Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
1a = Prima Pars =
Première Partie
Question 35 : De
l’image
Nous
allons ensuite parler de l’image. — A cet égard deux questions se présentent : 1°
Le mot image est-il dans la Trinité un nom personnel ? (Dans l’Ecriture, le nom
d’image est particulièrement attribue
au Fils (Col., 1, 15) : C’est lui qui e st l’image du Dieu
invisible, le premier-né de toute créature ; (Héb., 1, 3) : et qui, étant la splendeur de sa gloire, et
l’empreinte de sa substance ; (Sag., 7, 26) : car elle est la splendeur de la lumière
éternelle, le miroir sans tache de la majesté de Dieu, et l’image de sa bonté.)
— 2° Est-ce un nom propre au Fils. (Nous avons indiqué, à l’occasion de
l’article précédent, les passages de l’Ecriture qui montrent que le mot image est un nom propre au Fils.)
Article
1 : Le mot image est-il dans la
Trinité un nom personnel ?
Objection
N°1. Il semble que le mot image ne
soit pas dans la Trinité un nom personnel. Car saint Augustin dit (De fid. ad Pet.,
chap. 1) : La sainte Trinité est une seule divinité, une seule image d’après
laquelle l’homme a été formé. Donc le mot image
se rapporte à l’essence et non à la personne.
Réponse
à l’objection N°1 : On appelle image, à proprement parler, ce qui procède
d’après la ressemblance d’un autre. Mais l’être, à la ressemblance duquel celui
qui procède est formé, reçoit à proprement parler le nom de type ou
d’exemplaire, et ce n’est qu’improprement qu’on lui donne le nom d’image. Saint
Augustin (loc. cit.) se sert
cependant de ce mot quand il dit que la divine Trinité est l’image d’après
laquelle l’homme a été formé.
Objection
N°2. Saint Hilaire dit (De Synod.) que l’image est l’espèce ou la forme
parfaitement ressemblante d’une chose. Or, en Dieu l’espèce ou la forme se rapporte
à l’essence. Donc aussi l’image.
Réponse
à l’objection N°2 : Le mot espèce,
tel que l’entend saint Hilaire (loc. cit.)
dans la définition de l’image, est une forme produite dans un être qui émane
d’un autre. On dit dans ce sens que l’image d’une chose est son espèce, comme
on dit de ce qui ressemble à un être que c’est sa forme, parce qu’il a une
forme semblable à lui.
Objection
N°3. Une image est une imitation ; elle implique par conséquent un avant et un
après. Or, dans les personnes divines il n’y a ni avant, ni après. Donc le mot image n’est pas un nom personnel.
Réponse
à l’objection N°3 : Dans les personnes divines l’imitation n’indique aucune
espèce de postériorité ; elle exprime seulement une assimilation.
Mais
c’est le contraire. Car saint Augustin dit (De
Trin., liv. 7, chap. 1) : Qu’y a-t-il de plus absurde que de dire qu’on est
à soi-même son image ? Donc le mot image
est en Dieu un nom relatif et par conséquent un nom personnel.
Conclusion
Puisque le mot image exprime une origine, c’est par conséquent un nom
personnel.
Il
faut répondre que la ressemblance est de l’essence de l’image. Une ressemblance
quelconque ne suffît cependant pas pour produire une image, il faut une
ressemblance fondée sur l’espèce même de la chose ou sur un signe de cette
espèce. Or, dans les choses corporelles, ce signe paraît être surtout la
figure. Car nous voyons que les figures des animaux varient avec leur espèce,
et qu’il n’en est pas de même de leurs couleurs. C’est pourquoi quand on peint
la couleur d’une chose sur un mur, on ne dit pas que c’est son image. L’image
n’existe qu’autant qu’on peint sa figure. Mais pour que l’image soit parfaite
ce n’est pas assez qu’elle représente l’espèce ou la figure d’une chose, il
faut encore qu’elle ait en elle son origine. Car, comme le dit saint Augustin (Quæst., liv. 83, quest. 73 et 74), un œuf n’est
pas l’image d’un autre œuf, parce qu’il ne sort pas de lui. Pour qu’une image
soit vraie et parfaite il faut qu’elle procède d’un autre être qui lui
ressemble dans son espèce, ou au moins dans le signe de l’espèce (Ainsi, pour
qu’il y ait image il faut trois choses : 1° il faut que l’image s’accorde sous
un rapport avec l’objet qu’elle représente et qu’elle en diffère sous un autre
; 2° il faut qu’elle tire de lui son origine ; 3° il faut qu’elle tire sa
ressemblance de la force même de sa procession.). Or, toutes les choses qui
supposent en Dieu procession et origine sont personnelles. Donc le mot image est un nom personnel.
Article
2 : Le mot image est-il propre au Fils ?
Objection
N°1. Il semble que le mot image ne
soit pas propre au Fils. Car saint Jean Damascène dit (De fid. orth., liv. 1, chap.
18) : L’Esprit-Saint est l’image du Fils. Donc ce mot
n’est pas propre au Fils.
