Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
1a = Prima Pars =
Première Partie
Question 106 : Comment
une créature agit sur une autre et d’abord de l’illumination des anges
Après
avoir parlé de l’action de Dieu sur les créatures, nous avons à examiner comment
une créature agit sur une autre. Cette question générale doit être divisée en
trois parties de telle sorte que nous considérions dans la première l’action
des anges qui sont des créatures purement spirituelles ; dans la seconde
l’action des corps ; dans la troisième celle des hommes qui sont composés d’un
corps et d’une âme. — A l’égard des anges il y a trois choses à approfondir :
1° comment un ange agit-il sur un autre ? 2° comment agit-il sur les corps ? 3°
quelle action exerce-t-il sur les hommes ? — Touchant les rapports que les
anges ont entre eux il faut examiner comment ils s’éclairent, comment ils se
parlent et quelles relations existent entre les bons et les méchants. — Pour
savoir comment ils s’éclairent quatre questions sont à faire : 1° Un ange
meut-il l’intellect d’un autre en l’éclairant ? (L’Ecriture
nous montre dans plusieurs endroits qu’un ange en éclaire un autre : l’ange qui parlait en moi sortit, et un
autre ange vint à sa rencontre (Zach., 2, 3) : Je vis
un autre ange qui montait, etc. (Apoc., 7, 2).) —
2° L’un meut-il la volonté de l’autre ? (Comme toutes les créatures
intelligentes et raisonnables sont libres et qu’elles ont par là même la
responsabilité de leurs actes, il n’y a que Dieu, qui est la justice et la
bonté même, qui puisse exercer une influence
souveraine sur leur volonté. Une créature ne peut agir sur la volonté d’une
autre créature que par la persuasion.) — 3° Un ange inférieur peut-il éclairer
celui qui est au-dessus de lui ? (Saint Thomas se prononce pour la négative, parce
que dans le sentiment contraire il ne serait pas possible de comprendre les
hiérarchies célestes.) — 4° L’ange supérieur communique-t-il aux inférieurs la
connaissance de tout ce qu’il sait ? (Sous le règne de la charité, l’égoïsme
n’existe plus ; c’est à ce point de vue que saint Thomas se place pour résoudre
ces questions si difficiles, et c’est aussi ce qui donne à ses solutions tant
de gravité et d’importance.)
Article
1 : Un ange en éclaire-t-il un autre ?
Objection
N°1. Il semble qu’un ange n’en éclaire pas un autre. Car les anges possèdent la
béatitude que nous espérons avoir dans l’éternité. Or, dans l’autre monde un
homme n’en éclairera pas un autre, d’après ces paroles du prophète (Jer., 31, 34) : L’homme
n’enseignera plus alors son prochain et son frère. Donc un ange n’en
éclaire pas maintenant un autre.
Réponse à
l’objection N°1 : Les anges supérieurs aussi bien que les anges inférieurs
voient l’essence de Dieu et sous ce rapport l’un n’enseigne pas l’autre. C’est
dans ce sens que le prophète dit : L’homme
n’enseignera pas son frère en disant : Connais le Seigneur. Car tous le
connaîtront depuis le plus petit jusqu’au plus grand. Or, Dieu connaît en
lui-même toutes les raisons de ses œuvres (Il s’agit ici tout particulièrement
des opérations libres que Dieu peut ne pas faire, et qui dépendent de sa
volonté sans découler nécessairement de son essence. C’est pourquoi on peut
voir son essence sans connaître les raisons de ces choses.) qui
existent en lui comme dans leur cause, mais les êtres qui voient son essence ne
les connaissent qu’en raison de la perfection avec laquelle ils la voient. Par
conséquent un ange supérieur connaît mieux qu’un inférieur les raisons qui font
agir Dieu, et il l’éclaire à ce sujet. C’est ce qui fait dire à saint Denis (De div. nom., chap. 4) que les anges sont
éclairés sur les raisons des choses qui existent.
Objection N°2.
