Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

1a = Prima Pars = Première Partie

Question 106 : Comment une créature agit sur une autre et d’abord de l’illumination des anges

 

          Après avoir parlé de l’action de Dieu sur les créatures, nous avons à examiner comment une créature agit sur une autre. Cette question générale doit être divisée en trois parties de telle sorte que nous considérions dans la première l’action des anges qui sont des créatures purement spirituelles ; dans la seconde l’action des corps ; dans la troisième celle des hommes qui sont composés d’un corps et d’une âme. — A l’égard des anges il y a trois choses à approfondir : 1° comment un ange agit-il sur un autre ? 2° comment agit-il sur les corps ? 3° quelle action exerce-t-il sur les hommes ? — Touchant les rapports que les anges ont entre eux il faut examiner comment ils s’éclairent, comment ils se parlent et quelles relations existent entre les bons et les méchants. — Pour savoir comment ils s’éclairent quatre questions sont à faire : 1° Un ange meut-il l’intellect d’un autre en l’éclairant ? (L’Ecriture nous montre dans plusieurs endroits qu’un ange en éclaire un autre : l’ange qui parlait en moi sortit, et un autre ange vint à sa rencontre (Zach., 2, 3) : Je vis un autre ange qui montait, etc. (Apoc., 7, 2).) — 2° L’un meut-il la volonté de l’autre ? (Comme toutes les créatures intelligentes et raisonnables sont libres et qu’elles ont par là même la responsabilité de leurs actes, il n’y a que Dieu, qui est la justice et la bonté même, qui puisse exercer une influence souveraine sur leur volonté. Une créature ne peut agir sur la volonté d’une autre créature que par la persuasion.) — 3° Un ange inférieur peut-il éclairer celui qui est au-dessus de lui ? (Saint Thomas se prononce pour la négative, parce que dans le sentiment contraire il ne serait pas possible de comprendre les hiérarchies célestes.) — 4° L’ange supérieur communique-t-il aux inférieurs la connaissance de tout ce qu’il sait ? (Sous le règne de la charité, l’égoïsme n’existe plus ; c’est à ce point de vue que saint Thomas se place pour résoudre ces questions si difficiles, et c’est aussi ce qui donne à ses solutions tant de gravité et d’importance.)

 

Article 1 : Un ange en éclaire-t-il un autre ?

 

          Objection N°1. Il semble qu’un ange n’en éclaire pas un autre. Car les anges possèdent la béatitude que nous espérons avoir dans l’éternité. Or, dans l’autre monde un homme n’en éclairera pas un autre, d’après ces paroles du prophète (Jer., 31, 34) : L’homme n’enseignera plus alors son prochain et son frère. Donc un ange n’en éclaire pas maintenant un autre.

Réponse à l’objection N°1 : Les anges supérieurs aussi bien que les anges inférieurs voient l’essence de Dieu et sous ce rapport l’un n’enseigne pas l’autre. C’est dans ce sens que le prophète dit : L’homme n’enseignera pas son frère en disant : Connais le Seigneur. Car tous le connaîtront depuis le plus petit jusqu’au plus grand. Or, Dieu connaît en lui-même toutes les raisons de ses œuvres (Il s’agit ici tout particulièrement des opérations libres que Dieu peut ne pas faire, et qui dépendent de sa volonté sans découler nécessairement de son essence. C’est pourquoi on peut voir son essence sans connaître les raisons de ces choses.) qui existent en lui comme dans leur cause, mais les êtres qui voient son essence ne les connaissent qu’en raison de la perfection avec laquelle ils la voient. Par conséquent un ange supérieur connaît mieux qu’un inférieur les raisons qui font agir Dieu, et il l’éclaire à ce sujet. C’est ce qui fait dire à saint Denis (De div. nom., chap. 4) que les anges sont éclairés sur les raisons des choses qui existent.

