Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
1a = Prima Pars =
Première Partie
Question 71 : De
l’œuvre du cinquième jour
Article
unique (Saint Thomas,
pour commenter le passage de la Genèse qui se rapporte au cinquième jour, fait
usage, comme d’ordinaire, des lumières qu’Aristote peut lui fournir. Mais sur
ce point il est mieux inspiré que sur d’autres problèmes de la nature, parce
que, de tous les travaux du philosophe de Stagyre,
son Histoire naturelle est un des
meilleurs.).
Objection
N°1. Il semble que cette œuvre ne soit pas convenablement décrite. Caries eaux
ne produisent que ce qu’elles ont la vertu de produire. Or, l’eau n’a pas la
vertu de produire tous les poissons et tous les oiseaux, puisque nous voyons
que plusieurs d’entre eux sont engendrés. L’écrivain sacré n’aurait donc pas dû
faire dire à Dieu : Que les eaux
produisent des animaux vivants qui rampent sur la terre et des oiseaux qui
volent sous le firmament du ciel.
Réponse
à l’objection N°1 : Avicenne a supposé que tous les animaux pouvaient être
engendrés par une certaine combinaison des éléments (La formation des corps
organiques résulte tellement de forces spéciales, que la chimie peut tien
détruire et analyser ces corps, mais qu’elle ne saurait en former aucun.) et
que la nature pouvait les reproduire sans semence. Mais cette opinion nous
semble insoutenable, parce que la nature arrive à ses fins par des moyens
déterminés. Par conséquent, les êtres qui se perpétuent naturellement par la
génération, ne se reproduisent pas autrement. Il faut donc plutôt dire que pour
la génération naturelle des animaux, le principe actif et la vertu productive
existent dans l’organe générateur pour ceux qui se perpétuent par ce moyen,
tandis qu’elle se trouve dans l’influence des corps célestes pour ceux qui sont
engendrés par la putréfaction. Ainsi, dans la génération de tous les animaux le
principe dévie est toujours un élément ou quelque chose qui en a la nature.
Mais dans la production première des êtres, la parole de Dieu fut le principe
actif qui tira les animaux de la matière élémentaire, soit que les animaux
aient dès lors existé réellement, comme le prétendent les Pères, soit qu’ils
n’aient existé que virtuellement, comme le dit saint Augustin. Ce n’est pas que
l’illustre docteur dise avec Avicenne que l’eau ou la terre a en elle-même la
vertu de produire tous les animaux, mais il prétend seulement que si les
animaux peuvent être produits par la vertu de la semence ou des corps célestes,
c’est que primitivement Dieu a donné à ces éléments cette propriété.
Objection
N°2. Les poissons et les oiseaux ne sont pas seulement produits par l’eau. Mais
dans les parties qui les composent la terre semble prédominer, parce que leurs
corps se meuvent naturellement vers la terre et que c’est là qu’ils se
reposent. Il n’est donc pas juste de dire que les poissons et les oiseaux ont
été produits par l’eau.
Réponse
à l’objection N°2 : On peut considérer le corps des poissons et des oiseaux de
deux manières ; d’abord en soi. Dans ce sens, il est nécessaire que l’élément
terrestre prédomine, parce que pour produire une juste harmonie entre toutes
les parties constitutives de l’animal il faut que l’élément le moins actif,
c’est-à-dire la terre, y entre dans une proportion plus forte (Les éléments qui
constituent les substances organiques sont le carbone, l’oxygène, l’hydrogène
et l’azote. Il n’entre dans leur combinaison qu’une petite portion de matières
terreuses, qui donnent les cendres par la combustion.). Mais si on considère
leurs corps par rapport aux mouvements qu’ils doivent exécuter, ils ont alors
une certaine affinité avec les éléments au milieu desquels ils se meuvent, et
c’est à ce point de vue que l’écrivain sacré en a parlé.
Objection
N°3. Comme les poissons se meuvent dans les eaux, de même les oiseaux se meuvent
dans les airs. Si donc les poissons sont produits par les eaux, les oiseaux ne
devraient pas être produits par les eaux, mais par l’air.
Réponse
à l’objection N°3 : L’air n’a pas été énuméré avec les autres éléments parce
qu’il ne tombe pas sous les sens. Ainsi il a été confondu avec l’eau dans sa
partie inférieure que les exhalaisons des vapeurs épaississent, et on l’a
confondu avec le ciel pour sa partie supérieure. Or, les oiseaux se meuvent
dans la partie inférieure de l’air, et c’est pour cela qu’il est dit qu’ils
volent sous le firmament céleste, en indiquant par là l’air où se trouvent les
nuages. Voilà la raison pour laquelle il est dit que les eaux ont produit les
oiseaux.
