Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
1a = Prima Pars =
Première Partie
Question 36 : De
la personne de l’Esprit-Saint
Après
avoir parlé du Père et du Fils, nous devons maintenant examiner ce qui regarde
l’Esprit-Saint qui porte non-seulement
ce nom, mais qui est encore appelé Amour
et Don de Dieu. — A l’égard de
l’Esprit ou doit se faire quatre questions : 1° Le nom d’Esprit-Saint est-il un nom propre à une
personne divine ? (Les hérétiques qui ont nié la divinité de l’Esprit-Saint, ce sont les saducéens, qui n’admettaient
l’existence d’aucun esprit ; Valentin, qui confondait l’Esprit-Saint
avec les anges ; les montanistes, qui prenaient Montan lui-même pour l’Esprit-Saint ; les sabelliens, qui niaient la trinité des
personnes ; Eunomius. le chef des anoméens, qui
faisait de l’Esprit-Saint une créature ; Macédonius, qui nia directement la troisième personne de la
sainte Trinité, et qui fut expressément condamné dans le second concile
œcuménique ; enfin les sociniens, qui n’ont pas voulu reconnaître dans l’Esprit-Saint une personne divine.) — 2° Cette personne
divine qu’on appelle Esprit-Saint procède-t-elle du
Père et du Fils ? (Cet article a pour but de réfuter l’erreur des Grecs et des
Arméniens, qui ne veulent pas que le Saint-Esprit
procède du Fils, et qui font un reproche à l’Eglise romaine d’avoir ajouté à
son Symbole Filioque.) — 3° Procède-t-elle
du Père par le Fils ? (Le concile de Florence a déterminé ainsi le sens de
cette expression : Definimus quod Spiritus
sanctus a Patre et Filio æternaliter est, etc… Declarantes quod id quod sancti
Doctores et Patres dicunt
ex Patre per Filium procedere Spiritum sanctum ad hanc intelligentiam tendit ut per hoc significetur Filium quoque esse, secundum Græcos quidem causam, secundum Latinos verò principium subsistentiæ Spiritus sancti sicut et Patrem.) — 4° Le
Père et le Fils sont-ils un seul et même principe de l’Esprit-Saint
? (Le pape Grégoire X a défini ainsi ce point de doctrine au concile général de
Lyon (Decret. 6 de
Sum. trin. et fid. cath.) : Fideli ac devotâ professione
fatemur quod Spiritus
sanctus æternaliter ex Patre
et Filio, non tanquàm ex duobus principiis, sed tanquàm ex uno principio, non duabus spirationibus, sed unica spiratione
procedit. Le concile de Florence, sous le pape
Eugène IV, a employé a peu près les mêmes expressions.)
Article
1 : Le nom d’Esprit-Saint
est-il un nom propre à une personne divine ?
Objection
N°1. Il semble que le nom d’Esprit-Saint ne soit pas un nom propre à une personne
divine. Car tout nom qui est commun aux trois personnes n’est pas propre à
l’une d’elles. Or, le nom d’Esprit-Saint est commun aux trois personnes. En effet,
saint Hilaire prouve (De Trin., liv. 8)
que par Esprit de Dieu on entend dans
les saintes Ecritures, tantôt le Père, comme dans ce passage où il est dit : L’Esprit du
Seigneur est sur moi (Is., 61, 1), tantôt le
Fils, comme lorsque Jésus-Christ dit lui-même : Je chasse les démons par l’Esprit de Dieu (Matth.,
12, 28), voulant montrer qu’il les chassait par la puissance de sa nature,
tantôt l’Esprit-Saint, comme dans ces paroles : Je répandrai de mon Esprit sur toute chair
(Joël, 2, 28). Donc le nom d’Esprit-Saint n’est pas
un nom propre à l’une des personnes divines.
Réponse
à l’objection N°1 : Si l’on décompose le nom d’Esprit-Saint,
et qu’on prenne à part chacun des mots dont il est formé, on trouvera qu’il est
commun à la Trinité tout entière. En effet, le mot esprit signifie l’immatérialité de la substance divine. L’esprit
corporel étant invisible, et ne renfermant presque pas de matière, nous nous
sommes emparés de ce mot pour l’appliquer aux substances invisibles et
immatérielles. Le mot saint exprime
la pureté de la bonté divine. — Mais si on ne décompose pas ce.nom,
et qu’on en fasse, pour ainsi dire, un seul mot, l’Eglise a l’usage de signifier
par là une des trois personnes divines, celle qui procède de l’amour pour les
raisons que nous avons données (dans le corps de l’article.) (Le mot Spiritus sanctus n’a pas toujours été
exclusivement affecté à la troisième personne de la sainte Trinité. Les anciens
Pères, et même quelques-uns de ceux qui ont vécu après le concile de Nicée,
l’ont appliqué au Fils. C’est ce qu’ont fait saint Barnabé (Epist. num. 6), Hermas (liv. 3, simil. 5), saint Ignace (Epist. ad Smyrn.), saint Justin (Apolog. 2), Tatien (Orat. ad Groec., 1), Tertullien (Apolog., chap. 21), saint Cyprien (De idolor. vanit.), Lactance (liv. 4, chap. 6 et 8), etc. On a
même accusé plusieurs d’entre eux d’être tombés dans l’erreur à propos de la
sainte Trinité, par suite de la confusion d’idées qui est résultée de cette
confusion de mots.).
