Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

1a = Prima Pars = Première Partie

Question 59 : De la volonté des anges

 

          Après avoir traité de l’intelligence des anges nous avons à nous occuper de leur volonté. Nous examinerons 1° la volonté elle-même, 2° le mouvement de la volonté, c’est-à-dire l’amour ou la dilection. — A l’égard de la volonté quatre questions se présentent : 1° Les anges ont-ils une volonté ? (L’Ecriture et la tradition supposent que les anges ont une volonté, puisqu’elles nous apprennent qu’ils ont péché.) — 2° La volonté de l’ange est-elle la même chose que leur nature ou que leur intelligence ? (Cette proposition est un lemme qui sert à éclaircir la question grave qui fait l’objet de l’article suivant.) — 3° Les anges ont-ils le libre arbitre ? (Ce point a été défini en ces termes au concile général de Latran : Dæmones à Deo quidem natura creati sunt boni, sed ipsi per se facti sunt mali ; ce qui suppose qu’ils avaient le libre arbitre et qu’ils eu ont fait mauvais usage.) — 4° Y a-t-il en eux l’appétit irascible et l’appétit concupiscible ? (Puisque les anges n’ont pas de nature sensitive, il est bien évident qu’ils n’ont ni l’appétit irascible ni l’appétit concupiscible considérés comme des puissances sensitives. Mais il s’agit de savoir ici s’ils n’éprouvent pas les affections qui correspondent à ces puissances, telles que la colère et la concupiscence, comme paraissent l’indiquer certaines expressions de l’Ecriture et des Pères.)

 

Article 1 : Les anges ont-ils une volonté ?

 

          Objection N°1. Il semble que les anges n’aient pas de volonté. Car, d’après Aristote (De animâ, liv. 3, text. 42), la volonté est dans la raison. Or, les anges n’ont pas de raison, mais quelque chose de plus élevé. Donc dans les anges il n’y a pas de volonté, mais il y a quelque chose de supérieur à la volonté.

          Réponse à l’objection N°1 : La supériorité de la raison sur les sens est autre que la supériorité de l’entendement sur la raison ; car la raison surpasse les sens selon la diversité des objets connus. En effet les sens ont pour objet les choses particulières, tandis que la raison a pour objet les choses universelles. C’est pourquoi il faut que l’appétit rationnel qui se porte vers le bien universel soit autre que l’appétit sensitif qui se porte vers le bien particulier. Mais l’entendement et la raison diffèrent quant au mode de connaissance. Ainsi l’entendement connaît toutes choses par une pure et simple intuition, tandis que la raison les connaît en discourant de l’une à l’autre. Néanmoins la raison parvient discursivement à connaître ce que l’entendement perçoit intuitivement, c’est-à-dire l’universel. L’objet de l’appétit est donc le même et, pour la raison et pour l’intelligence. D’où il résulte que dans les anges, qui sont des créatures purement intellectuelles, il n’y a pas d’appétit supérieur à la volonté.

 

          Objection N°2. La volonté est comprise sous l’appétit, comme le dit Aristote (De animâ, liv. 3, text. 42). Or, l’appétit n’existe que dans l’être imparfait, puisqu’il a pour objet ce qu’on ne possède pas. Donc, puisque dans les anges, surtout dans ceux qui sont heureux, il n’y a pas d’imperfection, il semble qu’il n’y ait pas non plus de volonté.

          Réponse à l’objection N°2 : Quoique le nom d’appétit provienne de ce que l’on appète ce que l’on n’a pas, cependant l’appétit ne se borne pas à tes choses, mais il s’étend à beaucoup d’autres. Ainsi le nom de la pierre (lapis) vient de ce qu’elle blesse le pied (lædere pedem) (Saint Isidore donne cette étymologie (Etymol., liv. 16, chap. 3).), quoique la pierre n’ait pas que cette seule propriété. De même la puissance irascible reçoit son nom de la colère, quoiqu’il y ait en elle plusieurs autres passions, comme l’espérance et l’audace, etc.

 

          Objection N°3. Aristote dit (De animâ, liv. 3, text. 54) que la volonté est un moteur qui est mû, car elle est mue par l’intelligence appétitive (Ou, comme le dit Aristote, par l’intelligence pratique qu’il distingue de l’intelligence spéculative.). Or, les anges sont incapables de mouvement, puisqu’ils sont incorporels. Donc dans les anges il n’y a pas de volonté.

