Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
1a 2ae = Prima Secundae = 1ère partie de la 2ème Partie
Question 106 : De
la loi évangélique, qu’on appelle la loi nouvelle ; considérée en elle-même
Après
avoir parlé de la loi ancienne, nous avons à nous occuper de la loi évangélique
qu’on appelle la loi nouvelle. Nous parlerons : 1° de cette loi considérée en
elle-même ; 2° nous la comparerons à la loi ancienne ; 3° nous examinerons les
choses qu’elle renferme. — Sur le premier point il y a quatre choses à voir :
1° Quelle est cette loi, c’est-à- dire a-t-elle été
écrite ou est-elle infuse dans les cœurs ? (Le caractère de la loi nouvelle que
saint Thomas développe dans cet article, fait ressortir pleinement la
différence qu’il y a entre elle et la loi ancienne.) — 2° Sa vertu :
justifie-t-elle ? (Il y a dans l’Ecriture des textes qui paraissent
contradictoires à cet égard. Dans certains endroits il est dit que la loi
justifie : Vos mundi
estis propter sermonem quem locutus sum vobis. Dans d’autres on
dit au contraire qu’elle ne justifie pas. Abierunt retrò (Jean, chap. 6 et Matth., chap. 2). Saint Thomas détruit cette contradiction
apparente, en donnant le sens de ces divers passages.) — 3° Son principe :
a-t-elle dû exister dès le commencement du monde ? (Pour l’exposition du plan
suivi par la Providence dans la conversion du genre humain, on ne peut trop
méditer l’admirable Discours de Bossuet sur l’histoire universelle.) — 4° Son
terme : doit-elle durer jusqu’à la fin, ou une autre loi doit-elle lui succéder
? (Il y a eu dans ces derniers temps des philosophes catholiques qui n’ont pas
craint de supposer qu’il pourrait y avoir une nouvelle révélation qui serait le
développement de la révélation du Christ. M. de Maistre paraît avoir été de ce
sentiment dans ses Soirées de
Saint-Pétersbourg (Voyez le dernier entretien). Mais cette opinion est en
opposition avec tous les théologiens et toute la tradition.)
Article
1 : La loi nouvelle est-elle une loi écrite ?
Objection
N°1. Il semble que la loi nouvelle soit une loi écrite. Car la loi nouvelle est
l’Evangile et l’Evangile est écrit. Toutes
ces choses ont été écrites, dit saint Jean (Jean, 20, 31), pour que vous croyiez. Donc la loi
nouvelle est une loi écrite.
Réponse
à l’objection N°1 : L’Evangile écrit ne renferme que
ce qui se rapporte à la grâce de l’Esprit-Saint, soit
pour préparer à la recevoir, soit pour en régler l’usage. Comme préparation
relativement à l’intellect, pour exciter la foi par laquelle nous recevons la
grâce de l’Esprit-Saint, l’Evangile renferme ce qui a
rapport à la manifestation de la divinité ou de l’humanité du Christ :
relativement à la volonté, il renferme ce qui regarde le mépris du monde qui
rend l’homme apte à recevoir la grâce de l’Esprit-Saint.
Car le monde, c’est-à-dire les amateurs du monde, ne peuvent pas recevoir l’Esprit-Saint, comme on le voit (Jean, chap. 14). — Quant à
l’usage de la grâce spirituelle, il consiste dans des actes de vertus auxquels
le Nouveau Testament exhorte les hommes dans une multitude d’endroits.
Objection
N°2. La loi qui est gravée en nous, c’est la loi de nature, d’après ces paroles
de l’Apôtre (Rom., 2, 14) : Ce qui appartient naturellement à la loi les
gentils le font, et ils prouvent qu’ils portent les prescriptions de la loi
écrites dans leur cœur. Si donc la loi de l’Evangile était une loi infuse,
elle ne différerait pas de la loi de nature.
Réponse
à l’objection N°2 : Une chose peut être gravée en nous de deux manières : 1° de
façon qu’elle appartienne à la nature humaine ; c’est ainsi que la loi naturelle
a été gravée dans nos cœurs. 2° Elle peut être aussi gravée en nous de telle
sorte qu’elle ait été surajoutée à la nature par un don de la grâce. C’est
ainsi que nous avons reçu la loi nouvelle, qui ne nous montre pas seulement ce
qu’il faut faire, mais qui nous aide à l’accomplir (Ce dernier point a été
ainsi défini par le concile de Milève (can. 3) : Quicumque dixerit gratiam Dei, in quâ justificamur per Jesum-Christum Dominum nostrum, ad solam remissionem peccatorum valere, quæ jam
commissa sunt, non etiam ad adjutorium ut non committantur : anathema sit.).
