Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
1a = Prima Pars =
Première Partie
Question 102 : Du
lieu où fut établi le premier homme, c’est-à-dire du paradis
Nous
n’avons plus à nous occuper que du lieu où fut établi le premier homme,
c’est-à-dire du paradis. — A cet égard quatre questions se présentent : 1° Le
paradis est-il un lieu matériel ? (Parmi les auteurs qui ont voulu entendre
tout le récit de la Genèse dans un sens parement allégorique, nous citerons
Philon et Origène, que saint Epiphane réfute (Hæres. 64, n. 47).) — 2° Etait-ce
un lieu convenable à l’habitation de l’homme ? (L’Ecriture
ne laisse pas la question douteuse, puisqu’elle appelle le paradis un lieu de délices. C’est le sens du mot
hébreu Eden, qui se traduit en latin
par voluptas.)
— 3° Dans quel but l’homme fut-il placé dans le paradis ? (Il y a eu des
hérétiques qui ont attaqué le travail des mains, et qui l’ont rejeté comme une
chose détendue. Cet article est la réfutation de cette erreur. Il y a cependant
des Pères qui ont entendu ces paroles de l’Ecriture dans un sens allégorique. Voy. saint Théophile d’Antioche
(liv. 2, ad Autolycum),
saint Ambroise (De Parad., chap. 4), Severianus. Saint Augustin est du même sentiment que saint
Thomas (Lib. de Gen.
ad litt., chap. 9).) — 4° A-t-il dû être créé
dans le paradis ? (Cet article est l’explication des paroles de la Genèse (2,
15).)
Article
1 : Le paradis est-il un lieu matériel ?
Objection
N°1. Il semble que le paradis ne soit pas un lieu matériel. Car Bède dit à
propos de ces paroles de saint Paul (2
Cor., 12, 4) : fut ravi dans le
paradis, que le paradis touche à l’orbite de la lune. Or, il n’y a là
aucune terre, parce qu’il est contraire à la nature de la terre d’être aussi
élevée, et parce que sous l’orbite de la lune il y a une région de feu qui la
consumerait. Le paradis n’est donc pas un lieu corporel.
Réponse à
l’objection N°1 : Les paroles de Bède ne sont pas exactes si on les entend
dans leur sens propre. On peut cependant dire métaphoriquement que le paradis
s’élève jusqu’à l’orbite de la lune, dans le sens que la pureté perpétuelle de
l’air dont on y jouissait ressemblait, dit saint Isidore (loc. cit.), à la température qui règne dans les régions supérieures
(Saint Basile exprime la même pensée (Hom. de Paradiso).), et que sous ce rapport on pouvait
l’assimiler aux corps célestes qui ne connaissent pas de contrariété. Il parle
de l’orbite de la lune plutôt que des autres sphères, parce que la lune est par
rapport à nous le dernier des corps célestes, et que cet astre est d’ailleurs
celui de tous qui a le plus de rapport avec la terre. C’est pour cela qu’il est
ténébreux et opaque, à peu près comme la terre. D’autres disent que le paradis
s’élevait jusqu’à l’orbite de la lune, c’est-à-dire jusqu’à cet espace
intermédiaire de l’atmosphère où se forment les pluies et les vents, parce que
c’est la lune qui exerce principalement son action sur les vapeurs qui
remplissent cette région. Mais d’après ce système ce lieu n’eût pu être habité
par l’homme, soit parce qu’il y aurait eu là trop de tempêtes, soit parce que
cette partie de l’atmosphère n’est pas appropriée à sa constitution, comme
l’air qui est plus rapproché de la terre.
Objection N°2.
L’Ecriture dit qu’il y avait quatre fleuves qui
sortaient du paradis (Gen., chap. 2). Or, les fleuves que
l’Ecriture désigne en cet endroit ont évidemment leurs sources ailleurs, comme
on le voit (Meteor.,
liv. 1). Donc le paradis n’est pas un lieu matériel.
