Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
1a 2ae = Prima Secundae = 1ère partie de la 2ème Partie
Question 104 : Des
préceptes judiciels
Après
avoir parlé des préceptes cérémoniels, nous devons nous occuper des préceptes judiciels. Nous les considérerons d’abord en général,
ensuite nous rechercherons leurs raisons. A l’égard de ces préceptes en général
il y a quatre questions : 1° Quels sont les préceptes judiciels
? — 2° Sont-ils figuratifs ? (Saint Paul explique allégoriquement ce passage du
Deutéronome (26, 4) : Vous ne lierez pas
la bouche du bœuf qui foule vos grains dans l’aire, dans son Epître aux
Corinthiens (1 Cor., 9, 9) : Dieu a-t-il souci des bœufs ? N’est-ce pas
réellement pour nous qu’il dit cela ?) — 3° Nous traiterons de leur durée.
— 4° De leur distinction. (La division adoptée ici par saint Thomas est en
quelque sorte indiquée dans la Bible. Ainsi au Deutéronome nous trouvons les
devoirs des chefs (chap. 16 à 18), ceux des sujets entre eux (chap. 19 et 20),
ceux qui regardent les étrangers ou les ennemis (chap. 21 et 22, etc.), enfin
ceux qui ont rapport à la famille (chap. 24, etc.).)
Article
1 : La nature des préceptes judiciels consiste-t-elle
en ce qu’ils se rapportent au prochain ?
Objection
N°1. Il semble que la nature des préceptes judiciels
ne consiste pas en ce qu’ils se rapportent au prochain. Car ces préceptes
tirent leur nom du mot jugement (judicium). Or, il y a beaucoup d’autres choses qui mettent
l’homme en rapport avec son prochain et qui n’appartiennent pas à l’ordre des jugements.
Donc on n’appelle pas judiciels les préceptes par
lesquels l’homme se rapporte au prochain.
Objection
N°2. Les préceptes judiciels se distinguent des
préceptes moraux, comme nous l’avons dit (quest. 99, art. 4). Or, il y a
beaucoup de préceptes moraux qui règlent les rapports de l’homme avec le
prochain, comme on le voit à l’égard des sept préceptes de la seconde table.
Ces préceptes ne sont donc pas appelés judiciels,
parce qu’ils se rapportent au prochain.
Objection
N°3. Comme les préceptes cérémoniels se rapportent à Dieu, de même les
préceptes judiciels se rapportent au prochain, ainsi
que nous l’avons dit (quest. 99, art. 4, et quest. 101, art. 1). Or, parmi les
préceptes cérémoniels il y en a qui se rapportent à nous-mêmes, comme les observances
touchant la nourriture et les vêtements, dont nous avons parlé (quest. 102,
art. 6, réponse N°1 et 6). Donc les préceptes judiciels
ne sont pas ainsi appelés, parce qu’ils mettent l’homme en rapport avec le
prochain.
Mais
c’est le contraire. Ezéchiel (18, 8) compte parmi les bonnes œuvres du juste, la vérité des jugements qu’il a rendus entre
ses semblables. Or, les préceptes judiciels
tirent leur nom du jugement (judicium). Il semble donc qu’on doive entendre par là les
préceptes qui règlent les rapports des hommes entre eux.
Conclusion
On appelle judiciels les préceptes qui règlent les
rapports des hommes entre eux, et qui ne sont obligatoires que d’institution
divine ou humaine.
Il
faut répondre que, comme nous l’avons dit (quest. 95, art. 2, et quest. 99,
art. 3 et 4), il y a dans toutes les lois des préceptes qui sont obligatoires
d’après le dictamen même de la raison ; parce que la raison naturelle dit que
l’on doit faire ou que l’on doit éviter telle ou telle chose. On appelle ces
préceptes des préceptes moraux parce
qu’ils sont en effet la règle première des mœurs. Il y a d’autres préceptes qui
ne sont pas obligatoires d’après le dictamen de la raison, parce qu’en les
considérant en eux-mêmes, ils n’ont rien qui montre absolument qu’on doive ou
qu’on ne doive pas les suivre. Mais ils obligent parce qu’ils ont été établis
de Dieu ou des hommes. Ils servent à préciser ou à déterminer les préceptes
moraux. Ainsi donc quand l’autorité divine détermine les préceptes moraux à
l’égard des choses qui mettent l’homme en rapport avec Dieu, on appelle ces
préceptes des préceptes cérémoniels ; mais s’il s’agit des choses qui regardent
les rapports des hommes entre eux, on leur donne le nom de préceptes judiciels. L’essence des préceptes judiciels
consiste dans ces deux choses ; c’est que d’une part ils aient pour objet les
rapports des hommes entre eux, et que de l’autre ils ne soient pas obligatoires
seulement d’après la raison, mais qu’ils le soient d’après l’institution de
Dieu ou des hommes.
