Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
1a = Prima Pars =
Première Partie
Question 86 :
Qu’est-ce que notre entendement connaît dans les choses matérielles ?
Nous
avons maintenant à examiner ce que notre entendement connaît dans les choses
matérielles. — A cet égard quatre questions se présentent : 1° Connaît-il les
choses particulières ? (Comment l’intellect, qui a pour objet l’être universel,
comprend-il ce qui est particulier et individuel ? Cette question a reçu des
philosophes une foule de solutions différentes. Après avoir vivement attaqué
Aristote, on en revient maintenant à son système.) — 2° Connait-il
les choses infinies ? (Cet article détermine les rapports intellectuels qu’il y
a entre nous et l’infini.) — 3° Connaît-il les choses contingentes ? (Ce qui
fait la difficulté de ces questions philosophiques, c’est l’inégalité de
rapport qu’il y a entre le sujet et l’objet de la connaissance. Ainsi quand il
s’agit des choses individuelles, l’intellect qui est le sujet de la
connaissance est universel, et son objet est particulier ; quand il s’agit de
l’infini, l’intellect est fini, limité, et son objet ne l’est pas ; quand il
s’agit des choses contingentes, l’intellect est immuable, nécessaire dans ses
principes, et son objet a des caractères tout opposés.) — 4° Connaît-il les
choses futures ? (Cette question a une grande importance théologique, parce
qu’il est nécessaire d’avoir à cet égard des notions bien exactes pour
apprécier sainement la nature et la force démonstrative des prophéties.)
Article
1 : Notre entendement connaît-il les choses particulières ?
Objection
N°1. Il semble que notre intellect connaisse les choses particulières. Car
quiconque connaît une chose composée en connaît les deux extrêmes. Or, notre
entendement connaît cette proposition composée, Socrate est un homme, puisque c’est lui qui la forme. Il connaît
donc particulièrement l’individu qui se nomme Socrate.
Objection N°2.
L’intellect pratique nous dirige dans nos actions. Or, les actions se
rapportent à ce qui est particulier, individuel. Donc l’intellect connaît les
choses particulières.
Réponse à
l’objection N°2 : Le choix d’une action particulière que l’on veut faire
est en quelque sorte la conclusion d’un syllogisme de l’intellect pratique,
comme dit Aristote (Eth.,
liv. 7, chap. 3). Or, d’une proposition universelle on ne peut pas directement
tirer une conséquence particulière, sans employer l’intermédiaire d’une
proposition particulière quelconque. Par conséquent la raison universelle de
l’intellect pratique n’agit elle-même que par l’intermédiaire d’une conception
particulière provenant de la partie sensitive, comme l’observe Aristote (De animâ., liv. 3, text. 58).
Objection N°3.
Notre intellect se comprend lui-même. Or, il est lui-même une chose
particulière, individuelle ; autrement il ne produirait pas d’actes, car il n’y
a que les individus qui agissent. Donc il connaît les choses particulières.
Réponse à
l’objection N°3 : Le particulier ne répugne pas à l’entendement comme
objet particulier, mais comme chose matérielle, parce que l’entendement ne
comprend que ce qui est immatériel. C’est pourquoi s’il y a une chose qui soit
tout à la fois particulière et spirituelle, comme l’intellect lui-même, rien ne
s’oppose à ce que nous en ayons l’intelligence.
Objection N°4. Une
puissance supérieure peut tout ce qui est possible à une puissance inférieure.
Or, les sens connaissent les objets en particulier. Donc à plus forte raison
l’intellect.
Réponse à
l’objection N°4 : Une puissance supérieure peut ce qui est possible à une
puissance inférieure, mais d’une manière plus éminente. Ainsi ce que les sens
connaissent matériellement et concrètement, l’intellect le connaît
immatériellement et abstractivement. La première de ces connaissances est la
connaissance directe des choses particulières, et la seconde est celle de
l’universel.
Mais c’est le
contraire. Aristote dit (Phys., liv. 1,
text. 40) que l’universel est connu par la raison et
le particulier par les sens.
Conclusion
Puisque l’intellect ne comprend qu’en faisant abstraction de la matière, il ne
peut percevoir directement les objets en particulier, il ne les connaît
qu’indirectement et par une sorte de réflexion.
