Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
1a = Prima Pars =
Première Partie
Question 67 : De
la distinction des êtres considérée en elle-même
Après
avoir parlé de la distinction des êtres par rapport à la création, nous avons à
nous occuper de cette distinction considérée en elle-même. Nous traiterons, 1°
de l’œuvre du premier jour, 2° de l’œuvre du second, 3° de l’œuvre du
troisième. — A l’égard de l’œuvre du premier jour quatre questions se
présentent : 1° Le mot lumière se
dit-il dans son sens propre des choses spirituelles ? (Cet article a pour but
de déterminer le sens propre du mot lumière,
parce que parmi les Pères les uns l’ont entendu des choses spirituelles, les
autres des choses matérielles, comme saint Thomas le rapporte plus loin.) — 2°
La lumière corporelle est elle un corps ? (On sait que la science actuelle est
sur ce point d’un avis contraire à celui de saint Thomas ; mais il n’est pas
étonnant que les plus grands génies aient été trompés, sur la nature de ces
corps fluides et impondérables qui, malgré les travaux et les découvertes des
physiciens, sont encore aussi mystérieux.) — 3° Est-elle une qualité ? (Cette
question tient à la précédente. Saint Thomas continue à développer les
sentiments de l’école péripatéticienne sur cette matière.) — 4° Etait-il
convenable qu’elle fût créée au premier jour ? (Voyez le texte de la Genèse
dont saint Thomas veut rendre compte rationnellement dans cet article (Gen., 1, 3-5).)
Article
1 : Le mot lumière se dit-il dans son
sens propre des choses spirituelles ?
Objection
N°1. Il semble que le mot lumière
désigne à proprement parler les êtres spirituels. Car saint Augustin dit (Sup. Gen. ad litt., liv. 4, chap. 28) que dans les êtres spirituels
la lumière est meilleure et plus certaine, et que le Christ n’est pas appelé lumière de la même manière qu’il est
appelé pierre ; que le premier mot
lui convient dans son sens propre et que le second ne lui convient qu’au
figuré.
Objection
N°2. Saint Denis dit (De div. nom., chap. 4)
que la lumière se trouve parmi les noms intelligibles de Dieu. Or, les noms
intelligibles s’emploient dans leur sens propre pour désigner les choses
spirituelles. Donc la lumière prise dans son sens propre se dit des êtres
spirituels.
Objection
N°3. L’Apôtre dit (Eph., 5, 13) : Tout ce qui se manifeste est lumière.
Or, les êtres spirituels se manifestent, à proprement parler, plus que les
êtres corporels. Donc il y a aussi en eux plus de lumière.
Mais
c’est le contraire. Car saint Ambroise (De
fid.,
liv. 2) met la lumière parmi les choses qui ne se disent de Dieu que par
métaphore.
Conclusion
Le mot lumière est vulgairement
employé pour exprimer tout ce qui nous donne une notion ou une connaissance ;
mais en remontant à son acception première, ce mot a été formé pour désigner ce
qui éclaire nos yeux, et on ne l’emploie que métaphoriquement quand il s’agit
des êtres spirituels.
Il
faut répondre que dans un mot il y a deux choses à distinguer : 1° le sens
qu’il a d’après son acception première ; 2° l’usage qu’on en l’ait
vulgairement. Ainsi le verbe voir a
d’abord été employé pour signifier exclusivement l’acte de la vue. Mais ensuite
on lui a donné une extension plus générale en raison de la dignité et de la
certitude de la fonction qu’il exprime. L’usage a même permis de l’employer pour
marquer l’action de tous les autres sens. Nous disons, par exemple : Voyez comme il a bon goût, bonne odeur,
comme il est chaud. Dans saint Matthieu il est même employé pour désigner la
fonction la plus haute de l’intelligence. Car il est dit (5, 8) : Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce
qu’ils verront Dieu. Il en faut dire autant du mot lumière. Il a été d’abord formé pour désigner ce qui éclaire l’œil,
l’organe matériel de la vue. On l’a ensuite étendu à tout ce qui produit en
nous une connaissance quelconque. Par conséquent, si on le prend dans son sens
primitif, il ne peut se dire que métaphoriquement des êtres spirituels, et
c’est ce qu’exprime saint Ambroise (loc.
cit.). Mais si on le prend dans toute l’extension que l’usage lui a donnée
et qu’on lui fasse désigner toute espèce de connaissance, il peut convenir dans
son sens propre à toutes les choses spirituelles.
