Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
1a = Prima Pars =
Première Partie
Question 51 : Des
anges par rapport aux corps
Nous
avons ensuite à nous occuper des anges dans leurs rapports avec les choses
corporelles. Cette question se subdivise en trois. On peut considérer les anges
: 1° dans leurs rapports avec les corps ; 2° dans leurs rapports avec les lieux
corporels ; 3° dans leurs rapports avec le mouvement local. — A l’égard de la
première question trois choses sont à examiner : 1° Les anges ont-ils des corps
qui leur soient naturellement unis ? (Le texte du concile de Latran semble
formel sur ce point : Utramque de nihilo condidit naturam, spiritualem et corporalem, angelicam videlicet et, mundanam, ac deindè
humanam, quasi communem ex corpore et spiritu constitutam.) — 2°
Prennent-ils des corps ? (Cet article est une explication de ce que l’Ecriture
nous raconte en une foule d’endroits de l’apparition des anges.) — 3° Dans les
corps qu’ils prennent exercent-ils les fonctions vitales propres à ces corps ?
(Cet article est le développement de celui qui précède. Saint Thomas tient à
préciser la nature des corps que les anges revêtent.)
Article
1 : Les anges ont-ils des corps qui leur soient naturellement unis ?
Objection
N°1. Il semble que les anges aient des corps qui leur soient naturellement
unis. Car Origène dit (Periarch.,
liv. 1, chap. 6) : Il n’y a que Dieu, c’est-à-dire le Père, le Fils et le Saint-Esprit, dont le propre de la nature soit d’exister
sans substance matérielle et sans être uni à aucun élément corporel. Saint
Bernard dit (Sup. Cantic.,
homil. 6) : N’accordons qu’à Dieu
l’immortalité aussi bien que l’immatérialité. Car il n’y a que sa nature qui
n’ait besoin ni pour elle-même, ni pour un autre du secours d’un instrument corporel,
tandis qu’il est clair que tout esprit créé a besoin d’un aide matériel. Saint
Augustin dit encore (Sup. Gen. ad litt., liv. 3, chap.
10) : On appelle démons les animaux aériens, parce qu’ils ont la nature des
corps aériens. Or, la nature du démon et de l’ange est la même. Donc les anges
ont des corps qui leur sont naturellement unis.
Réponse
à l’objection N°1 : Comme nous l’avons dit (quest. 50, art. 1), il y a eu des
philosophes qui ont pensé que tous les êtres étaient corporels. C’est de ce
système que paraît découler le sentiment de ceux qui ont cru qu’il n’y avait
pas de substances incorporelles qui ne fussent unies à des corps. Il y en a
même qui ont supposé que Dieu était l’âme du monde, comme le rapporte saint
Augustin (De civ. Dei, liv. 7, chap.
6). Mais comme cette doctrine est contraire à la foi catholique qui met Dieu
au-dessus de tout, d’après ces paroles du Psalmiste : Votre magnificence s’élève au-dessus des cieux (Ps. 8, 2), Origène n’a pas voulu dire de
Dieu la même chose. Mais il a appliqué ce sentiment aux autres substances, et
s’est ainsi laissé égarer sur ce point comme sur beaucoup d’autres par
l’opinion des anciens philosophes. — Le passage de saint Bernard peut
s’entendre de ce que les esprits créés ont besoin non d’un instrument corporel qui
leur soit naturellement uni, mais d’un corps qu’ils prennent pour remplir un
office quelconque, comme nous le dirons nous-mêmes dans l’article suivant. —
Saint Augustin n’exprime pas en cet endroit sa propre opinion, il rapporte
celle des platoniciens qui supposaient qu’il y a des animaux aériens qu’on
appelait démons (Il nous semble qu’il serait difficile de justifier, à cet
égard, tous les Pères : car, avant la décision du concile de Latran, un certain
nombre ont formellement assigné des corps aux anges ; ils ont même précisé leur
pensée au point d’établir une différence entre le corps des bons anges et celui
des démons.).
Objection
N°2. Saint Grégoire (Hom. 10 in Evang.)
appelle l’ange un animal raisonnable. Or, tout animal est composé de corps et d’âme.
Donc les anges ont des corps qui leur sont naturellement unis.
Réponse
à l’objection N°2 : Saint Grégoire appelle l’ange un animal raisonnable par
métaphore, parce qu’il y a en lui une raison qui a de l’analogie avec la nôtre
(Le mot animal ξὢον vient de ξωή qui
signifie vie ; et le mot raisonnable, en grec
λογικòν, vient de λóγος qui
signifie intelligence. L’expression
de saint Grégoire veut donc dire : une substance qui participe à ta vie et à
l’intelligence (Voy. Petau,
De angelis,
liv. 1, chap. 3, n° 9).).
