Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

1a 2ae = Prima Secundae = 1ère partie de la 2ème Partie

Question 108 : Des choses que la loi nouvelle renferme

 

          Il ne nous reste plus qu’à considérer les choses que la loi nouvelle renferme. — A ce sujet il y a quatre questions : 1° La loi nouvelle doit-elle commander ou défendre, des œuvres extérieures ? (D’après Luther (lib. de Libert. Christ.), Calvin (in Epist. ad Rom., chap. 3), Bèze et d’autres protestants, la loi nouvelle n’est pas une loi véritable qui oblige à faire des œuvres. Le Christ ne demande des chrétiens que la foi. Cet article est une réfutation de cette erreur qui a été d’ailleurs condamnée par le concile de Trente (sess. 6, can. 21).) — 2° Commande-t-elle ou défend-elle suffisamment ces actes ? — 3° Règle-t-elle convenablement les hommes par rapport aux actes intérieurs ? (La morale évangélique a toujours paru si parfaite, même aux incrédules, qu’il ne s’est rencontré jusqu’alors personne pour l’attaquer. Tout le monde convient, au contraire, que si elle était mise en pratique universellement elle ferait le bonheur du genre humain.) — 4° Est-il convenable qu’elle ajoute des conseils aux préceptes ? (Rien ne montre mieux la sagesse de notre divin législateur que cette distinction des préceptes et des conseils. Tout en laissant à l’humanité sa liberté, il lui a montré l’idéal de la perfection qu’elle devait s’efforcer d’atteindre, et cet idéal a été la source de toutes les vertus héroïques que l’on admire dans les saints qui font la gloire du christianisme.)

 

Article 1 : La loi nouvelle doit-elle commander ou défendre certains actes extérieurs ?

 

          Objection N°1. Il semble que la loi nouvelle ne doive défendre ni commander aucun acte extérieur. Car la loi nouvelle est l’Evangile du royaume, d’après ces paroles (Matth., chap. 24) : L’Evangile du royaume sera prêché dans tout l’univers. Or, le royaume de Dieu ne consiste pas dans des actes extérieurs, mais seulement dans des actes intérieurs, puisqu’il est dit (Luc, 17, 21) : Le royaume de Dieu est au dedans de vous. Et ailleurs (Rom., 14, 17) : Le royaume de Dieu ne consiste point dans le boire et le manger, mais dans la justice, dans la paix et clans la joie que donne le Saint-Esprit. Donc la loi nouvelle ne doit ni ordonner, ni défendre des actes extérieurs.

          Réponse à l’objection N°1 : Le royaume de Dieu consiste principalement dans les actes intérieurs ; mais par voie de conséquence il embrasse toutes les choses sans lesquelles les actes intérieurs ne peuvent exister : par exemple, le royaume de Dieu étant la justice intérieure, la paix et la joie spirituelle, il est nécessaire que tous les actes extérieurs qui répugnent à la justice, ou à la paix, ou à la joie spirituelle, répugnent aussi au royaume de Dieu. C’est pourquoi l’Evangile doit les défendre. Mais les choses qui sont indifférentes relativement à ces biens intérieurs, comme manger tels ou tels aliments, le royaume de Dieu ne les embrasse pas. C’est ce qui fait dire à l’Apôtre : Le royaume de Dieu ne consiste pas dans le boire et le manger.

 

          Objection N°2. La loi nouvelle est la loi de l’Esprit, comme le dit saint Paul (Rom., chap. 8). Or, où se trouve l’Esprit du Seigneur, là est la liberté, selon la pensée du même Apôtre (2 Cor., 3, 17). Comme il n’y a pas de liberté dès que l’homme est obligé de faire ou d’éviter certains actes extérieurs, il s’ensuit que la loi nouvelle ne renferme ni ordres, ni défenses relativement à ces actes.

          Réponse à l’objection N°2 : D’après Aristote (Met., liv. 1, chap. 2) l’homme libre est celui qui est cause de ses actes. Il agit donc librement celui qui agit de lui-même. Or, ce que l’homme fait d’après une habitude conforme à sa nature, il le fait de lui-même, parce que l’habitude porte à agir selon la nature. Mais si l’habitude était contraire à la nature, l’homme n’agirait pas selon ce qu’il est lui-même, mais d’après une corruption qui lui serait survenue. Ainsi la grâce de l’Esprit-Saint étant une sorte d’habitude intérieure infuse en nous, qui nous porte à bien agir, elle nous rend libres de faire ce qui convient à la grâce et d’éviter ce qui lui est contraire. Par conséquent on appelle la loi nouvelle une loi de liberté de deux manières : 1° parce qu’elle ne nous contraint à faire ou à éviter que ce qui est essentiellement nécessaire ou contraire à notre fin (Plusieurs théologiens thomistes ont conclu de ces paroles de saint Thomas qu’indépendamment des préceptes de la loi naturelle, il n’y en avait pas d’autres dans la loi que ceux qui regardent la foi et les sacrements. C’est ce qui ressort d’ailleurs plus manifestement de l’article suivant.), et qu’il n’y a que ces choses qui soient l’objet d’un commandement ou d’une défense ; 2° parce qu’elle nous fait observer librement ces préceptes ou ces défenses, en ce sens que nous les accomplissons d’après le mouvement intérieur de la grâce qui nous anime. Et c’est pour ces deux raisons que la loi est appelée une loi de liberté parfaite (Jacq., 1, 25).