Il y a dans les anges trois sortes de lumières : la lumière de la nature, celle
de la grâce et celle de la gloire. Or, l’ange reçoit la lumière de la nature de
celui qui le crée, la lumière de la grâce de celui qui le justifie, et la
lumière de la gloire de celui qui le béatifie ; c’est-à-dire que toutes les
lumières qu’il reçoit lui viennent de Dieu. Donc un ange n’en éclaire pas un
autre.
Réponse à
l’objection N°2 : Un ange n’en éclaire pas un autre en lui communiquant la
lumière de la nature, ou de la grâce, ou de la gloire, mais en fortifiant sa
lumière naturelle, et en lui manifestant la vérité à l’égard des choses qui
concernent l’état de la nature, de la grâce et de la gloire, comme nous l’avons
dit (dans le corps de l’article.).
Objection N°3.
La lumière est une forme de l’esprit. Or, il n’y a que Dieu qui donne à la
créature raisonnable sa forme, et il le fait sans l’intermédiaire d’aucune
créature, comme le dit saint Augustin (Quaest., liv. 83, quest. 51). Donc un ange n’éclaire pas
l’intelligence d’un autre ange.
Réponse à
l’objection N°3 : La créature raisonnable reçoit de Dieu immédiatement sa
forme, comme l’image la reçoit du type qu’elle reproduit, parce que les êtres
raisonnables n’ont pas été faits à l’image d’un autre que de Dieu, ou comme le
sujet le reçoit de l’être qui le complète, parce que l’esprit de la créature
est toujours considéré comme informe tant qu’il ne s’attache pas à la vérité
première. Mais les lumières qui viennent de l’homme ou de l’ange sont en
quelque sorte des dispositions ou des préparations à la forme dernière que doit
revêtir celui qui les reçoit (C’est-à-dire qu’elles sont une disposition à la
connaissance parfaite de la vérité, qui ne peut venir que de Dieu.).
Mais c’est le
contraire. Car saint Denis dit (De cæl. hier.,
chap. 8) que les anges du second ordre sont purifiés, éclairés et perfectionnés
par les anges du premier ordre.
Conclusion Un
ange en éclaire un autre dans le sens qu’il lui fait connaitre
la vérité qu’il sait lui-même, soit en fortifiant son intellect, soit au moyen
de l’espèce ou de la ressemblance des choses qu’il comprend.
Il faut
répondre qu’un ange en éclaire un autre. Pour rendre cette proposition évidente
il faut observer que la lumière selon qu’elle se rapporte à l’intellect n’est
rien autre chose qu’une manifestation de la vérité, suivant ces paroles de
saint Paul (Eph.,
5, 13) : Tout ce qui est manifesté est
lumière. Par conséquent, éclairer quelqu’un ce n’est rien autre chose que
de lui manifester la vérité que l’on connaît, d’après ces autres paroles de
l’Apôtre (Eph.,
3, 8) : J’ai reçu, moi, le plus petit
d’entre les saints, la grâce d’éclairer tous les hommes sur l’économie des
mystères que Dieu cachait en lui depuis l’origine des siècles. Quand on dit
qu’un ange en éclaire un autre, on entend donc par là qu’il lui manifeste la
vérité qu’il connaît. C’est la pensée de saint Denis quand il dit (De cæl. hier., chap. 7)
que les théologiens enseignent clairement que les ordres inférieurs des
substances célestes sont instruits des choses divines par les ordres
supérieurs. Or, comme pour comprendre il faut deux choses, ainsi que nous
l’avons dit (quest. préc., art. 3), la faculté qui comprend et l’espèce ou l’image
de l’objet compris un ange peut sous ces deux rapports communiquer à un autre
la vérité qu’il connaît. 1° Il le peut en fortifiant sa faculté intellectuelle.
