Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
1a = Prima Pars =
Première Partie
Question 11 : De
l’unité de Dieu
Nous
avons maintenant à traiter de l’unité de Dieu. — A ce sujet quatre questions se
présentent : 1° L’unité ajoute-t-elle quelque chose à l’être ? (L’ordre et
l’unité sont identiques, quant à l’essence ; ils sont une même chose par
rapport au sujet, mais ils ne sont pas la même chose par rapport au mode.) — 2°
L’unité est-elle l’opposé de la multiplicité ? (Cet article est un commentaire
et une justification de ce que dit Aristote sur l’unité et la pluralité (Met., liv. 10, chap. 5). Cette question
fondamentale en métaphysique et en ontologie est ici admirablement traitée. En
comparant le texte d’Aristote à celui de saint Thomas, on verra que quand l’Ange
de l’école s’appuie le plus directement sur ce philosophe, il ne manque pas
d’ajouter à ses pensées les lumières de son génie.) — 3° Dieu est-il un ? (Cet
article est une réfutation de l’erreur des gentils, qui admettaient plusieurs
dieux ; de celle des manichéens qui établissaient deux principes, dont l’un
n’était pas la cause de l’autre ; de celle des ariens, qui, obligés de
reconnaître la divinité du Fils, n’en faisaient pas un même Dieu avec le Père ;
de celle des trithéites, qui voulaient qu’il y eût
trois dieux. Cependant saint Thomas reconnaît que les gentils n’ont jamais nié
absolument l’unité de Dieu (Voy. Cont. Gent., liv. 1, chap. 12), ce que l’érudition moderne a en
effet démontré par l’étude des traditions.) — 4° Dieu est-il souverainement un
? (Cet article combat l’erreur d’un théologien, Pierre de Alyaco,
qui avait avancé que la personne divine est plus une que la nature divine, sous
prétexte que la nature est communicable et que la personne ne l’est pas. A la
vérité, la nature se communique aux personnes, mais elle n’en est pas pour cela
divisible, elle reste au contraire absolument simple, et elle est par
conséquent souverainement une. C’est ce que l’Eglise exprime parfaitement dans
son office de la sainte Trinité : Gratias, tibi Deus, vera et una trinitas, una
et summa deitas, sancta et una unitas.)
Article
1 : L’unité ajoute-t-elle quelque chose à l’être ?
Objection
N°1. Il semble que l’unité ajoute quelque chose à l’être. Car tout ce qui
existe dans un genre déterminé s’ajoute à l’être qui enveloppe dans son
universalité tous les genres. Or, l’unité existe dans un genre déterminé,
puisqu’elle est le principe du nombre qui est lui-même une espèce de quantité.
Donc l’unité ajoute quelque chose à l’être.
Réponse
à l’objection N°1 : Certains philosophes ayant pensé que l’unité qui rentre
dans l’être est la même chose que l’unité le principe du nombre, ils se sont
divisés en deux sentiments contraires. Pythagore et Platon ayant remarqué que
l’unité qui rentre dans l’être n’ajoute rien à l’être, mais signifie seulement
que l’être est indivis, ils ont pensé qu’il en était de même de l’unité qui est
le principe du nombre. Et comme le nombre se compose d’unités, ils ont cru que
les nombres étaient les substances des choses. Au contraire, Avicenne,
considérant que l’unité qui est le principe du nombre ajoute quelque chose à la
substance de l’être (car autrement le nombre qui se compose d’unités ne serait
pas une espèce de quantité), crut que l’unité qui rentre dans l’être ajoute
aussi quelque chose à la substance de l’être ; comme le blanc ajoute quelque
chose à l’homme. Mais ceci est évidemment faux ; car toute chose est une par sa
substance. En effet, si une chose empruntait son unité à une cause extérieure,
cette cause aurait dû elle-même la recevoir d’une autre, il faudrait toujours
aller ainsi de cause extérieure en cause extérieure, et cela indéfiniment. Il
faut donc s’en tenir à ce que nous avons établi précédemment, et reconnaître
que l’unité qui rentre dans l’être n’ajoute rien à l’être, mais que l’unité qui
est le principe du nombre y ajoute quelque chose qui est du genre de la
quantité.
Objection
N°2. Ce qui divise un objet commun s’ajoute à lui. Or, l’unité, la multiplicité
sont des divisions de l’être. Donc l’unité ajoute quelque chose à l’être.
