Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

1a = Prima Pars = Première Partie

Question 25 : De la puissance de Dieu

 

          Après avoir parlé de la prescience de Dieu, de sa volonté et des choses qui s’y rapportent, il nous reste à traiter de sa puissance. A cet égard six questions se présentent : 1° Y a-t-il en Dieu puissance ? (David de Dinant avait prétendu que Dieu était la matière première, c’est-à-dire une puissance passive. Saint Thomas le réfute dans cet article.) — 2° Sa puissance est-elle infinie ? (Wiclef ayant admis que Dieu agissait par la nécessité de sa nature, fut obligé de regarder la création comme la mesure de sa puissance. Et, comme la création n’est pas infinie, il s’ensuivait que la puissance de Dieu ne l’est pas non plus. Cet article est une réfutation de cette erreur.) — 3° Dieu est-il tout-puissant ? (Cet article est une réfutation des bézanites, qui disaient que Dieu n’est pas tout-puissant, et du rabbin Moïse, qui prétendait qu’il y a des choses que Dieu ne peut faire, par exemple un accident sans sujet.) — 4° Peut-il faire que ce qui a existé n’ait pas existé ? (Cette question revient à celle-ci : Dieu peut-il faire des choses contradictoires ? Elle rentre par conséquent dans la question précédente.) — 5° Peut-il faire ce qu’il ne fait pas ou ne pas faire ce qu’il fait ? (Cette question se rattache au libre arbitre de Dieu, comme saint Thomas le fait remarquer.) — 6° Pourrait-il faire des choses meilleures que celles qu’il fait ? (L’optimisme moderne diffère du sentiment d’Abeilard, que saint Thomas combat ici. Cependant, malgré cette différence, il est probable que saint Thomas eût été loin de l’admettre.)

 

Article 1 : La puissance est-elle un attribut de Dieu ?

 

          Objection N°1. Il semble que la puissance ne soit pas un attribut de Dieu. Car Dieu qui est l’agent premier est à l’acte ce que la matière première est à la puissance. Or, la matière première considérée en elle-même est absolument sans acte. Donc Dieu est pareillement sans puissance.

          Réponse à l’objection N°1 : La puissance active ne se divise pas par opposition à l’acte (Potentia activa non dividitur contra actum. Dans l’être, Aristote distingue l’acte et la puissance ; ces deux choses sont corrélatives : l’acte est l’être existant, la puissance est la possibilité de recevoir l’être, et par conséquent la passivité. Ainsi, l’acte a pour terme corrélatif la puissance passive et non la puissance active, et c’est la distinction que saint Thomas fait ici valoir.), mais elle repose sur lui. Car tout être agit selon qu’il est en acte. Mais la puissance passive se divise par opposition à l’acte ; car tout être pâtit selon qu’il est en puissance. Par conséquent cette puissance n’existe pas en Dieu, mais il n’en est pas de même de la puissance active.

 

          Objection N°2. D’après Aristote (Met., liv. 9, text. 19), l’acte vaut mieux que la puissance qui le produit. Car la forme vaut mieux que la matière, et l’action est meilleure que la puissance active puisqu’elle est sa fin. Or, il n’y a rien de meilleur que ce qui est en Dieu, puisque tout ce qui est en lui c’est lui-même, comme nous l’avons démontré (quest. 3, art. 3). Donc il n’y a pas de puissance en Dieu.

          Réponse à l’objection N°2 : Quand l’acte est autre que la puissance, il faut qu’il soit plus noble qu’elle. Or, l’action de Dieu n’est pas autre chose que sa puissance, puisqu’elles sont l’une et l’autre son essence, et qu’en Dieu l’être ne diffère pas de l’essence. Donc il n’est pas nécessaire d’admettre en lui quelque chose de plus noble que sa puissance.

 

          Objection N°3. La puissance est le principe de l’opération. Or, l’opération de Dieu est son essence, puisqu’il n’y a pas on lui d’accidents, et son essence n’a pas de principe. Donc il n’y a en lui aucune puissance.

          Réponse à l’objection N°3 : Dans les choses créées la puissance n’est pas seulement le principe de l’action, mais elle est encore le principe de l’effet. Ainsi en Dieu la puissance existe comme principe de l’effet, mais non comme principe de l’action qui est l’essence divine, à moins que par hasard, d’après notre manière de comprendre, par là même que l’essence divine renferme tout ce qu’il y a de perfection dans les créatures on ne puisse lui attribuer l’action et la puissance, comme on lui attribue la nature et le suppôt qui la possède. Par conséquent la puissance existe en Dieu comme le principe de l’effet (Ainsi, en Dieu la puissance n’est en réalité que le principe des effets qu’elle produit, tandis que dans les créatures elle est tout à la fois le principe de l’effet et de l’action.).

 

          Objection N°4. Nous avons prouvé (quest. 14, art. 8) que la science de Dieu et sa volonté sont la cause des êtres. Or, la cause et le principe sont une seule et même chose. Donc il ne faut pas reconnaître en Dieu de puissance, il suffit d’admettre sa science et sa volonté.

