Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
1a = Prima Pars =
Première Partie
Question 38 : Du
mot don considéré comme le nom de l’Esprit-Saint
Nous
avons maintenant à nous occuper du mot don
qui est aussi un des noms de l’Esprit-Saint. — A cet
égard deux questions se présentent : 1° Le mot don peut-il être un nom personnel ? (Le mot don se prend dans les saintes Ecritures, tantôt pour la personne
divine, tantôt pour un don créé, tantôt pour l’essence divine. Dans ces paroles
de saint Jean (Jean, 4, 10) : Si vous
saviez le nom de Dieu, le mot don se prend pour la personne, d’après Albert
le Grand ; il s’entend des dons créés dans ce passage de saint Paul (Rom., 11, 29) : Car Dieu ne se repent pas de ses dons et de son appel ; on peut
l’entendre tout à la fois de la personne divine et du don créé de la charité
dans ce teste (2 Cor., 9, 15) : Grâces soient rendues à Dieu pour son don
ineffable ; enfin on l’entend de l’essence dans ce texte de saint Jean
(Jean, 10, 29) : Ce que mon Père m’a
donné est plus grand que toutes choses.) — 2° Ce nom est-il propre à l’Esprit-Saint ? (L’Eglise attribue
elle-même ce nom à l’Esprit-Saint, puisqu’elle nous
fait chanter dans l’hymne de la Pentecôte ces paroles : Qui diceris Paracletus
altissimi donum Dei.)
Article
1 : Le mot don est-il un nom
personnel ?
Objection
N°1. Il semble que le mot don ne soit
pas un nom personnel. Car tout nom personnel signifie une distinction
quelconque dans les personnes divines. Or, le mot don n’exprime pas une distinction de cette nature. Car saint
Augustin dit (De Trin., liv. 15,
chap. 19) que l’Esprit-Saint est donné comme un don
de Dieu, de telle sorte qu’il se donne lui-même en tant que Dieu. Donc le mot don n’est pas un nom personnel.
Réponse
à l’objection N°1 : Le mot don
exprime une distinction personnelle, parce que le mot don se dit d’un être qui vient d’un autre. Néanmoins on dit que l’Esprit-Saint se donne lui-même, dans le sens qu’il
s’appartient à lui-même, qu’il peut user ou plutôt jouir de lui-même, comme on
dit que l’homme libre s’appartient et qu’il est maître de sa personne. C’est ce
qu’exprime saint Augustin quand il dit : Y a-t-il quelque chose qui vous
appartienne plus intimement que vous-même (Sup.
Joan., Tract. 29). Pour répondre
plus complètement à la difficulté, on doit observer que le don doit être de
quelque manière la propriété de celui qui donne. Or, il peut être sa propriété
de plusieurs façons. 1° Il peut lui appartenir comme étant identique avec lui,
et dans ce cas le don ne se distingue pas de celui qui donne, mais de celui qui
reçoit ; c’est dans ce sens qu’on dit que l’Esprit-Saint
se donne lui-même. 2° On dit qu’une chose est la propriété d’un autre quand
elle est sa possession, comme un esclave ou un serviteur. Il faut alors que le
don soit essentiellement distinct de celui qui donne ; c’est ainsi que le don
de Dieu est quelque chose de créé. 3° On dit qu’une
chose appartient à un autre par origine ; c’est de cette manière que le Fils
appartient au Père, et l’Esprit-Saint au Père et au
Fils. Quand on se sert du mot don
dans ce dernier sens et qu’on l’applique à celui qui donne, il se distingue
personnellement de celui qui en est le principe, et il est un nom personnel.
Objection
N°2. Aucun nom personnel ne peut convenir à l’essence divine. Or, l’essence
divine est un don que le Père fait au Fils, comme le dit saint Hilaire (De Trin., liv. 8). Donc le mot don n’est pas un nom personnel.
