Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
1a = Prima Pars =
Première Partie
Question 107 : Du
langage des anges
Nous
avons ensuite à examiner le langage des anges. — A cet égard cinq questions se
présentent : 1° Un ange parle-t-il à un autre ? (Théodore de Bèze s’est moqué
dans son commentaire sur saint Paul de ceux qui n’ont pas vu dans l’expression
de l’Apôtre une simple hyperbole, et qui ont disserté sur la langue des anges.
Mais rien n’est plus téméraire que cette assertion, puisque tous les Pères ont été
du sentiment de saint Thomas. Saint Chrysostome, Théophilacte,
Théodoret, saint Basile, ont tous pris l’expression
de saint Paul dans son sens propre.) — 2° L’inférieur parle-t-il au supérieur ?
(Cet article fait parfaitement ressortir la différence qu’il y a entre la
parole de l’ange et son illumination.) — 3° L’ange parle-t-il à Dieu ? (D’après
l’Ecriture, les anges parlent à Dieu pour le louer : Leurs anges, dans les cieux, voient sans cesse la
face de mon Père (Matth., 18, 10) ; que les anges désirent contempler à fond
(1 Pierre, 1, 12). Ils lui parlent aussi pour le consulter : indépendamment du
texte de Zacharie cité par saint Thomas, voyez, au commencement du livre de
Job, le discours que Satan adresse à Dieu.) — 4° La distance locale fait-elle quelque
chose au langage des anges ? (Il y a des théologiens qui soutiennent sur ce
point un sentiment opposé à celui de saint Thomas, se fondant tout
particulièrement sur ces paroles du prophète (Zach.,
2, 3) : Et voici, l’ange qui parlait en
moi sortit ; et un autre ange vint à sa rencontre, et lui dit :
Cours, parle à ce jeune homme, etc.) — 5° Tous les anges connaissent-ils ce
qu’un ange dit à un autre ? (La solution de cette question est une conséquence
évidente de tout ce qui précède. Il n’y a pas de controverse à ce sujet.)
Article
1 : Un ange parle-t-il à un autre ?
Objection
N°1. Il semble qu’un ange ne parle pas à un autre. Car saint Grégoire dit
qu’après la résurrection le corps ne voilera plus les pensées de l’âme, et
l’âme de l’homme ne sera plus cachée aux regards de
ses semblables. L’esprit d’un ange est donc encore beaucoup moins caché à
l’égard des autres anges. Et comme le langage ne sert qu’à manifester les
pensées secrètes de l’intelligence, il s’ensuit qu’il n’est pas nécessaire que
les anges se parlent entre eux.
Réponse à
l’objection N°1 : Les conceptions intérieures de l’esprit sont renfermées
en nous par un double obstacle. 1° Par la volonté elle-même qui peut conserver
intérieurement ce que l’esprit pense ou le manifester au dehors. Et sous ce
rapport personne autre que Dieu ne peut voir ce qui se passe dans l’esprit d’un
autre, d’après ces paroles de l’Apôtre (1
Cor., 2, 11) : Personne ne sait ce
qui se passe dans l’homme, sinon l’esprit qui est en lui. 2° L’esprit de
l’homme est caché à un autre homme parle corps qui l’enveloppe. C’est ce qui
fait que quand la volonté a l’intention de manifester à un autre ce que
l’esprit pense, elle n’y parvient pas immédiatement, mais il faut qu’elle
emploie un signe sensible. C’est la pensée qu’exprime saint Grégoire quand il
dit (Mor.,
liv. 2, chap. 4) : Le corps est comme un mur de séparation qui empêche les
autres de pénétrer dans les secrets de notre cœur. Mais quand nous désirons
nous manifester nous-mêmes, nous sortons par la porte de notre langue pour nous
montrer tels que nous sommes intérieurement. L’ange n’a pas cet obstacle ;
c’est pourquoi les autres anges connaissent ce qu’il pense aussitôt qu’il veut
le leur manifester.
Objection N°2.
Il y a deux sortes de langage, l’un intérieur par lequel on se parle à
soi-même, et l’autre extérieur par lequel on parle à un autre. Le langage
extérieur se produit par quelques signes sensibles, comme la voix, ou par un
mouvement de tête, ou par le moyen d’un membre tel que la langue ou le doigt,
ce qui ne peut avoir lieu chez les anges. Donc un ange ne parle pas à un autre.
