Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

1a = Prima Pars = Première Partie

Question 74 : Des sept jours de la création en général

 

          Après avoir parlé de chacun des jours de la création en particulier, nous devons maintenant les considérer tous en général. Nous considérerons : 1° Si ces jours sont suffisants (Cet article a pour objet de démontrer, par rapport à la Genèse, la vérité de ces paroles : Vous n’ajouterez ni n’ôterez rien aux paroles que je vous di (Deut., 4, 2). Si quelqu’un enlève quelque chose des paroles de ce livre, Dieu lui retranchera sa part du livre de vie (Apoc., 22, 19).). — 2° S’ils ne forment qu’un seul jour ou s’ils en forment plusieurs (Aujourd’hui on se demande ce que l’on doit entendre par les jours dont parle Moïse : si ce sont des jours de vingt-quatre heures ou des époques d’une durée indéterminée. Saint Thomas, qui veut résumer ici l’opinion des Pères, est obligé de poser la question d’une manière toute différente. Saint Augustin voulait qu’en réalité les sept jours n’en tissent qu’on seul, et qu’on ne les distinguât que d’après la diversité des êtres qui ont été produits ; les autres Pères prenaient le mot jour dans le sens vulgaire. Cette controverse prouve que le mot jour, dans le récit de la Genèse, n’a pas un sens bien arrêté, mais on ne peut en tirer aucune conséquence en faveur des opinions des géologues modernes.). — 3° Nous nous occuperons de certaines locutions dont l’Ecriture se sert dans le récit de l’œuvre des six jours (Cet article a pour but de dissiper toutes les difficultés que peut encore offrir le texte de la Genèse.).

 

Article 1 : Les six jours ont-ils été suffisants ?

 

          Objection N°1. Il semble que les six jours énumérés par Moïse soient insuffisants. Car l’œuvre de création n’est pas moins distincte de l’œuvre de distinction et de l’œuvre d’ornement que ces deux dernières œuvres ne sont distinctes entre elles. Or, il y a eu des jours consacrés à l’œuvre de distinction, et d’autres jours consacrés à l’œuvre d’ornement. On aurait donc dû assigner aussi des jours qui auraient été employés à l’œuvre de création.

          Réponse à l’objection N°1 : D’après saint Augustin l’œuvre de création appartient à la production de la nature matérielle et de la nature spirituelle à l’état informe. Ces deux choses sont en dehors du temps, comme le dit ce saint docteur lui-même (Conf., liv. 12, chap. 12). C’est pour cette raison que leur création est placée avant l’existence même des jours. Suivant les autres Pères on peut dire que l’œuvre de distinction et l’œuvre d’ornement supposent l’une et l’autre dans la créature un changement dont le temps est la mesure. Mais l’œuvre de création ne consiste que dans l’action divine qui produit instantanément la substance des êtres. C’est pour ce motif qu’on assigne à toutes les œuvres de distinction et d’ornement leur jour, tandis qu’on dit que la création a eu lieu au commencement, ce qui signifie qu’elle s’est faite dans un instant indivisible.

 

          Objection N°2. L’air et le feu sont des éléments plus nobles que la terre et l’eau. Or, on a consacré un jour à la distinction de l’eau, et un autre à la distinction de la terre. On aurait donc dû consacrer d’autres jours à la distinction du feu et de l’air.

          Réponse à l’objection N°2 : Le feu et l’air n’étant pas compris par le vulgaire au nombre des parties du monde, Moïse ne les a pas désignés expressément, mais il les a confondus avec le corps intermédiaire, c’est-à-dire l’eau ; ce qui est vrai principalement de la partie inférieure de l’air ; quant à la partie supérieure il l’a confondue avec le ciel, d’après saint Augustin. (Sup. Gen., liv. 2, chap. 13).

 

          Objection N°3. Il n’y a pas moins de différence entre les oiseaux et les poissons qu’entre les oiseaux et les animaux terrestres. D’un autre côté l’homme diffère plus des animaux que ceux-ci ne diffèrent entre eux. Or, puisqu’on a assigné un autre jour pour la production des poissons de la mer et un autre jour pour celle des animaux terrestres, on aurait dû en assigner encore un autre pour la production des oiseaux du ciel et un autre pour la création de l’homme.