 

Objection N°2. Il y a dans les anges trois sortes de lumières : la lumière de la nature, celle de la grâce et celle de la gloire. Or, l’ange reçoit la lumière de la nature de celui qui le crée, la lumière de la grâce de celui qui le justifie, et la lumière de la gloire de celui qui le béatifie ; c’est-à-dire que toutes les lumières qu’il reçoit lui viennent de Dieu. Donc un ange n’en éclaire pas un autre.

Réponse à l’objection N°2 : Un ange n’en éclaire pas un autre en lui communiquant la lumière de la nature, ou de la grâce, ou de la gloire, mais en fortifiant sa lumière naturelle, et en lui manifestant la vérité à l’égard des choses qui concernent l’état de la nature, de la grâce et de la gloire, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.).

 

Objection N°3. La lumière est une forme de l’esprit. Or, il n’y a que Dieu qui donne à la créature raisonnable sa forme, et il le fait sans l’intermédiaire d’aucune créature, comme le dit saint Augustin (Quaest., liv. 83, quest. 51). Donc un ange n’éclaire pas l’intelligence d’un autre ange.

Réponse à l’objection N°3 : La créature raisonnable reçoit de Dieu immédiatement sa forme, comme l’image la reçoit du type qu’elle reproduit, parce que les êtres raisonnables n’ont pas été faits à l’image d’un autre que de Dieu, ou comme le sujet le reçoit de l’être qui le complète, parce que l’esprit de la créature est toujours considéré comme informe tant qu’il ne s’attache pas à la vérité première. Mais les lumières qui viennent de l’homme ou de l’ange sont en quelque sorte des dispositions ou des préparations à la forme dernière que doit revêtir celui qui les reçoit (C’est-à-dire qu’elles sont une disposition à la connaissance parfaite de la vérité, qui ne peut venir que de Dieu.).

 

Mais c’est le contraire. Car saint Denis dit (De cæl. hier., chap. 8) que les anges du second ordre sont purifiés, éclairés et perfectionnés par les anges du premier ordre.

 

Conclusion Un ange en éclaire un autre dans le sens qu’il lui fait connaitre la vérité qu’il sait lui-même, soit en fortifiant son intellect, soit au moyen de l’espèce ou de la ressemblance des choses qu’il comprend.

Il faut répondre qu’un ange en éclaire un autre. Pour rendre cette proposition évidente il faut observer que la lumière selon qu’elle se rapporte à l’intellect n’est rien autre chose qu’une manifestation de la vérité, suivant ces paroles de saint Paul (Eph., 5, 13) : Tout ce qui est manifesté est lumière. Par conséquent, éclairer quelqu’un ce n’est rien autre chose que de lui manifester la vérité que l’on connaît, d’après ces autres paroles de l’Apôtre (Eph., 3, 8) : J’ai reçu, moi, le plus petit d’entre les saints, la grâce d’éclairer tous les hommes sur l’économie des mystères que Dieu cachait en lui depuis l’origine des siècles. Quand on dit qu’un ange en éclaire un autre, on entend donc par là qu’il lui manifeste la vérité qu’il connaît. C’est la pensée de saint Denis quand il dit (De cæl. hier., chap. 7) que les théologiens enseignent clairement que les ordres inférieurs des substances célestes sont instruits des choses divines par les ordres supérieurs. Or, comme pour comprendre il faut deux choses, ainsi que nous l’avons dit (quest. préc., art. 3), la faculté qui comprend et l’espèce ou l’image de l’objet compris un ange peut sous ces deux rapports communiquer à un autre la vérité qu’il connaît. 1° Il le peut en fortifiant sa faculté intellectuelle. En effet, comme un corps imparfait prend de la force quand on le place près d’un corps plus parfait que lui, comme un corps froid s’échauffe en présence d’un corps chaud, de même l’intelligence d’un ange inférieur se fortifie en se mettant en rapport avec celle d’un ange supérieur. Car les êtres spirituels en se tournant les uns vers les autres exercent une action réciproque analogue à celle qui existe entre deux corps placés l’un à côté de l’autre. 2° Un ange manifeste à un autre la vérité qu’il connaît au moyen de l’espèce ou de la ressemblance de l’objet qu’il comprend. Car un ange supérieur connaît la vérité sous une forme universelle que l’intellect d’un ange inférieur ne serait pas capable de saisir, parce que sa nature l’oblige à concevoir les choses d’une manière plus particulière. Alors l’ange supérieur distingue en quelque sorte la vérité qu’il conçoit universellement pour l’approprier à l’entendement de l’ange inférieur. Il fait pour lui ce que font pour nous les docteurs qui connaissent la vérité en grand et qui la divisent en une foule de parties pour se mettre à la portée de leurs auditeurs. Telle est la pensée de saint Denis quand il dit (De cœl. hier., chap. 15) que chaque substance intellectuelle divise avec une admirable prévoyance la science qu’elle a reçue de Dieu sous une forme unique, et la communique à tous les anges inférieurs après l’avoir proportionnée à leur capacité.

