Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
1a 2ae = Prima Secundae = 1ère partie de la 2ème Partie
Question 107 : De
la comparaison de la loi nouvelle avec l’ancienne
Après
avoir parlé de la loi évangélique considérée en elle-même, nous avons à la
comparer à la loi ancienne. A ce sujet quatre questions se présentent : 1° La
loi nouvelle est-elle différente de la loi ancienne ? (Cette comparaison de la
loi ancienne et de la loi nouvelle se trouve très longuement développée dans
Soto (in 4, ad 2, quest. 1, art. 4) ; Salméron (tom. 5 in Evang., tract. 1 et sup Epist. ad Romanos, chap. 3, disp. 29) ; Bellarmin (liv. 1, De verb. Dei,
chap. 18).) — 2° La loi nouvelle remplit-elle l’ancienne ? (Cet article est une
réfutation de l’erreur des manichéens qui prétendaient que la loi ancienne
était contraire à la loi nouvelle et qui attribuaient, pour ce motif, la
première au génie du mal ou au mauvais principe.) — 3° La loi nouvelle est-elle
contenue dans l’ancienne ? (Tous les Pères sont unanimes sur ce point. Si l’on veut
recueillir une multitude de témoignages éloquents en faveur de cette même
vérité, on peut lire les Elévations
de Bossuet sur les mystères.) — 4° Laquelle des deux est la plus onéreuse ?
Article
1 : La loi nouvelle diffère-t-elle de la loi ancienne ?
Objection
N°1. Il semble que la loi nouvelle ne diffère pas la loi ancienne. Car l’une et
l’autre s’adressent à ceux qui ont foi en Dieu, puisque sans la foi, on ne peut lui plaire, comme le dit saint Paul (Héb., 11,6).
Or, les anciens et les modernes ont tous eu la même foi, selon la remarque de
la glose (Matth., chap. 21). Donc ils ont eu aussi la
même loi.
Réponse
à l’objection N°1 : L’unité de foi des deux Testaments est attestée par leur
unité de fin. Car nous avons dit (quest. 62, art. 1 et 2) que l’objet des
vertus théologales, parmi lesquelles se trouve la foi est la fin dernière.
Cependant la foi n’a pas existé dans le même état sous la loi ancienne et sous
la loi nouvelle. Car nous croyons comme une chose passée ce que les Juifs
croyaient comme une chose à venir.
Objection
N°2. Saint Augustin dit dans son livre contre Adamantius,
un disciple de Manès (chap. 17) que la différence sommaire de la loi et de l’Evangile,
c’est la crainte et l’amour. Or la loi ancienne et la loi nouvelle ne peuvent
pas différer sous ces deux rapports, parce que dans la loi ancienne on trouve
des préceptes de charité (Lév., 19, 18) : Vous aimerez votre prochain ; (Deut., 11, 5) : vous aimerez le Seigneur votre Dieu. On ne peut pas non plus
montrer qu’elles diffèrent en se reposant sur cette distinction que saint
Augustin assigne dans son ouvrage contre Fauste (liv.
4, chap. 11), c’est que l’Ancien Testament a eu des promesses temporelles,
tandis que le Nouveau a des promesses spirituelles et éternelles, parce que
dans le Nouveau Testament, on fait aussi des promesses temporelles, d’après ces
paroles de l’Evangile (Marc, 10, 30) : Dès
à présent dans ce siècle même vous recevrez le centuple des maisons, des frères,
etc. Sous l’Ancien Testament on espérait aussi des promesses spirituelles et
éternelles, d’après ces paroles de saint Paul (Héb., 11, 16) qui dit en parlant des patriarches qu’ils ont désiré une patrie meilleure, c’est-à-dire le séjour du ciel.
Il semble donc que la loi nouvelle ne soit pas autre que la loi ancienne.