          Réponse à l’objection N°3 : On dit de la volonté qu’elle est un moteur qui est mû, comme on dit que vouloir et comprendre sont des mouvements. Rien n’empêche qu’on admette dans les anges l’existence de ce mouvement, puisqu’il est l’acte d’un être parfait comme on le voit (De animâ, liv. 3, text. 28).

 

          Mais c’est le contraire. Car saint Augustin dit (De Trinit., liv. 10, chap. 11 et 12) que notre âme reflète l’image de la Trinité par ses trois facultés : la mémoire, l’intelligence et la volonté. Or, l’image de Dieu existe non seulement dans l’âme humaine, mais encore dans l’entendement des anges, puisqu’ils peuvent le connaître et le comprendre. Donc les anges ont une volonté.

 

          Conclusion Puisque l’ange connaît par son intelligence la nature universelle du bien, il y a en lui volonté.

          Il faut répondre qu’on doit nécessairement admettre que les anges ont une volonté. Pour rendre cette proposition évidente il faut observer que tous les êtres procédant de la volonté divine, tous sont portés à rechercher à leur manière le bien, mais de différentes façons. Les uns sont portés au bien par une inclination purement naturelle qui est totalement dépourvue de connaissance ; tels sont les plantes et les corps inanimés. On donne à cette inclination le nom d’appétit naturel. Les autres sont portés au bien et possèdent un certain degré de connaissance qui ne leur permet pas toutefois de s’élever à la nature elle-même du bien. Ils ne connaissent que le bien particulier. C’est ainsi que les sens connaissent le doux, le blanc et les autres choses semblables. L’inclination qui résulte de cette connaissance reçoit le nom d’appétit sensitif. Les autres enfin sont portés au bien et en connaissent la nature même qui est l’objet propre de l’intelligence. Dans ces derniers l’inclination pour le bien est plus parfaite, car ils n’y sont pas portés par l’impulsion d’un autre être comme ceux qui sont dépourvus de connaissance ; ils n’ont pas non plus pour objet le bien particulier ou individuel relativement, comme les êtres qui n’ont qu’un appétit sensitif ; mais ils s’attachent au bien général. C’est cette dernière espèce d’inclination qu’on désigne sous le nom de volonté. D’où il est évident que les anges ont la volonté, parce qu’ils connaissent par leur entendement le bien général et universel (Toute cette théorie repose sur ce principe : que tous les êtres que Dieu a créés recherchent nécessairement le tien, comme la fin pour laquelle il les a faits.).

 

Article 2 : Dans les anges la volonté diffère-t-elle de l’intelligence ?

 

          Objection N°1. Il semble que dans les anges la volonté ne diffère pas de l’intelligence et de la nature. Car l’ange est plus simple qu’un corps naturel. Or, les corps sont naturellement inclinés par leur forme vers leur fin qui est leur bien. Donc à plus forte raison l’ange y est-il aussi incliné par sa forme. La forme de l’ange étant ou la nature dans laquelle il subsiste ou l’espèce qui est dans son entendement, il s’ensuit qu’il est porté au bien par sa nature ou par l’espèce intelligible, et comme cette sorte d’inclination vers le bien appartient à la volonté, il en résulte que la volonté de l’ange n’est pas autre chose que sa nature ou son intelligence.

          Réponse à l’objection N°1 : Les corps naturels sont inclinés par leur forme substantielle vers .leur être, mais ils sont inclinés vers les choses extérieures par un élément qui se surajoute à leur essence (Les corps sont naturellement enclins par leur forme substantielle à l’être qui leur est propre, et s’ils sont enclins à une chose extérieure c’est par l’effet d’une puissance qui leur est surajoutée, comme l’instinct et l’appétit.), comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.).

 

          Objection N°2. L’objet de l’entendement est le vrai, tandis que celui de la volonté est le bien. Or, le bien et le vrai ne diffèrent pas en réalité, ils ne diffèrent que rationnellement. Donc la volonté et l’intelligence ne diffèrent pas non plus en réalité.

          Réponse à l’objection N°2 : Les facultés ne se diversifient pas selon la distinction matérielle des objets, mais selon leur distinction formelle qui se règle d’après la manière dont la raison les conçoit. C’est pourquoi il suffit que le bien et le vrai diffèrent rationnellement pour que l’on dise que l’intelligence diffère de la volonté.

 

          Objection N°3. La distinction qui existe entre ce qui est général et ce qui est propre ne diversifie pas les puissances, car la même faculté visuelle peut percevoir la couleur et la blancheur. Or, le bien et le vrai paraissent être l’un à l’autre ce que le commun est au propre ; car le vrai n’est qu’une espèce de bien, c’est le bien de l’intelligence. Donc la volonté dont l’objet est le bien ne diffère pas de l’intelligence dont l’objet est le vrai.

