Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
1a = Prima Pars =
Première Partie
Question 8 : De
l’existence de Dieu dans les êtres
Parce
qu’il semble dans la nature de l’infini d’être partout et en tout, il faut
examiner si cela convient à Dieu. — A cet égard quatre questions se présentent
: — 1° Dieu est-il en toutes choses ? (Il est dit au livre de la Sagesse (1, 7)
: l’esprit du Seigneur remplit l’univers
; et comme il contient tout, etc. Cette même vérité se trouve exposée dans
une multitude d’autres endroits, dans l’Ecriture, les conciles et les Pères.
Elle n’a guère été contredite que par Basilide, qui croyait, d’après les
pythagoriciens, que la Divinité résidait dans le soleil. (Voyez l’exposition de
son système dans le Dictionnaire des hérésies.)) — 2° Dieu est-il partout ?
(Dans l’article précédent, saint Thomas a prouvé que Dieu était en toutes
choses ; ici il prouve qu’il est dans tous les lieux. Ceux qui ont nié cette
vérité, ce sont les païens, qui renfermaient leurs dieux dans des idoles ou des
temples ; les stoïciens, qui attachaient Dieu au monde comme le patient à sa
roue ; les platoniciens, qui le renfermaient dans le monde comme un pilote dans
un vaisseau ; les juifs et les samaritains, qui restreignaient la Divinité au
temple de Jérusalem ou sur le mont Garizim ; les gnostiques et les manichéens ;
les sociniens, qui niaient que Dieu fût substantiellement partout ; enfin les
disciples de Gassendi, qui, avec Epicure, distinguaient l’espace ou le vide de
Dieu et de la matière.) — 3° Dieu est-il partout par son essence, sa puissance
et sa présence ? (Cet article combat les manichéens, qui disaient que Dieu ne
s’occupe pas des choses matérielles, en montrant que tout est soumis à sa
puissance ; il attaque les athées, en montrant qu’il est présent partout ; il
réfute les philosophes qui admettaient le système des émanations en prouvant
qu’il est partout par sa puissance. On ne peut nier aucune de ces vérités sans
être hérétique, selon la remarque du P. Petau (De Deo, liv. 7, chap.7, n. 5).) — 4°
Est-ce le propre de Dieu d’être partout ? (On peut, au moyen de la doctrine
renfermée dans cet article, répondre à Zuingle et aux
ubiquistes, qui disaient que l’humanité du Christ, comme sa divinité, était
partout.)
Article
1 : Dieu est-il en toutes choses ?
Objection
N°1. Il semble que Dieu ne soit pas en toutes choses. Car ce qui est au-dessus
de tout n’est pas en toutes choses. Or, Dieu est au-dessus de tout, d’après
cette parole du Psalmiste (Ps. 112, 4) : Le
Seigneur est au-dessus de toutes les nations. Donc Dieu n’est pas en toutes
choses.
Réponse
à l’objection N°1 : Dieu est au-dessus de tout par l’excellence de sa nature,
et cependant il est en toutes choses parce qu’il est la cause de tout ce qui
existe, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.).
Objection
N°2. Ce qui est dans une chose est contenu par elle. Or, Dieu n’est pas contenu
par les choses, mais plutôt il les contient. Donc Dieu n’est pas dans les
choses, mais les choses sont plutôt en lui. C’est pourquoi saint Augustin dit (Quæst., liv. 83, quest. 20) que toutes les
choses sont en lui plutôt qu’il n’est quelque part.
Réponse
à l’objection N°2 : Quoiqu’on dise que les choses corporelles sont dans un
milieu qui les contient, il n’en est pas de même des choses spirituelles. Elles
contiennent au contraire les choses dans lesquelles elles existent, comme l’âme
contient le corps. Ainsi donc on dit que Dieu est dans les choses parce qu’il
les contient ; mais cela n’empêche pas de dire, par analogie avec les choses
corporelles, que tout est en Dieu dans le sens qu’il renferme tout.
Objection
N°3. Plus un agent a de vertu et plus son action agit à distance. Or, Dieu est
l’agent qui a le plus de puissance. Son action peut donc s’étendre aux choses
qui sont les plus éloignées de lui, et il n’est pas nécessaire qu’il soit en
elles.