          Réponse à l’objection N°3 : La production des animaux est racontée suivant le rapport qu’ils ont avec les parties du monde auxquelles ils servent d’ornement. C’est pourquoi les jours de leur production sont distingués ou réunis suivant qu’ils se rapportent ou ne se rapportent pas à la partie du monde qu’ils doivent orner.

 

          Objection N°4. Au contraire il y en a qui trouvent que c’est trop de sept jours pour la création. Car la lumière est aux astres ce que l’accident est au sujet. Or, le sujet est produit tout à la fois avec l’accident qui lui est propre. Donc Dieu n’aurait pas dû produire la lumière un jour et les astres un autre.

          Réponse à l’objection N°4 : Dès le premier jour la nature de la lumière a été produite dans un sujet quelconque. Au quatrième, les astres ont été faits, non que leur substance ait été produite de nouveau, mais parce qu’ils ont reçu alors une forme qu’ils n’avaient pas auparavant, comme nous l’avons dit (quest. 70, art. 1).

 

          Objection N°5. Les jours ont été consacrés à l’établissement primitif du monde. Or, dans le septième jour rien n’a été établi, ni créé. Donc on n’aurait pas dû compter le septième jour avec les autres.

          Réponse à l’objection N°5 : D’après saint Augustin (Sup. Gen., liv. 4, chap. 15), Moïse, après avoir attribué à chacun des six jours ce qui lui est propre, assigne au septième quelque chose de particulier, c’est que Dieu s’est alors reposé en lui-même de ses œuvres. C’est pourquoi après avoir parlé des six premiers jours il était nécessaire qu’on fît mention du septième. — Suivant les autres Pères on peut dire qu’au septième jour le monde a eu un caractère tout nouveau, celui d’être formé sans qu’il fût nécessaire d’y ajouter désormais quelque chose. C’est pourquoi après les six jours l’écrivain sacré a placé le septième, qui a cela de particulier, c’est que Dieu a cessé alors de créer.

 

          Conclusion Ce n’est ni trop ni trop peu de sept jours pour la création ; il en a fallu trois pour distinguer ou débrouiller les parties du monde, trois pour les orner, et le septième Dieu a dû se reposer de ses œuvres.

          Il faut répondre que d’après tout ce que nous avons dit (quest. 70 à 72) on voit évidemment la raison qui a établi entre tous ces jours une distinction. Car il a fallu d’abord que toutes les parties du monde fussent débrouillées et qu’ensuite chacune d’elles fût ornée, ce qui s’est fait en la remplissant d’habitants. Les Pères distinguent dans la créature matérielle trois parties : la première qui est désignée par le mot de ciel, la seconde ou la partie moyenne qui est exprimée par le mot d’eau, et la troisième ou la partie inférieure qui reçoit dans l’Ecriture le nom de terre. De là, d’après les pythagoriciens, la perfection consiste en trois choses, le commencement, le milieu et la fin, comme le dit Aristote (De cæl., liv. 1, text. 2). La première partie fut distinguée ou débrouillée au premier jour et elle fut ornée au quatrième. La partie moyenne fut débrouillée au second jour et ornée au cinquième. Enfin la partie inférieure fut débrouillée au troisième jour et ornée au sixième. Saint Augustin est d’accord avec les Pères sur les trois derniers jours, mais il ne l’est pas sur les trois premiers. Ainsi, d’après ce docteur, au premier jour la créature spirituelle fut formée et dans les deux jours qui suivirent ce fut la créature matérielle, de telle façon que Dieu créa au second jour les corps supérieurs et au troisième les inférieurs. La perfection de l’œuvre divine se manifeste ainsi, toujours selon le même saint, par la perfection du nombre senaire qui se forme de l’addition de ses parties aliquotes qui sont 1, 2 et 3. Car l’unité représente le jour qui a été consacré à la formation de la créature spirituelle, le nombre deux désigne les jours employés à la production de la créature matérielle, enfin le nombre trois indique les jours qu’il a fallu pour orner la création entière (Cette théorie des nombres est aussi un emprunt fait à l’école de Pythagore.).