          Réponse à l’objection N°3 : Le bien et le vrai étant en réalité identiques, de là il résulte que l’intelligence comprend le bien sous la raison du vrai et que la volonté recherche le vrai sous la raison du bien. Mais il suffit que le bien et le vrai soient rationnellement distincts pour que les facultés qui y répondent soient distinctes aussi, comme nous l’avons dit (quest. 16, art. 3 et 4, et dans le corps de l’article).

 

          Mais c’est le contraire. Dans les anges, la volonté n’a pour objet que le bien ; l’intelligence, au contraire, embrasse le bien et le mal puisqu’ils connaissent l’un et l’autre. Donc la volonté dans les anges est autre chose que l’intelligence.

 

          Conclusion La volonté des anges n’est ni leur intelligence ni leur nature.

          Il faut répondre que la volonté dans les anges est une faculté ou une puissance qui n’est ni leur nature, ni leur intelligence. D’abord il est évident que ce n’est pas leur nature, car la nature ou l’essence d’une chose est renfermée dans cette chose même : tout ce qui s’étend à ce qui est en dehors de la chose n’est plus son essence. Ainsi dans les corps naturels nous voyons que l’inclination qu’ils ont à l’existence ne provient pas d’un élément surajouté à leur essence : c’est la matière qui appète l’être avant de l’avoir, et c’est la forme qui le conserve après qu’elle l’a reçu. L’inclination, au contraire, qui tend à quelque chose d’extrinsèque s’effectue par un élément qui se surajoute à l’essence ; ainsi c’est la pesanteur ou la légèreté qui font qu’un corps tend vers un lieu plutôt que vers un autre. L’inclination par laquelle un être tend à faire quelque chose qui lui ressemble s’opère par ses qualités actives. Or, la volonté a naturellement de l’inclination pour le bien. Par conséquent, elle n’est identique avec l’essence qu’autant que le bien est totalement compris dans l’essence de celui qui veut, comme en Dieu, par exemple, lui qui ne veut rien hors de lui qu’en raison de sa bonté (Parce qu’il renferme tout ce qui est bon dans la plénitude de son être.), ce qu’on ne peut dire d’aucune créature, puisque le bien infini existe en dehors de l’essence de tout ce qui est créé. C’est pourquoi la volonté de l’ange, comme celle de toute autre créature, ne peut être la même chose que son essence. — La volonté ne peut pas être non plus identique avec l’intelligence de l’ange ou de l’homme. Car il y a connaissance quand l’objet connu est dans le sujet qui le connaît. C’est ce qui fait que l’intelligence s’étend à ce qui est en dehors d’elle, de manière que les choses qui sont en dehors d’elle par leur essence sont faites pour être en elle d’une certaine manière. La volonté, au contraire, se porte vers les choses extérieures de manière à tendre vers elle avec une sorte d’attrait (Ainsi l’entendement attire en loi les choses qu’il perçoit, la volonté se porte au contraire vers les choses qu’elle veut.). Or, la puissance qui reçoit en elle les choses extérieures est autre que celle qui se porte vers elles. C’est pourquoi il faut que dans toute créature l’intelligence et la volonté diffèrent. Il n’en est pas de même en Dieu qui a en lui-même l’être et le bien universel. Ce qui fait que la volonté aussi bien que l’intelligence est son essence.

 

Article 3 : Les anges ont-ils le libre arbitre ?

 

          Objection N°1. Il semble que dans les anges il n’y ait pas de libre arbitre. Car l’action du libre arbitre consiste à choisir. Or, les anges ne peuvent choisir puisque le choix résulte de l’appétit qui a été conseillé à l’avance, et que tout conseil suppose, d’après Aristote (Eth., liv. 3, chap. 3), une certaine recherche, ce qui ne peut avoir lieu dans les anges, puisqu’ils ne connaissent pas la vérité en la recherchant comme nous le faisons, à l’aide de notre raison. Il semble donc que les anges n’aient pas le libre arbitre.

          Réponse à l’objection N°1 : Aristote parle du choix tel que l’homme le fait. Car comme la pensée de l’homme diffère spéculativement de celle de l’ange, puisque l’une est discursive et l’autre intuitive, de même il y a aussi différence entre eux pour la pratique. Ainsi dans les anges il y a choix ; toutefois ce choix ne se fait pas après en avoir délibéré discursivement, mais il résulte de la vue pure et simple de la vérité.

