Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

1a = Prima Pars = Première Partie

Question 12 : Comment nous connaissons Dieu

 

          Après avoir considéré précédemment ce qu’est Dieu en lui-même, il nous reste à examiner ce qu’il est dans notre esprit, c’est-à-dire de quelle manière les créatures le connaissent. — A cet égard treize questions se présentent : — 1° Une intelligence créée peut-elle voir l’essence de Dieu ? (Cet article est une réfutation de l’erreur des trinitaires, d’Amauri et des arnaudistes, qui prétendaient qu’aucune créature ne voyait ni ne verrait l’essence divine ; que nous ne pouvions voir Dieu que dans ses créatures, comme nous voyons la lumière dans l’air, et que les bienheureux ne le verraient que par une lumière qui s’échapperait de son essence, mais non par son essence même. Le concile de Florence a expressément condamné ces erreurs et à défini que nous le verrions tel qu’il est : Definimus animas beatorumintueri clarè ipsum, Deum trinum et unum, sicuti est.) — 2° Est-ce par une ressemblance créée que l’essence de Dieu se fait voir aux intelligences créées ? (L’Ecriture dit formellement que nous verrons Dieu face à face (1 Cor., 13, 12) : Nous voyons maintenant à travers un miroir, en énigme ; mais alors nous verrons face à face. Il y a cependant eu des hérétiques qui ont prétendu que la vision de l’essence divine ne serait pas intuitive (Direct. inquis. 2, p. q. 8, har. 7). Saint Thomas combat ici directement cette erreur qui se trouve condamnée par la décision du concile de Florence, que nous avons citée à l’occasion de l’article précédent, et par une bulle de Benoit XI (in Extravagante), qui commence par ces mots : Benedictus Deus… Definimus quod… erit talis intuitiva et facialis visio) — 3° L’essence de Dieu peut-elle être vue par les yeux du corps ? (On peut voir encore ici une réfutation de l’erreur des anthropomorphites et des vaudois, qui supposaient que Dieu a des membres ou qu’il a un corps, s’appuyant sur le passage de Job cité dans la première objection. La bulle du pape Benoit XI condamne aussi cette erreur, puisqu’elle définit que les âmes voient l’essence divine avant de reprendre leur corps, et par conséquent que cette vision est purement spirituelle : Animæ ante assumptionem corporum suorum divinam essentiam videbunt.) — 4° Une intelligence créée peut-elle, avec ses moyens naturels, voir l’essence de Dieu ? (Cet article combat les erreurs tics béguins, des bégards et des pélagiens, qui prétendaient que tout être peut, par ses moyens naturels, arriver à la béatitude, et qui niaient ainsi la nécessité de la grâce. Les bégards et les béguins ont été condamnés par le concile de Vienne et le pape Clément V. L’erreur de Pelage, combattue par saint Augustin et condamnée, au Ve siècle, par plusieurs papes et par plusieurs conciles, l’a encore été par le concile de Trente (Voy. conc. Trid., sess. 6, can. 1 et 2). L’erreur de Pélage est aussi celle des rationalistes modernes qui nient l’existence de l’ordre surnaturel. L’étude de tous les articles de celte question est extrêmement importante, parce qu’on y trouvera un moyen de défendre ce dogme fondamental contre les attaques de la philosophie rationaliste.) — 5° Un esprit créé a-t-il besoin pour voir-Dieu de quelque lumière créée ? (Cet article n’est que le développement du précédent, et il s’attaque aux mêmes erreurs.) — 6° Parmi les créatures qui voient l’essence de Dieu, l’une la voit-elle plus parfaitement que l’autre ? (Cet article est une réfutation de l’erreur de Jovinien, qui prétendait que tous les élus jouiraient dans le ciel d’une récompense égale, parce que la grâce du baptême rend égaux les hommes, et qu’on ne peut mériter que par elle. Il fut condamné par le pape Sirice et par un concile de Milan. Saint Jérôme et saint Augustin ont écrit contre lui. Le concile de Florence a aussi condamné cette erreur en ces termes : Definimus animas intueri clarè ipsum Deum, trinum et unum sicuti est, meritorum tamen diversitate alium alio perfectius. Luther a reproduit la même erreur dans sa doctrine de la justification.) — 7° Un esprit créé peut-il comprendre l’essence de Dieu ? (Cet article est une réfutation de l’erreur d’Eunome et de ses disciples, qui prétendaient comprendre la nature de Dieu aussi parfaitement que leur propre nature. Cette secte, qui se rattachait à l’arianisme, s’éteignit sous Théodose. Le concile de Bâle (sess. 22) rapporte une erreur analogue, qu’aurait avancée un archevêque, Augustin de Rome, qui prétendait que l’âme du Christ voyait Dieu aussi clairement et aussi profondément que Dieu se voit lui-même.) — 8° Un esprit créé qui voit l’essence de Dieu connaît-il tout en elle ? (L’Ecriture répond à cette question (Marc, 13, 32) : Mais quant à ce jour et à cette heure, personne ne sait rien : ni les anges dans le ciel, ni le Fils, mais le Père seul ; (Ps. 23, 8). Les anges demandent : Qui est ce roi de gloire ? Et ailleurs (Is., 63, 1) : Quel est celui qui vient d’Edom, de Bosra, avec ses vêtements teints ? Ce qui suppose que les anges ne connaissaient pas les mystères du Christ. Saint Paul s’exprime encore plus clairement (Eph., 3, 9-10) : quelle est l’économie du mystère caché dès l’origine des siècles en Dieu, qui a créé toutes choses ; afin que les principautés et les puissances dans les cieux, connaissent par l’Eglise la sagesse infiniment variée de Dieu.) — 9° Ce qu’une créature connaît dans l’essence de Dieu, le connaît-elle par quelques ressemblances ? (Cet article est le commentaire raisonné de ces paroles de saint Paul (1 Cor., 13, 12) : Nous voyons maintenant à travers un miroir, en énigme ; mais alors nous verrons face à face.) — 10° Connaît-elle à la fois et d’une seule vue tout ce qu’elle voit en Dieu ? (En Dieu l’éternité est simultanée et non successive. Saint Thomas est parti de cette idée pour prouver que la vision des bienheureux aura le même caractère, afin de nous faire comprendre la transformation de l’homme en Dieu, suivant ces paroles du Psalmiste (Ps. 81, 6) : J’ai dit : Vous êtes des dieux, et pour justifier ces paroles du Prophète (Dan., 12, 3) : ceux qui en auront instruit plusieurs dans la justice luiront comme des étoiles dans des éternités sans fin. Cette dernière expression se conçoit parfaitement d’après la doctrine de saint Thomas.) — 11° Dès cette vie un homme peut-il voir Dieu dans son essence ? (Les bégards et les béguines prétendaient que l’homme pouvait arriver ici-bas à la possession de la béatitude, par conséquent qu’il pouvait voir l’essence divine. Cette erreur a été condamnée, comme nous l’avons dit, par le concile de Vienne et le pape Clément V. Le pape Evariste, dans sa lettre aux évoques d’Afrique, a d’ailleurs défini ce que saint Thomas expose dans le corps de cet article. Nous rapporterons ici ces paroles : Eam lucem inaccessibilem quam Pater et Filius inhabitant, nullus in hoc mortali corpore constitutus potest aliquatenùs contueri.) — 12° Pouvons-nous connaître Dieu ici-bas par la raison naturelle ?— 13° Au-dessus de la connaissance que nous avons de Dieu par la raison y a-t-il dans cette vie une autre connaissance qui est l’effet de la grâce ? (Raymond Lutte a prétendu que ce que nous connaissions par la raison nous le connaissions mieux que par la foi. Cette erreur a été condamnée, avec toutes celles que ses ouvrages renfermaient, par le pape Grégoire XI. Les rationalistes modernes sont actuellement dans la même erreur, parce qu’ils mettent tous la raison au-dessus de la foi.)

 

Article 1 : Une intelligence créée peut-elle voir Dieu dans son essence ?

 

          Objection N°1. Il semble qu’aucune intelligence créée ne puisse voir Dieu dans son essence. Car saint Chrysostome, expliquant ces paroles de saint Jean (Hom. 14) : Personne n’a jamais vu Dieu, dit que non seulement les prophètes, mais les anges et les archanges n’ont pas vu ce qu’est Dieu. Car, ajoute-t-il, comment la créature pourrait-elle voir celui qui n’a pas été créé ? Et saint Denis en parlant de Dieu dit (De div. nom., chap. 1) qu’il n’est accessible ni aux sens, ni à l’imagination, ni à l’opinion, ni à la raison, ni à la science.

          Réponse à l’objection N°1 : Saint Chrysostome et saint Denis parlent l’un et l’autre, non de la simple vue de Dieu, mais de sa compréhensibilité. Ainsi dans saint Denis, immédiatement avant le passage cité on trouve : Il est absolument incompréhensible à tous ; il n’est accessible, etc. Et saint Chrysostome ajoute : Il s’agit ici d’une vision qui aurait pour objet de comprendre le Père tel que le Père comprend le Fils.

 

          Objection N°2. Tout ce qui est infini dépasse comme tel toute connaissance. Or, Dieu est infini, comme nous l’avons démontré (quest. 7, art. 1). Donc il ne peut être connu en lui-même.

          Réponse à l’objection N°2 : L’infini qui se rapporte à la matière non revêtue d’une forme est inconnu en lui-même parce que toute connaissance suppose une forme ; mais que l’infini, qui a pour objet une forme que la matière ne limite d’aucune manière, est au contraire ce qu’il y a de plus connu en soi. Et c’est dans ce second sens, et non dans le premier, que Dieu est infini, comme nous l’avons prouvé (quest. 7, art. 1).