En effet, comme un corps imparfait prend de la force quand on le place près
d’un corps plus parfait que lui, comme un corps froid s’échauffe en présence
d’un corps chaud, de même l’intelligence d’un ange inférieur se fortifie en se
mettant en rapport avec celle d’un ange supérieur. Car les êtres spirituels en
se tournant les uns vers les autres exercent une action réciproque analogue à
celle qui existe entre deux corps placés l’un à côté de l’autre. 2° Un ange
manifeste à un autre la vérité qu’il connaît au moyen de l’espèce ou de la
ressemblance de l’objet qu’il comprend. Car un ange supérieur connaît la vérité
sous une forme universelle que l’intellect d’un ange inférieur ne serait pas
capable de saisir, parce que sa nature l’oblige à concevoir les choses d’une
manière plus particulière. Alors l’ange supérieur distingue en quelque sorte la
vérité qu’il conçoit universellement pour l’approprier à l’entendement de
l’ange inférieur. Il fait pour lui ce que font pour nous les docteurs qui
connaissent la vérité en grand et qui la divisent en une foule de parties pour
se mettre à la portée de leurs auditeurs. Telle est la pensée de saint Denis
quand il dit (De cœl.
hier., chap. 15) que chaque substance intellectuelle divise avec une
admirable prévoyance la science qu’elle a reçue de Dieu sous une forme unique,
et la communique à tous les anges inférieurs après l’avoir proportionnée à leur
capacité.
Article
2 : Un ange peut-il agir sur la volonté d’un autre ?
Objection
N°1. Il semble qu’un ange puisse agir sur la volonté d’un autre. Car, d’après
saint Denis (loc. cit., art. préc.),
comme un ange en éclaire un autre, de même il le purifie et le perfectionne.
Or, il semble que ce soit à la volonté que se rapporte l’action de purifier et
de perfectionner. Car purifier c’est délivrer un être des souillures que sa
volonté a contractées, et le perfectionner c’est lui faire atteindre la fin qui
est l’objet de la volonté. Donc un ange peut agir sur la volonté d’un autre.
Réponse à
l’objection N°1 : On doit prendre les mots purifier et perfectionner dans
le même sens que le mot éclairer. Et comme Dieu éclaire en agissant sur
l’intellect et la volonté, il purifie ces deux facultés de leurs défauts et il
les perfectionne l’une et l’autre en les menant à leur fin. Or, la lumière que
reçoit l’ange se rapportant à l’intellect, comme nous l’avons dit (art. préc), sa purification s’entend du défaut de l’intellect
qui est l’ignorance, et sa perfection désigne l’élévation de l’intellect à sa
fin qui est la vérité connue. C’est ce qu’exprime saint Denis quand il dit (De hier. cæl.,
chap. 6) que dans la hiérarchie céleste la purification consiste pour les
substances et les essences dans la lumière que Dieu leur envoie à l’égard des
choses qu’ils ignorent. C’est ainsi que nous disons que la vue matérielle est
purifiée quand les ténèbres se retirent ; qu’elle est éclairée quand la lumière
la frappe, et qu’elle arrive à sa perfection quand elle connaît les objets
eux-mêmes (Ainsi ces trois actions ne sont pas distinctes, elles rentrent au
contraire l’une dans l’autre, et elles ne sont séparées que rationnellement.
Denis le Chartreux exprime à ce sujet absolument la même pensée que saint
Thomas (De cæl.
hierarcha, chap. 5).).
Objection N°2.
Saint Denis dit encore (De cæl. hier.,
chap. 7 et chap. 8) que les noms des anges expriment les vertus qui leur sont propres.
Ainsi on donne le nom de séraphins à ceux qui brûlent et qui embrasent ; ce qui
est l’effet de l’amour qui se rapporte à la volonté. Donc un ange agit sur la
volonté d’un autre.
Réponse à
l’objection N°2 : Un ange peut, par la persuasion, en porter un autre à
l’amour de Dieu, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.).
Objection N°3.
Aristote dit (De animâ,
liv. 3, text. 57) que l’appétit supérieur meut
l’appétit inférieur. Or, comme l’intellect d’un ange supérieur est au-dessus de
celui d’un ange inférieur, ainsi il en est de son appétit. Il semble donc qu’il
puisse changer la volonté d’un autre.
Réponse à
l’objection N°3 : Aristote parle de l’appétit sensitif inférieur qui peut
être mû par l’appétit intelligentiel qui lui est
supérieur, parce qu’ils appartiennent l’un et l’autre à la même âme et parce
que l’appétit inférieur est une puissance qui existe dans un organe corporel,
ce qui n’a pas lieu dans les anges.
