Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
1a = Prima Pars =
Première Partie
Question 90 : De
la création de l’âme du premier homme
Nous
avons ensuite à nous occuper de la création du premier homme. — A cet égard il
y a quatre choses à examiner : 1° la création de l’homme lui-même ; 2° la fin
de cette création ; 3° l’état et la condition dans lesquels le premier homme a
été créé ; 4° le lieu qu’il a primitivement occupé. — Touchant la création nous
considérerons : 1° la création de son âme ; 2° la création de son corps ; 3° la
production de la femme. — Sur la création de l’âme du premier homme quatre
questions se présentent : 1° L’âme humaine est-elle une chose qui a été faite
ou est-elle de la substance de Dieu même ? (Les gnostiques et les manichéens
ont soutenu l’erreur combattue dans cet article, en enseignant que l’âme
raisonnable était de la substance de Dieu, ou qu’elle en était la substance ou
la nature. Ces erreurs ont été condamnées par le premier concile de Tolède,
dont les décrets ont été confirmés par le pape saint Léon et par le concile de
Braga, qui se tint sous Honorius Ier.) —
2° En supposant que l’âme ait été faite, a-t-elle été créée ? (La création de
l’âme a été niée par une foule d’hérétiques. Les enthousiastes ont prétendu
qu’elle était faite de feu, les disciples de Lucifer et de Tertullien voulaient
que l’âme se propageât comme le corps, ceux de Séleucus
lui assignaient une origine toute terrestre, et les manichéens enseignaient
qu’Adam avait été créé non par Dieu, mais par la matière. Ces hérésies ont été
condamnées par Léon X au concile de Latran, et par tes autorités citées à
l’occasion de l’article précédent.) — 3° A-t-elle été faite par l’intermédiaire
des anges ? (Cet article est une réfutation des albigeois, qui disaient qu’Adam
n’a pas été créé par Dieu ; d’Averroës et d’Algazel,
qui enseignaient que notre âme procède de la dernière intelligence, à laquelle
ils attribuaient la fonction de communiquer les formes.) — 4° A-t-elle été
faite avant le corps ? (La préexistence des âmes soutenue par Origène et par
quelques hérétiques se trouve parfaitement réfutée dans saint Jérôme (Epist. ad Pammachium).)
Article
1 : L’âme a-t-elle été faite, ou est-elle de la substance de Dieu ?
Objection
N°1. Il semble que l’âme n’ait pas été faite, mais qu’elle soit de la substance
de Dieu. Car il est dit dans la Genèse (2, 7) : Que Dieu forma l’homme du limon de la terre, qu’il répandit sur son
visage un souffle de vie et que l’homme devint vivant et animé. Or, celui
qui souffle émet de lui quelque chose. Donc l’âme par laquelle l’homme vit est
quelque chose de la substance de Dieu.
Réponse à
l’objection N°1 : Il ne faut pas entendre le mot souffler matériellement. Ainsi pour Dieu souffler c’est la même
chose que produire un esprit. Quoique d’ailleurs l’homme en soufflant n’émette
pas quelque chose de sa substance, mais quelque chose d’une nature étrangère.
Objection N°2.
Comme nous l’avons dit (quest. 75, art. 5), l’âme est une forme simple. Or, la
forme est un acte. Par conséquent l’âme est un acte pur, ce qui ne convient
qu’à Dieu. Donc elle est de la substance de Dieu.
Réponse à
l’objection N°2 : L’âme, quoiqu’elle soit une forme simple par son
essence, n’est cependant pas son être, elle n’existe que par participation,
comme nous l’avons dit (quest. 75, art. 5, réponse N°4). C’est pourquoi elle
n’est pas un acte pur comme Dieu.
Objection N°3.
Toutes les choses qui existent et qui ne diffèrent d’aucune manière sont
identiques. Or, Dieu et l’âme existent et ne diffèrent d’aucune manière, parce
qu’il faudrait, s’il y avait entre eux quelques différences, qu’ils fussent
composés. Donc Dieu et l’âme humaine sont une même chose.