 

          Objection N°3. Une intelligence créée ne peut connaître que les choses qui existent. Car ce que l’intelligence saisit avant tout, c’est l’être. Or, comme le dit saint Denis (De Div. nom., chap. 1 et 2), Dieu n’est pas existant, mais il surpasse tout ce qui existe. Donc il n’est pas du nombre des choses qu’une intelligence créée peut comprendre, mais il est au-dessus de toute intelligence.

          Réponse à l’objection N°3 : Quand on dit que Dieu n’est pas existant, cela ne signifie pas qu’il n’existe d’aucune manière, mais qu’il est au-dessus de tout ce qui existe parce qu’il est lui-même son être. D’où il ne suit pas qu’il ne peut être connu d’aucune manière, mais qu’il est au-dessus de toute connaissance et qu’aucun être ne peut le comprendre.

 

          Objection N°4. Il faut qu’il y ait une certaine proportion entre le sujet qui connaît et l’objet qui est connu, puisque la connaissance d’un objet devient une perfection pour celui qui la possède. Or, il n’y a pas de proportion entre Dieu et une créature, puisque l’infini les sépare. Donc une intelligence créée ne peut voir l’essence de Dieu.

          Réponse à l’objection N°4 : On distingue deux sortes de proportion. L’une positive, comme le rapport d’une quantité à une autre. Dans ce sens, le double, le triple, l’égal sont des espèces de proportion. L’autre qui consiste dans le rapport d’un être à un autre être. Ainsi, il peut y avoir proportion entre la créature et Dieu, dans le sens qu’il y a de l’un à l’autre rapport de l’effet à la cause, de la puissance à l’acte. En ce sens, une intelligence créée peut être capable de connaître Dieu.

 

          Mais c’est le contraire. Car il est dit dans saint Jean (1 Jean, 3, 2) : Nous le verrons comme il est.

 

          Conclusion Le souverain bonheur de l’homme consistant dans l’opération la plus élevée de son intelligence, qui est la vue claire de l’essence divine, il est certain qu’un esprit créé peut voir Dieu dans son essence.

          Il faut répondre qu’un être étant d’autant plus intelligible qu’il est plus en acte, Dieu qui est un acte pur, sans aucun mélange de puissance (C’est-à-dire, il n’y a en Dieu rien de potentiel ; il est celui qui est.), est en lui-même souverainement intelligible. Mais ce qui est souverainement intelligible en soi, peut n’être pas accessible à une intelligence donnée, parce qu’il peut se trouver trop élevé au-dessus d’elle. C’est ainsi que le soleil, qui est de tous les objets matériels le plus visible, ne peut être vu de la chauve-souris précisément parce que sa lumière est trop vive. — Quelques philosophes frappés de ce fait ont supposé qu’aucune intelligence créée ne pouvait voir Dieu. Mais cette opinion n’est pas fondée. Car le souverain bonheur de l’homme consistant dans l’exercice le plus élevé de sa pensée, si une intelligence créée ne peut jamais voir Dieu dans son essence, l’homme ne jouira jamais du souverain bonheur, ou il le trouvera ailleurs qu’en Dieu ; ce qui est contraire à la foi. Car la perfection dernière de la créature raisonnable consiste dans la source même de son être, et plus elle s’en rapproche, plus elle gagne en perfection ; ce qui est également vrai quand cette source ou ce principe est au-dessus de la raison. D’ailleurs il y a dans l’homme le désir naturel de connaître la cause des effets qu’il aperçoit, et c’est là ce qui produit en lui l’admiration. Donc, si la pensée humaine ne peut s’élever à la cause première des choses, ce désir de la nature ne serait qu’une chimère. — Il faut donc absolument reconnaître que les bienheureux voient Dieu dans son essence.

 

Article 2 : Est-ce au moyen d’images que l’essence de Dieu est vue par les intelligences créées ?

 

          Objection N°1. Il semble que l’intellect créé voie l’essence de Dieu par des images ou des ressemblances. Car il est dit dans saint Jean (1 Jean, 3, 2) : Nous savons que quand il se montrera, nous serons semblables à lui et nous le verrons tel qu’il est.

          Réponse à l’objection N°1 : Saint Jean parle de la ressemblance que la lumière de la gloire imprimera en nous.

 

          Objection N°2. Saint Augustin dit (De Trin., liv. 9, chap. 11) : Quand nous connaissons Dieu, il se forme de lui en nous une ressemblance.

          Réponse à l’objection N°2 : Saint Augustin ne parle dans ce passage que de la connaissance de Dieu, telle que nous l’avons sur cette terre.

 

          Objection N°3. L’intellect en acte est l’intelligible en acte, comme le sens en acte est le sensible en acte. Or, il n’y a sentiment et connaissance qu’autant que les sens sont frappés de l’image de l’objet sensible, et que l’intellect perçoit l’image de la chose qu’il comprend. Donc, si un esprit créé voit Dieu en acte, il faut qu’il le voie par une ressemblance quelconque.

          Réponse à l’objection N°3 : L’essence divine est elle-même son être. Par conséquent, comme les autres formes intelligibles qui ne sont pas elles-mêmes leur être, ne s’unissent à l’intellect qui les perçoit qu’en raison de l’être qu’elles lui communiquent et par lequel elles le mettent en acte, de même l’essence divine s’unit à l’intelligence créée, comme étant en acte, et comme produisant par elle-même cette manière d’être dans l’intellect (C’est l’essence divine qui rend l’intellect créé capable de jouir de sa vue.).

 

          Mais c’est le contraire. Saint Augustin dit (De Trin., liv. 15, chap. 9) que ces paroles de l’Apôtre : Nous voyons Dieu maintenant comme à travers un miroir et en énigme, signifient que nous n’avons de lui que des images ou des ressemblances appropriées à l’objet qu’elles doivent nous faire connaître. Or, voir Dieu dans son essence ce n’est pas le voir en énigme et à travers un miroir. Donc on ne voit pas l’essence divine par des ressemblances.

 

          Conclusion L’essence divine ne peut être vue par une intelligence créée au moyen d’images qui reproduisent cette essence, mais la lumière de la gloire peut imprimer à la créature intelligente une certaine ressemblance avec Dieu et lui donner ainsi la force de saisir et de voir son essence.

          Il faut répondre que, pour la vision sensible aussi bien que pour la vision intellectuelle, deux conditions sont requises : la faculté de voir, et l’union de l’objet que l’on voit avec la vue. Car il n’y a pas de vision en acte si l’objet vu n’existe de quelque manière dans le sujet qui le voit. Quant aux corps, il est évident que l’objet vu ne peut être dans le sujet qui le voit par son essence, mais seulement par sa ressemblance. Ainsi l’image d’une pierre est dans l’œil de celui qui la regarde actuellement, mais il n’en est pas de même de sa substance. Si le principe de la vue et l’objet que l’on voit étaient une seule et même chose, il faudrait que celui qui voit reçût de cette chose et la faculté de la voir et la forme sous laquelle il la voit. — Or, il est évident que Dieu est l’auteur de nos facultés intellectuelles, et qu’il peut être vu par notre intelligence. Et puisque la puissance intellectuelle de la créature n’est pas l’essence de Dieu, elle ne peut être qu’une participation de ressemblance avec lui qui est l’intelligence suprême. C’est pour ce motif que la puissance intellectuelle de la créature est appelée un rayon lumineux parti, pour ainsi dire, de la lumière primitive, soit qu’on l’entende de la puissance naturelle, soit qu’on le comprenne de quelque perfection surnaturelle de grâce ou de gloire. — Il faut donc, pour voir Dieu, que subjectivement l’intelligence créée soit fortifiée par un secours de Dieu qui la rende en quelque sorte semblable à lui. Par rapport à l’objet, dont l’union avec le sujet est nécessaire pour constituer la vision, on doit reconnaître qu’il n’y a pas de ressemblance créée par laquelle on puisse voir l’essence divine. — 1° En effet, comme le dit saint Denis (De div. nom., chap. 1), les images des choses d’un ordre inférieur ne peuvent nullement nous faire connaître celles d’un ordre supérieur. Ainsi on ne peut pas, par les images des choses corporelles, arriver à la connaissance des choses incorporelles. On peut encore moins par une espèce créée, quelle qu’elle soit, voir l’essence de Dieu. — 2° Parce que l’essence de Dieu est son être, comme nous l’avons prouvé (quest. 3, art. 4), ce qui ne peut convenir à aucune forme créée. Donc il n’y a pas de forme créée qui puisse représenter l’essence de Dieu à celui qui veut la voir. —3° Parce que l’essence divine est quelque chose d’illimité, qui renferme en soi suréminemment tout ce qu’un esprit créé peut nommer et comprendre. Or, aucune espèce d’image créée ne peut représenter ces attributs, parce que toute forme créée est nécessairement limitée, soit sous le rapport de la sagesse, de la force, de l’être lui-même, ou de toute autre chose. Par conséquent, dire qu’on voit Dieu par une figure ou une ressemblance, c’est dire qu’on ne voit pas son essence ; ce qui est erroné. — On doit donc dire que pour voir l’essence de Dieu, il faut que le sujet qui voit reçoive de la gloire divine une lumière qui lui imprime une certaine ressemblance avec Dieu, et fortifie son entendement de telle sorte qu’il puisse soutenir son éclat, selon l’expression du Psalmiste (Ps. 35, 10) : Dans votre lumière, Seigneur, nous verrons la lumière. Mais aucune ressemblance créée ne peut nous faire voir l’essence de Dieu, parce qu’il n’y en a aucune qui la représente telle qu’elle est en elle-même.

