Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
1a = Prima Pars =
Première Partie
Question 10 : De
l’éternité de Dieu
Nous
avons maintenant à traiter de l’éternité de Dieu. — A ce sujet six questions se
présentent : 1° Qu’est-ce que l’éternité ? (Cette définition est celle de Boëce, qui a été généralement admise. Scot, qui a pris à
tâche de contredire saint Thomas presque sur tous les points, donne une autre
définition, qui est celle-ci : Duratio totius simul, carens
principio et fine. Ce qui distingue l’une de l’autre ces deux définitions, c’est que saint Thomas admet
l’éternité simultanée, et les scotistes veulent qu’elle soit successive. Mais
la métaphysique de saint Thomas parait bien plus rationnelle, et son sentiment
semble d’ailleurs plus en rapport avec ces paroles de l’Ecriture (2 Pierre, 3,
8) : Mais il est une chose que vous ne
devez pas ignorer mes bien-aimés : c’est que, devant le Seigneur, un jour est
comme mille ans, et mille ans comme un jour.) — 2° Dieu est-il éternel ? (Ce
dogme est exprimé dans l’Ecriture en une foule d’endroits. Je suis celui qui suis (Ex.,
3, 14). Au commencement était le Verbe,
etc. (Jean, 1, 1) Cependant Dieu est notre roi depuis des
siècles (Ps. 73, 13). Et ailleurs
: Le Seigneur régnera dans l’éternité et
au-delà des siècles (Ex., 15,
18).) — 3° L’éternité est-elle le propre de Dieu ? (Cet article est une
réfutation des arnaudistes, des manichéens,
d’Origène, d’Aristote et de tous les philosophes anciens qui ont enseigné que
le monde était éternel, que la matière des éléments n’avait pas été créée, et
qu’elle était coéternelle avec Dieu ; que le mouvement, le ciel, le temps, la
génération et la conception, n’avaient pas eu de commencement. C’est aussi par
là même une réponse à tous ceux qui nient la création, et c’est par conséquent
une réfutation indirecte du panthéisme.) — 4° L’éternité diffère-t-elle du
temps et de la durée (tempus
et ævum). (Cette discussion est une
affaire de pure opinion ; les scotistes l’ont soulevée en mettant toute leur
dialectique subtile au service de l’éternité successive, contrairement au
sentiment de saint Thomas.) — 5° Quelle différence y a-t-il entre le temps et
la durée ? (Le mot ævum,
que nous traduisons ici par celui d’éviternité, était employé par les théologiens pour
exprimer la mesure de la vie angélique et bienheureuse, et le mot temps (tempus) était
réservé pour désigner l’âge des hommes sur la terre. On a indiqué le fondement
de celte distinction dans ce passage de l’Ecriture (Ecclésiastique, 1, 1) : Omnis sapientia a
Domino Deo est, et cum illo fuit semper, et est ante ævum (Toute
sagesse vient du Seigneur Dieu ; elle a toujours été avec lui, et elle y est
avant tous les siècles), où le mot est
indique l’éternité, le mot fuit, le
temps, et le mot ævum,
l’éviternité.) — 6° N’y a-t-il qu’une seule durée,
comme il n’y a qu’un seul temps et qu’une seule éternité ? (Cette question est
purement philosophique ; cependant elle se rattache par un côté à ce que saint
Thomas doit nous apprendre sur l’état des anges et des bienheureux.)
Article
1 : Peut-on définir l’éternité, la possession entière, simultanée et parfaite
d’une vie qui n’a pas de fin ?
Objection
N°1. Il semble qu’il n’est pas convenable de définir l’éternité comme le fait Boëce dans son livre de la Consolation (De cons., liv. 3, pros. 2), quand il dit
que l’éternité est la possession entière et parfaite d’une vie qui n’a pas de
fin. Car, ce mot qui n’a pas de fin
est une expression négative. Or, la négation ne convient qu’aux choses qui
pèchent par défaut de quelque manière, ce qui ne convient pas à l’éternité.
Donc dans la définition de l’éternité on ne doit pas mettre le mot (interminabile).
Réponse
à l’objection N°1 : Les choses simples sont ordinairement définies négativement
; ainsi on définit le point ce qui
n’a pas de parties. Ceci ne provient pas de ce que leur essence est négative.
Mais il en est ainsi parce que notre intelligence qui saisit primitivement ce
qui est composé ne peut arriver à la connaissance des choses simples qu’en
écartant toute idée de composition.
Objection
N°2. L’éternité signifie une durée quelconque. Or, la durée se rapporte à
l’être plutôt qu’à la vie. Donc on n’aurait pas dû employer dans la définition
de l’éternité le mot vie, mais plutôt
le mot être.
Réponse
à l’objection N°2 : Ce qui est véritablement éternel, n’existe pas seulement,
mais il est encore vivant. La vie suppose une certaine action, tandis qu’il
n’en est pas de même de l’être. Or, la prolongation de durée semble plus en
rapport avec l’action qu’avec l’être. C’est ce qui fait dire que le temps est
le nombre appliqué au mouvement.