Objection
N°3. La vie est plus parfaite dans les anges que dans les âmes. Car non seulement
l’âme vit, mais encore elle vivifie le corps. Donc les anges vivifient des
corps qui leur sont naturellement unis.
Réponse
à l’objection N°3 : Vivifier est une perfection pour l’être qui est la cause
efficiente, absolue de cet effet. Dans ce sens cette perfection se rapporte à
Dieu, d’après ces paroles de l’Ecriture : C’est
le Seigneur qui fait mourir et qui vivifie (1 Rois, 2, 6). Mais si on l’entend formellement, vivifier est le
fait d’une substance qui a besoin d’être unie à une autre parce qu’elle n’a pas
en elle-même tout ce qui constitue l’intégrité de son espèce. C’est ainsi
qu’une substance intellectuelle qui n’est pas unie à un corps est plus parfaite
que celle qui lui est unie.
Mais
c’est le contraire. Car saint Denis dit (De
div. nom.,
chap. 4) que les anges sont incorporels aussi bien qu’immatériels.
Conclusion
Puisque les substances intellectuelles et les anges ne reçoivent pas leur
science des objets sensibles, ils n’ont pas de corps qui leur soient
naturellement unis.
Il
faut répondre que les anges n’ont pas de corps qui leur soient naturellement
unis. Car ce qui arrive accidentellement à une nature n’existe pas en elle
universellement. Ainsi comme il n’est pas dans la nature de l’animal d’avoir
des ailes, tous les animaux n’en ont pas. Or, comprendre n’étant pas l’acte
d’un corps ni l’effet d’une vertu corporelle quelconque, comme nous le
prouverons (quest. 75, art. 2), il n’est pas dans l’essence de la substance
intellectuelle d’avoir un corps qui lui soit uni. Cependant il peut se faire
qu’une substance intellectuelle ait besoin d’être unie à un corps. Telle est
l’âme humaine, parce qu’elle est imparfaite et qu’elle existe en puissance dans
le genre des substances intellectuelles, sans avoir en elle-même la plénitude
de la science, et qu’elle ne l’acquiert qu’au moyen des sens qui la mettent en
rapport avec les choses sensibles, comme nous le prouverons (quest. 84, art. 6,
et quest. 89, art. 1). Or, dans tous les genres où l’on trouve quelque chose
d’imparfait, il faut qu’il y ait préalablement quelque chose de parfait. Il y a
donc dans la nature intellectuelle des substances intelligentes parfaites, qui
n’ont pas besoin d’acquérir la science au moyen des choses sensibles. Par
conséquent toutes les substances intellectuelles ne sont pas unies aux corps,
mais il y en a qui en sont séparées, et ce sont celles-là qui portent le nom
d’anges.
Article
2 : Les anges prennent-ils des corps ?
Objection
N°1. Il semble que les anges ne prennent pas de corps. Car dans l’opération des
anges comme dans celle de la nature il n’y a rien de superflu. Or, il y aurait
quelque chose de superflu, si les anges prenaient un corps. Car les anges n’en
ont pas besoin, puisque leur vertu est supérieure à celle des corps. Donc les
anges ne prennent pas de corps.
Réponse
à l’objection N°1 : Les anges n’ont pas besoin de prendre des corps pour eux,
mais pour nous, afin qu’en conversant familièrement avec les hommes ils soient
une preuve de la société intellectuelle que les hommes espèrent former avec eux
dans la vie future. Quant aux apparitions des anges dans l’Ancien Testament,
elles étaient un signe figuratif de l’incarnation du Verbe qui devait prendre un
corps humain. Car toutes les apparitions de l’Ancien Testament se rapportent à
l’apparition du Fils de Dieu dans notre chair (Les rationalistes demandent
encore quel pouvait être le but de ces apparitions, et en quelques mots saint
Thomas leur répond.).
Objection
N°2. Quand on prend un corps c’est pour s’unir à lui, car le mot latin assumere signifie
(ad se sumere)
prendre pour soi. Or, le corps ne s’unit pas à l’ange comme à sa forme, d’après
ce que nous avons dit (art. précéd.), il ne s’unit à lui que comme à son
moteur. On ne peut pas dire alors que l’ange le prenne, parce qu’il
s’ensuivrait que tous les corps mus par les anges auraient été pris par eux.
Donc les anges ne prennent pas de corps.