          Réponse à l’objection N°4 : On ne regarde pas la puissance de Dieu comme quelque chose qui diffère en réalité de sa science et de sa volonté. Elle n’en est distincte que selon notre manière de concevoir, en ce sens que la puissance désigne la raison d’un principe qui exécute ce que la volonté commande et ce que la science indique, comme le but vers lequel on doit tendre. Ces trois choses conviennent par là même également à Dieu. — On peut encore répondre que la science ou la volonté, en tant que principe efficient, est une sorte de puissance. Mais en Dieu la science et la volonté précèdent la puissance, comme la cause précède l’opération et l’effet.

 

          Mais c’est le contraire. Car il est dit (Ps. 88, 9) : Vous êtes puissant, Seigneur, et votre vérité est autour de vous.

 

          Conclusion Puisque Dieu est un acte pur et qu’il est infiniment parfait, il faut reconnaître en lui un principe essentiellement actif et par conséquent une puissance qui agit toujours, mais non une puissance passive.

          Il faut répondre qu’il y a deux sortes de puissance, l’une passive qui n’est d’aucune manière en Dieu, l’autre active qu’il possède au degré le plus élevé. Car il est évident que la perfection d’un être est toujours proportionnée à son activité, et son imperfection à sa passivité. Or, nous avons prouvé (quest. 2, art. 3 ; quest. 4, art. 1 et 2) que Dieu est un acte pur, qu’il est simple et infiniment parfait, et qu’il n’y a pas lieu de supposer en lui la moindre imperfection. Par conséquent, nous devons reconnaître qu’il est un principe essentiellement actif et qu’il n’y a en lui aucune sorte de passivité. Or, la nature du principe actif convient à la puissance active. Car la puissance active est le pouvoir qu’a un être d’agir sur un autre, tandis que la puissance passive est la faculté de recevoir ou de subir l’action des autres êtres, comme le dit Aristote (Met., liv. 5, text. 17). Donc il faut reconnaître en Dieu la puissance active au degré le plus élevé.

 

Article 2 : La puissance de Dieu est-elle infinie ?

 

          Objection N°1. Il semble que la puissance de Dieu ne soit pas infinie. Car tout ce qui est infini est imparfait, d’après Aristote (Phys., liv. 3, text. 63). Or, la puissance de Dieu n’est pas imparfaite. Donc elle n’est pas infinie.

          Réponse à l’objection N°1 : Aristote parle de l’infini qui se rapporte à la matière selon qu’elle n’est pas limitée, terminée par une forme. Cette sorte d’infini est l’infini potentiel qui convient à la quantité. Mais ce n’est pas dans ce sens qu’il faut entendre l’infinité de l’essence de Dieu (quest. 7, art. 1), ni l’infinité de sa puissance (L’infini se prend ici d’une manière absolue.). Donc il ne suit pas de là que sa puissance soit imparfaite.

 

          Objection N°2. Toute puissance se manifeste par un effet, autrement elle serait vaine. Donc si la puissance de Dieu était infinie elle pourrait produire un effet infini, ce qui est impossible.

          Réponse à l’objection N°2 : La puissance d’un agent qui est de même nature que l’être qu’il produit se manifeste tout entière dans son effet. Ainsi, dans l’homme, la puissance d’engendrer se borne à produire son semblable, mais elle ne va pas au-delà. Mais la puissance d’un agent qui n’est pas de même nature que l’être qu’il produit ne se manifeste pas tout entière dans la production de son effet. Ainsi la puissance du soleil ne se manifeste pas tout entière dans la production d’un animal engendré par la putréfaction. Or, il est évident que Dieu n’est pas un agent de même nature que ses créatures. Car il n’y a rien qui soit de même espèce, ni de même genre que lui, comme nous l’avons vu (quest. 3, art. 5 ; quest. 4, art. 3). Par conséquent l’effet qu’il produit est toujours inférieur à sa puissance. Il n’est donc pas nécessaire que la puissance de Dieu se manifeste tout entière dans ses effets, et qu’elle produise des effets infinis. Au reste, quand la puissance de Dieu ne produirait aucun effet, elle ne serait pas vaine pour cela, parce qu’il n’y a de vain que les êtres qui n’atteignent pas la fin pour laquelle ils ont été créés. Or, la puissance de Dieu ne se rapporte pas à l’effet qu’elle produit comme à sa fin, elle est plutôt elle-même la fin de ses effets.

 

          Objection N°3. Aristote prouve (Phys., liv. 8, text. 79) que si la puissance d’un corps était infinie, le mouvement qui en résulterait serait instantané. Or, Dieu ne meut pas les êtres instantanément, mais il agit sur la créature spirituelle dans le temps, et sur la créature corporelle dans le temps et dans l’espace, d’après saint Augustin (Sup. Gen., liv. 8, chap. 20 et 22). Donc sa puissance n’est pas infinie.

