du Christ, d’après ces paroles de saint Paul (1 Cor., 5, 8) : Nourrissons-nous des azymes de la sincérité et de la vérité. On y ajoutait des laitues amères en signe de la pénitence, qui est nécessaire aux pécheurs qui reçoivent le corps du Christ. Les reins ceints indiquent le lien de la chasteté, les chaussures que l’on a aux pieds sont les exemples des ancêtres qui ne sont plus (Elles indiquaient que l’on devait marcher sur leurs traces. Ce symbolisme se retrouve dans la liturgie.), le bâton que l’on doit tenir à la main est le symbole de la garde vigilante qu’exercent les pasteurs. Il était commandé de manger l’agneau pascal dans une même maison, c’est-à-dire dans l’Eglise catholique, mais non dans les conciliabules des hérétiques.

 

          Objection N°3. Les sacrements de l’ancienne loi ont été la figure des sacrements de la loi nouvelle. Or, l’agneau pascal figurait le sacrement de l’eucharistie, d’après ces paroles de l’Apôtre (1 Cor., 5, 7) : Le Christ notre Pâque a été immolé. Il aurait donc fallu qu’il y eût aussi dans l’ancienne loi des sacrements qui fussent la figure des autres sacrements de la loi nouvelle, de la confirmation, de l’extrême-onction, du mariage, etc.

          Réponse à l’objection N°3 : Il y a des sacrements de la loi nouvelle qui ont eu dans la loi ancienne des sacrements figuratifs qui leur correspondaient. Car le baptême qui est le sacrement de la foi répond à la circoncision. C’est ce qui fait dire à l’Apôtre (Col., 2, 11) : Vous avez été circoncis de la circoncision du Christ et vous avez été ensevelis avec lui dans le baptême. Au festin de l’agneau pascal répond dans la loi nouvelle le sacrement de l’Eucharistie. Le sacrement de la Pénitence dans la loi nouvelle répond à toutes les purifications de l’ancienne loi. Le sacrement de l’Ordre répond à la consécration du pontife et des prêtres. Celui de la Confirmation, qui est le sacrement de la plénitude de la grâce, ne pouvait avoir dans l’ancienne loi de sacrement qui lui correspondît, parce que le temps de la plénitude n’était pas encore arrivé, puisque la loi ne menait à rien de parfait (Héb., 7, 19). Il en est de même du sacrement de l’Extrême-Onction qui est une préparation immédiate à l’entrée dans la gloire, dont l’accès n’était pas ouvert dans l’ancienne loi, la dette n’ayant pas été payée. Le mariage exista sous la loi ancienne comme un devoir de la nature, mais non comme un sacrement ou comme un signe sacré de l’union du Christ et de l’Eglise, parce que cette union n’existait pas encore (Ce fut le Christ qui éleva ce contrat à la dignité d’un sacrement. Cette question des sacrements se trouve d’ailleurs longuement traitée dans la 3e partie de la Somme.). C’est pourquoi il y avait alors le libelle de répudiation qui est contraire à l’essence du sacrement.

 

          Objection N°4. On ne peut être raisonnablement purifié qu’autant qu’on est souillé. Or, par rapport à Dieu il n’y a pas de souillure corporelle, parce que tout corps est une créature et que toute créature de Dieu étant bonne, on ne doit rien rejeter de ce qu’on reçoit en action de grâces (1 Tim., 4, 4). C’est donc à tort que l’on se purifiait pour avoir touché un mort ou pour toute autre souillure corporelle.

          Réponse à l’objection N°4 : Comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.), les purifications de l’ancienne loi avaient pour but d’écarter tout ce qui est un obstacle au culte divin. Or, il y a deux sortes de cultes : le culte spirituel qui consiste dans le dévouement de l’esprit à Dieu, et le culte corporel qui consiste dans les sacrifices, les oblations et les autres choses de cette nature. Ce qui détournait les hommes du culte spirituel, ce sont les péchés qui les souillaient, comme l’idolâtrie, l’homicide, les adultères et les incestes. Les hommes étaient purifiés de ces souillures par des sacrifices que l’on offrait pour la multitude entière ou pour les fautes de chaque individu. Ce n’est pas que ces sacrifices charnels aient eu par eux-mêmes la vertu d’expier le péché, mais c’est parce qu’ils signifiaient l’expiation future des péchés par le Christ, à laquelle les anciens participaient, en montrant leur foi dans le Rédempteur dont ces sacrifices étaient la figure. — Ce qui éloignait les hommes du culte extérieur, c’étaient les impuretés corporelles. On les considérait d’abord dans les hommes et ensuite dans les animaux, dans les vêtements, les maisons et les vases. L’impureté dans les hommes provenait en partie d’eux-mêmes et en partie du contact des choses immondes. D’après les hommes eux-mêmes, on réputait immonde tout ce qui était une corruption ou ce qui y était exposé. Ainsi la mort étant une corruption, on regardait comme immonde le cadavre d’un individu. De même parce que la lèpre résulte de la corruption des humeurs qui s’échappent au dehors et qui souillent les autres, on regardait aussi les lépreux comme impurs. On considérait également de la même manière les femmes qui avaient des pertes de sang, soit par infirmité, soit naturellement, au temps de leurs règles ou de leur conception. Pour la même raison, on disait impurs les hommes qui avaient fait des pertes honteuses par infirmité ou par l’effet d’une pollution nocturne ou dans l’acte de la génération. Car tout ce qui sort de l’homme de ces différentes manières produit une souillure immonde. Il y avait aussi dans les hommes une souillure qui résultait du contact des choses impures. — La raison de ces impuretés était littérale et figurative. Leur raison littérale c’est qu’elles avaient été établies pour faire respecter ce qui appartient au culte divin ; soit parce que les hommes n’ont pas l’habitude de toucher aux choses précieuses quand ils sont impurs, soit parce qu’ils vénèrent davantage les choses saintes quand ils s’en approchent plus rarement. Car comme il était rare qu’on pût éviter toutes ces impuretés, il en résultait que les hommes pouvaient rarement toucher aux choses qui appartenaient au culte divin, et par conséquent quand ils s’en approchaient, c’était avec un respect plus profond et une plus grande humilité d’esprit. Quelques-unes de ces prescriptions avaient littéralement pour but d’empêcher qu’on ne craignit de s’approcher du culte de Dieu, sous prétexte qu’on redoutait la compagnie des lépreux et des autres malades, dont le mal était abominable et contagieux. D’autres avaient pour but d’éviter l’idolâtrie, parce que les gentils dans les rites de leurs sacrifices se servaient quelquefois du sang et du sperme humain. Toutes ces impuretés corporelles étaient purifiées par la seule aspersion de l’eau, ou quand elles étaient plus grandes, par un sacrifice expiatoire du péché d’où provenaient ces infirmités. — La raison figurative de ces impuretés, c’est que ces souillures extérieures figuraient divers péchés. En effet l’impureté du cadavre désigne la souillure du péché qui est la mort de l’âme. L’impureté de la lèpre marque la souillure que l’hérésie imprime, soit parce que l’enseignement des hérétiques est contagieux comme elle, soit parce qu’il n’y a pas d’hérésie tellement fausse qu’elle ne renferme quelque chose de vrai, comme on voit sur la surface du corps d’un lépreux de petites taches qui indiquent ce qu’il y a de sain dans sa chair. L’impureté de la femme qui subit une perte de sang désigne l’idolâtrie, parce qu’elle versait le sang dans les sacrifices. Celle de l’homme est la figure des vains discours, parce que la semence est la parole de Dieu. Celle de la génération et de la conception représente la tache du péché originel ; celle de la femme qui a ses règles indique l’impureté de l’esprit que les débauches ont amolli. En général par l’impureté résultant du contact d’une chose immonde, on désigne la souillure qui résulte de ce que l’on consent au péché d’autrui, suivant ces paroles de saint Paul (2 Cor., 6, 17) : Sortez du milieu d’eux, séparez-vous et ne touchez pas celui qui est immonde. Un contact impur souillait jusqu’aux choses inanimées. Car tout ce que touchait de quelque manière celui qui était impur devenait impur comme lui. La loi atténuait sous ce rapport la superstition des gentils qui prétendaient qu’on était souillé, non seulement par le contact de celui qui est impur, mais encore par sa parole ou par son regard, comme le dit le rabbin Moïse (Moïse Maimonide, dont nous avons parlé plus haut.) à l’égard de la femme qui a ses règles. (Dux errant., liv. 3, chap. 48). Mystiquement ces impuretés légales désignaient ce que dit la Sagesse (14, 9) : C’est que Dieu a également en haine l’impie et son impiété. — Il y avait des impuretés qui s’attachaient aux choses inanimées considérées en elles-mêmes. Ainsi il y avait l’impureté de la lèpre qui s’attachait aux maisons et aux vêtements. Car comme les hommes gagnent la maladie de la lèpre par suite de l’humeur qui se gâte et qui corrompt avec elle la chair, ainsi la fétidité et l’excès de sécheresse ou d’humidité sont quelquefois cause d’une corruption qui se montre sur les pierres des maisons ou sur les habits. La loi donnait à cette souillure le nom de lèpre, d’où l’on considérait comme impure la maison ou les vêtements qui en étaient atteints ; soit parce que toute corruption se rapportait à cette impureté, comme nous l’avons dit plus haut, soit parce que les gentils invoquaient leurs dieux pénates contre ce fléau. C’est pourquoi la loi ordonna de détruire les maisons ou de brûler les habits qu’on ne pourrait préserver de ce mal, afin d’enlever cette occasion d’idolâtrie. Il y avait aussi l’impureté des vases dont il est dit (Nom., 19, 15) : Tout vase qui n’aura pas de couvercle ou qui ne sera pas lié par-dessus sera réputé impur. La cause de cette impureté, c’est qu’il pouvait facilement tomber dans un vase ouvert quelque chose d’immonde capable de le souiller. Ce précepte avait aussi pour but de détourner les Juifs de l’idolâtrie. Car les idolâtres croyaient que si une souris, un lézard, ou d’autres animaux semblables qu’ils immolaient aux idoles, venaient à tomber dans des vases ou dans de l’eau, ils n’en étaient que plus agréables à Dieu. Maintenant encore il y a des femmes qui laissent des vases découverts pour être agréables à des divinités nocturnes qu’elles appellent Janas. — La raison figurative de ces impuretés, c’est que la lèpre de la maison désigne l’impureté de l’assemblée des hérétiques ; la lèpre du vêtement de lin représente la corruption des mœurs qui provient de l’aigreur de l’esprit ; la lèpre du vêtement de laine est le symbole de la perversité des flatteurs ; la lèpre du vêtement de fil indique les vices de l’âme ; la lèpre de la trame signifie les péchés de la chair, parce que le fil est dans la trame, comme l’âme est dans le corps. Le vase qui n’a pas de couvercle et qui n’est pas lié par-dessus est l’image de l’homme qui ne sait pas garder le silence et qui ne peut pas se soumettre aux règles de la discipline.