 

Article 3 : L’essence divine peut-elle être vue des yeux du corps ?

 

          Objection N°1. Il semble qu’on puisse voir l’essence de Dieu des yeux du corps, car il est dit dans Job (19, 26, et 42, 5) : Je verrai Dieu dans ma chair… Je vous ai entendu de mes oreilles, et maintenant mon œil vous voit.

          Réponse à l’objection N°1 : Quand Job dit : Je verrai dans ma chair Dieu, mon seigneur, cela ne signifie pas qu’il le verra des yeux de son corps, mais qu’il le verra après la résurrection, bien que son corps soit réuni à son âme. De même quand saint Paul dit : Maintenant mon œil vous voit ; il entend parler de l’œil de l’esprit. C’est ainsi qu’il dit aux Ephésiens (1, 17) : Que Dieu vous donne l’esprit de sagesse et de révélation pour le connaître de plus en plus, qu’il éclaire les yeux de votre cœur.

 

          Objection N°2. Saint Augustin dit (De civ. Dei, liv. 22, chap. 29) que les yeux des élus seront plus pénétrants que le regard de l’aigle et du serpent, parce que, quelle que soit la vivacité du regard de ces animaux, ils ne peuvent voir que les choses corporelles, au lieu que les bienheureux voient les choses spirituelles. Or, celui qui peut voir les choses spirituelles peut s’élever jusqu’à la vision de Dieu. Donc dans la gloire l’œil de l’homme pourra voir Dieu.

          Réponse à l’objection N°2 : Saint Augustin s’exprime dans ce passage conditionnellement. Ce qui est évident d’après ce qui précède. Car il est dit : Les élus jouiront d’une vue beaucoup plus pénétrante s’ils voient les choses spirituelles. Il termine encore mieux sa pensée en disant : Il est très vraisemblable que nous verrons alors les corps qui formeront le nouveau ciel et la nouvelle terre, comme nous voyons clairement Dieu présent partout et gouvernant toutes les parties du monde matériel, et nous les verrons non pas comme nous apercevons les attributs invisibles de Dieu, par le reflet que projettent les créatures sorties de ses mains, mais comme nous voyons les hommes au milieu desquels nous vivons, et dont la vie frappe notre vue, et n’est plus un objet de foi. D’où il est clair que saint Augustin suppose que les bienheureux verront Dieu comme nous voyons la vie de nos semblables. Or, la vie d’un homme ne se manifeste pas aux yeux du corps comme étant visible par elle-même, mais comme étant sensible par accident ; ce n’est pas aux sens seuls qu’il appartient de la connaître, mais aux sens aidés de l’intelligence. Quant à la présence divine, si elle se révèle à l’intelligence à la vue des corps, ceci provient de deux causes, de la perspicacité de l’intelligence et de l’éclat de la lumière divine qui se reflétera dans les corps eux-mêmes.

 

          Objection N°3. L’homme peut voir Dieu par une vision imaginaire. Car il est dit dans Isaïe (Is., 6, 1) : J’ai vu le Seigneur assis sur un trône. Or, la vision imaginaire a son origine dans les sens. Car l’imagination est mue par les sens eux-mêmes, d’après ce qu’il est dit (De an., liv. 3, chap. 3, text. 160). Donc Dieu peut être vu par les sens.

          Réponse à l’objection N°3 : Dans la vision imaginative on ne voit pas l’essence de Dieu, mais une forme qui se produit dans l’imagination et qui représente Dieu sous une certaine image, comme dans l’Ecriture on exprime ses attributs à l’aide de certaines métaphores.

 

          Mais c’est le contraire. Car saint Augustin dit en traitant de la vision de Dieu, dans son Epître à Paulin (Epist. 112, chap. 9) : Personne n’a jamais vu Dieu, personne ne l’a vu dans cette vie comme il est, personne ne l’a vu dans la vie des anges, comme nous voyons les choses corporelles qui tombent sous nos sens.

 

          Conclusion Dieu étant incorporel, il ne peut être vu par aucun sens, soit extérieur, soit intérieur.

          Il faut répondre qu’il est impossible à l’œil de l’homme de voir Dieu, ainsi qu’à tout autre sens ou à toute autre puissance de l’âme sensitive. Car toute puissance de cette nature est l’acte d’un organe corporel, comme nous le verrons (art. suiv. et quest. 78). Or, l’acte est toujours proportionné au sujet qui le produit. Donc aucune puissance de cette sorte ne peut aller au-delà des choses matérielles. Et comme Dieu est immatériel, ainsi que nous l’avons dit (quest. 3, art. 1), il ne peut être vu, ni par les sens, ni par l’imagination, mais par l’intelligence seule.

 

Article 4 : Une intelligence créée peut-elle avec ses moyens naturels voir l’essence de Dieu ?

 

          Objection N°1. Il semble qu’une intelligence créée puisse, avec ses moyens naturels, voir l’essence de Dieu. Car saint Denis dit (De div. nom., chap. 4) que l’ange est un miroir pur, très brillant, qui reçoit, s’il est permis de parler ainsi, toute la beauté de Dieu. Or, on voit une chose quand on voit son miroir. Donc l’ange se connaissant lui-même par ses facultés naturelles, il semble qu’il peut connaître de même l’essence divine.

          Réponse à l’objection N°1 : Cette manière de connaître Dieu est naturelle à l’ange dans le sens qu’il connaît Dieu par l’image de ses perfections qu’il voit briller en lui. Mais connaître Dieu par une image créée, quelle qu’elle soit, ce n’est pas, comme nous l’avons démontré (art. 2), connaître l’essence divine. Il ne s’ensuit donc pas que l’ange puisse, par ses moyens naturels, connaître l’essence de Dieu.

 

          Objection N°2. Ce qui est le plus visible, l’est moins pour nous en raison de la faiblesse de notre vue corporelle ou intellectuelle. Or, l’intelligence de l’ange n’a pas de défaut. Donc, Dieu étant souverainement intelligible, il semble qu’il doive être tel pour l’ange, et que si l’ange peut comprendre quelque chose par ses moyens naturels, c’est surtout Dieu.

          Réponse à l’objection N°2 : A la vérité l’intelligence de l’ange n’a pas de défaut, si on entend par là la privation de choses qu’elle devrait avoir. Mais il n’en est pas de même, si ce mot est pris négativement. Car toute créature est imparfaite quand on la compare à Dieu, puisqu’elle est loin d’avoir l’excellence qui est en lui.

 

          Objection N°3. Les sens corporels ne peuvent arriver à la connaissance d’une substance incorporelle, parce qu’elle est au-dessus de leur nature. Si, voir Dieu dans son essence était au-dessus de la nature de toute intelligence créée, il semble qu’aucun esprit ne pourrait parvenir à voir l’essence divine ; ce qui est une erreur, comme nous venons de le démontrer (art. 1). Il semble donc qu’il est naturel à une intelligence créée de voir Dieu dans son essence.

          Réponse à l’objection N°3 : Le sens de la vue étant absolument matériel, ne peut être élevé d’aucune manière jusqu’aux choses immatérielles. Mais notre intelligence, ainsi que celle des anges, étant naturellement placée au-dessus de l’ordre matériel, peut être élevée par la grâce au-dessus de sa propre nature. Une preuve de ceci c’est que la vue ne peut aucunement connaître d’une manière abstraite ce qu’elle connaît d’une manière concrète. Elle ne perçoit les objets qu’autant qu’ils sont individualisés. Mais notre intelligence peut considérer abstractivement ce qu’elle perçoit concrètement. Car bien qu’elle connaisse des choses dont la forme est inhérente à la matière, elle peut les décomposer et ne s’occuper que de la forme en elle-même. Pareillement l’intelligence de l’ange, bien qu’il lui soit naturel de connaître l’être à l’état concret, dans une nature quelconque, elle peut cependant considérer à part l’être lui-même, puisqu’elle sait qu’il est une chose et que son être en est une autre. C’est pourquoi l’intelligence créée étant naturellement apte à saisir la forme concrète et l’être concret dans une abstraction par manière de décomposition, la grâce peut l’élever jusqu’à lui faire connaître la substance séparée qui subsiste par elle-même, et l’être séparé qui subsiste de la même manière.

 

          Mais c’est le contraire. Saint Paul dit : La grâce de Dieu est la vie éternelle (Rom., 6, 23). Or, la vie éternelle consiste dans la vision de l’essence divine, d’après cette parole de saint Jean (Jean, 17, 3) : La vie éternelle consiste à vous connaître, vous qui êtes le seul vrai Dieu. Donc l’intelligence créée peut voir l’essence de Dieu par la grâce, mais non par la nature (Cette distinction est la base de toute la polémique actuelle entre le catholicisme et le rationalisme.).

 

          Conclusion L’essence divine étant au-dessus de la nature de toute intelligence créée, une créature ne peut la connaître par des moyens naturels, mais seulement par la grâce.