Réponse
à l’objection N°3 : Tout agent, quelque puissant qu’il soit, n’agit sur un
objet éloigné que par le moyen d’un intermédiaire. Mais la toute-puissance de
Dieu a ceci de particulier qu’elle s’exerce immédiatement sur toutes choses.
Car il n’y a rien qui soit éloigné de Dieu, puisqu’il renferme tout en
lui-même. On dit cependant qu’une chose en est éloignée en raison de la
différence qui existe entre elle et lui au point de vue de la nature ou de la
grâce ; comme on dit qu’il est au-dessus de tout par l’excellence de sa nature.
Objection
N°4. Les démons sont des êtres, et cependant Dieu n’est pas en eux. Car il n’y
a pas de rapport entre la lumière et les ténèbres, comme le dit saint Paul (2 Cor., 6, 15). Donc Dieu n’existe pas
en toutes choses.
Réponse
à l’objection N°4 : Dans les démons on doit distinguer la nature qui est
l’œuvre de Dieu et la tache du péché qui ne provient pas de lui. C’est pourquoi
il ne faut pas dire, absolument parlant, que Dieu est dans les démons, mais on
doit ajouter qu’il est en eux considérés comme êtres. Mais pour les choses dont
la nature n’a point été déformée on doit dire absolument que Dieu existe en
elles.
Mais
c’est le contraire. En effet, un être existe partout où il opère quelque chose.
Or, Dieu opère quelque chose dans tous les êtres, d’après ce mot d’Isaïe (Is., 26, 12) : Vous
opérez en nous, Seigneur, toutes nos œuvres. Donc Dieu existe en toutes
choses.
Conclusion
Dieu étant l’être même par essence, il existe en toutes choses de la manière la
plus intime.
Il
faut répondre que Dieu existe en toutes choses, non point comme une partie de
leur essence ou comme un accident, mais comme l’agent est présent à l’être sur
lequel il agit. Car il faut que tout agent soit uni à l’être sur lequel il agit
immédiatement, et qu’il l’atteigne par sa vertu. C’est de là que part Aristote
pour prouver (Phys., liv. 7, text. 10) qu’il faut que le moteur et l’objet qu’il meut
existent en même temps. Dieu étant l’être même par son essence, il faut que l’être
créé soit son effet propre : comme l’action de brûler est l’effet propre du
feu. Or, Dieu produit cet effet dans les choses, non seulement au premier
moment de leur existence, mais tant qu’il leur conserve l’être : comme la
lumière est produite dans l’air par le soleil, tant que l’air est illuminé. Par
conséquent, tant qu’une chose existe, il faut que Dieu lui soit présent conformément
à son mode d’existence. Et, comme l’être est ce qu’il y a de plus intime dans
chaque chose et ce qu’il y a de plus profond, puisque c’est la forme qui
embrasse tout ce qui existe, comme on le voit d’après ce que nous avons dit
(quest. 7, art. 1 ), il s’ensuit que Dieu existe en
toutes choses et d’une manière intime.
Article
2 : Dieu est-il partout ?
Objection
N°1. Il semble que Dieu ne soit pas partout. Car être partout signifie être en
tout lieu. Or, il ne convient pas à Dieu d’être en tout lieu, puisqu’il ne peut
pas être dans un lieu. Car il n’y a pas de lieu, dit Boëce
(lib. de hebdom.)
pour les êtres incorporels. Donc Dieu n’est pas partout.
Réponse
à l’objection N°1 : Les êtres spirituels ne sont pas dans un lieu à la manière
des êtres corporels qui ont des dimensions qu’on peut calculer, mais ils y
existent par l’effet de leur puissance.
Objection
N°2. Le lieu est aux choses permanentes ce que le temps est aux choses
successives. Or, l’unité indivisible de l’action ou du mouvement ne peut
exister, en divers temps. Donc l’unité indivisible dans le genre des choses
permanentes en général ne peut pas non plus exister en tous lieux. L’être de
Dieu n’étant pas successif, mais permanent, il s’ensuit que Dieu n’existe pas
dans plusieurs lieux, et que, par conséquent, il n’est pas partout.