          Réponse à l’objection N°3 : Aristote (Phys., liv. 8, text. 79) prouve à la vérité que si un corps avait une puissance infinie, il communiquerait le mouvement instantanément. Mais il montre aussi que la puissance du moteur céleste est infinie, parce qu’il peut communiquer le mouvement pendant un temps infini. Il faut donc reconnaître que dans sa pensée la puissance infinie d’un corps, si elle existait, communiquerait un mouvement éternel, mais qu’il n’en est pas de même de la puissance d’un moteur incorporel. Le motif de cette différence c’est qu’un corps qui en meut un autre est un agent univoque, c’est-à-dire de même nature que l’être sur lequel il agit. Dans ce cas toute la puissance de l’agent devrait se manifester dans le mouvement qu’il imprime. Car plus la puissance du moteur est grande, plus rapide est le mouvement qu’il communique. Il est donc nécessaire d’admettre que si la puissance du moteur est infinie, la rapidité du mouvement échappera à tous les calculs et ne pourra plus être soumise aux conditions du temps. Mais un moteur spirituel n’est pas un agent de même nature que l’effet qu’il produit. Par conséquent il n’est pas nécessaire que toute sa vertu se déploie dans le mouvement qu’il imprime de telle sorte que le mouvement soit absolument instantané ; surtout quand on considère qu’il ne communique le mouvement qu’en raison des dispositions de sa volonté (C’est en effet la liberté de Dieu qui nous permet d’échapper au raisonnement d’Aristote. Car si Dieu agissait d’après la nécessité de sa nature, il agirait selon toute l’étendue de son être et de sa puissance, et il n’y aurait rien à répondre à cet argument.).

 

          Mais c’est le contraire. Car, dit saint Hilaire (De Trin., liv. 8), Dieu est une puissance vivante d’une vertu immense. Or, tout ce qui est immense est infini. Donc la puissance de Dieu est infinie.

 

          Conclusion L’être de Dieu étant infini, sa puissance active l’est aussi.

          Il faut répondre que la puissance active existe en Dieu selon qu’il est en acte. Or, son être est infini, puisque, comme nous l’avons dit en traitant de l’infinité de son essence (quest. 7, art. 1), il ne peut être limité par rien. Il est donc nécessaire d’admettre que sa puissance active l’est aussi. D’ailleurs, tout agent a d’autant plus de puissance dans son action, que la forme par laquelle il agit est plus parfaite. C’est ainsi qu’un corps est d’autant plus propre à échauffer qu’il est lui-même plus chaud, de telle sorte qu’il aurait une puissance infinie de chauffer si sa chaleur était infinie. Or, puisque l’essence de Dieu par laquelle il agit est infinie, comme nous l’avons prouvé (quest. 7, art. I), il s’ensuit que sa puissance l’est aussi.

 

Article 3 : Dieu est-il tout-puissant ?

 

          Objection N°1. Il semble que Dieu ne soit pas tout-puissant. Car tous les êtres peuvent être mus et subir l’action d’un autre être. Or, Dieu ne peut pas être mû, puisqu’il est immobile, comme nous l’avons prouvé (quest. 9, art. 1), et il ne peut être passif. Donc il n’est pas tout-puissant.

          Réponse à l’objection N°1 : La toute-puissance de Dieu s’entend de sa puissance active et non de sa puissance passive (art. 1). Il ne répugne donc pas qu’il ne puisse être mû, ni souffrir.

 

          Objection N°2. Pécher c’est faire quelque chose. Or, Dieu ne peut pas pécher, ni se nier lui-même (2 Tim., chap. 2). Donc Dieu n’est pas tout-puissant.

          Réponse à l’objection N°2 : Pécher c’est s’éloigner de la perfection de l’action, et la possibilité de pécher n’est que la possibilité de faillir en agissant, ce qui répugne à la toute-puissance. C’est pour cela que Dieu qui est tout-puissant ne peut pécher. A la vérité Aristote dit (Top., liv. 4, chap. 3) que Dieu peut faire des choses mauvaises. Mais il fait de cela une proposition conditionnelle dont l’antécédent est impossible. C’est comme si l’on disait que Dieu, s’il le voulait, pourrait faire le mal. On peut admettre comme vraie une proposition conditionnelle dont l’antécédent et le conséquent sont l’un et l’autre impossibles. Ainsi on pourrait dire : Si l’homme est un âne, il a quatre pieds. On peut encore entendre par là que Dieu peut faire des choses qui nous semblent mauvaises, mais qui deviendraient bonnes du moment où il les ferait. Ou encore, Aristote a parlé dans cet endroit d’après le sentiment général des gentils qui faisaient des hommes des dieux, comme Jupiter, Mercure, etc. (Et qui leur prêtaient par là même les défauts des hommes.).

 

          Objection N°3. On dit de Dieu qu’il manifeste sa toute-puissance surtout en pardonnant et en exerçant sa miséricorde. Le dernier degré de sa puissance c’est donc de pardonner et d’être miséricordieux. Cependant il y a quelque chose de plus grand que ces actes, par exemple, de créer un autre monde ou faire quelque chose de semblable. Donc Dieu n’est pas tout-puissant.