 

          Objection N°5. Il est écrit (Ecclésiastique, 34, 4) : Comment ce qui est impur peut-il rendre pur ? Or, la cendre de la vache rousse que l’on brûlait était impure, puisqu’elle rendait tel. Car il est dit (Nom., 19, 7), que le prêtre qui l’immolait était souillé jusqu’au soir. Il en était de même de celui qui recueillait ses cendres. C’est donc à tort que l’on ordonnait de répandre ces cendres pour purifier ceux qui étaient souillés.

          Réponse à l’objection N°5 : Comme nous l’avons dit (réponse N°4), il y avait dans la loi deux sortes d’impuretés. L’une qui résultait d’une corruption quelconque de l’esprit et du corps ; c’était la plus grande. L’autre qui provenait uniquement du contact d’une chose impure ; c’était la moindre et la plus facile à expier. Car la première s’expiait par des sacrifices pour le péché, parce que toute corruption procède du péché et en est le symbole ; tandis que la seconde s’expiait simplement par l’aspersion de l’eau d’expiation, dont il est parlé (Nom., chap. 19). Le Seigneur ordonne en cet endroit de prendre une vache rousse en mémoire du péché que les Juifs avaient commis par l’adoration du veau d’or. On désigne une vache plutôt qu’un veau, parce que le Seigneur avait coutume d’appeler de ce nom la synagogue, d’après ce mot du prophète Osée (4, 16) : Israël s’est détourné du Seigneur, comme une génisse qui ne peut souffrir le joug. Et il lui donnait, ce nom, sans doute parce que les Juifs adorèrent des vaches à la façon des Egyptiens (Saint Augustin parle du respect que les Egyptiens avaient pour ces animaux et de leur culte pour le bœuf (De civ. Dei, liv. 18, chap. 5).). Ils ont adoré les vaches de Bethaven, dit encore le même prophète (10, 5). On immolait hors du camp, en haine du péché d’idolâtrie, et partout où l’on faisait un sacrifice pour l’expiation des péchés de la multitude, on le brûlait tout entier hors du camp. Et pour indiquer que ce sacrifice purifiait le peuple de toutes ses fautes en général, le prêtre trempait son doigt dans le sang de la victime et en aspergeait les portes du sanctuaire sept fois, parce que le nombre sept exprime l’universalité. L’aspersion du sang se faisait en haine du culte des idolâtres, qui ne répandaient pas le sang des victimes, mais qui le recueillaient au contraire, et qui se mettaient autour pour faire un festin en l’honneur des idoles. La victime était brûlée, soit parce que Dieu apparut à Moïse dans le feu et que la loi fut donnée de cette manière ; soit parce qu’on voulait montrer qu’on devait absolument détruire l’idolâtrie et tout ce qui lui appartenait, comme la vache dont on livrait aux flammes la peau, les chairs, le sang, et jusqu’aux excréments. Sur le bûcher on plaçait du bois de cèdre, de l’hysope, de l’écarlate deux fois teinte, pour montrer que comme le bois de cèdre ne se corrompt pas facilement, comme l’écarlate deux fois teinte ne perd pas sa couleur, et comme l’hysope conserve son odeur après qu’elle a été desséchée, de même ce sacrifice devait avoir pour effet de conserver le peuple lui-même, sa gloire et ses vertus. C’est pourquoi il est dit des cendres de la vache rousse qu’elles devaient être une sauvegarde pour la multitude des enfants d’Israël. Ou bien, d’après Josèphe (Antiq., liv. 3, chap. 8 à 10), on figurait par là les quatre éléments. Ainsi le cèdre qu’on plaçait sur le feu indiquait la terre parce que sa nature est toute terrestre ; l’hysope signifiait l’air à cause de son odeur ; l’écarlate représentait l’eau pour la même raison que la pourpre, parce que les teintures viennent de l’eau. Et on employait toutes ces choses pour montrer que ce sacrifice était offert au créateur des quatre éléments. Et parce qu’on l’offrait pour le péché de l’idolâtrie et en haine de ce crime, celui qui brûlait la vache, celui qui en recueillait les cendres et celui qui faisait l’aspersion de l’eau dans laquelle on avait mis de la cendre, étaient tous considérés comme impurs ; afin de montrer par là que tout ce qui appartient à l’idolâtrie, de quelque manière, doit être rejeté comme immonde. On se purifiait de cette impureté par l’ablution seule des vêtements. On n’avait pas besoin d’être aspergé d’eau à cause de cette impureté, parce qu’il aurait fallu aller indéfiniment de purification en purification. Car comme celui qui aspergeait devenait impur, s’il se fût aspergé lui-même il serait resté tel, et si un autre l’eût aspergé il aurait été souillé ; de même celui qui aurait aspergé ce dernier, et cela indéfiniment. — La raison figurative de ce sacrifice, c’est que la vache rousse représente le Christ. Elle était du sexe féminin pour figurer l’infirmité de la nature que le Christ a épousée ; sa couleur marquait le sang de sa passion. Elle était dans la perfection de son âge, parce que toutes les opérations du Christ sont parfaites. Il n’y avait en elle aucune tache et elle n’avait point porté le joug, parce que le Christ fut innocent et qu’il ne connut pas le joug du péché. Il est ordonné de la consacrer à Moïse, parce que les Juifs devaient accuser le Christ d’avoir transgressé la loi mosaïque en violant le jour du sabbat. Elle devait être livrée au prêtre Eléazar, parce que le Christ a été mis lui-même entre les mains des prêtres pour être crucifié. On l’immole hors du camp, parce que le Christ a souffert hors de la porte de Jérusalem. Le prêtre trempe son doigt dans le sang de la victime, parce qu’on doit considérer et imiter le martyre de la passion du Christ, avec la discrétion dont le doigt est l’indice. On asperge contre le tabernacle qui représente la synagogue, soit pour condamner les Juifs qui ne croient pas, soit pour purifier ceux qui croient. On le fait sept fois à cause des sept dons de l’Esprit-Saint, ou à cause des sept jours, dans lesquels tout le temps est compris. Tout ce qui regarde l’incarnation du Christ doit être brûlé par le feu, c’est-à-dire qu’on doit l’entendre spirituellement. Car la peau et la chair désignent l’opération extérieure du Christ ; le sang, sa vertu intérieure et subtile qui vivifiait tous ses actes extérieurs ; les excréments, sa lassitude, sa soif et tout ce qui se rapportait à son infirmité. On y ajoutait trois choses : le cèdre qui montre la hauteur de l’espérance ou de la contemplation ; l’hysope qui signifie l’humilité ou la foi ; l’écarlate deux fois teinte qui marque le double amour de Dieu et du prochain. Car c’est par ces vertus que nous devons nous attacher au Christ qui a souffert pour nous. Un homme pur recueillait la cendre du bûcher ; parce que les restes de la passion sont parvenus aux gentils qui n’ont pas été coupables dans la mort du Christ. On mettait les cendres dans de l’eau pour l’expiation, parce que c’est de la passion du Christ que le baptême tire la vertu qu’il a de purifier les péchés. Le prêtre qui immolait et brûlait la vache, celui qui recueillait les cendres, ainsi que celui qui aspergeait l’eau, étaient tous impurs, parce que les Juifs ont été rendus impurs à l’occasion du Christ, par lequel nos péchés sont expiés. Et cela jusqu’au soir, c’est-à-dire jusqu’à la fin du monde, quand les restes d’Israël seront convertis. Ou bien parce que ceux qui ont en main les choses saintes, en s’appliquant à la purification des autres, contractent eux-mêmes quelques souillures, comme le dit saint Grégoire (Past., part. 2, chap. 5), et il en sera ainsi jusqu’au soir, c’est-à-dire jusqu’à la fin de la vie présente.

 

          Objection N°6. Les péchés ne sont pas quelque chose de matériel qu’on puisse porter d’un lieu à un autre, et l’homme ne peut pas être purifié de ses iniquités par ce qui est immonde. C’est donc à tort que pour l’expiation des péchés du peuple, le prêtre les confessait sur un bouc, pour qu’il les emportât dans le désert, tandis que l’autre bouc dont on se servait pour les purifications était brûlé hors du camp avec un veau, et qu’il souillait les sacrificateurs au point qu’ils étaient obligés de laver dans l’eau leur vêtement et leur chair.