Réponse à
l’objection N°2 : Le langage extérieur qui se manifeste par la voix nous
est nécessaire parce que le corps ne permet pas à l’âme de manifester
immédiatement ses pensées. C’est pourquoi il ne convient pas à l’ange ; il n’a
besoin que du langage intérieur qui consiste non seulement dans les conceptions
qu’il forme intérieurement, mais encore en ce que sa volonté les manifeste à
d’autres. Le langage des anges est donc une expression métaphorique qui désigne
la faculté qu’a l’ange de manifester ses pensées.
Objection N°3.
Celui qui parle excite celui qui l’écoute à être attentif à ses paroles. Or, il
ne semble pas qu’un ange en excite un autre à être attentif ; car cela ne se fait
parmi nous qu’au moyen d’un signe sensible. Donc un ange ne parle pas à un
autre.
Réponse à
l’objection N°3 : Relativement aux bons anges qui se voient toujours
naturellement dans le Verbe de Dieu, il ne serait pas nécessaire d’admettre un
excitateur quelconque ; parce que comme l’un voit toujours l’autre, de même il
voit toujours en lui tout ce qui le concerne lui-même. Mais parce que dans
l’état de nature ils pouvaient se parler réciproquement, et que les mauvais
anges peuvent encore se parler actuellement, il faut reconnaître que comme les
sens sont mus par les choses sensibles, de même l’intellect est mû par ce qui
est intelligible. Ainsi donc comme tout signe sensible excite les sens, de même
toute vertu intelligible peut rendre l’esprit de l’ange attentif.
Mais c’est le
contraire. Car saint Paul dit (1 Cor.,
1 3, 1) : Si je parlais la langue
des hommes et des anges.
Conclusion
Puisqu’un ange peut découvrir à un autre les pensées qu’il forme dans son
esprit, par là même que celui qui a une idée peut par sa volonté la manifester
à qui il lui plaît, il est constant qu’un ange parle à un autre ange.
Il faut
répondre que les anges ont une sorte de langage. Mais, comme le dit saint
Grégoire (Mor.,
liv. 2, chap. 4), il faut que notre esprit, s’élevant au-dessus de la langue
corporelle, s’arrête à une sorte de langage intérieur (Théodore de Mopsueste a supposé que le langage des anges était
extérieur et sensible. Cette erreur a été celle de tous les auteurs anciens qui
ont supposé que les anges avaient des corps. Elle est réfutée par Philopon (De mundi creat.,
liv. 1, chap. 22), saint Grégoire de Nysse (Cont. Eunom.,
liv. 12), saint Basile (Hom. 2 in Ps. 28), Didyme (De Spiritu sancto, liv. 2).) sublime et
inconnu. Pour comprendre comment un ange parle à un autre, il faut se rappeler
ce que nous avons dit en traitant des actes et des puissances de l’âme (quest. 82,
art. 4), c’est que la volonté meut l’intellect et le porte à agir. Or, l’objet
intelligible est dans l’intellect de trois manières. 1° Il y est habituellement,
et c’est la mémoire qui le conserve ainsi, comme le dit saint Augustin (De Trin., liv. 10, chap. 7 à 9). 2° Il y
est en acte, c’est-à-dire à l’état de conception. 3° Il y est comme se
rapportant à une autre chose. Il est évident que ce qui fait passer l’objet
intelligible du premier de ces états au second, c’est l’action de la volonté.
D’où il suit que dans la définition de l’habitude on dit qu’une chose
habituelle est celle dont on peut se servir quand on veut. C’est aussi la
volonté qui le fait passer du second état au troisième. Car c’est la volonté
qui rapporte les conceptions de l’esprit à un autre objet, soit que cette
conception serve à faire quelque chose, soit qu’on la manifeste à un autre
individu. Or, quand l’esprit se tourne vers l’objet intelligible qu’il possède
habituellement pour le considérer en acte, c’est à lui-même qu’il parle ; car
on donne aux conceptions de l’esprit le nom de verbe intérieur. Mais par là
même que le concept d’un ange doit être manifesté à un autre par la volonté de
l’ange lui-même, il arrive que l’idée de l’un est
connue de l’autre et que par conséquent l’un parle à l’autre. Car parler à un
autre consiste uniquement à lui manifester l’idée que l’on a (Scot Erigène, un
des commentateurs des œuvres de saint Denis l’Aréopagite, Denis le Chartreux,
Albert le Grand et la plupart des scolastiques, sont sur ce point du sentiment
de saint Thomas.).
