Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
1a = Prima Pars =
Première Partie
Question 97 : De
l’homme primitif quant à sa conservation individuelle
Après
avoir traité de l’âme du premier homme, nous allons maintenant nous occuper de
l’état primitif de son corps. Nous parlerons en premier lieu de la conservation
de l’individu et en second lieu de la conservation de l’espèce. — A l’égard de
la première chose quatre questions se présentent : 1° L’homme dans l’état
d’innocence était-il immortel ? (Cet article est de foi. Nous lisons dans
l’Ecriture : Dieu a créé l’homme immortel
(Sag., 2,
23) ; par un seul homme, le péché
est entré dans ce monde, et par le péché la mort (Rom., 5, 12) ; le corps,
il est vrai, est mort à cause du péché (Ibid.,
8, 10). Pelage ayant soutenu le contraire fut réfuté par saint Augustin et
condamné par les conciles qui ont anathématisé ses erreurs. Le concile de
Trente a renouvelé cette condamnation (sess, 5).) —
2° Etait-il impassible ? (Tous les Pères ont enseigné que l’homme dans l’état
d’innocence était exempt de toute peine physique et morale, et qu’il n’aurait
pas connu la souffrance s’il n’eût péché. Voy. saint Augustin (De civ Dei, liv. 14, chap. 14), saint Prosper (De vit. contemplat.,
liv. 11, chap. 17), saint Grégoire de Nazianze, saint
Basile, saint Chrysostome, etc.) — 3°Avait-il besoin d’aliments ? (La Genèse
indique que l’homme dans l’état d’innocence avait besoin d’aliments pour vivre,
puisqu’elle rapporte que Dieu lui avait permis de manger de tous les arbres du
paradis, à l’exception de l’arbre de la science du bien et du mal.) — 4°
Devait-il arriver à l’immortalité au moyen de l’arbre de vie ? (Les interprètes
sont partagés sur le sens que l’on doit donner à ce mot de l’Ecriture vivat in æternum.
Les uns l’entendent dans un sens absolu, et veulent que l’arbre de vie ait
communiqué à l’homme une vie absolument sans fin ; Tostat
et Perrerius sont de ce sentiment. Les autres
entendent seulement par là, comme le fait saint Thomas, une longue vie.)
Article
1 : L’homme dans l’état d’innocence était-il immortel ?
Objection
N°1. Il semble que l’homme n’était pas immortel dans l’état d’innocence. Car le
mot mortel entre dans la définition
de l’homme, et on ne peut retrancher ce qui entre dans une définition sans
détruire l’être défini lui-même. Donc, par là même qu’Adam était homme, il ne
pouvait être immortel.
Objection N°2.
Le corruptible et l’incorruptible ne sont pas du même genre, d’après ce que dit
Aristote (Met., liv. 10, text. 26). Or, les choses qui ne sont pas du même genre ne
sont pas susceptibles d’être transformées l’une dans l’autre. Par conséquent,
si le premier homme eût été incorruptible, il n’aurait pu devenir corruptible
comme il l’est maintenant.
Objection N°3.
Si l’homme, dans l’état d’innocence, eût été immortel, il l’aurait été par
l’effet de sa nature ou par l’effet de la grâce. Il ne pouvait l’être par
l’effet de sa nature, puisque sa nature étant restée spécifiquement la même il
le serait encore maintenant. Il ne pouvait l’être non plus par l’effet de la grâce,
puisque le premier homme a recouvré la grâce par le repentir, selon cette
parole du Sage (Sag., 10, 2) : Il est sorti de son péché. Il aurait donc recouvré l’immortalité,
ce qui est évidemment faux. Par conséquent l’homme n’était pas immortel dans l’état
d’innocence.
Réponse à
l’objection N°3 : La puissance qui préservait le corps de la corruption
n’était pas naturelle à l’âme humaine, mais c’était un don de la grâce. Et
quoique l’homme ait recouvré la grâce pour obtenir la rémission de ses péchés
et pour mériter la gloire, il ne l’a pas recouvrée pour qu’elle produise encore
en lui l’immortalité qu’il a perdue. Car cette gloire était réservée au Christ,
qui devait réparer notre nature déchue en l’élevant plus haut que l’état d’où
elle est tombée, comme nous le dirons (3a pars, quest. 1, art. 2).
Objection N°4.
