Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
1a = Prima Pars =
Première Partie
Question 93 : De
la fin ou du terme de la création de l’homme
Nous
avons ensuite à examiner la fin ou le terme de la création de l’homme,
c’est-à-dire en quel sens on dit que l’homme a été fait à l’image et à la
ressemblance de Dieu. — A cet égard neuf questions se présentent : 1° L’image
de Dieu est-elle dans l’homme ? (Le texte de l’Ecriture étant formel, tous les
auteurs ont reconnu que l’homme avait été fait à l’image de Dieu ; mais ils
sont très divisés quand il s’agit de déterminer en quoi consiste cette image.
Les uns la bornent à la ressemblance du corps, c’est l’erreur des
anthropomorphites, d’autres veulent que Dieu ait fait l’homme semblable au
Verbe qui devait s’incarner, et c’est l’opinion de Tertullien ; mais ce
sentiment doit être rejeté. D’autres la placent dans la connaissance, dans le
libre arbitre ; quelques-uns dans la vertu et l’Esprit-Saint.
Le P. Petau expose ces différentes opinions (De opere sex dierum, liv. 2, chap.
2.).) — 2° Existe-t-elle dans les créatures déraisonnables ? (Les manichéens
élevaient les créatures déraisonnables à la même dignité que l’homme, et
soutenaient qu’elles étaient capables de raison et d’intelligence.) — 3° L’image
de Dieu est-elle plus vive dans l’ange que dans l’homme ? (Tous les Pères ne
sont pas sur ce point du même avis : Théodoret
(quest. 20 in Gen.),
Macaire (Hom. 15), saint Méthode, prétendent que les
anges n’ont pas été faits à l’image de Dieu. Saint Chrysostome et saint Grégoire
sont du sentiment de saint Thomas, mais saint Jean Damascène, tout en admettant
que l’ange a été l’ait à l’image, de Dieu, enseigne que cette image est plus
vive dans l’homme. Le texte sacré ne disant rien à cet égard, les opinions sont
libres.) — 4° L’image de Dieu est-elle dans tous les hommes ? (Dans une foule
d’endroits do l’Ecriture et des Pères, la ressemblance de l’homme avec Dieu
s’entend de sa vertu ou de la communication de l’Esprit-Saint.
Saint Pau1 exhorte souvent les fidèles à se rendre semblables à Dieu, à
reproduire en eux son image par la sainteté de leur vie. Cet article a donc
pour but de distinguer cette image qui est l’effet de la régénération, de
l’image première, qui est le fait de la création.) — 5° L’image de Dieu qui est
dans l’homme représente-t-elle son essence, ou toutes les personnes divines, ou
une seule de ces personnes ? (Tous les Pères ont reconnu l’image de la Trinité
dans l’homme. On peut lire spécialement saint Ambroise (De dign. hom., chap. 11), saint
Augustin (De Trin., liv. 9, chap. 1
et suiv., liv. 12), et Théodoret (quest. 20 in Gen.).)
— 6° L’image de Dieu qui est dans l’homme existe-t-elle dans ses puissances,
ses habitudes ou ses actes ? (Par le mot d’intelligence (mens), saint Thomas comprend l’entendement et la volonté. Cet
article est une réfutation de tous ceux qui n’admettaient dans l’homme qu’une
image corporelle de Dieu, soit qu’ils aient cru, avec les anthropomorphites,
que Dieu a lui-même un corps, soit qu’ils aient pensé, avec Tertullien, que
l’homme était seulement l’image du Verbe qui devait s’incarner.) — 7°
Existe-t-elle par rapport à tous les objets ? (On peut remarquer la gradation
qu’il y a entre toutes les questions que se fait saint Thomas, et comme il
arrive logiquement à approfondir son sujet.) — 8° L’image de Dieu n’existe-t-elle
dans l’homme que par rapport à l’esprit ? (Cet article admirable nous découvre
le but de la création de l’homme. Car si l’homme a été créé à l’image de Dieu,
et que cette image consiste dans la connaissance et l’amour de son auteur, il
s’ensuit que Dieu l’a fait, selon l’expression si juste et si profonde du
catéchisme, pour le connaître et pour l’aimer.) — 9° Y a-t-il une différence
entre le mot image et le mot ressemblance ? (La plupart des Pères ont établi
une différence entre l’image et la ressemblance. D’après saint Irénée, l’image
consiste dans la nature ; la ressemblance est l’effet surnaturel des dons de l’Esprit-Saint (Ir., liv. 5, chap. 10. Clément d’Alexandrie (Strom. 2) dit que
l’homme reçoit l’image de Dieu en naissant, et qu’il aura sa ressemblance dans
la consommation de la gloire, Saint Ambroise place l’image dans la nature et la
ressemblance dans la vertu ; saint Grégoire de Nysse,
saint Jean Damascène, saint Chrysostome, saint Isidore de Péluse, rapportent
l’image à l’essence et la ressemblance aux qualités accidentelles, comme la
sainteté, la sagesse, etc.)
Article
1 : L’image de Dieu est-elle dans l’homme ?
Objection
N°1. Il semble que l’image de Dieu ne soit pas dans l’homme. Car il est dit
dans Isaïe (40, 18) : A qui avez-vous
assimilé Dieu, ou par quelle image le représentez-vous ?
Réponse à
l’objection N°1 : Le prophète parle des images corporelles fabriquées de
main d’homme, et c’est pourquoi il dit : Sur
quelle image le représenterez-vous ? Mais Dieu a imprimé lui-même dans
l’homme son image spirituelle.
Objection N°2.
C’est le propre du Fils unique de Dieu d’être son image. Car l’Apôtre dit de
lui (Col., 1, 15) qu’il est l’image du Dieu invisible, le
premier-né de toutes les créatures. L’image de Dieu n’existe donc pas dans
l’homme.
Réponse à
l’objection N°2 : Le premier-né de toutes les créatures est l’image
parfaite de Dieu et il reproduit parfaitement celui dont il est l’image. C’est
pourquoi on dit qu’il est l’image et
non qu’il est à l’image de Dieu. Mais
l’homme est appelé l’image de Dieu à cause de la ressemblance qu’il a avec lui,
et on dit qu’il est à son image parce que cette ressemblance est imparfaite. Et
comme la ressemblance parfaite de Dieu ne peut exister qu’à la condition de l’identité
de nature, son image est dans son Fils unique comme l’image du roi est dans le
fils qui a la même nature que lui. Mais elle ne peut-être dans l’homme dont la
nature est toute différente que comme l’image du roi est sur une monnaie
d’argent, selon l’expression de saint Augustin (Lib. de dec. chordis,
chap. 8).
Objection N°3.
Saint Hilaire dit (in lib. de Syn.)
que l’image est une représentation qui ne diffère en rien de l’objet auquel
elle se rapporte. Et ailleurs il ajoute que l’image est la ressemblance
parfaite d’une chose qu’on veut égaler à une autre. Or, il n’y a rien qui
représente également Dieu et l’homme, et il ne peut pas y avoir d’égalité de
l’homme à Dieu. Donc l’image de Dieu ne peut exister dans l’homme.
Réponse à
l’objection N°3 : Ce qui est un étant un être indivis, la ressemblance
s’entend de l’apparence ou de l’espèce dans le même sens que de l’unité. Ainsi
on dit qu’une chose est une non seulement en nombre, en espèce ou en genre,
mais encore d’après une certaine analogie ou proportion. Telle est l’unité ou
la convenance qui existe de la créature à Dieu. Quant à l’égalité de l’image et
de son objet elle n’appartient qu’à l’essence de l’image parfaite (Qui est le
Verbe de Dieu, la seconde personne de la sainte Trinité.).
Mais c’est le
contraire. Car il est dit dans la Genèse (1, 26) : Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance.