Réponse
à l’objection N°2 : Toutes les différences qu’on assigne entre la loi nouvelle
et l’ancienne reposent sur la différence qu’il y a entre le parfait et
l’imparfait. Car les préceptes d’une loi quelle qu’elle soit ont pour objets
des actes de vertu. Or, ceux qui sont imparfaits et qui n’ont pas encore
l’habitude de la vertu sont portés à faire des actes
vertueux, d’une autre manière que ceux qui sont perfectionnés par l’habitude de
la vertu. En effet, ceux qui n’ont pas encore cette habitude sont portés par
une cause extrinsèque à en faire des actes ; par exemple, par la menace des
châtiments ou par la promesse de quelques récompenses extérieures, telles que
les honneurs, les richesses ou quelque autre chose semblable. C’est pourquoi la
loi ancienne, qui était donnée à des hommes imparfaits qui n’avaient pas encore
reçu la grâce spirituelle, était appelée la loi
de crainte (L’état ancien était cet état de servitude dont saint Paul a dit
(Gal., 4, 1) : Tant que l’héritier est enfant, il ne diffère en rien de l’esclave,
etc.), parce que pour faire observer ses préceptes, elle menaçait de certaines
peines. Pour le même motif, elle faisait usage de promesses temporelles. Au
contraire, ceux qui ont la vertu sont portés à en faire des actes par amour
pour elle, mais non à cause d’une peine ou d’une récompense extrinsèque. C’est
pour cela que la loi nouvelle, qui consiste principalement dans la grâce
spirituelle infuse dans nos cœurs, est appelée la loi d’amour. On dit qu’elle a les promesses spirituelles et
éternelles qui sont les objets de la vertu, surtout de la charité ; ainsi on se
porte vers ces biens par soi-même, non comme vers des choses étrangères, mais
comme vers des choses qui sont propres. C’est pour cette raison qu’on dit aussi
que la loi ancienne retenait la main, mais non le cœur ; parce que celui qui
s’abstient de faire un péché par crainte du châtiment, ne détourne pas
absolument du mal sa volonté comme le fait celui qui s’en abstient par amour de
la justice ; c’est pourquoi on dit que la loi nouvelle qui est la loi d’amour, domine le cœur. Toutefois
il y a eu sous l’ancienne loi des hommes qui avaient la charité et la grâce de
l’Esprit Saint et qui attendaient principalement les promesses spirituelles et
éternelles ; et sous ce rapport ils appartenaient à la loi nouvelle. De même il
y a sous la loi nouvelle des hommes charnels qui ne sont pas encore arrivés à
la perfection de cette loi et qu’il a fallu exciter à la vertu, par la crainte
des châtiments et par des promesses temporelles. Mais quoique la loi ancienne
ait donné des préceptes de charité, cependant on ne recevait pas par elle
l’Esprit Saint, qui répand la charité
dans nos cœurs, selon l’expression de l’Apôtre (Rom., chap. 5).
Objection
N°3. L’Apôtre paraît distinguer ces deux lois (Rom., chap. 3) en appelant la loi
ancienne la loi des œuvres, et la loi
nouvelle la loi de la foi. Or, la loi
ancienne a été aussi la loi de la foi, puisque l’Apôtre dit lui-même en parlant
des patriarches de l’Ancien Testament (Héb., 11, 39), que
tous ont donné les plus beaux témoignages
de leur foi. De même la loi nouvelle est aussi la loi des œuvres, car il
est dit (Matth., 5, 44) : Faites du bien à ceux qui vous haïssent. Et ailleurs (Luc, 22, 19)
: Faites cela en mémoire de moi. Donc
la loi nouvelle n’est pas autre que la loi ancienne.
Réponse
à l’objection N°3 : Comme nous l’avons dit (quest. 106, art. 1 et 2), la loi
nouvelle est appelée la loi de la foi,
parce qu’elle consiste principalement dans la grâce qui est intérieurement
donnée à ceux qui croient : d’où elle est appelée la grâce de la foi. Secondairement elle renferme les œuvres morales et
sacramentelles, mais ce n’est pas dans ces choses que consiste principalement
son essence, comme consistait l’essence de la loi ancienne. Or, ceux qui sous
l’Ancien Testament ont été agréables à Dieu par leur foi appartenaient sous ce
rapport au Nouveau ; car ils n’étaient purifiés que par la foi du Christ, qui
est l’auteur de la nouvelle alliance (Il y avait toutefois cette différence
entre les justes de la loi ancienne et ceux de la loi nouvelle, qu’ils
n’étaient pas introduits immédiatement dans le ciel (Héb., chap. 4 et 10). C’est ce qui fait dire à saint Jérôme (Epist. 129, ad Dardanum) que le sang du Christ est la
clef du Paradis, et c’est dans le même sens que saint Cyrille (X. Thes., chap. 9)
entend ces paroles du Christ : Je suis la
porte.). Aussi l’Apôtre dit de Moïse (Héb., 11, 26) qu’il jugeait que
l’ignominie du Christ était un plus grand trésor que toutes les richesses de
l’Egypte.