Réponse
à l’objection N°2 : Rien n’empêche que ce qui est divisible d’une manière soit
indivis d’une autre. Ainsi, ce qui est divisé quant au nombre, est indivis
quant à l’espèce, et il arrive par là qu’une chose est
une sous un rapport et multiple sous un autre. D’ailleurs, si un être est
absolument indivis, soit parce qu’il est indivis quant à son essence, bien
qu’il soit divisé quant aux choses qui ne lui sont pas essentielles, comme les
êtres qui sont un dans leur sujet, et
multiples dans leurs accidents ; soit
parce qu’il est indivis en acte et divisé en puissance, comme les êtres qui
sont un dans leur tout et multiples dans leurs parties ; un être
de cette nature sera un absolument et
multiple sous quelques rapports. — Si
au contraire un être est indivis sous certain rapport, et qu’il soit absolument
divisible, comme il arrive quand il est divisible dans son essence et qu’il est
indivis rationnellement, ou selon son principe ou sa cause, dans ce cas l’être
sera multiple absolument, et un sous quelques rapports. Tels sont,
par exemple, les êtres qui sont multiples en nombre et qui sont un en espèce ou en principe. L’unité et
la multiplicité sont donc les divisions de l’être, mais de telle sorte que
l’unité est absolue et la multiplicité relative. Car la multitude elle-même ne
serait pas renfermée dans l’idée de l’être si elle n’était contenue de quelque
manière dans l’idée d’unité. Car, comme le dit saint Denis, il n’y a pas de
multitude qui ne participe de l’unité. En effet, les êtres qui sont multiples
quant à leurs parties, sont un par
rapport au tout ; ceux qui sont multiples quant aux accidents sont un quant au sujet ; ceux qui sont
multiples en nombre sont un en espèce
; ceux qui sont multiples en espèces sont un
en genre, ceux qui sont multiples dans leurs processions sont un par rapport au principe duquel ils
procèdent (Ces principes sur l’unité et la multiplicité sont autant de lemmes
très féconds, dont on peut tirer, en métaphysique et en ontologie, les plus
grands avantages.).
Objection
N°3. Si l’unité n’ajoute point à l’être, le mot un et le mot être doivent signifier absolument la même chose. Et comme il n’y
aurait rien de sérieux à dire : l’être
est l’être, de même on ne devrait pas
pouvoir dire : l’être est un, ce qui
est pourtant faux. Donc l’unité ajoute à l’être.
Réponse
à l’objection N°3 : Il n’y a rien de puéril à dire que l’être est un, parce que
l’unité ajoute rationnellement quelque chose à l’être (Elle y ajoute
l’exclusion de toute division.).
Mais
c’est le contraire. Comme le dit saint Denis (De div. nom.,
chap. ult.), il n’y a rien de ce qui existe qui ne participe à l’unité. Or, il
n’en serait pas ainsi si l’unité ajoutait à l’être quelque chose qui le
restreignît. Donc l’unité n’ajoute rien à l’être.
Conclusion
L’unité n’ajoute à l’être rien de réel, elfe n’y ajoute que fa négation de
toute division.
Il
faut répondre que l’unité n’ajoute rien à l’être, sinon la négation de toute
division (Avicenne n’était pas de ce sentiment : il voulait que l’unité ajoutât
quelque chose à l’être, comme le dit saint Thomas, dans sa réponse au premier
argument. Les scotistes se sont rapprochés du sentiment d’Avicenne, en
prétendant que l’unité ajoute à l’être une certaine réalité.). Car l’unité ne
signifie rien autre chose que l’être non divisé, et par là il est manifeste
qu’elle rentre dans l’être. Car tout être est ou simple ou composé. L’être
simple est indivis en acte et en puissance. L’être composé n’a pas d’existence
tant que ses parties sont divisées, il faut qu’elles soient réunies pour le
constituer et le faire exister à l’état composé. D’où il est clair que pour
toute chose l’être consiste clans la non-division, et
qu’une substance quelconque ne conserve son être qu’à la condition de conserver
son unité.
Article
2 : L’unité est-elle opposée à la multiplicité et réciproquement ?
Objection
N°1. Il semble que l’unité et la multiplicité ne soient pas opposées. Car
l’opposé ne s’affirme pas de l’opposé. Or, nous avons dit que sous un rapport
toute multitude était une, comme nous l’avons vu (art. préc).
Donc l’unité n’est pas opposée à la multiplicité.