Conclusion
Puisque dans l’homme on trouve une ressemblance de Dieu analogue à celle qui
existe entre une copie et son original, et que d’ailleurs il n’y a pas
d’égalité entre eux, il s’ensuit que l’image de Dieu existe dans l’homme, mais
imparfaitement.
Il faut
répondre que, comme le dit saint Augustin (Quæst., liv. 83, quest. 74), là où il y a image il y a toujours
ressemblance, mais que là où il y a ressemblance il n’y a pas toujours image.
D’où il résulte que la ressemblance est de l’essence de l’image, et que l’image
ajoute quelque chose à la nature de la ressemblance, par exemple, qu’elle est
l’expression d’un autre objet. Car le nom d’image lui vient de ce qu’elle est
produite à l’imitation d’une autre chose. Ainsi un œuf a
beau ressembler à un autre œuf et l’égaler, par là même qu’il n’est pas son
expression, on ne dit pas qu’il est son image. L’égalité n’est pas toutefois de
l’essence de l’image, parce que, comme le dit saint Augustin (loc. cit.), là où il y a image il n’y a
pas toujours égalité, comme on le voit par l’image d’une personne qui se
reflète dans un miroir. L’égalité est cependant de l’essence de l’image
parfaite ; car, pour qu’une image soit parfaite, il faut qu’il ne lui
manque rien de ce qui existe dans l’objet qu’elle exprime. Or, il est évident
que dans l’homme on trouve une certaine ressemblance de Dieu analogue à celle
qui existe entre une copie et son original. Cette ressemblance ne se fonde pas
toutefois sur l’égalité ; car il y a l’infini de distance entre la copie et le
type qu’elle reproduit. C’est pourquoi on dit que l’image de Dieu qui est dans
l’homme n’est pas parfaite, mais imparfaite. C’est ce que l’Ecriture exprime
quand elle dit que l’homme a été fait à l’image de Dieu. Car la préposition à indique un certain rapprochement qui
lui-même suppose qu’il s’agit de choses éloignées.
Article
2 : L’image de Dieu existe-t-elle dans les créatures déraisonnables ?
Objection N°1.
Il semble que l’image de Dieu existe dans les créatures déraisonnables. Car
saint Denis dit (De div. nom., chap. 2) :
Tous les effets portent l’image contingente de leurs causes. Or, Dieu est la
cause non seulement des créatures raisonnables, mais encore de celles qui sont
déraisonnables. Donc son image existe également dans ces dernières.
Réponse à
l’objection N°1 : Tout ce qui est imparfait est une participation de ce
qui est parfait. C’est pourquoi les êtres qui n’ont pas tout ce qu’il faut pour
être à l’image de Dieu, ont cependant avec lui une ressemblance proportionnée à
la manière dont ils participent à ce qui constitue son image. C’est pourquoi
saint Denis dit que les effets portent les images contingentes de leurs causes, ce qui signifie qu’ils en sont les
images autant que leur nature le leur permet (quantum contingit),
mais non absolument.
Objection N°2.
Plus une ressemblance exprime avec perfection une chose, et plus elle approche
de la nature même de l’image. Or, saint Denis dit (De div. nom.,
chap. 4) que le soleil par ses rayons a la plus grande ressemblance avec la
bonté divine. Donc il est à l’image de Dieu.
Réponse à
l’objection N°2 : Saint Denis assimile les rayons solaires à la bonté
divine par rapport aux effets qu’ils produisent, mais non pour la dignité de
nature que l’essence de l’image exige.
Objection N°3. Plus
une chose est parfaite en bonté et plus elle ressemble à Dieu. Or, l’univers
entier est plus parfait en bonté que l’homme, parce que, quoique toutes les
choses qui le composent soient bonnes, leur ensemble est encore meilleur,
d’après la Genèse elle-même (chap. 1). Donc il n’y a pas que l’homme, mais
l’univers entier est aussi fait à l’image de Dieu.
Réponse à
l’objection N°3 : L’univers est plus parfait en bonté que la créature
intelligente, sous le rapport de l’extension et de la diffusion (Extensivè et diffusivè.).
Mais en intensité et collectivement (Intensivè et collectivè.) la ressemblance de la Divinité est plus
parfaite dans la créature raisonnable qui est capable du souverain bien. — On
peut dire encore que la partie ne se considère pas par opposition au tout, mais
par opposition à une autre partie. Ainsi quand on dit que la nature
intellectuelle seule est à l’image de Dieu on ne nie pas pour cela que
l’univers ne soit par l’une de ses parties à l’image de Dieu lui-même, mais on
refuse seulement à ses autres parties ce caractère.
Objection N°4. Boëce dit (De Consol.,
liv. 3, metr. 9) en parlant de Dieu qu’il porte le
monde dans son esprit, et qu’il l’a formé d’après son image. Donc le monde
entier a été fait à l’image de Dieu et il n’y a pas que la créature raisonnable
qui ait ce privilège.
Réponse à
l’objection N°4 : Boëce considère l’image sous
le rapport de la ressemblance par laquelle un objet d’art imite l’idée
artistique qui est dans l’esprit de l’ouvrier qui le produit. Dans ce sens
toute créature est l’image du type qui existe dans l’entendement divin. Mais ce
n’est pas de cette manière que nous comprenons ici l’image. Nous la considérons
selon la ressemblance naturelle d’après laquelle toutes les créatures en tant
qu’êtres ressemblent au premier être, en tant qu’êtres vivants à la première
vie, et en tant qu’êtres intelligents à la souveraine sagesse.
Mais c’est le
contraire. Car saint Augustin dit (Sup. Gen. ad litt., liv. 6, chap.
12) : Ce qui fait la supériorité de l’homme c’est que Dieu l’a fait à son
image, et qu’à ce titre il lui a donné une intelligence qui le place au-dessus
de tous les animaux. Les êtres qui n’ont pas d’intelligence n’ont donc pas été
faits à l’image de Dieu.
Conclusion
Puisqu’il n’y a que les créatures intelligentes qui ressemblent à Dieu pour
l’intelligence et la sagesse, elles sont les seules à proprement parler qui
soient à son image.
Il faut
répondre que toute ressemblance, même quand elle serait l’expression d’un
objet, n’a pas pour cela le caractère de l’image. Car quand la ressemblance ne
repose que sur le genre ou sur un accident commun quelconque, on ne doit pas
dire pour cela qu’une chose est à l’image d’une autre. Ainsi on ne pourrait pas
dire que le ver qui sort de l’homme est son image parce qu’il lui ressemble
quant au genre (C’est un animal comme lui.). On ne peut pas dire non plus que
si un objet est blanc comme un autre et qu’il lui ressemble sous ce rapport il
soit pour cela à son image, parce que le blanc est un accident commun à
plusieurs espèces. Pour qu’il y ait image il faut qu’il y ait ressemblance sous
le rapport de l’espèce, comme l’image du roi est dans son fils ; ou bien il
faut au moins que la ressemblance repose sur un accident propre à l’espèce et
principalement sur la figure. C’est ainsi qu’on dit que l’image de l’homme est
dans une statue. Voilà ce qui fait dire à saint Hilaire que pour l’image il ne
faut pas qu’il y ait différence d’espèce. Or, il est évident que la
ressemblance d’espèce se prend de la dernière différence. Ainsi les créatures
ressemblent à Dieu : 1° de la manière la plus générale en tant qu’êtres ; 2°
comme êtres vivants ; 3° comme êtres sages et intelligents. Ces derniers ont
tant de ressemblance avec Dieu, que d’après saint Augustin (Quæst., liv. 83, quest. 51), il
n’y a aucune créature qui s’en rapproche davantage. Il est donc évident que les
créatures intelligentes sont, à proprement parler, à l’image de Dieu.
Article
3 : L’image de Dieu est-elle plus parfaite dans l’ange que dans l’homme ?