Objection
N°4. Tous les poissons ne rampent pas dans les eaux, puisqu’il y en a qui ont
des pieds dont ils se servent pour marcher sur la terre ; tels sont, par exemple, les veaux marins. La production des
poissons n’est donc pas suffisamment exprimée par ces mots : Que les eaux produisent des animaux vivants
qui rampent.
Réponse
à l’objection N°4 : La nature va d’un extrême à l’autre en passant par des
milieux. C’est pour cela qu’entre les animaux célestes et les animaux
aquatiques il y a des animaux intermédiaires, qui ont quelque chose de commun
avec l’un et l’autre et qu’on classe parmi ceux auxquels ils ressemblent le
plus en raison de l’analogie qu’ils ont avec eux, sans tenir compte de ce
qu’ils ont de commun avec ceux d’une autre classe. Cependant pour comprendre
parmi les poissons même ceux qui avaient des caractères particuliers, après
avoir dit : Que les eaux produisent des
animaux vivants qui rampent ; l’écrivain sacré ajoute : Dieu créa donc les grands poissons, etc.
(L’écrivain désigne par là les cétacés, qui se distinguent des autres poissons
par des caractères tout particuliers.).
Objection
N°5. Les animaux terrestres sont plus parfaits que les oiseaux et les poissons,
ce qui résulte évidemment de ce qu’ils ont des membres plus distincts et une
génération plus parfaite, puisqu’ils sont vivipares, tandis que les poissons et
les oiseaux sont ovipares. Or, les choses les plus parfaites doivent
naturellement précéder les autres. Donc les poissons et les oiseaux n’ont pas dû
être créés au cinquième jour avant les animaux terrestres.
Réponse
à l’objection N°5 : La production des animaux a été réglée sur l’ordre que Dieu
a suivi dans la distinction des corps auxquels ils servent d’ornements et non
sur leur dignité propre. D’ailleurs il est naturel que dans la génération des
êtres on aille des imparfaits aux parfaits.
Mais
l’autorité de l’Ecriture nous suffit pour affirmer le contraire.
Conclusion
Puisque parmi les trois jours consacrés à l’œuvre de distinction, le jour
intermédiaire ou le second a été employé à la formation du corps qui occupe le
milieu entre le ciel et la terre, c’est-à-dire l’eau, il était convenable que
parmi les trois jours consacrés à l’œuvre d’ornement, le jour intermédiaire,
qui est le cinquième jour, fût employé à l’ornement de ce même corps,
c’est-à-dire que Dieu produisit alors les poissons et les oiseaux qui sont
l’ornement de l’eau, ou du corps qui se trouve entre le ciel et la terre.
Il
faut répondre que, comme nous l’avons dit (quest. préc., art. 1), l’œuvre d’ornement
correspond parallèlement dans toutes ses parties à l’œuvre de distinction.
Ainsi, comme dans les trois premiers jours nous avons vu celui du milieu qui
est le second employé à la distinction d’un corps intermédiaire, l’eau (Nous
avons dit que sous cette dénomination générale Moïse avait compris l’eau et
l’air.) ; de même parmi les trois jours consacrés à l’œuvre d’ornement, le jour
du milieu, qui est le cinquième de la création, a été employé à l’ornement de
ce corps intermédiaire, et c’est dans ce but que Dieu a créé les oiseaux et les
poissons. Par conséquent, comme Moïse parle au quatrième jour des astres et de
la lumière pour montrer que ce jour correspond au premier dans lequel il avait
dit que la lumière avait été faite ; de même, au cinquième jour, il fait
mention des eaux et du firmament céleste pour indiquer que ce jour répond au
second. Mais on doit observer que comme saint Augustin diffère des autres Pères
pour la production des plantes, de même il est en désaccord avec eux au sujet
de la production des poissons et des oiseaux. Car les autres Pères disent que les
oiseaux et les poissons ont été réellement produits au cinquième jour, tandis
que saint Augustin prétend (Sup. Gen. ad litt., liv. 5, chap.
5) que les eaux ont seulement reçu alors la puissance et la vertu, de les
produire.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques,
par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à
Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de
Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du
père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé
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