Objection
N°3. On appelle tout ce qui a des
parties. Or, l’éternité n’a pas de parties puisqu’elle est simple. Donc on ne
doit pas se servir du mot (tota) entière pour
le définir.
Réponse
à l’objection N°3 : On dit que l’éternité est entière, non pas dans le sens
qu’elle ait des parties, mais parce que rien ne lui manque.
Objection
N°4. Plusieurs jours ne peuvent exister simultanément, ni plusieurs temps. Or,
dans l’éternité il y a plusieurs jours et plusieurs temps ; car il est dit
(Michée, 5, 2) : Sa génération est dès le
commencement, dès les jours de l’éternité, et dans l’Épitre
aux Romains (16, 25), saint Paul parle des temps
éternels. Donc l’éternité n’existe pas tout entière en même temps.
Réponse
à l’objection N°4 : Comme Dieu est métaphoriquement désigné dans l’Ecriture
sous des noms de choses corporelles, bien qu’il soit spirituel, de même
l’éternité est exprimée par des périodes successives de temps, bien qu’elle
existe simultanément tout entière.
Objection
N°5. Le mot tout et le mot parfait signifient la même chose. En
supposant que la possession soit entière,
il était superflu d’ajouter qu’elle est parfaite.
Réponse
à l’objection N°5 : Dans le temps il y a deux choses à considérer, le temps lui-même
qui est successif, et le moment présent qui est imparfait. On dit que
l’éternité est tout entière simultanément pour écarter d’elle l’idée de temps,
et on ajoute qu’elle est parfaite pour faire comprendre qu’elle est autre que
le moment dont nous jouissons actuellement et qui nous échappe ensuite.
Objection
N°6. Le mot possession ne se rapporte
point à la durée. Or, l’éternité est cependant une sorte de durée. Donc ce
n’est pas une possession.
Réponse
à l’objection N°6 : La possession est quelque chose de stable et de tranquille.
C’est pourquoi on s’est servi de ce mot pour désigner l’immutabilité et
l’indéfectibilité de l’éternité.
Définition
L’éternité est la possession entière, simultanée et parfaite d’une vie qui n’a
pas de fin.
Il
faut répondre que, comme il faut que nous nous servions des êtres composés pour
nous élever à la connaissance des êtres simples, de même, pour arriver à la
connaissance de l’éternité, il faut partir du temps, qui n’est que le nombre
appliqué au mouvement selon qu’il y a un avant et un après. Comme dans tout
mouvement il y a succession, et qu’une partie vient après une autre, par là
même que nous comptons un premier et un dernier parmi les choses qui sont en
mouvement, nous avons l’idée du temps qui n’est rien autre chose que le nombre
premier et dernier appliqué à ce qui se meut. Mais dans ce qui n’a pas de
mouvement et qui est absolument invariable, il n’y a pas lieu d’admettre un
premier et un dernier. C’est pourquoi, comme la nature du temps consiste dans
l’énumération des parties successives qui constituent le mouvement, de même
l’éternité consiste dans quelque chose d’invariable et d’uniforme qui est
absolument en dehors de tout mouvement. De même, on dit que le temps est la
mesure de ce qui a un commencement et une fin, et cela, comme le dit Aristote (Phys., liv. 4, text.
70), parce que dans tout ce qui se meut il faut admettre un commencement et une
fin. Mais ce qui est absolument immuable ne peut avoir ni commencement ni fin,
puisqu’il n’y a en lui aucune succession. L’éternité se distingue donc à ces
deux caractères : 1° Ce qui est éternel n’a pas de terme, c’est-à-dire n’a ni
commencement ni fin, car un terme suppose ce double rapport. 2° Par là même que
l’éternité n’admet pas de succession, elle existe simultanément tout entière.
Article
2 : Dieu est-il éternel ?
Objection
N°1. Il semble que Dieu ne soit pas éternel. Car on ne peut affirmer de Dieu ce
qui a été fait. Or, l’éternité a été faite. Car Boëce
dit (De cons., liv. 5, pros. ult.) : Le moment qui passe fait le temps et celui
qui reste fait l’éternité, et saint Augustin dit (Quæst., liv. 83, quest. 23) que Dieu est l’auteur de l’éternité. Donc
Dieu n’est pas éternel.
Réponse
à l’objection N°1 : Si nous disons que l’instant qui reste fait l’éternité, nous
parlons ainsi d’après notre manière de comprendre. Car, comme nous avons l’idée
du temps d’après l’écoulement de l’instant qui passe, nous concevons l’éternité
d’après la stabilité de l’instant qui reste. Et quand saint Augustin dit que
Dieu est l’auteur de l’éternité, il entend parler de cette sorte d’éternité à
laquelle participent les créatures. Car Dieu communique à quelques-unes d’entre
elles son éternité de la même manière que son immutabilité.