          Réponse à l’objection N°3 : La toute-puissance de Dieu se manifeste surtout en pardonnant et en exerçant sa miséricorde, parce que Dieu montre par là sa souveraine puissance en remettant librement les péchés. Car celui qui est soumis à la loi n’a pas le droit d’en exempter les autres. On peut dire en second lieu que, par sa miséricorde et son pardon, Dieu met les hommes en participation du bien infini qui est l’effet le plus élevé de sa puissance. Ou encore que, comme nous l’avons dit (quest. 31, art. 4), l’effet de la miséricorde de Dieu est le fondement de toutes ses œuvres. Car il n’est rien dû à un être qu’en raison de ce qu’il a reçu de Dieu d’abord gratuitement, et la toute-puissance divine se révèle surtout dans cet acte de miséricorde, puisqu’il est la source de tous les biens qu’il accorde à ses créatures.

 

          Objection N°4. A propos de ces paroles de saint Paul (1 Cor., chap. 1) : Dieu a montré que la sagesse de ce monde était folie, la glose dit que Dieu a fait voir que la sagesse de ce monde était folie en prouvant que ce qu’elle jugeait impossible est réellement possible. D’où l’on voit qu’il ne faut pas juger de la possibilité ou de l’impossibilité d’une chose d’après les causes secondes, comme le fait la sagesse du siècle, mais qu’il faut en juger d’après la puissance de Dieu. Donc, si Dieu est tout-puissant, tout est possible et rien n’est impossible. Si rien n’est impossible il n’y a plus rien de nécessaire. Car ce qui est nécessaire c’est ce qui ne peut pas ne pas être. Il n’y aura donc plus rien de nécessaire si Dieu est tout-puissant, ce qui répugne. Donc il ne l’est pas.

          Réponse à l’objection N°4 : Le possible absolu ne se considère ni par rapport aux causes supérieures, ni par rapport aux causes inférieures, mais en lui-même. Ce qui est possible par rapporta une puissance quelconque est ainsi appelé relativement à la cause prochaine qui doit le réaliser. Ainsi, ce que Dieu seul peut faire immédiatement, comme créer, remettre les péchés, etc., on dit que ces choses sont possibles à la cause supérieure dont elles dépendent. Ce que les causes inférieures peuvent faire on le dit possible par rapport à elles. Car l’effet emprunte son caractère de contingence ou de nécessité à la cause prochaine qui le produit, comme nous l’avons dit (quest. 14, art. 13). Ce qui a fait appeler folie la sagesse du monde, c’est qu’elle considérait comme impossible à Dieu ce qui est impossible à la nature. D’après ce que nous venons de dire, il est évident que la toute-puissance de Dieu n’empêche pas qu’il y ait des choses nécessaires, et qu’il y en ait d’impossibles (La toute-puissance de Dieu ne peut rien, par conséquent, sur l’essence des choses, et saint Thomas se trouve ici en opposition avec le sentiment de quelques cartésiens.).

 

          Mais c’est le contraire. Car, dit saint Luc, aucune parole n’est impossible à Dieu (Luc. 1, 37).

 

          Conclusion Dieu pouvant faire tout ce qui peut exister, on dit avec raison qu’il est tout-puissant quoiqu’il ne puisse pas faire ce qui implique contradiction.

          Il faut répondre qu’en général tout le monde avoue que Dieu est tout-puissant, mais qu’il semble difficile d’assigner en quoi consiste sa toute-puissance. Car on peut être incertain sur l’étendue du sens qu’il faut donner à cette proposition : Dieu peut tout. Mais si on voit bien la chose à fond, puisque le mot puissance se rapporte au mot possible, quand on dit que Dieu peut tout on doit naturellement entendre qu’il peut tout ce qui est possible, et que pour ce motif on dit qu’il est tout-puissant. Or, d’après Aristote (Met., liv. 5, text. 17), le possible s’entend de deux manières. 1° On le considère relativement à une puissance quelconque. C’est ainsi que par rapport à l’homme on regarde comme possible tout ce qui n’est pas au-dessus de ses forces. On ne peut pas dire que Dieu est tout-puissant parce qu’il peut faire tout ce qui est possible à ses créatures. Car sa puissance s’étend bien au-delà. — D’un autre côté, si on dit que Dieu est tout-puissant parce qu’il peut tout ce qui est possible à sa puissance, on fait un cercle vicieux, puisque cela revient à dire qu’il est tout-puissant parce qu’il peut tout ce qu’il peut. Il faut donc admettre qu’il est tout-puissant, parce qu’il peut tout ce qui est possible absolument, ce qui est une autre manière d’entendre le possible. 2° Le possible ou l’impossible absolu se juge d’après le rapport qu’ont entre eux les termes d’une proposition. Ainsi le possible existe absolument quand le prédicat ne répugne pas au sujet, comme quand on dit : Socrate est assis. L’impossible existe absolument quand le prédicat répugne au sujet, comme si l’on disait qu’un homme est un âne. — Il faut remarquer que tout agent produisant son semblable, le possible qui correspond à la puissance active de chaque être, comme son objet propre, est en raison de l’activité essentielle de cette puissance. C’est ainsi que la puissance d’échauffer se rapporte, comme à son objet propre, à tout être qui est susceptible d’être échauffé. Or, l’être de Dieu qui est le fondement de la divine puissance est un être infini qui n’est limité à aucune espèce d’être, mais qui possède en lui-même préalablement les perfections de tout ce qui existe. Donc tout ce qui existe ou tout ce qui peut exister est absolument possible, et c’est à l’égard de ces possibles que Dieu est tout-puissant. — Et comme il n’y a que le non-être qui puisse être opposé à la nature de l’être, il n’y a donc que ce qui implique en soi tout à la fois l’être et le non-être qui répugne à la nature du possible absolu. Si la toute-puissance de Dieu ne s’étend pas à ce qui répugne ainsi, ce n’est pas défaut de force, mais c’est parce que ces choses ne peuvent être faites et qu’elles sont, par conséquent, impossibles. Mais ce qui n’implique pas contradiction est compris dans le domaine des possibles, et c’est à l’égard de ces choses qu’on dit que Dieu est tout-puissant. Ce qui implique contradiction, au contraire, n’est pas soumis à la toute-puissance de Dieu, parce que ces choses sortent de la nature des possibles. Il serait, par conséquent, plus convenable de dire qu’elles ne peuvent être faites, que de dire que Dieu ne peut les faire. Ce qui n’est point d’ailleurs contraire à ces mots de l’ange : Aucune parole n’est impossible à Dieu. Car ce qui est contradictoire ne peut être exprimé par la parole (Ce qui est contradictoire n’existe pas ; c’est un pur néant ; le néant ne peut être l’objet d’aucune puissance.), parce qu’aucune intelligence ne peut le comprendre.