Réponse
à l’objection N°2 : On dit de l’essence qu’elle est le don du Père dans le
premier sens, parce que l’essence est alors identifiée avec le Père qui la
donne au Fils.
Objection
N°3. D’après saint Jean Damascène (liv. 4, chap. 19), il n’y a entre les
personnes divines ni sujétion, ni dépendance. Or, le mot don suppose une certaine sujétion de celui qui reçoit à l’égard de
celui qui donne. Donc le mot don
n’est pas un nom personnel.
Réponse
à l’objection N°3 : Le mot don comme
nom personnel ne suppose pas sujétion ; il implique seulement un rapport
d’origine à l’égard de celui qui donne, et le libre usage ou la puissance par rapport
à celui qui le reçoit, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.).
Objection
N°4. Le mot don implique un rapport à
la créature. A ce titre il semble n’être pour Dieu qu’un nom temporaire. Or,
les noms personnels sont en Dieu éternels comme les noms de Père et de Fils.
Donc le mot don n’est pas un nom
personnel.
Réponse
à l’objection N°4 : On n’appelle pas don ce qui est actuellement donné, mais ce
qui est de nature à être donné. C’est ce qui fait que la personne divine est
appelée don de toute éternité, bien
qu’elle ne soit donnée que dans le temps. Toutefois bien que le don implique un
rapport avec les créatures, il n’est pas nécessaire pour elle que ce soit un
nom essentiel ; il suffit que dans sa signification il renferme quelque chose
d’essentiel ; comme l’essence est renfermée dans le concept de la personne,
ainsi que nous l’avons dit (quest. 29, art. 4, et quest. 34, art. 3, réponse
N°1).
Mais
c’est le contraire. Car saint Augustin dit (De
Trin., liv. 15, chap. 19) : Comme le corps de la chair n’est rien autre
chose que la chair, de même le don de l’Esprit-Saint
n’est rien autre chose que l’Esprit-Saint. Or, le mot
Esprit-Saint est un nom personnel. Donc le mot don aussi.
Conclusion
Puisqu’il est dans la nature de la personne divine de tirer son être d’un
autre, elle peut être donnée à la créature raisonnable sans que celle-ci le
mérite par sa propre vertu, et à ce titre on peut dire d’une personne divine
qu’elle est un don et qu’elle est donnée.
Il
faut répondre que le mot don suppose
une chose qui est apte à être donnée. Ce que l’on donne suppose un certain
rapport entre celui qui donne et celui qui reçoit. Car on ne peut donner
qu’autant qu’on possède ce que l’on donne et que celui qui le reçoit est apte à
le posséder lui-même. Or, une personne divine peut appartenir à quelqu’un, soit
par origine comme le Fils appartient au Père, soit parce qu’un autre la
possède. Nous disons que nous possédons une chose quand nous pouvons librement
et à notre gré nous en servir et en jouir. Or, il n’y a que la créature
raisonnable unie à Dieu qui puisse posséder de cette manière une personne
divine. Car les autres créatures peuvent recevoir de la personne divine le
mouvement, mais il n’est pas en leur pouvoir de jouir de sa possession et d’user
de ses faveurs. La créature raisonnable y parvient quand elle participe du
Verbe divin et de l’Amour qui procède au point de pouvoir librement connaître
véritablement Dieu et l’aimer d’un pur amour. Elle peut donc seule ainsi
posséder une personne divine. Mais elle ne peut arriver à cette possession par
sa propre vertu. Il faut que cette faveur lui soit donnée, car nous donnons le
nom de don à tout ce qui nous vient
du dehors. C’est dans ce sens qu’on peut dire de la personne divine qu’elle est
un don et qu’elle est donnée.
Article
2 : Le mot don est-il un nom propre à
l’Esprit-Saint ?