          Il faut répondre qu’il est impossible qu’une intelligence créée voie l’essence de Dieu par ses facultés naturelles. Car la connaissance n’a lieu qu’autant que l’objet connu est dans le sujet qui le connaît, et l’objet connu n’y est que selon la manière d’être de celui qui le connaît. D’où il suit que la connaissance d’un être est toujours selon le mode de sa nature. Donc, si la manière d’être de l’objet connu surpasse la manière d’être du sujet qui le connaît, la connaissance de cet objet est nécessairement au-dessus de la nature du sujet. Or, il y a dans les choses beaucoup de manières d’être. Car il y en a qui n’ont d’existence que dans la matière qui les individualise ; tels sont les êtres corporels. Il y en a dont les natures subsistent par elles-mêmes, sans avoir aucunement besoin de la matière. Elles ne sont cependant pas elles-mêmes leur être, mais elles possèdent l’être ; telles sont les substances immatérielles que nous désignons sous le nom d’anges. Le mode d’être exclusivement propre à Dieu, c’est qu’il est son être, sa substance même. — Les choses qui n’ont l’être qu’autant que la matière les individualise, nous pouvons naturellement les connaître, parce que notre âme, qui est notre moyen de connaître, est la forme d’une matière. Elle a cependant deux facultés cognitives : l’une qui est l’acte d’un organe corporel, et qui connaît naturellement les choses selon qu’elles existent dans une matière individuelle ; ce qui fait que les sens ne connaissent que les choses particulières. L’autre est l’intellect, qui n’est l’acte d’aucun organe corporel. C’est par lui que nous pouvons naturellement connaître les choses qui, à la vérité, n’existent que dans une matière individuelle, mais que nous savons abstraire de tout ce qui les individualise. Nous pouvons ainsi les considérer d’une manière générale au moyen de notre intellect, ce qui est au-dessus de la portée des sens. — L’intelligence de l’ange peut naturellement connaître les créatures qui sont hors du monde matériel, ce qui dépasse les forces de l’intelligence humaine, du moins en tant qu’unie à un corps comme elle l’est dans cette vie. Mais pour connaître l’être subsistant, et qui est son être même, il n’y a que l’intelligence divine qui en soit capable, parce qu’il est au-dessus des facultés naturelles de tout esprit créé, puisqu’il n’y a pas de créature qui soit à elle-même son être, toute créature ayant reçu nécessairement l’existence (Cette démonstration est d’une rigueur mathématique. Du moment où l’on admet que nous devons voir Dieu face à face, il est évident que nous ne pouvons le voir ainsi sans un secours surnaturel ; mais on ne pourrait démontrer rationnellement que nous devons le voir face à face ; ce principe est une donnée de la foi ; on peut partir de là pour prouver le reste.). Un esprit créé ne peut donc voir Dieu dans son essence, à moins que Dieu ne s’unisse à lui par sa grâce et ne se rende ainsi accessible à lui.

 

Article 5 : Pour voir l’essence de Dieu une intelligence créée a-t-elle besoin d’une lumière créée ?

 

          Objection N°1. Il semble qu’une intelligence créée n’ait pas besoin pour voir l’essence de Dieu, d’une lumière créée. Car dans les choses sensibles ce qui est lumineux par lui-même n’a pas besoin d’une lumière étrangère pour être vu. Il en est de même pour les choses intelligibles. Donc Dieu, qui est la lumière des esprits, n’est pas vu par une lumière créée.

          Réponse à l’objection N°1 : La lumière créée est nécessaire pour voir l’essence divine, non parce que cette lumière rend intelligible l’essence de Dieu qui est intelligible par elle-même, mais parce qu’elle fortifie l’esprit créé et le rend apte à comprendre, à peu près comme l’habitude fortifie la puissance et facilite son action. C’est ainsi que la lumière corporelle est nécessaire à la vue des objets extérieurs, parce qu’elle rend le milieu transparent, et qu’elle permet à la couleur de se manifester.

 

          Objection N°2. Quand on voit Dieu par un milieu, on ne le voit pas dans son essence. Or, si on le voit par l’intermédiaire d’une lumière créée, on le voit par un milieu. Donc on ne le voit pas dans son essence.

          Réponse à l’objection N°2 : Cette lumière n’est pas requise pour voir l’essence divine comme une image qui doit la faire voir, mais comme une perfection qui fortifie l’esprit créé, pour qu’il puisse soutenir sa vue. C’est pourquoi on peut dire que ce n’est pas un milieu dans lequel on voit Dieu, mais un auxiliaire qui soutient l’esprit, ce qui n’empêche pas la vision de Dieu d’être immédiate.

 

          Objection N°3. Rien n’empêche que ce qui est créé ne soit naturel à une créature. Par conséquent, si on voit l’essence de Dieu au moyen d’une lumière créée, cette lumière pourra être naturelle à une créature, et dans ce cas la créature n’aura besoin d’aucune autre lumière pour voir Dieu ; ce qui est impossible. Il n’est donc pas nécessaire que toute créature reçoive une lumière surnaturelle pour voir l’essence de Dieu.

          Réponse à l’objection N°3 : La faculté de revêtir la forme du feu ne peut être naturelle qu’à l’être qui a déjà cette forme. Par conséquent la lumière de la gloire ne peut être naturelle à la créature qu’autant que cette créature aurait elle-même la nature divine, ce qui est impossible. Car par cette lumière la créature raisonnable devient seulement semblable à Dieu, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.).

 

          Mais c’est le contraire. Car il est dit dans les Psaumes (Ps. 35, 10) : Nous verrons la lumière dans votre lumière.

 

          Conclusion L’essence divine étant supérieure à la nature de tout esprit créé, celui-ci a besoin pour la voir du secours d’une lumière créée.

          Il faut répondre que tout être qui s’élève au-dessus de sa sphère naturelle doit être, en quelque sorte, disposé d’une manière qui soit supérieure à sa nature. Ainsi, pour que l’air prenne la forme du feu, il faut qu’il soit disposé à ce nouvel état par une disposition qui y soit analogue. Or, quand un esprit créé voit Dieu dans son essence, l’essence même de Dieu devient la forme intelligible de son entendement. C’est pour cela qu’il a besoin d’une disposition surnaturelle qui, en s’ajoutant à sa nature, l’élève à une telle sublimité. Les facultés naturelles d’un esprit créé n’étant pas capables de voir l’essence divine, comme nous l’avons démontré (art. préc), il faut que ce soit la grâce de Dieu qui leur donne cette vertu. Et cet accroissement de force intellectuelle, nous l’appelons l’illumination de l’esprit, comme nous appelons l’objet qu’il nous fait comprendre clarté ou lumière (Lumen vel lux.). C’est ce qui fait dire à saint Jean (Apoc., 21, 23) : La clarté de Dieu illuminera la société des bienheureux qui voient Dieu. Cette lumière imprime en nous la forme de Dieu et nous rend semblables à lui, d’après ces autres paroles du même apôtre (1 Jean, 3, 2) : Nous savons que quand il apparaîtra, nous serons semblables à lui, et nous le verrons tel qu’il est.

 

Article 6 : Parmi les créatures qui voient l’essence de Dieu, l’une la voit-elle plus parfaitement que l’autre ?

 

          Objection N°1. Il semble que parmi ceux qui voient l’essence de Dieu il n’y en a pas qui la voient plus parfaitement que d’autres. Car il est dit dans saint Jean (1 Jean, 3, 2) : Nous le verrons tel qu’il est. Or, Dieu n’existe que d’une seule manière ; il ne peut donc être vu par tous les êtres que d’une seule façon, et il n’y a pas lieu de dire qu’on le voit plus ou moins parfaitement.

          Réponse à l’objection N°1 : Dans cette phrase : Nous le verrons comme il est, sicuti est, l’adverbe comme (sicuti) détermine le mode de vision par rapport à l’objet vu (Cette comparaison s’entend objectivement, mais elle ne détermine rien relativement au sujet qui voit, c’est-à-dire relativement au mode plus ou moins parfait de sa vision.). Ce qui signifie, nous le verrons tel qu’il est, c’est-à-dire, nous verrons son être même qui est son essence. Mais il ne détermine pas le mode de vision par rapport au sujet qui voit. Par conséquent cela ne signifie pas que notre manière de le voir sera parfaite comme est parfaite sa manière d’être.

 

          Objection N°2. Saint Augustin dit (Quæst., liv. 83, quest. 32) que l’un ne peut pas mieux comprendre qu’un autre la même chose. Or, tous ceux qui voient Dieu dans son essence, le comprennent. Car c’est par l’intelligence et non par les sens qu’on voit Dieu, comme nous l’avons prouvé (art. 3). Donc, parmi ceux qui voient l’essence divine il n’y en a pas qui la voient plus clairement que d’autres.

          Réponse à l’objection N°2 : L’observation de la réponse précédente rend évidente la réponse à cette objection. Quand on dit que la même chose n’est pas mieux comprise de l’un que de l’autre, cela n’est vrai qu’autant qu’on l’entend de l’objet même que l’on comprend. Car si l’on comprend une chose autrement qu’elle n’est, on ne la comprend pas véritablement. Mais cette phrase n’est pas applicable à la manière dont le sujet comprend ; car il est bien certain que parmi les diverses intelligences les unes comprennent mieux que les autres.

 

          Objection N°3. Quand on voit mieux une chose qu’un autre, ceci peut provenir de deux causes, soit du côté de l’objet que l’on voit, soit du côté de l’organe visuel du sujet qui le perçoit. Du côté de l’objet il est d’autant mieux vu que celui qui voit en a au dedans de lui-même une image plus parfaite. Ce qui n’est pas applicable ici, puisque nous supposons que Dieu est vu dans son essence, et non sous une image quelconque. Il faudrait donc attribuer la différence de lumière à la diversité des intelligences, qui n’ont pas toutes la même force, la même étendue. Dans cette hypothèse les intelligences qui sont naturellement les plus élevées, devraient être celles qui voient le plus clairement. Mais il n’en est pas ainsi, puisqu’il a été promis aux hommes un bonheur égal à celui des anges.

