Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

1a = Prima Pars = Première Partie

Question 70 : De l’œuvre du quatrième jour

 

          Après avoir parlé de l’œuvre de distinction nous avons maintenant à nous occuper de l’œuvre d’ornement. Nous parlerons de chacun des jours considéré en lui-même, puis nous traiterons des six jours de la création en général. Nous examinerons donc au sujet du premier point : 1° l’œuvre du quatrième jour ; 2° l’œuvre du cinquième ; 3° l’œuvre du sixième ; 4° de ce qui concerne le septième. — Sur l’œuvre du quatrième jour trois questions se présentent : la première regarde la production des luminaires ou des astres (Après l’œuvre de distinction qui a duré pendant les trois premiers jours, commence l’œuvre d’ornement, qui a duré pendant les trois derniers. Saint Thomas fait parfaitement ressortir le rapport qu’il y a entre ces deux sortes d’œuvres.) ; — la seconde le but de leur production (D’après les platoniciens, Origène a enseigné que les astres étaient animés. Quelques Pères paraissent avoir été de son sentiment, mais cette opinion a été condamnée par le concile général de Constantinople : Si quis dicit cælum, solem, lunam, stellas et aquas quæ suprà cælos sunt, animatas quasdam esse, et rationales virtutes, anathema sit.) ; — et la troisième s’ils sont animés.

 

Article 1 : Les astres ont-ils dû être produits au quatrième jour ?

 

          Objection N°1. Il semble que les astres n’aient pas dû être produits au quatrième jour. Car les astres sont des corps naturellement incorruptibles ; par conséquent leur matière ne peut exister sans leurs formes. Or, leur matière a été produite dès le début de la création avant que les jours n’existassent. Donc leurs formes aussi. Ils n’ont donc pas été faits au quatrième jour.

          Réponse à l’objection N°1 : Dans l’opinion de saint Augustin il n’y a là aucune difficulté (Sup. Gen., liv. 4, chap. 22 et 24). Car par là même qu’il n’admet pas qu’il y ait eu succession de temps pour toutes ces œuvres, il n’est pas nécessaire d’admettre que la matière des astres ait dû préexister sous une autre forme. Dans le sentiment de ceux qui supposent les corps célestes de la nature des quatre éléments, il n’y a pas non plus de difficulté, parce qu’on peut dire qu’ils ont été formés d’une matière préexistante, comme les animaux et les plantes. Mais d’après ceux qui supposent les corps célestes d’une autre nature que les quatre éléments et qui les croient incorruptibles de leur nature, il faut dire que la substance des astres a été créée dès le commencement ; qu’elle était primitivement informe, et qu’elle a été ensuite formée non par l’effet d’une forme substantielle qu’elle aurait reçue, mais uniquement par suite d’une vertu déterminée qui lui a été communiquée. C’est pour cela qu’il n’est pas parlé d’eux dès le début, mais qu’il n’en est fait mention, comme le dit saint Chrysostome (Hom. 6 in Gen.), qu’au quatrième jour, afin d’écarter par là le peuple de l’idolâtrie en lui montrant que les astres ne sont pas des dieux, puisqu’ils n’ont pas existé dès le commencement.

 

          Objection N°2. Les astres sont en quelque sorte les vases qui renferment la lumière. Or, la lumière a été faite au premier jour. Donc les astres ont dû être faits au premier et non au quatrième jour.

          Réponse à l’objection N°2 : Dans l’opinion de saint Augustin il n’y a point encore de difficulté, parce que, d’après ce docteur, la lumière dont il est parlé au premier jour c’est la lumière spirituelle, et que ce n’est qu’au quatrième que la lumière matérielle a été formée. Mais si l’on croit que la lumière créée au premier jour était la lumière matérielle (Plusieurs Pères de l’Eglise ont cru avec saint Basile que la lumière était indépendante des astres. Nous citerons saint Justin, Archelaüs (Routh., Rel. sac. 4, 191), Théodoret (quest. 7).), on doit dire qu’elle ne reçut au premier jour que sa nature en général et que ce fut au quatrième que les astres reçurent la propriété de lui faire produire des effets particuliers. C’est ainsi que nous voyons qu’autres sont les effets des rayons du soleil, autres ceux des rayons de la lune, et autres ceux des étoiles. Saint Denis dit (De div. nom., chap. 4) que la lumière du soleil qui était d’abord informe, fut ensuite formée au quatrième jour parce qu’elle reçut alors des propriétés particulières.