Objection
N°2. Ce qui est avant et après l’éternité, n’a pas l’éternité pour mesure. Or,
Dieu est avant l’éternité, comme on le dit dans le livre Des Causes (prop. 2), et il est après,
puisqu’il est dit dans l’Exode (15, 18) : Le
Seigneur régnera dans l’éternité et au-delà.
Réponse
à l’objection N°2 : La réponse est par là même évidente. Car s’il est dit que
Dieu existe avant l’éternité, il faut l’entendre de l’éternité telle qu’elle
est communiquée aux substances immatérielles. Quant à ce qui est dit dans
l’Exode : Le Seigneur régnera dans
l’éternité et au-delà, il faut remarquer que l’éternité est prise ici pour le mot siècle, comme le porte une autre version. Ainsi, on dit donc que le
Seigneur régnera au-delà de l’éternité, parce que son règne s’étend au-delà de
tous les siècles, c’est-à-dire au-delà de toute durée déterminée. Car un siècle
n’est qu’une période quelconque employée pour mesurer l’existence de tous les
êtres contingents, comme le dit Aristote (De
cælo, liv. 1, text.
100). Ou bien encore on dit que le Seigneur règne au-delà de l’éternité, parce
que s’il y avait quelque chose qui existât toujours, comme le mouvement du
ciel, au sentiment de quelques philosophes (L’éternité, du mouvement était
admise par les platoniciens ; cette erreur est une conséquence de l’éternité du
monde qu’ils admettaient.), Dieu régnerait cependant au-delà, dans le sens que
son règne n’est pas successif, mais qu’il est simultané.
Objection
N°3. L’éternité est une mesure. Or, Dieu ne peut être mesuré. Donc l’éternité
répugne à sa nature.
Réponse
à l’objection N°3 : L’éternité n’est rien autre chose que Dieu même. C’est
pourquoi on ne dit pas que Dieu est éternel comme s’il pouvait être mesuré de
quelque manière. Mais on se sert des mots avant,
pendant, après, pour s’accommoder à la faiblesse de notre intelligence.
Objection
N°4. Dans l’éternité il n’y a ni présent, ni passé, ni futur, puisqu’elle
existe simultanément tout entière, comme nous l’avons dit (art. 1). Or, dans
les Ecritures on applique à Dieu le présent, le passé et le futur. Donc Dieu
n’est pas éternel.
Réponse
à l’objection N°4 : On applique à Dieu les mots qui désignent le passé, le
présent et l’avenir, parce que son éternité renferme tous les temps, mais non
pas parce qu’il change pendant le passé, le présent et l’avenir.
Mais
c’est le contraire. Car saint Athanase dit (In
Symbol.) : Le Père est éternel, le Fils éternel
et le Saint-Esprit éternel (Ce symbole n’est pas de
saint Athanase ; mais l’Eglise l’a reconnu et placé dans ses offices. Le
concile de Florence l’appelle : compendiosa fidei regula.).
Conclusion
Dieu étant immuable, non seulement il est éternel, mais il est encore son
éternité.
Il
faut répondre que l’éternité est essentiellement la conséquence de
l’immutabilité, comme le temps est essentiellement la conséquence du
changement, ainsi qu’on le voit d’après ce que nous avons dit (art. préc). D’où il suit que Dieu étant souverainement immuable
doit être souverainement éternel. Mais il n’est pas seulement éternel, il est
lui-même son éternité, bien qu’il n’y ait aucune autre chose qui soit à
elle-même sa durée, parce qu’il n’y en a point qui soit à elle-même son être.
Or, Dieu est son être permanent et uniforme ; par conséquent, comme il est son
essence, il est son éternité.
Article
3 : Est-ce le propre de Dieu d’être éternel ?
Objection
N°1. Il semble que ce ne soit pas le propre de Dieu d’être éternel. Car il est
dit dans Daniel que ceux qui enseigneront
la justice à une foule d’autres, brilleront comme des étoiles dans de
perpétuelles éternités (12, 3). Or, il n’y aurait pas plusieurs éternités,
s’il n’y avait que Dieu qui fût éternel. Donc il n’y a pas que lui qui le soit.
Réponse
à l’objection N°1 : L’Ecriture parle de plusieurs
éternités parce qu’il y a beaucoup d’élus qui participent à l’éternité de Dieu
en jouissant de sa vue.
Objection
N°2. Il est dit dans saint Matthieu : Allez,
maudits, au feu éternel (25, 41). Dieu n’est donc pas seul éternel.
Réponse
à l’objection N°2 : Le feu de l’enfer est dit éternel parce qu’il ne doit pas
avoir de fin. Cependant, il y a dans les peines des damnés un changement,
d’après ce mot de Job : Ils passeront
d’un froid excessif à une chaleur extrême (24, 19). D’où l’on voit que la
durée de l’enfer n’est pas une véritable éternité, mais plutôt un temps infini,
selon ce mot du Psalmiste : Leur temps
s’étendra dans tous les siècles (Ps.
80, 16).