Objection
N°2. Les noms des personnes divines, dit Boëce (De Trin.),
sont relatifs. Or, le nom d’Esprit-Saint n’est pas un
nom relatif. Donc ce n’est pas un nom propre à une personne divine.
Réponse
à l’objection N°2 : Quoique le nom d’Esprit-Saint ne soit pas un nom relatif, on le prend
dans ce sens du moment où on lui fait signifier une personne qui n’est
distincte des autres que par la relation. On peut cependant entendre ce nom
dans un sens relatif, si par Esprit-Saint on entend
la spiration passive (spiritus-spiratus).
Objection
N°3. Le nom de Fils étant le nom d’une personne divine, on ne peut pas dire
qu’il est le Fils de celui-ci ou de celui-là. Or, on dit que l’Esprit
appartient à tel ou tel individu. Car le Seigneur dit à Moïse : Je recevrai de votre esprit et je leur
donnerai (Nom., 11, 17). Et
ailleurs : L’esprit d’Elie se reposa sur
Elisée (4 Rois, 2, 15). Donc l’Esprit-Saint ne semble pas être le nom propre d’une
personne divine.
Réponse
à l’objection N°3 : Par le nom de Fils on ne comprend que la relation qu’il a
avec son principe qui est le Père, tandis que par le nom de Père on désigne une
relation de principe en général (Par conséquent on le considère non seulement
comme le principe du Fils, mais encore comme le principe de toutes les
créatures.). De même par le nom d’Esprit-Saint on
comprend une certaine force motrice. Or, la créature ne peut être principe par
rapport à une personne divine, mais une personne divine peut être principe par
rapport aux créatures. C’est pour cette raison que nous pouvons dire : Notre Père, notre Esprit ; mais que nous ne pouvons pas dire : Notre Fils.
Mais
c’est le contraire. Car saint Jean dit : Il
y en a trois qui rendent témoignage au ciel, le Père, le Verbe et l’Esprit-Saint (1 Jean, 5, 7), et saint Augustin se
demandant qu’est-ce que ces trois ? Il répond que ce sont trois personnes (De Trin., liv. 7, chap. 4). Donc l’Esprit-Saint est le nom d’une personne divine.
Conclusion
Le nom d’Esprit-Saint
est le nom propre de la personne divine qui procède de l’amour.
Il
faut répondre que dans la Trinité il y a deux processions, mais que l’une
d’elles, celle qui procède de l’amour, n’a pas de nom propre, comme nous
l’avons observé (quest. 27, art. 4, réponse N°3). Par conséquent les relations
qui se rapportent à cette procession sont également restées sans nom, comme
nous l’avons dit aussi (quest. 28, art. 4). Pour la même raison, la personne
qui procède ainsi n’a pas de nom propre. Mais l’usage ayant consacré pour
exprimer ces relations les noms de procession
et de spiration,
bien qu’ils paraissent plus propres pour exprimer des actes notionnels que des
relations, il a également autorisé l’emploi du mot Esprit-Saint pour signifier la
personne divine qui procède de l’amour, et il paraît en cela fondé sur le texte
même des saintes Ecritures. Il y a d’ailleurs deux raisons pour justifier cet
usage. La première se déduit de ce que le Saint-Esprit
est commun aux deux autres personnes. C’est saint Augustin qui la donne (De Trin., liv. 5, chap. 11) : Le Saint-Esprit, dit-il, étant commun aux deux autres
personnes, il peut donc prendre pour son nom propre ce qu’elles ont toutes deux
de commun. Car le Père est Esprit et le Fils est Esprit ; le Père est saint et
le Fils est saint. La seconde raison est prise de la signification propre du
nom. En effet, le mot esprit (spiritus) paraît
signifier dans le monde matériel un certain moteur qui donne l’impulsion.
Ainsi, nous donnons ce nom au souffle et au vent. Or, le propre de l’amour est
de mouvoir et de pousser la volonté de celui qui aime vers l’objet aimé. D’un
autre côté, nous attribuons la sainteté à tout ce qui se rapporte à Dieu comme
à sa fin. Il était donc convenable de donner le nom d’Esprit-Saint
à la personne divine qui procède de l’amour par lequel Dieu s’aime.
Article
2 : L’Esprit-Saint procède-t-il du Fils ?
Objection
N°1. Il semble que l’Esprit-Saint ne procède pas du
Fils. Car, d’après saint Denis, il ne faut pas avoir la témérité d’affirmer de
la Divinité autre chose que ce qu’en disent les saintes Ecritures (De div. nom., chap. 1). Or, dans les saintes
Ecritures il n’est pas dit que le Saint-Esprit
procède du Fils, mais seulement du Père, comme on le voit dans ce passage de
saint Jean : Je vous enverrai l’Esprit de
vérité qui procède du Père (Jean, 15, 26). Donc l’Esprit-Saint
ne procède pas du Fils.
Objection
N°2. Dans le Symbole dressé au concile œcuménique de Constantinople, on lit
(can. 7) : Nous croyons au Saint-Esprit, Seigneur et vivifiant, qui procède du Père,
et qu’on doit adorer et glorifier avec le Père et le Fils. On ne devait
donc pas ajouter à notre Symbole qu’il procède aussi du Fils, et ceux qui ont
fait cette addition paraissent mériter l’anathème.