Mais
c’est le contraire. Saint Paul dit (Héb., 7, 12) : Le sacerdoce étant transféré, il est
nécessaire que la loi le soit aussi (Saint Paul expose la même pensée dans
une foule d’endroits, et il laisse voir que les deux lois sont différentes sans
être opposées. Je m’étonne que vous vous
détourniez si vite de celui qui vous a appelés à la grâce du Christ, pour
passer à un autre évangile, non pas qu’il y en ait un autre (Gal., 1, 6-7).). Or, le sacerdoce du
Nouveau Testament est autre que celui de l’Ancien, comme le prouve l’Apôtre au
même endroit. La loi est donc également différente.
Il
faut répondre que comme nous l’avons dit (quest. 90, art. 2), toute loi ordonne
la vie de l’homme par rapport à une fin. Les choses qui se rapportent à une fin
peuvent différer de deux manières selon la nature de la fin. D’abord elles
peuvent avoir des fins diverses ; ce qui constitue une diversité d’espèce,
surtout si la fin était prochaine. Ensuite, elles peuvent différer selon
qu’elles s’approchent ou qu’elles s’éloignent de la même fin ; comme on le voit
à l’égard des mouvements qui diffèrent d’espèce quand ils se rapportent à des
termes différents ; tandis que quand une partie du mouvement est plus près du
terme qu’une autre, il n’y a qu’une différence analogue à celle qui existe
entre le parfait et l’imparfait. Ainsi donc, deux lois peuvent être différentes
de deux manières : 1° comme étant absolument diverses, parce qu’elles se
rapportent à des fins qui sont diverses elles-mêmes. Par exemple, une loi
civile qui aurait pour but de conférer le pouvoir au peuple serait d’une autre
espèce que celle qui aurait pour but de le confier aux individus les plus
notables (L’un formerait une constitution démocratique, et l’autre une
constitution aristocratique.). 2° Deux lois peuvent se distinguer selon que
l’une se rapporte à la même fin d’une manière plus prochaine d’une manière plus
éloignée. Ainsi dans une même cité la loi qui regarde les hommes mûrs, capables
d’exécuter immédiatement ce qui appartient au bien général, est autre que la
loi qui concerne l’éducation des enfants auxquels on doit apprendre comment ils
devront ensuite remplir leurs devoirs de citoyens. Il faut donc dire que selon
le premier sens la loi nouvelle n’est pas autre que la loi ancienne ; parce
qu’elles ont l’une et l’autre la même fin, qui est de soumettre les hommes à
Dieu. Or, si c’est le même Dieu qui est le Dieu de l’Ancien et du Nouveau
testament, d’après cette parole de saint Paul (Rom., 3, 30) : Il n’y a qu’un
seul Dieu qui justifie par la foi les circoncis et qui par la foi justifie
aussi les incirconcis. Mais dans le second sens la loi nouvelle est autre
que la loi ancienne ; parce que la loi ancienne était ce qu’est un maître pour des enfants, comme le dit
l’Apôtre (Gal., chap. 3), tandis que
la loi nouvelle est la loi de perfection, parce qu’elle est la loi de charité,
que saint Paul appelle le lien de la
perfection (Col., chap. 3).
Article
2 : La loi nouvelle accomplit-elle la loi ancienne ?
Objection
N°1. Il semble que la loi nouvelle n’accomplisse pas la loi ancienne. Car
accomplir est le contraire de détruire. Or, la loi nouvelle détruit ou rejette
les observances de la loi ancienne ; car l’Apôtre dit (Gal., 5, 2) : Si vous êtes
circoncis le Christ ne vous servira de rien. Donc la loi nouvelle n’est pas
l’accomplissement de la loi ancienne.
Réponse
à l’objection N°1 : La loi nouvelle n’a annulé l’ancienne que relativement aux
préceptes cérémoniels, comme nous l’avons dit (quest. 103, art. 3 et 4), et ces
préceptes étaient figuratifs de l’avenir. Ainsi ces préceptes ayant été
accomplis du moment que ce qu’ils figuraient s’est réalisé, on n’a pas dû les
observer ultérieurement, parce que si on les observait, ils signifieraient
encore ce qui doit arriver et ce qui n’a pas été fait ; ce qui serait faux, car
la promesse d’un don futur n’existe plus quand on l’a remplie en donnant la
chose promise. C’est ainsi que les cérémonies de la loi ont été détruites après
avoir été remplies.