Réponse
à l’objection N°1 : Saint Jean Damascène et les autres docteurs grecs emploient
ordinairement le mot image pour exprimer une ressemblance parfaite.
Objection
N°2. L’image est par sa nature l’expression d’une ressemblance, comme le dit
saint Augustin (Quæst., liv. 83, quest. 73 et 74). Or, l’Esprit-Saint a ce caractère puisqu’il procède d’un autre
par manière de ressemblance. Donc l’Esprit-Saint est
une image, et par conséquent ce mot n’est pas propre au Fils.
Réponse
à l’objection N°2 : Quoique l’Esprit-Saint soit
semblable au Père et au Fils, il ne suit pas de là qu’il soit son image par la
raison que nous venons de donner (dans le corps de l’article.).
Objection
N°3. Il est dit que l’homme est l’image de Dieu dans ce passage de saint Paul :
L’homme ne doit pas couvrir sa tête parce
qu’il est l’image et la gloire de Dieu (1
Cor., 11, 7). Donc ce nom n’est pas propre au Fils.
Réponse
à l’objection N°3 : L’image d’une chose peut exister en une autre de deux
manières : 1° L’image peut être spécifiquement de même nature que ce qu’elle représente.
C’est ainsi que l’image d’un roi existe dans son fils. 2° L’image peut exister
dans une chose d’une autre nature. C’est ainsi qu’on voit l’image d’un roi sur
une pièce de monnaie. De la première manière, le Fils est en Dieu l’image du
Père ; de la seconde, l’homme est l’image de Dieu. C’est pourquoi, pour
désigner ce qu’il y a d’imperfection dans l’image que l’homme reproduit, on ne
dit pas qu’il est l’image, mais qu’il est à l’image de Dieu. On indique par là
un effort qui tend à la perfection. Mais on ne peut pas dire du Fils de Dieu
qu’il est à l’image du Père, parce qu’il est véritablement son image parfaite.
Mais
c’est le contraire. Car saint Augustin dit (De
Trin., liv. 7, chap. 11) que le Fils seul est l’image du Père.
Conclusion
Puisque dans la Trinité le Fils procède en tant que Verbe et le Saint-Esprit en tant qu’amour, le nom d’image est propre au
Fils et non au Saint-Esprit.
Il
faut répondre que les docteurs grecs disent ordinairement que le Saint-Esprit est l’image du Père et du Fils (C’est ce que
dit saint Athanase dans son Epître à Sérapion, saint Basile dans son ouvrage contre Eunomius (liv. 5), saint Cyrille d’Alexandrie (In Joan.,
liv. 2).), mais que les docteurs latins n’attribuent ce nom qu’au Fils
exclusivement, parce que dans les saintes Ecritures il n’y a que le Fils qui
soit ainsi appelé. En effet, saint Paul dit du Fils qu’il est l’image du Dieu invisible, le premier-né de la création (Col., 1, 15). Et ailleurs qu’il est la splendeur de sa gloire et la
figure de sa substance (Héb., 1, 3). — Les
uns disent, pour appuyer l’opinion des docteurs latins, que le Fils est non-seulement de la même nature que le Père, mais qu’ils
ont encore la même notion de principe, tandis que l’Esprit-Saint
n’a point de notion commune ni avec le Père, ni avec le Fils. Mais cette raison
nous paraît insuffisante. Car, comme l’égalité ou l’inégalité ne se fonde pas
dans la Trinité sur les relations, suivant la remarque de saint Augustin (De Trin., liv. 5, chap. 6), de même la
ressemblance qui est la condition essentielle de l’image ne s’y fonde pas non
plus. — D’autres disent que le Saint-Esprit ne peut
être appelé l’image du Fils parce qu’il serait l’image d’une image, ce qui est
impossible. Il ne peut pas être l’image du Père, parce qu’une image doit se
rapporter immédiatement à son objet, et le Saint-Esprit
ne se rapporte au Père que par le Fils. Il ne peut pas être l’image du Père et
du Fils, parce qu’il serait l’image de deux types, ce qui semble impossible. Il
ne peut donc être une image d’aucune manière. Mais cette explication est nulle,
parce que le Père et le Fils étant le principe unique du Saint-Esprit,
comme nous le prouverons (quest. 36, art. 4), rien n’empêche, puisqu’ils sont
un, qu’il soit l’image de l’un et de l’autre, car l’homme est l’image unique de
la Trinité entière. — Il faut plutôt dire, que comme l’Esprit-Saint
qui reçoit par sa procession la nature du Père aussi bien que le Fils, n’est
pas appelé né ; de même, quoiqu’il
reçoive la ressemblance spéciale du Père, on ne dit pas qu’il est son image. La
raison en est que le Fils procède comme Verbe, et qu’il est dans sa nature de
ressembler parfaitement au principe dont il procède, tandis que le Saint-Esprit procède par amour, et qu’il n’est pas dans sa
nature de représenter, mais d’attirer à lui l’objet aimé (Ainsi, le mot image ne convient pas au Saint-Esprit, parce qu’il ne remplit pas la troisième
condition que nous avons exigée pour que l’image existe.).
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
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