 

          Objection N°3. Comme les plantes sont fixes dans la terre, de même les astres sont fixes au firmament. C’est pourquoi l’Ecriture dit que Dieu les a placés au firmament. Or, la production des plantes a eu lieu le même jour que la formation de la terre à laquelle elles sont inhérentes. Donc la production des astres aurait dû aussi avoir lieu au second jour quand le firmament a été produit.

          Réponse à l’objection N°3 : D’après Ptolémée les astres ne sont pas fixes, mais ils ont un mouvement propre, indépendant de celui des sphères. C’est pourquoi saint Chrysostome dit que si d’après l’Ecriture Dieu les plaça dans le firmament, cela ne signifie pas qu’ils y sont fixes et immobiles, mais seulement qu’il leur a été ordonné de demeurer là, comme il a placé l’homme dans le paradis pour y rester. Mais d’après Aristote (De cæl., liv. 2, text. 43), les étoiles sont fixes dans leurs orbites, elles n’ont pas d’autre mouvement que celui des sphères célestes (Cette sphère, d’après Aristote, tournait d’orient en occident en vingt-quatre heures, et rendait raison du mouvement diurne (Voy. Mét., liv. 12).). Mais comme dans la réalité les sens perçoivent le mouvement des astres et ne perçoivent pas le mouvement des sphères, Moïse pour condescendre à la grossièreté du peuple hébreu s’est exprimé conformément aux apparences, comme nous l’avons dit (quest. 67, art. 4). D’ailleurs si le firmament qui a été fait au second jour est autre que celui où sont placées les étoiles, il n’y a plus d’objection. Car on pourra dire que le firmament a été fait, quant à sa partie inférieure, au second jour, et que les étoiles ont été placées au quatrième dans sa partie supérieure, de telle sorte que dans le récit le tout a été pris pour la partie, parce que d’ailleurs la chose paraît telle aux sens.

 

          Objection N°4. Le soleil, la lune et les autres astres sont causes des plantes. Or, naturellement la cause précède l’effet. Donc les astres n’ont pas dû être faits au quatrième jour, mais au troisième ou auparavant.

          Réponse à l’objection N°4 : Comme le dit saint Basile, la production des plantes a été placée avant celle des astres pour éviter l’idolâtrie. Car ceux qui croient que les astres sont des dieux, supposent qu’ils sont la cause première des plantes, bien que, selon la remarque de saint Chrysostome (Hom. 6), ils contribuent à leur production par leurs mouvements, comme le laboureur par son travail (Cette réflexion de saint Basile a été faite par Philon (περί Κοσμοποιίας, p. 7), par Séverin (Homélie 3) et par Bossuet lui-même (Hist. univ., 2e part. n. 1).).

 

          Objection N°5. D’après les astronomes il y a beaucoup d’étoiles plus grandes que la lune. On ne devait donc pas dire seulement du soleil et de la lune qu’ils étaient les deux grands luminaires.

          Réponse à l’objection N°5 : Comme l’observe saint Chrysostome (loc. cit.), si l’on appelle le soleil et la lune les deux grands luminaires, ce n’est pas à cause de leur grosseur, mais c’est en raison de leur vertu et de leur efficacité ; car bien que les autres étoiles soient d’un volume plus considérable que la lune, cependant les effets de ce dernier astre sont plus sensibles sur le globe que nous habitons et par conséquent la lune est plus grande en apparence.

 

          Mais l’autorité de l’Ecriture suffit pour établir le contraire.