L’immortalité est promise à l’homme comme récompense, d’après ces paroles de
l’Apocalypse (21, 4) : La mort n’existera
plus au delà. Or, l’homme n’a pas été créé pour jouir immédiatement de sa récompense,
mais pour la mériter. Donc dans l’état d’innocence l’homme n’était pas
immortel.
Réponse à
l’objection N°4 : L’immortalité glorieuse qui nous est promise comme
récompense diffère de l’immortalité qui avait été accordée à l’homme dans
l’état d’innocence.
Mais c’est le
contraire. Car saint Paul dit (Rom., 5,
12) : La mort est entrée dans le monde
par le péché. Donc avant le péché l’homme était immortel.
Conclusion Dans
l’état d’innocence l’homme était immortel non par sa nature, mais par l’effet
de la grâce, parce qu’il avait reçu de Dieu une force par laquelle il pouvait,
par exemple en ne péchant pas, conserver son corps en l’affranchissant des lois
de la matière.
Il faut
répondre qu’une chose peut être incorruptible de trois manières : 1° Par rapport
à sa matière, soit parce qu’elle n’en a pas, comme l’ange, soit parce qu’elle
en a une qui n’est en puissance qu’à l’égard d’une seule forme, comme le corps
céleste, et alors on dit que la chose est incorruptible de sa nature. 2° On dit
qu’une chose est incorruptible par rapport à sa forme. Ainsi une chose
corruptible par sa nature peut être inhérente à une manière d’être qui la
préserve totalement de la corruption. Cette sorte d’incorruptibilité est celle
qui résulte de la gloire. Car saint Augustin dit (Ep. ad Diosc., 56) : Dieu a donné à l’âme
une nature si puissante que sa béatitude fait rejaillir sur le corps une
plénitude de santé et une vigueur qui le rendent incorruptible. 3° On dit
encore qu’un être est incorruptible relativement à sa cause efficiente. C’est
de cette manière que l’homme était incorruptible et immortel dans l’état
d’innocence. Car, comme le dit saint Augustin (Quæst. Nov. et Vet. Testam., quest. 19), Dieu avait fait l’homme pour jouir
de l’immortalité tant qu’il ne pécherait pas, afin qu’il fût lui-même l’auteur
de sa vie ou de sa mort (Cet ouvrage n’est pas de saint Augustin, mais cet
illustre docteur enseigne la même chose (Sup.
Gen. ad litt., liv. 6,
chap. 25).). En effet, son corps n’était pas indissoluble par une vertu d’immortalité
qui existait en lui, mais il y avait dans son âme une puissance qu’elle avait
reçue de Dieu surnaturellement (Pie V et Grégoire XIII ont condamné cette
proposition de Baïus : Immortalitas primi hominis non
erat gratiæ beneficium, sed naturalis conditio.),
qui pouvait préserver son corps de toute corruption tant qu’elle serait restée
soumise à Dieu. Ce qui d’ailleurs était parfaitement conforme à la raison ;
car, par là même que l’âme raisonnable est supérieure à la nature de la matière
corporelle, comme nous l’avons dit (quest. 76, art. 1), il était convenable que
dans le principe elle reçût une force qui lui permît de conserver le corps en
l’affranchissant des lois de la matière.
Il faut
répondre à la première et à la seconde objections que ces objections ne
reposent que sur ce qui est incorruptible et immortel par nature.
Article
2 : L’homme dans l’état d’innocence aurait-il été passible ?
Objection
N°1. Il semble que dans l’état d’innocence l’homme aurait été passible. Car
sentir c’est être passible. Or, l’homme dans l’état d’innocence aurait été
sensible. Il aurait donc été passible.
Objection N°2.
Le sommeil est une passion. Or, dans l’état d’innocence l’homme aurait dormi,
puisque nous lisons dans la Genèse (2, 21) que Dieu envoya à Adam un sommeil. Il aurait donc été passible.
Objection N°3.
L’Ecriture dit encore que Dieu lui enleva une de ses côtes. Il aurait donc été passible au
moins en ce sens qu’on pouvait lui enlever une partie de lui-même.
Réponse à
l’objection N°3 : Comme nous l’avons dit (quest. 92, art. 3, réponse N°2),
cette côte existait dans Adam parce qu’il était le principe du genre humain,
comme le sperme est dans l’homme le principe de la génération. Par conséquent,
comme l’acte de la génération se consomme sans que l’homme sorte de sa
disposition naturelle, il en faut dire autant de la séparation de cette côte.