Il faut
répondre que notre entendement ne peut connaître directement et primitivement
ce qu’il y a de particulier ou d’individuel dans les choses matérielles. La
raison en est que le principe de la particularité dans les choses matérielles,
c’est la matière individuelle. Or, comme nous l’avons dit (quest. 85, art. 1),
notre intellect comprend en abstrayant de cette matière individuelle l’espèce
intelligible. Le produit de cette abstraction ne pouvant être qu’une chose
universelle il s’ensuit que notre entendement ne connaît directement que ce qui
est universel. Mais il peut connaître les choses particulières indirectement et
par manière de réflexion. Car, comme nous l’avons vu (quest. 84, art. 7), après
que l’intellect a abstrait les espèces intelligibles, il ne peut avec elles
comprendre en acte qu’en recourant aux images sensibles (Ces images étant des
choses singulières, individuelles, il connaît ainsi indirectement les
individus.) dans lesquelles il comprend les espèces intelligibles elles-mêmes,
comme le dit Aristote (De animâ, liv. 3, text. 32).
Ainsi donc il connaît directement l’universel par l’espèce intelligible et il
connaît indirectement les choses particulières que les images sensibles
représentent. De cette manière il parvient à formuler cette proposition : Socrate est un homme.
La réponse à la
première objection est par là même évidente.
Article
2 : Notre entendement peut-il connaître ce qui est infini ?
Objection
N°1. Il semble que notre entendement puisse connaître ce qui est infini. Car
Dieu est au-dessus de tout ce qui est infini. Or, notre entendement peut le
connaître, comme nous l’avons dit (quest. 13, art. 1). Donc à plus forte raison
peut-il connaître tous les autres infinis.
Réponse à
l’objection N°1 : Comme nous l’avons observé (quest. 7, art. 1), on dit
que Dieu, est infini comme une forme qui n’est terminée par aucune matière.
Mais dans les choses matérielles l’infini est pris pour la privation de tout
terme formel. Et comme la forme est connue par elle-même tandis que la matière
sans la forme est inconnue, il en résulte que l’infini matériel est inconnu en
soi, tandis que l’infini formel qui est Dieu est connu par lui-même. S’il est
inconnu par rapport à nous, il faut en accuser l’imperfection de notre
entendement qui, dans cette vie, est naturellement apte à connaître les choses
matérielles. C’est ce qui fait que pour le présent nous ne pouvons connaître
Dieu que par des effets sensibles. Dans l’autre vie la gloire détruira cette
imperfection de notre intellect, et alors nous pourrons voir Dieu dans son
essence sans toutefois le comprendre.
Objection N°2.
Notre entendement est naturellement fait pour connaître les genres et les
espèces. Or, il y a des genres dont les espèces sont infinies, comme les
nombres, les proportions et les figures. Donc notre entendement peut connaître
ce qui est infini.
Réponse à
l’objection N°2 : Notre intellect est naturellement fait pour connaître
les espèces qu’il abstrait des images sensibles. C’est pourquoi il ne peut
connaître ni actuellement, ni habituellement ces espèces de nombres et de
figures que l’imagination n’a pas encore produites (L’intellect ne peut
connaître que les nombres et les figures produits par l’imagination, et parce
que l’imagination n’en peut produire une infinité, l’intellect ne peut
connaître une infinité d’espèces.), ou s’il les connaît ce n’est qu’en général,
d’après des principes universels, ce qui revient à les connaître en puissance
et confusément.
Objection N°3.
Si un corps n’en empêchait pas un autre d’être dans le même lieu que lui il n’y
aurait pas de raison pour qu’il n’y eût pas une infinité de corps dans un même
lieu. Or, une espèce intelligible n’en empêche pas une autre d’exister en même
temps qu’elle dans le même intellect ; car il nous arrive d’avoir en nous la
connaissance habituelle d’une foule de choses. Il ne répugne donc pas que notre
intellect possède habituellement (in habitu) une science infinie.
Réponse à
l’objection N°3 : Si deux corps étaient dans un seul et même lieu ou s’il
y en avait plusieurs, il ne faudrait pas qu’ils entrassent successivement dans
ce lieu et que par suite de ce mouvement successif ils fussent nécessairement
comptés. Mais les espèces intelligibles entrent successivement dans notre
intellect, puisque nous ne comprenons pas actuellement plusieurs choses en même
temps. Il faut donc qu’elles soient comptées, et par conséquent elles ne
peuvent être infinies.
Objection N°4.