 

Article 4 : Dieu peut-il faire que les choses passées n’aient point existé ?

 

          Objection N°1. Il semble que Dieu puisse faire que des choses passées n’aient pas existé. Car ce qui est impossible par soi est plus impossible que ce qui l’est par accident Or, Dieu peut faire ce qui est impossible par soi. Ainsi, il peut faire voir les aveugles, ressusciter les morts. Donc, à plus forte .raison, peut-il faire ce qui est impossible par accident. Or, telles sont les choses passées. Car, que Socrate n’ait pas couru, ce n’est qu’un fait dont l’impossibilité résulte accidentellement de ce qu’il s’est passé. Donc Dieu peut faire que des choses passées n’aient pas existé.

 

          Objection N°2. Tout ce que Dieu a pu faire, il le peut faire encore, puisque sa puissance n’est pas affaiblie. Or, avant que Socrate courût, il a pu faire qu’il ne courût pas. Donc, après qu’il a couru, il peut encore faire qu’il n’ait pas couru.

 

          Objection N°3. La charité est une vertu plus grande que la virginité. Or, Dieu peut réparer la charité quand on l’a perdue. Il peut donc aussi réparer la virginité, et par conséquent faire que la personne qui a été corrompue ne l’ait pas été.

 

          Mais c’est le contraire. Car, dit saint Jérôme (Ep. 2), quoique Dieu puisse tout, il ne peut pas faire une personne pure d’une personne qui a été souillée. Donc, pour la même raison, il ne peut faire que ce qui est passé n’ait pas existé.

 

          Conclusion La toute-puissance de Dieu ne peut pas faire que les choses passées n’aient pas existé, parce que cette proposition est contradictoire.

          Il faut répondre que, comme nous l’avons dit dans l’article précédent, la toute-puissance de Dieu ne va pas à faire ce qui est contradictoire. Or, il y a contradiction à supposer que le passé n’a pas été. Car il est aussi contradictoire de dire : Socrate s’est assis et Socrate ne s’est pas assis, que de dire : il est assis et il ne l’est pas. C’est pour cette raison que la toute-puissance divine ne peut faire qu’une chose passée n’ait pas existé. C’est ce qui fait dire à saint Augustin, dans son Traité contre Fauste (liv. 24, chap. 5) : Ceux qui veulent que Dieu, pour prouver sa toute-puissance, fasse que ce qui a été n’ait point été, ne s’aperçoivent pas qu’ils demandent que le Tout-Puissant fasse que ce qui est vrai soit faux, précisément parce que cela est vrai. Et Aristote dit (Eth., liv. 6, chap. 2) que Dieu n’est privé que d’une seule chose, c’est qu’il ne peut faire que ce qui a été fait ne l’ait pas été.

          Réponse à l’objection N°1 : Quoiqu’il ne soit impossible qu’accidentellement qu’une chose passée n’ait pas existé, si on considère la chose en elle-même, comme la course de Socrate ; cependant, si on la considère comme chose passée, non seulement elle est impossible par elle-même, mais elle implique contradiction, et dans ce sens elle est beaucoup plus impossible que la résurrection d’un mort, parce qu’une résurrection n’est point une chose contradictoire. C’est un fait impossible à une puissance naturelle, mais qui n’est pas impossible à la puissance divine.

          Réponse à l’objection N°2 : Dieu peut tout si on regarde à la perfection de sa puissance, mais il y a des choses qu’il ne peut pas faire, parce qu’elles ne sont pas dans le rang des choses possibles. De même, il peut tout ce qu’il a pu si l’on considère son immutabilité. Cependant, il y a des choses qui, avant d’être faites, étaient possibles, et qui ne le sont plus depuis qu’elles se sont accomplies. C’est pourquoi on dit que Dieu ne peut plus les faire, parce qu’elles ont cessé d’être possibles.