Objection
N°1. Il semble que dans l’ange l’image de Dieu ne soit pas plus parfaite que
dans l’homme, Car saint Augustin dit (De verb. Apost., serm. 27, chap. 2, et De
verb. Dom., serm. 63.
chap. 6), que Dieu n’a fait aucune autre créature que l’homme à son image. Il
n’est donc pas vrai que l’ange soit plutôt que l’homme à l’image de Dieu.
Réponse à
l’objection N°1 : Saint Augustin dit que les créatures inférieures qui
manquent d’intelligence ne sont pas à l’image de Dieu, mais il ne dit pas la
même chose des anges.
Objection N°2.
D’après saint Augustin (Quaest.,
liv. 83, quest. 51) l’homme est à l’image de Dieu, de telle sorte qu’il a été
formé par Dieu immédiatement, et que par conséquent il n’y a pas d’être qui lui
soit plus uni. Or, les créatures sont appelées images de Dieu en raison de leur
union avec lui. Donc l’ange n’est pas plus à l’image de Dieu que l’homme.
Réponse à
l’objection N°2 : Comme on dit que le feu est le plus subtil des corps
dans son espèce bien qu’il y ait des feux plus ou moins subtils que d’autres,
de même on dit qu’il n’y a rien de plus intimement uni à Dieu que l’âme humaine
parce qu’elle est du genre des créatures intellectuelles, et que comme
l’illustre docteur l’avait dit (loc. cit.)
précédemment, les êtres qui ont la sagesse et l’intelligence ressemblent tant à
Dieu qu’il n’y a pas de créatures qui approchent de lui davantage. Ces paroles
de saint Augustin ne signifient donc pas que les anges ne sont pas à l’image de
Dieu plus que l’homme.
Objection N°3.
On dit qu’une créature est à l’image de Dieu parce qu’elle a une nature
intellectuelle. Or, la nature intellectuelle n’est susceptible ni de plus ni de
moins, car elle n’est pas du genre de l’accident, mais du genre de la
substance. Donc l’ange n’est pas plus à l’image de Dieu que l’homme.
Réponse à
l’objection N°3 : Quand on dit que la substance n’est susceptible ni de
plus ni de moins, on n’entend pas par là qu’une espèce de substance n’est pas
plus parfaite qu’une autre, mais que le même individu ne participe pas à son
espèce tantôt plus, tantôt moins ; cela ne signifie pas non plus que des
individus divers ne participent pas inégalement à l’espèce de substance à
laquelle ils appartiennent.
Mais c’est le
contraire. Car saint Grégoire dit (Hom. in Ev. 34)
qu’on appelle l’ange le sceau de la ressemblance, parce que la ressemblance de
l’image de Dieu est plus profondément empreinte en lui que dans les autres
créatures.
Conclusion
Puisque la nature intellectuelle qui est la raison première et fondamentale sur
laquelle repose l’essence de l’image divine est plus parfaite dans l’ange, il
faut qu’il soit absolument à l’image de Dieu plutôt que l’homme lui-même.
Il faut
répondre que nous pouvons parler de l’image de Dieu de deux manières : 1° Nous
pouvons la considérer par rapport à la nature intellectuelle qui est le
fondement de son essence. En ce sens l’image de Dieu est plus vive dans les
anges que dans l’homme parce que leur nature intellectuelle est plus parfaite
que la sienne, comme nous l’avons prouvé (quest. 62, art. 6, et quest. 75. art.
7, réponse N°3). 2° On peut considérer l’image de Dieu dans l’homme sous un
rapport secondaire, c’est-à-dire sous le rapport de ce qui en fait
l’accessoire. Ainsi on trouve dans l’homme une certaine imitation de Dieu. Par
exemple, l’homme naît de l’homme, Dieu de Dieu (Saint Ambroise développe
admirablement cette pensée dans son livre De
dignit. Condit. human., chap. 11) ; l’âme est tout entière dans tout son corps et
dans chacune de ses parties, comme Dieu est tout entier dans l’univers et dans
chaque partie de l’univers. Par rapport à toutes ces analogies l’image de Dieu
existe dans l’homme plutôt que dans l’ange. Mais ces rapprochements accidentels
n’ont de valeur qu’en raison de l’existence préalable de la première
ressemblance qui a pour fondement la nature intellectuelle. C’est pourquoi sous
ce rapport l’ange étant plus que l’homme à l’image de Dieu, on doit reconnaître
que cette image est absolument plus vive dans l’ange que dans l’homme, et
qu’elle ne brille davantage dans l’homme que sous ce rapport accidentel.
Article
4 : L’image de Dieu existe-t-elle dans tous les hommes ?
Objection
N°1. Il semble que l’image de Dieu n’existe pas dans tous les hommes. Car saint
Paul dit (1 Cor., 11, 7) que l’homme est l’image de Dieu, tandis que la
femme est l’image de l’homme. Donc quoique la femme soit un individu de
l’espèce humaine, tous les individus de cette espèce ne sont pas à l’image de
Dieu.
Réponse à
l’objection N°1 : On trouve également dans l’homme et la femme l’image de
Dieu relativement à ce qui en constitue principalement l’essence, c’est-à-dire
par rapport à la nature intellectuelle. C’est pourquoi la Genèse, après avoir
dit que Dieu créa l’homme à son image,
ajoute immédiatement qu’il les créa mâle
et femelle. Elle emploie le mot les
au pluriel afin qu’on ne croie pas, dit saint Augustin (Sup. Gen., liv. 3, chap. 22), que les
deux sexes ont été primitivement unis dans un seul et même individu. Mais par
rapport aux applications secondaires l’image de Dieu est dans l’homme telle
qu’elle n’est pas dans la femme. Ainsi l’homme est le principe de la femme et
sa fin, comme Dieu est le principe et la fin de toute créature. Aussi après que
l’Apôtre a dit que l’homme est l’image et la gloire de Dieu, tandis que la
femme est la gloire de l’homme, il en donne la raison en ajoutant : que l’homme ne vient pas de la femme, mais
la femme de l’homme, et que l’homme n’a pas été créé à cause de la femme, mais
la femme à cause de l’homme.
Objection N°2.
Saint Paul dit encore (Rom., 8, 29)
que Dieu a prédestiné ceux qu’il a su à
l’avance devoir être conformes à l’image de son Fils. Or, tous les hommes
ne sont pas prédestinés. Donc ils ne sont pas tous conformes à l’image de Dieu.
Objection N°3. La
ressemblance est de l’essence de l’image, comme nous l’avons dit (art. 1). Or,
le péché efface cette ressemblance de l’homme avec Dieu, et par conséquent il
détruit dans l’homme l’image divine.
Mais c’est le
contraire. Il est écrit (Ps. 38, 7) :
En vérité l’homme passe et n’est qu’une
image.
Conclusion
L’image de la création est dans tous les hommes, mais celle de la régénération,
n’est que dans les justes, comme la ressemblance de la gloire n’est que dans
les bienheureux.
Il faut
répondre que l’homme étant à l’image de Dieu d’après sa nature intellectuelle,
il s’ensuit que cette image est en lui d’autant plus parfaite que sa nature
intellectuelle imite mieux la Divinité. Or, elle imite Dieu spécialement par
rapport à la connaissance et à l’amour que Dieu a de lui-même. De là trois
aspects sous lesquels on peut considérer l’image de Dieu dans l’homme. 1° On
peut la considérer suivant l’aptitude naturelle qu’a l’homme de comprendre et
d’aimer Dieu. Cette aptitude consiste dans la nature même de l’esprit qui est
commun à tous les hommes. 2° On peut la considérer suivant que l’homme connaît
et aime Dieu actuellement et habituellement, mais cependant d’une manière
imparfaite. Cette image résulte de la conformité que la grâce établit entre
nous et Dieu. 3° Enfin on peut la considérer suivant que l’homme connaît et
aime Dieu en acte parfaitement, et alors l’image s’entend de la ressemblance
que nous aurons avec lui dans la gloire. C’est ce qui fait que la glose à
propos de ces paroles du Psalmiste (4, 7) : La
lumière de votre visage est empreinte sur nous, Seigneur, distingue trois
sortes d’images, celle de la création, celle de la régénération, et celle de la
ressemblance (La ressemblance est la perfection de l’image, comme le dit saint
Thomas (art. 9).). La première de ces images existe dans tous les hommes, la
seconde ne se trouve que dans les justes, et la troisième n’est que dans les
bienheureux.