          Réponse à l’objection N°6 : Comme nous l’avons dit (réponse N°4), l’impureté qui provenait de la corruption de l’esprit ou du corps était expiée par les sacrifices pour le péché. Or, on offrait des sacrifices particuliers pour les péchés de chacun. Mais comme il y en avait qui négligeaient d’expier ces péchés et ces impuretés, ou bien qui manquaient de le faire par ignorance, il fut établi qu’une fois par an, le dixième jour du septième mois, on ferait un sacrifice d’expiation pour tout le peuple. Et parce que, selon l’expression de l’Apôtre (Héb., 7, 28), la loi établit pour prêtres des hommes remplis de faiblesse, il fallait que le prêtre offrît pour lui-même un veau pour le péché, en mémoire du péché qu’Aaron avait fait en fondant le veau d’or ; et il devait offrir un bélier en holocauste, pour représenter que la prééminence du sacerdoce, figurée par le bélier qui est le chef du troupeau, doit avoir pour fin la gloire de Dieu. Ensuite il offrait deux boucs, dont l’un était immolé pour l’expiation des péchés de la multitude. Car le bouc est un animal fétide, et l’on fait avec ses poils des vêtements très rudes pour indiquer par là ce que le péché a de honteux et d’impur, et de quels tourments il assiège la conscience. On portait le sang de ce bouc qui avait été immolé avec le sang du veau dans le Saint des saints, et on aspergeait tout le sanctuaire, pour montrer que le tabernacle était pur de toutes les souillures des enfants d’Israël. Le corps du bouc et du veau, qui avaient été immolés pour le péché, devait être brûlé pour montrer que les péchés étaient anéantis. Mais on ne les brûlait pas sur l’autel, parce qu’on ne brûlait là totalement que les holocaustes. Il avait été commandé de les brûler hors du camp en haine du péché. Car on le faisait toutes les fois qu’on immolait un sacrifice pour un péché grave ou pour la multitude des fautes. L’autre bouc était envoyé dans le désert, non pour être offert aux démons à la manière des gentils qui les adoraient dans ces lieux, parce qu’il n’était pas permis aux Juifs de les sacrifier, mais pour marquer l’effet du sacrifice que l’on venait d’immoler. C’est pourquoi le prêtre plaçait sa main sur la tête de ce bouc, en confessant les péchés des enfants d’Israël, comme si cet animal les eût emportés dans le désert où les bêtes sauvages devaient le manger et lui faire porter d’une certaine manière le châtiment des péchés du peuple. On disait qu’il portait les péchés du peuple ; parce que son départ indiquait que ces péchés étaient remis, ou parce qu’on lui liait sur la tête un feuillet sur lequel ils étaient inscrits. — La raison figurative de toutes ces choses, c’est que le veau représentait le Christ à cause de sa force ; le bélier, parce qu’il est le chef des fidèles, et le bouc parce qu’il a pris la ressemblance de la chair du péché. Le Christ a été aussi immolé pour les péchés des prêtres et du peuple, parce que sa passion a purifié du péché les petits et les grands. Le pontife portait dans le Saint des saints le sang du bouc et du veau, parce que c’est le sang de la passion du Christ qui nous a ouvert l’entrée du royaume des deux. On brûlait leurs corps, parce que le Christ a souffert hors la porte de la ville, selon la remarque de saint Paul lui-même (Héb., 13, 12). Le bouc qui était conduit dans le désert peut représenter, ou la divinité même du Christ qui s’était comme retirée de son humanité pendant sa passion, non en changeant de lieu, mais en comprimant sa puissance, ou bien il signifie la concupiscence mauvaise que nous devons éloigner de nous, pour offrir à Dieu les bons mouvements de notre cœur. Quant à l’impureté que contractaient ceux qui offraient ces sacrifices, on doit faire le même raisonnement que pour le sacrifice de la vache rousse (Voy. réponse N°5).

 

          Objection N°7. Ce qui a déjà été purifié ne doit pas l’être de nouveau. Il n’était donc pas convenable quand la lèpre d’un homme ou de sa maison avait été purifiée de faire une autre purification, comme on le voit (Lév., chap. 14).

          Réponse à l’objection N°7 : Le rit légal ne purifiait pas le lépreux de la tache de la lèpre, mais il était une preuve qu’il l’était. C’est le sens de ces paroles qu’on lit à l’égard du prêtre (Lév., 14, 3) : Quand il aura reconnu que la lèpre est bien guérie, il ordonnera à celui qui doit être purifié d’offrir, etc. La lèpre était donc déjà guérie, mais on disait qu’il était purifié en ce sens que d’après la sentence du prêtre, il était rendu à la société des hommes et au culte de Dieu (La sentence du prêtre n’était généralement que déclaratoire.). Cependant il arrivait quelquefois que par un miracle de Dieu, le rit de la loi guérissait la lèpre corporelle, quand le prêtre s’était trompé en portant son jugement. Cette purification du lépreux se faisait de deux manières. D’abord on jugeait qu’il était pur, ensuite on le rendait comme tel à la société des hommes et au culte de Dieu après sept jours. Dans la première purification, le lépreux qui devait être purifié offrait pour lui deux passereaux vivants, du bois de cèdre, un vermisseau et de l’hysope ; on liait avec un fil de couleur écarlate un passereau et l’hysope avec le bois de cèdre, de telle sorte que le bois de cèdre formait comme le manche d’un goupillon. L’hysope et le passereau recevaient le sang de l’autre passereau qu’on avait immolé dans des eaux vives et étaient ainsi employés à l’aspersion. On offrait ces quatre choses par opposition aux quatre maux qui résultaient de la lèpre. Ainsi le cèdre qui est un bois incorruptible se trouvait en opposition avec la pourriture que cette maladie engendre, l’hysope qui est une herbe odoriférante était contre la mauvaise odeur qu’elle exhale ; le passereau vivant contre l’insensibilité qu’elle produit, le vermisseau qui a une couleur vive contre la couleur pâle qu’elle imprime. On laissait le passereau vivant s’envoler dans les champs, parce que le lépreux était rendu à son ancienne liberté. Au huitième jour on admettait le lépreux au culte de Dieu et on lui permettait de communiquer avec ses semblables. Toutefois, on l’obligeait d’abord à se raser tous les poils du corps et à laver ses vêtements parce que la lèpre ronge les poils qu’elle souille et rend fétides les habits. On offrait ensuite un sacrifice pour son péché, parce que la plupart du temps la lèpre avait pour cause quelque transgression. On prenait du sang du sacrifice pour lui en marquer l’extrémité de l’oreille, les pouces de la main droite et du pied, parce que c’est par là que la lèpre se manifeste tout d’abord et se fait sentir. On employait pour ce rit trois sortes de substances liquides : le sang, par opposition à la corruption sanguine qui est l’effet de la lèpre, l’huile pour désigner que le malade était guéri, et l’eau vive pour le purifier de ses souillures. — La raison figurative de ce rit, c’est que les deux passereaux signifient la divinité et l’humanité du Christ. Celui qui représente l’humanité est immolé dans un vase de terre sur des eaux vives, parce que la passion du Christ a consacré les eaux du baptême. Celui qui représente la Divinité impassible restait vivant, parce que la Divinité ne peut mourir, et il s’envolait, parce que la Divinité ne pouvait être soumise aux souffrances de la passion. Ce passereau vivant était lié avec le bois de cèdre, l’écarlate, le vermisseau et l’hysope qui étaient les symboles de la foi, de l’espérance et de la charité, comme nous l’avons dit (art. 4, réponse N°4). On le plongeait dans l’eau pour asperger, pour montrer que nous sommes baptisés dans la foi du Christ, qui est Dieu et homme. L’homme lave par l’eau du baptême et de la pénitence ses vêtements et ses poils, c’est-à-dire ses actions et ses pensées. On marquait de sang et d’huile l’extrémité de l’oreille droite de celui qui était purifié, pour prémunir son ouïe contre les paroles qui pouvaient la corrompre. On en faisait autant aux pouces de sa main droite et de son pied, pour que son action fût sainte. Quant aux autres cérémonies qui regardent la purification de la lèpre ou des autres souillures, elles n’ont rien de particulier ; elles ne sont qu’une répétition des autres sacrifices offerts pour le péché.

 

          Objection N°8. Une souillure spirituelle ne peut pas être effacée par l’eau matérielle ou en rasant les poils de la peau. Il semble donc déraisonnable que le Seigneur ait dit (Ex., 30, 18), de faire un bassin d’airain élevé sur une base pour laver les mains et les pieds des prêtres qui devaient entrer dans le tabernacle, et qu’il ait ordonné (Nom., 8, 7) aux lévites de se purifier avec de l’eau lustrale et de raser tous les poils de leur chair.