Réponse
à l’objection N°2 : Le corps qu’un ange prend ne lui est pas uni comme à sa
forme (Tertullien avait prétendu que les anges prennent des corps, et
s’unissent à eux personnellement comme le Fils de Dieu s’est uni à la nature
humaine. Saint Thomas évite cette erreur et l’autre extrême qui lui est
opposé.), ni comme à son moteur simplement, mais comme à un moteur représenté
par le corps mobile qu’il a pris. Car comme l’Ecriture sainte représente les
propriétés des choses intelligibles sous l’image des choses sensibles, de même
par la vertu divine les anges se forment des corps sensibles, de telle sorte
qu’ils représentent leurs propriétés intelligibles. Et c’est de cette manière
que les anges prennent des corps.
Objection
N°3. Les anges ne prennent ni un corps de terre ou d’eau, parce qu’il ne
disparaîtrait pas subitement, ni un corps de feu parce qu’il brûlerait ce qu’il
toucherait, ni un corps d’air parce que l’air ne revêt ni figure ni couleur.
Donc les anges ne prennent pas de corps.
Réponse
à l’objection N°3 : Quoique l’air, tant qu’il reste rare, ne prenne ni figure
ni couleur, cependant quand il est condensé il devient susceptible de
représenter une figure et une couleur, comme on le voit par les nuages. Ainsi
les anges prennent un corps aérien, en condensant l’air par la vertu divine
autant qu’il est nécessaire pour lui donner la forme d’un corps.
Mais
c’est le contraire. Car saint Augustin dit (De
civ. Dei, liv. 16, chap. 29) que les anges ont apparu à Abraham sous des
corps qu’ils avaient pris.
Conclusion
Puisque les anges ne sont pas des corps et qu’ils n’ont pas de corps auxquels
ils soient naturellement unis, par là même qu’on les a vus quelquefois avec des
corps, il n’est pas contraire à leur nature qu’ils en prennent.
Il
faut répondre qu’il y a des auteurs qui ont dit que les anges ne prenaient pas
de corps, et que tout ce que les Ecritures nous apprennent de leur apparition
doit s’entendre de la vision prophétique, c’est-à-dire que c’est un effet
d’imagination (Ce sentiment est celui des rationalistes allemands qui ont
entrepris d’expliquer d’Ecriture dans un sens purement naturel (Voy. Janssens, Hermeneutica sacra, p. 372 et suiv.).). Mais cette
explication répugne au sens direct de l’Ecriture. Car une chose qui est l’effet
d’une vision imaginaire n’existe que dans l’imagination de celui qui la voit.
Par conséquent tous les autres ne la voient pas également. Or, l’Ecriture
sainte nous montre les anges se manifestant de manière à être vus en général de
tout le monde. Ainsi les anges qui apparurent à Abraham ont été vus par lui et
par toute sa famille, par Loth et par les habitants de Sodome. De même l’ange
qui apparut à Tobie était vu de tous les autres hommes (Un des arguments que
les rationalistes font valoir contre les apparitions, c’est qu’on ne peut les
distinguer d’un effet d’imagination. C’est ce que réfute victorieusement
l’observation de saint Thomas.). D’où il est évident que cette vision était
corporelle, comme celle par laquelle nous voyons les objets qui sont hors de
nous et qui peuvent être vus de chacun. Or, on ne voit de cette manière que les
corps. Et puisque les anges ne sont pas des corps et qu’ils n’ont pas de corps
qui leur soient naturellement unis, comme nous l’avons prouvé (quest. préc., et
quest. 50, art. 1), il faut donc qu’ils en prennent quelquefois.
Article
3 : Les anges exercent-ils les fonctions vitales dans les corps qu’ils ont pris
?
Objection
N°1. Il semble que les anges exercent les fonctions vitales dans les corps
qu’ils ont pris. Car il ne serait pas convenable que les anges de vérité
fissent une fiction. Or, il y aurait fiction de leur part si les corps qu’ils
prennent paraissaient vivants et qu’ils n’exerçassent pas en réalité les
fonctions vitales. Donc les anges exercent ces fonctions dans les corps qu’ils
ont pris.
Réponse
à l’objection N°1 : Comme il n’est pas contraire à la vérité que l’Ecriture
représente des choses intelligibles sous des images sensibles, parce qu’elle le
fait non pour qu’on croie que les choses intelligibles sont des choses
sensibles, mais pour que par le moyen de ce qui tombe sous les sens on puisse
se faire une idée des propriétés des êtres intellectuels ; de même il ne
répugne pas à la vérité des saints anges de paraître, au moyen des corps qu’ils
prennent, des hommes vivants, bien qu’ils n’en soient pas. Car ils ne prennent
cette forme que pour désigner par les propriétés et les actions de l’homme
leurs propriétés et leurs actions spirituelles. Ce qu’ils ne pourraient pas
représenter aussi convenablement s’ils prenaient réellement notre nature, parce
que dans cette hypothèse leurs propriétés conduiraient à la connaissance des
hommes eux-mêmes, et non à la connaissance des anges (Parce qu’il y aurait dans
ce cas une union hypostatique.).