          Réponse à l’objection N°3 : Dieu peut détruire dans une femme qui a été souillée tout ce qu’il y a eu de souillure dans son corps et dans son âme, mais il ne peut faire qu’elle n’ait pas été souillée. Il peut de même pardonner le pécheur, mais il ne peut faire qu’il n’ait pas péché et perdu la charité.

 

Article 5 : Dieu peut-il faire ce qu’il ne fait pas ?

 

          Objection N°1. Il semble que Dieu ne puisse faire autre chose que ce qu’il fait. Car Dieu ne peut faire que ce que dans sa prescience et sa providence il a décrété. Or, il n’a décrété et ordonné que les choses qu’il fait. Donc il ne peut pas faire autre chose.

          Réponse à l’objection N°1 : En nous la puissance et l’essence sont autres que la volonté et l’intelligence, l’intelligence est autre que la sagesse, et la volonté autre que la justice, et, par conséquent, il peut se faire que notre puissance s’étende à des choses qui ne peuvent exister dans une volonté juste, ou dans une intelligence sage. Mais en Dieu la puissance et l’essence, la volonté et l’intelligence, la sagesse et la justice sont une seule et même chose. Il ne peut donc pas se faire qu’il y ait dans sa puissance des choses qui répugnent à la droiture de sa volonté et à la sagesse de son intelligence. En conséquence, sa volonté n’étant nécessitée qu’hypothétiquement à faire telle ou telle chose, comme nous l’avons dit (quest. 19, art. 3), sa sagesse et sa justice n’étant pas tenues, comme nous venons de le démontrer, à produire le monde qui existe, rien n’empêche qu’il n’ait le pouvoir de faire ce qu’il ne veut pas, et ce qui n’est pas compris dans le plan de la création. Et, comme on voit dans la puissance la faculté qui exécute, dans la volonté celle qui commande, dans l’intelligence et la sagesse celle qui dirige, on dit que Dieu peut d’une puissance absolue tout ce qui tombe dans le domaine de sa puissance considérée en elle-même ; ce qui renferme tous les possibles, c’est-à-dire tout ce qui a la nature de l’être, comme nous l’avons dit (art. 3). Quant à ce que la puissance de Dieu exécute d’après l’ordre de sa volonté, on dit qu’il le peut d’une puissance ordinaire. D’après ces explications il est donc clair que la puissance absolue de Dieu s’étend à des choses que dans sa prescience et sa providence il n’a pas décrétées. Ce n’est pas à dire pour cela qu’il fera ce qu’il n’a pas ainsi préalablement décrété, parce que sa prescience et sa providence déterminent ce qu’il doit faire, mais non ce qu’il peut. Car sa puissance est un des attributs de sa nature. C’est pourquoi Dieu fait une chose parce qu’il veut la faire (Il y a des théologiens qui confondent la volonté de Dieu avec sa puissance, d’après cette pensée de Tertullien (Lib. adversus Praxeam, chap. 10) : Dei posse, velle est, et non posse, nolle. Mais, d’après saint Thomas, la puissance se distingue de la volonté et de l’intelligence comme étant la faculté exécutrice qui produit l’action.), mais il ne la peut pas parce qu’il la veut, mais parce qu’il est dans sa nature de pouvoir tout ce qui est possible.

 

          Objection N°2. Dieu ne peut faire que ce qu’il doit, et que ce qui est juste. Or, Dieu ne doit pas faire ce qu’il ne fait pas, et il n’est pas juste qu’il le fasse. Donc il ne peut faire que ce qu’il fait.

          Réponse à l’objection N°2 : Dieu ne doit rien à personne qu’à lui-même. Ainsi, quand on dit que Dieu ne peut faire que ce qu’il doit, cela signifie seulement qu’il ne peut faire que ce qui est juste et convenable pour lui. Mais on peut entendre de deux manières cette proposition : 1° on peut joindre ces mots juste et convenable au verbe est, de telle sorte qu’on en restreigne l’application à ce qui existe naturellement. Ils se rapporteraient alors à la puissance, et offriraient un sens faux ; car ils voudraient dire, dans ce cas : que Dieu ne peut faire que ce qui est en ce moment convenable et juste. Mais si on joint ces mots au verbe peut, et qu’on veuille dire : Dieu ne peut agir sans que ce qu’il fait ne soit convenable et juste, cette proposition est exacte, mais elle n’est pas contraire à ce que nous avons établi.

 

          Objection N°3. Dieu ne peut faire que ce qui est bon et que ce qui convient aux choses qu’il a faites. Or, il n’est bon ni convenable, pour les choses faites par Dieu, qu’elles soient autrement qu’elles ne sont. Donc Dieu ne peut faire que ce qu’il fait.