 

Article 2 : Un ange peut-il agir sur la volonté d’un autre ?

 

          Objection N°1. Il semble qu’un ange puisse agir sur la volonté d’un autre. Car, d’après saint Denis (loc. cit., art. préc.), comme un ange en éclaire un autre, de même il le purifie et le perfectionne. Or, il semble que ce soit à la volonté que se rapporte l’action de purifier et de perfectionner. Car purifier c’est délivrer un être des souillures que sa volonté a contractées, et le perfectionner c’est lui faire atteindre la fin qui est l’objet de la volonté. Donc un ange peut agir sur la volonté d’un autre.

Réponse à l’objection N°1 : On doit prendre les mots purifier et perfectionner dans le même sens que le mot éclairer. Et comme Dieu éclaire en agissant sur l’intellect et la volonté, il purifie ces deux facultés de leurs défauts et il les perfectionne l’une et l’autre en les menant à leur fin. Or, la lumière que reçoit l’ange se rapportant à l’intellect, comme nous l’avons dit (art. préc), sa purification s’entend du défaut de l’intellect qui est l’ignorance, et sa perfection désigne l’élévation de l’intellect à sa fin qui est la vérité connue. C’est ce qu’exprime saint Denis quand il dit (De hier. cæl., chap. 6) que dans la hiérarchie céleste la purification consiste pour les substances et les essences dans la lumière que Dieu leur envoie à l’égard des choses qu’ils ignorent. C’est ainsi que nous disons que la vue matérielle est purifiée quand les ténèbres se retirent ; qu’elle est éclairée quand la lumière la frappe, et qu’elle arrive à sa perfection quand elle connaît les objets eux-mêmes (Ainsi ces trois actions ne sont pas distinctes, elles rentrent au contraire l’une dans l’autre, et elles ne sont séparées que rationnellement. Denis le Chartreux exprime à ce sujet absolument la même pensée que saint Thomas (De cæl. hierarcha, chap. 5).).

 

Objection N°2. Saint Denis dit encore (De cæl. hier., chap. 7 et chap. 8) que les noms des anges expriment les vertus qui leur sont propres. Ainsi on donne le nom de séraphins à ceux qui brûlent et qui embrasent ; ce qui est l’effet de l’amour qui se rapporte à la volonté. Donc un ange agit sur la volonté d’un autre.

Réponse à l’objection N°2 : Un ange peut, par la persuasion, en porter un autre à l’amour de Dieu, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.).

 

Objection N°3. Aristote dit (De animâ, liv. 3, text. 57) que l’appétit supérieur meut l’appétit inférieur. Or, comme l’intellect d’un ange supérieur est au-dessus de celui d’un ange inférieur, ainsi il en est de son appétit. Il semble donc qu’il puisse changer la volonté d’un autre.

Réponse à l’objection N°3 : Aristote parle de l’appétit sensitif inférieur qui peut être mû par l’appétit intelligentiel qui lui est supérieur, parce qu’ils appartiennent l’un et l’autre à la même âme et parce que l’appétit inférieur est une puissance qui existe dans un organe corporel, ce qui n’a pas lieu dans les anges.

