Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
1a = Prima Pars =
Première Partie
Question 41 : Des
personnes considérées par rapport aux actes notionnels
Nous
avons à nous occuper ensuite des personnes étudiées dans leur rapport avec les
actes notionnels. — A cet égard six questions se présentent : 1° Faut-il
attribuer aux personnes les actes notionnels ? (Le concile de Latran a lui-même
attribué aux personnes divines des actes notionnels. Ainsi il dit : Pater generans, Filius nascens, Spiritus sanctus procedens.
Et ailleurs : Est Pater qui generat, Filius qui gignitur, Spiritus sanctus qui procedit (Voy. de Sum. Trin. et fid. cath. in C. damnamus).) — 2° Les actes notionnels sont-ils
nécessaires ou volontaires ? (Eunomius prétendait que
les processions divines étaient volontaires, et il partait de là pour établir
de l’inégalité entre le Père et le Fils, entre le Fils et le Saint-Esprit.
Saint Hilaire a condamné formellement cette hérésie en ces termes (De Synod.) : Si quis voluntate Dei, tanquàm unum aliquid de creaturis, Filium factum dicat, anathema sit. Le IIIe concile de Tolède a dit dans le même sens :
Quicumque Filium Dei Dominum nostrum Jesum Christum juxtà deitatem, et Spiritum sanctum esse Patre minorem asseruerit
et gradibus separaverit, creaturamque esse dixerit : anathema sit.) — 3° D’après
ces actes la personne procède-t-elle de rien ou de quelque chose ? (Cet article
est une réfutation de Calvin, qui a prétendu que le Fils n’était pas Dieu de
Dieu et qu’il n’était pas de la substance du Père. Il attaque également les
ariens, Macédonius et tous ceux en un mot, qui ont
nié la consubstantialité du Verbe ou de l’Esprit-Saint.)—
4° Y a-t-il en Dieu une puissance à l’égard des actes notionnels ? (Les agaréniens ont dit que Dieu ne pouvait avoir un Fils, et Sabellius
lui a refusé également le pouvoir de produire le Saint-Esprit. Cet article est
une réfutation de cette double erreur.) — 5° Que signifie cette puissance ?
(Raymond Lulle avait avancé que les trois personnes divines sont tellement
unies qu’aucune d’elles ne peut rien faire intrinsèquement sans les autres ;
par conséquent que le Père ne peut engendrer sans que le Fils n’engendre. Le
pape Innocent III a ainsi condamné cette erreur (De sum. Trin. et fid. cath.)
: Firmiter credimus et simpliciter confitemur quod…
Pater à nullo, Filius à Patre solo, Spiritus sanctus pariter ab utroque : absque initio semper, ac sine fine, Pater generans, Filius nascens, Spiritus sanctus procedens, consubstantiales.) — 6° Les actes notionnels
peuvent-ils s’étendre à plusieurs personnes ? (L’Ecriture,
les conciles et toute la tradition proclament qu’il n’y a en Dieu qu’un seul
Père, qu’un seul Fils et qu’un seul Esprit-Saint et
qu’il ne peut y en avoir plusieurs. Saint Thomas en donne ici les raisons.)
Article
1 : Doit-on attribuer aux personnes mes actes notionnels ?
Objection
N°1. Il semble qu’on ne doive pas attribuer aux personnes les actes notionnels.
Car Boëce dit (De
Trin.) que tous les genres, du moment où ils servent de prédicat à la
Divinité, se transforment dans la substance divine, à l’exception de ce qui est
relatif. Or, l’action est un des dix genres (Les dix genres dont il est ici
question sont les dix catégories ; dans l’énumération qu’Aristote en fait
l’action est placée au neuvième rang et la passion est au dernier (Categ., sect. 2,
chap. 4).). Donc si on attribue à Dieu une action, elle se rapportera à son
essence et non à sa notion.
Réponse
à l’objection N°1 : Toute origine est désignée par un acte quelconque. Or, on
peut reconnaître en Dieu deux espèces d’origine. L’une par laquelle les
créatures procèdent de lui ; elle est commune aux trois personnes. C’est
pourquoi les actions qu’on attribue, à Dieu pour désigner cette procession se
rapportent à l’essence. L’autre est la procession d’une personne d’une autre
personne. Les actes qui désignent l’ordre de cette seconde espèce d’origine
sont appelés notionnels, parce que les notions des personnes sont les rapports
qu’elles ont entre elles, comme nous l’avons dit (quest. 33, art. 3).
Objection
N°2. Saint Augustin dit (De Trin.,
liv. 5, chap. 4 et 5) : Tout ce qu’on dit de Dieu se rapporte à la substance ou
à la relation. Or, ce qui a rapport à la substance est exprimé par des
attributs essentiels, et ce qui a rapport à la
relation par les noms des personnes et les noms des propriétés. Donc on ne doit
pas attribuer aux personnes des actes notionnels indépendamment de ces noms.
Réponse
à l’objection N°2 : Les actes notionnels diffèrent des relations des personnes
quant au mode de signification seulement, mais en réalité ils sont absolument
la même chose. C’est ce qui fait dire au Maître des sentences (liv. 1, dist.
26), que la génération et la naissance signifient sous d’autres noms la
paternité et la filiation. Pour comprendre cette proposition il faut remarquer
que c’est par le mouvement que nous connaissons qu’une chose vient d’une autre.