 

Article 2 : Tous ces jours ne forment-ils qu’un seul jour ?

 

          Objection N°1. Il semble que tous ces jours n’en forment qu’un seul. Car il est dit dans la Genèse (2, 4-5) : Telle a été l’origine du ciel et de la terre, et c’est ainsi qu’ils furent créés au jour que le Seigneur Dieu fit l’un et l’autre et qu’il créa toutes les plantes des champs avant qu’elles fussent sorties de terre. Dieu a donc fait dans le même jour le ciel, et la terre et les plantes des champs. Cependant il est dit qu’il fit le ciel et la terre au premier jour, ou plutôt avant même l’existence des jours, et qu’il produisit les plantes des champs au troisième. Le premier jour est donc le même que le troisième, et pour cette raison il n’y a pas de différence non plus entre les autres jours.

          Réponse à l’objection N°1 : Dans le jour où Dieu a créé le ciel et la terre, il a créé les plantes des champs non en réalité, mais virtuellement, c’est-à-dire avant qu’elles ne sortissent de terre. Saint Augustin rapporte cette œuvre au troisième jour, les autres Pères à la création primitive des êtres.

 

          Objection N°2. Il est dit dans l’Ecclésiastique (18, 1) : Celui qui est éternel a tout créé en même temps. Or, il n’en serait pas ainsi si l’œuvre de la création avait duré plusieurs jours. Car plusieurs jours ne peuvent exister simultanément. Donc les jours de la création ne forment qu’un seul et même jour.

          Réponse à l’objection N°2 : Dieu a créé simultanément tous les êtres quant à leur substance informe, mais relativement à leur formation qui a été le résultat de l’œuvre de distinction et de l’œuvre d’ornement il n’en est pas de même. C’est pour cela que l’écrivain sacré a employé expressément le mot création.

 

          Objection N°3. Au septième jour Dieu cessa de produire de nouvelles créatures. Si donc le septième jour diffère des autres, il s’ensuit que Dieu ne l’a pas fait ; ce qui est absurde.

          Réponse à l’objection N°3 : Au septième jour Dieu a cessé de produire des créatures nouvelles, mais non de propager celles qui existaient ; et d’ailleurs on peut rattacher à cette propagation la succession des jours eux-mêmes.

 

          Objection N°4. Toute œuvre qu’on attribue à un jour a été faite instantanément puisqu’il est rapporté de chaque chose : Il dit et ce fut fait. Si donc Dieu eût réservé pour un autre jour l’œuvre qu’il a faite ensuite, il résulterait de là que le reste du jour il aurait cessé de créer, ce qui serait inutile. Le jour où l’œuvre qui suit a été créée n’est donc pas différent du jour où a été produite l’œuvre qui précède.

          Réponse à l’objection N°4 : Ce n’est pas par impuissance de la part de Dieu, comme s’il avait besoin de temps pour agir, que tous les êtres n’ont pas été simultanément distingués et ornés, mais c’était pour suivre un certain ordre dans la création. C’est pour ce motif qu’il a fallu faire répondre des jours différents aux divers états du monde. Car à mesure que les œuvres se sont succédé le monde a gagné en perfection.

 

          Objection N°5. Mais c’est le contraire. Car il est dit dans la Genèse : Du soir et du matin fut fait le second jour, le troisième, et ainsi des autres. Or, on ne peut parler d’un second, d’un troisième, etc., là où il n’y a qu’un seul jour. Les jours de la création sont donc en réalité multiples.

          Réponse à l’objection N°5 : D’après saint Augustin (loc. cit) l’ordre des jours doit se rapporter à l’ordre naturel des œuvres qui leur sont attribuées.

 

          Conclusion Ce n’est pas en un jour, mais bien en sept jours que le monde a été créé.