La
réponse aux objections est par là même évidente.
Article
2 : La lumière est-elle un corps ?
Objection
N°1. Il semble que la lumière soit un corps. Car saint Augustin dit (De lib. arb.,
liv. 3, chap. 5) que la lumière tient le premier rang parmi les corps. Donc
c’est un corps.
Réponse
à l’objection N°1 : Saint Augustin prend la lumière pour un corps actuellement
lumineux, par exemple pour le feu qui est le plus noble des quatre éléments.
Objection
N°2. Aristote dit que la lumière est une espèce de feu (Top., liv. 5, chap. 2). Or, le feu est un corps. Donc la lumière
aussi.
Réponse
à l’objection N°2 : Aristote donne le nom de lumière au feu considéré dans sa
matière propre, comme il donne le nom de flamme au feu qui s’élève dans l’air,
et le nom de charbon au feu qui s’attache aux matières terrestres. On ne doit
pas trop se préoccuper des exemples qu’Aristote cite dans sa Logique, parce
qu’il les cite comme étant probables, d’après les autres philosophes.
Objection
N°3. Le propre des corps est d’être porté, coupé et recourbé. Or, toutes ces
propriétés se trouvent dans la lumière ou le rayon ; de plus, divers rayons
peuvent être unis et séparés, comme le dit saint Denis (De div. nom., chap. 2), ce qui semble pouvoir convenir à quelques
corps. Donc la lumière est un corps.
Réponse
à l’objection N°3 : Toutes ces propriétés s’attribuent métaphoriquement à la
lumière comme on pourrait les attribuer à la chaleur. Car le mouvement local
étant le premier des mouvements, comme le prouve Aristote (Phys., liv. 8, text. 55), nous nous
servons des mots qui appartiennent à ce mouvement pour exprimer le changement
et tous les autres mouvements. De la même manière nous avons emprunté au lieu
le mot distance pour désigner toutes
les choses contraires, comme Aristote le dit (Met., liv. 10, text. 13).
Mais
c’est le contraire. Deux corps ne peuvent pas, en effet, exister simultanément
dans un même lieu. Or, la lumière existe simultanément avec l’air dans le même
lieu. Donc la lumière n’est pas un corps.
Conclusion
Puisque la lumière a la propriété d’être instantanée et de se répandre partout,
elle n’est pas un corps.
Il
faut répondre qu’il est impossible que la lumière soit un corps et cela pour
trois raisons : 1° La première raison est tirée de la nature du lieu. Car le
lieu qu’un corps occupe est différent du lieu qu’occupe un autre corps. Il
n’est donc pas possible naturellement que deux corps existent simultanément
dans un même lieu, quels qu’ils soient, parce que leur contiguïté exige qu’ils
n’occupent pas le même endroit. 2° La seconde raison se tire de la nature du
mouvement. Si la lumière était un corps, elle serait soumise au mouvement local
de tous les corps. Or, le mouvement local d’un corps ne peut pas être
instantané, parce que tout ce qui se meut localement arrive nécessairement aux
intermédiaires avant d’aboutir au but. Or, la lumière est instantanée. On ne
peut pas dire en effet que le temps qu’elle met à nous arriver a une durée qui
nous échappe ; car s’il était possible de ne pouvoir apprécier ce temps pour un
petit espace, on devrait du moins pouvoir le calculer pour un espace immense
comme celui qui s’étend de l’orient à l’occident, et on ne le peut pas. Car,
aussitôt que le soleil paraît sur un point de l’horizon, il éclaire tout
l’hémisphère jusqu’à l’extrémité opposée (On n’avait pas encore calculé le
mouvement de la lumière. Maintenant on sait qu’elle parcourt environ 52 000
myriamètres par seconde et qu’elle met 8’13" pour nous venir du soleil.).