Réponse à
l’objection N°2 : Il faut répondre avec saint Augustin (Sup. Gen. ad litt., liv. 8, chap. 7), qu’il est à présumer que les
hommes ignorent complètement le lieu où était le paradis, et que les fleuves
dont on indique les sources sont cachés sous terre et sortent dans d’autres
lieux après avoir parcouru de longs espaces. Car qui ne sait qu’il y a des
fleuves qui dissimulent ainsi leur cours (Les anciens ont été très divisés sur
cette question, parce qu’ils ne connaissaient pas suffisamment la forme de la
terre. On croit communément aujourd’hui que le paradis terrestre devait être
situé dans l’Arménie, vers les sources de l’Euphrate, du Tigre, du Phase et de
l’Araxe ou du Cvrus. On prend ce dernier fleuve pour
le Géhon.
Voyez la Dissertation sur le Paradis
terrestre, qui se trouve dans la Bible de Vence.) ?
Objection N°3.
Il y a des auteurs qui ont recherché avec le plus grand soin tous les lieux
habitables de la terre, et ils ne font aucune mention du paradis. Donc ce
n’était pas un lieu terrestre.
Réponse à
l’objection N°3 : Ce lieu a été séparé des endroits de la terre que nous
habitons maintenant soit par des montagnes, soit par des mers, soit par des
régions infranchissables (Dans toute hypothèse il faut faire la part des
changements produits à la suite du péché originel et par le déluge.). C’est
pourquoi les géographes n’en font aucunement mention.
Objection N°4.
On place dans le paradis l’arbre de vie. Or, cet arbre de vie est quelque chose
de spirituel. Car il est dit dans les Proverbes (3, 18) que la sagesse est l’arbre de vie pour ceux qui s’y attachent.
Donc le paradis n’est pas un lieu matériel, mais un lieu spirituel.
Réponse à
l’objection N°4 : L’arbre de vie est un arbre matériel, ainsi appelé parce
que ses fruits avaient la vertu de conserver la vie, comme nous l’avons dit
(quest. 97, art. 4). Cependant il avait une signification spirituelle, comme la
pierre du désert, qui était quelque chose de matériel et qui signifiait
néanmoins le Christ. De même l’arbre de la science du bien et du mal était un
arbre matériel qui avait reçu ce nom à cause de l’événement qui devait arriver.
Car, après avoir mangé de son fruit, l’homme a appris par l’expérience du
châtiment toute la différence qu’il y avait entre la vertu d’obéissance et le
crime de rébellion ; par conséquent on peut dire avec quelques interprètes
qu’il désignait spirituellement le libre arbitre.
Objection N°5.
Si le paradis est un lieu matériel, il faut que les arbres qui y étaient soient
matériels aussi. Mais cela ne paraît pas admissible ; car les arbres en général
ont été produits au troisième jour, tandis que la Genèse ne parle de la
plantation des arbres du paradis qu’après l’œuvre des six jours. Donc le
paradis n’est pas un lieu matériel.
Réponse à
l’objection N°5 : D’après saint Augustin (Sup. Gen. ad litt.,
liv. 5, chap. 5, et liv. 8, chap. 3), les plantes n’ont pas été produites en
acte au troisième jour, mais qu’elles n’ont alors existé que virtuellement. Ce
n’est qu’après l’œuvre des six jours que les plantes ont été produites
réellement dans le paradis aussi bien qu’ailleurs. Mais, suivant les autres
Pères, il faut admettre que toutes les plantes ont été produites en acte au
troisième jour, même celles du paradis. Quant à ce que l’Ecriture dit de la
plantation des arbres du paradis après l’œuvre des six jours, il faut
l’entendre par manière de récapitulation (Moïse fait cette récapitulation pour
suppléer à ce qu’il avait omis ou qu’il n’avait dit qu’en passant, au chapitre
2. C’est une des remarques de la Bible de Vence.). Aussi la Vulgate dit-elle : Le Seigneur Dieu avait planté ce paradis de
délices dès le commencement.