Il faut
répondre à la seconde et à la troisième objection que ces raisonnements
s’appuient sur l’image qui est l’effet de la grâce et de la gloire.
Article
5 : L’image de Dieu qui est dans l’homme représente-t-elle les trois personnes
de la sainte Trinité ?
Objection
N°1. Il semble que l’image de Dieu qui est dans l’homme ne représente pas la
Trinité des personnes divines. Car saint Augustin dit (Lib. de fid. ad Pet., chap. 1) : La
divinité de la sainte Trinité et son image conformément à laquelle l’homme a
été fait est essentiellement une. Et saint Hilaire dit aussi (De Trin., liv. 5) que l’homme est fait à
l’image commune de la sainte Trinité. Donc l’image de Dieu qui est dans l’homme
représente son essence et non la Trinité des personnes.
Objection N°2.
Il est écrit (lib. de Eccles. dogm., chap. 88) que l’image de Dieu est dans l’homme
en raison de l’éternité (Cette opinion se trouve encore dans Fauste de Riez (De
lib. arb., liv. 1, chap. 1), dans saint Prudence
(in Apoth.),
dans saint Maxime, etc.). Saint Jean Damascène dit aussi (De fid. orth.,
liv. 2, chap. 12) que l’homme est à l’image de Dieu, c’est-à-dire qu’il est
intelligent, qu’il a son libre arbitre et qu’il est maitre
de ses actions (Saint Chrysostome (Hom. 10 in Gen. et Hom. 2 in Hebr.), saint Isidore de Péluse (liv. 3, chap. 95),
Philopon (De opif.
mundi, liv. 6, chap. 6), font aussi consister
dans ce dernier caractère l’image de Dieu qui est dans l’homme.). Saint
Grégoire de Nysse prétend (De hom. opif., chap. 10) que quand l’Ecriture dit que l’homme a été fait
à l’image de Dieu, c’est comme si elle disait que la nature humaine a participé
à toute espèce de bien. Car la Divinité est la plénitude de la bonté. Or,
aucune de ces choses ne se rapporte à la distinction des personnes, mais plutôt
à l’unité de l’essence divine. Donc l’image de Dieu qui est dans l’homme ne
représente pas la Trinité des personnes, mais plutôt l’unité de l’essence.
Objection N°3.
L’image mène à la connaissance de l’objet qu’elle représente. Si l’image de
Dieu qui est dans l’homme représentait la Trinité des personnes, comme l’homme
peut naturellement se connaître lui-même il s’ensuivrait que l’homme pourrait
naturellement connaître la Trinité des personnes divines, ce qui est faux,
comme nous l’avons prouvé (quest. 32, art. 1).
Réponse à
l’objection N°3 : Cette raison aurait de la valeur si l’image de Dieu qui
est dans l’homme le représentait parfaitement. Mais, comme le dit saint
Augustin (De Trin., liv. 15, chap.
6), il y a une très grande différence entre la trinité qui est en nous et la
Trinité divine. C’est pourquoi, dit-il, nous voyons la trinité qui est en nous
plutôt que nous n’y croyons, tandis que nous croyons la Trinité qui est en Dieu
plutôt que nous ne la voyons.
Objection N°4.
Les trois personnes divines ne peuvent être appelées des images, il n’y a qu’au
Fils que ce nom convienne. Car saint Augustin dit (De Trin., liv. 6, chap. 2) que le Fils seul est l’image du Père. Si
l’image de Dieu qui est dans l’homme se rapportait à la personne, l’image de la
Trinité entière n’existerait donc pas en lui, il n’y aurait que l’image du
Fils.
Réponse à
l’objection N°4 : Il y a des auteurs qui ont dit que l’homme n’était que
l’image du Fils (Cette opinion parait avoir été celle de saint Irénée (liv. 5 , chap. 16) et de quelques autres Pères. Philon dit aussi
la même chose en plusieurs endroits, mais spécialement dans son livre De opificio mundi.). Mais saint Augustin attaque ce sentiment (De Trin., liv. 12, chap. 5 et 6). 1°
Parce que par suite de l’égalité d’essence le Fils étant semblable au Père, il
faut que l’homme, s’il a été fait à l’image du Fils, soit aussi à l’image du
Père. 2° Parce que si l’homme avait été fait uniquement à l’image du Fils, le
Père ne dirait pas : Faisons l’homme à notre
image et à notre ressemblance, mais
bien à ton image et à ta ressemblance. Ainsi donc quand il est
dit : Dieu le fit à son image, on ne
doit pas entendre que le Père le fit exclusivement à l’image de son Fils, comme
quelques-uns l’ont soutenu. Mais il faut entendre que les trois personnes
divines qui sont Dieu ont fait l’homme à leur image, c’est-à-dire de manière
qu’il représentât la Trinité entière. — On peut entendre de deux manières ces
paroles que Dieu fit l’homme à son image.
1° La préposition à (ad) désigne le terme de l’ouvrage de
telle sorte que le sens de la proposition est celui-ci : faisons l’homme de
manière que notre image soit en lui. 2° La préposition à (ad) peut désigner la
cause exemplaire ; comme quand on dit : ce livre a été fait selon lui (ad illum (Dans
ce sens ad a pour synonymes juxtà, ex.)). Alors l’image de Dieu est
l’essence divine elle-même, qui par abus reçoit le nom d’image parce que
l’image est prise pour le type ou l’original lui-même, ou bien quelques auteurs
donnent à l’essence divine le nom d’image en ce sens que c’est d’après elle
qu’une personne divine imite l’autre (Puisque, en effet, l’essence est la même
pour toutes les trois.).
Mais c’est le
contraire. Car saint Augustin dit (De
Trin., liv. 4) : Par là même que l’homme a été fait à l’image de Dieu, il
faut qu’il représente la pluralité des personnes divines.
Conclusion Puisqu’en
Dieu il n’y a qu’une seule nature en trois personnes, il faut dire que l’image
de Dieu qui est dans l’homme représente l’unité de nature et la Trinité des
personnes divines.
Il faut
répondre que, comme nous l’avons dit (quest. 40, art. 2), la distinction des
personnes n’a lieu que selon l’origine ou plutôt selon les relations d’origine.
Or, tous les êtres n’ont pas le même mode d’origine, mais chacun d’eux procède
d’une manière conforme à sa nature. Ainsi les êtres animés sont produits
autrement que les êtres inanimés et les animaux autrement que les plantes. D’où
il résulte évidemment que les personnes divines se distinguent comme il
convient à leur nature. Par conséquent on peut être à l’image de Dieu par
l’imitation de sa nature sans que cela empêche d’être à son image par la représentation
des trois personnes, ou plutôt l’une de ces choses n’est que la conséquence de
l’autre. Il faut donc dire que l’image de Dieu est dans l’homme, et quant à la
nature divine et quant à la Trinité des personnes, puisqu’en Dieu la nature est
une en trois personnes.
La réponse aux
deux premières objections est par là même évidente.
Article
6 : L’image de Dieu n’existe-t-elle que dans l’intelligence de l’homme ?
Objection
N°1. Il semble que l’image de Dieu n’existe pas que dans l’intelligence de l’homme.
Car saint Paul dit (1 Cor., 11, 7)
que l’homme est l’image de Dieu. Or,
l’homme n’a pas que l’intelligence. Donc l’image de Dieu n’existe pas
exclusivement dans son esprit.
