Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
1a = Prima Pars =
Première Partie
Question 72 : De
l’œuvre du sixième jour
Article
unique (Dans cet
article, en répondant au quatrième argument, saint Thomas réfute l’erreur des adamistes, des tatiens, des
cathares, des pauvres de Lyon et des albigeois, qui attaquaient le mariage, on
disant que c’était un péché ou une invention humaine.).
Objection
N°1. Il semble qu’elle ne soit pas bien décrite. Car comme les oiseaux et les
poissons ont une âme vivante, de même aussi les animaux terrestres. Or, les
animaux ne sont pas une âme vivante. Au lieu de dire : Que la terre produise une âme vivante ; il eût donc été mieux de
dire : Que la terre produise des
quadrupèdes qui aient une âme vivante.
Réponse
à l’objection N°1 : Comme l’observe saint Basile (Hom. 8), on peut d’après les paroles de l’Ecriture remarquer qu’il y a
divers degrés de vie et qu’on trouve ces divers degrés dans les différents
êtres vivants. Ainsi les plantes ont une vie très imparfaite et occulte. C’est
pour cela que dans leur production il n’est pas parlé de leur vie, mais
seulement de leur génération, parce que la vie ne se manifeste en elles que de
cette manière. Car la nourriture et l’accroissement ne servent qu’à la
génération, comme nous le verrons (quest. 78, art. 2). Parmi les êtres animés
les animaux terrestres sont en général plus parfaits que les oiseaux et les
poissons, non parce que ces derniers manquent de mémoire, comme le dit saint
Basile (loc. cit.), et ce que réfute
saint Augustin (Sup. Gen.
ad litt., liv. 3, chap. 8), mais parce que leurs
membres sont plus distincts et leur génération plus parfaite. Quant à
l’instinct il y a des animaux imparfaits qui sont très remarquables sous ce
rapport ; telles sont les abeilles et les fourmis. Aussi la Genèse
appelle-t-elle les poissons des reptiles
à âme vivante et ne leur donne-t-elle pas le nom d’âme vivante. Elle
réserve cette dernière expression pour les animaux dont la vie est parfaite,
comme si elle voulait faire entendre par là que les poissons n’ont que quelque
chose de l’âme, tandis que les animaux terrestres, en raison de la perfection
de leur système organique, ont une âme supérieure aux corps. Le degré le plus
parfait de la vie étant dans l’homme, Moïse ne dit pas qu’il a été produit par la
terre ou l’eau comme les autres animaux, mais par Dieu.
Objection
N°2. Dans une division on ne peut pas opposer l’un à l’autre le genre et
l’espèce. Or, les animaux et les bêtes sont comptés parmi les quadrupèdes. Il
ne semble donc pas convenable qu’on les ait comptés de la sorte.
Réponse
à l’objection N°2 : Par les animaux (jumenta) on comprend les animaux domestiques qui servent
l’homme de quelque manière. Par les bêtes (bestias) on entend les animaux
sauvages comme les ours et les lions. Sous le nom de reptiles on désigne soit
les animaux qui n’ont pas de pieds pour s’élever de terre, comme les serpents,
soit ceux qui n’en ont que de fort courts, comme les lézards et les fourmis.
Mais comme il y a des animaux qui ne sont compris dans aucune de ces trois
catégories, tels que les cerfs et les biches, on a ajouté le mot quadrupède
pour les renfermer sous cette dénomination. — Ou bien on peut dire encore, que
l’écrivain sacré a mis en avant le mot quadrupède,
comme exprimant le genre, et qu’il a ensuite ajouté les animaux pour désigner
les espèces, car il y a des reptiles qui sont des quadrupèdes. Tels sont les
lézards et les fourmis (Le mot quadrupède
et le mot reptile sont pris ici dans
leur plus grande extension.).
Objection
N°3. Comme les autres animaux forment un genre déterminé et une espèce, de même
l’homme. Or, dans la création de l’homme il n’est question ni de son genre, ni
de son espèce. On n’aurait donc pas dû à l’égard de la production des autres
animaux parler de leur genre ou de leur espèce, et employer ces mots : selon son espèce.
Réponse
à l’objection N°3 : Pour les plantes et pour les autres animaux Moïse a parlé
du genre et de l’espèce, afin de désigner la génération des êtres par leurs
semblables. A l’égard de l’homme il n’était pas nécessaire qu’il en parlât,
parce que ce qu’il avait, dit des autres donnait suffisamment à penser ce qu’il
en devait être de lui. — Ou bien encore on peut dire que les animaux et les
plantes sont produits dans leur genre et leur espèce, comme étant très éloignés
de la ressemblance divine, tandis qu’il est dit de l’homme qu’il a été formé à
l’image et à la ressemblance de Dieu.