Il y a encore une autre observation à faire sur le mouvement, c’est que tout
corps a un mouvement naturel déterminé, tandis que la lumière se répandant de
toutes parts, son mouvement n’est ni circulaire, ni rectiligne (C’est un
principe incontestable d’optique que la lumière va en ligne droite.). Il est
donc évident que la lumière n’est pas produite par le mouvement local d’un
corps. 3° La troisième raison se prend de la nature de la génération et de la
corruption. Car si la lumière était un corps, quand l’air est obscurci par
l’absence d’un corps lumineux il s’ensuivrait que la lumière elle-même se
corromprait, et que sa matière recevrait une autre forme ; ce qui n’est pas
possible à admettre à moins qu’on ne dise que l’obscurité est aussi un corps (Il
y a sur la cause productive de la lumière différents systèmes ; ce n’est pas
ici le lieu de les exposer, et de démontrer comment l’un et l’autre répondent
aux difficultés qu’élève ici saint Thomas.). On ne voit pas non plus de quelle
matière serait engendré ou produit tous les jours ce corps immense qui remplit
toute la partie intermédiaire de l’hémisphère. Il est également ridicule de
dire que, par suite de l’absence d’un corps lumineux, ce corps immense se
corrompt. Si l’on prétend que la lumière ne se corrompt pas, mais qu’elle
parait avec le soleil et se répand sur la terre, que dire de ce qui arrive
quand on met près d’une chandelle un corps opaque et qu’on remplit ainsi la
maison tout entière de ténèbres ? Il ne semble pas que la lumière se soit alors
concentrée autour de la chandelle, puisqu’il n’y a pas là une clarté plus
grande qu’auparavant. Par là même que tous ces faits répugnent non seulement à la
raison, mais encore aux sens, il faut donc dire qu’il est impossible que la
lumière soit un corps.
Article
3 : La lumière est-elle une qualité ?
Objection
N°1. Il semble que la lumière ne soit pas une qualité. Car toute qualité est
permanente dans le sujet même quand l’agent qui l’a produite a cessé son
action. Ainsi, la chaleur existe dans l’eau après qu’on l’a éloignée du feu.
Or, la lumière ne reste pas dans l’air quand le corps lumineux qui la
produisait a disparu. Donc la lumière n’est pas une qualité.
Réponse
à l’objection N°1 : La qualité résultant de la forme substantielle, le sujet
reçoit diversement la qualité comme il reçoit diversement la forme. Ainsi quand
la matière reçoit parfaitement la forme, la qualité qui en dérive adhère
inébranlablement à elle, comme par exemple si on changeait l’eau en feu. Quand
la forme substantielle n’est reçue qu’imparfaitement par la matière, la qualité
qui s’ensuit est transitoire ; elle ne dure qu’un temps, comme on le voit par
l’eau chaude qui retourne ensuite à son état. Mais la production de la lumière
ne vient pas de ce que la matière a été changée en recevant une forme ou un
commencement de forme quelconque. C’est pourquoi la lumière n’existe qu’autant
que l’agent qui la produit est présent.
Objection
N°2. Toute qualité sensible a son contraire. Ainsi, le froid est opposé au
chaud et le noir au blanc. Mais il n’y a rien de contraire à la lumière. Car
l’obscurité en est une privation. Donc la lumière n’est pas une qualité
sensible.
Réponse
à l’objection N°2 : La lumière n’a pas son contraire, parce qu’elle est la
qualité naturelle du premier corps, qui est cause de ce que les autres
changent, mais qui n’a pas lui-même son contraire.
Objection
N°3. La cause est supérieure à l’effet. Or, la lumière des corps célestes
produit les formes substantielles qui sont dans les corps inférieurs. En effet,
elle donne l’être aux couleurs parce qu’elle les rend actuellement visibles.
Donc la lumière n’est pas une qualité sensible, mais elle est plutôt une forme
substantielle ou spirituelle.
Réponse
à l’objection N°3 : Comme la chaleur agit instrumentalement par la vertu de sa
forme substantielle, de même la lumière agit par la vertu des corps célestes
dans la production des formes substantielles (C’est-à-dire qu’elle en est la
cause instrumentale.), et si elle rend les couleurs visibles c’est qu’elle est
la qualité du premier corps sensible.
Mais
c’est le contraire. Car saint Jean Damascène dit (De orth. fid., liv. 1, chap. 9)
que la lumière est une qualité.
Conclusion
La lumière n’étant pas une substance ni une intention, il faut nécessairement
qu’elle soit une qualité active qui résulte par elle-même de la présence d’un
corps lumineux.