 

          Conclusion Comme il était convenable que ce qui a été créé en premier lieu parmi les œuvres de distinction figurât aussi au premier rang parmi les œuvres d’ornement, c’est avec raison que l’on a placé la production des astres au quatrième jour.

          Il faut répondre que l’Ecriture en résumant les œuvres de Dieu s’exprime ainsi (Gen., 2, 1) : Les cieux et la terre ont donc été achevés avec tout ce qui fait leur ornement. Ces paroles indiquent qu’il y a eu dans la production de l’univers trois sortes d’œuvre : une œuvre de création, qui nous est indiquée par l’Ecriture qui dit que primitivement le ciel et la terre étaient informes ; une œuvre de distinction, qui donna au ciel et à la terre leur perfection, soit par le moyen des formes substantielles que saint Augustin attribue à la matière absolument informe (Sup. Gen., liv. 2, chap. 11), soit en raison de la beauté et des proportions qu’auraient reçues les êtres, au sentiment des autres Pères. A ces deux sortes d’œuvre s’est ajoutée l’œuvre d’ornement, qui diffère de l’œuvre de perfection. Car la perfection du ciel et de la terre semble appartenir aux propriétés qui leur sont intrinsèques, tandis que l’ornement ne comprend que les choses extérieures qui sont absolument distinctes du ciel et de la terre. Ainsi l’homme doit sa perfection aux qualités et aux formes qui lui sont propres ; tandis que ses ornements se composent de ses vêtements et des autres choses extérieures. Or, la distinction des êtres se manifestant surtout par le mouvement local qui les sépare les uns des autres, l’œuvre d’ornement comprend tout particulièrement pour ce motif la production des êtres qui se meuvent dans le ciel et sur la terre. Mais comme l’œuvre des trois premiers jours, ainsi que nous l’avons dit (quest. préc., art. 1), du ciel, de l’eau et de la terre, et qu’il y eut pour l’œuvre de distinction trois jours, de telle sorte que le ciel fut distingué au premier jour, les eaux au second et la terre au troisième ; de même dans l’œuvre d’ornement il y eut trois jours qui correspondent aux trois premiers. Ainsi au premier jour de l’œuvre d’ornement, qui est le quatrième de la création, les astres qui se meuvent dans le ciel et qui en font l’ornement furent produits. Au second jour, qui est le cinquième, parurent les oiseaux et les poissons qui se meuvent dans l’air et dans l’eau et qui font l’ornement de la région intermédiaire désignée sous le nom d’eaux en général. Enfin au troisième jour, qui est le sixième, furent formés les animaux qui marchent sur la terre et qui en font la beauté. Il est à remarquer que pour la production des astres saint Augustin (Sup. Gen., liv. 5, chap. 5) est du même avis que les autres Pères. Car il dit que Dieu ne les a pas seulement créés virtuellement, mais réellement, parce que le firmament ne pouvait avoir la vertu de les produire comme la terre a la vertu de produire les plantes. C’est pour cela que l’Ecriture ne dit pas : que le firmament produise des astres, comme elle dit : que la terre germe une herbe verdoyante.

 

Article 2 : L’Ecriture assigne-t-elle convenablement la cause finale des astres ?

 

          Objection N°1. Il semble que l’Ecriture n’assigne pas convenablement la cause, finale des astres. Car il est dit dans Jérémie (10, 2) : Ne redoutez pas les signes célestes que redoutent les nations. Donc les astres n’ont pas été créés pour servir de signes.

          Réponse à l’objection N°1 : Les astres servent de signes pour les changements des choses corporelles et non pour celles qui dépendent du libre arbitre.

 

          Objection N°2. Le signe se distingue de la cause par opposition. Or, les astres sont la cause des choses qui se passent ici. Donc ils n’en sont pas les signes.

          Réponse à l’objection N°2 : Une cause sensible nous conduit quelquefois à la connaissance d’un effet occulte et réciproquement. Par conséquent rien n’empêche qu’une cause sensible ne soit un signe. Mais Moïse donne aux astres le nom de signes plutôt que celui de causes pour enlever à l’idolâtrie tout prétexte.