          Réponse à l’objection N°8 : Comme la circoncision établissait le peuple pour le culte de Dieu, de même il fallait pour les ministres une purification et une consécration toute spéciale. Ainsi on ordonne de les séparer des autres, comme étant tout particulièrement destinés au service divin. Et tout ce que l’on faisait à leur égard dans leur consécration ou leur-institution avait pour but de montrer qu’ils avaient une certaine prééminence de pureté, de vertu et de dignité. C’est pourquoi dans leur institution on faisait trois choses : 1° on les purifiait ; 2° on les ordonnait et on les consacrait ; 3° on les appliquait aux fonctions de leur ministère. On les purifiait tous en général par l’ablution de l’eau et par des sacrifices, mais les lévites en particulier rasaient tous les poils de leur chair, comme on le voit (Lév., chap. 8 et Nom., chap. 8). La consécration des pontifes et des prêtres se faisait de la manière suivante. Après l’ablution, on les revêtait d’habits spéciaux qui représentaient leur dignité. Le pontife était particulièrement oint sur la tôle de l’huile sainte, pour montrer que c’est de lui que découle vers les autres la puissance de consacrer, comme l’huile découle de la tête vers les parties inférieures du corps, suivant cette comparaison du Psalmiste (Ps. 132, 2) : Comme le parfum répandu sur la tête, qui descend sur toute la barbe d’Aaron. Les lévites n’avaient pas d’autre consécration que d’être offerts au Seigneur de la part des enfants d’Israël, par les mains du pontife qui priait pour eux. Pour les prêtres d’un rang inférieur, on ne consacrait que leurs mains, dont ils devaient faire usage dans les sacrifices. On leur marquait avec le sang de la victime l’extrémité de l’oreille droite et les pouces du pied ou de la main droite, pour qu’ils observassent la loi de Dieu dans l’oblation des sacrifices, ce qu’indiquait le signe dont on les marquait à l’oreille droite, et pour qu’ils eussent du zèle et de l’activité dans l’exécution de leurs fonctions, ce que représentait le sang qu’on leur imprimait sur le pied et la main droite. On les aspergeait ainsi que leurs vêtements avec le sang de l’animal qu’on avait immolé, en mémoire du sang de l’agneau qui les avait délivrés de l’Egypte. On offrait dans leur consécration les sacrifices suivants : un veau pour le péché, en mémoire du pardon accordé à Aaron à l’occasion du veau d’or ; un bélier en holocauste, en souvenir de l’offrande d’Abraham dont le pontife devait imiter l’obéissance ; un bélier de consécration, qui était comme une hostie pacifique qui rappelait la délivrance de l’Egypte par le sang de l’agneau ; une corbeille de pain, en mémoire de la manne que Dieu avait envoyée à son peuple. Pour les appliquer à leurs fonctions, on mettait sur leurs mains la graisse du bélier, la mie d’un pain et l’épaule droite, pour montrer qu’ils recevaient la puissance d’offrir ces choses au Seigneur. Pour les lévites, on les introduisait dans l’arche d’alliance pour montrer qu’ils devaient s’occuper des vases du sanctuaire. — La raison figurative de toutes ces cérémonies c’est que ceux qui sont consacrés au ministère spirituel du Christ doivent d’abord être purifiés par l’eau du baptême et les larmes dans la foi de la passion du Christ qui est un sacrifice expiatoire et purgatif. Ils doivent raser tous les poils de leur chair, c’est-à-dire toutes les pensées mauvaises ; ils doivent aussi être ornés de toutes les vertus et consacrés par l’huile de l’Esprit-Saint et l’aspersion du sang du Christ, enfin ils sont obligés de s’appliquer tout entiers à l’exercice de leurs fonctions spirituelles.

 

          Objection N°9. Ce qu’il y a de plus grand ne peut pas être sanctifié par ce qui l’est moins. On avait donc tort de consacrer d’après la loi par une onction corporelle, par des sacrifices et des oblations corporels aussi, les prêtres et les lévites, comme on le voit (Lév., chap. 8, Nom., chap. 8).

 

          Objection N°10. Il est dit (1 Rois, 16, 7), que les hommes voient ce qui paraît au dehors, mais que Dieu voit le fond du cœur. Or, ce qui se manifeste au-dehors dans l’homme, c’est la disposition du corps et ce sont les vêtements. Il ne convenait donc pas de déterminer pour les grands prêtres et pour les autres des vêtements particuliers, comme on l’a fait (Ex., chap. 28). Il semble aussi qu’il n’y avait pas de raison pour éloigner du sacerdoce ceux qui avaient des défauts corporels. Ainsi il est dit à Aaron (Lév., 21, 17) : Si un homme d’entre les familles de votre race a une difformité corporelle, il n’offrira point les pains à son Dieu. Il ne s’approchera point du ministère de son autel, s’il est aveugle, s’il est boiteux, etc. Il semble donc que les sacrements de l’ancienne loi n’aient pas été raisonnables.

          Réponse à l’objection N°10 : Comme nous l’avons dit (réponse N°8 et art. 4), le but de la loi était de porter au respect du culte divin, et elle le faisait de deux manières : 1° en écartant du culte tout ce qui pouvait être méprisable ; 2° en y faisant entrer tout ce qui paraissait capable d’en rehausser l’éclat. Et si on observait cette double règle à l’égard du tabernacle, des vases sacrés et des animaux que l’on devait immoler, à plus forte raison devait-on la suivre pour les ministres eux-mêmes. C’est pourquoi, pour que les ministres ne fussent pas méprisables, on exigeait qu’ils fussent sans tache ou qu’ils n’eussent pas de défaut corporel (C’est pour le même, motif que sous la loi nouvelle les défauts corporels constituent encore des irrégularités qui empêchent d’être appelé aux saints ordres.), parce que les hommes qui ont quelque difformité sont ordinairement un objet de dérision pour les autres. C’est aussi pour cette raison qu’on décida qu’on ne prendrait pas çà et là des hommes de toute famille pour en faire les ministres de Dieu, mais qu’on ne les choisirait que dans une certaine lignée et par voie de succession pour les rendre plus nobles et plus illustres. Pour qu’ils fussent respectés, on affecta à leurs vêtements des ornements particuliers, et ils eurent une consécration spéciale. Voilà en général la raison des ornements attachés à leurs habits. Pour entrer dans le détail il faut observer que le pontife avait huit ornements : 1° il avait une veste de lin ; 2° il avait une tunique d’hyacinthe autour de laquelle on avait placé à l’extrémité, vers les pieds, des sonnettes et des grenades faites d’hyacinthe, de pourpre et d’écarlate deux fois teinte ; 3° il avait l’éphod qui lui couvrait les épaules et la partie antérieure du corps jusqu’à la ceinture. Il était d’or, d’hyacinthe, de pourpre, d’écarlate deux fois teinte et de fin lin retors. Il avait sur les épaules deux grosses pierres précieuses sur lesquelles étaient écrits les noms des enfants d’Israël. 4° Il avait le rational fait de la même matière que l’éphod. Il était carré, s’adaptait sur la poitrine et s’unissait à l’éphod. Sur ce rational il y avait douze pierres précieuses placées sur quatre rangs, et sur lesquelles étaient écrits les noms des enfants d’Israël. Le grand prêtre portait leurs noms sur ses épaules pour indiquer qu’il avait à sa charge le peuple entier, et il les portait sur sa poitrine pour faire voir qu’il devait toujours penser à leur salut et les avoir constamment dans son cœur. Le Seigneur ordonna d’écrire sur le rational ces mots : doctrine et vérité ; parce qu’il y avait des choses qui appartiennent à la vérité de la justice et de la doctrine qui s’y trouvaient écrites. Toutefois il y a des Juifs qui ont imaginé qu’il y avait sur le rational une pierre qui changeait de couleur, selon les divers événements qui devaient arriver aux enfants d’Israël, et c’est ce qu’ils appellent vérité et doctrine. 5° Il avait le baudrier, qui était un cordon où l’on voyait briller les quatre couleurs que nous venons d’énumérer. 6° Il avait la tiare, qui était une mitre faite de lin. 7° Il avait la lame d’or qui brillait sur son front et sur laquelle était écrit le nom du Seigneur. 8° Enfin il portait des caleçons de lin pour cacher sa nudité, lorsqu’il s’approchait du sanctuaire ou de l’autel. De ces huit ornements les prêtres inférieurs n’en avaient que quatre : la tunique de lin les caleçons, le baudrier et la tiare. — On donne pour raison littérale de tous ces ornements qu’ils marquaient la disposition de l’univers, comme si le pontife eût protesté qu’il était le ministre du créateur du monde. Ainsi il est dit dans la Sagesse (18, 14) que le monde entier était décrit sur le vêtement d’Aaron. En effet le caleçon de lin figurait la terre qui produit le lin ; le baudrier en faisant le tour du corps, représentait l’Océan qui environne la terre ; la tunique d’hyacinthe représentait par sa couleur la région bleue des airs ; les clochettes marquaient le tonnerre, et les grenades les éclairs ; le surhuméral indiquait par la variété de ses couleurs le ciel sidéral ; les deux grosses pierres précieuses les deux hémisphères, ou le soleil et la lune ; les douze gemmes qui brillaient sur sa poitrine les douze signes du zodiaque, et on disait qu’elles étaient placées sur le rational, parce que c’est dans les choses célestes que se trouvent les raisons des choses terrestres, d’après ces paroles de Job (38, 33) : Savez-vous l’ordre du ciel et en rendez-vous bien raison, vous qui êtes sur la terre ? Le cidarix ou la tiare rappelait le ciel empyrée, et la lame d’or Dieu qui préside à tout (Ce symbolisme se retrouve dans les auteurs juifs ; il est spécialement exposé par Josèphe.). — La raison figurative de toutes ces choses est évidente. En effet, les taches ou les défauts corporels dont les prêtres doivent être exempts montrent les vices divers et les péchés qu’on ne doit pas trouver en eux. Ainsi il est défendu qu’ils soient aveugles, c’est-à-dire ignorants ; boiteux, c’est-à-dire sans stabilité, se portant tantôt vers une chose et tantôt vers une autre ; qu’ils n’aient pas le nez trop grand, ou trop petit, ou difforme, c’est-à-dire qu’ils ne manquent pas de discrétion en péchant par excès ou par défaut, ou en faisant de mauvaises choses ; car le nez est le symbole du discernement, parce qu’il lui appartient de discerner les odeurs ; qu’ils n’aient pas le pied ou la main brisés, c’est-à-dire qu’ils ne perdent pas la puissance de bien faire. On les rejetait, s’ils avaient une bosse par devant ou par derrière, ce qui indique l’amour superflu des choses terrestres ; s’ils étaient chassieux, c’est-à-dire si leur esprit était obscurci par des affections charnelles, parce que cette maladie vient de l’écoulement des humeurs. On les rejetait encore s’ils avaient une blancheur sur l’œil, c’est-à-dire s’ils avaient la présomption d’avoir en eux-mêmes la candeur de la justice ; s’ils avaient la gale ou la chair constamment bouillonnante, ou la gratelle qui envahit le corps sans douleur et souille le teint des membres ; ce qui désigne l’avarice ; enfin s’ils avaient une hernie ou qu’ils fussent trop pesants, parce que le prêtre ne doit pas seulement s’abstenir d’actions mauvaises, mais il ne doit pas non plus en porter la honte dans son cœur. Les ornements indiquent les vertus des ministres de Dieu. Or, il y en a quatre qui sont nécessaires à tous ceux qui sont attachés au service de Dieu : ce sont la chasteté que les caleçons représentent ; la pureté de vie qui est indiquée par la tunique de lin ; l’esprit de modération et de discernement dont le cordon est le symbole ; enfin la droiture d’intention qui est figurée par la tiare qui couvre la tête. Indépendamment de ces vertus les pontifes doivent encore en avoir quatre autres : 1° ils doivent avoir le souvenir de Dieu toujours présent dans la contemplation, et c’est ce que signifie la lame d’or qu’ils avaient sur le front avec le nom du Seigneur ; 2° ils doivent supporter les infirmités du peuple, ce qu’indique le surhuméral ; 3° il faut que la sollicitude de la charité mette le peuple dans leur cœur et dans leurs entrailles ; ce qui est exprimé par le rational ; 4° ils doivent vivre d’une manière céleste en ne faisant que des œuvres parfaites, ce que montre la tunique d’hyacinthe. Aussi on avait placé à l’extrémité de cette tunique des sonnettes pour représenter la doctrine des mystères divins qui doit toujours être unie à la vie céleste du pontife. Les grenades qu’on y avait aussi ajoutées marquent l’unité de foi et la concorde dans les bonnes mœurs, parce que la doctrine du prêtre doit être telle qu’elle ne rompe jamais ni l’unité de la foi, ni l’unité de la paix.