          Il faut répondre que sur ce point saint Augustin se sépare des autres Pères. Car il veut que les sept jours n’en fassent qu’un, mais que ce jour unique renferme sept ordres de choses (Sup. Gen. ad litt., liv. 4, chap. 8, et 22 et 34 et De civ. Dei, liv. 12, chap. 9). Les autres Pères pensent au contraire que ce sont bien sept jours réels, distincts l’un de l’autre. Si on met ces deux opinions en rapport avec l’explication du sens littéral de la Genèse, elles paraissent très différentes. Car d’après saint Augustin le mot jour indique la connaissance des anges, de telle sorte que le premier jour soit la notion qu’ils ont de la première œuvre de Dieu, le second, la notion qu’ils ont de la seconde et ainsi des autres. On dit de chaque œuvre qu’elle a été produite dans un jour déterminé, parce que Dieu n’a rien créé dans la nature qu’il ne l’ait auparavant imprimé dans l’esprit des anges, qui peut à la vérité connaître plusieurs choses simultanément, surtout dans le Verbe au sein duquel toutes les connaissances trouvent leur perfection et leur complément. Ainsi dans ce sentiment les jours se distinguent d’après l’ordre naturel des choses connues, mais non d’après la succession temporelle de la connaissance ou de la production des êtres. Et saint Augustin ajoute (Sup. Gen., liv. 4, chap. 28), que la connaissance angélique peut recevoir proprement et véritablement le nom de jour, puisque la lumière, qui est la cause du jour, est le propre des substances spirituelles. — Selon les autres Pères, ces jours désignent une succession de temps et les choses ont été réellement produites les unes après les autres. — Mais si on considère ces deux opinions par rapport à la manière dont les êtres ont été produits, on ne trouve plus entre elles la même différence. Elles ne diffèrent que sur deux points à l’égard desquels saint Augustin s’écarte encore des autres Pères, comme nous l’avons dit (quest. 67, art. I, et 69, art. 1). Ainsi saint Augustin entend par la terre et l’eau qui ont été primitivement créées, une matière absolument informe ; par la formation du firmament, le rassemblement des eaux, l’apparition de l’aride il comprend l’impression des formes que la matière corporelle a reçues. Les autres Pères pensent au contraire que la terre et l’eau qui ont été primitivement créées sont les éléments du monde existant sous leurs formes propres. Ils croient que les œuvres subséquentes ont servi à débrouiller les corps qui étaient déjà préexistants, comme nous l’avons dit (quest. 67, art. 1 et 4, et quest. 69, art. 1). Ils diffèrent encore relativement à la production des plantes et des animaux que les Pères supposent avoir réellement été créés dans les six jours qu’a durés l’œuvre divine, tandis que saint Augustin croit que ces êtres n’ont existé d’abord que virtuellement. (Sup. Gen., liv. 8, chap. 3). Mais quoique saint Augustin suppose que les œuvres des six jours ont été simultanées, cependant il est d’accord avec les autres sur le mode de production. Car d’après l’un et l’autre la matière a été primitivement produite sous les formes substantielles des éléments, et ils reconnaissent aussi les uns et les autres que dans la création première tous les animaux et toutes les plantes ne furent pas produits tels qu’ils sont actuellement, puisque ce fut l’œuvre successive de plusieurs jours. Toutefois ils diffèrent entre eux par rapport à quatre choses, c’est que d’après les autres Pères après la production première de la matière il y eut un temps premier où la lumière n’existait pas, un second temps où le firmament n’était pas formé, un troisième temps où la terre n’était pas débarrassée des eaux qui la couvraient, enfin un quatrième temps où les astres n’étaient pas créés. Le système de saint Augustin n’admet pas ces distinctions temporelles puisqu’il suppose que tous les êtres ont été créés simultanément. Pour ne pas préjudicier aux égards que méritent ces deux sentiments, on doit répondre à leurs raisons (Cet article est le résumé de tous ceux qui précèdent ; car à mesure qu’il a développé ses explications sur l’œuvre des six jours, saint Thomas a fait sentir la différence qu’il y avait entre saint Augustin et les autres Pères.).

 

Article 3 : L’Ecriture se sert-elle d’expressions convenables pour rendre l’œuvre des six jours ?