 

          Objection N°3. Les temps et les jours ont commencé à être distingués dès le premier jour. Les astres n’ont donc pas été faits pour distinguer les temps, les jours et les années.

          Réponse à l’objection N°3 : Au premier jour le temps a été généralement divisé en deux parties ; le jour et la nuit ont été l’effet du mouvement diurne qui est commun à tout le ciel et qu’on peut supposer avoir commencé dès le premier jour. Mais la distinction spéciale des jours et des temps, qui fait qu’un jour est plus chaud qu’un autre, que les temps diffèrent, qu’une année est meilleure, provient du mouvement propre des étoiles (Ces changements sont dus en grande partie à l’alternative des saisons, qui a pour cause l’obliquité de l’écliptique, ce que saint Thomas ne pouvait savoir ) qu’on peut supposer n’avoir commencé qu’au quatrième jour.

 

          Objection N°4. La fin est toujours plus noble que les moyens, et par conséquent une chose n’est pas faite pour une autre moins noble qu’elle. Or, les astres valent mieux que la terre. Donc ils n’ont pas été faits pour l’éclairer.

          Réponse à l’objection N°4 : Si la terre est éclairée, c’est dans l’intérêt de l’homme qui est à la vérité par son âme supérieur à tous les corps célestes. Cependant rien n’empêche de dire que la créature la plus noble soit faite pour la moins noble, non pas considérée en elle-même, mais considérée dans ses rapports avec l’ensemble de l’univers.

 

          Objection N°5. La lune ne préside pas à la nuit quand elle est nouvelle. Or, il est probable qu’elle a été créée dans cet état, car c’est ce que le comput suppose. Donc la lune n’a pas été faite pour présider à la nuit.

          Réponse à l’objection N°5 : Quand la lune est pleine, elle se lève le soir et se couche le matin, et ainsi elle préside à la nuit. Car il est assez probable que la lune a été ainsi créée (On a recherché aussi à quelle époque de l’année le monde avait été créé. Théodoret, Bède et ta plupart des Pères veulent que ce soit au printemps. Le P. Petau soutient contre eux que c’est à l’automne. Voyez cette discussion dans le P. Petau (De opere sex dierum, liv. 1, chap. 14, et dans ses livres De doct. temp., liv. 9, chap. 6, et Ration., part. 2 , liv. 2, chap. 1).), puisque les herbes ont été produites à l’état parfait avec toutes leurs semences, et qu’il en est de même des animaux et de l’homme. Car quoique naturellement on aille de l’imparfait au parfait, cependant le parfait est absolument antérieur à l’imparfait. Cependant saint Augustin n’est pas de ce sentiment ; car il dit qu’il ne répugne pas que Dieu ait fait des choses imparfaites qu’il a ensuite perfectionnées.

 

          Mais l’autorité de l’Ecriture suffit pour établir le contraire.

 

          Conclusion Pour écarter le peuple de l’idolâtrie, Moïse a convenablement déterminé la cause pour laquelle les astres ont été créés, en montrant qu’ils ont été créés pour l’utilité de l’homme, c’est-à-dire pour lui servir de signes pour distinguer les temps, les jours, les années, etc.

          Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (quest. 65, art. 2), une créature peut être faite soit pour l’acte propre qu’elle produit, soit dans l’intérêt d’une autre créature, soit pour la perfection de l’univers en général, soit pour la gloire de Dieu. Mais Moïse songeant à écarter son peuple de l’idolâtrie n’a parlé que d’une seule de ces causes finales, et il a dit que les astres avaient été faits pour l’utilité de l’homme. C’est pourquoi il est dit au Deutéronome (4, 19) : Prenez garde qu’en élevant vos yeux au ciel et y voyant le soleil, la lune et tous les astres, vous ne tombiez dans l’illusion et l’erreur en les prenant pour des dieux, et que vous ne rendiez ainsi un culte d’adoration à des créatures que le Seigneur votre Dieu a faites pour le service de toutes les nations. Au commencement de la Genèse Moïse explique quels sont les services que les astres rendent aux nations. Il en distingue de trois sortes : 1° Ils donnent aux hommes la lumière qui les éclaire dans leurs actions et qui leur fait connaître tous les objets sensibles, selon ces paroles : Qu’ils brillent au firmament et qu’ils éclairent la terre. 2° Ils marquent le changement des saisons, ce qui, en détruisant la monotonie de l’existence, conserve la santé de l’homme et lui procure les choses nécessaires à la vie. Aucune de ces choses n’existerait si l’été ou l’hiver durait toujours, et c’est pourquoi il est dit que les astres ont été créés pour la distinction des temps, des jours et des années. 3° Ils servent à régler le commerce et en général toutes les affaires, en indiquant la pluie, le beau temps, le vent et tout ce qui peut avoir de l’influence sur l’industrie humaine. C’est pourquoi il les a signalés comme étant des signes (Ils sont aussi les signes des échéances.).

 

Article 3 : Les astres sont-ils animés ?

 

          Objection N°1. Il semble que les astres soient animés. Car les corps supérieurs doivent avoir des ornements plus nobles que les corps inférieurs. Or, les ornements des corps inférieurs sont des êtres animés, tels que les poissons, les oiseaux, les animaux terrestres. Donc les astres qui font l’ornement des cieux doivent être animés aussi.

          Réponse à l’objection N°1 : Il y a des êtres qui appartiennent à l’ornement de la création en raison de leur mouvement propre. Sous ce rapport, les astres s’accordent avec les autres êtres qui servent d’ornement parce qu’ils sont mus par une substance vivante.

 

          Objection N°2. Les corps les plus nobles ont les formes les plus nobles aussi. Or, le soleil, la lune et les autres astres sont plus nobles que les plantes et les animaux. Ils ont donc une forme plus noble. Et comme la forme la plus noble est l’âme qui est le principe de la vie, puisque, selon la remarque de saint Augustin (De ver. rel., chap. 29), l’être qui vit est toujours supérieur par sa nature à l’être qui ne vit pas, il s’ensuit que les astres doivent être animés.

          Réponse à l’objection N°2 : Rien n’empêche qu’une chose soit absolument plus noble qu’une autre et qu’elle ne le soit pas relativement, c’est-à-dire sous un rapport particulier. Ainsi la forme d’un corps céleste, bien qu’elle ne soit pas absolument plus noble que l’âme d’un animal, l’emporte cependant sur elle comme forme ; car elle perfectionne complètement sa matière au point qu’elle ne peut recevoir une forme différente, tandis qu’il n’en est pas de même de l’âme. D’ailleurs, quant au mouvement les corps célestes le reçoivent de moteurs plus nobles (Qui sont les substances intellectuelles elles-mêmes.).

 

          Objection N°3. La cause est plus noble que l’effet. Or, le soleil, la lune et les autres astres sont causes de la vie, comme on le voit évidemment par les animaux que la putréfaction engendre et qui ne doivent la vie qu’à l’influence du soleil et des étoiles. Donc à plus forte raison les corps célestes vivent-ils et sont-ils animés.

          Réponse à l’objection N°3 : Les corps célestes étant des moteurs qui sont mus sont des instruments qui agissent sous l’influence d’un agent principal. C’est pourquoi, en vertu de leur moteur qui est une substance vivante, ils ont la puissance de produire des choses vivantes.

 

          Objection N°4. Les mouvements du ciel et ceux des corps célestes sont naturels, comme on le voit (De cælo, liv. 1, text. 7 et 8). Or, un mouvement naturel a pour origine un principe intrinsèque. Donc puisque le principe du mouvement des corps célestes est une substance perceptive qui est mue comme le sujet qui désire par l’objet désiré, d’après ce que dit Aristote (Met., liv. 12, text. 36), il semble que le principe qui perçoit soit intrinsèque dans les corps célestes et que, par conséquent, ces corps soient animés.