Réponse
à l’objection N°1 : La privation ne détruit jamais totalement l’être, parce que
la privation, d’après Aristote (Une
négation dans le sujet ; ce n’est pas une négation absolue, c’est une
négation qui existe dans un sujet qui manque de telles ou telles qualités que,
par nature, il devrait avoir. Telle est la privation de la vue. Voyez Aristote
(Des catégories, 5e
section, chap. 10, Des opposés).),
est une négation dans le sujet. Cependant toute privation détruit quelque chose
de l’être. C’est pourquoi dans l’être, en raison de sa généralité, il arrive
que la privation de l’être tombe sur l’être même, tandis qu’il n’en est pas
ainsi pour les privations qui n’affectent que des formes spéciales, telles que
la vue, la blancheur et les autres choses semblables. Ce que nous disons de
l’être est également vrai de l’unité et de la bonté qui rentrent
dans l’être. Car toute privation de bonté repose sur quelque bien, et la
négation de l’unité a pareillement son fondement dans ce qui est un. De là il
arrive que la multiplicité est une certaine unité, le mal un certain bien, le
non-être un certain être. Ce n’est pas à dire pour cela que l’opposé s’affirme
de l’opposé, car de ces choses contraires l’une est prise absolument et l’autre
relativement. Ainsi ce qui est être sous un rapport, c’est-à-dire en puissance,
est non-être absolument, c’est-à-dire en acte ; ou bien ce qui est être
absolument quant à la substance, est non-être sous un rapport, quant aux
accidents. De même ce qui est bon sous un rapport est mauvais pris absolument,
et réciproquement, comme ce qui est un absolument est multiple relativement, et
réciproquement.
Objection
N°2. L’opposé ne produit pas son opposé. Or, l’unité produit la multitude. Donc
elle ne lui est pas opposée.
Réponse
à l’objection N°2 : Il y a deux sortes de tout : l’un homogène qui est composé
de parties semblables, et l’autre hétérogène, qui est formé de parties
dissemblables. Dans un tout homogène les parties ont la même forme que le tout
; ainsi une portion d’eau est de l’eau. Dans un tout hétérogène, les parties
n’ont pas la même forme que le tout. Une partie de maison n’est pas une maison,
pas plus que le membre d’un homme n’est un homme. Un tout de cette nature est
une multitude. Les parties de ce tout n’ayant pas la même forme que lui, la
multiplicité se compose d’unités différentes d’elle-même, comme une maison se
compose de choses qui ne sont pas elles-mêmes des maisons. Mais ces unités ne
produisent pas la multiplicité en raison de leur indivisibilité, puisque sous
ce rapport elles lui sont opposées, mais elles la constituent en tant qu’êtres
: comme les parties d’une maison forment une maison parce qu’elles sont des
corps, mais non parce qu’elles ne sont pas elles-mêmes un édifice.
Objection
N°3. Il n’y a qu’une chose qui soit opposée à une autre. Or, le peu est opposé
à beaucoup (Il y a ici un jeu de mots produit par le double sens du mot multùm qu’on ne
peut rendre en français.). Donc l’unité ne lui est pas opposée.
Réponse
à l’objection N°3 : Le mot beaucoup (multùm) est pris
là dans un double sens. D’abord d’une manière absolue, et dans ce sens il est
opposé à l’unité ; ensuite comme signifiant un certain excès, et il est alors
opposé au mot peu. Dans le premier
sens on peut employer le mot multa en ne parlant que de deux, mais dans le second on ne
pourrait pas (Voyez Aristote (Met.,
liv. 10, chap. 6).).
Objection
N°4. Si l’unité est opposée à la multiplicité, elle lui est opposée comme ce qui
est indivis à ce qui est divisé, et par conséquent comme la privation l’est à
l’habitude. Or, il semble que ceci répugne, parce qu’il s’ensuivrait que
l’unité est postérieure à la multiplicité et qu’elle est définie par elle,
tandis que c’est au contraire la multiplicité qui est définie par l’unité.
Cette définition tournerait dans un cercle, ce qui est absurde. Donc l’unité et
la multiplicité ne sont pas opposées.
Réponse
à l’objection N°4 : L’unité est opposée à la pluralité dans le sens qu’il est
de la nature de la pluralité d’être divisée. C’est pourquoi il faut que la
division soit antérieure à l’unité, non absolument, mais d’après notre manière
de comprendre. Car nous comprenons ce qui est simple par ce qui est composé.
Ainsi nous définissons le point, ce qui n’a pas de partie, ou le commencement
de la ligne. Logiquement la multiplicité est une conséquence de l’unité ; car
nous ne comprenons pas que ce qui est divisé forme une multitude, sinon parce
que nous comprenons chacun des objets divisés sous une même unité (Ainsi pour
arriver à quarante écus il faut les compter un par un de sorte que l’unité
précède la multitude.). C’est ce qui fait que l’unité entre nécessairement dans
la définition de la multiplicité, tandis que la multiplicité n’entre pas dans
la définition de l’unité. Pour notre intellect la division résulte de la
négation de l’être. Ainsi ce que nous concevons en premier lieu, c’est l’être ;
en second lieu nous savons que cet être-ci n’est pas celui-là, et par
conséquent la division est la seconde opération de notre esprit ; en troisième
lieu nous saisissons l’unité de l’être, et en quatrième lieu sa multiplicité ou
sa multitude.