 

          Objection N°3. On dit que tous les actes extérieurs se rapportent à la main, comme les actes intérieurs se rapportent à l’esprit. Mais il y a cette différence entre la loi nouvelle et la loi ancienne, que cette dernière retient la main, tandis que l’autre comprime l’esprit. On ne doit donc pas admettre dans la loi nouvelle des défenses et des préceptes qui aient les actes extérieurs pour objets, mais seulement les actes intérieurs.

          Réponse à l’objection N°3 : La loi nouvelle, en défendant les mouvements déréglés de l’esprit, empêche nécessairement la main de produire les actes désordonnés qui sont les effets de ces mouvements intérieurs.

 

          Mais c’est le contraire. La loi nouvelle fait des hommes des enfants de lumière ; ce qui fait dire à saint Jean (Jean, 12, 36) : Croyez à la lumière pour être des enfants de lumière. Or, il convient aux enfants de lumière de faire des œuvres de lumière et de rejeter les œuvres de ténèbres, suivant ces paroles de l’Apôtre (Eph., 5, 8) : Vous n’étiez autrefois que ténèbres, mais maintenant vous êtes lumière en notre Seigneur : conduisez-vous en enfants de lumière. Donc la loi nouvelle a dû défendre certaines œuvres extérieures et en ordonner d’autres.

 

          Conclusion Il a été convenable que dans la loi nouvelle on établit des actes sacramentels extérieurs pour recevoir la grâce et qu’on ordonnât des actes extérieurs de vertus et qu’on défendit les actes vicieux, afin qu’ayant été justifiés par la grâce, nous coopérions avec le Christ qui opère intérieurement en nous pour mériter la vie éternelle.

          Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (quest. 106, art. 1 et 2), la loi nouvelle consiste principalement dans la grâce de l’Esprit-Saint, qui se manifeste au moyen de la foi qui opère par l’amour. Les hommes obtiennent cette grâce par le Fils de Dieu fait homme, dont Dieu a rempli l’humanité par sa grâce pour que de là elle découle sur nous. Ainsi il est dit (Jean, 1, 14) : Le Verbe s’est fait chair, puis on ajoute : Il était plein de grâce et de vérité ; et plus loin : nous avons tous reçu de sa plénitude et grâce pour grâce. D’où l’on conclut : que la grâce et la vérité ont été apportées par Jésus-Christ. C’est pourquoi il était convenable que la grâce qui découle du Verbe incarné nous arrivât par des moyens sensibles extérieurs, et que la grâce intérieure qui soumet la chair à l’esprit se produisit au dehors par des œuvres sensibles. Ainsi donc les œuvres extérieures paraissent appartenir de deux manières à la grâce : 1° Comme des moyens qui y mènent en quelque sorte ; telles sont les opérations des sacrements établis sous la loi nouvelle, comme le baptême, l’Eucharistie, etc. 2° Il y a d’autres œuvres extérieures qui sont produites par l’impulsion même de la grâce. A l’égard de ces dernières il y a une distinction à faire. Il y en a qui sont nécessairement conformes ou contraires à la grâce intérieure qui consiste dans la foi agissant par la charité. Ces actes extérieurs sont commandés ou défendus par la loi nouvelle. Ainsi elle commande de confesser la foi et défend de la nier : car il est dit (Matth., 10, 13) : Celui qui me reconnaîtra devant les hommes, je le reconnaîtrai aussi moi-même devant mon Père qui est dans les deux, et celui qui me renoncera devant les hommes, je le renoncerai aussi devant mon Père. — Il y a d’autres œuvres qui ne sont pas nécessairement contraires ou conformes à la foi qui opère par l’amour. La loi nouvelle ne les a primitivement ni commandées, ni défendues, mais le législateur, c’est-à-dire le Christ, les a laissées au libre arbitre de chacun, se confiant au zèle que chacun doit avoir pour le bien. Ainsi tout le monde est libre à cet égard de déterminer ce qu’il lui est avantageux de faire ou de ne pas faire, et c’est à chaque chef qu’il appartient de dire à ceux qui lui sont soumis la conduite qu’ils doivent tenir dans ces circonstances. C’est sous ce rapport que la loi de l’Evangile est appelée une loi de liberté : car la loi ancienne renfermait une multitude de prescriptions et laissait peu de choses à déterminer à la liberté des hommes.

 

Article 2 : La loi nouvelle a-t-elle suffisamment réglé les actes extérieurs ?

 

          Objection N°1. Il semble que la loi nouvelle n’ait pas suffisamment réglé les actes extérieurs. Car la foi qui opère par la charité semble surtout appartenir à la loi nouvelle, d’après ces paroles de l’Apôtre (Gal., 5, 6) : En Jésus-Christ ni la circoncision, ni I incirconcision n’ont d’efficacité, il n’y a que la foi qui opère par la charité. Or, la loi nouvelle a développé des articles de foi qui n’étaient pas contenus explicitement dans la loi ancienne, telle que la foi à la Trinité. Elle a donc dû ajouter aussi des actes moraux extérieurs que la loi ancienne n’avait pas déterminés.