 

Mais c’est le contraire. La justice étant la règle de la volonté, c’est à celui qui justifie qu’il appartient de changer la volonté. Or, il n’y a que Dieu qui justifie. Donc un ange ne peut pas changer la volonté d’un autre.

 

Conclusion Puisque l’ange n’est pas le bien universel, qu’il ne le manifeste pas et qu’il n’est pas l’auteur de la nature intellectuelle, il ne peut agir sur la volonté d’un autre.

Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (quest. préc., art. 4), la volonté se modifie de deux manières, d’abord sous le rapport de l’objet, ensuite sous le rapport de la puissance elle-même. — Sous le rapport de l’objet, la volonté est mue par le bien lui-même qui en est l’objet (comme l’appétit est mû par ce qu’il souhaite) et par celui qui démontre l’objet en prouvant, par exemple, qu’une chose est bonne. Mais, selon l’observation que nous avons faite (loc. cit.), tous les autres biens n’inclinent la volonté que légèrement ; il n’y a que le bien universel, c’est-à-dire Dieu qui puisse la mouvoir efficacement (Les thomistes s’appuient sur ce passage pour établir la prémotion physique.). Il n’y a que lui non plus qui montre le bien aux élus qui le voient dans son essence. Car Moïse lui ayant dit : Montrez-moi votre gloire, il lui a répondu : Je te montrerai tout ce qui est bien (Ex., 33, 18-19). L’ange ne peut donc agir efficacement sur la volonté ni comme son objet, ni comme la manifestation de cet objet. Mais il a de l’influence sur elle, puisqu’il est aimable et que d’ailleurs il peut manifester les qualités que Dieu dans sa bonté a départies à ses créatures. Il peut ainsi par la persuasion porter un autre ange à l’amour de la créature ou à l’amour de Dieu. — Sous le rapport de la volonté elle-même, cette puissance ne peut être mue absolument que par Dieu. Car l’action de la volonté est l’inclination du sujet qui veut vers l’objet voulu. Or, il n’y a que celui qui a donné à la créature la faculté de vouloir qui puisse changer cette inclination, parce que toute inclination naturelle ne peut être changée que par celui qui peut donner la puissance dont elle résulte. Comme il n’y a que Dieu qui accorde à la créature la faculté de vouloir, puisqu’il est seul l’auteur de la nature intellectuelle, il s’ensuit qu’un ange ne peut agir sur la volonté d’un autre.

 

Article 3 : Un ange inférieur peut-il éclairer un ange supérieur ?

 

          Objection N°1. Il semble qu’un ange inférieur puisse éclairer un ange supérieur. Car la hiérarchie ecclésiastique découle de la hiérarchie céleste et la représente. C’est pourquoi nous appelons la Jérusalem céleste notre mère. Or, dans l’Eglise les supérieurs sont éclairés et instruits par les inférieurs, d’après ces paroles de l’Apôtre (1 Cor., 14, 34) : Vous pouvez tous prophétiser l’un après l’autre afin que tous apprennent et que tous exhortent. Donc dans la hiérarchie céleste les anges supérieurs peuvent être éclairés par les inférieurs.

Réponse à l’objection N°1 : La hiérarchie ecclésiastique imite la hiérarchie céleste sous certains rapports, mais elle n’en reproduit pas absolument l’image. Car dans la hiérarchie céleste ce qui détermine les rangs c’est uniquement la distance plus ou moins grande qu’il y a des anges à Dieu. C’est pourquoi ceux qui sont les plus près de Dieu sont tout à la fois les plus élevés pour le rang et les plus éclairés pour la science ; c’est ce qui fait que les supérieurs ne sont jamais éclairés par les inférieurs. Mais dans la hiérarchie ecclésiastique il arrive quelquefois que ceux qui sont les plus près de Dieu par la sainteté, sont les derniers pour le rang et ne sont pas éminents pour la science. D’autres brillent par les connaissances qu’ils ont dans une science et sont ignorants dans une autre. C’est pour cette raison que les supérieurs peuvent être instruits par les inférieurs.