Mais
c’est le contraire. Il y a opposition entre les choses dont les natures sont
opposées. Or, la nature de l’unité consiste dans l’indivisibilité, et celle de
la multiplicité implique division. Donc l’unité et la multiplicité sont
opposées.
Conclusion
L’unité et la multiplicité ne sont pas opposées l’une à l’autre de la même
manière ; car l’unité, principe du nombre, est opposée à la pluralité comme la
mesure l’est à l’objet mesuré, tandis que l’unité qui rentre dans l’être est
opposée à la multiplicité, comme ce qui est indivis est opposé à ce qui est
divisé.
Il
faut répondre que l’unité est opposée à la multiplicité de différentes
manières. D’abord l’unité, qui est le principe du nombre, est opposée à la
multiplicité qui est le nombre lui-même, comme la mesure l’est à l’objet
mesuré. Car l’unité est la base de la mesure, et le nombre est la multiplicité
mesurée par l’unité, comme le prouve Aristote (Met., liv. 10, text. 2). Ensuite l’unité
qui rentre dans l’être est opposée à la multiplicité par manière de privation,
comme l’indivis est opposé à ce qui est divisé.
Article
3 : Dieu est-il un ?
Objection
N°1. Il semble que Dieu ne soit pas un. Car il est dit (1 Cor., 8, 5) : Il y a
beaucoup de dieux et beaucoup de seigneurs.
Réponse
à l’objection N°1 : L’Apôtre rappelle l’erreur de
ceux qui adoraient plusieurs dieux, considérant les planètes, les étoiles et
chacune des parties du monde comme autant de divinités ; aussi il ajoute : Pour nous, nous ne croyons qu’en un seul
Dieu.
Objection
N°2. L’unité qui est le principe du nombre ne peut s’affirmer de Dieu, parce
qu’aucune quantité ne peut lui convenir. Il en faut dire autant de l’unité qui
se réduit à l’être, parce que cette sorte d’unité emporte avec elle l’idée de
privation, que toute privation est une imperfection et par conséquent quelque
chose de contraire à la nature de Dieu. On ne doit donc pas dire que Dieu est
un.
Réponse
à l’objection N°2 : L’unité, en tant que principe du nombre, ne s’applique pas
à Dieu, mais seulement aux objets matériels. Car l’unité ainsi comprise est du
ressort des mathématiques qui s’appliquent aux choses matérielles, bien que
rationnellement elles en soient abstraites. Mais l’unité qui se réduit à l’être
est une notion métaphysique dont l’existence est indépendante de la matière. Et
quoiqu’on Dieu il n’y ait aucune négation, cependant, en raison de notre mode
de comprendre, nous ne le connaissons que privativement, par exclusion,
c’est-à-dire en écartant de sa notion tout ce qui n’est pas lui. Ainsi rien
n’empêche que nous affirmions de lui quelque chose de négatif, comme quand nous
disons qu’il est incorporel, qu’il est infini. C’est dans le même sens que nous
disons qu’il est un (L’unité est ici la négation de toute division, de tout
changement.).
Mais
c’est le contraire. Car il est écrit (Deut., 6, 4) : Ecoute,
Israël, le Seigneur notre Dieu est un.
CONCLUSION.
— Par là même qu’il est absolument simple et infiniment parfait, Dieu est
souverainement un, et c’est de lui que découle l’ordre qui règne dans tout
l’univers.
Il
faut répondre qu’on peut démontrer l’unité de Dieu de trois manières : 1 ° Par
sa simplicité. Il est clair que ce qui caractérise un individu et ce qui le
fait ce qu’il est ne peut convenir en aucune manière à plusieurs autres
individus. Ainsi ce qui fait que Socrate est un homme est commun à tous les
hommes ; mais ce qui fait qu’il est Socrate ne peut convenir qu’à
lui. Si donc Socrate était homme d’après ce qui constitue son individualité,
comme il ne peut y avoir plusieurs Socrates, il ne
pourrait non plus y avoir plusieurs hommes. Or, il en est précisément ainsi de
Dieu. Il est lui-même sa nature, comme nous l’avons démontré (quest. 3, art.