Réponse
à l’objection N°2 : L’indivisibilité est de deux sortes. L’une s’applique aux
quantités continues, comme le point dans les choses qui sont permanentes et le
moment dans celles qui sont successives. Cette sorte d’indivisibilité, quand il
s’agit de choses permanentes, par là même que sa situation est déterminée, ne peut
être dans plusieurs parties d’un lieu, ni dans plusieurs lieux. De même
l’indivisibilité de l’action ou du mouvement, ayant dans le mouvement ou
l’action un ordre déterminé, ne peut être dans plusieurs parties du temps. Mais
il y a une autre sorte d’indivisibilité qui est en dehors de toute quantité
continue, et c’est ainsi que les substances spirituelles, telles que Dieu,
l’ange et l’âme, sont indivisibles. Cette indivisibilité ne s’applique pas aux
quantités continues comme à des choses qui sont de même nature qu’elle, mais
comme à des objets soumis à son action ; par conséquent, en raison de l’étendue
de son action qui peut atteindre un ou plusieurs lieux, un petit ou un grand
espace, on dit qu’elle est dans un ou plusieurs lieux, dans un lieu resserré ou
vaste.
Objection
N°3. Quand un être est tout entier quelque part, il n’y a rien de lui hors de
ce lieu. Or, si Dieu est dans un lieu, il y est tout entier, puisqu’il n’a pas
de parties. Donc il n’y a rien en lui hors de ce lieu et par conséquent il
n’est pas partout.
Réponse
à l’objection N°3 : On parle du tout par rapport aux parties. Or, il y a deux
sortes de parties : la partie de l’essence,
c’est ainsi que l’on dit que la forme et la matière sont les parties d’un être
composé, le genre et la différence les parties de l’espèce, et la partie de l’étendue qui n’est que la division
d’une quantité quelconque. Or, ce qui est tout entier dans un lieu sous le
rapport de l’étendue, ne peut être hors de ce lieu, parce que l’étendue d’un
corps a la même mesure que celle du lieu qu’il occupe. Mais l’essence n’a pas
ainsi pour mesure la délimitation du lieu où elle est présente, et il n’est pas
nécessaire qu’un être qui est par son essence dans un lieu ne soit d’aucune
manière ailleurs. C’est ce qu’on peut voir dans les formes accidentelles qui
sont étendues par accident. Ainsi la blancheur, considérée au point de vue de
son essence, est tout entière dans chaque partie d’une surface, parce qu’on la
trouve dans chacune de ces parties avec les propriétés qui caractérisent son
espèce. Mais si on la considère au point de vue de l’étendue de la qualité dont
elle a, par accident, revêtu la forme, elle n’est plus alors tout entière dans
chaque partie de la surface. Or, dans les substances spirituelles, l’ensemble
de l’être ne peut exister, ni par lui-même ni par accident, sous le rapport de
la quantité ou de l’étendue, mais seulement sous celui de l’essence. Et c’est
pourquoi comme l’âme est tout entière dans chaque partie du corps, de même Dieu
est tout entier en toutes choses et dans chacune d’elles.
Mais
c’est le contraire. Car il est dit dans Jérémie (23, 24) : Je remplis le ciel et la terre.
Conclusion
Dieu est en tous les lieux comme dans des choses auxquelles il donne la vertu
de conserver les objets qui s’y placent ; il est aussi en tous les lieux, et il
les remplit tous, non à la façon des corps qui empêchent les autres corps
d’occuper le même espace qu’eux, mais en donnant l’être à tous les objets qui
les remplissent.
Il
faut répondre qu’un lieu étant une chose, un être peut être dans un lieu de
deux manières. 1° A la manière des autres choses, c’est-à-dire comme une chose
peut être dans d’autres d’une certaine manière ; de même que les accidents d’un
lieu sont dans un lieu. 2° A la manière propre du lieu, c’est-à-dire comme les
objets placés dans un lieu existent dans ce lieu. Or, de ces deux manières,
Dieu est sous un rapport en tout lieu, c’est-à-dire qu’il est partout. D’abord,
comme il est en toutes choses, en tant qu’il leur donne l’être, la vertu et l’action,
de même il est en tout lieu selon qu’il donne à chaque lieu la vertu de
recevoir les objets. Ensuite les objets placés dans un lieu y existent suivant
qu’ils le remplissent. Or, Dieu remplit tous les lieux, non pas à la façon d’un
corps, car on dit qu’un corps remplit un lieu quand il ne permet pas d’y placer
d’autres corps avec lui, tandis que Dieu peut être dans un lieu sans empêcher
les autres êtres d’y être avec lui. Au contraire il remplit tous les lieux en
donnant l’être à tous les objets qui s’y trouvent placés et qui les occupent
complètement.