 

          Objection N°2. Le libre arbitre se prête au bien et au mal. Or, par rapport à l’intelligence il n’y a rien de semblable dans les anges, puisque leur intelligence ne peut se tromper à l’égard de ce qu’ils doivent naturellement connaître, comme nous l’avons dit (quest. 58, art. 5). Par conséquent, sous le rapport de l’appétit il ne peut pas y avoir non plus en eux de libre arbitre.

          Réponse à l’objection N°2 : Comme nous l’avons dit (art. préc., et quest. 12, art. 4), la connaissance a lieu quand les objets connus sont dans les sujets qui les connaissent. Ce qui constitue l’imperfection d’un être c’est quand il n’a pas en lui tout ce que naturellement il devrait avoir. Ainsi l’ange ne serait pas parfait dans sa nature si son intelligence n’était pas directement en rapport avec toute la vérité que naturellement il doit connaître. Mais l’acte de la volonté consiste dans l’attrait qui la porte vers les choses extérieures. Or, la perfection d’un être ne dépend pas de l’objet extérieur vers lequel il se porte, il ne dépend que de l’être supérieur qui le domine. C’est pourquoi il n’y a pas lieu de considérer comme une imperfection dans l’ange l’indétermination ou la liberté de sa volonté par rapport aux choses qui sont au-dessous de lui. Il ne serait imparfait que dans le cas où ses rapports ne seraient pas parfaitement déterminés avec ce qui est au-dessus de lui (Saint Thomas fait reposer la liberté des anges non sur leur entendement spéculatif qui est nécessairement déterminé par toutes les vérités naturelles qu’ils doivent connaître, mais sur leur entendement pratique qui n’est pas ainsi déterminé.).

 

          Objection N°3. Les choses qui sont naturelles dans les anges leur conviennent à des degrés différents, parce que dans les anges supérieurs la nature intellectuelle est plus parfaite que dans les anges inférieurs. Or, le libre arbitre n’est pas susceptible de plus et de moins. Donc il n’y a pas de libre arbitre dans les anges.

          Réponse à l’objection N°3 : Le libre arbitre existe d’une façon plus noble dans les anges supérieurs que dans les inférieurs, comme le jugement de l’intelligence est plus parfait aussi. Cependant il est vrai que la liberté considérée comme la négation de toute contrainte n’est susceptible ni de plus ni de moins, parce que les privations et les négations ne sont ni plus fortes ni plus faibles par elles-mêmes ; elles ne peuvent différer que par leur cause ou en raison d’une affirmation quelconque qui s’adjoindrait à elles.

 

          Mais c’est le contraire. Le libre arbitre est l’apanage de la dignité humaine. Or, les anges sont plus dignes que les hommes. Donc puisque les hommes ont le libre arbitre, à plus forte raison les anges le possèdent-ils.

 

          Conclusion Puisque les anges sont d’une nature intellectuelle, le libre arbitre est en eux.

          Il faut répondre qu’il y a des êtres qui n’agissent pas d’après eux-mêmes, ils sont poussés et mis en mouvement par d’autres, comme la flèche que le chasseur lance droit au but. D’autres agissent d’après eux-mêmes, mais leur action n’est pas libre ; tels sont les animaux déraisonnables. Ainsi la brebis fuit le loup d’après un certain instinct qui lui montre que cet animal est dangereux, mais cet instinct n’est pas libre, c’est un sentiment que la nature inspire. Il n’y a que les êtres intelligents qui puissent agir librement, parce qu’il n’y a qu’eux qui connaissent la raison universelle du bien d’après laquelle ils peuvent juger de tel ou tel bien en particulier. Par conséquent, partout où il y a intelligence il y a libre arbitre. D’où il est clair que les anges possèdent cette faculté et d’une manière plus excellente que les hommes, parce que leur intelligence est plus parfaite.

 

Article 4 : Y a-t-il dans les anges l’appétit irascible et l’appétit concupiscible ?

 

          Objection N°1. Il semble que dans les anges il y ait l’appétit irascible et l’appétit concupiscible. Car saint Denis dit (De div. nom., chap. 4) que dans les démons il y a la fureur de la colère et la folie de la concupiscence. Or, les démons sont de même nature que les anges, puisque le péché n’a pas changé leur nature. Donc clans les anges il y a l’appétit irascible et l’appétit concupiscible.

          Réponse à l’objection N°1 : C’est métaphoriquement qu’on dit que la fureur et la concupiscence sont dans les démons, comme on attribue à Dieu la colère par suite de la ressemblance des effets.

 

          Objection N°2. L’amour et la joie sont dans l’appétit concupiscible, la colère, l’espérance et la crainte dans l’irascible. Or, l’Ecriture attribue toutes ces choses aux bons et aux mauvais anges. Donc dans les anges il y a l’appétit irascible et le concupiscible.