          Réponse à l’objection N°4 : Le mouvement des corps célestes leur est naturel, non en raison de leur activité, mais à cause de leur passivité, c’est-à-dire que ces corps sont, par leur nature, aptes à recevoir des esprits leur mouvement.

 

          Objection N°5. Le ciel est le premier mobile. Or, le premier des mobiles se meut par lui-même, comme le prouve Aristote (Phys., liv. 8, text. 34), parce que ce qui est par soi-même est antérieur a ce qui existe par un autre. Or, il n’y a que les choses animées qui se meuvent par elles-mêmes, comme on le voit au même livre (text. 27). Donc les corps célestes sont animés.

          Réponse à l’objection N°5 : On dit que le ciel se meut non parce qu’il est composé d’une forme et d’une matière, mais parce qu’il est composé d’un moteur et d’un mobile, et son mouvement résulte de leur contact, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.). On peut encore dire que le moteur du ciel est un principe intrinsèque, et que son mouvement est naturel par rapport au principe actif qui le produit, comme on dit que les mouvements volontaires sont naturels à l’animal considéré comme tel, d’après Aristote (Phys., liv. 8, text. 27).

 

          Mais c’est le contraire. Car saint Jean Damascène dit : Qu’on ne pense pas que les cieux ni les astres soient animés, car ils ne le sont pas ; ils sont, au contraire, absolument insensibles (De orth. fid., liv. 2, chap. 6).

 

          Conclusion L’âme étant unie aux plantes et aux animaux, comme leur forme, elle n’est pas unie de la même manière aux corps célestes, seulement elfe agit sur eux comme le moteur sur le mobile. Il est évident par là que les corps célestes ne sont pas animés à la façon des plantes et des animaux, mais qu’ils ne le sont qu’univoquement.