Réponse
à l’objection N°1 : Les jugements sont rendus par des princes qui ont le
pouvoir de juger. Or, il appartient au prince de statuer non seulement sur les
choses litigieuses, mais encore sur les contrats volontaires qui se passent
entre les individus, et sur tout ce qui regarde le peuple ou son gouvernement.
Par conséquent les préceptes judiciels n’embrassent
pas seulement ce qui regarde les juges, mais ils comprennent encore tout ce qui
concerne les rapports des hommes entre eux, ou du moins tout ce qui relève de
l’autorité du prince considéré comme juge suprême (Sous le nom de préceptes judiciels on entend ici tout ce que nous comprenons
maintenant sous le titre de lois civiles.).
Réponse
à l’objection N°2 : Ce raisonnement s’appuie sur les préceptes qui se
rapportent au prochain et qui sont obligatoires d’après le dictamen seul de la
raison.
Réponse
à l’objection N°3 : Dans les préceptes qui se rapportent à Dieu, il y a des
préceptes moraux que proclame la raison éclairée par la foi, comme il faut
aimer et adorer Dieu ; et il y a aussi des préceptes cérémoniels qui ne sont
obligatoires que d’institution divine. Or, il n’y a pas que les sacrifices que
l’on offre à Dieu qui se rapportent à lui, tout ce qui touche aux mérites de
ceux qui les lui offrent ou qui l’adorent s’y rapporte également ; car les
hommes se rapportent à Dieu comme à leur fin. C’est pourquoi il appartient au
culte de Dieu et par conséquent aux préceptes cérémoniels que l’homme réunisse
certaines aptitudes pour remplir les fonctions sacrées. Mais l’homme ne se
rapporte pas au prochain comme à sa fin, de manière qu’il soit obligé en
lui-même de se donner au prochain ; car telle est la relation qui existe entre
le maître et l’esclave et qui fait que tout ce qu’est l’esclave appartient au
maître, d’après Aristote (Pol., liv. 1,
chap. 3). C’est pourquoi il n’y a pas de préceptes judiciels
qui regardent l’homme en lui-même. Tous les préceptes de cette nature sont des
préceptes moraux, parce que la raison qui est le principe de ces préceptes est
dans l’homme, par rapport aux choses qui le regardent, ce qu’est un prince ou
un juge dans une cité. D’ailleurs il faut observer que les rapports de l’homme
avec son prochain sont plutôt du domaine de la raison que ses rapports avec
Dieu ; car il y a plus de préceptes moraux qui règlent les rapports de l’homme
avec ses semblables, qu’il n’y en a qui règlent ceux de l’homme avec Dieu (Les
préceptes de la première table sont seulement au nombre de trois dans le
Décalogue, tandis que ceux de la seconde sont au nombre de sept. La raison
étant très restreinte quand il s’agit de déterminer de quelle manière ou doit
honorer la divinité, il était nécessaire que la loi divine suppléât à sa
faiblesse, et c’est pour ce motif que les préceptes cérémoniels sont plus
nombreux que les autres.). C’est aussi pour cette raison qu’il a fallu qu’il y
eût dans la loi plus de préceptes cérémoniels que de préceptes judiciels.
Article
2 : Les préceptes judiciels sont-ils figuratifs ?
Objection
N°1. Il semble que les préceptes judiciels ne soient
pas figuratifs. Car il paraît que ce soit le propre des préceptes cérémoniels
d’avoir été établis pour figurer quelque chose. Si donc les préceptes judiciels étaient figuratifs, il n’y aurait pas de
différence entre eux et les préceptes cérémoniels.
Réponse
à l’objection N°1 : Les préceptes cérémoniels sont figuratifs d’une autre
manière que les préceptes judiciels (Les préceptes
cérémoniels étaient directement et essentiellement figuratifs, tandis que les
préceptes judiciels ne l’étaient qu’indirectement.),
comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.).
Objection
N°2. Comme il y a des préceptes judiciels qui ont été
donnés aux Juifs, de même il y en a qui ont été donnés aux gentils. Or, les
préceptes judiciels des autres nations n’étaient pas
figuratifs, mais ils ordonnaient ce que l’on doit faire. Donc il semble que les
préceptes judiciels de la loi ancienne ne l’étaient
pas non plus.