 

Objection N°2. Comme l’ordre des substances corporelles dépend de la volonté de Dieu, de même l’ordre des créatures intellectuelles. Or, comme nous l’avons dit (quest. préc., art. 6 et 7), Dieu déroge quelquefois à l’ordre des substances corporelles. Donc il peut aussi quelquefois déroger à l’ordre des substances spirituelles en éclairant les substances inférieures sans se servir des substances supérieures. Les anges inférieurs ainsi éclairés peuvent donc illuminer les anges supérieurs.

Réponse à l’objection N°2 : Dieu n’a pas pour déroger à l’ordre des esprits la même raison que pour déroger à l’ordre des corps, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.). Par conséquent cet argument n’est pas concluant.

 

Objection N°3. Un ange éclaire celui vers lequel il se tourne, comme nous l’avons dit (art. 1). Or, comme ce mouvement est volontaire, un ange supérieur peut se tourner vers le dernier des anges sans éclairer les anges intermédiaires. Il peut donc l’éclairer immédiatement, et celui-ci peut alors éclairer ceux qui sont au-dessus de lui.

Réponse à l’objection N°3 : L’ange se tourne en effet par sa volonté vers l’ange qu’il doit éclairer ; mais sa volonté est toujours soumise à la loi divine qui a établi la hiérarchie céleste.

 

Mais c’est le contraire. Car saint Denis dit (De eccl. hier., chap. 5) : Dieu a voulu que ce fût une loi immuable que les inférieurs fussent élevés à lui par les supérieurs.

 

Conclusion Un ordre est soumis à un autre ordre comme une cause est soumise à une autre cause, et l’ange inférieur ne peut pas par sa puissance naturelle et ordinaire éclairer un ange qui est au-dessus de lui.

Il faut répondre que les anges inférieurs n’éclairent jamais les anges supérieurs, mais ils en sont toujours éclairés. La raison en est que, comme nous l’avons dit (quest. préc., art. 6), un ordre est compris dans un autre ordre comme le domaine d’une cause dans celui d’une autre. Par conséquent, comme la cause inférieure est soumise à la cause supérieure, de même l’ordre inférieur est assujetti à celui qui est au-dessus de lui. Il n’y a donc pas plus de répugnance à ce qu’une chose sorte de l’ordre d’une cause inférieure pour suivre l’impulsion d’une cause supérieure qu’il n’y en a dans les choses humaines à ce qu’on néglige les ordres du préfet pour obéir à ceux du chef de l’Etat. C’est ce qui fait que Dieu déroge quelquefois miraculeusement à l’ordre de la nature matérielle pour que les hommes le connaissent. Mais en dérogeant à l’ordre auquel les substances spirituelles sont soumises il ne pourrait en aucun cas se proposer par là d’élever les hommes vers lui, puisque nous ne voyons pas ce qui se passe parmi les anges (Dans ce cas, le miracle manquerait de la première condition que nous avons exigée (quest. préc., art. 7) : il ne serait pas sensible. Et comme saint Thomas veut que tout se rapporte à la sanctification de l’homme : Omnia propter electos, cette raison lui paraît suffisante pour nier la possibilité du fait.) comme ce qui se passe dans le monde sensible. Il ne déroge donc jamais à cet ordre ; c’est aux anges supérieurs à instruire les anges inférieurs, et ces relations ne peuvent jamais être interverties.

 

Article 4 : L’ange supérieur éclaire-t-il l’inférieur sur tout ce qu’il connaît ?

 

          Objection N°1. Il semble que l’ange supérieur n’éclaire pas l’inférieur sur tout ce qu’il connaît. Car saint Denis dit (De cœl. hier., chap. 12) que les anges supérieurs ont une science plus universelle, tandis que les inférieurs ont une science plus particulière. Or, une science universelle comprend plus de choses qu’une science particulière. Donc les anges inférieurs ne connaissent pas, au moyen de la lumière qu’ils en reçoivent, tout ce que savent les anges supérieurs.