Réponse à
l’objection N°1 : Si l’on dit que l’homme est l’image de Dieu, ce n’est
pas parce qu’il est essentiellement son image, mais c’est parce que l’image de
Dieu est imprimée dans son intelligence. Ainsi on dit qu’un denier est l’image
de César parce qu’il porte son effigie. Il n’est donc pas nécessaire que toutes
les parties de l’homme reproduisent l’image de Dieu.
Objection N°2.
La Genèse dit (1, 27) : Dieu a créé l’homme
à son image, et il les a créés mâle et femelle. Or, la distinction des
sexes se rapporte au corps. Donc l’image de Dieu qui existe dans l’homme se
rapporte au corps aussi bien qu’à l’intelligence.
Réponse à
l’objection N°2 : Comme le dit saint Augustin (De Trin., liv. 12, chap. 5), il y en a qui ont supposé que l’image
de la Trinité existait dans l’homme, mais non dans un seul individu. Ainsi, ils
disaient que l’époux représentait la personne du Père, les enfants la personne
du fils parce qu’ils naissent du père, et la femme la troisième personne ou l’Esprit-Saint, parce qu’elle procède de l’homme sans être ni
son fils ni sa fille. Mais au premier coup d’œil on voit que cette explication
est absurde : 1° Parce qu’il s’ensuivrait que l’Esprit-Saint
serait le principe du Fils comme la femme est le principe de l’enfant qui naît
de l’homme. 2° Parce qu’un homme ne serait à l’image que d’une seule personne
de la sainte Trinité. 3° Parce que d’après ce sentiment l’Ecriture n’aurait dû
parler de l’image de Dieu dans l’homme qu’après qu’il eût été père de famille
(On peut admettre cette application que M. de Bonald a souvent faite, mais plus
ingénieusement à la société domestique, car elle n’a rien de condamnable quand
on ne la propose pas comme exclusive de la première.). Il faut donc dire que si
l’Ecriture après avoir dit que Dieu créa
l’homme à son image, ajoute qu’il les
créa mâle et femelle, ce n’est pas pour que l’on considère l’image de Dieu
comme résultant de la distinction des sexes, mais c’est parce que cette image
est commune à l’un et à l’autre, puisqu’elle a pour base l’intelligence qui
existe dans la femme aussi bien que dans l’homme. C’est pourquoi saint Paul
après avoir dit (Col., chap. 3) que l’homme se renouvelle selon l’image de celui
qui l’a créé, ajoute qu’il n’y a plus
alors sous ce rapport de distinction entre l’homme et la femme.
Objection N°3.
L’image paraît surtout se rapporter à la figure. Or, la figure appartient au
corps. Donc l’image de Dieu qui existe dans l’homme se rapporte au corps et non
à l’esprit exclusivement.
Réponse à
l’objection N°3 : Quoique l’image de Dieu dans l’homme ne s’entende pas de
la figure de son corps, cependant comme le corps de l’homme est le seul parmi
les animaux qui ne soit pas courbé vers la terre, mais qu’il est disposé de la
manière la plus convenable pour contempler le ciel, on peut croire avec raison
qu’il a été fait à la ressemblance et à l’image de Dieu plutôt que celle des
autres animaux. C’est la remarque de saint Augustin (Quaest., liv. 83, quest. 51).
Toutefois il ne faut pas supposer que l’image de Dieu soit dans le corps humain
; il faut seulement reconnaître qu’il y a dans sa figure un vestige qui rappelle
cette image que Dieu a imprimée dans son âme (Saint Jean Damascène (Eclog.), saint
Grégoire de Nysse (De hom. opificio,
chap. 8) et plusieurs autres Pères montrent comment le corps de l’homme est à
l’image de Dieu.).
Objection N°4.
Saint Augustin (Sup. Gen.
ad litt., liv. 12, chap. 7 et 24) distingue en
nous trois sortes de vision : la vision corporelle, la vision spirituelle ou
imaginaire, et la vision intellectuelle. Si donc à l’égard de la vision
intellectuelle, qui appartient à l’esprit, il y a en nous une Trinité d’après
laquelle nous sommes à l’image de Dieu, pour la même raison il doit aussi y
avoir trinité en nous à l’égard des autres visions.
Réponse à
l’objection N°4 : Dans la vision corporelle aussi bien que dans la vision
imaginaire on trouve une sorte de trinité, comme le dit saint Augustin (De Trin., liv. 1, chap. 6, et liv. 11,
chap. 2). En effet dans la vision corporelle il y a : 1° l’espèce ou
l’apparence du corps extérieur ; 2° la vision elle-même qui résulte de
l’impression que la ressemblance de l’espèce produit sur la vue ; 3° l’action
de la volonté qui applique la vue à l’objet et qui la fixe sur lui. De même
dans la vision imaginaire il y a 1° l’espèce que la mémoire a conservée ; 2° la
vision imaginaire elle-même qui provient de ce que l’activité de l’esprit ou la
force même de f imagination est excitée par l’espèce ; 3° l’action de la
volonté qui les unit l’une à l’autre. Mais cette double trinité n’a pas ce qui
constitue l’image divine. Car l’espèce du corps extérieur est en dehors de la
nature de l’âme. L’espèce qui est dans la mémoire n’est pas à la vérité en
dehors de l’âme, mais elle n’est qu’adventice. Par conséquent dans l’une et
l’autre il n’y a rien qui représente l’unité de nature et la coéternité des personnes divines. Ensuite la vision
corporelle ne procède pas seulement de l’espèce du corps extérieur, elle
procède encore simultanément du sens de celui qui voit l’objet. De même la
vision imaginaire ne procède pas seulement de l’espèce qui est conservée dans
la mémoire, mais elle procède encore de l’imagination. Par conséquent ces deux
visions ne représentent pas convenablement la procession du Fils qui ne vient
que du Père. Enfin l’action de la volonté qui unit la vision à l’espèce ne
procède de l’une et de l’autre ni dans la vision corporelle, ni dans la vision
spirituelle. Elle représente donc mal la procession de l’Esprit-Saint
qui est produit par le Père et le Fils.
Mais c’est le
contraire. Saint Paul dit (Eph., 4, 23) : Renouvelez
l’esprit de votre intelligence et revêtez l’homme nouveau. Ce qui nous donne à comprendre que notre régénération qui a lieu en
revêtant l’homme nouveau, appartient à l’intelligence. Il dit ailleurs (Col., 3, 10) : Revêtez l’homme nouveau qui se renouvelle par la connaissance de Dieu
selon l’image de celui qui l’a créé. Ainsi donc il attribue à l’image de
Dieu la régénération qui s’opère lorsqu’on revêt l’homme nouveau. Par
conséquent, l’homme n’est à l’image de Dieu que par son intelligence.
Conclusion
L’homme ne ressemble à Dieu au point d’être son image que par son intelligence
; toutes ses autres parties ne portent que des vestiges ou des traits de la
Divinité à l’imitation des autres créatures.