Mais c’est le
contraire. La justice étant la règle de la volonté, c’est à celui qui justifie
qu’il appartient de changer la volonté. Or, il n’y a que Dieu qui justifie.
Donc un ange ne peut pas changer la volonté d’un autre.
Conclusion
Puisque l’ange n’est pas le bien universel, qu’il ne le manifeste pas et qu’il
n’est pas l’auteur de la nature intellectuelle, il ne peut agir sur la volonté
d’un autre.
Il faut
répondre que, comme nous l’avons dit (quest. préc., art. 4), la volonté
se modifie de deux manières, d’abord sous le rapport de l’objet, ensuite sous
le rapport de la puissance elle-même. — Sous le rapport de l’objet, la volonté
est mue par le bien lui-même qui en est l’objet (comme l’appétit est mû par ce
qu’il souhaite) et par celui qui démontre l’objet en prouvant, par exemple,
qu’une chose est bonne. Mais, selon l’observation que nous avons faite (loc. cit.), tous les autres biens
n’inclinent la volonté que légèrement ; il n’y a que le bien universel,
c’est-à-dire Dieu qui puisse la mouvoir efficacement (Les thomistes s’appuient
sur ce passage pour établir la prémotion physique.).
Il n’y a que lui non plus qui montre le bien aux élus qui le voient dans son
essence. Car Moïse lui ayant dit : Montrez-moi
votre gloire, il lui a répondu : Je
te montrerai tout ce qui est bien (Ex.,
33, 18-19). L’ange ne peut donc agir efficacement sur la volonté ni comme son
objet, ni comme la manifestation de cet objet. Mais il a de l’influence sur
elle, puisqu’il est aimable et que d’ailleurs il peut manifester les qualités
que Dieu dans sa bonté a départies à ses créatures. Il peut ainsi par la
persuasion porter un autre ange à l’amour de la créature ou à l’amour de Dieu.
— Sous le rapport de la volonté elle-même, cette puissance ne peut être mue
absolument que par Dieu. Car l’action de la volonté est l’inclination du sujet
qui veut vers l’objet voulu. Or, il n’y a que celui qui a donné à la créature
la faculté de vouloir qui puisse changer cette inclination, parce que toute
inclination naturelle ne peut être changée que par celui qui peut donner la
puissance dont elle résulte. Comme il n’y a que Dieu qui accorde à la créature
la faculté de vouloir, puisqu’il est seul l’auteur de la nature intellectuelle,
il s’ensuit qu’un ange ne peut agir sur la volonté d’un autre.
Article
3 : Un ange inférieur peut-il éclairer un ange supérieur ?
Objection
N°1. Il semble qu’un ange inférieur puisse éclairer un ange supérieur. Car la
hiérarchie ecclésiastique découle de la hiérarchie céleste et la représente.
C’est pourquoi nous appelons la Jérusalem céleste notre mère. Or, dans l’Eglise
les supérieurs sont éclairés et instruits par les inférieurs, d’après ces
paroles de l’Apôtre (1 Cor., 14, 34)
: Vous pouvez tous prophétiser l’un après
l’autre afin que tous apprennent et que tous exhortent. Donc dans la
hiérarchie céleste les anges supérieurs peuvent être éclairés par les
inférieurs.
Réponse à
l’objection N°1 : La hiérarchie ecclésiastique imite la hiérarchie céleste
sous certains rapports, mais elle n’en reproduit pas absolument l’image. Car
dans la hiérarchie céleste ce qui détermine les rangs c’est uniquement la
distance plus ou moins grande qu’il y a des anges à Dieu. C’est pourquoi ceux
qui sont les plus près de Dieu sont tout à la fois les plus élevés pour le rang
et les plus éclairés pour la science ; c’est ce qui fait que les supérieurs ne
sont jamais éclairés par les inférieurs. Mais dans la hiérarchie ecclésiastique
il arrive quelquefois que ceux qui sont les plus près de Dieu par la sainteté,
sont les derniers pour le rang et ne sont pas éminents pour la science.
D’autres brillent par les connaissances qu’ils ont dans une science et sont
ignorants dans une autre. C’est pour cette raison que les supérieurs peuvent
être instruits par les inférieurs.