Il
faut répondre qu’il y a des auteurs qui ont avancé que la lumière n’a pas dans
l’air une existence réelle, comme la couleur sur la toile, et qu’elle n’a qu’un
être intentionnel (L’Ecole appelle être d’intention
ou intentionnel ce que nous nommons un être de raison.), comme l’image de la
couleur dans l’air. Mais cette opinion ne peut se soutenir pour deux raisons :
1° parce que la lumière donne sa dénomination à l’air ; car l’air devient
lumineux en acte, tandis que la couleur ne donne pas sa dénomination à l’air,
puisqu’on ne dit pas que l’air est coloré ; 2° parce que la lumière produit un
effet dans la nature. Ainsi les rayons du soleil échauffent les corps. Les
êtres intentionnels n’ont au contraire aucune vertu et ne peuvent produire dans
les êtres aucune modification. — D’autres ont dit que la lumière est la forme
substantielle du soleil. Mais il ne peut en être ainsi pour deux motifs : 1°
Parce qu’il n’y a pas de forme substantielle qui soit sensible par elle-même.
Car la forme d’une chose (quod quid est)
est l’objet de l’entendement, comme le dit Aristote (De anim., liv. 3, text. 26), tandis que la lumière est visible par elle-même.
2° Parce que ce qui est une forme substantielle dans un corps ne peut pas être
une forme accidentelle dans un autre. Car la forme substantielle pouvant par
soi constituer une espèce est universellement identique dans tous les êtres.
Or, la lumière n’est pas non plus la forme substantielle de l’air ; car s’il en
était ainsi l’air se corromprait aussitôt qu’elle disparaîtrait. Elle ne peut
donc pas être la forme substantielle du soleil. — Par conséquent il faut dire
que comme la chaleur est une qualité active qui résulte de la forme
substantielle du feu, de même la lumière est une qualité active qui résulte de
la forme substantielle du soleil ou de tout autre corps lumineux par lui-même,
s’il y en a. Ce qui prouve qu’il en est ainsi, c’est que les rayons des étoiles
produisent des effets divers selon la nature diverse de leurs corps.
Article
4 : Est-il convenable que la lumière ait été produite dès le premier jour ?
Objection
N°1. Il semble qu’il ne soit pas convenable que la lumière ait été produite dès
le premier jour. Car la lumière est une qualité, comme on vient de le dire
(art. préc). Or, une qualité étant un accident, ne
doit pas venir en premier, mais en second lieu. Il ne fallait donc pas que la
lumière fût produite au premier jour.
Réponse
à l’objection N°1 : Dans l’opinion de ceux qui veulent que l’informité de la
matière ait une priorité de temps sur sa formation, on doit dire que la matière
a été créée dès le commencement, et qu’elle a été ensuite formée d’après des conditions
accidentelles parmi lesquelles la lumière tient le premier rang.
Objection
N°2. Par la lumière la nuit se distingue du jour. Or, c’est le soleil qui
produit la lumière et il n’a été créé qu’au quatrième jour (Cette objection a
été faite au XVIIIe siècle, et pendant
quelque temps on l’a crue insoluble. Mais les découvertes de Young et de
Fresnel, en faisant prévaloir la doctrine des vibrations et des interférences
sur la théorie de l’émission des
rayons, sont venues nous expliquer comment la lumière a pu exister avant les
astres.). Donc la production de la lumière n’a pas dû avoir lieu au premier.
Réponse
à l’objection N°2 : Il y a des philosophes qui prétendent que la lumière
primitive était une sorte de nuée lumineuse qui, après que le soleil a été
créé, est venue se perdre dans la matière qui préexistait. Mais ce sentiment
n’est pas soutenable, parce que la Genèse nous expose l’ordre naturel des
choses tel qu’il a ensuite continué à exister. On ne doit donc pas dire que
Dieu a fait alors quelque chose qu’il a dû ensuite anéantir. — D’autres
prétendent que cette nuée lumineuse existe encore, et qu’elle est tellement
unie au soleil qu’on ne peut l’en distinguer. Mais d’après cette explication
cette nuée serait au moins inutile, et dans les œuvres de Dieu il n’y a rien
d’inutile. — D’autres soutiennent que le corps du soleil a été formé de cette
nuée. Mais on ne peut être non plus de ce sentiment si l’on suppose que le
corps du soleil n’est pas du genre des quatre éléments (Saint Thomas admettait
avec les péripatéticiens que le ciel et le soleil qui en fait partie étaient
composés d’une cinquième essence, c’est ce qu’ils appelaient la quintessence (Voy.