          Réponse à l’objection N°1 : Les choses qui sont de foi sont supérieures à la raison humaine ; par conséquent nous ne pouvons les atteindre que par la grâce : c’est pourquoi quand la grâce est arrivée plus abondante, il a fallu qu’il y eût un plus grand nombre de choses à croire. Mais nous sommes dirigés à l’égard des œuvres de vertu par la raison naturelle qui est une règle de l’opération humaine, comme nous l’avons dit (quest. 19, art. 3, et quest. 63, art. 2). C’est pour ce motif qu’il n’a pas été nécessaire de donner sur ce point d’autres préceptes que les préceptes moraux de la loi qui sont du ressort de la raison.

 

          Objection N°2. Dans la loi ancienne on a établi non seulement des sacrements, mais encore des choses sacrées, comme nous l’avons dit (quest. 101, art. 4, et quest. 102, art. 4). Or, quoiqu’on ait établi dans la loi nouvelle des sacrements, il ne semble pas que Dieu ait établi des choses sacrées qui appartiennent, par exemple, à la sanctification du temple, des vases, ou qui se rapportent à la célébration de quelques solennités. Donc la loi nouvelle n’a pas suffisamment ordonné les actes extérieurs.

          Réponse à l’objection N°2 : Les sacrements de la loi nouvelle nous communiquent la grâce qui vient du Christ ; c’est pourquoi il a dû les instituer (Il n’y a que deux choses qui soient essentielles au culte divin, le sacrifice et les sacrements. Il a fallu que le Christ établît ces deux choses pour donner de la stabilité à son œuvre, parce que, d’après la remarque de saint Augustin, il n’y a pas de religion sans cela (Cont. Faustum, liv. 19, chap. 2), mais il n’était pas nécessaire qu’il étendît ses prescriptions plus loin.). Mais les choses sacrées ne nous donnent pas la grâce. Ainsi nous ne la recevons pas dans la consécration d’un temple, d’un autel, ou d’un autre objet, ni dans la célébration même des solennités. Et parce que ces choses, considérées en elles-mêmes, n’appartiennent pas nécessairement à la grâce intérieure, le Seigneur a laissé leur institution à la libre disposition des fidèles (C’est l’Eglise qui a réglé et qui règle la liturgie.).

 

          Objection N°3. Dans la loi ancienne comme il y avait des observances qui regardaient les ministres de Dieu, de même il y en avait qui regardaient le peuple, comme nous l’avons dit (quest. 101, art. 4, et 102, art. 5 et 6) en parlant des préceptes cérémoniels. Or, dans la loi nouvelle il y a des observances qui paraissent avoir été prescrites pour les ministres de Dieu, comme on le voit (Matth., 10, 9) : N’ayez ni or, ni argent, ni monnaie dans votre bourse, et tout ce qui suit, ainsi que ce qui se trouve (Luc, chap. 9 et 10). On aurait donc dû aussi établir des observances qui regardent les fidèles.

          Réponse à l’objection N°3 : Le Seigneur a donné ces préceptes aux apôtres, non comme des observances cérémonielles, mais comme des prescriptions morales, et on peut les entendre de deux manières. 1° D’après saint Augustin (Liv. 2 de cons. Evang., chap. 30), ce ne sont pas des préceptes, mais des concessions. Car il leur a accordé de pouvoir aller exercer le ministère de la prédication sans bourse, ni bâton, comme étant en droit de recevoir de ceux qu’ils évangélisent ce qui est nécessaire à leur existence. C’est pourquoi il ajoute : L’ouvrier est digne de sa nourriture. Toutefois il ne pèche pas, mais il fait une œuvre de surérogation, celui qui apporte avec lui de quoi vivre, pendant qu’il remplit l’office de la prédication et qui ne reçoit rien de ceux auxquels il va annoncer la vérité évangélique, comme l’a fait sait Paul. 2° On peut entendre, suivant l’interprétation des autres Pères, que ces préceptes regardaient spécialement les apôtres pour le temps où on les envoyait prêcher dans la Judée avant la passion du Christ. Car les disciples, qui étaient comme des enfants placés sous la tutelle de leur maître, avaient besoin de recevoir de lui des prescriptions particulières, comme tous les inférieurs doivent en recevoir de leurs chefs. De plus il fallait peu à peu les habituer à se dépouiller de la sollicitude des choses temporelles pour les rendre aptes à prêcher l’Evangile dans tout l’univers, Il n’est pas étonnant que la loi ancienne étant encore en vigueur, le Christ ait déterminé certaines manières de vivre à ceux qui n’avaient pas encore reçu la liberté parfaite de l’Esprit. Mais quand sa passion fut proche, le Christ abrogea ce précepte, parce que ses disciples avaient été d’ailleurs par là suffisamment exercés ; c’est ce qui explique ce discours de Notre-Seigneur (Luc, 22, 35) : Lorsque je vous ai envoyés sans sac, sans bourse et sans souliers, avez-vous manqué de quelque chose ? Non, lui dirent-ils. Jésus ajouta : Mais maintenant, que celui quia un sac et une bourse les prenne. Car déjà le temps de liberté parfaite approchait, où les hommes devaient être totalement laissés à leur libre arbitre, pour les choses qui ne touchent pas nécessairement par elles-mêmes à la vertu.

 

          Objection N°4. Indépendamment des préceptes moraux et cérémoniels il y avait dans la loi ancienne des préceptes judiciels. Or, dans la loi nouvelle il n’y a pas de préceptes judiciels. Elle n’a donc pas réglé suffisamment les actes extérieurs.