 

          Objection N°1. Il semble que l’Ecriture n’emploie pas des expressions convenables pour rendre l’œuvre des six jours. Car, comme la lumière, le firmament et les autres œuvres semblables ont été faites par le Verbe de Dieu, de même aussi le ciel et la terre, puisqu’il est dit (Jean, 1, 3) que tout a été fait par lui. Donc, dans la création du ciel et de la terre on aurait dû faire mention du Verbe de Dieu comme dans les autres œuvres.

          Réponse à l’objection N°1 : D’après saint Augustin (Sup. Gen. ad litt., liv. 1, chap. 4), la personne du Fils de Dieu est désignée aussi bien dans l’œuvre de création que dans l’œuvre de distinction et d’ornement, mais en des sens divers. Car l’œuvre de distinction et d’ornement regarde la formation des êtres. Comme la formation des objets d’art résulte de la forme que l’artisan a dans l’esprit, et qu’on peut appeler son verbe intelligible ; ainsi la formation de toute créature est l’œuvre du Verbe de Dieu, et c’est pour cela qu’il est fait mention du Verbe dans l’œuvre de distinction et d’ornement. Mais dans la création le Fils est désigné comme le principe par ces mots : Dans le principe Dieu créa (Cette interprétation est celle de saint Augustin (De cant. nov., 7), de saint Basile (Hom. 3), de saint Ambroise (in Hexam., liv. 1, chap. 4), de saint Irénée (Adv. hæres., liv. 2, chap. 2), de saint Jérôme (Quæst. hæbr. in Gen.) et des docteurs juifs (Voyez la deuxième lettre d’un rabbin converti, p. 52).) ; parce que la création est la production de la matière informe. — Si l’on admet le sentiment des Pères, qui supposent que les éléments ont été créés sous leurs propres formes, il faut donner une autre réponse. Saint Basile dit (Hom. 3) que ces paroles : Dieu a dit, indiquent un ordre divin. Or, il a fallu que la créature qui devait obéir fût produite avant de lui intimer un ordre.

 

          Objection N°2. L’eau a été créée par Dieu. Il n’est cependant pas dit qu’elle l’ait été. Donc l’œuvre de la création n’a pas été suffisamment exposée.

          Réponse à l’objection N°2 : D’après saint Augustin, on doit entendre par le ciel la nature spirituelle informe, et par la terre la matière informe de tous les corps, et, par conséquent, aucune créature n’a été omise. Selon saint Basile on nomme le ciel et la terre comme les deux extrêmes, afin de comprendre par là tous les milieux, d’autant plus que le mouvement de tous les corps intermédiaires se dirige vers le ciel si les corps sont légers, et tend vers la terre s’ils sont lourds. Enfin, d’autres disent que sous le nom de la terre l’Ecriture comprend ordinairement les quatre éléments. C’est pour cela que le Psalmiste, après avoir dit : Louez le Seigneur, vous qui êtes de la terre, ajoute : Feu, grêle, neige, glace, etc. (Ps. 148, 7).

 

          Objection N°3. Comme il est dit dans la Genèse : Dieu vit que toutes les choses qu’il avait faites étaient fort bonnes ; l’écrivain sacré aurait dû dire pour chaque œuvre : Dieu vit que c’était bien. Il a donc eu tort d’omettre ces paroles au sujet de la création et de l’œuvre du second jour.