          Réponse à l’objection N°3 : Bien que l’ordre de choses actuel ait été déterminé pour les créatures qui existent maintenant, il ne s’ensuit pas que la puissance et la sagesse de Dieu soient bornées à cet ordre. Par conséquent, quoique pour le monde tel qu’il est il n’y ait aucun autre ordre qui soit bon et convenable comme celui qui existe, cependant Dieu pourrait produire un autre univers et le soumettre à d’autres lois (Ainsi la liberté de Dieu existe par rapport à la fin, mais elle n’existe pas par rapport aux moyens. Il pouvait se proposer dans la création une autre fin, et produire par conséquent un autre monde. Mais une fois qu’il s’est arrêté à une fin sa sagesse l’oblige à choisir les moyens qui sont le plus directement en rapport avec elle.).

 

          Mais c’est le contraire. Car il est dit dans saint Matthieu : Ne pourrais-je pas prier mon Père, et ne m’enverrait-il pas à l’instant plus de douze légions d’anges ? (26, 53) Or, Jésus-Christ n’a pas demandé ces légions d’anges, et son Père ne les lui a pas envoyées pour résister aux Juifs. Donc Dieu peut faire ce qu’il ne fait pas.

 

          Conclusion Puisque Dieu fait tout par sa bonté et que cet attribut, qui dépasse infiniment tout ce qu’il a créé n’est limité ni par sa nature, ni par aucun motif intrinsèque à un certain ordre de choses, il peut faire des choses plus grandes et plus nombreuses que celles qu’il fait.

          Il faut répondre que sur cette question il y a deux sortes d’erreurs. Les uns ont supposé que Dieu agissait par la nécessité de sa nature (Nous avons signalé cette erreur.). Ainsi, comme les créatures ne peuvent naturellement produire que ce qu’elles produisent, car un homme ne peut donner naissance qu’à un homme, et la semence de l’olive ne peut produire qu’une olive ; de même, dans ce sentiment, Dieu ne peut faire autre chose que ce qu’il fait, et il ne lui serait pas possible de créer un autre monde que celui qui existe actuellement. Or, nous avons prouvé (quest. 19, art. 3) que Dieu n’agit pas par nécessité, mais que sa volonté est cause de ce qui existe, et qu’elle n’est contrainte ni par sa nature, ni par la nécessité à produire ce qu’elle a créé. Par conséquent, le monde actuel n’a pas été tellement l’effet de la nécessité, que Dieu ne puisse pas en produire un autre. — D’autres ont pensé que la puissance de Dieu avait été déterminée à créer le monde actuel par la sagesse et la justice (Cette erreur fut celle d’Abeilard (Introd., liv. 3, chap. 5).), qui doivent éclater dans toutes ses œuvres. Mais comme la puissance de Dieu qui est son essence n’est pas autre chose que sa sagesse, on peut très bien dire qu’il n’y a rien dans la puissance qui ne soit dans la sagesse divine, puisque celle-ci embrasse tout le domaine de celle-là. — Cependant, l’ordre que la sagesse de Dieu a mis dans la création, et qui en fait la justice, comme nous l’avons dit (quest. 21, art. 2), n’est pas tellement adéquat à la sagesse divine elle-même qu’elle ne puisse rien produire au delà. Or, il est évident que l’ordre que la sagesse de Dieu a mis dans la création doit être apprécié d’après la fin que le créateur s’est proposée. Donc, quand la fin est proportionnée aux choses qui sont faites pour elle, la sagesse de celui qui fait ces choses se trouve limitée par rapport à un ordre déterminé. Mais la divine bonté, qui est la fin des œuvres de Dieu, est infiniment supérieure (Quelle que soit la perfection de l’ordre que Dieu ait choisi, cette perfection n’est que relative ; par conséquent on pourrait toujours y ajouter.) à toutes les choses créées. Donc la sagesse incréée n’est point contrainte de produire tel ou tel ordre de choses, de manière qu’elle ne puisse en produire un autre. Il faut donc dire absolument que Dieu peut faire autre chose que ce qu’il fait.

 

Article 6 : Dieu peut-il faire des choses meilleures que celles qu’il a faites ?

 

          Objection N°1. Il semble que Dieu ne puisse pas faire des choses meilleures que celles qu’il a faites. Car tout ce que Dieu fait, il le fait en déployant une puissance et une sagesse infinie, et ce qu’il produit est d’autant meilleur qu’il suppose plus de puissance et de sagesse. Donc Dieu ne peut pas faire mieux qu’il ne fait.

          Réponse à l’objection N°1 : Quand on dit que Dieu peut faire quelque chose de mieux que ce qu’il fait, si le mot mieux (melius) se prend substantivement, la proposition est vraie. Car Dieu peut toujours faire une autre chose meilleure que celle qu’il a faite, quelle que soit la bonté de celle-ci. Quant à la même chose il peut la faire meilleure accidentellement, mais non substantiellement, comme nous l’avons dit. Si le mot mieux se prend adverbialement et qu’on l’applique à la manière dont Dieu opère, la proposition est fausse. Car Dieu ne peut faire mieux qu’il ne fait, parce qu’il ne peut agir avec plus de sagesse et de bonté. Si on l’applique aux choses qu’il produit, il est vrai de dire qu’il peut faire mieux, parce qu’il peut donner à ses créatures une meilleure manière d’être, sinon essentiellement, du moins accidentellement.