Objection
N°3. Tout ce qui est nécessaire est éternel. Or, il y a beaucoup de choses
nécessaires ; tels sont tous les principes de démonstration et toutes les
propositions démonstratives. Donc il n’y a pas que Dieu qui soit éternel.
Réponse
à l’objection N°3 : Le nécessaire exprime une certaine manière d’être du vrai.
Or, d’après Aristote (Met., liv. 6, text. 8), le vrai est dans l’intellect. Ainsi les choses
qui sont vraies et nécessaires ne sont éternelles qu’autant qu’elles existent
dans une intelligence éternelle, et cette intelligence ne peut être que
l’intelligence divine. Il ne suit donc pas de là qu’en dehors de Dieu il y ait
quelque chose d’éternel.
Mais
c’est le contraire. Car saint Augustin (Lib.
de fide ad Petrum,
chap. 6) et saint Jérôme (ad Damasum, epist. 57) disent
qu’il n’y a que Dieu qui n’ait pas de commencement. Or, tout ce qui a eu un
commencement n’est pas éternel. Donc Dieu seul est éternel.
Conclusion
Dieu seul étant véritablement et à proprement parler immuable, il est seul
éternel ; les autres êtres ne sont éternels qu’autant qu’ils participent de
quelque manière à son immutabilité.
Il
faut répondre qu’à Dieu seul appartient véritablement et à proprement parler
l’éternité ; puisque l’éternité, comme nous l’avons dit (art. préc), est une conséquence de l’immutabilité, et que, comme
nous l’avons démontré (quest. 9, art. 1 et 2), il n’y a que Dieu qui soit
absolument immuable. Cependant il y a des créatures qui participent à son éternité
en raison du don qu’il leur a fait de son immutabilité. Ainsi il y en a qui ont
reçu de Dieu l’immutabilité au point de ne plus cesser d’être. C’est dans ce
sens qu’il est dit dans l’Ecclésiaste (chap. 1), que la terre subsiste éternellement. L’éternité peut être également
attribuée aux anges dont le Psalmiste a dit : Vous êtes descendu, Seigneur, éclatant de merveilles du haut de vos
montagnes éternelles (Ps. 75, 5).
Dans quelques endroits l’Ecriture appelle éternelles des choses qui, quoique
corruptibles, sont d’une longue durée. C’est ainsi que dans les Psaumes on
parle de montagnes, et dans le Deutéronome (33, 15) de collines éternelles. Il
y a des créatures qui participent encore davantage à l’éternité de Dieu. Ce
sont celles qui sont absolument incorruptibles dans leur substance ou qui sont
immuables dans leurs opérations, comme les anges et les bienheureux qui
jouissent de la vision du Verbe. Car, comme le dit saint Augustin (Trin., liv. 15, chap. 16), les pensées
de ceux qui voient tout en Dieu ne vont pas d’un objet à un autre, mais ils
comprennent tout dans une même lumière. C’est pourquoi on dit que ceux qui
voient Dieu ont la vie éternelle, d’après ces paroles de saint Jean : La vie éternelle consiste à vous connaître,
vous qui êtes le seul Dieu véritable (Jean, 17, 3).
Article
4 : L’éternité diffère-t-elle du temps ?
Objection
N°1. Il semble que l’éternité ne diffère pas du temps. Car il est impossible
que deux mesures de la durée existent simultanément, à moins que l’une ne soit
une partie de l’autre. Ainsi, deux jours ou deux
heures ne peuvent exister en même temps ; mais le jour et l’heure existent
simultanément, parce que l’heure est une partie du jour. Or, l’éternité et le
temps existent simultanément, et ils sont l’un et l’autre une mesure de la
durée. L’éternité n’étant pas une partie du temps, puisqu’elle le dépasse et le
renferme, il semble que le temps soit une partie de l’éternité et que par
conséquent il n’en diffère pas.
Réponse
à l’objection N°1 : Cette raison aurait de la valeur si le temps et l’éternité
étaient des mesures du même genre, ce qui est évidemment faux, puisque nous
venons de démontrer que ces mesures ne s’appliquent pas aux mêmes êtres.
Objection
N°2. D’après Aristote (Phys., liv. 4,
text. 104 et 121), l’instant du temps (Nunc temporis, porte
le texte ; nous n’avons pas trouvé d’expression plus convenable pour rendre ces
deux termes.) subsiste pendant le temps tout entier. Or, ce qui semble
constituer la nature de l’éternité, c’est qu’elle reste indivisiblement la même
pendant tout le cours du temps. Donc l’éternité est l’instant du temps, et
comme l’instant ne diffère pas du temps substantiellement, il s’en suit que
l’éternité n’en diffère pas non plus substantiellement.
Réponse
à l’objection N°2 : Le moment présent est subjectivement le même en tout temps,
mais il n’est pas le même rationnellement : parce que comme le temps répond au
mouvement, de même le moment présent répond au mobile. Or, le mobile est
subjectivement le même pendant tout le cours de sa durée, mais il n’est pas le
même rationnellement dans le sens qu’il est ici et là, et c’est cette variation
qui constitue le mouvement. Cette succession de moments, telle que la raison la
conçoit, forme le temps. Mais l’éternité reste absolument la même rationnellement
et subjectivement. Donc elle n’est pas la même chose que le moment présent qui
fait partie du temps.