          Réponse à l’objection N°4 : Les préceptes judiciels considérés en eux-mêmes ne sont pas de nécessité de vertu relativement à telle ou telle détermination ; ils n’y touchent que selon la raison générale de justice. C’est pourquoi le Seigneur a laissé faire ces préceptes à ceux qui devaient être chargés des autres spirituellement ou temporellement (Ils ont été remplacés par les lois ecclésiastiques et les lois civiles qui peuvent varier selon les temps, puisqu’elles dépendent de leurs auteurs.). Il y a aussi quelques préceptes judiciels de l’ancienne loi qu’il a expliqués, pour combattre la mauvaise interprétation des pharisiens, comme nous le dirons (art. suiv., réponse N°2).

 

          Mais c’est le contraire. Le Seigneur dit (Matth., 7, 24) : Quiconque entend ces paroles que je prononce et les met en pratique, je le comparerai à un homme sage qui a bâti sa maison sur le roc. Or, un bon architecte n’omet rien de ce qui est nécessaire à l’édifice. Les paroles du Christ renferment donc suffisamment tout ce qui intéresse le salut de l’homme.

 

          Conclusion La loi nouvelle a suffisamment déterminé, en les ordonnant ou en les défendant, les actes extérieurs sacramentels et les actes moraux qui se rapportent d’eux-mêmes à l’essence de la vertu : quant aux autres actes extérieurs elle a laissé les uns à la liberté de chaque homme, les autres au pouvoir des chefs de l’Eglise.

          Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. préc.), la loi nouvelle à l’égard des actes extérieurs n’a dû commander ou défendre que ceux qui nous mènent à la grâce ou ceux qui appartiennent nécessairement à l’usage légitime qu’on doit faire de la grâce elle-même. Et parce que nous ne pouvons obtenir la grâce de nous-mêmes, mais seulement par le Christ, il s’ensuit que le Seigneur a établi par lui-même les sacrements qui sont les moyens par lesquels la grâce nous est donnée (Les sacrements n’ont pas seulement été institués par le Christ, mais ils ont encore été ordonnés. Cette proposition est de foi et nous aurons l’occasion de la retrouver traitée plus longuement dans la 3e partie où saint Thomas traite des sacrements.). Ainsi il a institué le baptême et l’eucharistie, il a établi l’ordre des ministres de la loi nouvelle par l’institution des apôtres et des soixante-douze disciples ; il a établi la pénitence et le mariage qu’il a rendu indissoluble, il a aussi promis |la confirmation en promettant d’envoyer l’Esprit-Saint ; enfin il est rapporté que d’après son institution les apôtres ont guéri les malades en leur faisant des onctions, comme on le voit (Matth., chap. 6) ; ce qui résume tous les sacrements de la loi nouvelle. Quant à l’usage de la grâce, l’usage légitime est celui qui se manifeste par des œuvres de charité. Ces œuvres, selon qu’elles appartiennent nécessairement à la vertu, se rapportent aux préceptes moraux que la loi ancienne renfermait. Par conséquent sous ce rapport la loi nouvelle n’a pas dû ajouter à la loi ancienne pour ce qui est des actions extérieures. La détermination des œuvres qui se rapportent au culte de Dieu appartient aux préceptes cérémoniels de la loi, et la détermination de celles qui se rapportent au prochain appartient aux préceptes judiciels, comme nous l’avons dit (quest. 99, art. 4). Mais, parce que ces déterminations n’appartiennent pas nécessairement par elles-mêmes à la grâce intérieure dans laquelle la loi consiste, il s’ensuit qu’elles ne sont pas l’objet des préceptes de la loi nouvelle et qu’elles sont laissées au libre arbitre des hommes (C’est en cela que consiste la liberté évangélique. C’est aussi ce qui fait que la loi évangélique peut s’accommoder à tous les temps et à tous les lieux, parce que sa partie disciplinaire est mobile et changeante.) ; celles qui ne concernent que l’individu en particulier sont abandonnées aux fidèles, mais celles qui regardent l’utilité générale relèvent des chefs temporels ou spirituels. — Ainsi donc la loi nouvelle n’a pas dû déterminer par ses prescriptions ou ses défenses d’autres actes extérieurs que les sacrements et les préceptes moraux qui appartiennent d’eux-mêmes à l’essence de la vertu, tels que ceux-ci : on ne doit pas tuer, on ne doit pas voler, etc.

 

Article 3 : La loi nouvelle a-t-elle suffisamment réglé nos actes intérieurs ?

 

          Objection N°1. Il semble que la loi nouvelle n’ait pas suffisamment réglé les actes intérieurs. Car il y a dans le Décalogue dix préceptes qui déterminent les rapports de l’homme avec Dieu et avec le prochain. Or, le Seigneur semble n’avoir donné le développement parfait que de trois préceptes, de la défense de l’homicide, de celle de l’adultère et de celle du parjure. Il semble donc qu’il n’ait pas suffisamment réglé l’homme, en négligeant de parler des autres préceptes.