Objection
N°2. Le contraire n’est pas l’accomplissement de son contraire. Or, le Seigneur
a donné dans la loi nouvelle des préceptes contraires à ceux de l’ancienne ;
car il est dit (Matth., 5, 31) : Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens : Quiconque voudra
renvoyer sa femme, qu’il lui donne un acte de divorce. Et moi je vous dis : Que
celui qui renvoie sa femme la fait devenir adultère. On tirerait évidemment
la même conséquence à l’égard de la prohibition du serment, de la défense du
talion et de la haine des ennemis. Le Seigneur paraît aussi avoir abrogé les
préceptes de l’ancienne loi sur le discernement des aliments quand il dit (Matth., 15, 11) que ce
qui entre dans la bouche ne souille pas l’âme. Donc la loi nouvelle n’est
pas l’accomplissement de l’ancienne.
Réponse
à l’objection N°2 : Comme le dit saint Augustin contre Fauste
(liv. 19, chap. 21), ces préceptes du Seigneur ne sont pas contraires aux
préceptes de la loi ancienne. En effet, le Seigneur en défendant de renvoyer la
femme n’est pas allé contre ce que la loi a prescrit ; car la loi n’a pas dit :
que celui qui le veut renvoie sa femme, ce qui aurait été opposé au précepte
qui défend de la renvoyer ; mais elle ne voulait pas en réalité que l’époux la
renvoyât ; c’est pourquoi elle a établi un délai, afin que l’homme revenu de
ses premiers emportements renonçât à écrire le libelle de répudiation. Aussi
pour confirmer ce sentiment et rendre la répudiation de la femme difficile, le
Seigneur n’a excepté que le cas de fornication. On doit dire aussi la même
chose à l’égard de la prohibition du serment, ainsi qu’à l’égard de celle du
talion, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.). Car la loi a mis
des bornes à la vengeance pour qu’elle ne fût pas immodérée, et le Seigneur en
a plus parfaitement prévenu tous les excès, en ordonnant de s’en abstenir
absolument (Toutes ces questions se trouvent traitées avec tous les détails
qu’on peut désirer dans la seconde section de cette seconde partie.). Touchant
la haine des ennemis, il a écarté la fausse interprétation des pharisiens en
nous apprenant que c’était la faute, mais non la personne que nous devions
haïr. Pour la distinction des aliments, comme c’était une loi cérémonielle, le
Seigneur n’a pas défendu de l’observer alors, mais il a montré qu’il n’y avait
pas d’aliments immondes de leur nature, qu’ils ne l’étaient qu’en figure, comme
nous l’avons dit (quest. 102, art. 6, réponse N°1).
Objection
N°3. Celui qui agit contre la loi ne l’accomplit pas. Or, le Christ a agi
contre elle dans certaines circonstances ; car il a touché un lépreux, comme on
le voit (Matth., chap. 8), ce qui était contraire à
la loi ; il paraît aussi avoir violé le sabbat plusieurs fois, ce qui portait
les Juifs à dire de lui (Jean, 9, 16) : Cet
homme n’est pas de Dieu, puisqu’il ne garde pas le sabbat. Donc le Christ
n’a pas accompli la loi ; et par conséquent la loi nouvelle qu’il a donnée
n’est pas l’accomplissement de l’ancienne.
Réponse
à l’objection N°3 : La loi ancienne défendait de toucher un lépreux, parce
qu’il résultait de là une certaine tache d’irrégularité, comme du contact d’un
mort, ainsi que nous l’avons dit (quest. 102, art. 5, réponse N°4). Mais le
Seigneur qui guérissait le lépreux ne pouvait contracter cette souillure. Il
n’a pas non plus transgressé le sabbat en réalité par les choses qu’il a
faites, comme il le prouve lui-même dans l’Evangile (Matth.,
chap. 12) ; soit parce qu’il opérait ses miracles par la vertu divine qui est
sans cesse agissante dans les êtres ; soit parce que ses œuvres avaient pour
but le salut des hommes, et que d’ailleurs, de l’avis des pharisiens eux-mêmes,
on pouvait le jour du sabbat sauver un animal ; soit parce que la raison de
nécessité rendait excusables ses disciples qui cueillirent des épis ce jour-là.
Mais il paraissait transgresser les lois d’après les idées superstitieuses des
pharisiens, qui croyaient qu’on devait même s’abstenir de faire des œuvres
salutaires le jour du sabbat ; ce qui était contraire à l’intention de la loi.