Car quand le mouvement vient à modifier la disposition d’un être, il est
évident que cet accident provient d’une cause quelconque. L’action, selon
l’acception primitive du mot, implique pour ce motif l’origine d’un mouvement.
En effet, comme on appelle passivité, passion,
le mouvement quand il est dans un mobile qui l’a reçu d’un autre, de même on
donne le nom d’action à l’origine du
mouvement, c’est-à-dire au mouvement qui part d’un être pour arriver à un but
déterminé. Or, si l’on fait abstraction du mouvement, l’action n’implique plus
qu’un rapport d’origine, selon lequel l’action procède d’une cause ou d’un
principe pour tendre au terme produit par ce principe. Ainsi donc, comme dans
la Trinité il n’y a pas de mouvement, l’action personnelle de celai qui produit
la personne n’est rien autre chose que le rapport du principe à la personne qui
en émane. Ces rapports sont les relations elles-mêmes ou les notions. Et
puisque d’une part nous ne pouvons parler des choses divines et intelligibles
qu’à la manière des choses sensibles, auxquelles nous empruntons nos
connaissances, et que d’une autre part dans les choses sensibles, par là même
qu’elles sont mues, les actions et les passions se distinguent des relations
qui en sont la conséquence, il a donc fallu, exprimer les rapports des
personnes par leurs actes et l’exprimer par leurs relations sans que ces deux
genres d’expression se confondent. De là on voit clairement que les actes et
les relations sont en réalité la même chose, mais qu’ils diffèrent quant à leur
mode de signification.
Objection
N°3. Le propre de l’action est d’impliquer de soi une passivité quelconque. Or,
dans la Trinité nous ne supposons aucune passivité. Donc nous ne devons pas non
plus y supposer des actes notionnels.
Réponse
à l’objection N°3 : L’action implique passion quand l’action exprime l’origine
d’un mouvement. Mais ce n’est pas ainsi que nous entendons le mot action en parlant de la sainte Trinité.
Nous ne supposons en elle aucune passion, seulement nous employons
grammaticalement le passif pour nous soumettre aux formes du langage. C’est
ainsi que nous disons du Père qu’il engendre et du Fils qu’il est engendré.
Mais
c’est le contraire. Car saint Augustin dit (Lib.
de fid. ad Pet.) : Le propre du Père est d’avoir
engendré le Fils. Or, la génération est un acte. Donc il faut reconnaître dans
la Trinité des actes notionnels.
Conclusion
Il faut nécessairement attribuer aux personnes divines des actes notionnels
pour connaître leur rang d’origine.
Il
faut répondre que dans les personnes divines la distinction se prend de
l’origine. L’origine ne peut être convenablement désignée que par des actes.
C’est pourquoi il a été nécessaire d’attribuer aux personnes des actes
notionnels pour exprimer leur rang d’origine ou l’ordre selon lequel elles
procèdent.
Article
2 : Les actes notionnels sont-ils volontaires ?
Objection
N°1. Il semble que les actes notionnels ne soient pas volontaires. Car saint
Hilaire dit (Lib. de Synod.,
can. 25) : Le Père n’a pas obéi à une nécessité de sa nature en engendrant son
Fils.
Réponse
à l’objection N°1 : Le passage allégué a pour objet de combattre ceux qui
n’admettaient pas même dans le Père une volonté concomitante à la génération du
Fils et qui disaient qu’il l’avait engendré par nature, sans que sa volonté y
eût pris aucune part, comme il nous arrive de souffrir contrairement à cette
volonté, par une nécessité de notre nature, la mort, la vieillesse et d’autres
maux semblables. Il est évident que saint Hilaire a voulu surtout réfuter cette
opinion. Car il dit au même endroit : Le Père n’a pas engendré le Fils sans le
vouloir, il n’y a pas été contraint, forcé par une nécessité de sa nature.
Objection
N°2. Saint Paul dit : Il nous a
transportés dans le royaume du Fils de son amour (Col., 1, 13). Or, la dilection appartient à la volonté. Donc le
Fils a été engendré volontairement par le Père.
Réponse
à l’objection N°2 : L’Apôtre nomme le Christ le Fils
de la dilection de Dieu pour exprimer la surabondance infinie de l’amour que
Dieu a pour lui. Mais ces expressions ne signifient pas que l’amour est le
principe de la génération du Fils.
Objection
N°3. Rien n’est plus volontaire que l’amour. Or, l’Esprit-Saint
procède du Père et du Fils en tant qu’amour. Donc il en procède volontairement.
Réponse
à l’objection N°3 : La volonté étant une nature, elle s’attache à certaine
chose naturellement ; ainsi la volonté de l’homme tend naturellement au
bonheur. De même Dieu se veut et s’aime naturellement. Mais à l’égard des
autres objets sa volonté est libre de préférer l’un à l’autre, comme nous
l’avons dit (quest. 19, art. 3). Or, l’Esprit-Saint
procède, comme amour, en tant que Dieu s’aime lui-même. Il procède donc
naturellement quoiqu’il procède de la volonté.
Objection
N°4. Le Fils procède de l’intelligence en tant que Verbe. Or, tout Verbe
procède de celui qui parle par la volonté. Donc le Fils procède du Père par la
volonté et non par la nature.