Objection
N°2. Dans les œuvres de l’ange il n’y a rien d’inutile. Or, il aurait en vain
formé dans le corps qu’il prend des yeux, des oreilles et d’autres organes,
s’il ne s’en servait pour sentir. Donc l’ange sent, par le corps qu’il a pris,
ce qui est la plus propre des fonctions vitales.
Réponse
à l’objection N°2 : La sensibilité est l’acte complet et total de la vie. On ne
doit donc dire d’aucune manière que les anges sentent par les organes des corps
qu’ils prennent, mais ces organes ne sont pas pour cela superflus. Car ils
n’ont pas été formés pour que les anges sentent par leur moyen, mais pour
qu’ils désignent leurs vertus spirituelles. Ainsi l’œil indique la vertu
cognitive de l’ange, et les autres membres indiquent d’autres vertus, comme le
dit saint Denis (Saint Denis entre à ce sujet dans les plus minutieux détails (Voy. l’élégante traduction de ses œuvres par M. l’abbé Darboy).) (De cælest. hier., chap. ult.).
Objection
N°3. Se mouvoir en marchant est l’un des actes de la vie, d’après Aristote (De anim., liv. 2, text. 13). Or, on a vu les anges se mouvoir avec les corps
qu’ils avaient pris. Car il est dit dans la Genèse (18, 16) qu’Abraham marchait
avec les anges qui lui étaient apparus. Et l’ange répondit à Tobie qui lui
disait : Connaissez-vous le chemin qui
mène à la cité des Mèdes ? — Je le connais et je l’ai fait fréquemment.
Donc les anges exercent souvent des fonctions vitales dans les corps qu’ils
prennent.
Réponse
à l’objection N°3 : Le mouvement qui provient d’un moteur qui lui est uni est
l’œuvre propre de la vie. Mais ce n’est pas ainsi que sont mus les corps pris
par les anges, parce que les anges ne sont pas leurs formes. Cependant les
anges se meuvent accidentellement quand ces corps sont mus, parce qu’ils sont
en eux comme les moteurs dans leurs mobiles, et par conséquent ils sont là ce
qu’ils ne sont pas ailleurs, ce qu’on ne peut dire de Dieu. C’est pourquoi,
bien que Dieu ne se meuve pas avec les êtres dans lesquels il est, parce qu’il
est partout, les anges se meuvent accidentellement suivant le mouvement des
corps qu’ils prennent. Mais ils ne se meuvent pas avec les corps célestes,
quoiqu’ils soient en eux comme les moteurs dans leurs mobiles (Saint Thomas
suit ici la théorie péripatéticienne qui se trouve exposée (Met., liv. 12).), parce que les corps
célestes ne changent pas de place selon la totalité de leur volume. L’esprit
qui meut un globe n’a pas sa place marquée à un endroit déterminé de ce globe
qui est tantôt en orient, tantôt en occident ; il est placé dans une position
qui est toujours la môme, parce que le mouvement vient toujours d’orient, comme
le dit Aristote (Phys., liv. 8, text. 84).
Objection
N°4. La parole est l’œuvre d’un être vivant. Car elle est produite par la voix
qui est un son que la bouche d’un animal profère, comme le dit Aristote (De anim., liv. 2, text. 90). Or, il est
évident d’après beaucoup de passages de l’Ecriture que les anges ont parlé avec
les corps qu’ils ont pris. Donc ils exercent dans ces corps des opérations
vitales.
Réponse
à l’objection N°4 : Les anges ne parlent pas par les corps qu’ils prennent, ils
forment seulement dans l’air des sons semblables à la voix humaine et
produisent ainsi quelque chose d’analogue à la parole.
Objection
N°5. Manger est l’œuvre propre de la vie animale. C’est pourquoi Notre-Seigneur après sa résurrection mangea avec ses
disciples pour leur prouver qu’il était ressuscité, comme le rapporte saint Luc
(chap. 24). Or, les anges qui se sont montrés sous des formes corporelles ont
mangé. Abraham a offert de la nourriture à ceux qu’il avait d’abord adorés,
comme nous le voyons (Gen.,
chap. 18). Donc les anges exercent dans les corps qu’ils prennent des fonctions
vitales.