Objection N°2.
Comme l’ordre des substances corporelles dépend de la volonté de Dieu, de même
l’ordre des créatures intellectuelles. Or, comme nous l’avons dit (quest. préc.,
art. 6 et 7), Dieu déroge quelquefois à l’ordre des substances corporelles.
Donc il peut aussi quelquefois déroger à l’ordre des substances spirituelles en
éclairant les substances inférieures sans se servir des substances supérieures.
Les anges inférieurs ainsi éclairés peuvent donc illuminer les anges
supérieurs.
Réponse à
l’objection N°2 : Dieu n’a pas pour déroger à l’ordre des esprits la même
raison que pour déroger à l’ordre des corps, comme nous l’avons dit (dans le
corps de l’article.). Par conséquent cet argument n’est pas concluant.
Objection N°3.
Un ange éclaire celui vers lequel il se tourne, comme nous l’avons dit (art. 1).
Or, comme ce mouvement est volontaire, un ange supérieur peut se tourner vers
le dernier des anges sans éclairer les anges intermédiaires. Il peut donc
l’éclairer immédiatement, et celui-ci peut alors éclairer ceux qui sont
au-dessus de lui.
Réponse à
l’objection N°3 : L’ange se tourne en effet par sa volonté vers l’ange
qu’il doit éclairer ; mais sa volonté est toujours soumise à la loi divine qui
a établi la hiérarchie céleste.
Mais c’est le
contraire. Car saint Denis dit (De eccl. hier.,
chap. 5) : Dieu a voulu que ce fût une loi immuable que les inférieurs fussent
élevés à lui par les supérieurs.
Conclusion Un
ordre est soumis à un autre ordre comme une cause est soumise à une autre
cause, et l’ange inférieur ne peut pas par sa puissance naturelle et ordinaire
éclairer un ange qui est au-dessus de lui.
Il faut
répondre que les anges inférieurs n’éclairent jamais les anges supérieurs, mais
ils en sont toujours éclairés. La raison en est que, comme nous l’avons dit
(quest. préc., art. 6), un ordre est compris dans un autre ordre comme
le domaine d’une cause dans celui d’une autre. Par conséquent, comme la cause
inférieure est soumise à la cause supérieure, de même l’ordre inférieur est
assujetti à celui qui est au-dessus de lui. Il n’y a donc pas plus de
répugnance à ce qu’une chose sorte de l’ordre d’une cause inférieure pour
suivre l’impulsion d’une cause supérieure qu’il n’y en a dans les choses
humaines à ce qu’on néglige les ordres du préfet pour obéir à ceux du chef de
l’Etat. C’est ce qui fait que Dieu déroge quelquefois miraculeusement à l’ordre
de la nature matérielle pour que les hommes le connaissent. Mais en dérogeant à
l’ordre auquel les substances spirituelles sont soumises il ne pourrait en
aucun cas se proposer par là d’élever les hommes vers lui, puisque nous ne
voyons pas ce qui se passe parmi les anges (Dans ce cas, le miracle manquerait
de la première condition que nous avons exigée (quest. préc., art. 7) : il ne
serait pas sensible. Et comme saint Thomas veut que tout se rapporte à la
sanctification de l’homme : Omnia propter electos, cette raison
lui paraît suffisante pour nier la possibilité du fait.) comme
ce qui se passe dans le monde sensible. Il ne déroge donc jamais à cet ordre ;
c’est aux anges supérieurs à instruire les anges inférieurs, et ces relations
ne peuvent jamais être interverties.
Article
4 : L’ange supérieur éclaire-t-il l’inférieur sur tout ce qu’il connaît ?
Objection
N°1. Il semble que l’ange supérieur n’éclaire pas l’inférieur sur tout ce qu’il
connaît. Car saint Denis dit (De cœl. hier.,
chap. 12) que les anges supérieurs ont une science plus universelle, tandis que
les inférieurs ont une science plus particulière. Or, une science universelle
comprend plus de choses qu’une science particulière. Donc les anges inférieurs
ne connaissent pas, au moyen de la lumière qu’ils en reçoivent, tout ce que
savent les anges supérieurs.