Réponse
à l’objection N°4 : Toutes les conceptions intellectuelles peuvent se ramener
aux premiers principes qu’on comprend naturellement. Or, Dieu se comprend
naturellement lui-même, et par conséquent la conception du Verbe divin est
naturelle.
Objection
N°5. Ce qui n’est pas volontaire est nécessaire. Si le Père n’a pas engendré le
Fils par la volonté il semble donc s’ensuivre qu’il l’a engendré par nécessité,
ce qui est contraire à ce que dit saint Augustin (Lib. ad Oros., quest. 7).
Réponse
à l’objection N°5 : Une chose peut être nécessaire d’une nécessité intrinsèque
et d’une nécessité extrinsèque. On distingue deux sortes de nécessité
extrinsèque. La première existe quand le sujet est soumis à une cause
extérieure qui le contraint ; cette nécessité devient alors de la violence. La
seconde est le résultat de la cause finale. Ainsi on dit qu’une chose est
nécessaire par rapport à la fin quand sans elle la fin ne peut exister ou du
moins être heureusement atteinte. La génération divine n’est pas nécessaire
d’une nécessité extrinsèque, parce que Dieu n’existe pas en vue d’une fin et
que la contrainte ne peut s’exercer sur lui. On appelle nécessaire
intrinsèquement ce qui ne peut pas ne pas être. C’est ainsi que l’existence de
Dieu est nécessaire, et c’est aussi de cette manière qu’il est nécessaire que
le Père engendre le Fils.
Mais
c’est le contraire. Car saint Augustin dit dans le même livre que le Père n’a
engendré le Fils ni par la volonté, ni par nécessité.
Conclusion
Les actes notionnels ne sont volontaires que d’une volonté concomitante.
Il
faut répondre que quand on dit qu’une chose est
ou qu’elle est faite par la volonté (Esse vel fieri voluntate.), cette
proposition peut s’entendre de deux manières : 1° L’ablatif peut ne désigner
qu’une simple concomitance. Par exemple, je puis dire que je suis homme par ma
volonté, c’est-à-dire parce que je veux être homme. Dans ce sens on peut dire
que le Père a engendré le Fils par sa volonté, comme il est Dieu par sa
volonté, ce qui signifie qu’il veut être Dieu et qu’il veut engendrer son Fils.
2° L’ablatif peut exprimer un rapport de principe. Ainsi on dit que l’ouvrier
travaille par sa volonté, parce que sa volonté est le principe de son travail.
On ne peut pas dire en ce sens que Dieu le Père a engendré son Fils par sa
volonté, mais on doit dire qu’il a ainsi produit les créatures. De là saint
Hilaire dit (De Synod.)
que si quelqu’un avance que le Fils a été fait comme l’une des créatures par la
volonté de Dieu, qu’il soit anathème. — La raison en est que la volonté et la
nature diffèrent l’une de l’autre en tant que cause. En effet la nature n’agit
que pour une seule fin déterminée, tandis que la volonté n’est pas ainsi
restreinte. Car l’effet est toujours semblable à la forme par laquelle l’agent
le produit. Or, il est évident qu’une chose ne peut avoir qu’une forme
naturelle et que c’est cette forme qui fait son être. C’est pourquoi tout être
produit naturellement quelque chose qui est tel que lui. Mais la forme par
laquelle la volonté agit n’est pas seulement une, elle est au con traire
multiple, et sa multiplicité est en raison du nombre des divers points de vue
de l’esprit. Ainsi ce qu’on fait volontairement n’est pas tel qu’est l’agent,
mais tel qu’il le veut et tel qu’il le comprend. La volonté est donc le
principe des choses qui peuvent être d’une manière ou d’une autre, tandis que
la nature est le principe de celles qui ne peuvent être que d’une seule
manière. Or, ce qui peut exister de diverses manières répugne tout à fait à la
nature divine et ne peut convenir qu’aux choses créées, parce que Dieu est par
lui-même l’être nécessaire, tandis que les créatures ont été faites de rien. —
C’est pour cela que les ariens, voulant faire du Fils une créature, avancèrent
que le Père a engendré le Fils par sa volonté suivant que la volonté désigne un
principe d’action. Pour nous, nous devons dire que le Père a engendré le Fils
non par la volonté, mais par la nature. De là saint Hilaire dit (Lib. de Synod.)
: La volonté de Dieu donne la substance à toutes les créatures, mais la
naissance parfaite qui résulte d’une substance impassible et qui n’est pas née
a donné au Fils sa nature. Car tout dans la création est tel que Dieu l’a voulu
; le Fils né de Dieu subsiste au contraire tel qu’est Dieu lui-même.
Article
3 : Les actes notionnels sont-ils produits de quelque chose ?
Objection
N°1. Il semble que les actes notionnels ne soient pas produits de quelque
chose. Car si le Père engendre le Fils de quelque chose, c’est ou de lui-même
ou de quelque autre. S’il l’engendre de quelque autre, puisque ce qui engendre
est dans celui qui est engendré, il s’ensuit qu’il y a dans le Fils quelque
chose d’étranger au Père. Ce qui est contraire à ces paroles de saint Hilaire (De Trin., liv. 7), que dans les
personnes divines il n’y a rien de divers, ni rien d’étranger. Si le Père
engendre le Fils de lui-même, l’être qui engendre, s’il est permanent, reçoit
pour son prédicat ce qui est engendré. Ainsi nous disons que l’homme est blanc
parce que l’homme reste, tout en passant d’une autre couleur à la couleur blanche.