 

          Mais c’est le contraire. Il est dit (Lév., 20, 8) : Je suis le Seigneur, c’est moi qui vous sanctifie. Or, Dieu ne fait rien sans raison. Car il est dit (Ps. 103, 24) : Vous avez tout fait avec sagesse. Donc dans les sacrements de l’ancienne loi qui avaient pour but la sanctification des hommes, il n’y avait rien qui n’eût une cause raisonnable.

 

          Conclusion Tous les sacrements de l’ancienne loi avaient des causes raisonnables ; littéralement ils se rapportaient au culte de Dieu, selon le temps et figurativement ils représentaient le Christ.

          Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (quest. 101, art. 4), on appelait sacrements proprement dits, les choses qu’on employait pour la consécration des personnes qui se dévouaient de quelque façon au culte de Dieu. Or, le culte de Dieu appartenait d’une manière générale à tout le peuple, et d’une manière particulière aux prêtres et aux lévites qui en étaient les ministres. C’est pourquoi dans les sacrements de l’ancienne loi, il y avait des choses qui appartenaient en général à tout le peuple et il y en avait d’autres qui regardaient en particulier les ministres. Mais à l’égard des uns et des autres il y avait trois choses nécessaires. La première c’est qu’ils fussent mis en état d’honorer Dieu. Cette institution se faisait en général à l’égard de tout le monde au moyen de la circoncision, sans laquelle personne n’était admis à la participation des choses légales. Elle avait lieu par rapport aux prêtres au moyen de leur consécration. La seconde, c’est qu’ils devaient faire usage des choses qui appartenaient au culte divin. Le peuple en usait, en mangeant l’agneau pascal auquel aucun incirconcis ne participait, comme on le voit (Ex., chap. 12), et les prêtres le faisaient, en offrant les victimes, et en mangeant les pains de proposition ainsi que les autres choses qui étaient destinées à leur usage. En troisième lieu, il fallait éloigner tout ce qui était un obstacle au culte de Dieu, c’est-à-dire toutes les souillures. C’était dans ce but qu’on avait établi pour le peuple des purifications qui le purgeaient de toutes ses souillures extérieures, et des expiations pour ses péchés. Aux prêtres et aux lévites on avait commandé de laver leurs mains et leurs pieds et de se raser la peau. Toutes ces choses avaient des causes raisonnables, puisque littéralement elles avaient pour but d’honorer Dieu, comme on devait le faire à cette époque, et que figurativement elles représentaient le Christ, comme on le verra en les examinant l’une après l’autre en particulier.

          La réponse à la neuvième objection est par là même évidente.

 

Article 6 : Les observances cérémonielles ont-elles eu une cause raisonnable ?

 

          Objection N°1. Il semble que les observances cérémonielles n’aient pas eu de cause raisonnable. Car, comme le dit l’Apôtre (1 Tim., 4, 4) : Tout ce que Dieu a créé est bon, et on ne doit rien rejeter de ce qu’on mange avec action de grâces. C’est donc à tort qu’il était défendu de manger certaines viandes comme étant immondes, ainsi qu’on le voit (Lév., chap. 11).