Réponse à
l’objection N°3 : Un être qui diffère d’un autre à proprement parler en
diffère sous un rapport. Par conséquent là où il y a différence il y a
convenance. C’est pour ce motif qu’il faut que les êtres qui diffèrent soient
composés d’une certaine manière, puisque s’ils diffèrent sous un rapport, ils
sont semblables sous un autre. D’après cela, quoique tout ce qui diffère soit
divers, il ne s’ensuit cependant pas que tout ce qui est divers soit différent
(Tout roule ici sur le sens que l’on attache à ces deux mots. La distinction de
saint Thomas, quoique un peu subtile, se comprend nettement d’après les
exemples qu’il cite lui-même.), comme le dit Aristote (Met., liv. 10, text. 24 et 25). Car les
choses simples sont diverses entre elles, et cependant elles ne diffèrent pas
d’après des différences fondées sur les éléments qui les composent. Ainsi
l’homme et l’âne diffèrent en ce que l’un est raisonnable et l’autre ne l’est
pas, mais on ne peut pas étendre au-delà les différences qui les séparent.
Mais c’est le
contraire. Car saint Augustin dans son livre sur l’Origine de l’âme (liv. 3,
chap. 15) examine des opinions qu’il dit infiniment perverses et directement
opposées à la foi catholique. Parmi ces opinions il place en premier lieu celle
des philosophes qui ont dit que Dieu n’avait pas fait l’âme de rien, mais de
lui-même.
Conclusion L’âme
humaine étant parfois intelligente en puissance tandis que Dieu est un acte
pur, il est impossible qu’elle soit de la substance de Dieu, mais il faut
qu’elle ait été faite.
Il faut
répondre qu’on ne peut dire que l’âme soit de la substance de Dieu. Car l’âme
humaine étant, comme nous l’avons dit (quest. 79, art. 4, et quest. 84, art. 6
et 7), intelligente en puissance, empruntant aux choses extérieures ses
connaissances, et ayant des facultés diverses ; toutes ces choses sont
absolument étrangères à la nature de Dieu qui est un acte pur, qui ne reçoit
rien d’un autre être et qui n’a en soi aucune diversité, comme nous l’avons
prouvé (quest. 3, art. 7 ; quest. 10, art. 1, et quest. 12, art. 1). Ce
qui paraît avoir donné lieu à cette erreur, ce sont deux hypothèses faites par
les philosophes anciens (Saint Thomas fait ici allusion à Thalès et aux
premiers philosophes grecs.). Car les premiers qui ont commencé à considérer la
nature des êtres, ne pouvant s’élever au-dessus de l’imagination, n’ont pas
supposé qu’il y eût autre chose que des corps. C’est pourquoi ils disaient que
Dieu est un corps qu’ils regardaient comme le principe des autres corps. Et
parce qu’ils croyaient l’âme de la nature de ce corps qu’ils regardaient comme
le principe de tous les autres, ils en concluaient qu’elle était de la
substance de Dieu. D’après cette hypothèse les manichéens, qui admettaient que
Dieu était une lumière corporelle, considéraient l’âme attachée au corps comme
une partie de cette lumière (Le manichéisme se rattachait, comme on le voit, à
la philosophie ancienne.). On arriva ensuite à reconnaître qu’il y avait des
substances incorporelles qui n’étaient pas à la vérité séparées du corps, mais
qui en étaient la forme (Cette seconde opinion fut une sorte de transition.
Elle se rapprochait plus de la vérité quo la première, mais elle était
néanmoins inexacte.). Ainsi Varron a dit que Dieu est l’âme qui gouverne le
monde par son regard, son mouvement et sa raison, comme le rapporte saint
Augustin (De civ. Dei, liv. 7, chap.
6). En conséquence il y en a qui ont fait de l’âme humaine une partie de cette
âme totale, comme l’homme est une partie du monde entier, parce qu’ils
n’étaient encore parvenus à distinguer les degrés des substances spirituelles
que d’après la hiérarchie qui règne entre les corps. Or, ces deux systèmes sont
inadmissibles, comme nous l’avons prouvé (quest. 3, art. 1 et 8). D’où il est
manifestement faux que l’âme est de la substance de Dieu.
Article
2 : L’âme a-t-elle été créée ?
Objection
N°1. Il semble que l’âme n’ait pas été créée. Car ce qui a en soi quelque chose
de matériel est fait avec de la matière. Or, l’âme a en soi quelque chose de
matériel puisqu’elle n’est pas un acte pur. Donc l’âme a été faite de matière
et par conséquent elle n’a pas été créée.