Il faut donc ou que le Père n’existe plus après que le Fils est engendré, ou
qu’il soit le Fils, ce qui est faux. Donc le Père n’engendre pas de quelqu’un
son Fils, mais de rien.
Réponse
à l’objection N°1 : Quand on dit que le Fils est né du Père (De patre.), la
préposition de indique que le
principe qui engendre est consubstantiel à l’être qu’il produit, mais elle ne
signifie pas qu’il en est le principe matériel. Car ce qui est produit de la
matière (De materia.),
se fait par la transformation de l’être qui en est le principe. Or, l’essence
divine n’est pas transformable, puisqu’elle n’est pas susceptible de revêtir
une autre forme que celle qu’elle possède.
Objection
N°2. Ce dont un être est engendré est le principe de sa génération. Si le Père
engendre le Fils par son essence ou par sa nature, il s’ensuit donc que
l’essence ou la nature du Père est le principe du Fils. Ce n’est pas le
principe matériel, puisque dans la Trinité il n’y a pas de matière. C’est donc
une sorte de principe actif, comme celui qui engendre est le principe de celui
qui est engendré. Il suit de là que l’essence engendre, ce que nous avons
réfuté (quest. 39, art. 3).
Réponse
à l’objection N°2 : Quand on dit que le Fils est engendré de l’essence du Père
(De essentiâ Patris.), d’après le Maître des sentences (liv. 1,
dist. 5), cette proposition exprime le rapport d’un principe actif. Il
développe ainsi sa pensée : Le Fils est engendré de l’essence du Père,
c’est-à-dire du Père qui est essence (De Patre essentiâ.), suivant ces
paroles de saint Augustin (De Trin.,
liv. 15, chap. 13) : Quand je dis que le Fils est né de l’essence du Père,
c’est comme si je disais qu’il est né du Père qui est essence. Mais le sens de
cette proposition ne semble pas être par là même suffisamment développé. Car
nous pouvons dire que la créature vient de Dieu qui est essence, et nous ne
pourrions pas dire qu’elle procède de l’essence de Dieu. Il faut donc ajouter
que la préposition de indique
toujours la consubstantialité. Ainsi nous ne disons pas d’une maison qu’elle
est de celui qui la construit (De ædificatore.), parce qu’il n’est pas sa cause
consubstantielle. Mais toutes les fois qu’il y a consubstantialité nous pouvons
dire d’une chose qu’elle est d’une autre (De
aliquo.), soit que celle-ci en soit le principe
actif, comme quand on dit que le Fils vient du Père (De Patre.) ; soit qu’elle en soit le
principe matériel, comme on dit qu’un marteau est de fer (De ferro.) ; soit qu’elle en soit le principe formel, comme dans
les êtres dont les formes sont subsistantes. C’est ainsi que nous pouvons dire
qu’un ange est de la nature intellectuelle (De
naturâ intellectuali.).
C’est dans ce sens que nous disons que le Fils est engendré de l’essence du
Père (De essentiâ
Patris.), en tant que l’essence du Père qui est
communiquée au Fils par la génération subsiste en lui.
Objection
N°3. D’après saint Augustin (De Trin.,
liv. 7, chap. 6), les trois personnes ne sont pas de la même essence, parce que
l’essence n’est pas autre chose que la personne. Or, la personne du Fils n’est
pas autre chose que l’essence du Père. Donc le Fils n’est pas de l’essence du
Père.
Réponse
à l’objection N°3 : Quand on dit : Le Fils est engendré de l’essence du Père (De essentiâ Patris.), on ajoute quelque chose dans le but de ménager
la distinction qui existe entre l’un et l’autre ; mais quand on dit que les
trois personnes sont de l’essence divine (De
essentiâ divinâ.), on
n’a rien à ajouter dans le même but, et c’est ce qui établit une différence
entre ces deux propositions.
Objection
N°4. Toute créature est sortie du néant. Or, le Fils est appelé dans les
saintes Ecritures une créature. Car l’écrivain sacré lui fait dire par la
bouche de la Sagesse : Je suis sortie de
la bouche du Très-Haut et je suis née avant toute créature (Ecclésiastique, 24, 5). Et plus loin : J’ai été créée dès le commencement et avant
les siècles. Donc le Fils n’a pas été engendré de quelque chose, mais de
rien. Nous pouvons faire le même raisonnement sur l’Esprit-Saint.
Car il est dit de lui : Le Seigneur a dit
en étendant le ciel et en établissant la terre sur ses bases et en créant
l’esprit de l’homme en lui (Zach., 12, 1). Et
ailleurs : C’est moi qui ai formé les
montagnes et créé l’esprit (Amos, 4, 13) (Au lieu du mot spiritum qui est
dans les 70 (Septante), la Vulgate se sert du mot ventum.).