          Réponse à l’objection N°1 : Comme nous l’avons dit (art. préc., réponse N°4 et 5), la loi reconnaissait deux sortes de souillure ou d’impureté : l’une qui était l’effet de la faute et qui souillait l’âme ; l’autre qui résultait d’une corruption qui souille le corps d’une certaine manière. Si l’on parle de la première souillure, aucune espèce de nourriture n’est immonde et ne peut souiller l’homme en raison de sa nature. C’est pourquoi il est dit (Matth., 15, 11) : Ce qui entre dans la bouche ne souille pas l’homme, mais ce qui en sort, voilà ce qui le souille. Il y a cependant des nourritures qui peuvent par accident souiller l’âme ; par exemple, quand on les prend par désobéissance ou contre un vœu qu’on a fait et avec un excès de concupiscence, ou quand elles sont un aliment à la luxure : c’est pour ce motif qu’il y en a qui s’abstiennent de vin et de viandes. — Mais il y a des animaux qui ont cette impureté corporelle qui est l’effet d’une certaine corruption, soit parce qu’ils se nourrissent de choses impures, comme le porc ; soit qu’ils vivent salement, comme les bêtes qui sont sous terre, tels que les taupes, les souris et tous les autres animaux semblables qui contractent de là une odeur fétide ; soit parce que leurs chairs par suite de leur excès d’humidité ou de sécheresse engendrent dans le corps humain des humeurs mauvaises (La défense de Moïse qui porte sur les animaux impurs avait principalement un but hygiénique. Voyez à cet égard les Lettres de quelques Juifs.). C’est pour cela qu’il avait été défendu aux Juifs de manger la chair des animaux qui ont la corne continue et non divisée, parce qu’ils sont trop terrestres. Il leur était aussi défendu de manger les chairs des animaux qui ont beaucoup de fissures aux pieds, parce qu’ils sont trop colères et que leur sang est toujours embrasé, comme les lions. Pour la même raison ils ne devaient pas manger certains oiseaux de proie, parce qu’ils sont trop secs, ni certains oiseaux aquatiques, parce qu’ils tombent dans l’excès contraire. Ils ne devaient pas non plus faire usage des poissons qui n’ont ni nageoires, ni écailles, comme les anguilles, parce qu’ils sont aussi trop humides. Il leur était permis de manger les animaux qui ruminent, qui ont la corne fendue, parce qu’ils ont les humeurs bien disposées et qu’ils sont d’une complexion qui n’a rien d’extrême ; ils ne sont pas trop humides, puisqu’ils ont des ongles ; ils ne sont pas trop terrestres, puisqu’ils n’ont pas l’ongle continu, mais fendu. On leur permettait aussi de manger les poissons les plus secs ; ce qu’on reconnaissait à la présence des nageoires et des écailles, car c’est là ce qui tempère la complexion humide de ces animaux. Ils pouvaient aussi manger les oiseaux qui étaient les plus tempérés, comme les poules, les perdrix, etc. — Il y eut aussi une autre raison qui influa sur ces prescriptions ; c’est qu’on les fit en haine de l’idolâtrie. Ainsi les gentils, et surtout les Egyptiens au milieu desquels les Juifs avaient été élevés, immolaient aux idoles les animaux prohibés par la loi ou s’en servaient pour des maléfices. D’un autre côté ils ne mangeaient pas les animaux dont la loi permettait aux Juifs l’usage ; mais ils les adoraient comme des dieux, ou bien ils s’en abstenaient pour d’autres motifs, comme nous l’avons dit (art. 3, réponse N°2). — La troisième raison c’est que pour empêcher qu’ils ne missent trop de recherche dans leur nourriture, on leur permettait l’usage des animaux qu’il était le plus facile de se procurer. Il leur était défendu en général de faire usage du sang et de la graisse de toute espèce d’animal. On leur interdisait le sang, soit pour les détourner de la cruauté en leur inspirant de l’horreur pour celui qui répand le sang humain, comme nous l’avons dit (art. 3, réponse N°8), soit pour ne pas tomber dans les rits idolâtriques. Car les idolâtres avaient l’habitude de se réunir autour du sang qui avait été répandu, pour y faire un festin en l’honneur des idoles auxquelles ils supposaient que ce sang était très agréable (Maïmonide rapporte que les Sabéens avaient cette coutume.). C’est pour ce motif que le Seigneur ordonna de répandre le sang et de le laisser se perdre dans la poussière. On leur avait aussi défendu pour la même raison de manger des animaux suffoqués ou étranglés, parce que leur sang n’est pas séparé de leur chair, ou parce que ce genre de mort leur cause de cruelles douleurs. Le Seigneur voulut qu’ils ne fussent pas cruels, même envers les animaux, et pour les empêcher de l’être avec leurs semblables il leur recommande d’être compatissants envers les bêtes. Ils ne devaient pas non plus manger la graisse, soit parce que les idolâtres la mangeaient en l’honneur de leur dieu ; soit parce que chez les Juifs, on la brûlait à la gloire du Seigneur ; soit parce que le sang et la graisse ne forment pas une bonne nourriture, comme l’observe Moïse Maïmonide (Dux errant, liv. 3, chap.49). La Genèse nous donne la raison pour laquelle ils ne mangeaient pas les nerfs (32, 33). Les enfants de Jacob, est-il dit, ne mangent pas le nerf, parce que c’est le nerf de la cuisse de Jacob qui fut touché et qu’il resta sans mouvement. — La raison figurative de toutes ces choses, c’est que tous ces animaux défendus figurent certains péchés, en raison desquels on les a interdits, d’après saint Augustin (Lib. cont. Faust, liv. 6, chap. 7). Si on examine, dit cet illustre docteur, le porc et l’agneau, ils sont naturellement purs l’un et l’autre, parce que toute créature de Dieu est bonne. Mais si on les considère dans leur signification, l’agneau est pur et le porc est immonde et c’est ce qu’on peut dire du sot et du sage. Ces deux mots sont purs l’un et l’autre, si on ne considère que la nature de l’expression, les lettres et les syllabes dont elle se compose ; mais si on s’en rapporte au sens, l’un est pur et l’autre ne l’est pas. En effet l’animal qui rumine et qui a le pied fendu est pur par rapport à ce qu’il signifie ; car la scissure de l’ongle désigne la distinction des deux Testaments, ou celle du Père et du Fils, ou celle des deux natures dans le Christ, ou celle du bien et du mal. Ruminer, marque la méditation des Ecritures et leur véritable intelligence. Quiconque manque de l’une de ces choses est spirituellement immonde. De même les poissons qui ont des écailles et des nageoires sont purs par leur signification ; car les nageoires signifient la vie élevée ou la contemplation et les écailles la vie pénible ; et ces deux vies sont l’une et l’autre nécessaires à la pureté spirituelle. Il y a aussi des vices particuliers qu’on leur défendait à l’occasion des oiseaux. Ainsi dans l’aigle dont le vol est très élevé se trouve la défense de l’orgueil ; dans le griffon (Le griffon est une espèce d’aigle.) qui est l’ennemi de l’homme et du cheval, on peut voir la violence et la cruauté des grands ; par le faucon (Il est question de cet oiseau dans Aristote (Hist. anim., liv. 9) ; Pline (Mundus, liv. 10, 3) ; Ovide (Met., liv. 8, v. 146). Les commentateurs prennent cet oiseau pour l’aigle de mer.) (halyætus) qui se nourrit de petits oiseaux, on représente ceux qui molestent les pauvres ; le milan qui tend des embûches est l’image de ceux qui sont faibles et trompeurs ; le vautour qui suit l’armée et qui attend la mort des soldats pour dévorer leurs cadavres est le symbole de ceux qui excitent les troubles et les séditions populaires pour en profiter. Les animaux qui sont de la famille du corbeau représentent ceux que la volupté a privés de la candeur de leur innocence, ou qui manquent de cœur, parce que le corbeau une fois sorti de l’arche n’y est pas revenu. L’autruche, qui est un oiseau qui ne peut voler, mais qui est toujours à terre, représente ceux qui combattent pour Dieu et qui s’embarrassent dans les affaires du siècle. Le chat-huant, qui voit parfaitement de nuit et qui ne voit rien de jour, représente ceux qui ont de l’adresse pour les choses temporelles, mais qui sont sans intelligence pour les choses spirituelles. Le grisard, qui vole dans l’air et qui nage dans l’eau, est l’image de ceux qui vénèrent la circoncision ou le baptême, ou bien il est le symbole de ceux qui veulent voler par la contemplation et qui cependant vivent dans les eaux de la volupté. L’épervier, qui aide les hommes à la chasse, représente ceux qui aident les puissants à dépouiller les pauvres. Le hibou, qui de nuit cherche sa vie et reste caché pendant le jour, représente les luxurieux qui s’efforcent de cacher leurs actions dans les ténèbres. Le plongeon dont la nature est de rester longtemps sous l’eau, marque les gourmands qui se plongent dans les délices de la table et la bonne chère. L’ibis, qui est un oiseau d’Afrique ayant un long bec et se nourrissant de serpents, et qui est peut-être le même que la cigogne, marque les envieux qui se réjouissent des infortunes des autres, et qui font, pour ainsi dire, leur pâture des serpents. Le cygne, qui est très blanc et qui a le cou très long pour tirer du fond de la terre ou de l’eau sa nourriture, peut représenter les hommes qui par la candeur apparente de la justice, cherchent à s’enrichir du bien des autres. L’onocrotalus ou le butor est un oiseau d’Orient qui a le bec long et de petits réservoirs dans sa gorge où il place d’abord sa nourriture pour l’avaler une heure après. Il représente les avares qui amassent avec une sollicitude excessive les choses nécessaires à la vie. Le porphyrion est d’un genre tout particulier. Il a un des pieds palmés pour nager et il a l’autre pied fendu pour marcher ; parce qu’il nage dans l’eau comme les canards, et il marche sur la terre comme les perdrix. Il boit en mangeant parce qu’il trempe toujours dans l’eau ce qu’il veut manger. Il représente ceux qui ne veulent rien faire d’après l’avis des autres, et qui ne trouvent d’agréable que ce qui est rempli de leur propre volonté. L’hérodion, que vulgairement on appelle foulque, représente ceux qui sont toujours prêts à aller répandre le sang (Ps. 13, 3). Le loriot (Charadrias ; nous traduisons ce mot par celui de loriot, quoiqu’il v ait grand débat entre les savants pour savoir si l’on doit entendre par là un pluvier, un cormoran, un loriot ou une civette. Plusieurs des noms précédents ont été aussi le sujet de bien des discussions, mais on concevra sans peine que nous n’ayons pas songé à les rapporter ici.) qui est un oiseau bavard représente les grands parleurs. La huppe, qui fait son nid dans le fumier, qui se nourrit d’excréments et qui gémit au lieu de chanter, représente ce dégoût de la vie qui produit la mort dans les hommes qui sont souillés. La chauve-souris, qui vole près de terre, représente ceux qui ont la science du siècle et qui n’ont de goût que pour les choses de la terre. A l’égard des volatiles et des quadrupèdes, on ne leur permettait l’usage que de ceux qui ont les jambes de derrière trop longues pour pouvoir sauter. On leur interdisait les autres, qui s’attachent davantage à la terre, parce que ceux qui abusent de la doctrine des quatre évangélistes, au point de ne pas être élevés par elle aux choses célestes, sont considérés comme impurs. En défendant le sang, la graisse et les nerfs, on défendait par là la cruauté, la volupté et la force que certains individus possèdent pour pécher.

 

          Objection N°2. Comme les animaux sont faits pour la nourriture de l’homme, de même aussi les herbes. Ainsi il est dit (Gen., 9, 3) : Je vous abandonne pour votre nourriture les légumes et les herbes des champs. Or, parmi les herbes la loi n’en a pas distingué qui soient immondes, quoiqu’il y en ait qui soient très nuisibles, comme celles qui sont vénéneuses. Il semble donc qu’elle n’aurait pas dû non plus interdire certains animaux comme immondes.

          Réponse à l’objection N°2 : Les hommes se nourrissaient des plantes et des autres fruits de la terre avant le déluge (Cette opinion est celle de tous les Pères et de tous les commentateurs.). Il semble qu’on n’ait commencé à manger des viandes qu’après cette catastrophe. Car il est dit (Gen., 9, 3) : Je vous ai donné pour nourriture les légumes et les herbes des champs. Et cela parce qu’en mangeant les fruits de la terre on mène une vie très simple, tandis qu’en mangeant des viandes, on mène une vie plus voluptueuse et plus recherchée. Car la terre produit d’elle-même l’herbe qui la couvre, et on n’a pas besoin de se donner beaucoup de peine pour se procurer les fruits de la terre, tandis qu’il faut beaucoup de soins pour élever les animaux et qu’il est difficile de les prendre. C’est pourquoi le Seigneur voulant ramener son peuple à une vie plus simple, lui interdit des animaux d’une foule d’espèces, tandis qu’il ne lui interdit aucune espèce de fruits. Ou bien on peut dire aussi qu’on immolait les animaux aux idoles, mais qu’il n’en était pas de même des productions de la terre.

 

          Objection N°3. Si la matière dont une chose est engendrée est immonde, il semble que pour le même motif ce qu’elle produit le soit aussi. Or, c’est le sang qui engendre la chair. Par conséquent puisque toutes les chairs ne sont pas défendues comme immondes, il semble que pour la même raison on ne doive pas défendre non plus le sang ou la graisse que le sang engendre.

          Réponse à l’objection N°3 : La réponse est évidente d’après ce que nous avons dit (réponse N°1).

 

          Objection N°4. Le Seigneur dit (Matth., chap. 10) qu’on ne doit pas craindre ceux qui tuent le corps, parce qu’après la mort ils sont impuissants ; ce qui ne serait pas exact, si ce qu’on fait du corps de l’homme pouvait tourner à son désavantage. Or, il est encore plus indifférent à l’égard d’un animal qui n’existe plus, qu’on fasse cuire ses chairs d’une manière ou d’une autre. Il paraît donc déraisonnable d’avoir défendu (Ex., 23, 19) de faire cuire un chevreau dans le lait de sa mère.

          Réponse à l’objection N°4 : Quoique le chevreau ne sente pas de quelle manière on fait cuire ses chairs, cependant dans l’esprit de celui qui les prépare, il y a de la cruauté à prendre le lait de la mère et à employer pour consumer ses chairs, ce que la nature lui avait donné pour aliment. Ou bien on peut dire que les gentils dans les fêtes de leurs idoles faisaient cuire de cette manière la chair du chevreau pour l’immoler ou la manger. C’est pour cette raison qu’après avoir parlé des fêtes que l’on devait célébrer d’après la loi, l’Ecriture ajoute (Ex., 23, 19) : Vous ne mangerez pas de chevreau cuit dans le lait de sa mère. — La raison figurative de cette défense c’est que le Christ, qui était représenté par le chevreau, parce qu’il prit une chair semblable à la nôtre qui est sujette au péché (Rom., 8, 3), ne devait pas être cuit dans le lait de sa mère, c’est-à-dire qu’il ne devait pas être immolé dans son enfance ; ou bien cela signifie que le chevreau ou le pécheur ne doit pas être cuit dans le lait de sa mère, c’est-à-dire qu’on ne doit pas le flatter mollement.