Article
3 : Dieu est-il partout par son essence, sa présence et sa puissance ?
Objection
N°1. Il semble qu’on ait mal déterminé la manière d’être de Dieu dans les
choses, en disant que Dieu est en toutes choses par son essence, sa puissance
et présence. Car ce qui est par son essence dans une chose est essentiellement
en elle. Or, Dieu n’est pas essentiellement dans les choses puisqu’il n’est de
l’essence d’aucune chose. Donc on ne doit pas dire que Dieu est dans les choses
par son essence, sa présence et sa puissance.
Réponse
à l’objection N°1 : On dit que Dieu est en toutes choses par son essence et non
par leur essence ; ce qui ne signifie pas conséquemment qu’il est de leur
essence, mais que sa substance est présente à tout en tant que cause de tout ce
qui existe, comme nous l’avons dit (art 1.).
Objection
N°2. Etre présent à une chose, c’est ne lui manquer jamais. Or, quand on dit
que Dieu est par son essence en toutes choses, cela signifie qu’il ne fait
défaut à aucune d’elles. Donc dire que Dieu est en toutes choses par son
essence, c’est comme si l’on disait qu’il y est par sa présence. Il était par
conséquent superflu de dire qu’il y est par son essence, sa présence et sa
puissance.
Réponse
à l’objection N°2 : Une chose peut être présente à quelqu’un sans qu’il soit en
elle par son essence. Il peut la voir et cependant être éloigné d’elle
substantiellement, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.). C’est
pour ce motif qu’il était important d’exprimer ces deux manières d’être,
l’essence et la présence.
Objection
N°3. Comme Dieu est le principe de toutes choses par sa puissance, il l’est
aussi par sa science et sa volonté. Or, on ne dit pas que Dieu soit dans les
choses par sa science et sa volonté. Donc on ne devrait pas dire non plus qu’il
y est par sa puissance.
Réponse
à l’objection N°3 : Il est de la nature de la science et de la volonté que ce
qui est su soit dans le sujet qui sait et ce qui est voulu dans le sujet qui
veut. Par conséquent sous ce double rapport les choses sont en Dieu plutôt que
Dieu n’est en elles. Mais il est dans la nature de la puissance d’agir sur un
objet qui est en dehors d’elle. D’où il suit que l’être qui met sa puissance en
action agit toujours sur un objet extérieur, et qu’on peut dire conséquemment
que par sa puissance il existe dans un autre.
Objection
N°4. Comme la grâce est une perfection surajoutée à la substance d’une chose,
ainsi il y a beaucoup d’autres perfections pareillement surajoutées. Si l’on
admet que Dieu existe d’une manière spéciale dans certains êtres par sa grâce,
il semble qu’on doive admettre autant de différentes manières d’être dans les
choses qu’il y a de perfections particulières qui peuvent leur être
surajoutées.
Réponse
à l’objection N°4 : Il n’y a pas d’autre perfection que la grâce qui se
surajoute à la substance pour faire connaître et aimer Dieu, et il n’y a par
conséquent que la grâce qui établisse une manière d’être particulière de Dieu
dans les choses. Il y a cependant encore une autre manière d’être de Dieu dans
l’homme, qui consiste dans l’union de l’un et de l’autre. Nous en parlerons en
son lieu (3a pars, quest. 2, art. 1).
Mais
c’est le contraire. D’après la glose (Sup. Cant.
des cant.,
chap. 5), Dieu est d’une manière générale en toutes choses par sa présence, sa
puissance et sa substance ; néanmoins on dit qu’il est d’une manière familière
dans quelques êtres par sa grâce.
Conclusion
Dieu est en tout par sa puissance parce que tout lui est soumis ; il est en
tout par son essence parce qu’il a tout créé immédiatement, et il est en tout
par sa présence parce qu’il connaît tout.
Il
faut répondre que Dieu peut être dans une chose de deux manières : d’abord
comme cause efficiente, et à ce titre il est dans toutes les choses qu’il a
produites ; ensuite il peut être dans une chose comme l’objet de l’action est
dans celui qui agit. Ce qui est propre aux opérations de l’âme où l’objet connu
est dans le sujet qui le connaît, et l’objet désiré dans le sujet qui le désire.