 

          Objection N°2. Saint Augustin fait ce raisonnement (Cont. Maxim., liv. 3, chap. 7) : Si Dieu a pu engendrer un fils égal à lui, et qu’il ne l’ait pas voulu, c’est un envieux. Pour le même motif, si Dieu a pu faire des choses meilleures que celles qu’il a faites, et qu’il ne l’ait pas voulu, il a aussi été envieux. Or, Dieu ne peut être envieux. Donc il a fait tout ce qu’il y a de meilleur, et il ne peut faire mieux que ce qu’il a fait.

          Réponse à l’objection N°2 : Il est dans la nature du fils d’égaler le père quand il est arrivé à la perfection ; mais il n’est pas dans la nature des créatures d’être meilleure que Dieu ne l’a fait Il n’y a donc pas de parité entre les deux termes de cette comparaison.

 

          Objection N°3. On ne peut rien faire de mieux que ce qui est infiniment bon, parce qu’il n’y arien de plus grand que ce qui l’est infiniment. Or, saint Augustin dit (Ench., chap. 10) : Chacune des choses que Dieu a faites est bonne. Mais l’ensemble de la création est infiniment bon, parce qu’il ressort de l’universalité des êtres une admirable beauté. Donc Dieu ne peut rien faire de mieux que l’univers actuel.

          Réponse à l’objection N°3 : En supposant le monde formé des êtres qui existent, il ne peut être meilleur, parce que Dieu a soumis les êtres qu’il a créés à l’ordre qui convient le mieux à leur nature, et que c’est précisément dans cet ordre que consiste la bonté et la beauté de l’univers. On ne pourrait rendre meilleure une des créatures qui le composent, sans troubler la proportion et l’harmonie de l’ensemble (L’optimisme de saint Thomas ne porte que sur les moyens et non sur la fin.). C’est comme une lyre dont on ne peut forcer une corde sans détruire la mélodie des sons. Dieu pourrait cependant faire d’autres choses que celles qui existent, ou ajouter aux créatures qu’il a faites d’autres créatures, et former ainsi un autre univers qui serait meilleur que celui qui existe maintenant.

 

          Objection N°4. Le Christ, en tant qu’homme, est plein de grâce et de vérité, et il a reçu le Saint-Esprit sans mesure. Il ne peut donc rien y avoir de plus parfait. On dit aussi que la béatitude créée est le souverain bien et que rien ne peut la surpasser. La bienheureuse vierge Marie a été élevée au-dessus des anges, et il ne peut y avoir de créature meilleure qu’elle. Donc Dieu a fait des êtres tels qu’il n’en peut créer de meilleurs.

          Réponse à l’objection N°4 : L’humanité du Christ, par là même qu’elle est unie à Dieu ; que la béatitude créée, par là même qu’elle est la jouissance de Dieu ; que la B. Vierge, par là même qu’elle est mère de Dieu, ont une dignité infinie qu’elles empruntent au bien infini qui est Dieu ; et sous ce rapport il n’y a pas de créature qui puisse être meilleure que celles-là, comme il n’y a rien qui soit meilleur que Dieu (Mallebranche a prétendu que l’incarnation donnait au monde un prix infini, et il s’est placée ce point de vue pour soutenir son optimisme. Quoique saint Thomas ne le réfute pas directement, cependant il est évident que ce grand docteur n’était pas de ce sentiment.).

 

          Mais c’est le contraire. Car saint Paul dit que Dieu peut faire infiniment plus que nous ne lui demandons ou que nous ne pensons (Eph., 3, 20).

 

          Conclusion Dieu ne peut pas faire qu’une chose soit meilleure qu’il ne l’a faite substantiellement, tout en restant la même, mais il peut la rendre meilleure accidentellement ; il peut aussi, absolument parlant, faire des choses meilleures que celles qui sont sorties de ses mains.

          Il faut répondre que la bonté d’une chose peut se considérer sous deux aspects : 1° Quant à l’essence de la chose ; c’est ainsi que l’être raisonnable tient à l’essence de l’homme. En ce sens Dieu ne peut faire une chose meilleure qu’elle n’est, quoiqu’il puisse en faire une meilleure que celle-là. Ainsi il ne peut pas faire le nombre quatre plus grand qu’il n’est, parce que s’il était plus grand, ce ne serait plus le nombre quatre, mais un nombre supérieur. Or, d’après Aristote (Met., liv. 8, text. 10), quand on ajoute une différence substantielle à une définition, c’est comme quand on ajoute une unité à un nombre (Cette addition en change l’espèce.). 2° La bonté peut être considérée en dehors de l’essence des choses. Ainsi la vertu et la sagesse sont des perfections qui ne sont pas de l’essence de l’homme. On peut dire qu’à l’égard de cette espèce de bonté qui n’est qu’accidentelle, Dieu peut rendre les choses qu’il a créées meilleures qu’elles ne sont. Absolument parlant, Dieu peut faire des choses meilleures que celles qu’il a faites.

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.