          Réponse à l’objection N°3 : Dans l’œuvre de la création il y a quelque chose qui correspond à ce qui est dit de l’œuvre de distinction et d’ornement : Dieu vit que telle ou telle chose était bien. Pour s’en convaincre il faut observer que l’Esprit-Saint est amour. Or, il y a deux motifs, d’après saint Augustin (Sup. Gen., liv. 1, chap. 8), pour lesquels Dieu aime sa créature. C’est qu’il veut qu’elle existe, et que son existence soit permanente. Pour qu’elle ait ce double caractère il est dit que l’Esprit de Dieu était porté sur les eaux. On entend par le mot eau la matière informe, et cette phrase signifie que l’Esprit était porté sur la matière, comme l’amour de l’artisan est porté sur la matière dont il veut former son œuvre. Pour montrer que le créateur a rendu son œuvre durable il est dit : Dieu vit que c’était bien. Ces paroles montrent que Dieu se plut dans son œuvre après l’avoir faite, ce qui ne suppose pas toutefois qu’il la connût mieux ou qu’elle lui plût davantage après son exécution qu’auparavant. Par là, dans l’œuvre de la création et de la formation des êtres, la Trinité des personnes est implicitement exprimée. Ainsi, dans la création se trouve la personne du Père, manifestée par le Dieu qui crée ; la personne du Fils, indiquée par le principe dans lequel il a créé, et la personne du Saint-Esprit, désignée par l’Esprit qui est porté sur les eaux (Tous les docteurs chrétiens et juifs cités dans la note précédente sont unanimes à l’égard de cette interprétation.). Dans la formation des êtres la personne du Père est dans Dieu qui parle, la personne du Fils dans le Verbe par lequel il s’exprime, et la personne du Saint-Esprit dans la complaisance avec laquelle Dieu a vu que ce qu’il avait fait était bien. A l’égard de l’œuvre du second jour, si on n’a pas dit : Dieu vit que c’était bien, c’est que l’œuvre de distinction des eaux commence alors, et qu’elle ne fut achevée qu’au troisième jour. Par conséquent, ce qui est dit du troisième jour se rapporte également au second. Ou bien on peut dire que la distinction qui s’est faite au second jour ne porte pas sur des choses qui frappent évidemment le peuple, et que pour cette raison l’Ecriture n’a pas employé cette forme approbative. Ou bien encore c’est parce que le firmament, qu’on prend en cet endroit pour l’air nébuleux, n’est pas au nombre des parties permanentes ou principales du monde. Moïse Maïmonide donne ces trois raisons (Perplex., liv. 4). — Il y en a qui donnent une raison mystique tirée des nombres, et qui disent que c’est parce que le nombre binaire s’éloigne de l’unité, et que pour ce motif l’œuvre du second jour n’a pas reçu la même approbation que les autres.

 

          Objection N°4. L’esprit de Dieu est Dieu. Or, il n’est pas dans la nature de Dieu d’être porté, ni d’occuper un lieu. C’est donc aussi à tort qu’on a dit que l’Esprit de Dieu était porté sur les eaux.

          Réponse à l’objection N°4 : Moïse Maïmonide entend par l’Esprit du Seigneur l’air ou le vent, comme Platon l’a compris, et il dit qu’on l’appelle l’Esprit du Seigneur parce que l’Ecriture a partout l’habitude d’attribuer à Dieu le souffle des vents. Mais, d’après les Pères, on entend par l’Esprit du Seigneur l’Esprit-Saint qui était, est-il dit, porté sur les eaux, c’est-à-dire sur la matière informe, d’après saint Augustin (Sup. Gen., liv. 1, chap 7), de peur que Dieu ne parût aimer ses œuvres parce qu’il avait nécessairement besoin d’elles. Car l’amour de nécessité ou de besoin est soumis aux choses auxquelles il s’attache. Il est dit qu’il était porté sur les eaux pour indiquer qu’il y avait déjà un commencement de vie. Car il n’était pas porté localement, matériellement sur les eaux ; mais cela signifie qu’il avait une puissance prédominante, comme l’observe saint Augustin (loc. cit.). D’après saint Basile (Hom. 4), il était porté sur les eaux, c’est-à-dire qu’il les couvait et les vivifiait comme une poule échauffe et vivifie ses œufs, et leur projetait, en les couvant, le principe actif de la vie (Saint Basile a emprunté, comme il le dit lui-même, cette magnifique comparaison à saint Ephron, qui était venu le voir pendant qu’il gouvernait son église de Césarée (Voyez mon Histoire de la littérature grecque, p. 282).). En effet, l’eau a reçu particulièrement une vertu vitale ; car il y a beaucoup d’animaux qui sont engendrés dans son sein, et les semences reproductives de tous les animaux sont humides. La vie spirituelle nous est également communiquée par l’eau du baptême. C’est pourquoi il est dit (Jean, 3, 5) : Si on ne renaît de l’eau et de l’Esprit-Saint, etc.