          Réponse à l’objection N°3 : La diversité de la vision ne provient pas de l’objet, puisque pour tous l’objet est le même ; c’est l’essence de Dieu. Elle ne provient pas non plus de la différence qu’il y aurait entre les images qui le représentent, puisqu’on ne voit pas Dieu sous une image ; mais elle a pour cause la différence des facultés intellectuelles qui varient non-seulement dans l’ordre de la nature, mais encore dans l’ordre de la gloire, comme nous l’avons dit (art. premier).

 

          Mais c’est le contraire. Car la vie éternelle consiste dans la vision de Dieu, d’après saint Jean (Jean, 17, 3). Or, si tous voient également l’essence divine dans la vie éternelle, tous seront égaux, contrairement à cette parole de l’Apôtre (1 Cor., 15, 4) : Une étoile diffère d’une autre étoile en clarté.

 

          Conclusion Parmi ceux qui voient Dieu, les uns sont plus illuminés que les autres de sa gloire, et par conséquent l’un voit plus parfaitement que l’autre son essence.

          Il faut répondre que parmi ceux qui voient Dieu dans son essence, l’un le voit plus parfaitement que l’autre. Cette diversité ne provient pas de ce que l’un se fait de Dieu une image plus parfaite que l’autre, puisque, comme nous l’avons dit (art. 2), ce n’est point ainsi qu’on voit Dieu. Mais elle provient de ce que l’intelligence de l’un a reçu un secours plus abondant que celle de l’autre, et qu’elle en a été fortifiée davantage. Car la faculté de voir Dieu n’est pas une des prérogatives naturelles de l’intelligence créée, elle résulte de la lumière de la gloire qui imprime dans l’esprit qui la reçoit la forme de Dieu, comme on le voit d’après ce que nous avons dit (art. préc). — Par conséquent, plus l’esprit participe à la lumière de la gloire, et plus la vision qu’il a de Dieu est parfaite. Or, on participe d’autant plus à la lumière de la gloire qu’on possède une charité plus étendue. Car l’ardeur de la charité règle l’ardeur du désir, et le désir rend celui qui le conçoit plus ou moins digne de l’objet désiré. D’où l’on voit que le degré de charité détermine le degré de perfection de la vision divine et la mesure du bonheur dont nous jouirons en elle.

 

Article 7 : Ceux qui voient Dieu dans son essence le comprennent-ils ?

 

          Objection N°1. Il semble que ceux qui voient Dieu dans son essence le comprennent. Car saint Paul dit (Phil., 3, 12) : Je poursuis ma course pour le comprendre. Or, il ne poursuivait pas un but chimérique, car il dit ailleurs (1 Cor., 19, 26) : Je cours, mais non comme quelqu’un qui serait incertain. Donc il comprenait Dieu, et pour le même motif il engageait les autres à le comprendre : Sic currite, ut comprehendatis.

          Réponse à l’objection N°1 : Le mot comprendre (comprehendere) a deux sens. L’un plus strict quand il signifie qu’une chose est renfermée dans une autre. De cette manière Dieu n’est compris d’aucune sorte. Il n’est ni dans l’intelligence, ni ailleurs, puisque par là même qu’il est infini il ne peut être contenu dans rien de ce qui est fini. L’autre sens, plus large, signifie saisir, posséder, et il est opposé au mot poursuivre, rechercher (insequere). Ainsi, quand on atteint quelqu’un et qu’on le tient on dit qu’on l’a pris (comprehensus est). C’est donc dans ce sens que les bienheureux disent du Seigneur : Je le tiens, je ne le laisserai pas aller (Cant., 3, 14). Il faut aussi entendre de cette manière les paroles de l’Apôtre qu’on nous objecte. Cette possession de l’objet désiré répond à l’espérance, comme la vision à la foi et la jouissance à la charité. Car, ici-bas, tout ce que nous voyons nous ne le possédons pas, soit parce que les objets sont éloignés de nous, soit parce qu’il n’est pas en notre pouvoir de nous les procurer. Nous ne jouissons pas non plus de toutes les choses que nous avons, soit parce que nous ne mettons pas en elles notre plaisir, soit parce qu’elles ne sont pas notre fin dernière et qu’elles ne peuvent ni remplir, ni calmer tous nos désirs. Mais les bienheureux trouvent en Dieu ces trois choses ; ils le voient, en le voyant ils le possèdent, et il est en leur pouvoir de le posséder toujours ; en le possédant ils jouissent de lui, comme de leur fin dernière qui remplit tous leurs désirs.

 

          Objection N°2. Saint Augustin dit dans une de ses épîtres (Ep. 112, chap. 9) qu’on comprend ce qu’on voit si complètement que rien n’échappe à la vue. Or, si l’on voit Dieu dans son essence, on le voit tout entier, et rien n’échappe à celui qui le voit de la sorte, puisque sa nature est absolument simple. Donc quiconque le voit dans son essence le comprend.

          Réponse à l’objection N°2 : On ne dit pas que Dieu est incompréhensible, comme s’il y avait une partie de lui-même qui ne fût pas visible, mais parce qu’on ne le voit pas aussi parfaitement qu’il peut être vu. Ainsi, quand nous ne connaissons que par des raisons probables une proposition qui peut être démontrée, nous n’ignorons aucune partie de cette proposition, nous en connaissons le sujet, l’attribut et le rapport de l’un à l’autre, mais nous ne connaissons cependant pas parfaitement cette proposition tout entière puisque nous ne connaissons pas d’elle tout ce qu’on en peut connaître. De là saint Augustin dit, en définissant le mot comprendre, que pour comprendre une chose il faut la voir tout entière, de façon qu’on ne néglige rien de ce qui la concerne. Pour la voir ainsi, il faut qu’on en sache les limites et qu’on puisse les décrire. Or, on connaît les limites d’une chose quand on a poussé jusqu’à son dernier terme le moyen de la connaître.

 

          Objection N°3. Si l’on dit qu’on le voit tout entier, mais non totalement, on peut insister. Ce mot totalement s’applique au sujet qui voit ou à l’objet qui est vu. S’il s’agit de l’objet vu, il est certain que celui qui voit Dieu dans son essence, le voit totalement, puisqu’il le voit comme il est, ainsi que nous l’avons vu (art. 1). De même, quant au sujet qui voit, on peut dire qu’il voit totalement, puisque pour voir l’essence de Dieu il fait usage de toute l’étendue de ses facultés. Donc, sous le rapport du sujet, comme sous le rapport de l’objet, quiconque verra Dieu dans son essence, le verra totalement, et par conséquent le comprendra.

          Réponse à l’objection N°3 : Le mot totalement doit s’appliquer à la manière d’être de l’objet ; et ce qui fait que nous ne voyons pas Dieu totalement, c’est que dans la vision de l’essence divine, la manière d’être de l’objet tombe bien tout entière sous notre connaissance ; mais il n’y a pas de rapport entre la manière d’être de l’objet connu et celle du sujet qui le connaît. Ainsi celui qui voit Dieu dans son essence, le voit dans ce qu’a d’infini son existence et dans ce qu’a d’infini sa cognoscibilité. Or, pour qu’il eût le même mode que l’infini, il faudrait qu’il eût une connaissance infinie, ce qui répugne dans un être fini. C’est ainsi qu’un homme peut savoir, par des raisons probables, qu’une proposition est susceptible d’être démontrée, bien qu’il ne sache pas la démonstration qu’on en pourrait donner.

 

          Mais c’est le contraire. Il est dit dans Jérémie (32, 18) : O le très fort, le grand, le puissant, le Seigneur des armées est votre nom, vous êtes grand dans le conseil, incompréhensible à la pensée. On ne peut donc comprendre Dieu.

 

          Conclusion La lumière de la gloire qui illumine ceux qui voient l’essence divine n’étant pas infinie, il est impossible qu’un esprit créé la comprenne et la connaisse dans toute son étendue.

          Il faut répondre qu’il est impossible à un esprit créé de comprendre Dieu, mais que c’est un grand bonheur de l’atteindre par la pensée, de quelque manière que ce soit, comme dit saint Augustin (Serm. 38 de Verb. Domini, chap. 3). — Pour rendre cette proposition évidente il faut savoir qu’on ne comprend que ce qu’on connaît parfaitement, et qu’on ne connaît parfaitement une chose qu’autant qu’on connaît tout ce qui peut en être connu. Ainsi, quand on accepte sur des raisons probables ce qui peut être connu par une démonstration certaine, on ne comprend pas. Par exemple, quand on s’est convaincu, par une démonstration, que les trois angles d’un triangle égalent deux angles droits, on comprend cette proposition. Mais si on l’accepte parce qu’on l’a reçue d’hommes, savants, ou parce qu’on l’a entendu répéter par plusieurs, on ne la comprend pas, parce qu’on n’est pas arrivé à sa connaissance par le mode le plus parfait qu’on puisse employer pour la connaître. Or, il n’y a pas d’intelligence créée qui puisse s’élever au mode le plus parfait de connaître l’essence divine et tout ce qu’elle renferme. — En effet, tout être est susceptible d’être connu selon ce qu’il est en acte. Par conséquent Dieu, dont l’être est infini, comme nous l’avons prouvé (quest. 7, art. 2), est susceptible d’être connu infiniment. Or, aucun esprit créé ne peut avoir de Dieu une connaissance infinie. Suivant qu’il est plus ou moins éclairé de la lumière de la gloire, un esprit créé connaît plus ou moins parfaitement l’essence divine. Mais cette lumière de la gloire, par là même qu’elle est créée et qu’elle est reçue dans une intelligence qui est créée aussi, ne peut être infinie ; par conséquent, il est impossible qu’un esprit créé ait de Dieu une connaissance infinie et partant qu’il le comprenne.