Objection
N°3. Comme la mesure du premier mouvement est la mesure de tous les mouvements,
selon l’expression d’Aristote (Phys.,
liv. 4, text. 133), de même il semble que la mesure
du premier être soit la mesure de tous les êtres. Or, l’éternité est la mesure
du premier être, qui est l’être divin. Donc elle est la mesure de tous les
êtres, et par là même que les choses corruptibles ont pour mesure le temps, il
s’ensuit que le temps est l’éternité, ou quelque chose qui en fait partie.
Réponse
à l’objection N°3 : Comme l’éternité est la mesure propre de l’être immuable et
permanent, de même le temps est la mesure propre du mouvement. Par conséquent, plus
un être s’éloigne de ce qui est immuable et se rapproche de ce qui change, plus
il tient au temps et devient étranger à l’éternité. Ainsi, l’existence des
choses corruptibles, par là même qu’elle est changeante, a pour mesure le
temps, non l’éternité. Car le temps mesure non seulement ce qui change en acte,
mais encore ce qui est muable (C’est-à-dire ce qui est susceptible de
changer.). C’est pourquoi il mesure non seulement le mouvement, mais encore le
repos, qui est l’état des êtres qui ne sont pas en mouvement, mais qui sont
susceptibles d’être mus.
Mais
c’est le contraire. L’éternité est toute simultanée, tandis que le temps est
successif (Ou plus littéralement : l’éternité existe simultanément tout
entière, tandis que dans le temps, il y a un avant et un après. Mais
j’ai voulu conserver les mots simultanée
et successive, parce que ce sont ces
deux termes que la discussion a consacrés.), ce qui ne permet pas de les
confondre.
Différence
L’éternité diffère du temps en ce qu’elle existe à la fois tout entière, tandis
que le temps est successif ; mais elle n’en diffère pas en ce sens qu’elle n’a
ni commencement ni fin, tandis que le temps a un commencement et une fin, à
moins qu’on ne considère le commencement et la fin comme existant en puissance
; sous ce rapport il y aurait à constater une différence, mais elle rentrerait
dans la première.
Il
faut répondre qu’il est évident que le temps et l’éternité ne sont pas une
seule et même chose. Il y a des philosophes qui ont fondé cette différence sur
ce que l’éternité n’a ni commencement (C’est l’opinion que les scotistes ont
reprise : on voit qu’elle n’était pas nouvelle.) ni fin, tandis que le temps a
l’un et l’autre. Mais cette différence n’est qu’un accident, et n’a rien
d’absolu. Car, supposé que le temps ait toujours été et qu’il doive toujours
être, selon le sentiment de ceux qui supposent le mouvement du ciel éternel, il
faudrait encore admettre une différence entre le temps et l’éternité, comme le
dit Boëce dans son livre De la consolation (liv. 5, pros. 4). Cette différence proviendrait,
d’une part, de ce que l’éternité existe simultanément tout entière, ce qui ne
convient pas au temps ; de l’autre, de ce qu’elle est la mesure de l’être
permanent et immuable, et le temps la mesure du mouvement. — Si l’on considère
cette différence non plus par rapport aux mesures que l’on applique à la durée,
mais par rapport aux objets dont on veut apprécier l’existence, elle se
présente encore sous un autre aspect. Car le temps ne peut servir qu’à mesurer
ce qui a un commencement et une fin, comme le dit Aristote (Phys., liv. 4, text.
120). Par conséquent, si le mouvement du ciel durait toujours, le temps ne le
mesurerait pas dans toute l’étendue de durée, puisque ce qui est infini est
incommensurable. Il ne mesurerait qu’une certaine partie de son cours, laquelle
aurait un commencement et une fin, — D’ailleurs, si on considérait le
commencement et la fin en puissance, on pourrait aussi établir une différence
entre le temps et l’éternité pris pour mesures. Car, dans la supposition que le
temps fût une durée infinie, rien n’empêcherait d’y trouver un commencement et
une fin. Il suffirait pour cela de prendre une de ses portions, le jour et
l’année, par exemple, qui ont un commencement et une
fin. C’est ce qu’on ne peut faire dans l’éternité. Mais toutes ces différences
rentrent dans la première, la seule qui soit essentielle, c’est que l’éternité
existe simultanément tout entière, et que le temps est successif.
Article
5 : De la différence qu’il y a entre le temps et l’éviternité.
Objection
N°1. Il semble que l’éviternité ne diffère pas du
temps. Car saint Augustin dit (Sup. Gen. ad litt., liv. 8, chap. 20 et suiv.) que Dieu
meut dans le temps les créatures spirituelles. Or, l’éviternité
est la mesure de l’existence des êtres spirituels. Donc le temps ne diffère pas
de l’éternité.