Mais c’est le
contraire. Saint Augustin dit (Sup. Gen. ad litt., liv. 8, in princ.) : Il y a sur le paradis trois sentiments généraux.
Le premier est celui des interprètes qui le regardent uniquement comme un lieu
corporel ; le second appartient à ceux qui veulent que ce soit un lieu purement
spirituel, et enfin le troisième, que je partage volontiers, est celui qui
attache au paradis les deux sens.
Conclusion Le
paradis est un lieu qui existe en Orient et que Dieu avait convenablement
préparé.
Il faut
répondre avec saint Augustin (De civ. Dei,
liv. 13, chap. 21) que ceux qui entendent le paradis dans un sens spirituel, en
peuvent penser tout ce que leur imagination leur fournira de beau, pourvu
qu’ils respectent ce que nous en apprend le fidèle exposé des faits (Saint
Augustin voulait que l’interprétation allégorique eût toujours pour base le
sens littéral, et qu’elle le respectât. C’est en effet le moyen d’éviter une
foule d’erreurs, quand il s’agit de l’explication de l’Ecriture.). Car ce que
l’Ecriture nous dit du paradis, elle nous le raconte sous la forme d’un récit
historique. Or, à l’égard de tout ce que l’Ecriture expose de la sorte, il faut
avant tout prendre pour base la vérité historique, sauf à y ajouter ensuite les
sens spirituels qu’on peut s’ingénier à découvrir. Ainsi, le paradis, comme le
dit saint Isidore (Etym.,
liv. 14, chap. 3), est un lieu placé du côté de l’Orient, et ce mot traduit du
grec (Ce mot signifia en grec, parc, enclos, mais dans l’hébreu, il veut dire
simplement jardin.) signifie jardin. Il était d’ailleurs convenable qu’il fût
placé du côté de l’Orient, parce qu’il devait être naturellement dans le lieu
le plus noble de la terre. D’après Aristote (De cælo, liv. 2, text.
15), l’Orient étant la droite du ciel, et la droite étant plus noble que la
gauche, il était convenable que Dieu le plaçât de préférence de ce côté (Saint
Basile dit que les chrétiens ont conservé l’habitude de prier, le visage tourné
vers l’orient, parce que le paradis avait été placé de ce côté (De Spir. sanct.,
chap. 27). Saint Grégoire de Nysse et saint Jean Damascène
sont de ce même sentiment.).
Article
2 : Le paradis était-il un lieu convenable à l’habitation de l’homme ?
Objection
N°1. Il semble que le paradis n’était pas un lieu très propre à l’habitation de
l’homme. Car l’homme et l’ange sont également destinés à la béatitude. Or,
l’ange a habité dès le commencement le séjour des bienheureux, c’est-à-dire le
ciel empyrée. Donc c’était là qu’aurait dû être placée l’habitation de l’homme.
Réponse à
l’objection N°1 : Le ciel empyrée est au-dessus de tous les corps et en
dehors de tout changement. Sous le premier de ces rapports il convient
parfaitement à la nature de l’ange, puisque, comme le dit saint Augustin (De Trin., liv. 3, chap. 4), Dieu gouverne
la créature corporelle au moyen de ses créatures spirituelles. D’où il résulte
qu’il est convenable que les êtres spirituels soient placés au-dessus des êtres
corporels puisqu’ils les dirigent. Sous le second rapport il convient à l’état
de la béatitude qui est un état absolument stable. Et comme le lieu de la
béatitude convient à l’ange selon sa nature, il s’ensuit qu’il a été créé dans
ce lieu. Mais il ne convient pas de même à la nature de l’homme, puisqu’il
n’est pas appelé comme l’ange à gouverner toutes les créatures corporelles ; il
ne lui convient que par rapport à la béatitude. C’est ce qui fait qu’il n’a pas
été placé dès le commencement dans le ciel empyrée, et qu’il ne devait y être
transporté que quand il serait arrivé à sa fin.