Objection
N°3. La loi de l’Evangile est propre à ceux qui vivent sous la nouvelle
alliance ; au lieu que la loi qui est gravée dans le cœur est commune à ceux
qui vivent sous la nouvelle alliance et à ceux qui ont vécu sous l’ancienne.
Car il est dit (Sag., 7, 27) : Que la sagesse divine passe d’âge en âge dans les âmes saintes et
qu’elle forme les amis de Dieu et les prophètes. Donc la loi nouvelle n’est
pas une loi qui soit infuse en nous.
Réponse
à l’objection N°3 : Personne n’a jamais eu la grâce de l’Esprit-Saint
que par la foi explicite ou implicite du Christ. Or, c’est par cette foi que
l’homme appartient à la nouvelle alliance. Par conséquent tous ceux qui ont
reçu en eux la loi de grâce appartenaient sous ce rapport au Nouveau Testament.
Mais
c’est le contraire. La loi nouvelle est la loi du Nouveau Testament. Or, cette
loi de la nouvelle alliance a été gravée dans nos cœurs ; car l’Apôtre (Héb., 8, 8), après avoir cité ces paroles
du prophète Jérémie (chap. 31) : Voici
venir, dit le Seigneur, les jours où je ferai une nouvelle alliance avec la
maison d’Israël et la maison de Juda, les explique en disant que cette alliance que le Seigneur se proposait
de faire avec la maison d’Israël, consiste à imprimer ses lois dans l’esprit de
ses fidèles et à les écrire aussi dans leur cœur. Donc la loi nouvelle est
une loi infuse.
Conclusion
La loi nouvelle est principalement la grâce même de l’Esprit-Saint
écrite dans le cœur des fidèles ; secondairement elle est une loi écrite, dans
le sens qu’on trouve en elle, ce qui dispose à la grâce ou ce qui se rapporte à
son usage.
Il
faut répondre que chaque chose paraît être ce qu’il y a en elle de prédominant,
comme le dit Aristote (Eth.,
liv. 9, chap. 4). Or, ce qu’il y a de prédominant dans la loi du Nouveau
Testament, et ce qui embrasse toute sa vertu, c’est la grâce de l’Esprit-Saint qui nous est donnée par la foi du Christ.
C’est pourquoi la loi nouvelle est principalement la grâce de l’Esprit-Saint, qui est donnée aux fidèles serviteurs du
Christ. C’est ce qu’on voit évidemment dans saint Paul qui s’écrie (Rom., 3, 27) : Où est donc votre glorification ? Elle est exclue. Par quelle loi ? Par
celle des œuvres ? non, mais par la loi de la foi
: car il donne à la grâce même de la foi le nom de loi. Il dit encore plus
expressément (Rom., 8, 2) : La loi qui est l’esprit de vie en
Jésus-Christ m’a affranchi de la loi du péché et de la mort. D’où saint
Augustin conclut (Lib. de spirit. et litt., chap. 17 et
26) que, comme la loi des œuvres a été écrite sur des tables de pierre, de même
la loi de la foi a été écrite dans les cœurs des fidèles. Et ailleurs ce même
docteur dit (ib., chap. 21) : Quelles sont les lois divines écrites par
Dieu lui-même dans nos cœurs, sinon la présence même de l’Esprit-Saint
? Cependant la loi nouvelle renferme certaines choses, qui sont comme une
préparation à la grâce de l’Esprit-Saint et qui se
rapportent à l’usage de cette grâce. Ces choses sont en elle des choses
secondaires. Il a fallu que les chrétiens fussent instruits par la parole aussi
bien que par l’écriture, à l’égard de ce qu’ils devaient croire, comme à
l’égard de ce qu’ils devaient pratiquer. Par conséquent on doit dire que la loi
nouvelle est principalement une loi infuse en nous, mais qu’elle est
secondairement une loi écrite (Il a été utile et même nécessaire qu’elle fût
écrite pour fixer la tradition. Mais le Christ voulant nous montrer que
l’Ecriture n’était que secondaire, n’a rien fait écrire pendant qu’il était sur
la terre, et les premières pages du Nouveau Testament n’ont paru que huit ans
après sa mort, lorsqu’il y avait déjà beaucoup de chrétiens. Cette observation
seule détruit tout le système protestant sur l’Ecriture.).