          Réponse à l’objection N°2 : L’amour et la joie, en tant que passions, résident dans l’appétit concupiscible, mais quand ils ne désignent que l’acte pur et simple de la volonté ils résident dans l’entendement, selon qu’aimer c’est vouloir du bien à quelqu’un, se réjouir c’est reposer sa volonté dans un bien que l’on possède. Quand on dit que les anges aiment, qu’ils se réjouissent, on ne veut pas dire par là qu’ils aient des passions, comme l’observe saint Augustin (De civ. Dei, liv. 9, chap. 5).

 

          Objection N°3. Il y a des vertus qui résident dans l’appétit irascible et dans le concupiscible. Ainsi la charité et la tempérance paraissent être dans l’appétit concupiscible, l’espérance et la force dans l’irascible. Or, ces vertus sont dans les anges. Donc il y a dans les anges un appétit irascible et un appétit concupiscible.

          Réponse à l’objection N°3 : La charité en tant que vertu n’est pas dans l’appétit concupiscible, mais dans la volonté. Car l’objet de l’appétit concupiscible est le bien qui délecte les sens. Cette espèce de bien n’est pas le bien divin qui est l’objet de la charité. Pour la même raison, on doit dire que l’espérance n’est pas dans l’appétit irascible. Car l’objet de l’appétit irascible est l’obstacle que les sens rencontrent. Cet obstacle n’est pas celui que l’espérance, qui est une vertu, se promet de franchir, puisqu’elle n’a pour but que de s’élever au-dessus des difficultés du salut. La tempérance, comme vertu humaine, se rapporte au désir des choses sensibles qui appartiennent à l’appétit concupiscible. De même la force règle l’ardeur et la crainte qui sont dans l’appétit irascible. C’est pourquoi la tempérance comme vertu humaine réside dans l’appétit concupiscible et la force dans l’appétit irascible. Mais ces vertus n’existent pas de la même manière dans les anges. Car il n’y a en eux ni la passion de la concupiscence, ni celles de la crainte et de l’audace qui ont besoin d’être modérées par la tempérance et la force. La tempérance consiste en eux dans la sagesse avec laquelle ils conforment leur volonté à la règle que la volonté divine leur impose, et la force en ce qu’ils exécutent avec fermeté ce que la volonté divine leur commande. La volonté est ainsi la cause unique de ces actes, l’appétit irascible et l’appétit concupiscible n’y sont pour rien.

 

          Mais c’est le contraire. Car Aristote dit (De anim., liv. 3, text. 42) que l’appétit irascible et le concupiscible sont dans la partie sensitive de l’âme, qui n’existe pas dans les anges. Donc il n’y a en eux ni appétit irascible, ni appétit concupiscible.

 

          Conclusion Puisqu’il n’y a dans les anges qu’un appétit intelligentiel, on ne distingue pas en eux un appétit irascible et un appétit concupiscible, il n’y a qu’un seul appétit qui est la volonté.

          Il faut répondre que l’appétit intelligentiel ne se divise pas en appétit irascible et concupiscible, il n’y a que l’appétit sensitif qui offre cette division. La raison en est que les facultés ne se distinguent pas d’après la distinction matérielle des objets, mais d’après leur raison formelle. S’il y a un objet qui réponde à une faculté quelconque sous une raison générale, on ne distingue donc pas autant de facultés qu’il y a d’objet propres compris sous cette raison. Ainsi, par exemple, l’objet propre de la faculté visuelle étant la couleur en général, on ne distingue pas plusieurs facultés visuelles en raison de la différence qu’il y a entre le blanc et le noir. Mais si l’objet propre d’une faculté était le blanc considéré comme tel, on distinguerait la faculté qui nous ferait voir le blanc de la faculté qui nous ferait voir le noir. Or, il est évident que l’objet de l’appétit intelligentiel, qu’on appelle la volonté, est le bien considéré dans sa nature générale. Car l’appétit ne peut avoir que le bien pour objet. C’est pourquoi l’appétit intelligentiel ne se divise pas selon la distinction des biens particuliers, comme le fait l’appétit sensitif qui n’a pas pour objet le bien en général, mais telle ou telle espèce de bien eu particulier. D’où l’on voit que les anges n’ayant pas d’autre appétit que l’intelligentiel, on ne distingue pas en eux un appétit irascible et un appétit concupiscible ; il n’y a qu’un seul appétit indivisible qui reçoit le nom de volonté.

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.