 

          Objection N°5. On ordonne d’offrir au Seigneur les prémices des hommes et des animaux, comme étant ce qu’il y a de plus parfait. C’est donc à tort qu’il est dit (Lév., 19, 23) : Lorsque vous serez entrés dans la terre promise et que vous y aurez planté des arbres fruitiers, vous aurez soin d’en retrancher les premiers fruits que vous regarderez comme impurs, et vous n’en mangerez pas.

          Réponse à l’objection N°5 : Les gentils offraient à leurs dieux les premiers fruits qu’ils appelaient fortunés ou qu’ils les brûlaient pour les employer à la magie. C’est pour ce motif que la loi ordonnait aux Juifs de regarder comme immondes les fruits des trois premières années (C’était aussi un moyen d’empêcher le propriétaire de vouloir jouir prématurément et d’énerver ainsi les arbres.). Car en trois ans presque tous les arbres de la Judée portaient fruit, soit qu’on les eût semés, soit qu’on les eût greffés, soit qu’on les eût plantés. Mais il arrive rarement qu’on sème les pépins des fruits ou leurs semences, parce que c’est trop long à venir. D’ailleurs la loi ne s’occupe que de ce qui se fait le plus souvent. On offrait à Dieu les fruits de la quatrième année comme les prémices des fruits qui étaient purs ; et on mangeait ceux que l’on récoltait la cinquième année et les suivantes. — La raison figurative de ce précepte, c’est que ces trois années désignaient les trois états de la loi, dont le premier s’étendait d’Abraham jusqu’à David, le second jusqu’à la transmigration de Babylone, le troisième jusqu’au Christ. On devait offrir à Dieu le Christ qui est le fruit de la loi. Ou bien encore, c’était pour montrer que nous devons nous défier de nos premières œuvres à cause de leur imperfection.

 

          Objection N°6. Le vêtement est une chose extérieure qui ne fait pas partie du corps de l’homme. On n’aurait donc pas dû interdire aux Juifs certains vêtements particuliers. Ainsi il est dit (Lév., 19, 19) : Vous ne mettrez point de robes tissues de fils différents ; (Deut., 22, 3) : Une femme ne mettra pas des habits d’homme, et un homme des habits de femme, et plus loin : Vous ne revêtirez pas un vêtement fait de laine et de lin.

          Réponse à l’objection N°6 : Comme le dit l’Ecriture (Ecclésiastique, 19, 27) : Le vêtement du corps fait connaître l’homme. C’est pourquoi le Seigneur a voulu que son peuple fût distingué des autres peuples, non seulement par le signe de la circoncision qui était dans sa chair, mais encore par le caractère particulier de l’habit. C’est pour cette raison qu’il était défendu aux Juifs de mettre un vêtement tissu de laine et de lin. Les femmes ne devaient pas mettre des habits d’hommes et les hommes des habits de femmes, pour deux raisons. La première pour éviter le culte de l’idolâtrie. Car les gentils se servaient d’habits faits de plusieurs fils pour le culte de leurs dieux, et dans le culte de Mars les femmes faisaient usage des armes des hommes, tandis que dans le culte de Vénus c’étaient au contraire les hommes qui se servaient des habits des femmes. La seconde raison c’était pour détourner de la luxure ; parce qu’en empêchant cet échange de vêtements on empêche par là même tous les désordres qui peuvent en être la suite. Car qu’une femme mette des habits d’homme et réciproquement, c’est un aiguillon à la concupiscence et une occasion de développement pour les plus honteuses passions (Les plus anciens législateurs ont défendu ces déguisements. Platon dit qu’ils sont contraires à l’ordre de la nature, et Charondas porte des peines très sévères contre ceux qui se les permettent.). — La raison figurative c’est qu’en interdisant un habit fait de laine et de lin, la loi interdisait l’union de la simplicité et de l’innocence que la laine représente, avec la subtilité et la malice dont le lin est la figure. Il est défendu aussi à la femme de ne pas se mêler de l’enseignement, ni des autres fonctions de l’homme, et à l’homme de ne pas s’amollir comme la femme.

 

          Objection N°7. Le souvenir des ordres de Dieu n’appartient pas au corps mais au cœur. C’est donc à tort qu’il est commandé aux Juifs (Deut., 6, 8) de lier la loi de Dieu comme une marque dans leur main, de l’écrire sur le seuil de leurs maisons. Et ailleurs (Nom., 15, 38) de mettre des franges aux quatre coins de leurs manteaux, et d’y joindre des bandes de couleur d’hyacinthe afin qu’en les voyant ils se souviennent de tous les commandements du Seigneur.

          Réponse à l’objection N°7 : Comme le dit saint Jérôme (Sup. chap. Matth., chap. 23, Dilatant enim.) : Le Seigneur a ordonné de mettre des franges d’hyacinthe aux quatre coins du manteau pour distinguer le peuple d’Israël des autres peuples. Ils montraient par là qu’ils étaient Juifs, et à l’aspect de ce signe, ils étaient portés à se rappeler sans cesse leur loi. Quant à ces paroles : Vous la lierez dans votre main et elle sera toujours devant vos yeux, les pharisiens les interprétaient mal, en écrivant le Décalogue sur des bandelettes de parchemin qu’ils liaient sur leur front en forme de couronne, afin d’avoir toujours la loi devant leurs yeux. Car le Seigneur en leur donnant ce précepte avait eu l’intention, en leur disant de lier la loi après leur main, de les engager à la suivre dans toutes leurs œuvres, et en ajoutant qu’elle devait être devant leurs yeux, il leur commandait de la méditer sans cesse. Les bandelettes d’hyacinthe qu’on attachait au manteau, signifiaient l’intention céleste qui doit s’adjoindre à toutes nos œuvres. D’ailleurs on peut dire que ce peuple étant charnel et à la tète dure, il a fallu employer toutes ces choses sensibles pour le porter à observer la loi.

 

          Objection N°8. L’Apôtre dit (1 Cor., 9, 9) que Dieu ne prend pas soin des bœufs, et par conséquent il ne prend pas soin non plus des autres animaux irraisonnables. C est donc à tort qu’il est dit (Deut., chap. 22) : Si vous marchez dans un chemin et que vous trouviez un nid d’oiseaux vous ne prendrez pas la mère avec les petits. Et plus loin (ib., 25, 4) : Vous ne lierez point la bouche du bœuf qui triture. Et ailleurs (Lév., 19, 9) : Vous n’accouplerez pas vos chevaux avec des animaux d’une autre espèce.

          Réponse à l’objection N°8 : Dans l’homme il y a deux sortes d’affection, l’une qui est raisonnable et l’autre qui est purement sensible. Au point de vue de la raison, il n’importe en rien que l’homme agisse d’une manière ou d’une autre à l’égard des animaux, parce que Dieu les a tous soumis à sa puissance, d’après ces paroles du Psalmiste (Ps. 8, 8) : Vous avez tout mis sous ses pieds, et suivant ces paroles de l’Apôtre : Dieu ne prend pas soin des bœufs ; par conséquent il n’exige pas de l’homme qu’il se conduise d’une certaine manière à l’égard des bœufs ou des autres animaux. Au point de vue de la sensibilité, l’homme s’affecte par rapport à tous les autres animaux. Car comme on éprouve un sentiment de compassion à propos des afflictions des autres et que d’ailleurs les animaux ont le sentiment de leurs peines, l’homme peut se sentir touché de commisération à l’occasion des souffrances d’un animal. Celui qui éprouve ce sentiment à l’égard des animaux est d’autant mieux disposé à compatir aux infortunes de ses semblables. C’est ce qui fait dire au Sage (Prov., 12, 10) que le juste se met en peine des bêtes qui sont à lui, mais que les entrailles des méchants sont cruelles. C’est pourquoi le Seigneur, pour rappeler à la douceur le peuple juif qui était enclin à la cruauté, voulut le rendre doux envers les animaux en leur défendant de se permettre à leur égard tout ce qui paraît être cruel (L’abbé Guénée fait remarquer que la loi mosaïque tenait un juste milieu entre les usages cruels de quelques peuples envers les animaux et l’imbécile superstition de l’Indien qui n’ose écraser l’insecte qui le dévore.). Ainsi il leur défendait de faire cuire un chevreau dans le lait de sa mère ; de lier la bouche du bœuf qui triture ; de faire périr la mère avec les petits. Quoiqu’on puisse dire aussi qu’il leur défendait ces choses en haine de l’idolâtrie. Car les Egyptiens regardaient comme une chose mauvaise que les bœufs qui triturent mangeassent des fruits. Il y avait des magiciens qui se servaient de la mère, lorsqu’elle couvait ses œufs et de ses petits lorsqu’on les avait pris avec elle, pour la fécondité et la fortune de l’éducation de leurs enfants, et parce que dans leurs augures, ils considéraient comme une chose heureuse de trouver la mère couvant ses petits. — A l’égard du croisement des animaux de différente espèce, on peut en donner une triple raison littérale. La première c’était en haine de l’idolâtrie des Egyptiens, qui faisaient ces accouplements divers en l’honneur des planètes qui produisent des effets différents sur différentes espèces de choses, d’après leurs différentes conjonctions. La seconde raison c’était pour empêcher les unions contre nature. La troisième c’était pour détruire universellement toute occasion de concupiscence. Car les animaux de différente espèce ne s’accouplent pas facilement entre eux, si l’homme ne les accouple lui-même, et la vue de cette action provoque en lui des mouvements charnels. C’est pourquoi on trouve dans les traditions des Juifs, comme le rapporte Rabbi Moïse (Dux errant, liv. 3, chap. 50), que les hommes doivent détourner leurs regards des animaux lorsqu’ils s’accouplent. — La raison figurative de ces divers préceptes, c’est qu’on ne doit pas refuser les choses nécessaires à la vie au bœuf qui triture, c’est-à-dire au prédicateur qui distribue au peuple les fruits spirituels de la doctrine, comme l’observe l’Apôtre (1 Cor., chap. 9). Nous ne devons pas prendre non plus la mère avec les petits ; parce qu’il y a des choses, dont on doit retenir les sens spirituels que les petits représentent, mais dont on doit abandonner l’observance littérale, comme il arrive à l’égard de tous les préceptes cérémoniels. En défendant d’accoupler ensemble des animaux d’espèce différente, on défendait par là même aux Juifs de s’allier avec les gentils.