Réponse
à l’objection N°4 : Quand on dit : La Sagesse a été créée ; on peut entendre
par là non la sagesse qui est le Fils de Dieu, mais la sagesse créée que Dieu a
donnée aux créatures. Car on lit dans l’Ecclésiaste (1, 9) : Il l’a créée et l’a répandue sur toutes ses
œuvres. Il n’y a pas de répugnance à admettre que dans le même passage
l’Ecriture parle de la sagesse engendrée et de la sagesse créée, parce que
celle-ci est une participation de l’autre. On peut aussi entendre ces paroles
de la nature même que le Fils a revêtue, de telle sorte que ces mots : J’ai été créée dès le commencement et avant
les siècles, signifient : J’ai été vue à l’avance unie à la créature. On
peut dire encore qu’on l’appelle tout à la fois sagesse créée et sagesse
engendrée, pour nous donner une idée du mode de la génération divine. Car dans
la génération, ce qui est engendré reçoit la nature de celui qui engendre, ce
qui est une preuve de perfection. Dans la création celui qui crée reste
immuable, mais celui qui est créé ne reçoit pas la nature de celui qui crée. On
dit donc du Fils qu’il est tout à la fois créé et engendré pour que par la
création ou désigne l’immutabilité du Père et par la génération l’unité de
nature dans le Père et le Fils. Telle est l’interprétation que saint Hilaire
donne de ce passage (De Synod., can. 5). Les autorités citées ensuite dans
l’objection ne se rapportent pas à l’Esprit-Saint. Il
ne s’agit dans ces passages que de l’esprit créé qui
se prend tantôt pour le vent, tantôt pour l’air, tantôt pour le souffle de
l’homme, tantôt pour l’âme et en général pour toute substance invisible.
Mais
c’est le contraire. Car saint Augustin dit (lib.
de Fid. ad Petr., liv. 1, chap. 1) : Le Père seul
a engendré de sa nature et sans commencement un Fils qui lui est égal.
Conclusion
Puisque le Fils de Dieu, sou propre et véritable Fils, a été engendré non de
rien, mais de toute la substance du Père, les actes notionnels sont
nécessairement produits de quelque chose.
Il
faut répondre que le Fils n’a pas été engendré de rien, mais de la substance du
Père. Nous avons prouvé (quest. 27, art. 2 ; quest. 33, art. 2 et 3) que la
paternité, la filiation et la naissance sont proprement et véritablement en
Dieu. Or, il y a entre la génération véritable par laquelle un père produit son
fils, et la fabrication d’un ouvrage par un ouvrier, cette différence, c’est
que l’ouvrier fait son meuble, par exemple, avec du bois ou avec toute autre
matière extérieure, tandis que l’homme engendre son fils de lui-même. Mais
comme l’ouvrier tire de la matière l’objet qu’il fabrique, de même Dieu tire du
néant ce qu’il produit, comme nous le verrons (quest. 45, art. 1). Ce n’est pas
qu’il fasse de rien la substance de la chose, mais il la tire de lui tout
entière, sans que rien n’existe préalablement. Si le Fils procédait du Père
comme existant de rien, il serait par là même au Père ce que l’œuvre est à
l’artisan, et il est évident qu’on ne pourrait, à proprement parler, donner à
cette procession le nom de filiation ; il ne lui conviendrait que par analogie.
On est donc forcé d’admettre, que si le Fils de Dieu procédait du Père, comme
existant de rien, il ne serait pas son véritable et propre Fils. Ce qui est
opposé à ces paroles de saint. Jean : Pour
que nous soyons en Jésus-Christ son véritable Fils (1 Jean, 5, 20). Donc le
vrai Fils de Dieu ne procède pas de rien ; il n’a pas été créé, mais il a été
seulement engendré. — Si l’on dit quelquefois que les fils de Dieu ont été
faits de rien, c’est une métaphore fondée sur la ressemblance plus ou moins
éloignée qu’il y a entre eux et le véritable Fils de Dieu. Ainsi quand on parle
du Fils de Dieu au sens propre et naturel, on dit qu’il est Fils unique, comme
dans ce passage de saint Jean : Le Fils
unique qui est dans le sein du Père l’a lui-même raconté (Jean, 1, 18).
Quand on donne aux hommes le nom de fils
adoptifs, en raison de la
ressemblance qu’ils ont avec lui, ou dit par métaphore qu’il est le premier-né.
Ainsi saint Paul dit : Ceux qu’il a
connus par sa prescience, il les a aussi prédestinés pour être conformes à
l’image de son Fils, afin qu’il fût le premier-né entre plusieurs frères (Rom., 8, 29). Il faut donc que le Fils
de Dieu soit engendré de la substance du Père, mais d’une autre manière que le
Fils de l’homme. Car dans la génération humaine il y a une partie de la
substance de celui qui engendre qui passe dans la substance de celui qui est
engendré, tandis que la nature divine est indivisible. Il faut donc que le
Père, en engendrant le Fils, ne fasse pas passer en lui une partie de sa
nature, mais qu’il lui communique sa nature tout entière, et qu’il n’y ait
entre eux d’autre distinction que celle qui résulte de l’origine, comme nous, l’avons dit (quest. 40,
art. 2).
Article
4 : Y a-t-il en Dieu puissance à l’égard des actes notionnels ?
Objection
N°1. Il semble qu’en Dieu il n’y ait pas puissance à l’égard des actes
notionnels. Car toute puissance est active ou passive. Or, cette puissance ne
pourrait être ni active ni passive. Car il n’y a pas en Dieu de puissance
passive, comme nous l’avons prouvé (quest. 25, art. 1). La puissance active ne
peut exister dans une personne par rapport à une autre, puisque les personnes
divines n’ont pas été faites ou créées, comme nous l’avons dit (art. préc.). Donc en Dieu il n’y a pas puissance à l’égard des
actes notionnels.