          Réponse à l’objection N°1 : Le Seigneur a donné une explication des préceptes de la loi dont les scribes et les pharisiens n’avaient pas la véritable intelligence : ce qui avait lieu surtout à l’égard de ces trois préceptes du Décalogue. Car pour l’adultère et l’homicide ils pensaient qu’il n’y avait que l’acte extérieur qui fût défendu, mais qu’il n’en était pas de même du désir intérieur ; et ils avaient cette opinion sur l’homicide et l’adultère plutôt que sur le vol et le faux témoignage ; parce que le mouvement de la colère qui porte à l’homicide et le mouvement de la concupiscence qui excite à l’adultère, paraissent en quelque sorte produits en nous par la nature, tandis qu’il n’en est pas de même du désir de voler ou de faire un faux témoignage. Ils avaient aussi sur le parjure une opinion fausse, parce qu’ils croyaient à la vérité que le parjure est un péché, mais ils disaient qu’on devait désirer le serment et l’employer souvent, parce qu’ils voyaient en cela une marque de respect pour la Divinité. Le Seigneur leur a montré au contraire qu’on ne devait pas rechercher le serment comme on recherche ce qui est bon, mais qu’on devait plutôt parler sans serment, à moins que la nécessité n’y oblige (Saint Thomas traite cette question ex professo (2a 2æ, quest. 89, art. 3).).

 

          Objection N°2. Le Seigneur n’a rien ordonné dans l’Evangile à l’égard des préceptes judiciels, il n’a parlé que de la répudiation de la femme, de la peine du talion et de la poursuite des ennemis. Mais il y a dans l’ancienne loi beaucoup d’autres préceptes judiciels, comme nous l’avons dit (quest. 104, art. 4, et quest. 105). Donc sous ce rapport il n’a pas suffisamment réglé la vie humaine.

          Réponse à l’objection N°2 : Sur les préceptes judiciels les scribes et les pharisiens faisaient deux sortes d’erreurs. La première, c’est qu’ils considéraient certaines concessions faites par Moïse comme des choses qui étaient justes par elles-mêmes, comme le divorce, et l’usure qu’on tirait des étrangers. C’est pourquoi le Seigneur leur a défendu de répudier leur femme (Matth., chap. 5) et de recevoir à usure (Luc, 6, 35) en leur disant : Prêtez, sans rien en espérer. Une autre erreur, c’est qu’ils croyaient que certaines choses que la loi avait ordonnées par justice devaient être faites dans un sentiment de vengeance, ou de convoitise à l’égard des biens temporels, ou par haine des ennemis ; ce qui se rapportait à trois préceptes. Car ils croyaient que le désir de la vengeance était permis à cause du précepte qui regarde la peine du talion ; tandis que ce précepte a été établi pour que l’on observe la justice, mais non pour qu’on cherche à se venger. C’est pourquoi pour écarter ce mauvais sentiment le Seigneur dit que l’esprit de l’homme doit toujours être prêt à supporter de plus grands outrages, s’il le faut. Ils supposaient aussi que le mouvement de la cupidité était permis, à cause des préceptes judiciels qui ordonnaient de rendre la chose volée en y ajoutant, comme nous l’avons dit (quest. 105, art. 2, réponse N°9) ; au lieu que la loi a fait cette prescription pour faire respecter la justice, mais non pour exciter la cupidité. C’est pour ce motif que le Seigneur nous commande de ne rien réclamer par cupidité, mais d’être prêt, s’il le faut, à donner encore davantage. Ils pensaient également que le mouvement de la haine était permis, à cause des préceptes de la loi qui commandent de tuer les ennemis ; mais cette partie de la loi a eu aussi pour but l’accomplissement de la justice, comme nous l’avons dit (quest. 105, art. 3, réponse N°4) et non la satisfaction de la haine. C’est pour cela que le Seigneur nous enseigne d’aimer nos ennemis et d’être prêts, s’il le faut, à leur faire du bien. Car ces préceptes doivent se rapporter aux dispositions de l’âme, comme l’entend saint Augustin (De serm. Dom. in monte, liv. 1, chap. 19).

 

          Objection N°3. Dans la loi ancienne, indépendamment des préceptes moraux et judiciels, il y avait des préceptes cérémoniels à l’égard desquels le Seigneur n’a rien ordonné. Donc sa loi est insuffisante.

          Réponse à l’objection N°3 : Les préceptes moraux devaient complètement subsister dans la loi nouvelle, parce qu’ils appartiennent par eux-mêmes à l’essence de la vertu ; les préceptes judiciels ne devaient pas nécessairement subsister selon le mode que la loi ancienne avait établi. On a laissé à la liberté humaine le soin de les déterminer d’une manière ou d’une autre. C’est pourquoi le Seigneur nous a convenablement réglés à l’égard de ces deux sortes de préceptes. Quant aux préceptes cérémoniels leur observation a été totalement détruite, puisqu’ils ont cessé d’exister aussitôt que ce qu’ils figuraient s’est accompli. C’est pour cela que dans ses enseignements généraux le Christ n’a rien ordonné touchant ces préceptes. Cependant il a fait voir ailleurs que tout le culte corporel déterminé dans la loi ancienne devait être remplacé par un culte spirituel (Ce qui n’empêche pas que ce culte éminemment spirituel dans son essence ne se manifeste par des actes extérieurs qui sont les cérémonies que l’Eglise a établies et qu’on est obligé d’observer.), comme on le voit d’après ces paroles de saint Jean (Jean, 4, 23) : Le temps va venir que vous n’adorerez plus le Père, ni sur cette montagne, ni dans Jérusalem, mais les vrais adorateurs l’adoreront en esprit et en vérité.