Réponse
à l’objection N°2 : Le peuple juif avait été choisi de Dieu pour donner
naissance au Christ ; c’est pourquoi il a fallu que l’état social de ce peuple
fût tout entier prophétique et figuratif, comme le dit saint Augustin contre Fauste (liv. 22, chap. 24). C’est aussi pour cette raison
que les préceptes judiciels que ce peuple a reçus
sont plus figuratifs que ceux qui ont été donnés aux
autres peuples. Ainsi on interprète dans un sens mystique ses combats et ses
actions, tandis qu’on n’interprète pas de la sorte les guerres et les exploits
des Assyriens et des Romains, bien qu’ils soient humainement plus célèbres.
Objection
N°3. Il a fallu exprimer par des figures les choses qui appartiennent au culte
de Dieu ; parce que les choses divines sont supérieures à notre raison, comme
nous l’avons dit (quest. 101, art. 2, réponse N°2). Mais ce qui regarde le
prochain ne surpasse pas la raison humaine. Par conséquent les préceptes judiciels qui déterminent nos rapports avec le prochain
n’ont pas dû être figuratifs.
Réponse
à l’objection N°3 : Dans ce peuple les rapports du citoyen avec ses semblables
considérés en eux-mêmes étaient proportionnés à la raison, tandis que ces mêmes
rapports, selon qu’ils avaient Dieu pour objet, la surpassaient, et à ce point
de vue ils étaient figuratifs.
Mais
c’est le contraire. Les préceptes judiciels
s’entendent allégoriquement et moralement (Ex.,
chap. 21).
Conclusion
Quoique les préceptes judiciels de l’ancienne loi
n’aient pas été établis pour figurer quelque chose, niais pour régler la
société juive conformément à la justice et à l’équité, cependant ils étaient figuratifs
accidentellement et conséquemment dans le sens que la constitution de ce peuple
était tout entière figurative elle-même.
Il
faut répondre qu’un précepte peut être figuratif de deux manières. D’abord
directement et par lui-même, quand il a été principalement établi pour figurer
quelque chose. C’est ainsi que les préceptes cérémoniels le sont, parce qu’ils
ont été institués pour figurer quelque chose qui se rapporte au culte de Dieu
et au mystère du Christ. Il y a ensuite des préceptes qui ne sont pas
figuratifs par eux-mêmes, mais qui ne le sont que par voie de conséquence. Tels
étaient les préceptes judiciels de l’ancienne loi ;
car ils n’ont pas été établis pour figurer quelque chose. Ils l’ont été pour
régler l’état social des Juifs selon la justice et l’équité. Cependant ils
étaient figuratifs par voie de conséquence, dans le sens que l’état social du
peuple qui était régi par ces préceptes était tout entier figuratif lui-même,
d’après ce mot de l’Apôtre (1 Cor.,
10, 11) : Toutes ces choses leur arrivaient
pour être autant de figures.
Article
3 : Les préceptes judiciels de l’ancienne loi
étaient-ils pour jamais obligatoires ?
Objection
N°1. Il semble que les préceptes judiciels de
l’ancienne loi aient été perpétuellement obligatoires. Car les préceptes judiciels appartiennent à la vertu de justice, puisqu’on
appelle jugement (judicium)
l’exécution de la justice. Or, la justice est perpétuelle et immortelle, comme le dit la Sagesse (chap. 1). Donc
l’obligation qu’imposent les préceptes judiciels l’est
aussi.
Réponse
à l’objection N°1 : On doit perpétuellement observer la justice ; mais la
détermination des choses qui sont justes, selon l’institution humaine ou
divine, doit varier avec les divers états des hommes.
Objection
N°2. L’institution divine est plus stable que l’institution humaine. Or, les
préceptes judiciels des lois humaines obligent
perpétuellement. Donc à plus forte raison les préceptes judiciels
de la loi divine.
Réponse
à l’objection N°2 : Les préceptes judiciels que les
hommes établissent sont perpétuellement obligatoires, tant que dure le même
état social, mais si une cité ou une nation passe à une autre forme de
gouvernement, il faut que les lois soient changées. Car les mêmes lois ne
conviennent pas à la démocratie qui est la puissance du peuple et à
l’oligarchie qui est la puissance des riches, comme le prouve Aristote (Polit., liv. 3, chap. 5, 6 et 9). C’est
pourquoi l’état du peuple ayant été changé, il a fallu que les préceptes judiciels le fussent aussi.