Objection N°4. Le
corps de l’homme était mou. Or, ce qui est mou est naturellement passif à
l’égard de ce qui est dur. Donc si le corps de l’homme avait rencontré un corps
dur il en aurait souffert ; par conséquent le premier homme était passible.
Réponse à
l’objection N°4 : Le corps de l’homme dans l’état d’innocence pouvait être
préservé de tout corps dur capable de le blesser, d’abord parce que la raison
pouvait lui faire éviter une foule de choses, ensuite parce que la providence
divine le protégeait au point de ne pas permettre qu’il se rencontrât avec
quelque chose qui serait de nature à lui faire le moindre mal.
Mais c’est le
contraire. Car s’il eût été passible il aurait été corruptible puisque, comme
le dit Aristote, toute passion quand elle est violente altère la substance (Top., liv. 6, chap. 3).
Conclusion Dans
l’état d’innocence l’homme eût été impassible relativement aux passions qui
sont de nature à troubler son état naturel, et il eût été passible relativement
aux passions qui sont au contraire pour lui des moyens de perfection.
Il faut
répondre que le mot passion s’entend
de deux manières : 1° Dans un sens propre, et c’est ainsi qu’on dit que tout être
qui est détourné de son état naturel pâtit. Car la passion est l’effet de
l’action. Dans les choses naturelles les contraires sont actifs et passifs les
uns par rapport aux autres, parce que l’un éloigne l’autre de son état normal.
2° On l’entend dans un sens plus large et on désigne par là toute espèce de
changement, même ceux qui se rapportent au perfectionnement de la nature, comme
l’intelligence ou la sensation. Dans ce second sens l’homme était passible dans
l’état d’innocence, et il l’était par rapport à l’âme comme par rapport au
corps (S’il eût été impassible sous ce rapport, il n’aurait pas été vivant.).
Il était absolument impassible dans le premier sens, puisqu’il était immortel.
Car il pouvait être exempt de souffrir comme de mourir s’il n’eût jamais péché.
La réponse aux
deux premières objections est par là même évidente. Car sentir et dormir ne
sont pas des actions qui éloignent l’homme de son état normal, mais elles
existent dans l’intérêt de sa nature.
Article
3 : L’homme dans l’état d’innocence avait-il besoin d’aliments ?
Objection
N°1. Il semble que dans l’état d’innocence l’homme n’avait pas besoin
d’aliments. Car la nourriture est nécessaire à l’homme pour réparer ce qu’il
perd. Or, dans le corps d’Adam il n’y avait pas de déperdition, puisqu’il était
incorruptible. La nourriture ne lui était donc pas nécessaire.
Réponse à
l’objection N°1 : Saint Augustin s’est aussi demandé (De quæst. Veter. et Nov. Test., quest. 19) comment un corps immortel
pouvait avoir besoin de nourriture ? puisque ce qui
est immortel n’a besoin ni de boire, ni de manger, et qu’il répond, comme nous
l’avons fait, que l’immortalité de l’homme dans son état primitif était l’effet
d’une force surnaturelle qui résidait dans l’âme et non d’une disposition
inhérente au corps (Ce livre n’est pas de saint Augustin, comme nous l’avons
déjà observé ; mais ce docteur est absolument du même sentiment que saint
Thomas sur ce point (Cf. De civ. Dei,
liv. 13, chap. 20, et Sup. Gen. ad litt.,
liv. 8, chap. 4). Cependant il y a des Pères qui sont du sentiment contraire.
Nous citerons saint Grégoire de Nysse, Théodoret (quest. 37 in
Gen.), saint Ambroise (De prud., chap. 9), saint Grégoire de Nazianze (Orat. 38 et 42), saint Jean Damascène (De fide orth.,
liv. 2, chap. 11). Tous ces Pères prennent les paroles de la Genèse dans un
sens spirituel.). Ainsi la chaleur pouvait faire évaporer les parties humides
du corps et causer une déperdition. Il fallait donc pour rétablir l’équilibre
que l’homme prît de la nourriture pour réparer ce qu’il perdait.
Objection N°2.
L’aliment est nécessaire pour nourrir. Or, la nutrition n’existe pas sans
passion. Puisque le corps du premier homme était impassible, il semble que les
aliments ne lui étaient pas nécessaires.
Réponse à
l’objection N°2 : Dans la nutrition il y a passion et altération, du moins
de la part de l’aliment qui se change en la substance de l’individu qu’il
nourrit. On ne peut donc pas conclure de là que le corps de l’homme ait été
passible, mais que cette qualité convenait à la nourriture qu’il prenait,
quoique dans ce cas la passibilité ait eu pour objet le perfectionnement de la
nature.