Réponse
à l’objection N°5 : L’action de manger ne convient pas, à proprement parler,
aux anges. Car cette action suppose que l’on prend ires aliments pour être
convertis ensuite dans la substance de celui qui les mange. Quoique la
nourriture que le Christ prit après sa résurrection ne dut pas se changer en sa substance, cependant il
avait un corps qui était de nature à rendre possible ce phénomène. C’est
pourquoi il mangea réellement. Mais la nourriture que prenaient les anges ne se
convertissait pas en la substance du corps qu’ils avaient pris, parce que ce
corps n’était pas apte à recevoir des aliments. C’est ce qui fait qu’ils ne
mangeaient pas réellement, mais que cet acte n’était qu’une figure de la
nourriture spirituelle qu’ils prenaient. C’est ce que l’ange dit à Tobie
(Tobie, 12, 19) : Quand j’étais avec
vous, je paraissais à la vérité manger et boire, mais je me nourris d’une
boisson et d’une nourriture invisible. Abraham leur offrit de la
nourriture, parce qu’il les prit pour des hommes dans lesquels il vénérait
Dieu, tel qu’il était ordinairement dans les prophètes, selon la remarque de
saint Augustin (De civ. Dei, liv. 16,
chap. 19).
Objection
N°6. Engendrer un homme est une action vitale. Or, les anges ont fait cet acte
avec les corps qu’ils ont pris. Car il est dit (Gen., 6, 4) : Après que les enfants de Dieu se furent
approchés des filles des hommes, celles-ci engendrèrent, et leurs enfants
devinrent les puissants du siècle. Donc les anges remplissent des fonctions
vitales dans les corps qu’ils prennent.
Réponse
à l’objection N°6 : D’après saint Augustin (De
civ. Dei, liv. 15, chap. 23) une tradition constante, établie par
l’expérience et le témoignage de personnes dignes de foi, rapporte que les
Sylvains et les Faunes, vulgairement appelés incubes, ont souvent assouvi sur
les femmes leurs sauvages instincts, et qu’il y aurait de la témérité à n’en
pas convenir. Mais les anges ne sont pas tombés dans ces fautes avant le déluge.
Par les enfants de Dieu on doit entendre les enfants de Loth qui étaient bons,
et par les filles des hommes l’Ecriture désigne celles qui naquirent de la race
de Caïn. Il n’est pas étonnant que de leur alliance soient nés
des géants ; car si tous les hommes n’étaient pas des géants avant le déluge,
il y en eut cependant beaucoup plus à cette époque qu’après. Néanmoins, ajoute
saint Thomas, si certains sont quelquefois nés de démons, ils n’ont pas été
engendrés d’un sperme de démons de cette espèce ni de leurs corps présumé, mais
du sperme d’hommes pris dans ce dessein ; comme quand les démons prennent
d’abord la forme d’une femme puis celle d’un homme ensuite ; afin qu’ils
prennent le sperme dans le but d’engendrer, dit saint Augustin (De Trin., liv. 3, chap. 8 et 9). Ainsi,
la personne née de cette manière n’est pas enfant d’un démon, mais d’un homme.
Mais
c’est le contraire. Les corps pris par les anges ne vivent pas, comme nous
l’avons dit (art. préc., réponse N°2). Par conséquent ils sont incapables de se
prêter aux fonctions vitales.
Conclusion
Les anges peuvent dans les corps qu’ils prennent produire les actes de vie qui
leur sont communs avec les êtres qui ne vivent pas, mais ils ne peuvent
produire aucun des actes qui sont propres aux êtres qui vivent.
Il
faut répondre que parmi les actes des êtres vivants il y en a qui sont communs aux autres êtres. Ainsi la parole qui est l’œuvre
d’un être vivant est semblable aux autres sons que rendent les corps inanimés,
puisqu’elle est un son elle-même ; la marche ressemble aux autres mouvements,
puisque c’est un mouvement. Les anges peuvent faire, au moyen des corps qu’ils
prennent, les actes qui sont communs aux êtres animés et aux êtres inanimés,
mais ils ne peuvent produire d’actes propres aux êtres vivants. Car, comme le
dit Aristote (Lib. de somn.
et vig., chap. 1), l’acte se règle sur la
puissance (L’acte se rapporte au principe auquel se rapporte la puissance. Pour
le rapport de la puissance à l’acte, voyez encore le Traité de l’âme, liv. 2,
chap. 5, 2, et la Mét.,
liv. 5, text. 12) ; par conséquent ce qui n’a pas la
vie qui est le principe potentiel de l’action vitale ne peut produire une
action de cette nature.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de
l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec
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respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune
évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de
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