Article
2 : Un ange inférieur parle-t-il à un ange supérieur ?
Objection
N°1. Il semble qu’un ange inférieur ne parle pas à un ange supérieur. Car, à
propos de ces paroles de l’Apôtre (1 Cor.,
13, 1) : Si je parlais la langue des
hommes et des anges, la glose dit : que les paroles des anges sont des
lumières par lesquelles les anges supérieurs éclairent les anges inférieurs.
Or, les anges inférieurs n’éclairent jamais les anges supérieurs, comme nous
l’avons dit (quest. préc., art. 3). Donc les anges inférieurs ne parlent pas aux
supérieurs.
Objection N°2.
Nous avons dit plus haut (quest. préc., art. 1)
qu’éclairer n’est rien autre chose que de manifester une chose à un autre, et
manifester une chose à un autre c’est en parler. Donc parler c’est la même
chose qu’éclairer, ce qui nous ramène à la conséquence précédente.
Objection N°3.
Saint Grégoire dit (Mor.,
liv. 2, chap. 4) que Dieu parle aux anges par là même qu’il leur montre les
secrets invisibles de son cœur. Mais c’est précisément en cela que consiste la
communication de sa lumière. Donc toutes les fois que Dieu parle il éclaire.
L’illumination des anges est appelée pour la même raison leur langage, et par
conséquent un ange inférieur ne peut d’aucune manière parler à un ange
supérieur.
Réponse à
l’objection N°3 : Toutes les fois que Dieu parle aux anges il les éclaire,
parce que la volonté de Dieu étant la règle de la vérité, la créature
intelligente se perfectionne et s’éclaire en sachant ce qu’il veut. Mais il
n’en est pas de même de la volonté de l’ange, comme nous l’avons dit (dans le
corps de l’article.).
Mais c’est le
contraire. Car saint Denis dit (De cæl. hier.,
chap. 6 et 7) que c’est aux anges supérieurs que les inférieurs ont dit : Quel est ce roi de gloire ?
Conclusion
Puisqu’un ange inférieur découvre à un ange supérieur ce qu’il a conçu dans son
esprit par l’effet de sa propre volonté, mais non ce qui dépend de la volonté
première, il lui parle, mais il ne l’éclaire pas.
Il faut
répondre que les anges inférieurs peuvent parler aux anges supérieurs. Pour
s’en convaincre jusqu’à l’évidence il faut observer que par rapport aux anges éclairer c’est parler, mais parler n’est
pas toujours éclairer, parce que,
comme nous l’avons dit (art. préc.), quand un ange
parle à un autre il ne fait que lui manifester sa pensée conformément à sa volonté
propre. Or, les pensées ou les conceptions de l’esprit peuvent se rapporter à
un double principe, à Dieu lui-même qui est la vérité première, et à la volonté
de la créature intelligente par laquelle nous pensons actuellement à une chose.
Mais la vérité étant la lumière de l’intellect et Dieu étant la règle de toute
vérité, sa manifestation (La manifestation d’une pensée qui dépend de la vérité
première est une illumination, parce qu’elle a Dieu pour principe.) que
l’esprit perçoit est tout à la fois lumière et parole quand on la considère
comme dépendant de la vérité première. Telles sont ces propositions : Le ciel a été créé par Dieu, ou l’homme est un animal. Mais pour la
manifestation des choses qui dépendent de la volonté de la créature
intelligente, on ne peut pas dire que ce soit une lumière, ce n’est qu’une
parole. Ainsi qu’on dise à un autre : Je
veux apprendre telle chose ; je veux
faire ceci ou cela, il n’y a là rien qui l’éclaire. La raison en est que la
volonté créée n’est ni la lumière, ni la règle de la vérité ; elle n’en est
qu’une participation. C’est pourquoi quand une volonté créée me manifeste ses
intentions elle ne m’éclaire pas. Car il n’importe pas à la perfection de mon
entendement qu’il sache ce que vous voulez ou ce que vous comprenez, mais
seulement ce qui appartient à la vérité éternelle. Or, il est évident que les
anges sont appelés supérieurs ou inférieurs par rapport au principe de la
vérité qui est Dieu. C’est pour cette raison que l’illumination véritable qui
part de ce principe descend des anges supérieurs aux inférieurs. Mais le sujet
qui veut est, par rapport au principe qui est la volonté, le premier et le
dernier (Il est le premier et le dernier principe des choses qu’il veut, de
telle sorte qu’il n’y a que celui à qui il les manifeste qui puisse les
connaître. Ce qui revient à la proposition que saint Thomas a établie plus haut
(quest. 57, art. 4) en démontrant que Dieu seul connaît les pensées des cœurs.).