3). Il est donc à la fois Dieu et tel Dieu, et il est par conséquent impossible
qu’il y ait plusieurs Dieux. — 2° Par sa perfection infinie. Nous avons vu
(quest. 4, art. 2) que Dieu comprend en soi toute la perfection de l’être. Or,
s’il y avait plusieurs Dieux, il faudrait qu’il y eût entre eux quelques
différences, et que ce qui conviendrait à l’un ne convînt pas à l’autre. S’il
en était ainsi, l’un d’eux manquerait de quelque chose, et celui qui en serait
privé ne serait pas absolument parfait. C’est pourquoi il est impossible qu’il
y ait plusieurs Dieux. Les philosophes anciens ont été si frappés de cette
vérité qu’en reconnaissant un principe infini ils ont tous proclamé son unité.
— 3° Par l’unité du monde. Tout ce qui existe est disposé de manière que toutes
les créatures sont subordonnées les unes aux autres. Comme elles sont
différentes, elles ne concourraient pas à un seul ordre, si elles n’étaient pas
réglées par un être unique. En effet l’unité de l’ordre résulte mieux de la
direction d’un seul que de la direction de plusieurs. Car l’unité produit
nécessairement l’unité, tandis que la multiplicité ne produit l’unité que par
accident, dans le cas par exemple où la multitude se trouve unanime. Or, le
premier être étant infiniment parfait, par soi et non par accident, il faut que
ce premier être qui ramène tout à un seul et même ordre soit absolument un. Et
telle est la nature de Dieu.
Article
4 : Dieu est-il souverainement un ?
Objection
N°1. Il semble que Dieu ne soit pas souverainement un. L’unité suppose, en
effet, la négation de toute division. Or, une négation n’est susceptible ni de
plus ni de moins. Donc Dieu n’est pas un plus que les autres choses qui sont
unes.
Réponse
à l’objection N°1 : Quoique la privation en elle-même ne soit susceptible ni de
plus ni de moins, cependant par rapport à son opposé il n’en est pas de même,
et c’est pour cela qu’on peut comparer entre eux les êtres sur lesquels elle
s’exerce. Ainsi, suivant qu’un être est plus ou moins divisé et divisible, ou
qu’il ne l’est pas du tout, on dit qu’il est plus ou moins un ou souverainement
un.
Objection
N°2. Il semble qu’il n’y ait rien de plus indivisible que ce qui est
indivisible tout à la fois en acte et en puissance, comme le point et l’unité.
Or, un être est d’autant plus un qu’il est plus indivisible. Donc Dieu n’est
pas plus un que l’unité et le point.
Réponse
à l’objection N°2 : Le point et l’unité, qui est le principe du nombre, ne sont
pas des êtres du degré le plus élevé, puisqu’ils ont besoin d’exister dans un
sujet quelconque. Ils ne sont donc ni l’un ni l’autre souverainement un. Car
comme le sujet n’est pas souverainement un à cause de la différence qu’il y a
entre lui et son accident, de même l’accident ne l’est pas non plus.
Objection
N°3. Ce qui est bon par essence est souverainement bon. Donc ce qui est un par
essence est souverainement un. Or, tout être est un par son essence, comme le
démontre Aristote (Met., liv. 4, text. 3). Donc tout être est souverainement un, et par
conséquent Dieu n’est pas plus un que les autres êtres.
Réponse
à l’objection N°3 : Bien que tout être soit un par sa substance, ce n’est pas à
dire que la substance de chaque être produise de la même manière l’unité, parce
que dans les uns la substance est composée de beaucoup de parties, dans les
autres elle ne l’est pas.
Mais
c’est le contraire. Car saint Bernard dit : Au-dessus de tout ce qui est un,
l’unité de la Trinité divine tient la première place (De consid., liv. 5, chap.
8).
Conclusion
Dieu étant l’être suprême et étant souverainement indivis, il est par là même
souverainement un.
Il
faut répondre que l’un étant l’être
indivis, il faut, pour être souverainement un, être l’être par excellence, et
être absolument indivis. Or, ce double caractère convient à Dieu. Il est l’être
par excellence puisqu’il n’est déterminé par aucune nature supérieure à lui, et
qu’il est à lui-même son être, subsistant par lui-même sans être limité
d’aucune manière. Il est aussi absolument indivis ; car il ne peut être divisé
ni en acte, ni en puissance d’aucune sorte, par là même qu’il est
souverainement simple, comme nous l’avons démontré (quest. 3, art. 7). D’où il
est clair que Dieu est souverainement un.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
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l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec
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évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de
la morale catholique et des lois justes.