Objection
N°4. L’ancienne loi renfermait des préceptes moraux, cérémoniels et judiciels, comme nous l’avons dit (quest. 99, art. 4). Or,
si le Seigneur a accompli la loi relativement aux premiers de ces préceptes (Matth., chap. 5), il paraît n’avoir fait aucune mention des
préceptes judiciels et cérémoniels. Il semble donc
que la loi nouvelle n’accomplisse pas totalement l’ancienne.
Réponse
à l’objection N°4 : Le Seigneur ne rappelle pas (Matth.,
chap. 5) les préceptes cérémoniels de la loi, parce que leur observation a été
totalement détruite par leur accomplissement, comme nous l’avons dit (dans le
corps de l’article et réponse N°1). A l’égard des préceptes judiciels
il a rappelé celui du talion, afin qu’on appliquât ce qu’il en dirait à tous
les autres. Dans ce précepte il a montré, en effet, que l’intention de la loi
n’était pas qu’on cherchât la peine du talion pour le plaisir de la vengeance
qu’il condamne, en disant que l’homme doit être prêt à supporter de plus
grandes injures ; mais il enseigne qu’on ne devait agir ainsi que par amour pour
la justice, et ce sentiment est maintenu dans la loi nouvelle (Sur
l’accomplissement de la loi ancienne par Jésus-Christ et sa doctrine, voyez le
chap. 19 de la 11e sect. du Discours
sur l’histoire universelle. On ne peut trouver un commentaire plus éloquent
et plus complet de ces paroles de Notre-Seigneur : Je ne suis pas venu abolir la loi, mais
l’accomplir (Matth., 5, 17).).
Mais
c’est le contraire. Le Seigneur dit (Matth., 5, 17) :
Je ne suis pas venu détruire la loi, mais
l’accomplir. Puis il ajoute : Il ne
manquera pas un iota, ni un trait à l’accomplissement de la loi, quand toutes
ces choses arriveront.
Conclusion
La loi nouvelle accomplit la loi ancienne selon qu’elle est la réalisation des
promesses et des figures qu’elle renfermait ; le Christ l’a aussi remplie, soit
par ses œuvres en l’observant, soit par ses enseignements en l’expliquant et en
y ajoutant des conseils de perfection.
Il
faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. préc.),
la loi nouvelle est à la loi ancienne ce que le parfait est à l’imparfait. Or,
tout ce qui est parfait remplit ce qui manque à ce qui est imparfait. C’est
ainsi que la loi nouvelle accomplit la loi ancienne, en suppléant à ce qui lui
manquait. En effet, dans la loi ancienne on peut considérer deux choses : la
fin et les préceptes qu’elle renferme. Toute loi a pour fin de rendre les
hommes justes et vertueux, comme nous l’avons dit (quest. 92, art. 2). La loi
ancienne avait donc pour fin la justification des hommes. Elle ne pouvait à la
vérité la produire, mais elle la figurait par des cérémonies et la promettait
par des paroles. Sous ce rapport, la loi nouvelle a accompli l’ancienne en
justifiant les hommes par la vertu de la passion du Christ, et c’est ce que dit
l’Apôtre (Rom., 8, 3) : Ce qu’il était impossible que la loi fît, Dieu l’a fait, lorsque ayant envoyé son propre Fils
revêtu d’une chair semblable à la chair du péché, il a condamné le péché dans
la chair, afin que la justice de la loi soit accomplie en nous. A cet égard
la loi nouvelle réalise les promesses de la loi ancienne, d’après ces autres
paroles de saint Paul (2 Cor., 1, 20)
: Toutes les promesses de Dieu ont en lui,
c’est-à-dire dans le Christ, leur vérité.