 

Article 8 : Ceux qui voient Dieu dans son essence voient-ils tout en lui ?

 

          Objection N°1. Il semble que ceux qui voient Dieu dans son essence voient tout en lui. En effet, saint Grégoire dit (Dial., liv. 4, chap. 33) : Qu’est-ce que ne voient pas ceux qui voient celui qui voit tout ? Or, Dieu voit tout. Donc ceux qui le voient, voient tout.

          Réponse à l’objection N°1 : Les paroles de saint Grégoire ne s’appliquent qu’à la nature de l’objet, c’est-à-dire à Dieu, qui en lui-même renferme tout et peut tout faire connaître. Mais il ne suit pas de là que quiconque le voit connaisse tout, parce que celui qui le voit ne le comprend pas complètement.

 

          Objection N°2. Quiconque voit un miroir, voit les objets qui s’y reflètent. Or, tout ce qui existe ou peut exister se reflète en Dieu comme dans un miroir ; car il voit tout en lui. Donc quiconque voit Dieu, voit tout ce qui existe et tout ce qui peut exister.

          Réponse à l’objection N°2 : Il n’est pas nécessaire que celui qui voit un miroir voie tous les objets qui y sont représentés, à moins que sa vue n’embrasse le miroir tout entier.

 

          Objection N°3. Celui qui comprend ce qu’il y a de plus élevé, peut comprendre ce qui l’est moins. Or, tout ce que Dieu fait ou peut faire est moins élevé que son essence. Donc celui qui comprend Dieu peut comprendre tout ce que Dieu fait et tout ce qu’il peut faire.

          Réponse à l’objection N°3 : A la vérité, voir Dieu, c’est quelque chose de plus grand que de voir tout le reste ; mais voir Dieu et connaître en même temps tout ce qui est en lui, ce serait plus grand encore que de le voir et de ne connaître qu’une partie plus ou moins considérable des choses qui sont en lui. Or, nous avons prouvé, dans le corps de cet article, que le nombre des choses que l’on connaît en Dieu est en raison de la manière plus ou moins parfaite dont on voit son essence.

 

          Objection N°4. La créature raisonnable désire naturellement tout savoir. Si en voyant Dieu elle ne sait pas tout, son désir naturel ne sera pas satisfait. La vision de Dieu ne la rendra pas heureuse, ce qui répugne. Donc celui qui voit Dieu sait tout.

          Réponse à l’objection N°4 : La créature raisonnable a naturellement le désir de connaître tout ce qui perfectionne l’intelligence : tels sont les genres et les espèces des choses et leurs raisons d’être que verra en Dieu quiconque verra son essence. Mais il n’est pas de la perfection d’une intelligence créée de connaître tous les êtres en particulier, de savoir leurs pensées et leurs actions. Il ne lui importe pas davantage de connaître les possibles ; le désir naturel de science qui est en elle ne s’étend pas jusque-là. Même si elle ne voyait que Dieu, qui est la source et le principe de tout être et de toute vérité, son désir de savoir serait tellement rempli qu’elle ne chercherait rien autre chose et serait heureuse. C’est ce qui fait dire à saint Augustin (Conf., liv. 5, chap. 4) : O Dieu ! qu’il est malheureux, l’homme qui sait tout et qui cependant vous ignore ; mais qu’il est heureux, celui qui vous connaît, quand même il ignorerait tout le reste. Celui qui vous connaît et qui connaît aussi les autres choses, n’est pas plus heureux à cause d’elles ; il n’est heureux qu’à cause de vous.

 

          Mais c’est le contraire. En effet, les anges voient Dieu dans son essence, et cependant ils ne savent pas tout. Les anges inférieurs, comme dit saint Denis (Cælest. hierarch., chap. 7), sont éclairés par les anges supérieurs dont la lumière dissipe leur ignorance. Ils ne connaissent pas d’ailleurs les futurs contingents, ni les pensées de nos cœurs. Car il n’y a que Dieu qui sache ces choses. Donc ceux qui voient Dieu dans son essence, ne voient pas tout.

 

          Conclusion Par là même qu’aucun esprit créé, en voyant Dieu, ne le comprend, il ne peut pas voir en lui tout ce qu’il fait ou peut faire, mais il y voit plus ou moins de choses suivant qu’il voit son essence d’une manière plus ou moins imparfaite.

          Il faut répondre qu’un esprit créé, en voyant l’essence divine, ne voit pas en elle tout ce que Dieu fait et tout ce qu’il peut faire. En effet, il est évident qu’on voit en Dieu certaines choses selon qu’elles sont en lui. Mais pour toutes les autres choses elles sont en lui comme les effets sont virtuellement dans leur cause. C’est ainsi qu’on voit tout en Dieu, comme les effets dans la cause qui les produit. Or, il est manifeste qu’on voit d’autant plus d’effets dans une cause qu’on la connaît plus parfaitement. Car celui qui a une intelligence élevée tire sur-le-champ d’un seul principe démonstratif une foule de conséquences, ce que ne pourrait faire celui qui a peu d’esprit. Il a besoin qu’on lui explique une à une ces déductions. Pour voir dans la cause suprême tous les effets et toutes leurs raisons d’être, il faudrait donc comprendre totalement, absolument cette cause, ce que ne peut faire, comme nous l’avons vu (art. préc), aucun esprit créé. Donc en voyant Dieu il n’y a pas d’esprit créé qui puisse connaître tout ce que Dieu fait ou peut faire. Car ce serait comprendre sa puissance. Mais, parmi les choses que Dieu fait ou qu’il peut faire, une intelligence créée en connaît d’autant plus qu’elle voit plus parfaitement l’essence divine.

 

Article 9 : Ce que les bienheureux voient en Dieu le voient-ils par quelques ressemblances ?

 

          Objection N°1. Il semble que ce que les bienheureux voient en Dieu, ils le voient par des espèces ou ressemblances. En effet, dans toute connaissance, le sujet qui connaît s’assimile l’objet qui est connu. Ainsi l’intelligence en acte s’assimile l’objet qu’elle comprend, et le sens en acte s’assimile l’objet qu’il sent, de telle sorte que l’intelligence est affectée de l’image de l’objet qu’elle perçoit, et le sens reproduit l’image de l’objet qui l’a frappé, comme dans l’œil les couleurs se peignent sur la pupille. Donc, si l’intelligence de celui qui voit l’essence divine connaît en Dieu quelques créatures, il faut que leurs images se soient formées en elle.

          Réponse à l’objection N°1 : Celui qui voit Dieu s’assimile les choses qu’il connaît en lui par l’union de son esprit avec l’essence divine dans laquelle les images de toutes choses préexistent.

 

          Objection N°2. Nous conservons le souvenir des choses que nous avons vues. Or, saint Paul ayant vu dans un ravissement l’essence divine, s’est souvenu d’une foule de choses qu’il avait vues. Car il dit qu’il a entendu des secrets qu’il n’est pas permis à l’homme de découvrir (2 Cor., 12, 4). Il faut donc dire qu’il a conservé dans son esprit quelques images des choses qu’il s’est rappelées, et pour la même raison, quand il voyait l’essence de Dieu et qu’il lui était présent, il devait avoir une image ou une ressemblance des choses qu’il voyait en elles.

          Réponse à l’objection N°2 : Dans un esprit créé il y a des facultés qui peuvent, à l’aide des idées que l’esprit a d’abord conçues, former d’autres concepts. Ainsi, avec les idées de montagne et d’or, notre imagination forme l’image d’une montagne d’or. De même, l’intelligence se forme l’idée d’espèce d’après les idées préconçues du genre et de la différence. Nous pouvons également, après avoir vu la ressemblance d’une image, former en nous l’image de cette ressemblance. C’est ainsi que saint Paul ou tout autre peut, après avoir vu Dieu dans son essence, former en lui une image des choses qu’il y a vues. Ces images resteront en lui-même après qu’il aura cessé de voir Dieu. Cependant la vue qu’il en conservera au moyen des images qu’il s’en sera lui-même formées, n’est plus la même que celle qu’il en avait lorsqu’il les voyait immédiatement en Dieu.

 

          Mais c’est le contraire. En effet, on voit sous la même espèce le miroir et les choses qui s’y reflètent. Or, tout ce qu’on voit en Dieu on le voit comme dans un miroir intelligible. Par conséquent, puisqu’on ne voit pas Dieu par une image, mais par son essence, on ne voit pas non plus par des images ou des ressemblances les choses qu’on connaît en lui.

 

          Conclusion Ceux qui voient Dieu ne voient pas en lui les autres choses par des images ou ressemblances, ils les voient par l’essence divine qui est unie à leur esprit.

          Il faut répondre que ceux qui voient Dieu dans son essence, ne voient pas sous des espèces ou des images les choses qu’ils connaissent en lui, mais ils les voient par l’essence divine qui est unie à leur esprit. A la vérité un objet n’est connu qu’autant que sa ressemblance est dans le sujet qui le connaît ; mais ceci peut se faire de deux manières. D’après le principe que deux choses qui sont semblables à une même troisième sont semblables entre elles, la faculté de connaître peut s’assimiler de deux manières l’objet qui est à percevoir. D’abord elle le peut par elle-même, quand l’image de la chose se forme en elle directement. On dit alors que la chose est connue en elle-même. Ensuite l’objet peut être connu par l’intermédiaire d’un être qui lui ressemble. Dans ce cas la chose n’est pas connue en elle-même, mais dans son semblable. Car il y a une différence entre connaître un homme en lui-même et le connaître par quelqu’un qui nous en offrirait l’image. Ainsi, connaître les choses par des images qui existent dans notre esprit, c’est les connaître en elles-mêmes ou dans leurs propres natures ; mais les connaître d’après leurs images qui préexistent en Dieu, c’est les voir en Dieu. Ces deux sortes de connaissances sont différentes l’une de l’autre. D’où nous concluons que d’après la connaissance qu’ont des choses les bienheureux ils ne les voient point par des images, mais par la seule essence divine qui est présente à leur esprit et qui leur fait voir Dieu lui-même.