C’est ce qui fait que la manifestation de ce qui a rapport à la volonté peut
être rapportée par le sujet qui veut à tous les individus qu’il désigne. Par
conséquent les anges supérieurs peuvent parler aux inférieurs et
réciproquement.
La réponse à la
première et à la seconde objection est par là même évidente.
Article
3 : L’ange parle-t-il à Dieu ?
Objection
N°1. Il semble que l’ange ne parle pas à Dieu. Car le langage sert à manifester
à un autre une pensée. Or, l’ange ne peut rien
manifester à Dieu qui sait tout. Donc l’ange ne parle pas à Dieu.
Réponse à
l’objection N°1 : On ne parle pas toujours pour manifester quelque chose à
un autre, mais on lui parle quelquefois pour en obtenir les lumières dont on a
besoin ; c’est ainsi que le disciple demande au maître ce qu’il ignore.
Objection N°2.
Parler c’est rapporter à un autre les conceptions de
son esprit, comme nous l’avons dit (art. 1). Or, l’ange rapporte toujours à
Dieu les conceptions de son esprit. Donc s’il parle à Dieu quelquefois il lui
parle toujours, ce qui peut paraître répugnant puisqu’il parle quelquefois à un
autre ange. Il semble donc qu’un ange ne parle jamais à Dieu.
Réponse à
l’objection N°2 : Les anges adressent toujours à Dieu la parole pour le
louer et l’exalter, mais ils ne le consultent sur les choses qu’ils doivent
faire que quand il se présente des choses nouvelles sur lesquelles ils ont
besoin d’être éclairés.
Mais c’est le
contraire. Car il est dit (Zach., 1, 12) : L’ange répondit à Dieu et dit : Seigneur,
Dieu des armées, jusqu’à quand durera votre colère contre Jérusalem ?
L’ange parle donc à Dieu.
Conclusion Les
anges ne parlent pas à Dieu pour lui manifester quelque chose, mais on dit
qu’ils lui parlent, soit parce qu’ils le consultent sur ce qu’ils doivent
faire, soit parce qu’ils admirent ses perfections infinies.
Il faut
répondre que, comme nous l’avons dit (art. 1), la parole de l’ange n’est que sa
conception ou sa pensée adressée à un autre. Mais il y a deux manières de
rapporter une chose à un autre : 1° On peut la lui communiquer ; c’est ainsi
que dans les choses naturelles l’être actif communique son mouvement à l’être
passif, et que dans l’ordre social le maître communique sa science au disciple.
En ce sens l’ange ne parle point du tout à Dieu, parce que Dieu étant le
principe et l’auteur de toute vérité et de toute volonté, il ne peut rien
recevoir à l’égard de ce qui concerne la vérité elle-même, ni à l’égard de ce
qui dépend de la volonté de la créature. 2° Un être se rapporte à un autre pour
en recevoir quelque chose. Dans les choses naturelles l’être passif se rapporte
de cette manière à l’être actif, et dans l’ordre social le disciple se rapporte
au maître. En ce dernier sens l’ange parle à Dieu, soit en le consultant pour
connaître sa volonté sur ce qu’il doit faire, soit en admirant ses perfections
infinies qui sont toujours pour lui incompréhensibles. C’est le sentiment de
saint Grégoire, qui dit (Mor.,
liv. 2, chap. 4) que les anges parlent à Dieu lorsque, ravis par le spectacle
des merveilles divines, ils expriment leur admiration.
Article
4 : La distance empêche-t-elle les anges de se parler ?
Objection
N°1. Il semble que la distance locale empêche les anges de se parler. Car,
comme le dit saint Jean Damascène (De fid. orth., liv. 2, chap. 3) : L’ange
opère là où il est. Or, la parole est une des opérations de l’ange. Donc
puisque l’ange existe dans un lieu déterminé il semble qu’il ne puisse parler
qu’à une distance quelconque.