          Il faut répondre que les philosophes ont été divisés sur ce point. Car Anaxagoras, comme le rapporte saint Augustin (De civ. Dei, liv. 18, chap. 41), fut accusé par les Athéniens pour avoir dit que le soleil était une pierre ardente et pour avoir nié que ce fût un Dieu et même un être animé. Les platoniciens ont supposé, au contraire, que les corps célestes étaient animés. Les docteurs de l’Eglise ont eu aussi à ce sujet divers sentiments. En effet, Origène a avancé (Periarch., liv. 1, chap. 7) que les corps célestes étaient animés, et saint Jérôme paraît être de son avis (Saint Ambroise également.) quand il explique ces paroles de l’Ecclésiaste (1, 6) : L’esprit qui parcourt l’espace tournoie de toutes parts. Saint Basile (Hexam., Hom. 3) et saint Jean Damascène (De Orth. fid., liv. 2, chap. 6) soutiennent l’opinion contraire (Nous ajouterons Eusèbe de Césarée, Saint Chrysostome (Hom. 1 in anno), Théodoret (in Psalm. 148, et Isaiam), saint Denis (De div. nom., chap. 4), saint Cyrille d’Alexandrie (2 cont. Jul.).), et saint Augustin laisse la question douteuse sans se prononcer en faveur d’aucun de ces deux sentiments, comme on le voit (Sup. Gen. ad litt., liv. 2, chap. 18, et Enchir., chap. 58). Dans ce dernier ouvrage il dit que s’ils sont animés, leurs âmes appartiennent à la société des anges. — Pour trouver la vérité au milieu de cette diversité d’opinions, il faut observer que l’union de l’âme et du corps n’a pas lieu à cause du corps, mais à cause de l’âme. Car ce n’est pas la forme qui existe à cause de la matière. Or, la nature de l’âme et sa vertu s’envisagent d’après ses opérations qui sont en quelque sorte sa fin. Ainsi nous trouvons que notre corps est nécessaire à notre âme pour l’accomplissement de certaines fonctions qu’elle ne pourrait remplir sans lui, comme la chose est manifeste pour tout ce qui regarde la sensation et la nutrition. Il est donc nécessaire que l’âme soit unie au corps pour toutes ces fonctions. Mais il y a une opération de l’âme qui ne s’exerce pas par l’intermédiaire du corps, quoique cependant les organes corporels lui soient encore, sous ce rapport, de quelque secours. C’est ainsi que le corps transmet à l’âme les images dont elle a besoin pour comprendre. Il est donc encore nécessaire, pour remplir ses fonctions, que l’âme soit unie au corps, bien qu’il lui arrive d’en être séparée. Or, il est évident que l’âme d’un corps céleste ne peut remplir les fonctions d’une âme nutritive, c’est-à-dire qu’elle ne peut ni le nourrir, ni le faire croître ou engendrer, puisque toutes ces choses ne peuvent être compatibles avec l’essence d’un corps qui est naturellement incorruptible. De même les actions de l’âme sensitive ne conviennent pas au corps céleste, parce que tous les sens reposent sur le tact qui perçoit les qualités des éléments. Tous les organes des puissances sensitives exigent pour ce motif une proportion particulière déterminée par le mélange même des éléments qui n’entrent point du tout dans la nature des corps célestes. On est donc obligé de reconnaître que de toutes les opérations de l’âme humaine il n’y en a que deux qui puissent convenir à une âme céleste : ce sont l’intelligence et le mouvement. Car l’appétit est une conséquence de la sensibilité et de l’intelligence et il se rapporte à l’une et à l’autre. L’intelligence n’agissant pas par l’intermédiaire du corps n’a besoin de lui être uni qu’autant qu’elle perçoit les objets sous les images que les sens lui fournissent. Mais comme les opérations de l’âme sensitive ne conviennent pas à la nature des corps célestes, ainsi que nous venons de le dire, cette âme ne peut donc pas être unie à un corps céleste dans l’intérêt de ses fonctions intellectuelles. Par conséquent, elle ne peut lui être unie que pour le mouvoir. Or, pour le mouvoir il n’est pas nécessaire qu’elle lui soit unie comme sa forme, mais il faut seulement qu’elle exerce sur lui une action semblable à celle que le moteur exerce sur le mobile. C’est pourquoi Aristote, après avoir prouvé (Phys., liv. 8, text. 42 et 43) que le premier mobile qui se meut lui-même est composé de deux parties, dont l’une est active et l’autre passive, dit, pour expliquer de quelle manière ces deux parties sont unies, qu’elles le sont par un contact réciproque si elles sont toutes deux corporelles, ou que l’une se rapporte à l’autre et non réciproquement, si l’une d’elles est un corps et que l’autre n’en soit pas un. Les platoniciens supposaient que les âmes étaient unies aux corps seulement par l’action qu’elles exerçaient sur eux, comme le moteur est uni au mobile. Par conséquent, quand Platon dit que les corps célestes sont animés, ces paroles signifient seulement, dans sa pensée, que les substances spirituelles sont unies aux corps célestes comme les moteurs le sont aux mobiles. D’ailleurs la preuve que les corps célestes sont mus par une substance qui les saisit et les pousse, mais qu’ils ne sont pas mus seulement par leur nature, comme les corps lourds ou légers, c’est que la nature ne pousse que vers un but et qu’elle se repose une fois qu’il est atteint, et que le mouvement des corps célestes semble obéir à d’autres lois. Il faut donc reconnaître qu’ils sont mus par une substance qui les pousse et les dirige, et répéter avec saint Augustin, que Dieu les gouverne par l’esprit de vie (De Trin., liv. 3, chap. 4). Au reste, on voit par là que la différence d’opinion qu’il y a entre ceux qui supposent les astres animés et ceux qui disent qu’ils ne le sont pas est nulle, ou qu’elle est tout à fait minime, et qu’elle existe beaucoup plus dans les mots que dans le fond des choses (Saint Thomas concilie donc merveilleusement ces sentiments opposés.).

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.