 

Article 10 : Ceux qui voient Dieu dans son essence voient-ils tout à la fois d’une seule vue toutes les choses qui sont en lui ?

 

          Objection N°1. Il semble que tous ceux qui voient Dieu dans son essence ne voient pas tout à la fois et d’une seule vue toutes les choses qu’ils voient en lui. Car, comme le dit Aristote (Top., liv. 2, chap. 4), l’objet de la science est multiple, celui de l’intelligence est un. Or, ce qu’on voit en Dieu on le comprend, puisque c’est par l’intelligence qu’on voit Dieu lui-même. Donc ceux qui voient Dieu ne peuvent pas voir simultanément en lui beaucoup de choses.

          Réponse à l’objection N°1 : L’objet de l’intelligence n’est un qu’autant qu’il se rapporte à une seule espèce. Ainsi dans une espèce nous pouvons comprendre simultanément plusieurs choses. C’est ainsi que dans l’homme nous comprenons qu’il y a l’animal et l’être raisonnable, et dans une maison des murs et un toit.

 

          Objection N°2. Saint Augustin dit (Sup. Gen. ad litt., liv. 8, chap. 22) que Dieu meut les créatures spirituelles dans le temps (Saint Augustin fonde ici la distinction des créatures spirituelles et des créatures temporelles sur ce que les corps sont mus dans le temps et dans l’espace, tandis que les esprits ne sont mus que dans le temps.), c’est-à-dire par l’intelligence et la volonté. Or, l’ange qui voit Dieu est une créature spirituelle. Donc, dans ceux qui voient Dieu, les actes de l’intelligence et de la volonté sont successifs ; car le temps suppose nécessairement une succession.

          Réponse à l’objection N°2 : Les anges connaissent naturellement les choses sous leurs formes diverses, et sous ce rapport la connaissance qu’ils en ont n’est pas simultanée. C’est dans ce sens que Dieu les meut dans le temps par l’intelligence. Mais si l’on veut parler de la manière dont ils voient les choses en Dieu, il faut reconnaître qu’ils les voient simultanément.

 

          Mais c’est le contraire. Saint Augustin dit lui-même (De Trin., liv. 25, chap. 16) : Nos pensées ne seront plus mobiles, allant d’une chose à une autre et revenant sur elles-mêmes ; nous verrons d’une seule et même vue tout ce que nous saurons.

 

          Conclusion Tout ce qu’on voit dans le verbe de Dieu, on le voit nécessairement, non pas d’une manière successive, mais d’une manière simultanée.

          Il faut répondre que ce qu’on voit dans le verbe de Dieu se voit non successivement, mais simultanément. En effet, ce qui nous empêche aujourd’hui de comprendre beaucoup de choses à la fois, c’est que nous les voyons sous des formes diverses. L’intelligence ne peut pas plus embrasser d’une seule vue toute cette multitude de formes diverses, qu’un corps ne peut recevoir en même temps plusieurs figures différentes. D’où il arrive que quand plusieurs choses peuvent être réduites à une seule et même espèce, nous les comprenons simultanément. Ainsi nous comprenons successivement les diverses parties d’un tout quand chacune d’elles s’offre à notre esprit sous une forme particulière ; mais nous les comprenons simultanément quand elles ne font qu’une seule et même espèce avec le tout. Or, nous avons démontré (art. préc.) que ce qu’on voit en Dieu, on ne le voit point par des images propres à chaque chose, mais on voit tout dans son essence qui est une ; par conséquent on voit tout simultanément et non successivement.

 

Article 11 : Dès cette vie peut-on voir Dieu dans son essence ?

 

          Objection N°1. Il semble que dès cette vie on puisse voir Dieu dans son essence. Car Jacob dit : J’ai vu Dieu face à face (Gen., 32, 30). Or, voir Dieu face à face, c’est le voir dans son essence, d’après ces paroles de saint Paul : Nous le voyons maintenant comme dans un miroir et en énigme, mais nous le verrons alors face à face (1 Cor., 13, 12). Donc on peut voir Dieu dans son essence dès cette vie.

          Réponse à l’objection N°1 : D’après saint Denis (De cælest. hier., chap. 4), les Ecritures disent que certains personnages ont vu Dieu, dans le sens qu’ils s’en sont formé une image sensible ou imaginaire représentant de quelque manière la Divinité. Ainsi, quand Jacob dit : J’ai vu Dieu face à face, cette parole doit s’entendre non de l’essence divine elle-même, mais de la ressemblance qu’il s’en est faite. D’ailleurs il appartient à l’esprit prophétique de voir Dieu par l’imagination et de s’entretenir avec lui ; c’est ce que nous verrons plus loin en traitant des degrés de prophétie (2a 2æ, quest. 174). Peut-être Jacob a-t-il voulu, par les paroles que nous avons citées, dire seulement qu’il avait vu Dieu d’une manière plus élevée qu’on ne le voit ordinairement.

 

          Objection N°2. Le Seigneur dit de Moïse : Je lui parle bouche à bouche (Nom., 12, 18). Or, celui qui parle à Dieu bouche à bouche, qui le voit clairement, non en énigmes et en figures, le voit véritablement dans son essence. Donc on peut voir Dieu dans son essence dès ici-bas.

          Réponse à l’objection N°2 : Comme Dieu produit miraculeusement quelque chose de surnaturel dans le monde matériel, de même, dans l’ordre des intelligences, il agit aussi quelquefois miraculeusement sur les esprits de ceux qui sont encore dans cette chair, au point qu’il les prive pour un instant de leurs sens et les élève jusqu’à la vision de son essence. Il en a été ainsi de Moïse qui fut le maître des Juifs, ainsi que de saint Paul qui fut le maître des Gentils. Mais nous en parlerons plus longuement lorsque nous traiterons de son ravissement (2a 2æ, quest. 175, art. 3).

 

          Objection N°3. Celui en qui nous connaissons toutes choses et par qui nous portons tous nos jugements, nous est connu en lui-même. Or, nous connaissons ainsi dès ce monde tout en Dieu. Car saint Augustin dit (Conf., liv. 12, chap. 25) : Si nous voyons tous deux que ce que vous dites est vrai, et si nous voyons tous deux que ce que je dis est vrai aussi, en qui, je vous le demande, le voyons-nous ? Je ne le vois pas en vous, vous ne le voyez pas en moi, mais nous le voyons tous deux dans la vérité immuable qui est au-dessus de nos intelligences. Il dit également, dans son livre de la Vraie religion (chap. 31) : Nous jugeons de tout d’après la vérité divine. Et ailleurs (De Trin., liv. 2, chap. 2) il dit encore que la raison juge des choses corporelles d’après les idées éternelles, qui ne seraient pas telles assurément si elles n’étaient supérieures à notre intelligence. Donc dès cette vie nous voyons Dieu lui-même.

          Réponse à l’objection N°3 : On dit que nous voyons tout en Dieu et que nous jugeons de tout par lui dans le sens que nous recevons de lui la lumière qui nous permet de connaître et de juger. Car notre raison naturelle n’est qu’un rayon de la lumière divine, et nous disons que nous voyons et que nous jugeons tout en Dieu, comme nous disons que nous voyons et que nous jugeons toutes les choses sensibles dans le soleil, parce que c’est sa lumière qui nous éclaire. C’est ce qui fait dire à saint Augustin, dans son premier livre des Soliloques (chap. 8), qu’on ne peut voir les objets des sciences qu’autant qu’ils sont éclairés de la lumière divine, et que Dieu est pour eux ce que le soleil est pour les choses matérielles. Donc, comme pour voir les choses sensibles il n’est pas nécessaire de voir la substance du soleil, de même, pour voir les choses intelligibles il n’est pas nécessaire de voir l’essence de Dieu.

 

          Objection N°4. D’après saint Augustin (Sup. Gen. ad litt., liv. 12, chap. 25), nous voyons par la vision intellectuelle les choses qui sont dans l’âme par leur essence. Or, la vision intellectuelle a pour objet les choses qui sont intelligibles non par leurs ressemblances, mais par leurs essences, comme le dit au même endroit l’illustre docteur. Donc, Dieu étant dans notre âme par son essence, nous l’y voyons de cette manière.

          Réponse à l’objection N°4 : La vision intellectuelle a pour objet les choses qui sont dans l’âme par leur essence aussi bien que les choses intelligibles sont dans notre entendement. Or, Dieu est ainsi dans l’âme des bienheureux, mais il n’en pas de la sorte dans notre âme ; il y est seulement par sa présence, son essence et sa puissance.

 

          Mais c’est le contraire. Il est dit dans l’Exode : L’homme ne me verra pas tant qu’il vivra (33, 20). La glose (La glose ordinaire que saint Thomas cite ici fut commencée par Walafrède Strabon, retouchée et augmentée par Anselme de Laon et Nicolas de Lire, qui y firent mettre ce qu’ils trouvèrent dans les Pères de plus propre à leur dessein. Cette glose faisait autorité dans l’école ; et, pendant plus de six cents ans, il n’y eut pas d’explication de l’Ecriture sainte qui fut plus célèbre.) commente ainsi ces paroles : Tant que l’homme est sur cette terre, il peut voir Dieu par des images, mais non dans son essence.