Réponse
à l’objection N°1 : Comme d’après les actes notionnels une personne ne procède
pas en tant que créée, de même la puissance à l’égard des actes notionnels ne
se rapporte pas en Dieu à une personne qui a été faite ou créée, mais seulement
à une personne qui procède.
Objection
N°2. La puissance se rapporte au possible. Or, les personnes divines ne sont
pas du nombre des possibles, mais du nombre des choses nécessaires. Donc on ne
doit pas admettre qu’il y a en Dieu puissance relativement aux actes notionnels
d’après lesquels les personnes divines procèdent.
Réponse
à l’objection N°2 : Le possible, selon qu’il est opposé au nécessaire, est une
conséquence de la puissance passive qui n’existe pas en Dieu. Il n’y a donc
pour la Divinité rien de possible en ce sens. Il n’y a pour elle d’autre
possible que celui qui est contenu sous l’idée de nécessité. Ainsi on peut donc
dire que comme il est possible que Dieu existe, de même il est possible que le
Fils soit engendré.
Objection
N°3. Le Fils procède comme Verbe, et le Verbe est la conception de
l’entendement ; l’Esprit-Saint procède comme amour,
et l’amour appartient à la volonté. Or, en Dieu la puissance se rapporte aux
effets, mais non à l’intelligence et à la volonté, comme nous l’avons dit (quest.
25, art. 1, réponse N°3). Donc on ne doit pas dire qu’il y a en Dieu puissance
relativement aux actes notionnels.
Réponse
à l’objection N°3 : La puissance signifie le principe. Le principe suppose
nécessairement une distinction entre lui et le terme qui en procède. Or, à
l’égard de Dieu il y a deux sortes de distinction, l’une qui est réelle, et
l’autre qui n’est que rationnelle. Dieu est réellement distingué par son
essence des choses dont il est le principe créateur, comme une personne est
réellement distinguée de celle dont elle est le principe suivant un acte
notionnel. Mais en Dieu l’action ne se distingue de l’agent que
rationnellement, parce qu’autrement l’action ne serait en Dieu qu’un accident.
C’est pourquoi, relativement aux actions d’après lesquelles il y a des choses
distinctes qui procèdent de Dieu, soit essentiellement, soit personnellement,
on peut attribuer à Dieu une puissance qui ne soit rien autre chose qu’un
principe. Ainsi donc, comme nous reconnaissons en Dieu la puissance de créer,
de même nous pouvons reconnaître la puissance d’engendrer et de spirer. Mais le comprendre et le vouloir ne sont pas des
actes qui désignent la procession d’une chose distincte de Dieu essentiellement
ou personnellement. Par conséquent, par rapport à ces actes il n’y a pas lieu
d’admettre qu’il y ait en Dieu puissance, sinon d’après notre manière de
comprendre et de nous exprimer qui fait que nous donnons une signification
différente à l’intellect et au comprendre en Dieu, quoique le comprendre de
Dieu soit son essence qui n’a pas de principe (Ainsi l’entendre et le vouloir
peuvent se prendre en Dieu essentiellement ou notionnellement.
Dans le premier sens ils ne désignent pas la procession d’une chose distincte
de Dieu essentiellement ni processionnellement. Mais dans le second sens,
l’entendre est l’acte de la génération et le vouloir l’acte de la spiration. A l’égard de ces actes on peut admettre une
puissance en Dieu.).
Mais
c’est le contraire. Car saint Augustin dit (Cont.
Maxim., liv. 3, chap. 1) : Si Dieu le Père n’a pas pu engendrer un Fils qui
lui est égal, où est donc sa toute-puissance ? Donc il y a en Dieu puissance
relativement aux actes notionnels.
Conclusion
Puisque dans la Trinité il y a des actes notionnels, il faut bien qu’il y ait
puissance de les produire ; de telle sorte que le Père ait la puissance
d’engendrer le Fils, et que le Père et le Fils aient la puissance de produire
l’Esprit-Saint.
Il
faut répondre que du moment où l’on reconnaît dans la Trinité des actes
notionnels, il faut admettre une puissance d’où ces actes découlent, puisqu’une
puissance n’est rien autre chose que le principe d’un acte. Ainsi puisque nous
comprenons le Père tomme le principe de la génération, le Père et le Fils comme
le principe de la spiration, nous sommes contraints
d’attribuer au Père la puissance d’engendrer, et au Père et au Fils celle de spirer. Car la
puissance d’engendrer ne signifie que la vertu par laquelle le générateur
engendre, et tout générateur est nécessairement doué pour engendrer d’une vertu
quelconque. Il faut donc admettre dans tout être qui engendre la puissance
d’engendrer, comme dans tout être qui spire
la puissance de produire cet acte.
Article
5 : La puissance d’engendrer signifie-t-elle la relation et non l’essence ?
Objection
N°1. Il semble que la puissance d’engendrer ou de spirer
exprime la relation et non l’essence. Car la puissance exprime le principe,
comme sa définition le prouve. Ainsi la puissance active est appelée le
principe d’agir, comme on le voit (Met.,
liv. 5, text. 17). Or, le principe dans la Trinité se
dit notionnellement à l’égard de la personne. Donc la
puissance signifie non l’essence, mais la relation.