 

          Objection N°4. Il appartient à la bonne disposition intérieure de l’esprit que l’homme ne fasse aucune bonne œuvre pour une fin temporelle. Or, il y a beaucoup d’autres biens temporels que la faveur humaine, et il y a aussi beaucoup d’autres bonnes œuvres que le jeûne, l’aumône et la prière. Il n’était donc pas convenable que le Seigneur n’eût parlé à l’égard de ces trois œuvres que de la gloire humaine qu’il fallait éviter et qu’il n’eût rien dit des autres biens terrestres.

          Réponse à l’objection N°4 : Toutes les choses mondaines reviennent à ces trois points, aux honneurs, aux richesses et aux plaisirs, d’après ce passage de saint Jean (1 Jean, 2, 16) : Tout ce qui est en ce monde est concupiscence de la chair, ce qui appartient aux plaisirs du corps ; concupiscence des yeux, ce qui regarde les richesses ; et orgueil de la vie, ce qui se rapporte à l’ambition de la gloire et des honneurs. Or, la loi n’a pas promis des jouissances charnelles superflues, elle les a plutôt défendues. Mais elle a promis l’élévation des honneurs et l’abondance des richesses. Car il est dit (Deut., 28, 1) : Si vous écoutez la voix du Seigneur votre Dieu, il vous placera au-dessus de toutes les nations : et plus loin Moïse ajoute : il vous donnera tous les biens en abondance. Les Juifs comprenaient si mal ces promesses qu’ils croyaient que c’était dans cette fin qu’on devait servir Dieu. Le Seigneur a donc écarté cette erreur, en montrant d’abord qu’on ne doit pas faire de bonnes actions pour la gloire humaine. Et il s’arrête aux trois œuvres auxquelles toutes les autres se rapportent. Car tout ce qu’on fait pour modérer en soi la concupiscence revient au jeûne ; tout ce qu’on fait par amour pour le prochain rentre dans l’aumône ; et tout ce qu’on fait pour le culte de Dieu appartient à la prière. Il s’est attaché spécialement à ces trois choses, parce qu’elles sont les plus importantes et que les hommes ont l’habitude d’y avoir recours pour se faire glorifier. Ensuite il nous enseigne que nous ne devons pas mettre notre fin dans les richesses quand il dit (Matth., 6, 19) : Ne vous amassez point de trésors sur la terre.

 

          Objection N°5. Il est naturel à l’homme d’avoir de la sollicitude pour ce qui est nécessaire à sa vie, et cette sollicitude lui est commune avec les animaux. D’où il est dit (Prov., 6, 6) : Allez à la fourmi, ô paresseux ; considérez sa conduite. Elle n’a ni chef, ni inspecteur, ni maître ; elle fait néanmoins sa provision pendant l’été et amasse durant la moisson de quoi se nourrir. Or, tout précepte qui est contraire à l’inclination de la nature est inique, parce qu’il est opposé à la loi naturelle. Il semble donc que le Seigneur ait eu tort de défendre de s’inquiéter de la nourriture et du vêtement.

          Réponse à l’objection N°5 : Le Seigneur n’a pas défendu la sollicitude qui est nécessaire, il n’a défendu que celle qui est déréglée. Or, à l’égard de la sollicitude envers les choses temporelles, il y a quatre sortes de désordre à éviter : 1° Il ne faut pas que nous mettions en elles notre fin, ni que nous servions Dieu pour avoir le vivre et le vêtement. Ainsi le Seigneur dit : N’amassez pas de trésors. 2° Nous ne devons pas nous en inquiéter, tout en désespérant du secours de Dieu ; ce qui fait dire au Seigneur (Matth., 6, 32) : Votre Père sait que vous avez besoin de toutes ces choses. 3° La sollicitude ne doit pas être présomptueuse, de telle sorte que l’homme croie qu’il peut par lui-même se procurer tout ce qui lui manque sans le secours de Dieu : ce que Notre-Seigneur exprime, en disant que l’homme ne peut rien ajouter à sa taille. 4° Par sa sollicitude, l’homme ne doit pas anticiper sur le temps ; c’est- à-dire, il ne faut pas s’occuper dans le présent de ce qui ne regarde pas le présent, mais l’avenir. Ainsi il est dit (ibid., 34) : Ne vous inquiétez pas du lendemain.

 

          Objection N°6. On ne doit défendre aucun acte de vertu. Or, le jugement est un acte de justice, d’après ces paroles du Psalmiste (Ps. 93, 15) : Le jugement sera enfin rendu à la justice. Le Seigneur paraît donc avoir à tort défendu le jugement, et par conséquent la loi nouvelle ne semble pas avoir suffisamment réglé les actes intérieurs de l’homme.

          Réponse à l’objection N°6 : Le Seigneur ne défend pas le jugement équitable sans lequel on ne pourrait soustraire les choses saintes aux indignes, mais il défend le jugement déréglé, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.) (D’après toutes ces explications on voit la supériorité de la loi nouvelle sur la loi ancienne au point de vue moral.).

 

          Mais c’est le contraire. D’après saint Augustin (Lib. 1 de serm. Dom. in monte, chap. 1), il est à remarquer que quand le Seigneur a dit : Celui qui écoute mes paroles, ces mots désignent assez que ce discours qui résume les préceptes qui forment la vie chrétienne est parfait.