Objection
N°3. Saint Jean Damascène dit (De orth. fid., liv. 1, chap.
11) : Nous disons que le Saint-Esprit vient du Père,
et nous l’appelons l’Esprit du Père ; nous ne disons pas qu’il vient du Fils,
mais nous l’appelons l’Esprit du Fils. Donc l’Esprit-Saint
ne procède pas du Fils.
Objection
N°4. Un être ne procède pas de l’être dans lequel il repose. Or, l’Esprit-Saint repose dans le Fils. Car il est dit dans la
légende de saint André : Que la paix soit avec vous et avec tous ceux qui
croient en un seul Dieu le Père et en son Fils unique, Notre-Seigneur
Jésus-Christ, et en un seul Esprit-Saint qui procède
du Père et qui réside dans le Fils. Donc l’Esprit-Saint
ne procède pas du Fils.
Objection
N°5. Le Fils procède comme Verbe. Or, notre esprit ne semble pas procéder en
nous de notre verbe. Donc l’Esprit-Saint ne procède
pas du Fils.
Objection
N°6. L’Esprit-Saint procède parfaitement du Père.
Donc il est inutile de dire qu’il procède du Fils.
Objection
N°7. Dans ce qui est perpétuel, l’être et la possibilité ne diffèrent pas,
comme le dit Aristote (Phys., liv. 3,
text. 32), à plus forte raison se confondent-ils
quand il s’agit de la Divinité. Or, l’Esprit-Saint
peut être distingué du Fils sans procéder de lui. Car saint Anselme dit dans
son livre de la procession de l’Esprit-Saint : Le
Fils et le Saint-Esprit reçoivent l’être l’un et
l’autre du Père, mais de différente manière, l’un en naissant et l’autre en
procédant, de telle sorte qu’ils sont par là même distincts l’un de l’autre. Et
il ajoute plus loin : Que quand il n’y aurait pas autre chose pour établir une
distinction entre le Fils et le Saint-Esprit, cela
seul suffirait. Donc l’Esprit-Saint est distinct du
Fils, bien qu’il ne procède pas de lui.
Mais
c’est le contraire. Car nous lisons dans le Symbole de saint Athanase : Le Saint-Esprit est produit par le Père et le Fils ; il n’a
été ni fait, ni créé, ni engendré, mais il procède.
Conclusion
Le Saint-Esprit procède du Fils, et il en procède si
nécessairement que sans cela on ne le distinguerait pas de lui personnellement.
Il
faut répondre que le Saint-Esprit doit nécessairement
procéder du Fils. Car s’il n’en procédait pas, on ne pourrait pas l’en
distinguer personnellement. Ce qui résulte évidemment de ce que nous avons dit
(quest. 27, art. 3, et quest. 30, art. 2). En effet, on ne peut pas dire que
les personnes divines se distinguent l’une de l’autre par quelque chose
d’absolu ; parce qu’il suivrait delà que les trois ne formeraient pas une seule
et même essence. Car tout ce qu’il y a d’absolu en Dieu se rapporte à l’unité
de l’essence. Il faut donc que les personnes divines soient seulement
distinguées entre elles par leurs relations. Or, les relations ne peuvent
distinguer les personnes qu’autant qu’elles sont opposées. Ainsi, par exemple,
le Père a deux relations, dont l’une se rapporte au Fils et l’autre au Saint-Esprit ; ces relations ne constituent cependant pas
deux personnes, parce qu’elles ne sont pas opposées, elles appartiennent à une
seule et même personne qui est la personne du Père. Si donc le Fils et le Saint-Esprit n’avaient que deux relations, qui les mettent
l’un et l’autre en rapport avec le Père, ces relations ne seraient pas plus
opposées entre elles que les deux relations par lesquelles le Père se rapporte
à eux. Par conséquent, comme la personne du Père est une, il suivrait de là que
la personne du Fils et du Saint-Esprit serait aussi
une seule et même personne qui aurait deux relations opposées aux deux
relations du Père. Ce qui est hérétique, puisque le dogme de la Trinité serait
par là même détruit (Cet argument, qui démontre aux Grecs que leur erreur
renverse le dogme de la sainte Trinité, est accepté par le plus grand nombre
des théologiens. Il n’y a guère que Scot, qui a pris à tache de contredire
constamment saint Thomas, qui en infirme la valeur.). Il faut donc que le Fils
et le Saint-Esprit se rapportent l’un à l’autre par
deux relations opposées. — Or, il ne peut y avoir en Dieu d’autres relations
opposées que des relations d’origine, comme nous l’avons prouvé (quest. 28,
art. 4). Et les relations d’origine ne peuvent être opposées qu’en raison du
principe qui produit et du terme qu’il produit. On est donc obligé de dire ou
que le Fils procède de l’Esprit-Saint, ce que
personne n’avance, ou que le Saint-Esprit procède du
Fils, comme nous le prétendons, et comme la nature de la procession de l’un et
de l’autre autorise à le croire. — En effet, nous avons dit (quest. 27, art. 2
et 4, et quest. 28, art. 4) que le Fils procède de l’intelligence, comme Verbe,
et que le Saint-Esprit procède de la volonté, comme
amour. Or, l’amour doit nécessairement procéder du Verbe. Car nous n’aimons une
chose qu’autant que notre esprit en a la conception. D’où il est évident que l’Esprit-Saint procède du Fils. — C’est encore ce que nous
apprend l’ordre de la nature. Car nous ne voyons nulle part que plusieurs
choses procèdent d’une seule sans qu’il y ait de rapport entre elles, sauf
quand il s’agit d’objets qui diffèrent les uns des autres matériellement.