 

          Objection N°9. Parmi les plantes, on ne distinguait pas entre celles qui sont pures et celles qui sont impures. On devait donc encore beaucoup moins faire des distinctions à l’égard de leur culture, et par conséquent on n’aurait pas dû dire (Lév., 19, 19) : Vous ne sèmerez point voire champ avec des semences différentes. Et (Deut., 22, 9) : Vous ne sèmerez point d’autre graine dans votre vigne et vous ne labourerez point avec un bœuf et un âne attelés ensemble.

          Réponse à l’objection N°9 : Dans l’agriculture on a défendu littéralement ces mélanges, en haine de l’idolâtrie (Ces mélanges étaient sans doute contraires aussi à l’agriculture bien entendue. Voyez à cet égard les réflexions de l’auteur des Lettres de quelques Juifs (4e part., liv. 6, chap. 6).), parce que les Egyptiens faisaient en l’honneur des étoiles des mélanges de grains, d’animaux et de vêtements, pour représenter les diverses constellations. Ou bien tous ces différents mélanges étaient défendus pour faire détester toutes les alliances contre nature. Ces défenses avaient néanmoins leur raison figurative. Ainsi quand il est dit : Vous ne sèmerez pas de plantes étrangères dans votre vigne, il faut donner à ces paroles un sens spirituel et entendre par là qu’on ne doit pas semer de doctrine étrangère dans l’Eglise, qui est la vigne spirituelle. De même le champ, c’est-à-dire l’Eglise, ne doit pas être implanté de semence diverse, ce qui signifie qu’on ne doit pas y semer la doctrine catholique et celle des hérétiques. On ne doit pas non plus labourer avec un bœuf et avec un âne ; parce que dans la prédication on ne doit pas unir un sage avec un insensé ; puisque l’un serait une gêne pour l’autre.

 

          Objection N°10. Les choses qui sont inanimées paraissent surtout soumises à la puissance de l’homme. Il n’était donc pas convenable de défendre à l’homme de désirer l’or et l’argent, dont les idoles sont faites, ainsi que toutes les autres choses qui se trouvent dans les maisons des faux dieux (Deut., chap. 7). Le précepte qui ordonne d’enfouir en terre les excréments de l’homme (Deut., chap. 23) paraît ridicule.

          Réponse à l’objection N°10 : C’est avec raison qu’au Deutéronome (chap. 7), on défend l’argent et l’or ; non parce que ces choses ne sont pas soumises à la puissance des hommes, mais parce que l’anathème frappe non seulement sur les idoles elles-mêmes, mais encore sur les choses dont elles étaient faites, comme souverainement abominables à Dieu. Ce qui est évident d’après le chapitre précédent dans lequel il est dit : Vous n’emporterez rien de ce qui touche aux idoles, de peur que vous ne deveniez anathème vous-mêmes comme ces choses. Le législateur craignait aussi qu’en recevant l’or et l’argent, la cupidité n’entraînât facilement les Juifs dans l’idolâtrie à laquelle ils étaient très enclins. Le précepte qui ordonne d’enfouir en ses terres ses excréments (Deut., chap. 23) était aussi très convenable et très sage, parce qu’il contribuait à la propreté du corps, à la salubrité de l’air, et parce que c’était une marque de respect pour le tabernacle qui était alors dans le camp, et où l’on disait que le Seigneur habitait. Cette raison est manifeste, parce qu’immédiatement après avoir fait cette loi, le législateur la motive en disant : Le Seigneur votre Dieu marche au milieu de votre camp pour vous délivrer… Vous aurez soin que votre camp soit pur, et qu’il ri y ait rien qui le souille. — La raison figurative de ce précepte, d’après saint Grégoire (Mor., liv. 21, chap. 13), c’est que les péchés qui sortent de notre cœur comme des excréments fétides doivent être couverts par la pénitence, pour que nous soyons agréables à Dieu, suivant ce mot du Psalmiste (Ps. 31, 1) : Heureux ceux dont les iniquités sont remises et dont les péchés sont couverts. Ou bien, d’après la glose (ord. implic.), c’est pour que la connaissance des misères de notre condition nous porte à ensevelir notre orgueil dans les profondeurs de l’humilité, et à couvrir toutes nos souillures du voile de la vertu (Cette réponse au dixième argument ne se trouve ni dans l’édition de Rome, 1570, ni dans l’édition d’Anvers, 1612, ni dans les autres éditions anciennes. François Garcia fut le premier qui suppléa à cette lacune, mais nous avons suivi le texte de Nicolaï, qui ne diffère d’ailleurs de celui de Garcia que quant à la forme.).

 

          Objection N°11. La piété est la vertu qu’on exige tout particulièrement des prêtres. Or, il semble que la piété nous engage à assister aux funérailles de nos amis ; puisqu’on loue Tobie à ce sujet (Tobie, chap. 1). C’est aussi quelquefois un acte de piété que d’épouser une femme publique, parce que c’est le moyen de la délivrer du péché et de l’infamie. Il semble donc qu’on ait eu tort de défendre ces choses aux prêtres (Lév., chap. 21).

          Réponse à l’objection N°11 : Les magiciens et les prêtres des idoles se servaient dans leurs rits des ossements ou des chairs des morts. C’est pourquoi, pour détruire le culte de l’idolâtrie, le Seigneur a commandé aux prêtres inférieurs, qui remplissaient pendant un temps marqué leurs fonctions dans le sanctuaire, de ne pas se souiller à l’occasion des morts. Il n’y avait d’exception que pour leurs proches, comme leur père, leur mère et les autres personnes qui leur étaient unies de cette manière. Mais le pontife devait être toujours prêt à exercer ses fonctions dans le sanctuaire, et c’est pour cette raison qu’il lui était absolument défendu de s’approcher des morts, quel que fût leur degré de parenté. On leur avait aussi ordonné de ne pas épouser une femme qui avait eu de mauvaises mœurs ou qui avait été répudiée, mais une vierge, d’abord par respect pour le sacerdoce dont la dignité aurait beaucoup perdu à une telle alliance, ensuite à cause des enfants qui auraient pris à déshonneur la tache qui aurait flétri leur mère, ce que l’on devait tout particulièrement éviter du moment que la dignité du sacerdoce se transmettait par le sang de génération en génération. Enfin on leur avait défendu de se raser la tète et la barbe, et de se faire des incisions dans la chair pour éloigner d’eux les rits idolâtriques. Car les prêtres des gentils se coupaient les cheveux et la barbe ; c’est ce qui fait dire au prophète (Baruch, 6, 30) : Leurs prêtres sont assis dans leurs temples, ayant des tuniques déchirées, la tête et la barbe rasées. En adorant leurs idoles, ils se faisaient aussi des incisions avec des couteaux et des lancettes (3 Rois, 18, 28). C’est pour cette raison que la loi ordonne le contraire aux prêtres juifs. — La raison spirituelle de ces préceptes c’est que les prêtres doivent être absolument exempts des œuvres mortes qui sont des œuvres de pêché, et qu’ils ne doivent pas raser leur tête, c’est-à-dire abandonner la sagesse, ni quitter leur barbe, c’est-à-dire la perfection de la sagesse elle-même, ni enfin déchirer leurs vêtements ou couper leurs chairs, ce qui signifie qu’ils ne doivent pas tomber dans le schisme.

 

          Mais c’est le contraire. Moïse a dit (Deut., 18, 24) en parlant au peuple juif : Pour vous, vous avez été formé autrement que les nations par le Seigneur votre Dieu. D’où l’on peut conclure que ces observances ont été établies par le Seigneur pour distinguer tout spécialement son peuple. Elles ne sont donc pas déraisonnables ou sans cause.

 

          Conclusion On doit rechercher la raison de toutes les observances de l’ancienne loi, soit en les considérant par rapport au culte divin, soit en en faisant l’application à la vie des chrétiens.

          Il faut répondre que le peuple juif, comme nous l’avons dit (art. préc., réponse N°8), avait été tout particulièrement établi pour le culte de Dieu, et parmi le peuple on avait choisi les prêtres tout spécialement pour cette fin. Comme les autres choses qui servent au culte de Dieu doivent avoir un caractère particulier pour relever l’éclat du culte lui-même, de même dans la vie du peuple juif, et surtout dans celle de ses prêtres, il devait y avoir des usages particuliers qui fussent en harmonie avec le culte divin, spirituel ou corporel. Or, le culte de la loi figurait le mystère du Christ ; par conséquent toutes les actions des Juifs représentaient ce qui regarde le Christ, d’après cette parole de l’Apôtre (1 Cor., 10, 11) : Toutes les choses qui leur arrivaient étaient des figures. C’est pourquoi on peut donner de ces observances deux raisons : l’une tirée de la convenance qu’elles avaient à l’égard du culte divin, et l’autre provenant de ce qu’elles étaient une figure de la vie des chrétiens.

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.

 

JesusMarie.com