 

          Conclusion Puisque, d’après saint Augustin, le sermon seul que le Seigneur fit sur la montagne renferme toute la perfection de la vie chrétienne et qu’il règle parfaitement tous les mouvements intérieurs de l’homme, on doit dire que la loi nouvelle ordonne suffisamment nos actes intérieurs.

          Il faut répondre que, comme on le voit d’après l’autorité de saint Augustin que nous avons citée, le sermon que le Seigneur a prononcé sur la montagne renferme tout ce qui regarde la vie chrétienne et règle ainsi parfaitement tous les mouvements intérieurs de l’homme. Car après avoir fait connaître la fin de la béatitude, après avoir exalté la noblesse de la mission des apôtres qui devaient prêcher l’Evangile dans tout l’univers, il règle les mouvements intérieurs de l’homme d’abord relativement à lui-même, et ensuite relativement au prochain. Par rapport à lui-même, il le fait de deux manières selon les deux mouvements intérieurs de l’homme, qui sont sa volonté qui a pour objet ce qu’il doit faire, et son intention qui se rapporte à la foi. Ainsi il commence à régler la volonté de l’homme selon les divers préceptes de la loi ; il lui commande, par exemple, de s’abstenir non-seulement des œuvres extérieures qui sont mauvaises par elles-mêmes, mais encore des actes intérieurs et des occasions de péché. Il dirige ensuite l’intention de l’homme, en lui disant de ne pas chercher dans le bien qu’il fait, la gloire humaine, ni les richesses du monde, parce que c’est thésauriser pour cette terre. Conséquemment il règle aussi le mouvement intérieur de l’homme relativement au prochain, en nous ordonnant de ne le juger ni avec témérité, ni avec injustice, ni avec présomption, mais cependant de n’être pas tellement relâchés à son égard que nous l’admettions à la participation des choses saintes, quand il en est indigne. Enfin il nous apprend la manière d’accomplir la doctrine évangélique, en implorant le secours divin, en faisant effort pour entrer par la voie étroite de la perfection, et en prenant des précautions pour résister à toutes les séductions ; et comme l’observation des préceptes est nécessaire au salut, il conclut que ce n’est pas assez de confesser la foi, de faire des miracles ou d’entendre simplement la parole de Dieu.

 

Article 4 : Est-il convenable que dans la loi nouvelle il y ait des conseils particuliers qui soient proposés ?

 

          Objection N°1. Il semble qu’on ait eu tort dans la loi nouvelle de proposer des conseils déterminés. Car on donne des conseils sur les choses qui sont utiles à une fin, comme nous l’avons dit en parlant du conseil (quest. 14, art. 2). Or, les mêmes choses ne sont pas utiles à tout le monde, par conséquent on ne doit pas proposer pour tout le monde des conseils déterminés.

          Réponse à l’objection N°1 : Les conseils sont, autant qu’il est en eux, avantageux à tout le monde, mais il peut se faire qu’ils ne soient pas avantageux à certaines personnes, à cause de leur faiblesse et de leur mauvaise disposition. C’est pourquoi en donnant ses conseils évangéliques, le Seigneur fait toujours mention de l’aptitude des hommes à les observer. Ainsi en conseillant la pauvreté perpétuelle (Matth., 19, 24) il dit préalablement : Si vous voulez être parfait ; puis il ajoute : Allez et vendez tout ce que vous avez. De même quand il conseille la chasteté perpétuelle ; après avoir dit : Il y en a qui se sont faits eux-mêmes eunuques pour le royaume des cieux, il ajoute immédiatement : Qui peut comprendre ceci, le comprenne. Pareillement l’Apôtre en conseillant la virginité prévient des dispositions que cette vertu exige (1 Cor., 7, 35) : Je vous dis ceci pour votre avantage, mais non pour vous tendre un piège.

 

          Objection N°2. Les conseils ont pour objet un plus grand bien. Or, les degrés de cette espèce de bien ne sont pas déterminés. Donc on ne doit pas donner des conseils déterminés.

          Réponse à l’objection N°2 : Ce qu’il y a de mieux en particulier pour chaque individu est indéterminé, mais ce qu’il y a de mieux en général simplement et absolument ne l’est pas ; et c’est à ces principes généraux que se ramènent tous les faits particuliers, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.).

 

          Objection N°3. Les conseils appartiennent à la perfection de la vie. Or, l’obéissance y appartient aussi. C’est donc à tort qu’il n’y ait point de conseil dans l’Evangile qui se rapporte à elle.

          Réponse à l’objection N°3 : D’après les interprètes, le Seigneur a donné le conseil de l’obéissance quand il a dit : Et qu’il me suive. En effet nous le suivons non seulement en imitant ses actions, mais encore en obéissant à ses préceptes, d’après ces paroles de saint Jean (Jean, 10, 27) : Mes brebis écoutent ma voix et me suivent.

 

          Objection N°4. On trouve parmi les préceptes une foule de choses qui appartiennent à la perfection de la vie ; tel que celui-ci : aimez vos ennemis, et il en est de même de tous les préceptes que le Seigneur a donnés aux apôtres (Matth., chap. 10). La loi nouvelle est donc défectueuse relativement aux conseils, soit parce qu’elle ne les renferme pas tous, soit parce qu’ils ne sont pas distincts des préceptes.