Réponse
à l’objection N°1 : Les créatures spirituelles ont le temps pour mesure, par
rapport à leurs intelligences et à leurs affections dans lesquelles il y a
succession. C’est pourquoi saint Augustin dit, dans ce même endroit, qu’être mû
dans le temps c’est être mû par les affections. Par rapport à leur existence
naturelle, l’éviternité est leur mesure. Mais elles
participent à l’éternité relativement à la vision de la gloire.
Objection
N°2. Il est de la nature du temps d’avoir un avant et un après, et il
est de la nature de l’éternité d’exister simultanément tout entière, comme nous
venons de le dire (art. 1). Or, l’éviternité n’est
pas l’éternité, puisqu’il est dit : (Ecclésiaste, chap. 1) que la sagesse éternelle est avant l’éviternité. Donc elle n’existe pas simultanément tout
entière, par conséquent elle a un avant
et un après comme le temps.
Réponse
à l’objection N°2 : L’éviternité est simultanée sans
se confondre avec l’éternité, parce que cette prérogative ne lui est pas
tellement essentielle qu’elle ne puisse admettre ni un avant, ni un après.
Objection
N°3. Si dans l’éviternité il n’y a ni avant ni après,
il s’ensuit que pour les substances éviternelles il
n’y a pas de différence entre être, avoir été et devoir être. S’il n’y a pas de
différence, il s’ensuit que comme il est impossible qu’elles n’aient pas existé
il est également impossible qu’elles n’existent pas ; ce qui est faux, puisque
Dieu peut les réduire au néant.
Réponse
à l’objection N°3 : Dans un ange, par rapport à l’existence absolument
considérée, il n’y a pas de différence entre le passé et l’avenir, mais il n’y
en a que par rapport aux changements qui s’opèrent en lui. Quand nous disons
qu’un ange existe, ou qu’il a existé, ou qu’il doit exister, notre intelligence
donne à ces expressions des sens divers, parce que nous ne concevons
l’existence des anges qu’autant que nous la comparons aux diverses parties du
temps. Et quand on dit qu’un ange existe ou qu’il a existé, on affirme un fait
tel que Dieu lui-même ne pourrait pas faire l’opposé. Mais, si l’on ajoute
qu’il doit toujours exister, on n’affirme plus un fait de la même nature. Car,
comme l’existence des anges dépend, absolument parlant, de la puissance divine,
Dieu peut faire que l’ange qui existe n’existe plus, mais il ne peut faire
qu’il ne soit pas pendant qu’il existe, ni qu’il n’ait pas été après avoir
existé.
Objection
N°4. La durée des êtres spirituels étant infinie (Etant infinie, ex parte post, dit le texte ; ce qui
indique l’immortalité.), si l’éviternité existe tout
entière simultanément, il s’ensuit qu’il y a des créatures qui sont infinies en
acte, ce qui est impossible. Donc il n’y a pas de différence entre le temps et
l’éviternité.
Réponse
à l’objection N°4 : La durée de l’éviternité est
infinie, parce qu’elle n’est pas limitée par le temps. Or, rien n’empêche
d’admettre qu’une créature soit infinie parce qu’elle n’est pas limitée par une
autre.
Mais
c’est le contraire. Car Boëce a dit : C’est vous,
Seigneur, qui ordonnez au temps de partir de l’éviternité
(De Cons., liv. 3. met. 9.).
Conclusion
L’éviternité est un milieu entre le temps et
l’éternité et participe de l’un et de l’autre.
Il
faut donc répondre que l’éviternité diffère du temps
et de l’éternité comme tenant le milieu entre les deux. — Quelques docteurs
expliquent cette différence en disant que l’éternité n’a ni commencement ni
fin, que l’éviternité a un commencement, mais pas de
fin, et que le temps n’a ni l’un ni l’autre. Mais cette différence, comme nous
l’avons dit (art. préc), n’est qu’accidentelle. Car
si les êtres éviternels eussent toujours été, s’ils
devaient toujours être, comme il y en a qui le pensent, ou quand même Dieu les
détruirait, ce qui lui est possible, il faudrait encore trouver des moyens de
distinction entre l’éviternité, le temps et
l’éternité. —D’autres philosophes ont ainsi distingué ces trois choses.