Ainsi, un coutelier fabrique beaucoup de couteaux qui sont distincts les uns
des autres matériellement, et qui, pour ce motif, n’ont point de rapports
réciproques. Mais dans les choses qui ne sont pas ainsi matériellement
distinctes, il y a toujours dans la pluralité des objets produits un rapport
qui les ordonne les uns à l’égard des autres. C’est ce qui manifeste dans la
création l’éclat de la divine sagesse. Donc, s’il y a deux personnes qui
procèdent du Père, le Fils et le Saint-Esprit, il
faut qu’il y ait un rapport entre ces deux personnes. Et comme il ne peut y avoir
d’autre rapport que la relation qui fait que l’un procède de l’autre, il n’est
pas possible de ne pas admettre cette procession, et de dire que le Fils et le Saint-Esprit procèdent du Père, sans que l’un procède de
l’autre. Car, en se refusant d’admettre cette relation, il faudrait, pour ne
pas les confondre, avoir recours à une distinction matérielle, ce qui est
impossible. — Aussi les Grecs, tout en niant que le Saint-Esprit
procède du Fils, ont-ils néanmoins voulu reconnaître qu’il avait avec le Fils
un certain rapport. Car ils accordent que le Saint-Esprit
est l’esprit du Fils, et qu’il vient du Père par le Fils. Quelques-uns d’entre
eux admettent qu’il vient du Fils ou qu’il en découle, mais, par ignorance ou
par entêtement, ils ne veulent pas qu’il en procède. Car, si on approfondit
convenablement la question, on verra que le mot de procession est, de tous les mots qui expriment une relation
quelconque, le plus commun, puisque nous l’employons pour exprimer une origine
quelconque. Nous disons, par exemple, que la ligne procède du point, le rayon
du soleil, le ruisseau de la source, et ainsi du reste. On peut donc dire de la
même manière que le Saint-Esprit procède du Fils
(Entre les Grecs il s’agissait donc beaucoup moins d’une question de doctrine-que d’une affaire d’amour-propre.).
Réponse
à l’objection N°1 : Nous ne devons affirmer de Dieu que ce que les Ecritures
nous en apprennent, non seulement quant aux mots, mais encore quant au sens.
Ainsi quoique l’Ecriture ne nous dise pas littéralement que le Saint-Esprit procède du Fils, elle nous dit l’équivalent en
d’autres termes, surtout dans ce passage de saint Jean où le Fils dit du Saint-Esprit : Il me
glorifiera parce qu’il prendra de ce qui est à moi (Jean, 16, 14).
D’ailleurs il faut avoir pour règle dans l’explication de la sainte Ecriture
d’entendre du Fils ce qui est dit du Père quand même il semblerait que le
passage se rapporte exclusivement au Père. Il n’y a d’exception que pour ce qui
les distingue l’un de l’autre suivant l’opposition de leurs relations. Par
exemple, quand Notre-Seigneur dit : Personne ne connaît le Fils, si ce n’est le
Père (Matth., 11, 27), il n’a pas voulu exclure
le Fils comme s’il ne se connaissait pas lui-même. Ainsi donc, puisqu’il est
dit que le Saint-Esprit procède du Père, quand même
il y aurait qu’il ne procède que de lui seul, cette exclusion ne porterait pas
sur le Fils, parce que, en tant que principe de l’Esprit-Saint,
le Père et le Fils ne sont pas opposés. Il n’y a d’opposition entre eux que
celle qui résulte de la relation de paternité et de filiation.
Réponse
à l’objection N°2 : Dans tout concile on a dressé un symbole contre l’erreur
qu’on y a condamnée. Par conséquent le dernier concile ne faisait pas un autre
symbole que le premier, mais il développait ce que celui-ci contenait
implicitement et détruisait par quelques additions les subtilités des
hérétiques. Ainsi il est dit dans le concile de Chalcédoine que les évêques
réunis au concile de Constantinople ont exposé la doctrine de l’Eglise sur l’Esprit-Saint, sans avoir la prétention de rien ajouter aux
Pères de Nicée, mais uniquement pour faire connaître leur sentiment contre les
hérétiques ((Voy. Conc. chalced., art. 5). Il
serait utile de comparer entre elles les décisions du concile de Nicée, de Constantinople,
d’Ephèse et de Chalcédoine, pour faire voir que toutes leurs décisions ne sont
que le développement d’une même pensée.). Comme à l’époque des premiers
conciles, l’erreur de ceux qui soutiennent que le Saint-Esprit
ne procède pas du Fils n’avait pas encore paru, il n’a pas été nécessaire
d’exprimer explicitement ce point de foi. Mais plus tard cette erreur ayant été
soutenue, le souverain pontife par l’autorité duquel les anciens conciles
étaient convoqués et confirmés exprima le dogme d’une manière plus positive
dans un concile qui se tint en Occident (Bellarmin (De Christo, liv. 2, chap. 20) et plusieurs autres auteurs ont pensé
que l’addition du Filioque avait été
faite au VIIe siècle, vers l’époque du
sixième concile œcuménique. Saint Thomas parait avoir été de ce sentiment, car
il n’est pas facile de préciser de quel concile il veut parler. Mais il est
certain que cette addition fut d’abord faite en Espagne vers le Ve siècle. Elle passa de l’Espagne dans les
Gaules vers le VIIIe siècle. Elle n’était
pas encore en usage à Rome au commencement du IXe
siècle, mais elle y était admise sur la fin de ce même siècle.). Ce dogme était
d’ailleurs implicitement contenu dans la profession de foi qui disait que l’Esprit-Saint procède du Père.