Il faut
répondre que dans toutes les créatures il y a une ressemblance quelconque de
Dieu, mais qu’il n’y a que la créature raisonnable qui soit à son image, comme
nous l’avons dit (art. 1 et 2) ; les autres créatures ne représentent que des
vestiges de ses perfections. Or, ce que la créature raisonnable a de plus que
les autres créatures, c’est l’intellect ou l’esprit. D’où il résulte que l’image
de Dieu n’existe dans la créature raisonnable que par rapport à l’esprit. Dans
les autres parties, si la créature raisonnable en possède, il y a des vestiges
des perfections divines, comme dans les autres êtres qui leur ressemblent. On
peut facilement se rendre compte de cette distinction si l’on observe la
différence de mode qu’il y a entre le vestige et l’image. En effet l’image
représente l’objet selon la ressemblance propre à son espèce, comme nous l’avons
dit (art. 2) ; le vestige le représente comme l’effet représente la cause,
ce qui ne va pas jusqu’à la ressemblance de l’espèce. Ainsi on donne le nom de
vestige aux traces que les animaux laissent sur leur passage ; on dit aussi que
la cendre est un vestige du feu, que la désolation d’un pays est un vestige de
l’armée ennemie qui l’a traversé. On peut donc établir entre les créatures
raisonnables et les autres cette différence, c’est que les créatures
raisonnables représentent l’image delà nature divine et qu’en même temps elles
reproduisent l’image de la Trinité incréée. Car pour ce qui regarde la nature
divine, les créatures raisonnables paraissent représenter en quelque sorte son espèce
dans le sens qu’elles représentent Dieu non seulement dans son être et sa vie,
mais encore dans son intelligence, comme nous l’avons dit (art. 2). Les autres
créatures ne sont pas intelligentes, mais on remarque en elles un vestige de
l’entendement qui les produit si on observe leur disposition (On voit briller
en elles l’intelligence de celui qui les a créées et ordonnées.). Comme dans la
Trinité incréée le Verbe se distingue du Père qui le profère et l’amour se
distingue de l’un et de l’autre, ainsi que nous l’avons dit (quest. 45, art.
7), de même dans la créature raisonnable on distingue la procession du verbe
qui vient de l’intellect et la procession de l’amour qui résulte de la volonté
(Voyez le magnifique développement de ces pensées dans Bossuet, Discours sur l’histoire universelle et
ses Elévations sur les mystères.).
C’est pourquoi on peut dire que l’image de la Trinité incréée est en elle et
qu’elle en représente, pour ainsi dire, l’espèce. Dans les autres créatures on
ne trouve ni le principe du verbe, ni le verbe, ni l’amour. Il n’y a en elles
qu’un vestige qui les rappelle à la manière dont l’effet reproduit sa cause.
Car par là même que la créature a une substance modifiée et finie, c’est une
preuve qu’elle vient d’un principe quelconque. Son espèce démontre la parole ou
le verbe de celui qui l’a produite, comme la forme d’une maison démontre la
pensée de l’architecte qui l’a construite. D’un autre côté l’ordre qui la régit
et qui la rapporte au bien témoigne de l’amour de son auteur, comme l’usage de l’édifice
indique la volonté de l’ouvrier qui l’a bâti. Ainsi donc il n’y a que
l’intelligence de l’homme qui reproduise la ressemblance de Dieu sous forme
d’image, toutes les autres parties de lui-même ne la reproduisent que par
manière de vestige.
Article
7 : L’âme reproduit-elle l’image de Dieu dans ses actes ?
Objection N°1. Il
semble que l’âme ne reproduise pas l’image de Dieu dans ses actes. Car saint
Augustin dit (De civ. Dei, liv. 11,
chap. 26) que l’homme a été fait à l’image de Dieu, en ce sens que nous avons
l’être, que nous savons que nous l’avons et que nous aimons notre être et notre
connaissance. Or, l’être ne signifie pas l’acte. Donc l’image de Dieu n’existe
pas dans l’âme par rapport à ses actes.
Réponse à
l’objection N°1 : L’être qui est en nous à l’image de Dieu est l’être
propre qui constitue notre supériorité à l’égard des autres animaux. Cet être
n’existe en nous qu’autant que nous avons l’intelligence. C’est pourquoi la
Trinité dont parle saint Augustin en cet endroit est la même que celle qu’il
fait consister dans l’intelligence, la connaissance et l’amour.
Objection N°2.
D’après saint Augustin (De Trin.,
liv. 9, chap. 4), l’image de Dieu dans l’âme se manifeste par trois choses,
l’intelligence, la connaissance et l’amour. Or, l’intelligence ne désigne pas
l’acte, mais plutôt la puissance ou même l’essence de l’âme intellectuelle.
Donc l’image de Dieu ne se rapporte pas aux actes de l’âme.
Réponse à
l’objection N°2 : Saint Augustin a d’abord dit que la Trinité consistait
dans l’esprit (mens). Mais l’esprit,
quoiqu’il se connaisse tout entier sous un rapport s’ignore cependant sous un
autre, par exemple en tant qu’il est distinct des autres êtres, et il a besoin
de s’étudier sous cet aspect, comme le prouve saint Augustin lui-même (De Trin., liv. 10, chap. 3 et 4) ; c’est
pourquoi la connaissance n’étant pas absolument adéquate à l’esprit, l’illustre
docteur a reconnu dans l’âme trois choses qui sont propres à l’esprit : la
mémoire, l’intelligence et la volonté. Tout le monde sachant qu’il possède ces
trois choses, il a plutôt fait consister en elles l’image de la Trinité, et il
a préféré cette seconde détermination à la première qui avait quelque chose de
défectueux.
Objection N°3.
Saint Augustin dit encore (De Trin.,
liv. 10, chap. 11) que l’image de la Trinité est dans l’âme parce qu’il y a en
elle, mémoire, intelligence et volonté. Or, ces trois choses sont des
puissances naturelles de l’âme, comme le dit le Maître des sentences (liv. 3,
dist. 1). Donc l’image se considère d’après les puissances et non d’après les
actes.
Réponse à
l’objection N°3 : Comme le prouve saint Augustin (De Trin., liv. 14, chap. 7), on dit que nous comprenons et que nous
voulons ou que nous aimons certaines choses, quand nous y pensons et quand nous
n’y pensons pas. Les choses auxquelles nous ne pensons pas ne se rapportent
qu’à la mémoire qui n’est rien autre chose en elle-même que ce qui retient
habituellement ce que l’on connaît et ce que l’on aime. Mais parce que le
verbe, selon l’observation du même docteur, ne peut exister sans la
connaissance, et que nous pensons tout ce que nous disons même par ce verbe
intérieur qui n’appartient à la langue d’aucune nation, l’image de Dieu
consiste surtout en ces trois choses ; la mémoire, l’intelligence et la
volonté. Et j’appelle, ajoute-t-il, intelligence ce qui fait que nous
comprenons quand nous pensons, et la volonté, l’amour ou la dilection qui unit
l’âme à ce qu’elle produit. D’où il résulte évidemment que saint Augustin place
plutôt l’image de la Trinité dans l’intelligence et la volonté actuelle que
dans la mémoire où elles résident habituellement quoique sous ce rapport
l’image de la Trinité existe dans l’âme d’une certaine manière, comme le dit ce
même docteur. Ainsi il est manifeste que la mémoire, l’intelligence et la
volonté ne sont pas trois puissances, comme le suppose le Maître des sentences
(Saint Thomas, d’après son explication, en fait plutôt des actes, et il veut
que, considérées comme actes, elles représentent actuellement l’image de la
sainte Trinité, et que, considérées comme puissances, elles ne la représentent
que virtuellement.).
Objection N°4.
L’image de la Trinité subsiste toujours dans l’âme. Or, les actes sont
transitoires. Donc l’image de Dieu qui est dans l’âme ne se rapporte pas aux
actes.
Réponse à
l’objection N°4 : On pourrait dire avec saint Augustin (De Trin., liv. 14, chap. 6) que l’esprit
se ressouvient toujours de lui-même, qu’il se comprend et qu’il s’aime
toujours. Il y en a qui comprennent par là que l’âme a toujours l’intelligence
et l’amour actuels d’elle-même. Mais saint Augustin repousse lui-même ce sens,
puisqu’il ajoute que l’âme ne se connaît pas toujours comme distincte de ce qui
n’est pas elle. Il est donc évident que l’intelligence et l’amour qu’a l’âme
d’elle-même ne sont pas actuels, mais habituels. On peut dire pourtant que l’âme
en percevant son acte se comprend elle-même toutes les fois qu’elle comprend
quelque chose. Mais parce qu’elle n’est pas toujours intelligente en acte,
comme on le voit dans ceux qui dorment, il faut reconnaître que, bien que les
actes ne subsistent pas toujours en eux-mêmes, ils subsistent néanmoins
toujours dans leurs principes, c’est-à-dire dans les puissances et les
habitudes qui les produisent. C’est ce qui fait dire à saint Augustin (De Trin., liv. 14, chap. 4) : Si l’âme
raisonnable a été faite à l’image de Dieu de telle sorte qu’elle puisse se
servir de sa raison et de son intellect pour le comprendre et le contempler,
cette image a été en elle dès le commencement de son existence.