L’intellect n’étant pas une vertu qui émane de la matière corporelle, comme
nous l’avons dit (quest. 79, art. 4, réponse N°1), semble être une puissance
infinie. Or, une vertu infinie peut s’étendre à l’infini. Donc notre entendement
peut connaître ce qui est infini.
Réponse à
l’objection N°4 : Notre intellect connaît l’infini dans le même sens que
sa vertu est infinie (C’est-à-dire en puissance.). Car sa vertu est infinie en
ce qu’elle n’est limitée aucunement par la matière corporelle, et il connaît
l’universel qui est séparé de la matière individuelle et qui par conséquent ne
se borne pas à quelques individus, mais qui en comprend au contraire une
multitude infinie.
Mais c’est le
contraire. Aristote a dit (Phys.,
liv. 1, text. 35 ; liv. 3, text.
65) : L’infini comme tel nous est inconnu.
Conclusion
L’entendement humain ne peut connaître ni actuellement, ni habituellement les
choses infinies, il ne les connaît qu’en puissance.
Il faut
répondre que la puissance étant toujours proportionnée à son objet, il faut que
l’intellect se rapporte à l’infini comme son objet propre qui est la quiddité
ou l’essence des choses matérielles s’y rapporte. Or, dans les êtres matériels
on ne trouve pas l’infini en acte, mais seulement l’infini en puissance (L’infini
en puissance, c’est ce que les philosophes actuels appellent l’infini
potentiel.) qui résulte de ce qu’une chose succède à une autre, comme le dit
Aristote (Phys., liv. 3, text. 56 et 57). C’est pourquoi dans notre entendement il y
a aussi l’infini en puissance qui consiste en ce qu’il peut toujours recevoir
quelque chose. Car jamais il ne comprend assez de choses pour qu’il ne puisse
pas en apprendre toujours de nouvelles. Mais il ne peut connaître l’infini ni
actuellement, ni habituellement. En effet, il ne peut le connaître
actuellement, car il ne peut connaître actuellement que ce qu’il connaît par
une seule et même espèce, et il n’y a pas d’espèce unique qui représente
l’infini parce qu’alors l’esprit embrasserait l’universalité des êtres et des
perfections. On ne peut le comprendre que comme une succession ininterrompue de
parties d’après la définition qu’en donne Aristote (Phys., liv. 3, text. 63). Car selon lui
l’infini est ce qui comprend toujours quelque chose au-delà de la pensée de
ceux qui veulent le saisir. On ne pourrait par conséquent le connaître
actuellement qu’autant qu’on aurait compté toutes ses parties, ce qui est
impossible. Pour la même raison nous ne pouvons le comprendre habituellement.
Car toutes nos connaissances habituelles sont le fruit de nos idées actuelles,
puisque c’est par l’intellect que la science nous vient, comme le dit Aristote (Eth., liv. 2,
chap. 1). Nous ne pourrions donc avoir une connaissance habituelle bien
distincte des infinis qu’autant que nous les aurions tous considérés, en les
comptant à mesure qu’ils se succéderaient dans notre esprit, ce qui est
impossible. Par conséquent notre intellect ne peut connaître les infinis ni
actuellement, ni habituellement ; mais il peut les connaître en puissance,
comme nous venons de le dire.
Article
3 : Notre entendement peut-il connaître les choses contingentes ?
Objection
N°1. Il semble que l’intellect ne puisse connaître les choses contingentes. Car
comme le dit Aristote (Eth.,
liv. 6, chap. 6) : L’intelligence, la sagesse et la science n’ont pas pour
objet ce qui est contingent, mais ce qui est nécessaire.
Objection N°2.
Aristote dit encore (Phys., liv. 4, text. 120) : Les choses qui tantôt existent et tantôt
n’existent pas ont le temps pour mesure. Or, l’intellect fait abstraction du
temps et de toutes les autres conditions de la matière. Le propre des choses
contingentes étant d’exister et de n’exister pas, il semble que l’intellect ne
les connaisse pas.
Mais c’est le
contraire. Toute science réside dans l’intellect. Or, il y a des sciences qui
traitent des choses contingentes, comme les sciences morales qui s’occupent des
actes humains qui sont soumis au libre arbitre ; comme aussi les sciences
naturelles, du moins pour la partie qui regarde les êtres engendrés et
corruptibles. Donc notre entendement peut connaître les choses contingentes.
Conclusion Les
choses contingentes sont connues directement comme telles par les sens et
indirectement par l’intellect, mais l’intellect connaît directement ce qu’il y
a en elles de nécessaire et d’universel.