          Réponse à l’objection N°4 : Ce que dit le Seigneur sur le véritable amour des ennemis et sur le reste (Matth., chap. 6 et Luc, chap. 6), si on le rapporte aux dispositions de l’âme, est nécessaire au salut ; c’est-à-dire que l’homme doit être prêt à faire du bien à ses ennemis et à exécuter tout ce qui est commandé dans cet endroit de l’Evangile, quand la nécessité le demande. C’est pour quoi on a rangé ces choses parmi les préceptes. Mais qu’un homme se montre prêt à être utile à un de ses ennemis, quand aucune nécessité particulière ne l’y pousse, cet acte se rapporte aux conseils particuliers, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.). Quant à ce qui se trouve (Matth., chap. 10 et Luc, chap. 9 et 10), ce sont des préceptes disciplinaires qui ont été établis pour le temps où ils ont été promulgués, ou des concessions, comme nous l’avons vu (art. 2, réponse N°3). C’est pourquoi ils ne sont pas présentés comme des conseils.

 

          Mais c’est le contraire. Les conseils d’un ami sage sont très avantageux, suivant ces paroles (Prov., 27, 9) : L’huile de senteur et les parfums répandent la joie dans le cœur ; combien plus la douce société d’un ami qui donne des conseils salutaires. Or, le Christ est le sage et l’ami par excellence. Donc ses conseils sont de la plus grande utilité et nous conviennent parfaitement.

 

          Conclusion La loi nouvelle étant une loi de liberté, et le conseil laissant la liberté d’option à celui qui le reçoit, il est convenable qu’il y ait dans la loi nouvelle des conseils, au moyen desquels les hommes arrivent plus sûrement et plus facilement à la béatitude.

          Il faut répondre qu’il y a cette différence entre le conseil et le précepte, c’est que le précepte nécessite, tandis que le conseil laisse la liberté d’option à celui qui le reçoit. C’est pourquoi il était convenable que dans la loi nouvelle, qui est une loi de liberté, on ajoutât aux préceptes des conseils ; mais il n’en était pas de même pour la loi ancienne qui était une loi de servitude. Il faut donc que les préceptes de la loi nouvelle aient pour objet ce qui est nécessaire pour arriver à la fin de la béatitude éternelle, à laquelle cette loi nous fait parvenir immédiatement ; mais il faut aussi qu’elle renferme des conseils qui mettent l’homme à même d’arriver mieux et plus facilement à cette fin (Calvin a nié l’existence des conseils évangéliques, prétendant que toutes les choses que l’Evangile renferme sont des préceptes. Ce sentiment est manifestement contraire à l’Ecriture : Si vous voulez être parfait (Matth., 19, 21) ; Pour ce qui est des vierges, je n’ai pas de commandement du Seigneur (1 Cor., 7, 25). Rationnellement il est subversif de toute morale ; car en rendant obligatoires les conseils, il s’ensuivrait que la loi serait généralement d’une application impossible, et qu’il n’y aurait que peu d’hommes qui pourraient être chrétiens.). Or, l’homme a été établi entre les choses de ce monde et les biens spirituels dans lesquels la béatitude éternelle consiste, de telle sorte que plus il s’éloigne des uns, plus il se rapproche des autres, et réciproquement. Par conséquent celui qui s’attache totalement aux choses de ce monde, au point de mettre en elles sa fin et d’en faire la raison et la règle de ses actes, est totalement privé des biens spirituels, et c’est ce désordre que les préceptes attaquent. Mais il n’est pas nécessaire que l’homme se sépare totalement des choses de ce monde pour arriver à sa fin surnaturelle ; parce que tout en faisant usage des choses de ce monde, s’il ne met pas en elles sa fin, il peut parvenir à la béatitude éternelle. Toutefois il y parviendra plus aisément, s’il se dépouille complètement des biens de ce monde, et c’est pour ce motif que l’Evangile en donne le conseil. — Or, les biens de ce monde dont les hommes font usage pendant leur vie, consistent en trois choses : dans les richesses des biens extérieurs qui appartiennent à la concupiscence des yeux, dans les délices du corps qui se rapportent à la concupiscence de la chair, enfin dans les honneurs qui regardent l’orgueil de la vie, comme on le voit (1 Jean, chap. 2). Les conseils évangéliques nous portent à quitter totalement ces trois choses, autant qu’il est possible. Tout ordre religieux qui professe l’état de perfection est d’ailleurs fondé sur ces trois principes ; car on renonce aux richesses par la pauvreté, aux joies charnelles par une chasteté perpétuelle, à l’orgueil de la vie par la soumission de l’obéissance. L’observation pure et simple de ces vertus se rapporte purement aux conseils ; l’observation de chacune d’elles dans une circonstance spéciale appartient au conseil relativement, c’est-à-dire au conseil donné dans cette circonstance même. Ainsi quand un homme fait une aumône à un pauvre lorsqu’il n’y est pas tenu, il suit un conseil relativement à cette action. De même si dans un temps déterminé il s’abstient des plaisirs charnels pour vaquer à l’oraison, il suit un conseil pour ce moment. Egalement si on ne fait pas sa volonté dans un instant où l’on pourrait la faire licitement, on suit encore un conseil dans ce cas-là ; comme quand on fait du bien à ses ennemis sans qu’on y soit tenu, ou quand on pardonne celui dont on pourrait justement tirer vengeance. Ainsi tous les conseils particuliers reviennent donc à ces trois conseils généraux, qui sont l’expression de la perfection.

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.

 

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