Objection N°2.
S’il y a un lieu que requiert la nature de l’homme, c’est par rapport à l’âme
ou par rapport au corps. Or, sous le rapport de l’âme, il ne doit occuper
d’autre lieu que le ciel, puisque le ciel semble être le lieu naturel de l’âme,
car tout le monde en a le désir inné au fond du cœur. D’un autre côté, sous le
rapport du corps, il ne doit pas être dans un autre lieu que les autres
animaux. Donc le paradis ne convenait à l’homme d’aucune manière pour être son
séjour.
Réponse à
l’objection N°2 : Il est ridicule de dire que l’âme ou toute autre
substance spirituelle a un lieu naturel quelconque ; ce n’est que par analogie
ou par convenance qu’on attribue aux êtres spirituels un lieu spécial. Le
paradis terrestre était d’ailleurs un lieu convenable à l’homme sous le rapport
de l’âme comme sous le rapport du corps, dans le sens que l’âme possédait en
elle la puissance de préserver le corps de toute corruption, ce qui n’existait
pas dans les autres animaux. C’est pourquoi, comme le dit saint Jean Damascène
(loc. cit.), aucun être déraisonnable
n’habitait en ce heu, bien que Dieu ait fait une exception en faveur des
animaux qu’il amena près d’Adam, et que le serpent y ait été introduit par le
démon.
Objection N°3.
Un lieu existe inutilement s’il n’est occupé par aucun être. Or, depuis le
péché, le paradis n’a plus été habité par l’homme. Donc, si c’est un lieu
propre à être habité, il semble que Dieu l’ait créé en vain.
Réponse à
l’objection N°3 : On ne peut dire qu’un lieu a inutilement existé parce
que l’homme ne l’habite plus depuis son péché, comme on ne peut pas dire qu’il
était inutile d’accorder à l’homme l’immortalité qu’il ne devait pas conserver.
Dieu nous a prouvé par là son amour pour nous, et il nous a montré ce que
l’homme avait perdu par le péché. Toutefois on pourrait dire aussi qu’Enoch et
Elie habitent maintenant dans ce paradis (Les Pères se sont demandé si le
paradis terrestre existe encore. Presque tous ont soutenu l’affirmative, et
plusieurs d’entre eux ont cru que c’était dans ce paradis que les saints
demeuraient après leur mort. Saint Irénée, saint Ephrem, saint Méthode, Sévérinus, Eulogius, sont de ce
sentiment. Saint Augustin (Cont. Jul., liv. 6, chap 50) est de
l’avis que saint Thomas rapporte. Voyez à ce sujet la dissertation de Dom. Calmet sur le
patriarche Enoch.).
Objection N°4.
Il faut à l’homme un lieu tempéré, puisque sa constitution est tempérée
elle-même. Or, le paradis n’était pas un lieu tempéré ; car on dit qu’il
existait sous l’équateur, qui semble le lieu le plus chaud de la terre, puisque
le soleil passe deux fois par an au-dessus de la tête de ceux qui l’habitent.
Donc le paradis n’était pas un lieu propre à être habité.