Elle remplit aussi tout ce qu’elle figurait ; c’est ce qui fait dire au même
apôtre en parlant des préceptes cérémoniels (Col., 2, 17) que toutes ces
choses ne sont qu’une ombre de celles qui devaient arriver, et que le corps ne
se trouve qu’en Jésus-Christ ; c’est-à-dire que la vérité appartient au
Christ. D’où il résulte qu’on appelle la loi nouvelle la loi de vérité et qu’on donne à la loi ancienne les noms d’ombre et de figure. Quant aux préceptes de la loi ancienne, le Christ les a
accomplis par ses œuvres et ses enseignements. Par ses œuvres, car il a voulu
être circoncis et observer tout ce qui était d’obligation à cette époque, ayant été assujetti à la loi, selon
l’expression de saint Paul (Gal., 4,
4). Par sa doctrine, il a accompli les préceptes de la loi de trois manières :
1° En exposant le vrai sens de la loi, comme on le voit pour l’homicide et
l’adultère, à l’égard desquels les scribes et les pharisiens croyaient qu’il
n’y avait que l’acte extérieur qui fut défendu. Ainsi le Seigneur accomplit la
loi en montrant que les actes intérieurs de ces péchés sont aussi défendus. 2°
En indiquant le moyen le plus sûr de faire ce que la loi avait ordonné. Ainsi
la loi ayant commandé de ne pas faire de parjure, le moyen le plus sur de
l’observer, c’est de s’abstenir absolument du serment, sauf dans le cas de
nécessité. 3° En y ajoutant des conseils de perfection (Ces conseils de
perfection ne sont que le développement des préceptes moraux que renfermait la
loi ancienne, comme on peut le voir d’après le Discours sur la montagne où les deux lois sont comparées.), comme
on le voit (Matth., 19, 21). Il répond à celui qui
lui dit qu’il a observé les préceptes de l’ancienne loi : Une chose vous manque ; si vous voulez être parfait, allez et vendez
tout ce que vous avez, etc.
Article
3 : La loi nouvelle est-elle renfermée dans la loi ancienne ?
Objection
N°1. Il semble que la loi nouvelle ne soit pas renfermée dans la loi ancienne.
Car la loi nouvelle consiste principalement dans la foi ; c’est ce qui la fait
appeler une loi de foi, comme on le
voit (Rom., chap. 3). Or, elle
propose beaucoup de choses à croire qui ne sont pas renfermées dans la loi
ancienne. Donc elle n’y était pas contenue.
Réponse
à l’objection N°1 : Tout ce que le Nouveau Testament nous propose à croire
ouvertement et explicitement se trouve implicitement et sous forme défiguré
dans l’Ancien ; et c’est ainsi que par rapport aux choses de foi, la loi
nouvelle est contenue dans l’ancienne.
Objection
N°2. Une glose dit (Chrys., in op. imp., hom. 10) sur ce passage de saint Matthieu :
Celui donc qui violera un de ses plus petits
commandements (5, 19), que les préceptes de la loi ancienne sont les
moindres, mais que dans l’Evangile il y en a de plus grands. Or, ce qu’il y a
de plus grand ne peut pas être contenu en ce qui est moindre. Donc la loi
nouvelle n’est pas contenue dans l’ancienne.
Réponse
à l’objection N°2 : On dit que les préceptes de la loi nouvelle sont plus
grands que ceux de la loi ancienne quant à leur manifestation explicite, mais
quant à leur substance ils sont tous contenus dans l’Ancien Testament. C’est ce
qui fait dire à saint Augustin contre Fauste (liv.
19, chap. 23 et 28) que tous les avertissements et tous les ordres que le
Seigneur a donnés sous cette forme : et
moi je vous dis, se trouvent dans les livres de l’Ancien Testament. Mais
parce qu’on n’entendait par l’homicide que le meurtre, le Seigneur a montré
qu’il fallait aussi comprendre sous ce genre tous les mouvements iniques qui
ont pour but de nuire à la personne du prochain. Relativement à ces
explications, les préceptes de la loi nouvelle sont plus grands que ceux de la
loi ancienne ; mais rien n’empêche que ce qui est plus grand ne soit contenu
virtuellement dans ce qui est moindre, comme l’arbre est contenu dans sa
semence.
Objection
N°3. Ce qui est contenu dans un autre, on le possède quand on a ce qui le
contient. Si donc la loi nouvelle était contenue dans l’ancienne, il
s’ensuivrait que quand on a eu la loi ancienne on avait aussi la loi nouvelle.
Il eût donc été superflu, après la loi ancienne, d’en donner une nouvelle. Donc
la loi nouvelle n’a pas été contenue dans l’ancienne.
Réponse
à l’objection N°3 : Il faut expliquer ensuite ce que l’on a dit d’abord
implicitement. C’est pourquoi après la loi ancienne il a fallu donner la loi
nouvelle.
Mais
c’est le contraire. Ezéchiel dit (1, 16) : Une
roue était dans une autre, c’est-à-dire, selon l’explication de saint
Grégoire (Hom. 6 in Ez.) le
Nouveau Testament dans l’Ancien.
Conclusion
Puisque tous les préceptes de la loi nouvelle étaient implicitement renfermés
dans l’ancienne, ou qu’ils y étaient cachés sous des figures, on dit avec
raison que la loi nouvelle est renfermée dans l’ancienne, comme le blé est
contenu dans l’épi ou l’arbre dans la semence.