Article
2 : La loi nouvelle justifie-t-elle ?
Objection
N°1. Il semble que la loi nouvelle ne justifie pas. Car personne n’est justifié
qu’autant qu’il obéit à la loi de Dieu, d’après ces paroles de l’Apôtre (Héb., 5, 9) : Le Christ est devenu l’auteur du salut éternel pour tous ceux qui lui
obéissent. Or, l’Evangile n’amène pas toujours les hommes à lui obéir, car
il est dit (Rom., 10, 16) que tous n’obéissent pas à l’Evangile. Donc
la loi nouvelle ne justifie pas.
Réponse
à l’objection N°1 : Cette objection repose sur la loi nouvelle, non pas
relativement à ce qu’il y a de principal, mais relativement à ce qu’il y a de
secondaire en elle, comme les enseignements et les préceptes qui ont été
transmis extérieurement à l’homme par l’écriture ou la parole.
Objection
N°2. L’Apôtre prouve aux Romains que la loi ancienne
ne justifiait pas, parce qu’à son avènement la prévarication s’est augmentée.
Car il est dit (Rom., 4, 15) que la loi produit la colère, parce que là où il
n’y a point de loi, il n’y a point de prévarication. Mais à plus forte
raison la loi nouvelle a-t-elle étendu les prévarications ; car celui qui pèche
encore depuis la loi nouvelle mérite de plus grands châtiments, d’après ces
mots de saint Paul (Héb., 10, 28) : Celui qui a violé la loi de Moïse est mis à mort sans miséricorde, sur
la déposition de deux ou trois témoins. Combien croyez-vous que celui-là sera
jugé digne d’un plus grand supplice, qui aura foulé aux pieds le fils de Dieu…
Donc la loi nouvelle ne justifie pas plus que la loi ancienne.
Réponse
à l’objection N°2 : La grâce de la nouvelle alliance, quoiqu’elle soit pour
l’homme un secours qui le détourne du péché, ne le confirme cependant pas dans
le bien de manière à le rendre impeccable ; car cette prérogative appartient à
l’état de gloire. C’est pourquoi si quelqu’un vient à pécher, après avoir reçu
les grâces de la loi nouvelle, il est plus répréhensible, parce qu’il a reçu de
plus grands bienfaits et qu’il n’a pas fait usage des secours qui lui ont été
accordés. On ne dit cependant pas pour cela que la loi nouvelle produit la
colère, parce qu’autant qu’il est en elle, elle donne un secours suffisant pour
empêcher de pécher.
Objection
N°3. Justifier est l’effet propre de Dieu, suivant cette parole de saint Paul (Rom., 8, 33) : C’est Dieu qui justifie. Or, la loi ancienne aussi bien que la loi
nouvelle est venue de Dieu. Donc l’une ne justifie pas plus que l’autre.
Réponse
à l’objection N°3 : C’est le même Dieu qui a donné la loi ancienne et la loi
nouvelle, mais il ne les a pas données de la même manière. Car il a donné la
loi ancienne écrite sur des tables de pierre, et la loi nouvelle écrite sur les
tables vivantes du cœur humain, comme le dit l’Apôtre (2 Cor., chap. 3). Par conséquent, selon l’expression de saint
Augustin (Lib. de spir.
et litt., chap. 18), l’Apôtre appelle cette
lettre écrite hors de l’homme, un instrument de mort et de damnation, tandis
qu’il appelle la loi nouvelle une œuvre de vie et de justice ; parce que c’est
par le don de l’Esprit-Saint que nous opérons la
justice et que nous sommes délivrés de la peine attachée à la prévarication.
Mais
c’est le contraire. L’Apôtre dit (Rom., 1, 16) : Je ne rougis pas de l’Evangile, parce qu’il est la vertu de Dieu pour
sauver ceux qui croient. Or, il n’y a de salut que pour ceux qui sont
justifiés. Donc la loi de l’Evangile justifie.
Conclusion
La loi évangélique étant la grâce même de l’Esprit-Saint
justifie l’homme nécessairement ; mais ce qui est écrit n’est pas capable de le
justifier.