 

          Objection N°5. On ne fait pas ce qu’on a déjà fait. Après avoir dit : Dieu dit : Que le firmament soit fait, et le firmament fut fait, il ne fallait donc pas ajouter : Et Dieu fit le firmament. On en peut dire autant à l’égard des autres œuvres.

          Réponse à l’objection N°5 : D’après saint Augustin (Sup. Gen., liv. 1, chap. 8), par ces trois mots on désigne les trois manières d’être des choses. 1° L’existence des choses dans le Verbe est indiquée par le mot fiat ; 2° leur existence dans l’entendement des anges est exprimée par le mot factum est ; 3° leur existence dans l’ordre de la nature est marquée par le mot fecit. Comme le premier jour a été employé à la formation des anges, il n’a pas été nécessaire d’ajouter ce dernier mot. — D’après les autres Pères, on peut dire que ces paroles : Dieu dit : Que telle chose soit faite, indiquent un ordre de Dieu, et que celles-ci : La chose fut faite, montrent l’achèvement ou le complément de son œuvre. Mais il a été nécessaire de dire comment chaque chose a été faite, surtout parce qu’il y en a qui prétendent que toutes les choses visibles ont été faites par les anges, et c’est pour écarter cette erreur que l’écrivain sacré ajoute que c’est Dieu lui-même qui les a faites. C’est pourquoi, à l’occasion de chaque chose, après avoir dit : Ce fut fait, il ajoute que ce fut l’œuvre de Dieu lui-même, et il se sert à cet effet des mots : il fit, il distingua, il appela, et autres semblables.

 

          Objection N°6. Le soir et le matin ne divisent pas suffisamment le jour, puisqu’il y a dans le jour plusieurs parties. On ne s’est donc pas bien exprimé en disant que du soir et du matin fut fait le second jour ou le troisième, etc.

          Réponse à l’objection N°6 : Suivant saint Augustin (Sup. Gen., liv, 4, chap. 22 et 30), on entend par le soir et le matin la connaissance vespertinale et matutinale des anges dont nous avons parlé (quest. 58, art. 6 et 7). D’après saint Basile (Hom. 2), on a coutume de comprendre généralement tout le temps sous la dénomination du mot jour, parce qu’il en exprime la partie principale. Ainsi, Jacob dit : Les jours de mon pèlerinage, sans parler de la nuit. Or, le soir et le matin sont pris pour les termes du jour, dont le matin est le commencement et le soir la fin. Ou bien on peut dire encore que le soir est le commencement de la nuit, et le matin le commencement du jour. Il était convenable qu’en exposant la distinction première des êtres, on ne désignât que les commencements des temps. Il est d’abord parlé du soir, parce que, le jour ayant commencé par la lumière, le soir, qui est le terme de la lumière, s’est présenté avant le matin, qui est le terme des ténèbres et de la nuit. — On peut dire aussi avec saint Jean Chrysostome (Hom. 5 in Gen), que c’était pour indiquer que le jour ne se terminé pas naturellement le soir, mais le matin.

 

          Objection N°7. Aux nombres ordinaux second et troisième ne correspond pas le nombre cardinal un, mais le nombre premier. On aurait donc dû dire : Du soir et du matin fut fait le premier (primus) jour, et non un (unus) jour.

          Réponse à l’objection N°7 : Le premier jour de la création est désigné par le nombre cardinal un pour indiquer que l’espace de 24 heures forme un jour, et le nombre un détermine par conséquent la mesure naturelle de la journée ; ou bien on peut dire que l’écrivain sacré a voulu signifier par là que le jour était consommé quand le soleil était revenu absolument au même point ; ou bien encore on peut répondre que le nombre septenaire des jours de la création étant complet, on revient au premier jour, qui ne fait qu’un avec le huitième (Le temps, ajoute saint Basile, revient ainsi sur lui-même à la manière d’un cercle, pour nous indiquer l’analogie qu’il a avec l’éternité.). Ces trois raisons sont de saint Basile (Hexam., hom. 2).

 

          Conclusion L’Ecriture sainte se sert d’expressions convenables pour rendre l’œuvre des six jours.

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.