Objection
N°1. Il semble que le mot don ne soit
pas le nom propre de l’Esprit-Saint. Car on appelle don tout ce qui est donné. Or, nous
lisons dans Isaïe (Is., 9, 6) : Le Fils nous a été donné. Donc le mot don peut être le nom du Fils aussi bien que celui du Saint-Esprit.
Réponse
à l’objection N°1 : Comme le Fils, par là même qu’il procède de l’intelligence,
est par sa nature semblable à son principe et est appelé l’image du Père, bien que l’Esprit-Saint
soit aussi semblable au Père ; de même l’Esprit-Saint
procédant du Père, comme amour, est appelé don,
quoique le Fils soit aussi donné. Car le Fils n’est donné que par suite de
l’amour du Père, suivant cette parole de saint Jean : Dieu a tellement aimé le monde, qu’il lui a donné son Fils unique
(Jean, 3, 16).
Objection
N°2. Tout nom qui est propre à une personne, exprime une de ses propriétés. Or,
le mot don n’exprime pas une
propriété de l’Esprit-Saint. Donc ce nom ne lui est
pas propre.
Réponse
à l’objection N°2 : Le don doit être
de celui qui donne par origine, et par conséquent il désigne la propriété
d’origine de l’Esprit-Saint qui est la procession (Il
désigne aussi son mode de procession, c’est-à-dire qu’il indique que le Saint-Esprit procède de la- volonté, puisqu’on ne donne que
par suite de l’inclination de la volonté elle-même.).
Objection
N°3. On peut dire de l’Esprit-Saint qu’il est
l’esprit d’un homme. Or, on ne peut pas dire qu’il est le don d’un homme, mais
on ne peut que l’appeler le don de Dieu. Donc le mot don n’est pas le nom propre de l’Esprit-Saint.
Réponse
à l’objection N°3 : Le don avant d’être donné n’appartient qu’à celui qui
donne, mais après qu’il est donné il appartient à celui qui le reçoit. Comme le
don n’implique pas une donation actuelle, on ne peut pas dire que l’Esprit-Saint soit le don de l’homme, on dit seulement que
c’est le don de Dieu qui donne (On ne peut pas dire que ce soit un don de
l’homme, puisque avant d’être donné il n’appartient qu’à celui qui peut le
donner, c’est-à-dire à Dieu.). Mais après que le don est fait, on peut dire
qu’il est l’esprit de l’homme, ou le bien qui lui a été donné.
Mais
c’est le contraire. Car saint Augustin dit (De
Trin., liv. 4, chap. 20) : Comme naître est pour le Fils procéder du Père,
de même être le don de Dieu est pour l’Esprit-Saint
procéder du Père et du Fils. Donc le mot don
est son nom propre.
Conclusion
L’Esprit-Saint procédant en tant qu’amour, le mot don est pour lui un nom propre et personnel.
Il
faut répondre que le mot don entendu dans
un sens personnel est un nom propre de l’Esprit-Saint.
— Pour bien comprendre cette proposition, il faut savoir que le mot don signifie, d’après Aristote (Top., liv. 4, chap. 4), dans son
acception propre, une donation faite sans retour, c’est-à-dire faite sans avoir
l’intention d’en retirer quelque chose. Le véritable don est par conséquent
tout gratuit. Or, la raison d’une donation gratuite ne peut être que l’amour.
Car nous ne donnons jamais quelque chose gratuitement à quelqu’un, que parce
que nous l’aimons. Et la première chose que nous lui donnons c’est l’amour par
lequel nous lui voulons du bien. D’où il est évident que l’amour est le
principe du premier don duquel découlent tous les autres dons gratuits. Puisque
l’Esprit-Saint procède comme amour, ainsi que nous
l’avons dit (quest. 37, art. 1), il procède donc comme étant le premier don ;
c’est ce qui fait dire à saint Augustin (De
Trin., liv. 15, chap. 24) : Par le don
qui est l’Esprit-Saint viennent tous les autres dons
que Dieu distribue aux membres de Jésus-Christ.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
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