Objection
N°3. L’Apôtre dit (Héb., 7, 18) que l’ancienne loi
a été rejetée à cause de son infirmité et de son inutilité : ce qui est
vrai des préceptes cérémoniels qui ne pouvaient sanctifier la conscience de ceux dont le culte ne consistait qu’en des
viandes, en des breuvages, en différentes ablutions et en des cérémonies
charnelles, comme l’ajoute plus loin le même apôtre (Héb., 9, 9). Or, les préceptes judiciels
étaient utiles et efficaces relativement au but pour lequel on les avait
établis, c’est-à-dire pour faire régner la justice et l’équité entre les
hommes. Donc ces préceptes n’ont pas été rejetés et ils sont encore en vigueur.
Réponse
à l’objection N°3 : Ces préceptes judiciels faisaient
régner dans le peuple la justice et l’équité d’une manière convenable à son état.
Mais après le Christ, il a fallu que l’état de ce peuple fût changé, de manière
qu’il n’y eût plus de différence entre les gentils et les Juifs, comme il y en
avait auparavant. C’est pour cette raison qu’il a fallu changer aussi les
préceptes judiciels.
Mais
c’est le contraire. L’Apôtre dit (Héb., 7, 13) : Le sacerdoce
étant transféré, il est nécessaire que la loi le soit aussi. Or, le
sacerdoce a été transféré d’Aaron au Christ. Par conséquent la loi a été
transférée tout entière et les préceptes judiciels ne
sont plus obligatoires.
Conclusion
Les préceptes judiciels de la loi ancienne ont été
abrogés à l’arrivée du Christ qui a changé l’état de l’Eglise ; de telle sorte
cependant que les chefs de l’Eglise pourraient maintenant les remettre en vigueur
; ce qu’on ne saurait dire des préceptes cérémoniels.
Il
faut répondre que les préceptes judiciels n’ont pas
dû obliger perpétuellement, mais ils ont été abrogés par l’avènement du Christ,
toutefois d’une autre manière que les préceptes cérémoniels. Car les préceptes
cérémoniels ont été détruits de telle sorte que non seulement ils sont morts,
mais ils sont encore mortels pour ceux qui les observent depuis l’avènement du
Christ et surtout depuis la propagation de l’Evangile. A la vérité les
préceptes judiciels sont morts aussi parce qu’ils ne
sont plus obligatoires ; mais ils ne sont cependant pas mortels. Car si un
prince ordonnait à ses sujets de les observer, il ne pécherait pas (Sous la loi
évangélique on a conservé en effet quelques-uns de ces préceptes ; tels sont
certains empêchements de mariage, les dîmes, quelques jeûnes. Mais, comme
l’observe le papa saint Léon dans un de ses sermons : Non legalibus nos omnibus subjicimus
; sed utilitatem continentiæ quæ Christi Evangelio servit, amplectimur.), à moins qu’on ne les observe ou qu’il ne
les fasse observer comme étant obligatoires d’après la loi ancienne elle- même
; cette intention serait mortelle. On peut concevoir la raison de cette
différence d’après ce que nous avons dit (art. préc.).
En effet nous avons vu que les préceptes cérémoniels sont figuratifs
directement et par eux-mêmes, comme ayant été principalement établis pour
figurer les mystères du Christ, selon qu’ils étaient à venir. C’est pourquoi
l’observance de ces préceptes est en opposition avec la vérité de la foi,
d’après laquelle nous confessons que ces mystères sont accomplis (Cajétan pense que l’on pourrait observer les cérémonies de
la loi comme des cérémonies religieuses, pourvu qu’on ne les observât pas comme
prescrites par la loi elle-même, mais qu’on Io fit seulement pour suivre un
usage du pays ou pour satisfaire une idée personnelle. Mais ce sentiment est
rejeté par Suarez (De leg.,
liv. 9, chap. 14), par Solo (liv. 2, De just., quest. 5, art. 4) ; Salméron
(ad Gal., chap. 5, quest. 3), qui
sont sur ce point de l’avis de saint Thomas. Quoique ces cérémonies ne soient
pas mauvaises en elles- mêmes, on ne peut pas les observer sans être
répréhensible, puisqu’elles sont défendues.). Mais les préceptes judiciels n’ont pas été institués pour figurer l’avenir,
ils l’ont été pour régler l’état social du peuple juif qui se rapportait au
Christ. C’est pour ce motif que l’état social de ce peuple ayant changé à
l’avènement du Christ, les préceptes judiciels ont cessé d’être obligatoires. Car, selon l’expression de
l’Apôtre (Gal., chap. 3) : La loi fut un précepteur dont l’enseignement
conduisait à la connaissance du Christ. Toutefois ces préceptes n’ayant pas
été établis pour figurer l’avenir, mais pour déterminer les actions des
individus, leur observance, absolument parlant, ne nuit en rien à la vérité de
la foi ; mais si l’on avait l’intention de les observer, comme si la loi était
encore obligatoire, dans ce cas on blesserait la foi, parce que par là on
supposerait que l’état ancien subsiste encore et que le Christ n’est pas
arrivé.