Objection N°3.
Les aliments ne sont considérés comme nécessaires que pour la conservation de
notre vie. Or, Adam pouvait conserver sa vie autrement. Car s’il n’eût pas
péché il ne serait pas mort. Donc les aliments ne lui étaient pas nécessaires.
Réponse à
l’objection N°3 : Si l’homme n’eût pas pris la nourriture qui lui est
nécessaire il aurait péché, comme il l’a fait en prenant une nourriture défendue.
Car il lui avait été commandé tout à la fois de ne pas toucher à l’arbre de la
science du bien et du mal, et de manger de tous les autres arbres du paradis.
Mais c’est le
contraire. Car il est dit dans la Genèse (2, 16) : Vous mangerez de tous les arbres qui sont dans le paradis.
Conclusion
Puisque dans l’état d’innocence l’homme avait la vie animale, il avait besoin
d’aliments ; mais après la résurrection, quanti sa vie sera spirituelle, il
n’en aura plus besoin.
Il faut
répondre que dans l’état d’innocence l’homme avait la vie animale qui ne peut
se passer d’aliments. Après la résurrection il aura la vie spirituelle et
n’aura pas besoin de manger pour vivre. Pour s’en convaincre il faut observer
que l’âme raisonnable est tout à la fois âme et esprit. On lui donne le nom
d’âme relativement à ce qu’elle a de commun avec les animaux, c’est-à-dire par
rapport à la fonction qu’elle a d’animer le corps. C’est pour cela qu’il est
dit dans la Genèse (2, 7) que l’homme fut
fait dans une âme vivante, c’est-à-dire avec une âme qui donne la vie au
corps. On lui donne le nom d’esprit relativement à ce qui lui est propre et qui
la distingue des autres animaux, c’est-à-dire par rapport à ce qu’elle a une
intelligence purement immatérielle. Dans l’état primitif l’âme raisonnable
communiquait au corps toutes les forces qu’elle pouvait lui communiquer en
l’animant, et on donnait au corps le nom d’animal
parce que c’était de l’âme (anima)
qu’il tirait sa vie. Or, le premier principe de vie dans les êtres d’un ordre
inférieur, c’est, comme le dit Aristote (De
animâ, liv. 2, text. 34
et 49), l’âme végétative, dont les fonctions consistent à se nourrir, se
reproduire et se développer. C’est pour cette raison que dans l’état primitif
l’homme devait lui-même faire toutes ces choses. Mais dans son dernier état,
après la résurrection, l’âme communiquera en quelque sorte au corps ce qui lui
est propre en tant qu’esprit. Ainsi tous les hommes auront alors l’immortalité
; les bons jouiront en outre de l’impassibilité, de la gloire et de la vertu,
et on dira que leurs corps sont spirituels.
Par conséquent, après la résurrection les hommes n’auront plus besoin de
nourriture matérielle, mais ils en avaient besoin dans l’état d’innocence.
Article
4 : L’homme dans l’état d’innocence serait-il arrivé à l’immortalité en
mangeant du fruit de l’arbre de vie ?
Objection
N°1. Il semble que le fruit de l’arbre de vie ne pouvait pas rendre l’homme
immortel. Car une chose ne peut pas être plus puissante que son espèce et
l’effet ne doit pas l’emporter sur la cause. Or, le fruit de l’arbre de vie
était corruptible ; autrement on n’aurait pas pu s’en nourrir, puisque tout
aliment doit se transformer dans la substance de celui qui le reçoit, comme
nous l’avons dit (art. préc., réponse N°2). Donc le fruit de l’arbre de vie ne pouvait
rendre l’homme incorruptible ou immortel.
Objection N°2.
Les effets qui résultent de la vertu des plantes ou d’autres causes naturelles
sont naturels. Si l’arbre de vie eût rendu l’homme immortel, l’immortalité lui
aurait donc été naturelle.
Objection N°3.
Ce sentiment semble retomber dans les fables des anciens qui disaient qu’il y
avait des dieux qui étaient devenus immortels en mangeant d’une certaine
nourriture. Aristote se moque de ce récit (Met.,
liv. 3, text. 14).