Il
faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. préc., dans le corps de l’article et réponse N°1), il y a deux choses qui
appartiennent à la loi de l’Evangile. L’une qui est principale : c’est la grâce
de l’Esprit-Saint qui nous a été communiquée
intérieurement, et sous ce rapport la loi nouvelle justifie. C’est ce qui fait
dire à saint Augustin (Lib. de spir. et litt., chap. 17) :
Dans l’Ancien Testament la loi a été promulguée extérieurement pour effrayer
les méchants, tandis que dans le Nouveau, elle nous a été donnée intérieurement
pour notre justification. L’autre, qui appartient secondairement à la loi de
l’Evangile, comprend les enseignements de la foi et les préceptes qui règlent
la volonté humaine et ses actes ; sous ce rapport la loi nouvelle ne justifie
pas (Suarez prétend que, même dans ce dernier sens, il est probable qu’on peut
dire que la loi justifie, parce qu’elle comprend l’institution des sacrements
qui produisent la grâce sanctifiante ex opere operato. En tout cas ce
sentiment n’est pas contraire à celui de saint Thomas, qui dit seulement que la
loi nouvelle ne justifie pas par ses préceptes ou ses enseignements.). C’est
pourquoi l’Apôtre dit (2 Cor., 3, 6)
: La lettre tue, mais l’esprit vivifie,
et saint Augustin ajoute (Lib. de spir. et litt., chap. 14 et
17), que par la lettre on entend toute l’Ecriture et même tous les préceptes
moraux qui sont renfermés dans l’Evangile. Par conséquent la lettre même de
l’Evangile tuerait, si l’on n’avait intérieurement la grâce de la foi qui
guérit.
Article
3 : La loi nouvelle aurait-elle dû être donnée dès le commencement du monde ?
Objection
N°1. Il semble que la loi nouvelle ait dû être donnée dès le commencement du
monde. Car il n’y a pas en Dieu acception
de personnes, comme le dit saint Paul (Rom.,
2, 11). Or, tous les hommes ont péché et
ont besoin de la gloire de Dieu, suivant l’expression du même Apôtre (Rom., 3, 23). Donc dès le commencement
du monde la loi de l’Evangile aurait dû être répandue pour venir en aide à tous
les humains.
Réponse
à l’objection N°1 : Le genre humain a mérité, à cause du péché du premier
homme, d’être privé du secours de la grâce ; c’est pourquoi, si elle n’est pas
donnée à quelques-uns, c’est par justice, et si elle est donnée à d’autres,
c’est par faveur, comme le dit saint Augustin (Ep. 127). Il n’y a donc pas eu acception de personnes à l’égard de
Dieu, parce qu’il n’a pas donné à tous, dès le commencement du monde, la loi de
grâce qui ne devait être promulguée que dans un temps déterminé, comme nous
l’avons dit (dans le corps de l’article.).
Objection
N°2. Comme les hommes sont différents selon la diversité des lieux, de même
aussi selon la diversité des temps. Or, Dieu qui veut que tous les hommes soient sauvés (1 Tim., 2, 4), a ordonné de prêcher
l’Evangile dans toutes les contrées, comme on le voit (Matth.,
chap. 28 et Marc, chap. 16). Donc la loi de l’Evangile a dû embrasser tous les
temps, de telle sorte qu’on a dû la promulguer dès le commencement du monde.
Réponse
à l’objection N°2 : La diversité des lieux ne change pas les divers états du
genre humain qui varient selon les temps ; c’est pourquoi la loi nouvelle est
donnée pour tous les lieux, mais non pour tous les temps ; quoiqu’à toutes les
époques il y ait eu des individus qui ont appartenu à la nouvelle alliance,
comme nous l’avons dit (art. 1, réponse N°3).
Objection
N°3. Le salut de l’âme qui est éternelle, est plus nécessaire à l’homme que le
salut du corps qui est temporel. Or, Dieu dès le commencement a procuré à
l’homme ce qui était nécessaire au salut de son corps, en mettant en son
pouvoir tout ce qui a été créé pour lui, comme on le voit (Gen., chap. 1). Donc la loi nouvelle, qui est absolument nécessaire au
salut spirituel, a dû être donnée à l’homme dès le commencement du monde.
Réponse
à l’objection N°3 : Ce qui regarde le salut du corps est utile à l’homme
relativement à la nature que le péché n’a pas détruite ; mais ce qui regarde le
salut spirituel se rapporte à la grâce que l’on perd au moyen du péché. C’est
pourquoi il n’y a pas de parité.