Mais c’est le
contraire. Saint Augustin dit (De Trin.,
liv. 9, chap. 6) que la Trinité existe dans les parties inférieures de l’âme
d’après les actes de la vision sensible et de la vision imaginaire. Par
conséquent la Trinité qui est dans l’intelligence, d’après laquelle l’homme est
à l’image de Dieu, doit se considérer d’après les actes.
Conclusion
L’image de la Trinité qui est dans la créature raisonnable, existe directement
dans l’acte du Verbe et dans celui de l’amour, et elle existe indirectement
dans les puissances et surtout dans les habitudes de l’âme.
Il faut
répondre que, comme nous l’avons dit (art. 2), il est de l’essence de l’image
qu’elle représente de quelque manière l’espèce. Par conséquent pour qu’on
puisse reconnaître l’image de la Trinité dans l’âme, il faut qu’on la considère
principalement sous le rapport de ce qui est de nature à représenter autant que
possible l’espèce des personnes divines. Or, les personnes divines se
distinguent par la procession du Verbe qui vient du Père qui le profère et par
celle du Saint-Esprit ou de l’amour qui est le lien
qui unit le Père et le Fils. Le verbe ne peut exister dans notre âme sans une
pensée actuelle, comme le dit saint Augustin (De Trin., liv. 14, chap. 7). C’est pourquoi l’image de la Trinité
qui est dans notre intelligence se rapporte directement et principalement aux
actes, dans le sens que c’est en pensant d’après la connaissance que nous avons
que nous formons le verbe intérieur et que de là nous passons à l’amour. Mais
comme les principes des actes sont les habitudes et les puissances et que
chaque chose est virtuellement renfermée dans son principe, l’image de la
Trinité qui est dans l’âme peut être considérée indirectement et par voie de conséquence
dans les puissances et surtout dans les habitudes, puisque les actes existent
eux-mêmes virtuellement en elles (L’explication que donne Bossuet sur l’image
de la Trinité dans l’homme revient absolument au sentiment de saint Thomas.).
Article
8 : L’image de la Trinité divine qui est dans l’âme n’y existe-t-elle que par
rapport à son objet ?
Objection
N°1. Il semble que l’image de la Trinité divine ne soit pas seulement dans
l’âme relativement à son objet qui est Dieu. Car cette image existe dans l’âme,
comme nous l’avons dit (art. préc), selon que le
verbe qui est en nous procède de celui qui le profère et selon que l’amour
procède de l’un et de l’autre. Or, ce double phénomène se reproduit en nous à
l’occasion de tout objet en général. Par conséquent l’image de la Trinité qui
est en nous se rapporte à tout objet quel qu’il soit.
Réponse à
l’objection N°1 : Pour l’essence de l’image il ne faut pas seulement
considérer si une chose procède d’une autre, mais encore la nature de la chose
qui en procède, afin de savoir par exemple si elle en procède comme le Verbe de
Dieu procède de la connaissance de Dieu.
Objection N°2.
Saint Augustin dit (De Trin., liv. 12,
chap. 4) que quand nous cherchons la Trinité dans notre âme, nous la cherchons
dans l’âme tout entière, nous ne distinguons pas les actes rationnels qui ont
rapport aux choses temporelles de ceux qui se rapportent aux choses éternelles.
Donc l’image de la Trinité, qui est dans l’âme, se rapporte également aux
objets temporels.
Réponse à
l’objection N°2 : Dans l’âme entière on trouve une trinité, ce qui ne
signifie pas toutefois qu’indépendamment de l’action des choses temporelles et
de la contemplation des choses éternelles on puisse trouver un troisième terme
qui complète cette trinité. Mais on peut dire que dans la partie de l’âme qui a
rapport aux choses temporelles, bien qu’on puisse y trouver une trinité, on ne
saurait cependant y voir l’image de Dieu, parée que la connaissance des choses
temporelles est adventice, et que les habitudes par lesquelles nous connaissons
ces choses ne sont pas elles-mêmes toujours présentes à l’esprit. Tantôt elles
y sont présentes, tantôt elles n’existent que dans la mémoire même après
qu’elles ont commencé d’être. C’est ce qui est évident pour la foi qui
maintenant existe temporellement en nous, et qui dans l’état de la vie heureuse
n’existe plus qu’en souvenir.
Objection N°3.
L’intelligence et l’amour que nous avons de Dieu est
un don de la grâce. Si l’image de la Trinité qui est dans l’âme se considère
d’après la mémoire, l’intelligence et la volonté, l’image de Dieu n’existerait
pas dans l’homme selon la nature, mais selon la grâce. Et par conséquent elle
ne serait pas commune à tous les hommes.
Réponse à
l’objection N°3 : La connaissance et l’amour de Dieu, quand ils sont
méritoires, n’existent que par la grâce. Mais nous avons de lui une
connaissance et un amour naturels, comme nous l’avons vu (art. 4). Il est
également naturel que l’âme puisse se servir de sa raison pour comprendre Dieu,
et nous avons dit que c’était là ce qui faisait que l’image de Dieu était
permanente dans son esprit, soit qu’elle soit effacée ou voilée au point d’être
nulle, comme dans ceux qui n’ont pas l’usage de la raison, soit qu’elle soit
obscurcie et déformée comme dans les pécheurs, soit qu’elle soit brillante et
belle comme dans les justes, suivant ce que dit saint Augustin (De Trin., liv. 14, chap. 4).
Objection N°4.
Les saints qui sont dans le ciel sont surtout conformes à l’image de Dieu
d’après la vision de sa gloire. C’est ce qui fait dire à l’Apôtre (2 Cor., 3, 18) : Nous sommes transformés en la même image en avançant de clarté en clarté.
Or, d’après la vision de la gloire on connaît les choses temporelles. Donc
l’image de Dieu qui est en nous se rapporte également à ces choses.
Réponse à
l’objection N°4 : Par la vision de la gloire nous verrons en Dieu les
choses temporelles, et c’est ce qui fait que cette vision appartiendra alors à
l’image de Dieu qui sera en nous. C’est pour cela que saint Augustin dit (De Trin., liv. 14, chap.14) que dans la
nature à laquelle l’âme s’attachera avec bonheur, elle verra d’une manière
immuable tout ce qu’elle verra. Car le Verbe incréé renferme lui-même les
raisons d’être de toutes les créatures.
Mais c’est le
contraire. Saint Augustin dit (De Trin.,
liv. 14, chap. 12) que l’image de Dieu n’est pas dans notre âme parce qu’elle
se souvient d’elle-même, parce qu’elle s’aime et qu’elle se comprend, mais
parce qu’elle peut se rappeler, comprendre et aimer Dieu qui l’a créée. L’image
de Dieu qui est en nous se rapporte encore moins aux autres objets.
Conclusion L’âme
raisonnable est à l’image de Dieu et de la Trinité divine dans le sens qu’elle
est portée ou qu’elle est faite pour être portée vers Dieu par la connaissance
et l’amour.