Objection
N°4. Les animaux terrestres ressemblent plus à l’homme qui a reçu les
bénédictions de Dieu que les oiseaux et les poissons. Ainsi donc puisqu’il est
dit que les oiseaux et les poissons ont été bénis, à plus forte raison
aurait-on dû dire la même chose des autres animaux.
Réponse
à l’objection N°4 : La bénédiction donne aux êtres la vertu de se multiplier
par la génération. C’est pour cela qu’il en a été question quand il s’est agi
des oiseaux et des poissons. Mais il n’a pas été nécessaire d’en parler de
nouveau à l’occasion des animaux terrestres, parce qu’on pouvait le
sous-entendre. A l’égard de l’homme la bénédiction a été renouvelée, parce que
la multiplication des humains a un motif spécial. Son but est de compléter le
nombre des élus, et il fallait d’ailleurs qu’on ne pût
dire qu’il y avait péché dans l’acte de la génération (Il y a donc deux raisons
qui militent contre les hérétiques dont nous avons parlé. Leur erreur a
d’ailleurs été condamnée par le concile de Florence et par le concile de
Trente.). Mais les plantes ne trouvent aucun plaisir dans leur propagation,
elles engendrent sans le sentiment de ce qu’elles font ; c’est pour cela
qu’elles n’ont pas été jugées dignes de recevoir des paroles de bénédiction.
Objection
N°5. Il y a des animaux qui sont engendrés par la putréfaction qui est une
sorte de corruption. Or, la corruption n’a pu exister dès la création primitive
des êtres. Tous les animaux n’ont donc pas dû être primitivement produits.
Réponse
à l’objection N°5 : La génération d’un être étant la corruption d’un autre, il
ne répugne pas à la production primitive des créatures que la corruption d’une
créature moins noble ait engendré une créature plus noble. Ainsi les animaux
qui naissent de la corruption des plantes ou des choses inanimées ont pu alors
être engendrés, mais il n’en est pas de même de ceux qui naissent de la
corruption des animaux, ou plutôt ils ne pouvaient être engendrés que
virtuellement.
Objection
N°6. Il y a des animaux venimeux et nuisibles à l’homme. Or, avant le péché
rien n’a dû être nuisible à l’homme. Donc ces animaux n’ont pas dû avoir pour
auteur Dieu qui ne fait que de bonnes choses, ou bien ils n’ont pas dû être
créés avant le péché.
Réponse
à l’objection N°6 : Saint Augustin dit (Sup.
Gen. cont. man., liv. 1, chap. 16) que si un
étranger entre dans l’atelier d’un ouvrier et qu’il y voie beaucoup
d’instruments dont il ignore l’usage, il peut croire, s’il est absolument
dépourvu de bon sens, que toutes ces choses sont inutiles. Mais s’il vient à
tomber maladroitement dans la fournaise ou qu’il se blesse avec quelques-uns de
ces tranchants bien affilés, il pensera qu’il y a là beaucoup de choses
nuisibles. L’ouvrier qui sait faire usage de tous ces instruments se rira de sa
sottise. Ainsi il en est de même en ce monde de ceux qui ont blâmé une foule de
choses dont ils ne connaissent pas l’usage. Car il y a beaucoup de choses, bien
qu’elles ne nous soient pas utiles personnellement, qui servent cependant à
compléter l’universalité de la création. Avant son péché l’homme savait faire
un usage convenable de toutes les choses de ce monde. C’est pourquoi les
animaux venimeux ne lui étaient pas nuisibles.
Mais
l’autorité de l’Ecriture suffit pour établir le contraire.
Conclusion
Il a été convenable qu’au sixième jour la terre produisit des animaux vivants
chacun selon son genre, des animaux domestiques, des reptiles, des bêtes sauvages
selon leurs différentes espèces, et que Dieu formât l’homme dans ce même jour,
afin que le jour consacré à l’ornement de la terre répondit à celui où la terre
était sortie de la confusion primitive.
Il
faut répondre que comme au cinquième jour le corps intermédiaire a été orné de
telle sorte que ce jour a répondu au second de la création, ainsi au sixième
jour le dernier des corps, la terre a été ornée par la production des animaux
terrestres, et ce jour répond au troisième où il est uniquement question de la
terre. Dans ce dernier jour, d’après saint Augustin (Sup. Gen., liv. 5, chap. 5), les animaux
n’ont été produits que virtuellement, mais d’après les autres Pères ils l’ont
été en réalité.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
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