 

          Conclusion Dieu ne peut être vu dans son essence, dès cette vie, par un simple mortel.

          Il faut répondre qu’il est impossible à un simple mortel de voir Dieu dans son essence, s’il n’est dépouillé de son enveloppe terrestre. Car, comme nous l’avons déjà dit (art. 4), la manière de connaître est toujours en rapport avec la manière d’être du sujet qui connaît. Ainsi, notre âme étant ici-bas unie au corps ne peut connaître naturellement que ce qui a sa forme dans la matière ou que ce qui peut être connu par des objets de cette nature. Or, il est évident que l’essence divine ne peut être connue au moyen des choses matérielles. Car nous avons démontré (art. 1 et 9) que la connaissance de Dieu que l’on obtient par une image créée n’est pas la vision de son essence. Il est donc impossible à l’âme humaine de voir l’essence de Dieu dans cette vie. Une preuve de ceci, c’est que notre âme est d’autant plus capable de saisir l’abstrait et l’intelligible qu’elle est plus détachée des choses corporelles. Ainsi, en songe, lorsqu’elle est plus libre des sens, elle perçoit mieux les révélations divines et les présages de l’avenir. Ceci nous aide à comprendre pourquoi, tant qu’elle est dans les liens de ce corps mortel, elle ne peut s’élever à ce qu’il y a de plus élevé dans les choses intelligibles, c’est-à-dire à l’essence divine.

 

Article 12 : Pouvons-nous connaître Dieu en cette vie par la raison naturelle ?

 

          Objection N°1. Il semble que nous ne puissions connaître Dieu en cette vie par la raison naturelle. Car Boëce dit dans son livre de la Consolation (liv. 5, pros. 4) que la raison ne perçoit pas les formes simples. Or, Dieu est une forme absolument simple. Donc la raison est incapable de le connaître.

          Réponse à l’objection N°1 : La raison ne peut comprendre une forme simple et savoir ce qu’elle est, mais elle peut savoir si elle existe ou n’existe pas.

 

          Objection N°2. L’âme ne comprend rien rationnellement, sinon par des images, comme le démontre Aristote (De an., liv. 3, text. 30). Or, Dieu étant incorporel, ne peut être représenté en nous par une image. Donc on ne peut le connaître rationnellement.

          Réponse à l’objection N°2 : Dieu est connu naturellement parles images que présentent ses effets.

 

          Objection N°3. La connaissance, qui a pour principe la raison naturelle, est commune, aussi bien que la nature, aux bons et aux méchants : or, les bons seuls connaissent Dieu ; car saint Augustin dit (De Trin., liv. 1, chap. 2) que l’esprit humain ne s’élève à cette lumière supérieure qu’autant qu’il est soutenu et fortifié par la justice de la foi. Donc on ne peut connaître Dieu par la raison naturelle.

          Réponse à l’objection N°3 : La connaissance de Dieu dans son essence étant l’effet de la grâce, ne convient qu’aux bons, mais que sa connaissance par les lumières naturelles convient aux bons et aux méchants. C’est ce que dit saint Augustin dans son livre des Rétractations (liv. 1, chap. 4) : Je n’approuve pas ce que j’ai dit : que Dieu n’a voulu faire connaître sa vérité qu’à ceux qui sont saints ; car on peut me répondre qu’il y en a beaucoup qui ne sont pas purs et qui savent cependant une foule de vérités qu’ils ont apprises par les lumières naturelles de la raison.

 

          Mais c’est le contraire. Car saint Paul dit des gentils qu’ils ont connu de Dieu ce qu’ils en ont découvert : ce que l’on connaît de Dieu est manifeste pour eux (Rom., 1, 19), c’est-à-dire, ils ont connu de Dieu ce qu’on en peut connaître par la raison naturelle.

 

          Conclusion Nous pouvons par les lumières naturelles connaître Dieu dès cette vie, comme la cause première et suréminente de toutes choses, mais non tel qu’il est en lui-même.

          Il faut répondre que notre connaissance naturelle tire son origine des sens, et qu’elle ne peut, par conséquent, s’étendre au-delà de la sphère des choses sensibles. Or, les choses sensibles ne peuvent élever notre intelligence jusqu’à la vue de l’essence divine, parce que les créatures sensibles sont des effets de la puissance de Dieu qui ne sont pas adéquats à leur cause. On ne peut donc, d’après la connaissance des choses sensibles, connaître toute la vertu de Dieu, ni, par conséquent, voir son essence. Mais comme ces effets sont dépendants de leur cause, ils peuvent nous faire connaître si Dieu existe ou s’il n’existe pas, et nous instruire de ce qui lui est absolument essentiel en tant que cause première de toutes choses, surpassant infiniment tout ce qu’il a produit. Par là, nous connaissons le rapport qu’il y a entre lui et toutes les créatures, c’est-à-dire qu’il est la cause de tous les êtres ; nous savons aussi la différence qu’il y a entre les créatures et lui, c’est-à-dire que nous savons qu’il n’est rien de ce que sont les créatures qu’il a produites ; enfin, nous connaissons que si des créatures à lui il y a une si grande distance, ce n’est point parce qu’il est au-dessous, mais parce qu’il est au-dessus d’elles.

 

Article 13 : A-t-on par la grâce une plus grande connaissance de Dieu que par la raison naturelle ?

 

          Objection N°1. Il semble que par la grâce on n’ait pas de Dieu une connaissance plus élevée que par la raison naturelle. Car saint Denis dit (De myst. theol., liv. 1, chap. 1) : Que celui qui est le plus intimement uni à Dieu dans cette vie, lui est uni comme à quelque chose d’absolument inconnu. C’est aussi ce qu’il dit de Moïse, qui a tout particulièrement été éclairé par la grâce divine. Or, la raison naturelle nous unit aussi à Dieu en nous laissant ignorer ce qu’il est. Donc nous ne connaissons pas Dieu plus pleinement par la grâce que par la raison naturelle.

          Réponse à l’objection N°1 : Quoique par la révélation de la grâce nous ne sachions pas en cette vie ce qu’est Dieu et que nous lui soyons unis comme à un être inconnu, cependant nous le connaissons plus pleinement que par la raison, parce que nous connaissons un plus grand nombre de ses œuvres et de plus excellentes, et parce que la révélation nous apprend de lui ce que la raison ne peut découvrir, par exemple, qu’il est un et qu’il y a en lui trois personnes.

 

          Objection N°2. La raison naturelle ne peut nous faire arriver à la connaissance de Dieu que par des images. Or, la grâce ne peut nous y conduire autrement, car saint Denis dit (De cælest. hier., chap. 1) qu’il nous est impossible de voir Dieu autrement que voilé sous la variété de mystérieux symboles. Donc nous ne connaissons pas Dieu plus pleinement par la grâce que par la raison.

          Réponse à l’objection N°2 : D’après les images que l’esprit reçoit des sens selon l’ordre naturel, ou que la grâce forme dans l’imagination naturellement, la connaissance intellectuelle est d’autant plus parfaite que la lumière qui éclaire l’entendement humain est plus abondante. Ainsi, la révélation en répandant en nous la lumière divine perfectionne la connaissance que nous ayons de Dieu.

 

          Objection N°3. C’est la grâce de la foi qui élève notre intelligence à Dieu. Or, il semble que la foi ne soit pas une connaissance. Car saint Grégoire dit (Hom. 26 in Ev.) que nous avons la foi des choses qu’on ne voit pas, mais que nous n’en avons pas la connaissance. Donc la grâce ne nous donne pas une connaissance plus parfaite de Dieu.

          Réponse à l’objection N°3 : La foi est une connaissance dans le sens qu’elle dirige l’intelligence sur un objet qui est à connaître. Mais la connaissance de cet objet ne résulte pas de la vision de celui qui croit, elle résulte seulement de la vision de celui en qui il croit. Dans ce sens, il n’y a pas vision proprement dite, il n’y a pas non plus cette sorte de connaissance qui est le fruit de la science. Car la science fait voir à l’intelligence l’objet qu’elle perçoit avec la même évidence que les premiers principes.

 

          Mais c’est le contraire. Saint Paul dit : Dieu nous a révélé par son esprit des choses qu’aucun des princes de ce siècle ne connaît (1 Cor., 2, 10). Et la glose entend par les princes de ce siècle, les philosophes.

 

          Conclusion La connaissance de Dieu que nous avons en cette vie par la grâce est plus parfaite que celle qui nous vient de la raison naturelle.

          Il faut répondre que la grâce nous donne de Dieu une connaissance plus parfaite que la raison naturelle. En effet, la connaissance que nous acquérons par la raison naturelle exige deux choses : 1° des images provenant des choses sensible ; 2° la lumière naturelle de l’intelligence par laquelle nous abstrayons de ces images des conceptions intellectuelles. — Or, sous ce double rapport, la révélation de la grâce est un secours pour l’intelligence humaine. Car la lumière qu’elle répand gratuitement en nous, fortifie la lumière naturelle de notre entendement, et les images qu’elle forme divinement dans notre imagination expriment mieux les choses divines que celles que nous pouvons recevoir naturellement des objets sensibles, comme on le voit par les visions des prophètes. Quelquefois même il y a des choses sensibles, et il y a des paroles que Dieu forme lui-même pour exprimer quelque mystère divin. C’est ainsi que dans le baptême de Jésus-Christ, on a vu l’Esprit-Saint sous la forme d’une colombe, et on a entendu la voix du Père qui disait : Celui-ci est mon Fils bien-aimé (Matth., 3, 17).

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.