Réponse à
l’objection N°1 : Dans l’âme l’essence simple est en quelque sorte ce
qu’il y a de matériel. Ce qu’elle a de formel c’est l’être qu’elle reçoit par
participation (Ainsi elle est à l’égard de cet être ce que la matière est à
l’égard de la forme.). Cet être existe nécessairement simultanément avec
l’essence de l’âme parce que l’être suit par lui-même la forme. La même raison
pourrait encore être donnée si l’on admettait avec certains philosophes que
l’âme est composée d’une certaine matière spirituelle ; parce que cette
matière, comme celle des corps célestes, ne serait pas en puissance à l’égard
d’une autre forme, puisque autrement l’âme serait corruptible. Par conséquent
l’âme ne peut d’aucune manière être formée d’une matière préexistante.
Objection N°2.
Tout acte qui vient d’une matière quelconque semble sortir de la puissance de
la matière. Car la matière étant en puissance par rapport à l’acte, tout acte
préexiste en puissance dans la matière. Or, l’âme est l’acte de la matière
corporelle, comme on le voit d’après sa définition. Donc elle émane de la
puissance de la matière.
Réponse à
l’objection N°2 : Faire sortir un acte de la puissance de la matière n’est
rien autre chose que de faire exister en acte ce qui existait auparavant en
puissance. Or, l’âme raisonnable n’ayant pas un être dépendant de la matière
corporelle, mais un être subsistant qui surpasse la capacité de la matière
corporelle elle-même, comme nous l’avons dit (quest. 75, art. 1), il en résulte
qu’elle n’émane pas de la puissance de la matière.
Objection N°3.
L’âme est une forme. Si donc l’âme a été créée, pour la même raison on peut en
dire autant de toutes les autres formes. Par conséquent il en résultera
qu’aucune forme n’est produite par voie de génération, ce qui répugne.
Réponse à
l’objection N°3 : Il n’y a pas de parité entre l’âme et les autres formes,
comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.).
Mais c’est le
contraire. Car il est dit dans la Genèse (chap. 1) : Dieu créa l’homme à son image. Or, l’homme ressemble à Dieu par son
âme. Donc son âme a été créée.
Conclusion Puisqu’il
convient à l’âme raisonnable d’être faite comme il lui convient d’exister
substantiellement et que d’ailleurs elle n’a pu être faite d’une matière
préexistante, il est nécessaire qu’elle ait été créée.
Il faut
répondre que l’âme raisonnable n’a pu recevoir l’être que par la création, ce
qui n’est pas vrai des autres formes. La raison en est qu’être fait étant la
voie qui mène à l’être, une chose est faite comme il lui convient d’exister (Etre
fait est un privilège qui convient à la chose comme l’être lui convient. Ainsi
un être véritable peut être véritablement fait ou créé ; un être accidentel ou
un être impropre ne peut être fait qu’improprement. Ce principe est toute la
base de cette argumentation.). Or, on ne donne à proprement parler le nom
d’être qu’à ce qui a l’être comme subsistant en soi. Ainsi il n’y a que les
substances proprement dites qui soient véritablement appelées des êtres.
L’accident n’a pas d’être, il détermine seulement les qualités d’une chose, et
ce n’est que sous ce point de vue qu’on lui donne le nom d’être. On dit par
exemple que la blancheur est un être parce qu’elle est ce qui rend un objet
blanc. C’est pourquoi Aristote dit (Met.,
liv. 7, text. 2 et 3) que l’accident appartient
plutôt à l’être qu’il n’est un être. Il en est de même de toutes les autres
formes qui ne sont pas subsistantes. C’est pourquoi
aucune forme non subsistante ne peut être faite, à proprement parler ; mais on
dit qu’elles sont faites parce que leurs composés deviennent subsistants. Mais,
l’âme raisonnable est une forme subsistante, comme nous l’avons vu (quest. 75,
art. 2). On peut donc dire d’elle qu’elle est un être et qu’elle est faite. Et
puisqu’elle ne peut être faite ni d’une matière corporelle préexistante, parce
qu’alors elle serait matérielle, ni d’une matière spirituelle, parce qu’en ce
cas les substances spirituelles se transformeraient les unes dans les autres,
il est nécessaire de dire qu’elle a été créée.
Article
3 : L’âme raisonnable a-t-elle été produite par Dieu immédiatement ?
Objection
N°1. Il semble que l’âme raisonnable n’ait pas été produite par Dieu
immédiatement, mais qu’elle l’ait été par l’intermédiaire des anges. Car il y a
un ordre plus parfait dans les choses spirituelles que dans les choses corporelles.
Or, les corps inférieurs sont produits par les corps supérieurs, comme ledit
saint Denis (De div. nom., chap. 4). Donc les esprits
inférieurs qui sont les âmes raisonnables sont produits par les esprits
supérieurs qui sont les anges.
Objection N°2.