Il
faut répondre qu’une chose est contenue dans une autre de deux manières : 1° en
acte, comme l’objet placé est dans le lieu qu’il occupe ; 2° virtuellement,
comme l’effet dans sa cause, ou comme ce qui est complet se trouve dans ce qui
est incomplet, comme le genre contient les espèces en puissance, et comme
l’arbre entier est renfermé dans la semence. C’est de cette manière que la loi
nouvelle est renfermée dans l’ancienne. Car nous avons dit (art. 1) que la loi
nouvelle est à la loi ancienne ce que le parfait est à l’imparfait. Aussi saint
Chrysostome expliquant ce passage (Marc, 4, 28) : La terre produit d’elle-même, premièrement l’herbe, ensuite l’épi, puis
le grain tout formé dans l’épi, dit que l’herbe a été d’abord produite sous
la loi de nature, qu’ensuite sont venus les épis sous la loi de Moïse, et
qu’enfin le grain tout formé a paru sous l’Evangile (Cette explication est
plutôt de Victor d’Antioche, dans son commentaire sur ce passage.). La loi
nouvelle a donc été contenue dans l’ancienne, comme le fruit dans l’épi.
Article
4 : La loi nouvelle est-elle plus onéreuse que la loi ancienne ?
Objection
N°1. Il semble que la loi nouvelle soit plus onéreuse que la loi ancienne. Car
à l’occasion de ces paroles : Celui donc
qui violera un de ses plus petits commandements (Matth.,
5, 17), saint Chrysostome dit (Hom. 10 in op. imp. ad
fin.) : Les préceptes de Moïse sont faciles : Vous ne tuerez pas, vous ne ferez pas d’adultères ; mais ceux du
Christ sont difficiles, comme : Ne vous
mettez pas en colère, ne convoitez pas. Donc la loi nouvelle est plus
onéreuse que la loi ancienne.
Réponse
à l’objection N°1 : Il est question dans ce passage de la difficulté qu’offre
la loi nouvelle relativement à la compression des mouvements intérieurs
(L’ouvrage auquel cette citation est empruntée n’est pas de saint Chrysostome,
quoiqu’il soit ordinairement cité sous son nom.).
Objection
N°2. Il est plus facile d’user des biens de la terre que de supporter les
tribulations. Or, dans l’ancienne loi la prospérité temporelle résultait de la
fidélité aux préceptes, comme on le voit (Deut., chap. 28), tandis que ceux qui observent la loi nouvelle sont en
proie à une multitude d’afflictions, selon ces paroles de l’Apôtre (2 Cor., 6, 4) : Comme ministres de Dieu rendons-nous recommandables en toutes choses
par une grande patience dans les maux, dans les nécessités pressantes, dans les
angoisses, etc. Donc la loi nouvelle est plus lourde que l’ancienne.
Réponse
à l’objection N°2 : Les peines qu’éprouvent ceux qui observent la loi nouvelle
ne leur sont pas imposées par la loi elle-même. Néanmoins on supporte facilement
toutes ces afflictions par suite de l’amour que la loi elle-même inspire ;
parce que, comme le dit saint Augustin (Lib.
de verb. Dom., serm.
9), l’amour rend faciles et presque nulles toutes les choses les plus horribles
et les plus cruelles.
Objection
N°3. Ce qui ajoute à une chose paraît plus difficile qu’elle. Or, la loi
nouvelle ajoute à la loi ancienne ; car la loi ancienne a défendu le parjure et
la loi nouvelle le serment ; la loi ancienne a défendu le divorce sans le
libelle de répudiation et la loi nouvelle l’a défendu absolument, comme on le
voit (Matth., chap. 5) d’après l’interprétation de
saint Augustin (Liv. 1, serm. Dom. in monte,
chap. 14). Donc la loi nouvelle est plus onéreuse que la loi ancienne.
Réponse
à l’objection N°3 : Ces additions que l’on a faites aux préceptes de l’ancienne
loi ont pour but d’en rendre l’accomplissement plus facile, comme le dit saint
Augustin (liv. 1, De serm.
Dom. in monte, chap. 17 et 19). C’est pourquoi il
ne résulte pas de là que la loi nouvelle soit plus onéreuse, mais c’est plutôt
le contraire.