Réponse à l’objection N°1 : La science des anges supérieurs est plus universelle, dans le sens que leur manière de comprendre est plus éminente.

 

Objection N°2. Le Maître des sentences dit (Sent. 2, dist. 11) que les anges supérieurs ont connu depuis le commencement des siècles le mystère de l’incarnation, mais que les anges inférieurs ne l’ont su que quand il s’est accompli. Il semble par là qu’il y a eu des anges qui ont demandé parce qu’ils l’ignoraient : Quel est ce roi de gloire ? et que d’autres leur ont répondu comme le sachant bien : Ce roi de gloire est le Seigneur des vertus, comme le dit saint Denis (De cæl. hier., chap. 7). Or, il n’en aurait pas été ainsi si les anges supérieurs éclairaient les inférieurs sur tout ce qu’ils connaissent. Ils ne les éclairent donc pas de la sorte.

Réponse à l’objection N°2 : Les paroles du Maître des sentences ne signifient pas que les anges inférieurs aient complètement ignoré le mystère de l’incarnation, mais qu’ils ne l’ont pas connu aussi parfaitement que les anges supérieurs, et que leur connaissance s’est ensuite perfectionnée quand ce mystère s’est accompli.

 

Objection N°3. Si les anges supérieurs annoncent aux inférieurs tout ce qu’ils connaissent, les inférieurs n’ignorent rien de ce que savent les supérieurs. Les supérieurs n’ont donc plus rien à apprendre aux inférieurs, ce qui semble répugnant. Donc ils ne leur manifestent pas tout ce qu’ils savent.

Réponse à l’objection N°3 : Jusqu’au jour du jugement Dieu révélera toujours quelque chose de nouveau aux anges supérieurs à l’égard de ce qui a rapport à la disposition du monde et surtout au salut des élus. D’où il résulte que les anges supérieurs ont toujours de quoi éclairer les inférieurs.

 

Mais c’est le contraire. Saint Grégoire dit (Hom. 34 in Ev.) que dans la céleste patrie tous les dons, quelque excellents qu’ils soient, ne sont jamais exclusivement possédés par un seul. Et saint Denis ajoute (De cæl. hier., chap. 15) que chaque essence céleste communique à celle qui est au-dessous d’elle l’intelligence qu’elle a reçue de celle qui est au-dessus, comme on le voit d’ailleurs par le passage que nous avons déjà cité (art. 1).

 

Conclusion Puisqu’il est dans la nature du bien de se communiquer aux autres, il faut que les anges supérieurs qui participent le plus pleinement à la divine bonté éclairent les inférieurs sur tout ce qu’ils connaissent, mais de telle sorte cependant que ceux qui sont d’un ordre plus élevé aient toujours une science plus parfaite.

Il faut répondre que toutes les créatures participent de la bonté divine en ce qu’elles répandent sur les autres êtres le bien qu’elles possèdent. Car il est dans la nature du bien de se communiquer aux autres. De là il arrive que les agents transmettent, autant que possible, aux autres êtres leur ressemblance. Et plus un agent participe de la bonté divine, plus il s’efforce de communiquer aux autres, selon son pouvoir, toutes ses perfections. Aussi l’apôtre saint Pierre dit-il de ceux qui ont déjà reçu le don de la grâce (1 Pierre, 4, 10), que chacun doit communiquer aux autres le don qu’il a reçu, comme de zélés et fidèles dispensateurs de la grâce divine. Donc à plus forte raison les saints, qui sont en pleine participation de la bonté de Dieu, communiquent-ils à ceux qui sont au-dessous d’eux tout ce qu’ils reçoivent. Cependant les anges inférieurs ne peuvent recevoir la science d’une façon aussi excellente qu’elle existe dans les anges supérieurs. C’est pourquoi les anges supérieurs sont toujours d’un ordre plus élevé et possèdent une science plus parfaite que les autres. Ainsi le maître comprend plus profondément une chose que le disciple auquel il l’enseigne.

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.