quest. 66, art. 2 note.).) qui composent les choses terrestres, mais qu’il est
naturellement incorruptible, parce que dans ce cas sa matière ne peut exister
sous une forme étrangère. — Il faut donc dire avec saint Denis (De div. nom., chap. 4) que cette lumière fut
la lumière du soleil ; mais qu’elle était d’abord informe, c’est-à-dire qu’elle
était la substance du soleil et qu’elle avait d’une manière vague et générale
la propriété d’éclairer ; mais qu’elle reçut ensuite un caractère spécial et
des propriétés déterminées qui la rendirent apte à produire des effets
particuliers. Ainsi, dès sa création la lumière s’est trouvée distincte des
ténèbres sous trois rapports : 1° quant à sa cause, car la cause de la lumière
était dans la substance du soleil, tandis que celle des ténèbres était dans
l’opacité de la terre ; 2° quant au lieu, parce que la lumière était dans un
hémisphère tandis que les ténèbres étaient dans l’autre ; 3° quant au temps,
parce que dans le même hémisphère la lumière existait pendant un temps et les
ténèbres pendant un autre, et c’est ce que signifient ces mots : Il appela la lumière jour, et les ténèbres
nuit.
Objection
N°3. La nuit et le jour résultent du mouvement circulaire d’un corps lumineux.
Or, le mouvement circulaire est le mouvement propre du firmament qui, d’après
la Genèse, a été fait au second jour. Donc on n’eût pas dû mettre au premier
jour la production de la lumière qui distingue la nuit du jour.
Réponse
à l’objection N°3 : D’après saint Basile (Hom. 2) le
jour et les ténèbres ont eu lieu par l’émission et le retrait de la lumière, et
non par le mouvement. Mais saint Augustin objecte qu’il n’y avait pas de raison
pour que cette alternative eût lieu ; puisque les hommes et les animaux, qui
auraient pu trouver en cela un avantage, n’existaient pas. De plus un corps
lumineux n’a pas naturellement la vertu de retenir sa lumière quand il est dans
un lieu, mais cela ne peut se faire que miraculeusement. Or, quand il s’agit de
la formation primitive des êtres, on ne demande pas, comme le dit encore saint
Augustin (Sup. Gen.
ad litt., liv. 2, chap. 1), des effets
miraculeux, mais on recherche au contraire ce qui est conforme à la nature des
choses. — Il faut donc dire qu’il y a dans le ciel deux sortes de mouvement.
L’un qui est commun au ciel tout entier (Ces deux mouvements sont en effet
distincts, mais comment l’un existe-t-il sans l’autre, c’est le problème que
saint Thomas ne se pose pas et qu’il serait très difficile de résoudre.) ;
c’est celui-là qui fait le jour et la nuit, et il a sans doute existé au
premier jour. L’autre qui varie suivant la nature des corps. C’est d’après ce
mouvement que se comptent les jours, les mois et les années (Voyez les
discussions savantes auxquelles se livre le P. Petau
au sujet de ce passage (De opere sex dierum,
liv. 1, chap. 8).). C’est pourquoi au premier
jour on ne parle que de la distinction de la nuit et du jour qui résulte du
mouvement du ciel entier, tandis qu’on fait mention au quatrième de la diversité des jours, des temps et des années ;
comme on le voit par ces paroles : Pour
qu’il y ait des temps, des jours et des années ; ce qui est le résultat des
mouvements propres des corps célestes.
Objection
N°4. Si on dit qu’on entend par lumière la lumière spirituelle, il y a lieu de
répondre : La lumière qui a été faite au premier jour établit une distinction
entre elle et les ténèbres. Or, les ténèbres spirituelles n’ont pas existé dès
le commencement, puisque les démons ont été bons dès le principe, comme nous
l’avons dit (quest. 63, art. 5). Donc la lumière n’a pas dû être produite dès
le premier jour.
Réponse
à l’objection N°4 : Suivant saint Augustin (Sup.
Gen. ad litt., liv. 1,
chap. 15) l’informité des êtres n’a pas été temporellement antérieure à leur
formation. D’après son système on doit donc dire que par la production de la
lumière on entend la formation de la créature spirituelle, non celle que l’état
de la gloire a rendue parfaite puisqu’elle n’a pas été créée dans cet état,
mais celle que la grâce a perfectionnée, puisque les anges, comme nous l’avons
dit (quest. 62, art. 3), ont été créés avec cette espèce de perfection. Cette
lumière a donc établi une division entre elle et les ténèbres, c’est-à-dire que
la créature spirituelle ainsi formée a été distincte de celle qui ne l’est pas.