Article
4 : Les préceptes judiciels peuvent-ils être divisés
d’une certaine manière ?
Objection
N°1. Il semble que les préceptes judiciels ne soient
pas susceptibles d’une division certaine. Car ces préceptes règlent les
rapports des hommes entre eux. Or, ces rapports embrassant toutes les choses
qui sont à leur usage, ne peuvent pas être l’objet d’une distinction certaine,
puisqu’ils sont infinis. Donc ces préceptes ne peuvent pas être distingués
d’une manière certaine.
Réponse
à l’objection N°1 : Les choses qui appartiennent aux rapports des hommes entre
eux sont infinies numériquement ; mais on peut cependant les ramener à quelques
points principaux, d’après la diversité des rapports sociaux, comme nous l’avons
dit (dans le corps de l’article.).
Objection
N°2. Les préceptes judiciels sont des déterminations
des préceptes moraux. Or, les préceptes moraux ne paraissent pas avoir d’autre
distinction que celle qui les ramène aux préceptes du Décalogue. Donc les
préceptes judiciels ne sont pas distingués d’une
manière certaine.
Réponse
à l’objection N°2 : Les préceptes du Décalogue sont les premiers dans le genre
des préceptes moraux, comme nous l’avons dit (quest. 100, art. 3) ; c’est
pourquoi il est convenable qu’on distingue les autres préceptes moraux d’après
ceux-là. Mais les préceptes judiciels et cérémoniels
sont obligatoires pour un autre motif ; car ils ne le sont pas d’après la
raison naturelle, mais ils le sont seulement en vertu de leur institution.
C’est pour cela que la raison de leur distinction est toute différente.
Objection
N°3. On trouve dans la loi la distinction des préceptes cérémoniels qui sont
évidemment distincts les uns des autres ; car les uns reçoivent le nom de sacrifices, les autres celui d’observances. Or, la loi n’indique
nulle part la distinction des préceptes judiciels. Il
semble donc que cette distinction ne soit pas certaine.
Réponse
à l’objection N°3 : La loi indique la distinction des préceptes judiciels d’après la nature même des choses que ces
préceptes ordonnent.
Mais
c’est le contraire. Où il y a un ordre, il faut qu’il y ait une distinction.
Or, la nature de l’ordre appartient tout particulièrement aux préceptes judiciels qui réglaient les rapports du peuple juif. On
doit donc les distinguer tout spécialement d’une manière certaine.
Conclusion
La confusion rendant le plus souvent la loi inutile, on doit distinguer les
préceptes judiciels de l’ancienne loi en quatre
parties, selon les quatre espèces de rapports que les hommes ont entre eux.
Il
faut répondre que la loi étant une sorte d’art qui a pour but de régler ou
d’ordonner la vie humaine, comme dans tout art on distingue certaines règles
particulières, de même il faut que dans toute loi on distingue les uns des
autres les préceptes ; car autrement la confusion enlèverait à la loi toute son
utilité. C’est pourquoi on doit dire que les préceptes judiciels
de la loi ancienne, qui réglaient les relations des hommes entre eux, se
distinguent d’après la diversité des rapports qu’implique toute société
humaine. Or, dans un peuple on peut distinguer quatre espèces de rapports :
celui des chefs du peuple avec leurs sujets ; celui des sujets entre eux ;
celui de la nation elle-même avec l’étranger ; enfin les relations domestiques,
comme celles du père aux enfants, de l’époux à l’épouse, du maître au serviteur
; et d’après ces quatre sortes de rapports on peut distinguer les préceptes judiciels de l’ancienne loi. — En effet il y a des
préceptes qui portent sur l’institution des chefs, sur leur devoir, et sur le
respect qu’on leur doit, et c’est la première partie des préceptes judiciels. Il y en a qui regardent les citoyens entre eux,
à l’égard des achats, des ventes, des jugements et des peines, c’est la seconde
partie ; il y en a d’autres qui concernent les étrangers ; comme ceux qui ont
pour objet les guerres qu’on soutient contre les ennemis, la manière dont on
doit recevoir les pèlerins et les gens du dehors : c’est la troisième partie ;
enfin il y en a qui se rapportent à la vie domestique, comme ceux qui traitent
des esclaves, des femmes, des enfants, et c’est la quatrième.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
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