L’éternité, dans leur sentiment, n’a ni avant, ni après ; le temps a l’un et
l’autre, avec une jeunesse et une vieillesse ; l’éviternité
les a également, mais sans jeunesse ni vieillesse. Cette dernière opinion
implique contradiction dans les termes. — C’est évident pour le cas où la
jeunesse et la vieillesse se rapporteraient à la mesure. Car la partie antérieure
et la partie postérieure de la durée ne peuvent être simultanées. Si l’éviternité a un avant
et un après, il faudra que, la
portion antérieure de cet âge étant écoulée, la portion postérieure succède ;
et il y aura conséquemment innovation ou jeunesse dans l’éviternité
aussi bien que dans le temps. Si on applique la jeunesse et la vieillesse aux
choses mesurées, le même inconvénient se présente. En effet, une créature
vieillit dans le temps parce que son être est changeant, et c’est ce qui fait
qu’il y a en elle un avant et un après, comme on le voit (Phys., liv. 4). Par conséquent, si la
créature éviternelle n’est sujette ni à vieillir ni à
rajeunir, cela provient de ce qu’elle n’est pas passagère, et sa mesure ne
comporte alors ni avant, ni après. — Voici donc ce qu’il faut dire :
c’est que l’éternité étant la mesure de l’être permanent, moins un être est
permanent, moins il est éternel. Or, il y a des choses qui sont tellement éloignées
de la permanence de l’être, que leur être est le sujet du changement ou
consiste dans le changement ; elles ont le temps pour mesure ; tels sont le mouvement
et l’être. Il y en a d’autres qui s’éloignent moins de la permanence de l’être,
parce que leur être ne consiste pas dans le changement, et n’en est pas le
sujet, quoiqu’elles soient soumises à une certaine variation, soit en acte,
soit en puissance ; comme on le voit à l’égard des corps célestes dont la
substance est immuable et dont l’être ne change que par rapport au lieu. Il en
est de même des anges qui ont un être immuable quant à ce qui appartient à leur
nature, quoiqu’ils soient changeant par rapport à leur liberté et qu’il
changent aussi par rapport aux idées, aux affections et aux lieux à leur
manière. C’est pour cela qu’ils ont pour mesure l’éviternité
qui tient le mieux entre l’éternité et le temps. Mais l’être que mesure
l’éternité n’est ni muable, ni soumis au changement. Par conséquent, le temps a
un avant et un après ; l’éviternité n’a en soi ni avant,
ni après, mais elle est susceptible d’en avoir ; l’éternité n’a ni avant, ni après, elle est incompatible avec l’un et l’autre.
Article
6 : N’y a-t-il qu’une seule éviternité ?
Objection
N°1. Il semble qu’il n’y ait pas qu’une seule éviternité.
Dans les livres apocryphes d’Esdras, on lit : La majesté et la puissance des éviternités
sont en vous, Seigneur.
Réponse
à l’objection N°1 : Le mot ævum est pris quelquefois pour le mot siècle (sæculum),
qui désigne une période de durée applicable à un objet, et c’est dans ce sens
que ce mot est employé au pluriel (aeva) comme celui de siècle (sæcula).
Objection
N°2. Pour des genres différents il faut des mesures différentes. Or, il y a des
créatures éviternelles parmi les substances
corporelles ; tels sont les corps célestes (On croyait les corps célestes immuables,
quant à la substance ; c’est ce qui faisait croire qu’ils étaient éternels,
c’est-à-dire qu’ils ne devaient pas avoir de lin. D’ailleurs on croyait
néanmoins qu’il y aurait en eux transformation, d’après ces paroles de
l’Ecriture (Is., 65, 17) : je vais créer de nouveaux cieux et une terre nouvelle. Si on
remarque, au reste, que rien dans la nature ne s’anéantit, cette opinion ne
paraîtra pas si étrange, et il faudra bien admettre aussi que les substances
corporelles sont éviternelles.) ; il
y en a qui sont des substances spirituelles, tels que les anges. Donc il n’y a
pas qu’une seule éviternité.
Réponse
à l’objection N°2 : Bien que les corps célestes et les substances spirituelles
diffèrent sous le rapport de leur nature, cependant ils ont ceci de commun
qu’ils ne changent pas, et c’est pour cela que l’éviternité
est leur commune mesure.
Objection
N°3. L’éviternité n’étant que l’expression de la
durée, s’il n’y a pour les créatures éviternelles
qu’une seule éviternité, il n’y a qu’une seule et
même durée. Or, tous les êtres éviternels n’ont pas
la même durée. Car il y en a qui reçoivent l’existence après les autres, comme
il est tout particulièrement manifeste pour les âmes humaines. Donc il n’y a
pas qu’une seule éviternité.
Réponse
à l’objection N°3 : Toutes les choses temporelles ne commencent pas en même
temps, et cependant il y a pour elles unité de temps en raison du mouvement
premier dont il est la mesure. De même toutes les substances éviternelles, bien que leur existence ne commence pas en même
temps, ont néanmoins pour mesure une seule éviternité,
celle qui s’applique à la substance éviternelle qui
est la première et la plus simple.
Objection
N°4. Les êtres qui ne dépendent pas les uns des autres ne paraissent pas avoir
une mesure unique pour leur durée. Pour toutes les choses passagères le temps
semble être l’unique mesure, parce qu’il y a un premier mouvement qui est en
quelque sorte la cause de tous les autres. Or, les créatures éviternelles ne dépendent pas ainsi les unes des autres, parce
qu’un ange n’est pas la cause d’un autre. Donc il n’y a pas qu’une seule éviternité.