Réponse à
l’objection N°4 : Ceux qui disent que le paradis était sous l’équateur,
pensent qu’il y a là une région très tempérée à cause de l’égalité continuelle
des jours et des nuits. Ils s’appuient sur ce que le soleil ne s’éloignant
jamais beaucoup de ces contrées, il ne peut y avoir un froid extrême, et il ne
peut y avoir non plus une chaleur excessive, parce que, quoique le soleil passe
au-dessus de la tête de ceux qui habitent ces lieux, il ne reste pas longtemps
dans cet état. Aristote (Meteor.,
liv. 2, chap. 5) croit que la terre est inhabitable dans cette région, parce
que la chaleur y est trop grande. Son opinion paraît la plus probable, parce
que les terres qui reçoivent perpendiculairement les rayons solaires sont d’une
température très élevée à cause du voisinage de cet astre (Il y a sous
l’équateur des lieux tempérés où l’on jouit du climat le plus doux, parce que
le voisinage de la mer et d’autres causes affaiblissent la chaleur excessive
que doivent produire les rayons solaires.). Mais quoi qu’il en soit, nous
devons croire que le paradis avait été placé dans un endroit très tempéré, que
ce soit sous l’équateur ou ailleurs.
Mais c’est le
contraire. Saint Jean Damascène (De fid. orth., liv. 2, chap. 11)
dit que c’était une région divine et une demeure en tout digne de celui qui
avait été fait à l’image de Dieu.
Conclusion Le
paradis était un lieu propre à l’habitation de l’homme dans son état primitif
d’immortalité.
Il faut
répondre que, comme nous l’avons dit (quest. 97, art. 4), l’homme était alors
incorruptible et immortel, non parce que son corps avait par lui-même ce
privilège, mais parce qu’il y avait dans l’âme une vertu qui préservait le
corps de toute corruption. Or, le corps humain peut se corrompre soit au
dedans, soit au dehors. Ce qui le corrompt au dedans c’est l’épuisement des
humeurs et la vieillesse, comme nous l’avons dit (loc. cit.) ; le premier homme pouvait parer à cette espèce de
corruption en prenant des aliments. Parmi les causes extérieures qui le
corrompent, l’inégalité de la température semble être une des principales ; par
conséquent une température modérée serait le meilleur moyen d’obvier à ce
second inconvénient. Or, dans le paradis, l’homme eût trouvé tout ce qu’il
fallait pour remédier à cette double cause de corruption. Car, comme le dit
saint Jean Damascène (loc. cit.), il
y avait là un air tempéré, léger et pur, et on y trouvait des plantes toujours
verdoyantes. D’où il est évident que ce lieu avait été parfaitement choisi pour
être la demeure du premier homme dans son état primitif d’immortalité.
Article
3 : L’homme a-t-il été placé dans le paradis pour le travailler et le
garder ?
Objection
N°1. Il semble que l’homme n’ait pas été placé dans le paradis pour y
travailler et le garder. Car ce qui a été la suite du châtiment mérité par le
péché ne devait pas exister dans le paradis sous l’état d’innocence. Or, comme
le dit la Genèse (chap. 3), l’homme a été condamné à travailler la terre en
punition de son péché. Donc l’homme n’a pas été placé dans le paradis pour y
travailler.
Objection N°2.
Il n’est pas nécessaire de garder une chose quand on ne redoute pas une agression
violente. Or, dans le paradis on n’avait pas à craindre d’agression semblable.
Il n’était donc pas nécessaire de le garder.
Objection N°3.
Si l’homme a été placé dans le paradis pour y travailler et le garder, il
semble résulter de là qu’il a été fait pour le paradis et non le paradis pour
lui ; ce qui semble faux. Donc l’homme n’a pas été placé dans le paradis pour y
travailler et le garder.
Mais c’est le
contraire. Car la Genèse dit (chap. 2) : Dieu
prit l’homme et le mit dans le paradis de délices pour y travailler et le
garder.
Conclusion Il a
été convenable que Dieu, après avoir fait l’homme, le mit
dans le paradis pour y travailler et le garder.
Il faut
répondre avec saint Augustin (Sup. Gen. ad litt., liv. 8, chap. 10)
que le texte de la Genèse peut s’entendre en deux sens. Il peut signifier
d’abord que Dieu plaça l’homme dans le paradis pour qu’il travaillât lui-même
et qu’il gardât l’homme. Il l’aurait travaillé en le justifiant ; car du moment
où Dieu cesse d’agir sur l’homme, son âme se couvre de ténèbres, comme le ciel
s’obscurcit aussitôt qu’il ne reçoit plus l’action de la lumière. Il l’aurait
gardé en le préservant de tout mal et de toute corruption (Ce premier sens est
celui que donnent Lyranus et Tostat,
d’après saint Augustin (Sup. Gen. ad litt., liv. 8, chap.