C’est de cette seconde manière que Dieu existe spécialement dans la créature
raisonnable qui le connaît et l’aime actuellement ou habituellement. Et, parce
que c’est la grâce qui détermine dans la créature ces sentiments et ces
dispositions, comme on le verra plus loin (quest. 12, art. 4), on dit qu’il est
dans les saints par sa grâce. Pour se faire une idée de sa manière d’être dans
les autres êtres qu’il a créés, il faut examiner ce qui se passe dans les
choses humaines. Ainsi, on dit qu’un roi existe dans tout son royaume par sa
puissance, quoiqu’il ne soit pas partout. On dit que quelqu’un existe par sa
présence dans toutes les choses qu’il voit devant lui. C’est ainsi qu’on
considère toutes les choses qui sont dans une maison comme présentes à celui
qui les voit, bien qu’il ne soit pas substantiellement dans toutes les parties
de la maison. Et l’on dit qu’une chose existe essentiellement ou
substantiellement dans le lieu où sa substance existe. — Il y a eu des
hérétiques, tels que les manichéens (Cette erreur se retrouve dans la plupart
des systèmes de la philosophie ancienne.), qui ont dit que les choses
spirituelles et incorporelles étaient soumises à la puissance divine, mais que
les choses visibles et corporelles dépendaient de la puissance du principe
contraire. Il faut donc affirmer contre eux que Dieu existe en tout par sa
puissance. — D’autres ont dit que, tout en admettant que tout était soumis à la
puissance divine, il ne fallait cependant pas croire que la Providence
s’étendît jusqu’aux créatures les plus humbles (D’après ces philosophes, la
Providence ne s’occupe pas des individus, des choses contingentes et
particulières.). C’est dans leur bouche que l’écrivain sacré met ces paroles
(Job, 22, 14) : Il marche autour des
portes du ciel, mais ses regards ne s’abaissent pas jusqu’à nous. Il a
fallu établir contre eux que Dieu est en toutes choses par sa présence. —
D’autres ont supposé que, bien que la providence de Dieu s’étendît à tout, il
n’avait cependant pas créé immédiatement toutes choses (Les philosophes
alexandrins et les gnostiques se sont particulièrement arrêtés au système des
émanations.), qu’il avait immédiatement créé les créatures premières, et que
celles-ci avaient fait les autres. Contre ces derniers il faut dire que Dieu
est en tout par son essence. — Ainsi donc, il est en tout par sa puissance,
parce que tout lui est soumis ; il est en tout par sa présence, parce que tout
est à découvert devant ses yeux ; il est en tout par son essence, parce qu’il
est présent atout comme cause de tout ce qui existe, tel nous l’avons dit (art.
1).
Article
4 : Est-ce le propre de Dieu d’être partout ?
Objection
N°1. Il semble que ce ne soit pas le propre de Dieu d’être partout. Car,
d’après Aristote (Post., liv. 1, text. 43), l’universel est partout et toujours ; la matière
première est aussi partout puisqu’elle est dans tous les corps. Cependant
aucune de ces choses n’est Dieu, comme nous l’avons précédemment démontré
(quest. 3, art. 1). Donc ce n’est pas le propre de Dieu d’être partout.
Réponse
à l’objection N°1 : L’universel et la matière première sont partout, à la
vérité, mais non selon le même être (Leur être diffère selon les individus dans
lesquels ils se trouvent.).
Objection
N°2. Le nombre existe dans toutes les choses qui sont comptées. Or, l’univers
entier a été formé dans le nombre, comme il est dit au livre de la Sagesse (chap.
2). Donc il y a un nombre qui est dans tout l’univers, et par conséquent
partout.
Réponse
à l’objection N°2 : Le nombre n’étant qu’un accident n’est point dans un lieu
par lui-même, mais accidentellement. Il n’est pas non plus tout entier dans
chacun des objets qui sont comptés ; il n’y est qu’en partie. Par conséquent il
ne s’ensuit pas qu’il soit partout tout entier et par lui-même.
Objection
N°3. L’univers forme un corps dont l’ensemble est parfait, comme le dit
Aristote (De cælo
et mundo, liv. 1, text.
4). Or, l’univers, compris dans sa généralité, est partout, parce qu’il n’y a
aucun lieu en dehors de lui. Donc il n’y a pas que Dieu qui soit partout.