Réponse
à l’objection N°3 : Les partisans de Nestorius ont nié les premiers que le Saint-Esprit procède du Fils (Pour bien comprendre les
passages des Pères sur cette question, il faut se rappeler que l’Eglise eut
d’abord à prouver que le Saint-Esprit procède du Père
contre Eunomius et les ariens, qui attaquaient le
dogme de la Trinité. Les Pères du concile de Nicée mirent dans le Symbole Qui à Patre procedit sans autre explication, parce qu’ils ne
songèrent qu’à condamner ces premiers hérétiques. Ce ne fut qu’au Ve siècle qu’on mit en question si le Saint-Esprit procède aussi du Fils.3), comme on peut s’en
convaincre par un symbole des nestoriens condamné au concile d’Ephèse. Théodoret (Théodoret fut en effet
le premier auteur de cette erreur, d’après Bellarmin (De Christ, liv. 2, chap. 21), Pétau (De Trin., liv. 3, chap. 1), Garnier (De fid. Theodoreti, dissert. 3, chap.
1) et plusieurs autres erudits.) le
nestorien soutint cette erreur et après lui plusieurs autres l’embrassèrent.
Saint Jean Damascène fut du nombre, c’est pourquoi on ne doit pas s’en
rapporter à son sentiment. Cependant il y a des auteurs qui disent que si saint
Jean Damascène ne reconnaît pas que le Saint-Esprit
procède du Fils, il ne résulte pas non plus de ses paroles qu’il le nie.
Réponse
à l’objection N°4 : De ce que le Saint-Esprit repose
ou réside dans le Fils il ne s’ensuit pas qu’il ne procède pas de lui. Car on
dit que le Fils réside dans le Père, bien qu’il en procède. On dit aussi que l’Esprit-Saint repose dans le Fils, soit comme l’amour de
celui qui aime repose dans l’objet aimé, soit qu’il s’agisse de la nature
humaine du Christ dont il est écrit : Celui
sur qui vous verrez descendre et demeurer le Saint-Esprit,
c’est celui qui baptise, etc. (Jean, 1, 33).
Réponse
à l’objection N°5 : Dans la Trinité on n’assimile pas le Verbe à la parole
matérielle de laquelle l’Esprit ne procède pas, parce que dans ce cas ce serait
donner au mot Verbe un sens métaphorique ; on ne le compare qu’au Verbe que
nous concevons dans notre esprit, duquel procède l’amour.
Réponse
à l’objection N°6 : De ce que l’Esprit-Saint procède
parfaitement du Père, il n’est pas inutile de dire qu’il procède aussi du Fils
; c’est au contraire absolument nécessaire, parce que le Père et le Fils ont la
même vertu. Ainsi tout ce qui vient du Père doit venir aussi du Fils ; il n’y a
d’exception que pour ce qui serait contraire à ce qui est propre au Fils,
c’est-à-dire à la filiation. Ainsi par là même que le Fils procède du Père, il
ne peut avoir comme le Père l’innascibilité et ne relever que de lui-même
(C’est-à-dire il n’est pas à se, mais il est ab alio.).
Réponse
à l’objection N°7 : L’Esprit-Saint se distingue
personnellement du Fils en ce que l’origine de l’un se distingue de l’origine
de l’autre. Or, cette différence d’origine repose sur ce que le Fils ne procède
que du Père, tandis que l’Esprit-Saint procède du
Père et du Fils. Car autrement leurs processions se confondraient, comme nous
l’avons prouvé (dans le corps de l’article et quest. 27).
Article
3 : Le Saint-Esprit procède-t-il du Père par le Fils
?
Objection
N°1. Il semble que le Saint-Esprit ne procède pas du
Père par le Fils. Car ce qui procède d’un être par un autre n’en procède pas
immédiatement. Donc si le Saint-Esprit procède du
Père par le Fils, il ne procède pas du Père immédiatement, ce qui paraît
répugner.
Réponse
à l’objection N°1 : En toute action il faut considérer deux choses, le suppôt
qui agit et la vertu par laquelle il agit, comme le feu échauffe par la
chaleur. Si donc on considère dans le Père et le Fils la vertu par laquelle ils
produisent l’Esprit-Saint, il n’y a là rien de
médiat, puisque cette vertu est unique et qu’elle est la même dans l’un et
l’autre (Il faudrait donc bien se garder de dire dans ce sens que le Saint-Esprit procède du Père médiatement et du Fils immédiatement,
parce qu’alors on donnerait à penser que le Fils est l’instrument ou le
ministre et le serviteur du Père.). Si on considère les personnes qui
produisent l’Esprit-Saint, quoiqu’il procède du Père
et du Fils comme d’un seul et même principe, cependant il procède immédiatement
du Père et médiatement du Fils, et c’est pour ce motif qu’on dit qu’il procède
du Père par le Fils. Ainsi Abel procède immédiatement d’Adam son père et
médiatement d’Eve sa mère, parce que Eve procédait elle-même d’Adam. Bien que
cet exemple de procession matérielle semble peu convenable pour exprimer la
procession spirituelle des personnes divines.