La fin des choses répond au commencement. Car Dieu est le principe et la fin
des choses. Donc la manière dont les êtres ont été produits dès le commencement
répond à la manière dont ils doivent être ramenés à leur fin. Or, d’après saint
Denis (De eccles. hier., chap. 5) les êtres inférieurs
sont ramenés à leur fin par les êtres supérieurs. Donc ils ont été aussi
produits par eux, et par conséquent les âmes ont les anges pour auteurs.
Objection N°3.
L’être parfait est celui qui peut produire son semblable, comme le dit Aristote
(Met., liv. 5, text.
21). Or, les substances spirituelles sont beaucoup plus parfaites que les
substances corporelles. Donc puisque les corps produisent des êtres qui leur
ressemblent quant à l’espèce, à plus forte raison les anges peuvent-ils
produire quelque être au-dessous d’eux qui soit de leur espèce, comme l’âme
raisonnable.
Mais c’est le
contraire. Car il est dit dans la Genèse que Dieu lui-même souffla sur la face de l’homme l’esprit de vie (2,
8).
Conclusion Puisque
l’âme raisonnable ne peut être produite par la transformation d’une matière
quelconque et qu’elle ne peut être que l’effet d’une création, comme il n’y a
que Dieu qui puisse créer, il est nécessaire que ce soit lui qui la produise
immédiatement.
Il faut
répondre qu’il y a des philosophes qui ont pensé que les anges agissant par la
puissance de Dieu produisaient les âmes raisonnables (Tous les philosophes qui
ont soutenu le système des émanations sont tombés dans cette même erreur, et en
particulier Philon (De opif. mundi). Mais saint
Basile, saint Ambroise, saint Augustin, Théodoret,
combattent formellement cette opinion.). Mais ce sentiment est absolument
inadmissible, il est d’ailleurs contraire à la foi. Car nous avons prouvé (art.
préc.) que l’âme raisonnable ne peut être produite
que par une création. Or, il n’y a que Dieu qui puisse créer, parce qu’il n’y a
que l’agent premier qui puisse agir sans supposer rien de préexistant à son
action. Car un agent secondaire présuppose toujours quelque chose qui provient
de l’agent premier, comme nous l’avons dit (quest. 65, art. 3). De plus l’agent
dont l’action présuppose quelque chose de préexistant agit en transformant
l’objet sur lequel son action s’exerce. C’est pourquoi tous les autres agents
ne produisent que des transformations ; il n’y a que Dieu qui crée. Et
comme l’âme raisonnable n’est pas produite par la transformation d’une matière
quelconque, il s’ensuit qu’elle est nécessairement produite par Dieu
immédiatement (Les philosophes du dernier siècle n’ont pas craint de soutenir
l’existence de peuples aborigènes, et de considérer ainsi le genre humain comme
une des productions de la terre. Comment cette merveille s’est-elle opérée,
c’est ce qu’aucun d’eux n’a pu expliquer.).
Par là on a
évidemment la solution de toutes les objections. Car si les corps produisent
leurs semblables ou des êtres inférieurs et que les êtres supérieurs ramènent à
leur fin les inférieurs, tout cela résulte des transformations qui ont lieu
successivement.
Article
4 : L’âme humaine a-t-elle été produite avant le corps ?
Objection
N°1. Il semble que l’âme humaine ait été produite avant le corps. Car l’œuvre
de création précède l’œuvre de distinction et d’ornement, comme nous l’avons vu
(quest. 66 et 70). Or, l’âme a été réellement une œuvre de création, tandis que
le corps n’a été fait que pour l’ornement. Donc l’âme de l’homme a été produite
avant le corps.
Réponse à
l’objection N°1 : Si la nature de l’âme était complète dans son espèce, de
telle sorte qu’elle fût créée absolument pour elle-même, ce raisonnement
prouverait qu’elle a dû exister par elle-même au commencement. Mais comme elle
est naturellement la forme du corps, elle n’a pas dû être créée à part, mais
elle a dû être créée dans le corps lui-même.
Objection N°2.
L’âme raisonnable ressemble plutôt aux anges qu’aux animaux. Or, les anges ont
été créés avant les corps ; ils ont existé immédiatement dès le commencement
avec la matière corporelle. Le corps de l’homme n’a été formé au contraire
qu’au sixième jour quand les animaux eux-mêmes ont été produits. Donc l’âme de
l’homme a été créée avant le corps.