Réponse
à l’objection N°3 : L’ensemble de l’univers est partout, mais il n’est pas tout
entier en chaque lieu ; il n’y est que par parties. Il n’est pas non plus
partout par lui-même, parce que si l’on supposait la création d’autres lieux il
ne serait pas en eux.
Objection
N°4. Si un corps était infini, il comprendrait tous les lieux. Donc il serait
partout, et l’ubiquité ne serait pas ainsi un attribut spécial de Dieu.
Réponse
à l’objection N°4 : S’il y avait un corps infini, il serait partout, mais par
parties.
Objection
N°5. L’âme, comme le dit saint Augustin (De
Trin., liv. 6, chap. 5), est tout entière dans tout le corps comme dans
chaque partie du corps. Par conséquent, s’il n’y avait dans le monde qu’un seul
être animé, son âme serait partout, et l’ubiquité ne serait pas le propre de
Dieu.
Réponse
à l’objection N°5 : S’il n’y avait dans le monde qu’un seul être animé, son âme
ne serait partout que par accident.
Objection
N°6. D’après saint Augustin (Epist. 3 ad Volus.), où l’âme voit, elle sent ; où elle sent, elle
vit ; où elle vit, elle est. Or, l’âme voit presque partout ; car elle parcourt
successivement tout le ciel. Donc l’âme est partout.
Réponse
à l’objection N°6 : Ces mots où l’âme
voit peuvent s’entendre de deux manières : 1° l’adverbe où peut être considéré selon qu’il
détermine l’acte de la vue par rapport à l’objet (L’acte de voir est alors pris
objectivement.). Dans ce sens il est vrai que quand l’âme voit le ciel, sa vue
est dans le ciel, et pour la même raison ses sentiments, mais il ne s’ensuit
pas qu’elle vive dans le ciel ou qu’elle y soit ; parce que vivre et exister
n’impliquent pas un acte qui passe à un objet extérieur. L’adverbe où peut s’entendre selon qu’il détermine
l’acte de celui qui voit, considéré par rapport au sujet qui le produit (Dans
ce second sens, l’idée de voir est pris subjectivement.). Dans ce cas il est
vrai que l’âme est dans le sujet où elle sent et où elle voit, et qu’elle y vit
selon cette manière de parler. Par conséquent il ne s’ensuit pas qu’elle soit
partout.
Mais
c’est le contraire. Car saint Ambroise dit dans son livre sur l’Esprit-Saint (liv. 1, chap. 7)
: Qui oserait dire que le Saint-Esprit est une
créature, lui qui est en tout, partout et toujours ? Ce qui est certainement le
propre de la Divinité.
Conclusion
Il faut que Dieu soit partout, qu’il y soit tout entier, et non par partie.
Il
faut répondre que c’est le propre de Dieu d’être partout premièrement et par lui-même. Je dis qu’il est partout premièrement, c’est-à-dire qu’il est
absolument partout tout entier. Car si une chose était partout de manière que
ses différentes parties fussent en divers lieux, elle ne serait pas partout premièrement ; parce que ce, qui
convient à une chose sous le rapport de ses parties ne lui convient pas
premièrement ; par exemple, si un homme avait les dents blanches, la blancheur
ne conviendrait pas à l’homme premièrement, mais à la dent (Cet exemple fait
comprendre le sens qu’on doit attacher au mot premièrement.). J’appelle être partout par soi, quand l’ubiquité ne convient pas à une chose par accident,
en raison d’une hypothèse quelconque. Ainsi, un grain de millet serait partout,
en supposant qu’aucun corps n’existe. Une chose existe partout par elle-même
quand, dans toute hypothèse possible, elle est toujours nécessairement partout.
C’est là le propre de Dieu, parce que, quel que soit le nombre des lieux qu’on
suppose, quand on en ajouterait encore indéfiniment à ceux qui existent, il
faudrait que Dieu fût dans tous, parce que rien ne peut exister que par lui.
Ainsi, être partout tout entier et par soi-même, c’est donc un des propres
attributs de Dieu. Car, quel que soit le nombre des lieux qu’on suppose, il
faut qu’il soit dans chacun d’eux, non par partie, mais tout entier.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de
l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec
l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous
puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au
respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune
évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de
la morale catholique et des lois justes.