Réponse à
l’objection N°1 : La science des anges supérieurs est plus universelle,
dans le sens que leur manière de comprendre est plus éminente.
Objection N°2.
Le Maître des sentences dit (Sent. 2, dist. 11) que les anges supérieurs ont
connu depuis le commencement des siècles le mystère de l’incarnation, mais que
les anges inférieurs ne l’ont su que quand il s’est accompli. Il semble par là
qu’il y a eu des anges qui ont demandé parce qu’ils l’ignoraient : Quel est ce roi de gloire ? et que d’autres leur ont répondu comme le sachant bien : Ce roi de gloire est le Seigneur des vertus,
comme le dit saint Denis (De cæl. hier., chap. 7). Or, il n’en aurait pas été ainsi
si les anges supérieurs éclairaient les inférieurs sur tout ce qu’ils
connaissent. Ils ne les éclairent donc pas de la sorte.
Réponse à
l’objection N°2 : Les paroles du Maître des sentences ne signifient pas
que les anges inférieurs aient complètement ignoré le mystère de l’incarnation,
mais qu’ils ne l’ont pas connu aussi parfaitement que les anges supérieurs, et
que leur connaissance s’est ensuite perfectionnée quand ce mystère s’est
accompli.
Objection N°3.
Si les anges supérieurs annoncent aux inférieurs tout ce qu’ils connaissent,
les inférieurs n’ignorent rien de ce que savent les supérieurs. Les supérieurs
n’ont donc plus rien à apprendre aux inférieurs, ce qui semble répugnant. Donc
ils ne leur manifestent pas tout ce qu’ils savent.
Réponse à
l’objection N°3 : Jusqu’au jour du jugement Dieu révélera toujours quelque
chose de nouveau aux anges supérieurs à l’égard de ce qui a rapport à la
disposition du monde et surtout au salut des élus. D’où il résulte que les
anges supérieurs ont toujours de quoi éclairer les
inférieurs.
Mais c’est le
contraire. Saint Grégoire dit (Hom. 34 in Ev.)
que dans la céleste patrie tous les dons, quelque excellents qu’ils soient, ne
sont jamais exclusivement possédés par un seul. Et saint Denis ajoute (De cæl. hier., chap. 15)
que chaque essence céleste communique à celle qui est au-dessous d’elle
l’intelligence qu’elle a reçue de celle qui est au-dessus, comme on le voit
d’ailleurs par le passage que nous avons déjà cité (art. 1).
Conclusion
Puisqu’il est dans la nature du bien de se communiquer aux autres, il faut que
les anges supérieurs qui participent le plus pleinement à la divine bonté
éclairent les inférieurs sur tout ce qu’ils connaissent, mais de telle sorte
cependant que ceux qui sont d’un ordre plus élevé aient toujours une science
plus parfaite.
Il faut répondre que toutes les créatures
participent de la bonté divine en ce qu’elles répandent sur les autres êtres le
bien qu’elles possèdent. Car il est dans la nature du bien de se communiquer
aux autres. De là il arrive que les agents transmettent, autant que possible,
aux autres êtres leur ressemblance. Et plus un agent participe de la bonté
divine, plus il s’efforce de communiquer aux autres, selon son pouvoir, toutes
ses perfections. Aussi l’apôtre saint Pierre dit-il de ceux qui ont déjà reçu
le don de la grâce (1 Pierre, 4, 10),
que chacun doit communiquer aux autres le
don qu’il a reçu, comme de zélés et fidèles dispensateurs de la grâce divine.
Donc à plus forte raison les saints, qui sont en pleine participation de la
bonté de Dieu, communiquent-ils à ceux qui sont au-dessous d’eux tout ce qu’ils
reçoivent. Cependant les anges inférieurs ne peuvent recevoir la science d’une
façon aussi excellente qu’elle existe dans les anges supérieurs. C’est pourquoi
les anges supérieurs sont toujours d’un ordre plus élevé et possèdent une
science plus parfaite que les autres. Ainsi le maître comprend plus
profondément une chose que le disciple auquel il l’enseigne.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de
l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec
l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous
puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au
respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune
évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de
la morale catholique et des lois justes.