Mais si l’on admet que la créature tout entière a été formée simultanément, la
lumière n’a pas été distincte des ténèbres spirituelles qui existaient
puisqu’il n’y en avait pas, car le diable n’a pas été créé avec une nature
mauvaise, mais elle a été distincte des ténèbres futures dont Dieu avait la
prescience.
Mais
c’est le contraire. Ce qui est essentiel au jour a dû être produit dès le
premier jour. Or, la lumière est essentielle au jour, puisqu’il ne peut pas y
avoir de jour sans elle. Donc il a fallu que la lumière fût créée dès le
premier jour.
Conclusion
Il entrait dans l’ordre établi par la divine sagesse que la lumière fût
produite au premier jour.
Il
faut répondre que sur la production de la lumière il y a deux opinions. Saint
Augustin paraît dire (De civ. Dei,
liv. 11, chap. 9 et 33) qu’il n’eût pas été convenable que Moïse eût omis de
parler de la création des êtres spirituels. C’est pourquoi il dit que par ces
paroles : Au commencement Dieu créa le
ciel et la terre, il faut entendre la créature spirituelle encore informe
que le mot ciel désigne et la matière
informe de la créature corporelle qui est exprimée par le mot terre. Et comme la créature spirituelle
est plus noble que la créature matérielle, elle a dû être produite la première.
La formation de la nature spirituelle est donc indiquée, d’après ce même Père,
par la production de la lumière qu’on doit entendre dans un sens spirituel. Car
la nature spirituelle a été formée du moment où elle a été éclairée par le
Verbe auquel elle adhère. — Les autres Pères pensent que Moïse a réellement
passé sous silence la création des êtres spirituels, mais ils en donnent
différentes causes. Saint Basile dit que Moïse a fait commencer son récit au
moment où les choses sensibles ont reçu l’existence, et qu’il n’a pas parlé des
êtres spirituels, c’est-à-dire des anges, parce qu’ils ont été créés auparavant.
Saint Jean Chrysostome donne une autre raison. Il dit que Moïse parlait à un
peuple grossier qui ne pouvait saisir que les choses matérielles et que son
dessein était d’éloigner ce peuple de l’idolâtrie (Cette raison ne nous paraît
pas la meilleure, puisqu’il est souvent question des anges dans le Pentateuque.).
Il aurait été porté à tomber dans ce péché si on lui eût dit qu’au-dessus de
toutes les créatures corporelles il y avait d’autres substances ; car il en
aurait fait des dieux, puisqu’il avait déjà beaucoup de propension pour adorer
le soleil, la lune et les étoiles, comme on le voit au Deutéronome (chap. 4).
Il est à remarquer que dans le récit de la Genèse on a préalablement supposé
que la nature corporelle avait été informe de plusieurs manières. Ainsi, une
première informité est désignée par ces mots : La terre était nue et vide ; une autre est exprimée par ces paroles
: Les ténèbres étaient sur la face de
l’abîme. Or, il était nécessaire que l’informité qui résultait des ténèbres
fût d’abord écartée par la production de la lumière, et cela pour deux raisons
: 1° parce que la lumière, comme nous l’avons dit (art. 3), est la qualité du
premier corps et que le monde a dû être formé à sa clarté ; 2° parce que la
lumière est le milieu dans lequel les corps supérieurs communiquent avec les
inférieurs. Or, comme dans la connaissance on procède d’abord par les choses
les plus générales, de même dans l’action. Ainsi l’être vivant est engendré
avant l’animal et l’animal avant l’homme, comme Aristote l’observe (De Gen. anim., liv. 2, chap. 3). La divine
sagesse a donc dû se manifester en créant la lumière la première parmi les œuvres
de distinction, comme la forme du premier corps et comme étant la plus
générale. 3° Saint Basile donne une troisième raison (Hom. 2 in hexam.) ; c’est que par la lumière
tous les autres êtres sont mis en évidence. 4° Enfin, on pourrait en ajouter
une quatrième qu’on a indiquée dans les objections, c’est que le jour ne peut
être sans la lumière et qu’il a été, par conséquent, nécessaire que la lumière
fût créée au premier jour.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de
l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec
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puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au
respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune
évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de
la morale catholique et des lois justes.