Il faut
répondre que les choses contingentes peuvent être considérées sous un double
aspect : 1° comme choses contingentes ; 2° d’après ce qu’il y a en elles de
nécessaire. Car il n’y a rien de si contingent qu’il ne renferme en lui quelque
chose de nécessaire. Ainsi que Socrate coure, voilà un fait qui est contingent
en lui-même. Mais la course implique nécessairement le mouvement ; car il
est nécessaire que Socrate se meuve, s’il court. D’un autre côté tout ce qui
participe à la matière est contingent ; car on appelle contingent ce qui peut
être et n’être pas. Or, la puissance appartient à la matière, tandis que la
nécessité résulte de la nature de la forme, parce que tout ce qui est une
conséquence de la forme existe nécessairement. De plus la matière est le
principe de l’individualité, et la forme abstraite de la matière particulière
donne la raison universelle des choses. Comme nous avons dit (art. 1) que
l’intellect connaît par lui-même et directement les choses universelles, tandis
qu’il ne connaît qu’indirectement les choses particulières qui sont l’objet
propre des sens, nous devons donc conclure que les choses contingentes sont
connues, comme telles, directement par les sens et indirectement par l’intellect,
mais que l’intellect connaît leurs raisons universelles et nécessaires. Par
conséquent si on s’arrête aux raisons universelles des choses sensibles, toutes
les sciences ont pour objet le nécessaire, mais si on considère les choses
elles-mêmes, il y a des sciences dont l’objet est nécessaire et d’autres dont
l’objet est contingent.
La réponse aux
objections est par là même évidente.
Article
4 : Notre entendement connaît-il les choses futures ?
Objection
N°1. Il semble que notre intellect connaisse les choses futures. Car notre
intellect connaît par les espèces intelligibles qui font abstraction de
l’espace et du temps et qui se rapportent indifféremment à toutes les époques.
Or, il peut connaître les choses présentes. Donc il peut aussi connaître les choses
futures.
Réponse à
l’objection N°1 : Ce raisonnement s’appuie sur la connaissance qui résulte
des raisons universelles des causes d’après lesquelles on peut connaître les
choses futures suivant le rapport de l’effet à la cause.
Objection N°2.
L’homme quand il ne fait pas usage de ses sens peut connaître quelques choses
futures, comme on le voit dans ceux qui dorment et dans les frénétiques. Or,
moins l’homme fait usage de ses sens, et plus il se sert de son intellect. Donc
l’intellect peut autant qu’il est en lui connaître les choses futures.
Réponse à
l’objection N°2 : D’après saint Augustin (Conf., liv. 7, chap. 6) l’âme a
une certaine force de divination qui lui permet de connaître par sa nature les
choses à venir. C’est pourquoi quand elle se retire des sens corporels et
qu’elle rentre en quelque sorte en elle-même, elle participe à la connaissance
de l’avenir. Ce sentiment serait raisonnable, si nous admettions avec les
platoniciens que l’âme connaît les choses selon qu’elle participe aux idées ;
car alors l’âme connaîtrait par sa nature les causes universelles de tous les
effets, et il n’y aurait que le corps qui l’empêcherait de jouir de cette
connaissance. Par conséquent quand elle serait délivrée des sens, elle
connaîtrait l’avenir. Mais ce mode de connaître n’étant pas naturel à notre
entendement, puisque c’est plutôt des sens qu’il reçoit ses connaissances, il
n’est pas dans la nature de l’âme qu’elle connaisse l’avenir quand elle ne fait
pas usage des sens. On doit plutôt attribuer ces connaissances à l’impression
produite sur elle par des causes supérieures, soit spirituelles (Saint Thomas a
traité ex professo la question de la
divination dans la seconde section de la seconde partie de la Somme. Nous renvoyons à cet endroit nos
observations à ce sujet.), soit corporelles. Ainsi elles proviennent de causes
spirituelles quand Dieu, par le ministère des anges, éclaire l’entendement
humain et dispose les images sensibles qui sont en lui de manière à lui faire
connaître des choses futures. Il en est de même quand l’action du démon sur
l’imagination lui révèle des choses qu’il sait lui-même à l’avance, comme nous
l’avons dit (quest. 57, art. 3 et 4). L’âme est plus propre à recevoir
l’influence de ces causes spirituelles quand elle ne fait pas usage des sens,
parce qu’elle se rapproche par là même davantage des substances spirituelles et
qu’elle est plus libre de toute sollicitude extérieure. Il arrive aussi que ces
connaissances peuvent être attribuées à l’action de
causes supérieures corporelles. Car il est évident que les corps supérieurs
exercent de l’influence sur les corps inférieurs. Ainsi les forces sensitives
étant les actes des organes corporels, il s’ensuit que l’imagination est
affectée d’une certaine manière par l’impression des corps célestes. Et ces
corps étant cause d’une foule de choses à venir (Voyez plus loin ce que dit
saint Thomas sur l’influence des corps célestes (quest. 115).), ils produisent
dans l’imagination les signes de ces choses qu’ils doivent produire. On perçoit
mieux ces signes la nuit quand on dort que le jour quand on est éveillé, parce
que, comme le dit Aristote (De div. per som., chap. 2), dans la
journée ces mouvements se dissipent aisément, tandis que l’air est de nuit
moins agité que de jour. Les nuits étant plus calmes, ces mouvements font alors
impression sur le corps à cause du sommeil, parce que les petites sensations
intérieures se sentent mieux quand on dort que quand on est éveillé. Ce sont
précisément ces mouvements qui produisent ces images à l’aide desquelles on
prévoit l’avenir.