Mais
c’est le contraire. L’Apôtre dit (1 Cor., 15, 46) : Ce n’est pas le corps spirituel qui a été formé le premier, mais c’est
le corps animal. Or la loi nouvelle est éminemment spirituelle. Donc, on
n’a pas dû la donner dès le commencement.
Conclusion
La loi nouvelle étant la loi de grâce et étant principalement la grâce
elle-même de l’Esprit-Saint, on n’a pas dû la donner
abondamment, avant que l’empêchement du péché ne fût détruit, par suite de la
consommation de la rédemption du monde par le Christ.
Il
faut répondre qu’on peut assigner trois raisons pour lesquelles la loi nouvelle
n’a pas dû être donnée dès le commencement. — La première c’est que la loi
nouvelle, comme nous l’avons dit (art. 1), est principalement la grâce de l’Esprit-Saint, qui n’a pas dû être répandue avec abondance,
avant que l’obstacle du péché n’eût été détruit, une fois que la rédemption du
genre humain a été consommée par le Christ (Alors la question revient à
celle-ci : pourquoi le Verbe ne s’est-il pas incarné dès le commencement ?
Cette question sera traitée dans la 3e partie, lorsque saint Thomas
expose le grand mystère de l’Incarnation.). Ainsi il est dit (Jean, 7, 39) : L’Esprit n’avait
pas encore été donné, parce que Jésus n’avait pas encore été glorifié.
Saint Paul indique évidemment cette raison (Rom.,
8, 3), quand après avoir parlé de la loi de l’esprit de vie il ajoute : que Dieu ayant envoyé son propre Fils, revêtu
d’une chair semblable à la chair du péché et pour le péché, il a condamné le
péché dans la chair, afin que la justice de la loi soit accomplie en nous.
— La seconde raison peut se déduire de la perfection de la loi nouvelle. Car
rien n’arrive à sa perfection immédiatement dès le commencement, mais il faut à
toutes choses un ordre temporel de succession. Ainsi on est enfant d’abord,
puis on devient homme. L’Apôtre donne cette raison
aux Galates (3, 24) : La loi a été comme
notre précepteur pour nous conduire à Jésus-Christ, afin que nous fussions
justifiés par la foi ; mais quand la foi est venue, nous n’avons plus été sous
un précepteur. — La troisième raison se tire de ce que la loi nouvelle est
la loi de grâce. Il a fallu d’abord que l’homme fût abandonné à lui-même, tel
qu’il l’a été sous la loi ancienne, afin qu’en tombant dans le péché, il sentît
sa faiblesse et reconnût qu’il avait besoin de la grâce. C’est la raison que
l’Apôtre insinue quand il dit (Rom.,
5, 20) : La loi étant survenue a donné
lieu à l’abondance du péché ; mais où il y a eu abondance de péché, il y a eu
surabondance de grâce (On peut se demander à quelle époque la loi nouvelle
a commencé à obliger. On peut répondre qu’elle a commencé à obliger du moment
où la loi ancienne a cessé de le faire.).
Article
4 : La loi nouvelle doit-elle durer jusqu’à la fin du monde ?
Objection
N°1. Il semble que la loi nouvelle ne doive pas durer jusqu’à la fin du monde.
Car comme le dit saint Paul (1 Cor.,
13, 10) : Quand ce qui est parfait sera
arrivé, ce qui est imparfait sera détruit. Or, la loi nouvelle est
imparfaite, puisque le même apôtre dit encore (ibid.) : Nous ne connaissons
qu’imparfaitement et nous ne prophétisons qu’imparfaitement. Donc la loi
nouvelle doit être détruite, lorsqu’un état plus parfait viendra la remplacer.
Réponse
à l’objection N°1 : Comme le dit saint Denis (Lib. Eccles. hier.,
chap. 5), il y a pour l’humanité trois sortes d’état. Le premier est celui de
la loi ancienne, le second celui de la nouvelle ; le troisième n’existe pas en
cette vie, mais il existera dans la vie future, c’est-à-dire dans la patrie.
Comme le premier état est figuratif et imparfait relativement à celui de
l’Evangile, de même ce dernier est figuratif et imparfait relativement à l’état
céleste, et il sera détruit à son avènement. Ainsi l’Apôtre dit (1 Cor., 13, 12) : Maintenant nous voyons Dieu dans un miroir et en énigme, alors nous le
verrons face à face.