10).). On peut entendre aussi par là que l’homme devait cultiver et garder le
paradis. Ce travail n’aurait pas été pénible comme il le fut après le péché,
mais il aurait été agréable, parce qu’il n’aurait servi à l’homme qu’à faire
l’expérience des forces de la nature. En le gardant il n’avait pas à le
défendre contre l’agression de quelque étranger (Il y a des auteurs qui
prétendent que les bêtes sauvages, quoique soumises à l’homme, avaient besoin
d’être surveillées et réprimées.), mais il devait s’en assurer la possession en
évitant le péché. Tout cela eût été dans l’intérêt de l’homme, et par
conséquent le paradis aurait existé pour son bonheur, et ce ne serait pas
l’homme qui aurait été créé pour le paradis.
La réponse à toutes
les objections est par là même évidente.
Article
4 : L’homme a-t-il été créé dans le paradis ?
Objection
N°1. Il semble que l’homme ait été créé dans le paradis. Or, l’ange a été créé
dans le lieu qu’il habite, c’est-à-dire dans le ciel empyrée. Car le paradis
était un lieu très propre à l’habitation de l’homme avant le péché. Il semble
donc que l’homme ait dû être créé dans le paradis.
Réponse à
l’objection N°1 : Le ciel empyrée est un lieu qui convient aux anges par
rapport à leur nature. C’est pourquoi ils y ont été créés.
Objection N°2.
Les autres animaux vivent dans le lieu où ils ont été engendrés. Ainsi les
poissons vivent dans les eaux, et les animaux qui marchent vivent sur la terre
d’où ils ont été formés. Or, l’homme aurait vécu dans le paradis, comme nous
l’avons dit (quest. 97, art. 4). Il a donc dû être créé dans ce lieu.
Réponse à
l’objection N°2 : Il faut faire la même réponse que pour la première
objection. Car ces lieux conviennent aux animaux selon leur nature.
Objection N°3.
La femme a été créée dans le paradis. Or, l’homme est plus noble que la femme.
Donc à plus forte raison l’homme a-t-il dû être créé dans le paradis.
Réponse à
l’objection N°3 : Si la femme a été créée dans le paradis ce n’est pas en
raison de sa noblesse, mais à cause de la dignité du principe d’où elle est
sortie. Pour la même raison les enfants seraient nés dans le paradis où leurs
pères avaient été placés (Saint Ambroise fait la même réflexion (De Parad., chap. 14), et il montre que
le lieu de la naissance n’aurait eu aucune influence sur la dignité et la
noblesse de ceux qui devaient naître.).
Mais c’est le
contraire. Car il est dit dans la Genèse (2, 15) : Dieu prit l’homme et le plaça dans le paradis.
Conclusion
L’homme a été créé hors du paradis, la grâce de Dieu l’y a ensuite transporté,
et il aurait dû passer de là dans le ciel après avoir été spiritualisé.
Il faut répondre que le paradis était un
lieu qui convenait à l’homme pour y habiter en raison de l’immortalité dont il
jouissait dans son état primitif. Car cette immortalité n’était pas dans
l’homme une conséquence de sa nature, mais c’était l’effet d’un don surnaturel
de Dieu. Par conséquent, pour qu’on rapportât cet attribut à la grâce de Dieu
et non à la nature humaine, Dieu créa l’homme hors du paradis, il l’y plaça
ensuite pour y passer tout le temps que durerait sa vie animale, et il devait
le faire monter au ciel aussitôt qu’il serait parvenu à la vie spirituelle.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de
l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec
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