Il faut
répondre que, comme nous l’avons dit (art. 2 et 7), l’image implique une
ressemblance qui approche en quelque sorte de la représentation de l’espèce. Il
faut donc que l’image de la Trinité qui est dans l’âme soit considérée d’après
ce qui est de nature à représenter l’espèce des personnes divines, du moins
autant qu’une créature le peut. Or, comme nous l’avons
dit (art. préc), on distingue les personnes divines
d’après la procession du Verbe qui vient du Père qui le profère et par la
procession de l’amour qui vient de l’un et de l’autre. Le Verbe divin naît de
Dieu selon la connaissance qu’il a de lui-même, et l’amour procède de Dieu
selon qu’il s’aime lui-même. Or, il est évident que la diversité des objets
diversifie l’espèce du Verbe et de l’amour. Car le verbe conçu dans le cœur de
l’homme à propos d’une pierre n’est pas de même espèce que celui qu’il conçoit
à l’occasion d’un cheval, et il en est de même pour l’amour. L’image divine qui
existe dans l’homme se rapporte au verbe qu’il conçoit de la connaissance qu’il
a de Dieu, et à l’amour qui en dérive. Par conséquent cette image existe dans
l’âme selon qu’elle est portée ou qu’elle est laite pour être portée vers Dieu.
Mais il est à remarquer que l’esprit peut se porter vers une chose de deux
manières : 1° directement et immédiatement ; 2° indirectement et médiatement,
comme quand on dit de quelqu’un qui voit l’image d’un homme dans un miroir,
qu’il se porte vers l’homme lui-même. C’est ce qui fait dire à saint Augustin (De Trin., liv. 14. chap. 8) que l’âme se
souvient, qu’elle se comprend et qu’elle s’aime, et que quand nous nous voyons
dans cette triple action, nous voyons la sainte Trinité, non pas Dieu lui-même,
mais son image. Et il en est ainsi non parce que l’esprit se porte vers
lui-même absolument, mais parce que par cette triple action il peut
ultérieurement se porter vers Dieu, comme le dit saint Augustin dans le passage
cité avant la conclusion de cet article.
Article
9 : Est-il convenable de distinguer la ressemblance de l’image ?
Objection
N°1. Il semble qu’il ne soit pas convenable de distinguer la ressemblance de
l’image. Car il n’est pas convenable de distinguer le genre de l’espèce. Or, la
ressemblance est à l’image ce que le genre est à l’espèce, parce que là où il y
a image il y a toujours ressemblance et non réciproquement, comme le dit saint
Augustin (Quæst.,
liv. 83, quest. 74). Il n’est donc pas convenable de distinguer la ressemblance
de l’image.
Réponse à
l’objection N°1 : La ressemblance ne se distingue pas de l’image par sa
nature en général. Car elle est comprise sous ce rapport dans la nature de
l’image elle-même ; mais elle s’en distingue en ce que la ressemblance n’a
pas d’un côté le caractère de l’image et que de l’autre elle en est la
perfection.
Objection N°2.
La nature de l’image consiste non seulement dans la représentation des
personnes divines, mais encore dans la représentation de l’essence, et c’est à
cette représentation que se rapportent l’immortalité et l’indivisibilité. Il
n’est donc pas convenable de dire que la ressemblance est dans l’essence parce
qu’elle est immortelle et indivisible, tandis que l’image est dans le reste.
Réponse à
l’objection N°2 : L’essence de l’âme appartient à l’image dans le sens
qu’elle représente l’essence divine par ce qui est propre à la nature
intellectuelle, mais non par les propriétés qui sont une conséquence de l’être
en général, comme la simplicité, l’indissolubilité.
Objection N°3.
L’image de Dieu dans l’homme est de trois sortes ; elle est l’effet de la
nature, de la grâce ou de la gloire, comme nous l’avons dit (art. 4). Or,
l’innocence et la justice appartiennent à la grâce. Il n’est donc pas
convenable de dire que l’image s’entend de la mémoire, de l’intelligence et de
la volonté, tandis que la ressemblance se rapporte à l’innocence et à la
justice.
Réponse à
l’objection N°3 : Il y a des vertus qui sont naturellement innées dans
l’âme ou qui y existent au moins virtuellement par les germes qui doivent les
produire. On pourrait rapporter la ressemblance naturelle à ces sortes de
vertus, quoiqu’il n’y ait pas d’ailleurs de répugnance à ce qu’une chose qui
reçoit sous un rapport le nom d’image, reçoive sous un autre celui de
ressemblance.
Objection N°4.
La connaissance de la vérité appartient à l’intelligence et l’amour de la vertu
à la volonté. L’intelligence et la volonté faisant partie de l’image l’une et
l’autre, il n’est donc pas convenable de dire que l’image consiste dans la
connaissance de la vérité et la ressemblance dans l’amour de la vertu.
Réponse à
l’objection N°4 : L’amour du verbe qui est la connaissance aimée
appartient à la nature même de l’image, mais l’amour de la vertu appartient,
comme la vertu, à la ressemblance.
Mais c’est le
contraire. Saint Augustin a dit (Quæst, liv. 83, quest. 51) : Il y en a qui pensent avec
raison que la ressemblance n’est pas la même chose que l’image. Car si cela
était la même chose, on n’aurait employé qu’un nom pour les exprimer l’une et
l’autre.
Conclusion On
distingue la ressemblance de l’image, car elle lui est antérieure en ce sens
qu’elle est plus générale qu’elle, et elle en est la conséquence parce que
c’est elle qui en indique la perfection.
Il faut répondre que la ressemblance est
une sorte d’unité ; car il y a ressemblance entre les choses qui ont une
même qualité, comme le dit Aristote (Met.,
liv. 5, text. 20). L’unité étant du nombre des choses
transcendantes est commune à tous les êtres, et peut convenir à chacun d’eux,
comme le bon et le vrai. Ainsi le bon pouvant se rapporter à une chose
particulière comme une prédisposition à cette chose et comme sa perfection
dernière, il en est de même de la ressemblance à l’égard de l’image. Car le bon
est une prédisposition à l’égard de l’homme en ce sens que l’homme est un bien
particulier. Il est aussi un avantage qui résulte de sa nature, puisque nous
disons spécialement d’un homme qu’il est bon, à cause de la perfection de sa
vertu. De même on considère la ressemblance comme une préparation à l’image,
parce qu’elle est plus générale qu’elle, et on la considère comme son
complément, parce qu’elle en détermine la perfection. Car nous disons que
l’image d’une chose lui ressemble ou ne lui ressemble pas selon qu’elle la
représente parfaitement ou imparfaitement. Ainsi donc on peut distinguer la
ressemblance de l’image de deux manières : 1° comme lui étant antérieure et
comme existant dans un plus grand nombre de sujets. La ressemblance, par exemple,
se rapporte à des choses plus générales que les propriétés de la nature
intellectuelle d’après lesquelles on considère l’image à proprement parler.
C’est en ce sens que saint Augustin dit (loc.
cit.) que l’esprit ou la partie intelligente de l’âme a été fait sans aucun
doute à l’image de Dieu. Pour les autres parties de l’homme qui appartiennent
soit à l’âme sensitive, soit au corps, il y a des théologiens qui veulent
qu’elles aient été faites à sa ressemblance. Saint Augustin dit (Lib. de quant. anim., chap. 2) que la
ressemblance de Dieu qui existe dans l’âme consiste en ce qu’elle est
incorruptible. Car le corruptible et l’incorruptible sont les différences de
l’être en général. 2° On peut considérer la ressemblance comme désignant la
perfection de l’image. C’est en ce sens que saint Jean Damascène dit (De fid. orth., liv. 2, chap. 12) que ce qui est
fait à l’image comprend l’intelligence, le libre arbitre et la puissance que
l’homme exerce, et ce qui est fait à la ressemblance embrasse la ressemblance de
la vertu qu’il est donné à l’homme d’acquérir. On exprime la même pensée quand
on dit que la ressemblance appartient à l’amour de la vertu ; car il n’y a pas
de vertu sans cet amour (L’opinion de saint Thomas concilie toutes les
interprétations diverses que l’on a données à ces deux mots. Nous ferons
cependant remarquer que tous les Pères ne les ont pas distinguées, et que
plusieurs prennent indifféremment l’une pour l’autre. Le P. Petau
pense que Moïse les a considérées comme synonymes. Dans ce cas, alors pourquoi
cette redondance ?)
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
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