Réponse
à l’objection N°4 : Pour que plusieurs objets aient pour mesure la même chose
il n’est pas nécessaire que cette chose soit la cause de tous ces objets, mais il
suffit qu’elle soit plus simple (C’est-à-dire qu’elle les embrasse dans son
unité.).
Mais
c’est le contraire. L’éviternité est plus simple que
le temps et se rapproche davantage de l’éternité. Or, le temps est un. Donc à
plus forte raison l’éternité est une.
Conclusion
Par là même qu’il y a plusieurs choses éviternelles,
il y a aussi plusieurs éviternités ; cependant il n’y
en a qu’une absolument, c’est celle qui est la mesure du premier être éviternel, qui est l’être le plus simple.
Il
faut répondre qu’il y a deux opinions à ce sujet. Les uns disent qu’il n’y a
qu’une seule éviternité, les autres qu’il y en a
plusieurs. Pour découvrir quelle est la plus vraie de ces deux opinions, il
faut considérer la cause de l’unité du temps ; car c’est par la connaissance
des choses corporelles que nous arrivons à celle des choses spirituelles. Or,
quelques philosophes disent qu’il y a unité de temps pour toutes les choses
temporelles, parce qu’il y a unité de nombre pour toutes les choses comptées ;
le temps étant lui-même un nombre, d’après Aristote (Phys., liv. 4, text. 101). Mais cette
raison ne vaut rien. Car le temps n’est pas un nombre abstrait en dehors de ce
qui est compté, mais c’est un nombre qui existe dans ce qui est compté,
autrement il ne serait pas continu. Dix aunes de drap ne sont pas continues en
tant que nombre, mais en tant qu’étoffe mesurée. D’ailleurs le nombre n’est pas
le même pour tous les objets numériques, mais il varie avec la variété des
êtres. — C’est pourquoi il y a des philosophes qui voient la cause de l’unité
du temps dans l’unité de l’éternité qui est le principe de toute durée. D’après
ce sentiment toutes les durées se réduisent à l’unité si on considère leur
principe ; mais elles sont multiples si on regarde à. la multiplicité des
objets qui y sont soumis. — D’autres voient la cause de l’unité de temps dans
la matière première, qui est le premier sujet du mouvement dont le temps est la
mesure. — Mais aucune de ces opinions ne nous semble concluante. En effet, les
choses qui sont unes dans leur principe ou dans leur sujet, surtout s’ils sont
l’un et l’autre éloignés, ne le sont pas absolument, mais seulement sous un
rapport. La vraie raison de l’unité du temps est donc l’unité du mouvement
premier (Ce mouvement premier était, dans l’esprit des philosophes anciens,
celui de la matière première. Averroës établit
l’unité du temps sur l’unité de mouvement du premier mobile et l’unité de l’éviternité sur l’unité de l’être le plus simple des êtres éviternels, qui est le premier ange. Saint Thomas est ici
de sou avis.), qui, par là même qu’il est le plus simple, sert de mesure à tous
les autres, comme le dit Aristote (Met.,
liv. 10, text. 3). Les rapports du temps à ce
mouvement ne sont donc pas seulement ceux qui existent entre la mesure et
l’objet mesuré, mais bien ceux de l’accident au sujet, et c’est ainsi que le
temps reçoit de ce mouvement son unité. A l’égard des autres mouvements les
rapports du temps ne sont pas autres que ceux de la mesure à l’objet mesuré.
C’est ce qui fait qu’il n’a pas besoin de se multiplier en raison de leur
multiplicité, puisque la même mesure peut servir à mesurer une foule d’objets
distincts. — Ceci établi, il faut savoir qu’à l’égard des substances
spirituelles on a formulé deux opinions. Les uns ont dit avec Origène (Periarch., liv. 1,
chap. 8), que toutes ces substances procédaient de Dieu dans une certaine
égalité, ou du moins, comme l’ont supposé quelques-uns, que telle était
l’origine du plus grand nombre d’entre elles. D’autres ont prétendu qu’elles procédaient
de Dieu, mais d’après un certain rang, une certaine hiérarchie. Saint Denis
parait être de ce sentiment lorsqu’il dit que dans le même ordre des anges, les
uns sont au premier rang, les autres au dernier, d’autres tiennent le milieu. —
Selon la première de ces opinions, il faudrait dire qu’il y a plusieurs éviternités, puisque l’on suppose qu’il y a plusieurs
substances éviternelles premières et égales. D’après
la seconde on doit dire qu’il n’y a qu’une seule éviternité.
Car tout être ayant pour mesure l’être le plus simple de son genre, comme le
dit Aristote (Met., liv. 10, text. 4), l’être de toutes les substances éviternelles doit avoir pour mesure l’être de la première
substance de cette nature, laquelle est la plus simple puisqu’elle est la plus
élevée. Cette seconde opinion étant la mieux fondée, comme nous le démontrerons
(quest. 47, art. 2), nous admettons pour le moment qu’il n’y a qu’une seule éviternité.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de
l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec
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puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au
respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune
évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de
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