Objection
N°2. Si l’Esprit-Saint procède du Père par le Fils,
il ne procède du Fils qu’à cause du Père. Le Père est donc pour lui plus que le
Fils, et par conséquent il procède plus du Père que du Fils.
Réponse
à l’objection N°2 : Si le Fils recevait du Père une vertu numériquement
différente de la sienne pour produire l’Esprit-Saint,
il s’ensuivrait qu’il serait comme une cause seconde et instrumentale et que
par conséquent l’Esprit procéderait du Père plutôt que du Fils. Mais la vertu
qui produit l’Esprit-Saint est numériquement la même
dans le Père et dans le Fils, elle est unique, et c’est pour cela que l’Esprit-Saint procède également de l’un et de l’autre.
Cependant on dit quelquefois qu’il procède principalement et proprement du
Père, parce que le Fils reçoit du Père la vertu de le produire.
Objection
N°3. Le Fils a l’être par voie de génération. Donc si l’Esprit-Saint
procède du Père par le Fils, il suit de là que le Fils est d’abord engendré et
qu’ensuite l’Esprit procède. Ce qui suppose que la procession de l’Esprit-Saint n’est pas éternelle ; ce qui est une hérésie.
Réponse
à l’objection N°3 : Comme la génération du Fils est naturelle au Père, de telle
sorte que le Père n’a point été sans engendrer son Fils, de même la procession
du Saint-Esprit est coéternelle à son principe. Par
conséquent le Fils n’a point été engendré avant que l’Esprit-Saint
ne procédât ; ils sont l’un et l’autre éternels.
Objection
N°4. Quand on dit que quelqu’un agit par un autre, on peut retourner la
proposition et dire que ce dernier agit par le premier. Ainsi comme nous disons
que le roi agit par le bailli, nous pouvons dire aussi que le bailli agit par
le roi. Or, nous ne disons pas que le Fils produit l’Esprit-Saint
par le Père. Donc nous ne pouvons pas dire non plus que le Père produit l’Esprit-Saint par le Fils.
Réponse
à l’objection N°4 : Quand on dit que quelqu’un opère par une chose, il n’y a
pas toujours lieu de retourner la proposition. Ainsi on ne dit pas que le
marteau opère par l’ouvrier, mais on dit que le bailli opère par le roi, parce
que le bailli agit lui-même et qu’il est maître de ses actes, tandis que le
marteau n’agit pas, mais il est seulement mis en action et n’est pour ce motif
que cause instrumentale. Mais on dit que le bailli opère par le roi, quoique la
proposition par indique quelque chose
de médiat ; parce que plus le suppôt est élevé par rapport à l’action et plus
sa vertu est immédiate par rapport à l’effet. Car c’est la vertu de la cause
première qui joint la cause seconde à son effet. C’est pour cette raison qu’on
appelle immédiats les premiers principes dont on se sert dans les sciences de
démonstration. Ainsi donc, dans l’ordre des suppôts qui agissent, le bailli est
un agent médiat ou intermédiaire, et l’on dit que le roi opère par le bailli.
Mais dans l’ordre des vertus ou de la puissance, le bailli opère par le roi,
parce que c’est la vertu ou la puissance du roi qui fait que l’action du bailli
produit son effet. Or, du Père au Fils il n’y a pas d’ordre à établir quant à
la vertu, puisqu’ils ont la même ; on ne peut établir d’ordre que quant aux
suppôts, et c’est pourquoi l’on dit que le Père produit l’Esprit-Saint
par le Fils et non réciproquement.
Mais
c’est le contraire. Car saint Hilaire dit (De
Trin., liv. 12) : Je vous en prie, ô mon Dieu, conservez en moi la pureté
de la foi, afin que je vous possède, vous le Père, que j’adore avec vous votre
Fils et que je sois digne de l’Esprit-Saint qui
procède de vous par votre Fils unique.
Conclusion
Puisque le Saint-Esprit ne procède du Fils que parce
que le Fils a reçu l’être du Père, on dit qu’il procède du Père par le Fils.
Il
faut répondre que toutes les fois que nous voulons exprimer qu’un être agit par
un autre, la préposition par désigne
dans celui-ci la cause ou le principe de cet acte. Mais l’action tenant le
milieu entre l’agent et le patient, quelquefois le principe causal auquel est
jointe la préposition par est cause
de l’action selon qu’elle sort de l’agent. Alors il est cause que l’agent agit
et il en est ou la cause finale, ou la cause formelle, ou la cause efficiente,
ou motrice. Il en est la cause finale, comme quand nous disons qu’un ouvrier
opère par amour du gain. Il en est la cause formelle, comme quand on dit qu’il
opère par son art. Il en est la cause motrice, comme quand on dit qu’il opère
par l’ordre d’un autre. Quelquefois aussi l’expression causale à laquelle est
jointe la préposition par est cause
de l’action selon qu’elle a pour terme la chose qui est produite ; comme quand
on dit que l’ouvrier opère par le marteau. Car on ne veut pas dire par là que
le marteau est cause que l’ouvrier travaille, mais qu’il est cause que l’objet
d’art procède de l’ouvrier et qu’il doit lui-même à l’ouvrier sa vertu. C’est
ce que quelques auteurs expriment en disant que la préposition par marque quelquefois l’autorité
directement, comme quand on dit : le roi
opère par le bailli, et quelquefois indirectement, comme quand on dit : le bailli opère par le roi. Le Fils
tenant du Père que le Saint-Esprit procède de lui, on
peut dire que le Père produit l’Esprit-Saint par le
Fils, ou ce qui revient au même, que l’Esprit-Saint
procède du Père par le Fils.