Mais
c’est le contraire. Il est dit (Matth., 11, 28) : Venez à moi, vous tous qui travaillez et qui
êtes surchargés. Saint Hilaire expliquant ces paroles dit (can. 11 in Matth.)
: que le Seigneur appelle à lui tous ceux que les difficultés de la loi
fatiguent, et qu’ensuite il ajoute en parlant de l’Evangile : Mon joug est doux et mon fardeau léger.
Donc la loi nouvelle est plus légère que l’ancienne.
Conclusion
La loi ancienne est plus lourde que la nouvelle par l’étendue et le nombre de
ses préceptes, mais relativement à la compression des mouvements intérieurs,
qui est ce qu’il y a de plus difficile, la loi nouvelle est plus difficile que
l’ancienne.
Il
faut répondre qu’à l’égard des œuvres de vertu que les préceptes de la loi ont
pour objets, il y a deux sortes de difficulté qu’on peut considérer. L’une se
rapporte aux actes extérieurs qui par eux-mêmes offrent une certaine difficulté
et une certaine charge. A cet égard la loi ancienne est beaucoup plus onéreuse
que la loi nouvelle (C’est ce qui faisait dire à saint Pierre : Pourquoi tentez-vous donc Dieu en voulant
imposer sur le cou des disciples un joug que ni nos pères ni nous n’avons pu
porter ? (Actes, 15, 10). Saint
Cyprien fait ressortir cette différence par une foule d’autres passages (liv.
3, ad Quirinum,
chap. 119).), parce que par ses cérémonies multipliées elle obligeait à un plus
grand nombre d’actes extérieurs que la loi nouvelle, qui a ajouté fort peu de
choses aux préceptes de la loi naturelle, quoiqu’il y en ait eu ensuite
d’autres établis par les saints Pères (Il s’agit ici de pratiques particulières
recommandées par certains docteurs ou plutôt pratiquées par des religieux.
Saint Augustin recommande de ne pas confondre ces pratiques, qui ne sont que
des conseils, avec les devoirs essentiels du catholicisme et de ne pas ainsi
rebuter les fidèles en les surchargeant arbitrairement.). Et sous ce rapport
saint Augustin veut qu’on soit très modéré, dans la crainte qu’on ne rende aux
fidèles leurs devoirs trop onéreux. Car il parle (Ep. 55, chap. 19) de certains hommes qui surchargent de fardeaux très
lourds notre religion que Dieu dans sa miséricorde a rendue libre, en y
rattachant un petit nombre de pratiques extérieures, de sorte que, dit-il, l’on
devrait préférer la condition des Juifs qui sont soumis à la vérité aux charges
de la loi, mais qui du moins ne dépendent pas de la présomption humaine (Ce
conseil admirable a été quelquefois malheureusement trop méconnu.). — La
seconde difficulté se rapporte aux actes intérieurs ; elle consiste en ce qu’il
faut qu’on fasse les actes de vertu promptement et agréablement. La vertu à cet
égard est une chose difficile. Elle est surtout difficile à celui qui n’est pas
vertueux, mais l’habitude de la vertu la rend facile. Sous ce rapport les
préceptes de la loi nouvelle sont plus lourds que ceux de la loi ancienne. Car
dans la loi nouvelle on défend les mouvements intérieurs de l’âme qui n’étaient
pas défendus expressément sous la loi ancienne, du moins dans tous les cas,
quoiqu’ils le fussent en certaines circonstances, mais alors cette défense
n’avait pas de sanction. Or, c’est là ce qu’il y a de plus difficile pour celui
qui n’est pas vertueux. Car, comme le dit Aristote (Eth., liv. 5, chap. 9), il est
facile de faire ce que fait le juste, mais quand il faut le faire comme il le
fait, c’est-à-dire avec plaisir et promptitude, ce n’est pas aisé pour celui
qui n’est pas juste. Saint Jean dit aussi en parlant du Christ (1 Jean, 5, 3)
que ses préceptes ne sont pas lourds,
et saint Augustin expliquant ces paroles dit (Lib. de nat. et grat., chap. 69) qu’ils ne sont pas lourds pour
celui qui aime, mais qu’ils sont lourds pour celui qui n’aime pas (La charité
rend faciles les devoirs les plus contraires à la nature, comme la confession
et la fréquentation des sacrements, et la grâce nous aide à croire les mystères
de la Trinité, de l’Incarnation et de l’Eucharistie, qui sont bien plus élevés
et plus difficiles que les croyances de l’Ancien Testament.).
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de
l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec
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