Réponse à
l’objection N°1 : Le langage des anges, comme nous l’avons dit (art. 1),
est un langage intérieur qu’un autre perçoit. Il existe donc dans l’ange qui
parle, et par conséquent il est là où est l’ange lui-même. Mais comme la
distance n’empêche pas un ange d’en voir un autre, de même elle ne l’empêche
pas de percevoir ce qui s’adresse à lui, et c’est précisément en cela que
consiste l’intelligence même du langage.
Objection N°2.
Celui qui parle crie, parce que celui qui l’écoute est éloigné. Or, Isaïe dit
des séraphins (Is., chap. 6) que l’un crie vers l’autre. Il semble donc que la distance empêche les
anges de se parler.
Réponse à
l’objection N°2 : Ce cri ne désigne pas l’éclat de la voix qui se fait
entendre en raison de l’éloignement, mais il indique la sublimité des pensées
et des sentiments que l’on exprime, suivant ces paroles de saint Grégoire (Mor., liv. 2, chap. 4) : On crie moins
selon que le désir est moins ardent.
Mais c’est le
contraire. Car, d’après saint Luc (chap. 16), le riche qui était dans l’enfer
parlait à Abraham sans en être empêché par l’éloignement. A plus forte raison
la distance ne doit-elle pas empêcher un ange de parler à un autre.
Conclusion La
distance n’empêche nullement les anges de se parler, puisque leur parole
consiste dans une opération intellectuelle.
Il faut
répondre que le langage des anges n’est qu’une opération purement
intellectuelle, comme nous l’avons vu (art. 1 à 3). Or, l’opération
intellectuelle des anges n’est soumise ni au temps, ni à l’espace. Car notre
opération intellectuelle elle-même échappe à ces deux conditions du moment où
on la dégage des images sensibles qui n’existent pas dans les anges. Comme ce
qui n’est soumis ni au temps, ni à l’espace n’est nullement influencé par la
diversité des époques et par la distance des lieux, il s’ensuit que cette
distance n’empêche pas les anges de se parler entre eux.
Article
5 : Un ange est-il entendu de tous les autres quand il s’adresse à l’un
d’eux ?
Objection
N°1. Il semble que tous les anges connaissent ce que l’un d’eux a dit à un
autre. Car ce qui empêche un homme d’être entendu de tous les autres c’est
qu’ils sont à distance inégale par rapport à lui. Or, la distance n’empêche pas
un ange de parler à un autre, comme nous l’avons dit (art. préc).
Donc tous les anges entendent ce qu’un ange dit à un autre.
Objection N°2.
Tous les anges ont de commun la faculté de comprendre. Si donc la pensée de
l’un est connue de celui auquel il la destine, pour la même raison elle est
aussi connue des autres.
Objection N°3.
L’illumination est une espèce de parole. Or, l’illumination qu’un ange reçoit
d’un autre s’étend à tous, parce que, comme le dit saint Denis (De cæl. hier., chap. 15),
chaque substance céleste communique aux autres l’intelligence qui lui a été
transmise. Donc ce qu’un ange dit à un autre est connu de tous.
Réponse à
l’objection N°3 : L’illumination a pour objet ce qui émane de la règle
première de la vérité, qui est le principe commun de tous les anges ; c’est
pourquoi elle leur est commune à tous. Mais le langage peut avoir pour objet ce
qui se rapporte au principe de la volonté créée qui est propre à chaque ange ;
c’est pourquoi il n’est pas nécessaire que tout ce qu’ils disent leur soit
commun.
Mais c’est le
contraire. Car si un homme peut exclusivement parler à un autre, à plus forte
raison peut-il en être ainsi parmi les anges.
Conclusion
Puisqu’un ange peut adresser les conceptions propres de son esprit à l’un et
non à l’autre, il s’ensuit que l’un peut entendre ce que dit l’autre, sans que
tous l’entendent comme lui.
Il faut
répondre que, comme nous l’avons dit (art. 1), un ange peut manifester à un
autre son idée en la lui adressant directement par un acte de sa volonté. Or,
sa volonté peut faire qu’une chose s’adresse à l’un et non à l’autre ; par
conséquent il peut se faire que la pensée de l’un soit-connue
par un autre sans l’être de tous. Ainsi donc ce n’est pas la distance qui
empêche la parole d’un ange d’être connue de tous les autres, mais c’est sa
volonté qui fait qu’elle ne s’adresse qu’à un seul, comme nous l’avons dit
(art. préc).
La réponse à la première et à la seconde
objection est par là même évidente.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de
l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec
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puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au
respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune
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