Objection
N°2. Le Seigneur a promis à ses disciples, à l’arrivée de l’esprit consolateur,
la connaissance de toute vérité (Jean, chap. 16). Or, sous la loi nouvelle,
l’Eglise ne connaît pas encore toute la vérité. Nous devons donc attendre un
autre état dans lequel l’Esprit-Saint nous
manifestera la vérité tout entière.
Réponse
à l’objection N°2 : Comme le dit saint Augustin (Lib. de hæres, hæres.
26 et 46), que Montan et Priscille (L’erreur de Montan est celle dans laquelle
est tombé Tertullien.) ont supposé que la promesse qu’avait faite le Seigneur
d’envoyer l’Esprit-Saint, ne s’était pas accomplie
dans les Apôtres, mais en eux. De même, les manichéens ont prétendu qu’elle
avait eu son accomplissement dans Manès, qu’ils disaient être le Paraclet.
C’est pourquoi ils n’admettaient, ni les uns, ni les autres, les Actes des Apôtres (Les protestants ne
sont pas les premiers des hérétiques qui aient nié l’inspiration des livres de
l’Ecriture, qui étaient contraire à leurs opinions.) où l’on rapporte
évidemment que cette promesse s’est accomplie dans les Apôtres, selon cette
parole du Seigneur (Actes, 1, 5) : Vous serez baptisés par l’Esprit Saint après
peu de jours, ce qui est arrivé comme on le voit (Actes, chap. 2). Mais ces vaines prétentions sont détruites par ce
que dit saint Jean (Jean, 7, 39), que l’Esprit
n’avait pas encore été donné, car Jésus n’avait pas encore été glorifié.
D’où l’on doit conclure qu’aussitôt que le Christ a été glorifié dans sa
résurrection et son ascension, l’Esprit Saint a été donné. Par là se trouvent
renversées les folles espérances de ceux qui veulent qu’on attende une vie
nouvelle, celle de l’Esprit-Saint (Lessing, dans un
des opuscules très vanté par M. Cousin, croit à cette révélation nouvelle qui
doit se faire par l’Esprit. Voyez son petit traité De l’éducation du genre humain.). Or l’Esprit-Saint
a enseigné aux Apôtres toute vérité à l’égard de ce qu’il est nécessaire de
croire et de pratiquer pour être sauvé, mais il ne leur a pas appris tous les
événements à venir, parce que ces choses ne leur importaient pas, d’après ces
paroles (Actes, 1, 7) : Ce n’est pas à vous de savoir les temps et
les moments que le Père a réservés en son pouvoir.
Objection
N°3. Comme le Père est autre que le Fils, et le Fils autre que le Père, de même
l’Esprit-Saint est autre que le Père et le Fils. Or,
il y eut un état qui convenait à la personne du Père, ce fut celui de la loi
ancienne dans lequel les hommes donnaient toute leur attention à la génération.
Il y a maintenant un état qui convient à la personne du Fils, c’est celui de là
loi nouvelle où ceux qui ont le pouvoir spirituel s’appliquent à la sagesse qui
est appropriée au Fils. Il y aura donc un troisième état, celui de l’Esprit-Saint où les hommes purement spirituels domineront.
Réponse
à l’objection N°3 : La loi ancienne n’a pas seulement été la loi du Père, elle
appartenait aussi au Fils, puisqu’elle le figurait. Aussi le Seigneur disait
aux Juifs (Jean, 5, 46) : Si vous croyiez
à Moïse, vous croiriez aussi à moi, parce que c’est de moi qu’il a écrit.
De même la loi nouvelle n’appartient pas seulement au Christ, mais elle
appartient encore à l’Esprit-Saint, d’après cette
expression de l’Apôtre (Rom., 8, 2) :
La loi de l’esprit de vie qui est en
Jésus-Christ, etc. On ne doit donc pas attendre une autre loi qui soit
celle de l’Esprit- Saint.
Objection
N°4. Le Seigneur dit (Matth., 24, 14) : Cet Evangile du royaume sera prêché dans
l’univers entier, et alors la fin arrivera. Or, depuis longtemps l’Evangile
du Christ a été prêché dans le monde entier, et cependant la fin n’est pas
encore venue. Donc l’Evangile du Christ n’est pas l’Evangile du royaume, et il
doit y avoir l’Evangile de l’Esprit-Saint, qui sera
comme une autre loi.