Article
4 : Le Père et le Fils sont-ils un seul principe de la procession de l’Esprit-Saint ?
Objection
N°1. Il semble que le Père et le Fils ne soient pas un seul principe de l’Esprit-Saint. En effet, le Saint-Esprit
ne semble pas procéder du Père et du Fils comme étant un dans leur nature,
parce qu’alors il procéderait de lui-même, puisqu’il ne fait également avec eux
qu’une seule nature. Il n’en procède pas non plus parce qu’ils ont une même
propriété commune, parce qu’il semble que deux suppôts ne peuvent avoir la même
propriété. Donc il procède du Père et du Fils comme étant plusieurs, et par
conséquent le Père et le Fils ne sont pas pour lui un seul et même principe.
Réponse
à l’objection N°1 : Si l’on n’observe que la vertu activement productive de l’Esprit-Saint, il procède du Père et du Fils, suivant
l’unité de cette vertu, qui désigne d’une certaine manière la nature avec la
propriété, comme nous le dirons à la fin de cet article. Il n’y a pas de
répugnance à admettre une propriété unique dans deux suppôts qui n’ont qu’une
seule nature. Mais si on considère les suppôts qui produisent l’Esprit-Saint, alors l’Esprit procède du Père et du Fils,
comme étant plusieurs ; car il en procède comme l’amour qui les unit tous les
deux.
Objection
N°2. Quand on dit que le Père et le Fils sont un seul principe de l’Esprit-Saint, on ne peut désigner par cette unité une unité
personnelle, parce qu’alors le Père et le Fils ne formeraient qu’une seule
personne. On ne peut pas désigner davantage l’unité de propriété, parce que si
en raison de l’unité de propriété le Père et le Fils sont un seul principe de
l’Esprit-Saint, pour le même motif en raison de ses
deux propriétés on pourra dire que le Père forme à lui seul deux principes,
qu’il est le principe du Fils et le principe de l’Esprit ; ce qui répugne. Donc
le Père et le Fils ne sont pas un seul et même principe de l’Esprit-Saint.
Réponse
à l’objection N°2 : Quand on dit : Le
Père et le Fils sont un seul principe de l’Esprit-Saint,
on ne désigne par là qu’une seule propriété, qui est la forme que ce mot
exprime. Il ne suit cependant pas de là qu’en raison de la pluralité des
propriétés du Père on puisse dire qu’il est plusieurs principes, parce que
cette expression impliquerait la pluralité des suppôts.
Objection
N°3. Le Fils ne se rapporte pas plus intimement au Père que l’Esprit-Saint. Or, l’Esprit-Saint
et le Père ne sont pas un seul principe par rapport à une personne divine. Donc
le Père et le Fils ne le sont pas non plus.
Réponse
à l’objection N°3 : La ressemblance et la dissemblance ne se prennent pas pour
les personnes divines de leurs propriétés relatives, mais de leur essence.
Ainsi comme le Père n’est pas plus semblable à lui-même qu’au Fils, de même le
Fils n’est pas plus semblable au Père qu’à l’Esprit-Saint.
Objection
N°4. Si le Père et le Fils sont un seul principe de l’Esprit-Saint,
l’unité retombera sur ce qu’est le Père ou sur ce qu’il n’est pas. Or, ni l’une
ni l’autre de ces deux choses n’est admissible. Car si l’unité retombe sur ce
qu’est le Père, il suit de là que le Fils est le Père ; si elle tombe sur ce
que n’est pas le Père il s’ensuivra que le Père n’est pas Père. Donc il ne faut
pas dire que le Père et le Fils sont un seul principe de l’Esprit-Saint.
Réponse
à l’objection N°4 : Ces deux propositions : le Père et le Fils sont un seul principe qui est le Père ou
un seul principe qui n’est pas le Père,
ne sont pas deux propositions contradictoires. On n’est donc pas obligé
d’admettre l’une ou l’autre. Car quand nous disons : le Père et le Fils sont un
seul principe, le mot principe ne se
rapporte pas à un suppôt déterminé ; il a même un sens général par lequel il se
rapporte aux deux personnes à la fois. Par conséquent l’objection est un
sophisme qu’on appelle dans l’Ecole : fallacia figuræ dictionis (On appelle
ainsi tout raisonnement qui joue sur l’ambiguïté des termes.), puisqu’il
conclut du général au particulier.
Objection
N°5. Si le Père et le Fils sont un seul principe de l’Esprit-Saint,
il semble qu’on peut retourner la proposition et dire que le seul principe de
l’Esprit-Saint est le Père et le Fils. Or, cette
dernière proposition semble fausse, parce que par le mot principe il faut entendre ou la personne
du Père ou la personne du Fils, et que dans l’un et l’autre cas la proposition
est fausse. Donc il est également faux de dire que le Père et le Fils sont un
seul principe de l’Esprit-Saint.