Réponse à
l’objection N°2 : Il faut faire la même réponse. Car si l’âme était par
elle-même complète dans son espèce, elle se rapprocherait davantage des anges.
Mais parce qu’elle est la forme du corps, elle appartient comme principe formel
au genre des animaux.
Objection N°3.
La fin est proportionnée au commencement. Or, l’âme subsiste finalement après
le corps. Donc elle a été créée au commencement avant lui.
Réponse à
l’objection N°3 : Il arrive que l’âme subsiste après le corps parce que le
corps meurt. Ce défaut n’a pas dû exister au commencement de la création de
l’âme.
Mais c’est le
contraire. L’acte propre à une puissance se produit en elle. L’âme étant l’acte
propre du corps, il s’ensuit qu’elle a été produite en lui.
Conclusion Dieu
ayant primitivement établi chaque chose dans l’état de perfection que
comportait sa nature, et l’âme qui est une partie de la nature humaine n’ayant
d’ailleurs sa perfection naturelle qu’autant qu’elle est unie au corps, il faut
dire qu’elle n’a pas été produite avant le corps.
Il faut répondre qu’Origène a supposé que
non seulement l’âme du premier homme, mais encore celles de tous les hommes
avaient été créées avant les corps en même temps que les anges. Ce qui l’a
porté à avancer cette opinion c’est qu’il croyait que toutes les créatures
spirituelles, les âmes aussi bien que les anges, étaient égales selon la
condition de leur nature, et qu’elles ne différaient que par leurs mérites.
D’après cette différence il s’expliquait pourquoi les unes sont attachées à des
corps comme l’âme humaine (L’âme humaine n’anime le corps, d’après ce
sentiment, que par punition. Son état présent est pour elle une dégradation
dont la vertu seule peut la racheter.), d’autres aux corps célestes, et
d’autres enfin restent dans la simplicité de leur nature à des degrés divers.
Nous avons parlé de cette opinion (quest. 47, art. 2) : nous ne nous en
occuperons donc pas ici. — Saint Augustin dit (Sup. Gen., liv. 7, chap. 24, 25 et 27)
que l’âme du premier homme a été créée avant le corps en même temps que les
anges. Mais il en donne une autre raison qu’Origène. Car il suppose que le
corps de l’homme n’a pas été produit en acte parmi les œuvres des six jours ;
il n’a été produit que virtuellement ; ce qu’on ne peut pas dire de l’âme,
parce qu’elle n’a pas été faite d’une matière corporelle ou spirituelle
préexistante, et qu’elle n’a pu être produite par aucune vertu créée. C’est
pourquoi il lui semble que l’âme elle-même a été créée en même temps que les
anges dans les six jours où tout a été fait, et qu’ensuite sa volonté propre
l’a portée à régir le corps. Mais l’illustre docteur n’est pas affirmatif, car
il dit (Sup. Gen.,
liv. 7, chap. 29) : « Si l’Ecriture et la raison ne s’y opposent, qu’on croie
que l’homme a été fait le sixième jour, de telle sorte que le principe qui
devait produire son corps se trouvait dans les éléments du monde, bien que son
âme eût été préalablement déjà créée. » On pourrait soutenir ce sentiment dans
l’opinion de ceux qui admettent que l’âme est par elle-même parfaite dans sa
nature et son espèce, et qu’elle n’est pas unie au corps comme sa forme, mais
seulement pour le gouverner. Mais si l’on pense que l’âme est unie au corps
comme sa forme (Le pape Clément V au concile de Vienne a décidé que l’âme était
la forme du corps, c’est-à-dire ce qui constitue l’homme dans son espèce.), et
qu’elle fait naturellement partie de l’homme, cette opinion de saint Augustin
est tout à fait inadmissible. Car il est évident que Dieu a primitivement
établi les choses dans l’état de perfection naturelle exigé par leur espèce.
Or, l’âme, par là même qu’elle est une partie de la nature humaine, n’est
naturellement parfaite qu’autant qu’elle est unie au corps. Il n’aurait donc
pas été convenable qu’elle fût créée sans lui. — En soutenant l’opinion de
saint Augustin sur l’œuvre des six jours on peut donc dire que l’âme humaine a
préalablement existé selon la ressemblance générique qu’elle a avec les anges,
parce qu’elle est spirituelle comme eux, mais qu’elle a été créée en même temps
que le corps. D’après les autres Pères, l’âme aussi bien que le corps du
premier homme ont été produits parmi les œuvres des six jours de la création.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de
l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email
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retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la
propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation
catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale
catholique et des lois justes.