Réponse
à l’objection N°4 : Le Christ ayant dit immédiatement au commencement de la
prédication de son Evangile (Matth., 3, 12), que le royaume des cieux est proche, il est
absurde de prétendre que l’évangile du Christ n’est pas celui du royaume. Mais
la prédication de l’Evangile du Christ peut s’entendre de deux manières : 1° On
peut l’entendre de la propagation de la connaissance du Christ. De cette
manière il a été prêché dans tout l’univers, même du temps des apôtres, comme
le dit saint Chrysostome (Hom. 76 in Matth.). Dans ce cas ces dernières paroles : alors viendra la fin, s’entendent de la
destruction de Jérusalem, dont le Christ parlait alors littéralement. 2° On
peut aussi l’entendre de l’Evangile prêché d’une manière pleinement efficace
dans le monde entier, de sorte que l’Eglise soit établie dans toutes les
nations. Comme l’observe saint Augustin (Epist. 197) l’Evangile n’a point encore été prêché de cette façon dans
tout l’univers (L’Evangile est loin d’être connu de
tous les peuples ; car en jetant les yeux sur la statistique générale des religions
qui se partagent l’humanité, la plus grande partie des hommes se trouve encore
plongée dans les ténèbres de l’erreur et de l’idolâtrie. Sur 738 000 000 d’hommes, le polythéisme en compte encore à lui seul
336 000 000, et il y en a 96 000 000
qui sont musulmans. En outre, comme le remarque saint
Augustin (Ep. 130, ad Esychium), l’Ecriture ne dit pas que
le monde finira aussitôt que l’Evangile sera prêché à toute la terre, mais elle
dit seulement que le monde ne finira pas auparavant.). Quand il l’aura été, la
fin du monde arrivera.
Mais
c’est le contraire. Le Seigneur dit (Matth., 24, 34)
: Je vous le dis, cette génération ne
passera pas que toutes ces choses ne soient accomplies ; ce que saint
Chrysostome entend de la génération des fidèles du Christ (Hom. 78 in Matth.). Donc cet état des
fidèles persévérera jusqu’à la consommation des siècles (Suarez, examinant
cette même question, dit que le sentiment de saint Thomas est certain, et il le
développe en l’appuyant des raisonnements les plus victorieux (De leg., liv. 10, chap. 7).).
Conclusion
La loi nouvelle étant parfaite de toutes les manières, aucune autre loi ne lui
succédera, mais elle durera jusqu’à la consommation du siècle.
Il
faut répondre que l’état du monde peut être changé de deux manières. 1° En
changeant de loi ; de cette manière aucun autre état ne succédera à celui de la
loi nouvelle. Car la loi nouvelle a succédé à la loi ancienne, comme un état
plus parfait succède à un état qui l’est moins. Or, dans la vie présente il ne
peut pas y avoir d’état plus parfait que celui de la loi nouvelle. Car rien ne
peut être plus rapproché de la fin dernière que ce qui
y mène immédiatement, et c’est ce que fait la loi nouvelle. C’est pourquoi
l’Apôtre dit (Héb., 10, 19) : Que nous avons, par le sang de Jésus, la liberté d’entrer dans le
sanctuaire, en suivant cette voie nouvelle qu’il nous a le premier tracée.
Il ne peut donc pas y avoir dans la vie présente d’état plus parfait que celui
de la loi nouvelle ; parce qu’une chose est d’autant plus parfaite qu’elle se
rapproche davantage de la fin dernière. — 2° L’état
des hommes peut changer dans le sens qu’ils observent d’une manière plus ou
moins parfaite la même loi. De la sorte la loi ancienne a souvent changé
d’état, puisque tantôt les Juifs observaient bien la loi et tantôt ils la
transgressaient absolument. La loi nouvelle varie de la même manière selon les
lieux, les temps et les personnes, parce que les individus correspondent plus
ou moins parfaitement à la grâce de l’Esprit-Saint.
Mais on ne doit cependant pas s’attendre qu’il y ait un temps où l’on possède
la grâce de l’Esprit-Saint plus parfaitement qu’on ne
l’a possédée jusqu’alors, surtout qu’on l’emporte sur les apôtres qui en ont reçu les prémices, c’est-à-dire,
d’après la glose (interl.), qui l’ont reçue avant les autres et
plus abondamment qu’eux.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
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l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
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la morale catholique et des lois justes.
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