Objection N°3.
La connaissance intellectuelle de l’homme est supérieure à la connaissance des
animaux quelle qu’elle soit. Or, il y a des animaux qui connaissent certaines
choses à venir. Ainsi le cri fréquent des corneilles annonce qu’il pleuvra.
Donc à plus forte raison l’entendement humain peut-il connaître des choses
futures.
Réponse à
l’objection N°3 : Les animaux n’ont pas de faculté supérieure à
l’imagination qui en règle l’usage, comme les hommes ont la raison. C’est pourquoi
l’imagination des animaux suit totalement l’impression des corps célestes, et
c’est pour cela que d’après leurs mouvements on pourra connaître plus sûrement
certaines choses à l’avance, comme la pluie et les autres phénomènes de
l’atmosphère, que d’après les pressentiments de l’homme qui est mû par le
conseil de la raison. C’est ce qui fait dire à Aristote (loc. cit.) que les hommes les moins sensés peuvent être les plus
prévoyants. Car leur intelligence n’étant préoccupée d’aucun soin, et se
trouvant pour ainsi dire déserte et absolument vide, elle obéit aveuglément à
l’impulsion qu’elle reçoit.
Mais c’est le
contraire. Car il est écrit (Ecclésiaste,
8, 6) : Une des grandes afflictions de
l’homme, c’est qu’il ne sait pas le passé et que personne ne peut lui apprendre
l’avenir.
Conclusion Les
choses futures telles qu’elles arrivent dans le temps, notre entendement ne les
comprend que par la réflexion, puisque ce sont des choses particulières ; mais
si on les considère comme les raisons universelles de ce qui doit arriver,
l’intellect les connaît comme tout ce qui est universel.
Il faut répondre qu’on doit faire la même
distinction sur la connaissance des choses futures que sur la connaissance des
choses contingentes. Car les choses futures considérées telles qu’elles
arrivent dans le temps sont des choses particulières que l’entendement humain
ne connaît que par la réflexion, comme nous l’avons dit (art. 1). Mais les
raisons des choses futures peuvent être universelles, et être perçues à ce
titre par l’intellect et devenir ainsi l’objet de la science. Or, pour parler
en général de la connaissance des choses futures, il faut savoir qu’on peut les
connaître de deux manières : 1° en elles-mêmes, 2° dans leurs causes. Elles ne
peuvent être connues en elles-mêmes que par Dieu. Car les choses futures
faisant partie du cours général des événements, elles lui sont présentes,
puisque son éternel regard embrasse simultanément toute l’étendue des temps,
comme nous l’avons dit en traitant de la science de Dieu (quest. 14, art. 13).
Mais nous les pouvons connaître dans leurs causes. Quand elles en résultent
nécessairement, nous les connaissons d’une science certaine. C’est ainsi qu’un
astronome connaît à l’avance une éclipse qui doit avoir lieu. Mais si elles ne
sont renfermées dans leurs causes que pour en sortir probablement, nous ne
pouvons alors les connaître que par des conjectures plus ou moins probables
selon que les causes ont plus ou moins de propension à produire leurs effets.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de
l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email
figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les
retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la
propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation
catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale
catholique et des lois justes.