Objection
N°2. En Dieu pouvoir et faire ne sont pas des choses qui diffèrent. Or, la
génération exprime la relation. Donc il en est de même de la puissance
d’engendrer.
Objection
N°3. Tout ce qui signifie l’essence est commun aux trois personnes. Or, la
puissance d’engendrer n’est pas commune aux trois personnes, mais elle est
propre au Père. Donc elle ne signifie pas l’essence.
Mais
c’est le contraire. Car comme Dieu peut engendrer le Fils, de même il le veut (Il
le veut d’une volonté concomitante qui implique un rapport de complaisance à
l’égard de l’objet, mais non d’une volonté antécédente qui implique le rapport
du principe avec ce qui en est l’effet.). Or, la volonté d’engendrer signifie
l’essence. Donc la puissance d’engendrer la signifie aussi.
Conclusion
La puissance d’engendrer signifie principalement et directement l’essence
divine, mais elle ne signifie qu’indirectement la paternité et la relation.
Il
faut répondre qu’il y a des théologiens qui ont dit que la puissance
d’engendrer signifie en Dieu la relation. Mais il ne peut en être ainsi. Car
dans tout agent on appelle proprement puissance la vertu par laquelle il agit.
Or, tout ce qui produit une chose par son action la produit semblable à la
forme par laquelle il agit. C’est ainsi que l’homme engendré ressemble à celui
qui l’engendre sous le rapport de la nature humaine, parce que c’est en vertu
de cette nature que le père donne naissance au fils. La puissance générative
consiste donc dans ce qui établit une ressemblance entre celui qui engendre et
celui qui est engendré. Or, le Fils de Dieu ressemble à son Père qui l’engendre
sous le rapport de la nature divine. Donc cette nature est dans le Père la
puissance générative. De là saint Hilaire dit (De Trin., liv. 5) : La naissance de Dieu ne peut pas ne pas
comprendre cette nature de laquelle elle emprunte toute sa perfection ; ce qui
ne vient pas d’autre part que de Dieu ne peut pas être autre chose que Dieu. Il
faut donc dire avec le Maître des sentences (liv. 1, dist. 7) que la puissance
d’engendrer signifie principalement l’essence divine, mais non pas seulement la
relation. — On ne doit pas dire non plus qu’elle signifie l’essence en tant
qu’elle est identique avec la relation et qu’elle exprime également ces deux
choses. Car, quoique la paternité soit considérée comme la forme du Père, elle
est cependant une propriété personnelle qui est à la personne du Père ce que la
forme individuelle est à un individu créé. Or, dans les créatures la forme
individuelle constitue la personne qui engendre, mais elle n’est pas la vertu
par laquelle le générateur engendre. Car alors il faudrait dire que Socrate
engendre Socrate. On ne peut donc pas non plus considérer la paternité comme la
vertu par laquelle le Père engendre, mais comme la forme qui constitue sa
personnalité, puisqu’autrement il faudrait dire que
le Père engendre le Père. Mais ce qui fait que le Père engendre c’est la nature
divine dans laquelle il s’assimile le Fils. C’est en ce sens que saint Jean
Damascène dit (De orth.
fid.,
liv. 1, chap. 18) que la génération est l’œuvre de la nature, parce qu’elle se
rapporte non à celui qui engendre, mais à ce qui fait qu’il engendre. Ainsi
donc la puissance d’engendrer signifie directement la nature divine, mais
indirectement la relation.
Réponse
à l’objection N°1 : La puissance ne signifie pas la relation même du principe,
autrement elle serait du genre de la relation. Mais elle signifie le principe,
non pas dans le sens qu’on appelle principe tout agent, mais dans le sens qu’on
appelle ainsi la chose par laquelle l’agent agit. Or, l’agent se distingue de
l’acte qu’il produit, comme le générateur se distingue de l’être engendré. Mais
ce qui fait engendrer le générateur lui est commun avec l’être qu’il engendre,
et cette communauté est d’autant plus parfaite que la génération est plus parfaite
elle-même. Par conséquent, la génération divine étant la plus parfaite, ce qui
fait engendrer le générateur lui doit être commun avec l’engendré non seulement
spécifiquement, comme dans les créatures, mais encore numériquement. Donc en
disant que l’essence divine est le principe par lequel le Père engendre, il ne
suit pas de là que l’essence divine se distingue de l’être engendré, comme cela
s’ensuivrait si l’on disait que l’essence divine engendre (Cette dernière
proposition prise dans la rigueur des termes serait hérétique.).
Réponse
à l’objection N°2 : Comme la puissance d’engendrer est la même chose que la
génération, de même l’essence divine est en réalité identique avec la paternité
et la génération, mais elle s’en distingue rationnellement.
Réponse
à l’objection N°3 : Quand nous disons puissance
d’engendrer, le mot puissance s’entend
d’une manière directe, et la génération
d’une manière indirecte, comme quand on dit l’essence du Père. Ainsi,
considérée par rapport à l’essence qu’elle signifie, la puissance d’engendrer
est commune aux trois personnes, et considérée par rapport à la notion qu’elle
exprime elle est propre à la personne du Père.