Réponse
à l’objection N°5 : Cette proposition est vraie : le seul principe de l’Esprit-Saint est le
Père et le Fils, parce que par le mot principe nous n’entendons pas une
seule personne, mais nous entendons indistinctement les deux personnes, comme
nous venons de le dire.
Objection
N°6. L’unité en substance produit l’identité. Si le Père et le Fils sont un
seul principe de l’Esprit-Saint, il s’ensuit donc
qu’ils sont le même principe identiquement ; ce qui est contraire au sentiment
d’un grand nombre. Donc il ne faut pas admettre que le Père et le Fils sont un
seul principe de l’Esprit-Saint.
Réponse
à l’objection N°6 : On peut dire que le Père et le Fils sont un même principe,
à condition que le mot principe
exprime en général, sans distinction aucune, les deux personnes ensemble.
Objection
N°7. Le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne forment
qu’un seul créateur, parce qu’ils sont un seul principe des créatures. Or, le
Père et le Fils ne forment pas un seul spirateur ; la plupart en reconnaissent deux, ce qui est
d’ailleurs tout à fait conforme au sentiment de saint Hilaire, qui dit (De Trin., liv. 2) que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils, ses auteurs. Donc
le Père et le Fils ne sont pas un seul principe de l’Esprit-Saint.
Réponse
à l’objection N°7 : A la vérité il y en a qui disent que le Père et le Fils,
bien qu’ils soient un seul principe de l’Esprit-Saint,
sont cependant deux spirateurs
en raison de la distinction des suppôts, comme deux spirants, parce que les actes se rapportent aux suppôts. Le
raisonnement tiré du mot créateur
n’est pas ici applicable, parce que l’Esprit-Saint
procède du Père et du Fils comme étant deux personnes distinctes, tandis que
les créatures procèdent des trois personnes divines, non comme étant distinctes
personnellement, mais comme étant unes dans leur essence. Mais le mot spirant étant un adjectif et le mot spirateur un
substantif, il semble mieux de dire que le Père et le Fils sont deux spirants à cause de la pluralité des
suppôts, mais non deux spirateurs
parce qu’il n’y a qu’une spiration. Car les adjectifs
s’accordent en nombre avec les suppôts auxquels ils se rapportent, tandis que
les substantifs ne s’emploient au pluriel que selon la pluralité de la forme
qu’ils expriment (Cette expression laisserait donc croire qu’il y a plusieurs
opérations.). Ainsi quand saint Hilaire dit que le Saint-Esprit
vient du Père et du Fils ses auteurs, il faut prendre ce dernier substantif
adjectivement.
Mais
c’est le contraire. Car saint Augustin dit (De
Trin., liv. 5, chap. 14) que le Père et le Fils ne sont pas deux principes,
mais un seul principe de l’Esprit-Saint.
Conclusion
Le Père et le Fils se rapportant à l’Esprit-Saint,
sans être distingués sous ce rapport par aucune opposition de relation, ils ne
sont qu’un seul principe de l’Esprit-Saint.
Il
faut répondre que le Père et le Fils sont un dans toutes les choses à l’égard
desquelles il n’y a pas entre eux opposition de relation. Par conséquent, comme
dans la production de l’Esprit-Saint il n’y a pas
entre eux opposition de relation, il s’ensuit que le Père et le Fils ne sont
qu’un seul principe par rapport à cet acte. — Il y a cependant des théologiens
qui disent que cette proposition est impropre : Le Père et le Fils sont un seul principe de l’Esprit-Saint.
Car, disent-ils, le mot principe pris
au singulier ne signifiant pas la personne, mais la propriété, doit être
entendu adjectivement, et comme un adjectif n’est pas déterminé par un
adjectif, on ne peut pas dire que le Père et le Fils sont un seul principe de
l’Esprit-Saint, à moins de donner au mot seul (unum) le sens d’un adverbe, ce qui signifiera alors qu’ils sont un
seul principe, c’est-à-dire qu’ils le produisent d’une seule et même manière.
D’après le même raisonnement on pourrait dire que le Père est les deux
principes du Fils et du Saint-Esprit, puisqu’il les produit de deux manières différentes. — Il
vaut donc mieux dire que quoique le mot principe
signifie une propriété il l’exprime substantivement, comme les mots Père et
Fils quand on les applique aux créatures. C’est donc à la forme que ce mot
exprime à déterminer son nombre, comme il en est de tous les substantifs. Donc comme
le Père et le Fils sont un seul Dieu en raison de l’unité de forme que le mot Dieu exprime, de même ils sont un seul
principe de l’Esprit-Saint à cause de l’unité de
propriété que le mot principe
signifie (Pour éviter toute équivoque, il faut distinguer deux sortes de
principes avec certains théologiens : le principe quod, qui est le suppôt auquel l’action se rapporte, et le principe
quo, qui est la forme par laquelle le
suppôt agit. Dans la production de l’Esprit-Saint le
principe quod est double, c’est-à-dire
que la procession s’attribue à deux personnes, quoique ces deux personnes ne
fassent qu’un seul et même acte ; mais le principe quo est un, parce que le Saint-Esprit est
produit par une seule et même spiration. Cette
confusion d’idées a été probablement la cause de toutes les discussions qui se
sont élevées à ce sujet.).
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de
l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec
l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous
puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au
respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune
évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de
la morale catholique et des lois justes.