Mais c’est le
contraire. Car il est dit dans la Genèse (3, 22) : Empêchons que l’homme ne porte maintenant la main à l’arbre de vie,
qu’il ne prenne encore de son fruit et qu’en en mangeant il ne vive
éternellement. Et saint Augustin dit (De
quæst. Vet. et Nov. Testam., quest. 19)
que le goût de l’arbre de vie empêchait le corps de se corrompre, et qu’il
serait resté indissoluble si, après son péché, il avait eu le droit de manger
du fruit de cet arbre (Ce livre étant supposé, on peut lire à ce sujet le vrai
sentiment de saint Augustin (De civ. Dei,
liv. 47, chap. 26 ; Sup. Gen. ad litt., liv. 8, chap.
4 et 5).).
Conclusion Dans
l’état d’innocence l’arbre de vie aurait fait arriver l’homme à l’immortalité
dans un temps déterminé, mais non absolument.
Il faut
répondre que l’arbre de vie pouvait d’une certaine manière rendre l’homme
immortel, mais qu’il ne le pouvait pas absolument. Pour s’en convaincre il faut
observer que l’homme dans l’état primitif avait deux moyens de se conserver, ou
deux remèdes pour combattre le double défaut de la nature humaine. Le premier
de ces défauts est la déperdition des humeurs qui consume la chaleur naturelle
qui est un des moyens d’action que l’âme emploie. L’homme obviait à ce défaut
en mangeant des fruits des autres arbres du paradis, comme nous y obvions
maintenant en prenant de la nourriture. Le second défaut provient, comme le dit
Aristote (De gen., liv. 1, text. 34 et 39), des substances étrangères qui se mêlent au
corps et qui affaiblissent l’énergie et l’activité propres à son espèce. Ainsi
quand on met de l’eau dans le vin, le vin perd d’abord sa saveur, et à mesure
qu’on y mêle une plus grande quantité d’eau il perd de sa force au point qu’il
finit par n’être plus que de l’eau rougie. De même nous voyons qu’au commencement
la puissance du corps est si active qu’il retire des aliments non seulement
tout ce qu’il faut pour réparer la déperdition qu’il subit, mais encore de quoi
développer et accroître ses forces. Mais plus tard quand le corps est arrivé à
son plein développement il ne retire plus des aliments que ce qu’il faut pour
s’entretenir en réparant la déperdition qu’il éprouve. Enfin dans la vieillesse
il ne peut même plus suffire à réparer les pertes qu’il fait chaque jour. Alors
il s’affaiblit et il finit par se dissoudre. Le fruit de l’arbre de vie avait
précisément pour effet de remédier à ce défaut. Car il avait la vertu de
fortifier l’individu en neutralisant l’influence désastreuse des principes
étrangers qui pouvaient se mêler à son corps et le corrompre. C’est ce qui a
fait dire à saint Augustin (De civ. Dei,
liv. 14, chap. 26) que l’homme avait de la nourriture pour qu’il n’eût pas
faim, une boisson pour qu’il n’eût pas soif et l’arbre de vie pour le garantir
des atteintes de la vieillesse. Et dans un autre endroit de ses œuvres (De Quæst. Vet. et Nov. Testam.)
il dit que l’arbre de vie empêchait l’homme de se
corrompre à la manière d’une médecine. Il n’était cependant pas la cause
absolue de l’immortalité de l’homme, parce que ce n’était pas le fruit de cet
arbre qui produisait la vertu qui était inhérente à l’âme pour la conservation
du corps. Il ne pouvait donc pas non plus communiquer au corps une disposition
telle qu’il ne pût jamais tomber en dissolution ; ce
qui résulte évidemment de ce que la vertu de tout corps est nécessairement
limitée. Par conséquent l’arbre de vie ne pouvait avoir pour effet de donner au
corps la puissance de vivre un temps infini, mais seulement jusqu’à un temps
déterminé. Car il est évident que plus une puissance est grande et plus elle
imprime de durée aux effets qu’elle produit. Par conséquent la vertu de l’arbre
de vie étant limitée, son fruit, une fois qu’on en avait pris, préservait le
corps de la corruption pendant un temps déterminé. Cette période écoulée,
l’homme aurait été appelé à jouir de la vie spirituelle, ou bien il aurait eu
besoin de manger de nouveau du fruit de cet arbre (Saint Thomas ne décide pas
s’il eût été possible de recourir indéfiniment à ce moyen de conservation.).
La réponse aux objections est par là même
évidente. Car les premières raisons prouvent que l’arbre dévie ne produisait
pas l’immortalité absolument, et les autres établissent qu’il ne la produisait
qu’en empêchant la corruption, comme nous l’avons expliqué (dans le corps de
l’article.).
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
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l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
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