Article
6 : Un acte notionnel peut-il s’étendre à plusieurs personnes ?
Objection
N°1. Il semble qu’un acte notionnel puisse s’étendre à plusieurs personnes, de
telle sorte qu’il y ait dans la Trinité plusieurs Fils, plusieurs Esprits. En
effet, quiconque a la puissance d’engendrer peut engendrer. Or, le Fils a la
puissance d’engendrer. Donc il peut engendrer. Puisqu’il ne peut s’engendrer
lui-même il peut donc engendrer un autre Fils ; par conséquent il peut y avoir
dans la Trinité plusieurs Fils.
Réponse
à l’objection N°1 : Quoiqu’on doive accorder absolument que le Fils a la
puissance du Père, cependant on ne doit pas admettre que le Fils a la puissance
d’engendrer (potentiam generandi) si
ce gérondif est pris à l’actif de telle sorte que la proposition signifie que
le Fils a pouvoir pour engendrer. Ainsi, quoique l’être du Fils soit le même
que celui du Père, il n’est cependant pas possible de dire du Fils qu’il est le
Père, à cause de la notion qui entre dans cette phrase. Si on prend le gérondif
au passif, on peut dire que le Fils a cette puissance (potentiam generandi), c’est-à-dire qu’il peut être
engendré. La proposition sera encore vraie si on fait de ce mot le gérondif
d’un verbe impersonnel, parce qu’elle signifie qu’il y a dans le Fils la
puissance d’être engendré par une autre personne.
Objection
N°2. D’après saint Augustin (Cont. Maxim.,
liv. 3, chap. 12) : Si le Fils n’a pas engendré un créateur, ce n’est pas qu’il
ne l’ait pas pu, mais c’est parce qu’il ne l’a pas fallu (Saint Augustin se
demandant pourquoi le Fils n’engendre pas, répond que ce n’est pas par
impuissance, mais c’est parce qu’il ne le faut pas, et il ne le faut pas parce
qu’il y aurait contradiction.).
Réponse
à l’objection N°2 : Par ces paroles saint Augustin n’a pas voulu dire que le
Fils pourrait engendrer un Fils, mais seulement que s’il n’engendrait pas ce
n’était pas impuissance de sa part, comme nous le verrons (quest. 42, art. 6,
réponse N°3).
Objection
N°3. Dieu le Père est plus puissant pour engendrer qu’un père qui a été créé.
Or, un seul homme peut engendrer plusieurs fils. Donc Dieu également, surtout
quand on considère qu’en engendrant son Fils il n’a point affaibli sa
puissance.
Réponse
à l’objection N°3 : Dieu étant immatériel et parfait il ne peut se faire, pour
les raisons que nous venons de donner (dans le corps de l’article.), qu’il y
ait en lui plusieurs Fils. Par conséquent s’il n’y en a pas plusieurs, ce n’est
pas à cause de l’impuissance du Père.
Mais
c’est le contraire. Car en Dieu l’être et le possible ne font qu’un. S’il était
possible qu’il y eût plusieurs Fils il y en aurait plusieurs. Par conséquent il
y aurait en Dieu plus de trois personnes, ce qui est une hérésie.
Conclusion
Dans la Trinité il n’y a qu’un seul Père, qu’un seul Fils, qu’un seul Esprit-Saint.
Il
faut répondre que, comme le dit saint Athanase (in Symbol.), il n’y a dans la Trinité
qu’un seul Père, qu’un seul Fils et qu’un seul Esprit-Saint.
Ce qui peut se prouver de quatre manières. 1° D’après les relations par
lesquelles les personnes se distinguent exclusivement. Car puisque les
personnes divines sont les relations elles-mêmes subsistantes, il ne pourrait y
avoir dans la Trinité plusieurs Pères ou plusieurs Fils sans qu’il n’y eût
aussi plusieurs paternités et plusieurs filiations. Ce qui ne pourrait être
d’ailleurs qu’autant que ces relations seraient matériellement distinctes. Car
les formes d’une même espèce ne se multiplient que par la matière, et en Dieu,
il n’y a pas de matière. Il ne peut donc y avoir dans la Trinité qu’une seule
filiation subsistante, comme il ne pourrait y avoir qu’une seule blancheur
subsistante. 2° D’après le mode des processions. En effet, Dieu comprend tout
et veut tout par un seul et même acte absolument simple. Il ne peut donc y
avoir qu’une personne qui procède en tant que Verbe, et c’est son Fils, et il
ne peut y en avoir qu’une qui procède comme amour, et c’est l’Esprit-Saint. 3° D’après le mode de procéder. Les personnes
procèdent naturellement, comme nous l’avons dit (art. 2, réponse N°3 et 4). Or,
la nature est toujours une dans ses opérations. 4° D’après la perfection des
personnes divines. Car le Fils étant parfait il doit contenir en lui toute la
filiation divine (Saint Augustin prouve contre les manichéens que Dieu est un,
parce qu’il renferme toutes les perfections imaginables. De même saint Thomas
prouve que le Fils est un, parce que toute la filiation divine est en lui, et
par conséquent il n’y a pas possibilité qu’il y ait en Dieu d’autres Fils.) ; par conséquent il doit être unique. On peut faire le même
raisonnement à l’égard des autres personnes.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de
l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email
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retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la
propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation
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