Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

1a = Prima Pars = Première Partie

Question 108 : Des hiérarchies et des ordres des anges

 

          Nous avons maintenant à nous occuper des hiérarchies et des ordres des anges. Car nous avons dit (quest. 106, art. 3) que les anges supérieurs éclairent les inférieurs sans qu’il y ait réciprocité. — A cet égard huit questions se présentent : 1° Tous les anges sont-ils de la même hiérarchie ? (Calvin a nié cette distinction des hiérarchies célestes, et s’en est moqué comme d’une invention des théologiens scolastiques (liv. 1 Instit., chap. 14, sect. 4). Mais on ne peut, sans être hérétique, soutenir ce sentiment, qui est ouvertement contraire à l’Ecriture, à l’enseignement unanime des Pères et aux décisions des conciles.) — 2° N’y a-t-il dans une hiérarchie qu’un seul ordre ? (Saint Thomas, dans cet article et les suivants, ne fait qu’exposer la doctrine contenue dans les livres qu’on attribue à saint Denis l’Aréopagite, et dont l’authenticité n’a pas paru douteuse aux écrivains du moyen âge.) — 3° Y a-t-il dans un ordre plusieurs anges ? (L’Ecriture le suppose en nous parlant dans plusieurs endroits de la multitude infinie d’anges qui entourent le trône de Dieu : Mille milliers le servaient (Dan., 7, 10). Il faut admettre une foule d’anges dans chaque ordre, ou multiplier les ordres et les hiérarchies indéfiniment.) — 4° La distinction des hiérarchies et des ordres est-elle fondée sur la nature ? (Origène a erré sur ce point, en enseignant que les hiérarchies et les ordres des anges reposaient sur la diversité de leurs mérites (De princip., liv. l, chap. 6 et 8). Saint Jérôme a modifié son opinion, mais il ne l’a pas absolument rejetée (Voyez son Comment., ad chap. 1, Epist. ad Ephes. et liv. 2 cont. Jovinianum.) Mais les autres Pères sont d’un sentiment opposé.) — 5° Des noms et des propriétés de chaque ordre. (L’Ecriture ne se prononçant pas sur la signification de ces noms, saint Thomas s’est généralement attaché à l’interprétation de saint Denis, qui a, le premier, distingué les ordres et les hiérarchies célestes ; mais tous les Pères n’ont pas accepté ces explications sans les modifier d’aucune manière.) — 6° Du rapport que les ordres ont entre eux (En exposant, à ce sujet, le sentiment de saint Denis et de saint Grégoire, saint Thomas indique le moyen de les concilier.). — 7° Les ordres existeront-ils encore après le jour du jugement ? (Cet article n’est qu’une conséquence de ce qui a été dit précédemment Car saint Thomas avant fait reposer la distinction des ordres et des hiérarchies célestes sur la nature des esprits, cette distinction ne peut être détruite qu’autant que ces esprits seraient anéantis eux-mêmes.) — 8° Les hommes peuvent-ils être unis aux ordres des anges ? (Cet article est l’explication de ces paroles de l’Ecriture : on sera comme les anges de Dieu dans le ciel (Matth., 22, 30) ; ils seront égaux aux anges, étant fils de la résurrection (Luc, 20, 36).)

 

Article 1 : Tous les anges sont-ils de la même hiérarchie ?

 

          Objection N°1. Il semble que tous les anges soient de la même hiérarchie. Car les anges étant les premières d’entre les créatures, il faut reconnaître qu’ils sont soumis à l’ordre le plus admirable. Or, l’ordre qui convient le mieux à une multitude c’est qu’elle n’obéisse qu’à un chef, comme le dit Aristote (Met., liv. 12, in fin. ; Pol., liv. 3, chap. 11 et 12). Une hiérarchie, n’étant rien autre chose qu’une société sainte, il semble que tous les anges ne doivent en former qu’une seule.

Réponse à l’objection N°1 : Solutions : 1. Il faut répondre au premier argument, que cette raison s’appuie sur la principauté considérée par rapport au prince. En ce sens le meilleur est en effet que la multitude n’obéisse qu’à un seul chef, comme le dit Aristote en plusieurs endroits.

 

Objection N°2. Saint Denis dit (De cœl. hier., chap. 3) que la hiérarchie est l’ordre, la science et l’action. Or, tous les anges font partie d’un seul et même ordre par lequel il se rapportent tous à Dieu qu’ils connaissent et qui est la règle de leurs actions. Donc ils ne forment qu’une seule et même hiérarchie.

Réponse à l’objection N°2 : Par rapport à la connaissance de Dieu lui-même tous voient de la même manière, c’est-à-dire par son essence, on ne distingue pas d’hiérarchies dans les anges, mais on en distingue par rapport à la connaissance qu’ils ont des choses créées, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.).

 

Objection N°3. L’organisation sacrée qui reçoit le nom de hiérarchie existe dans les hommes aussi bien que dans les anges. Or, tous les hommes ne forment qu’une seule hiérarchie. Donc aussi les anges.

Réponse à l’objection N°3 : Tous les hommes sont de la même espèce et ils ont tous naturellement la même manière de comprendre, mais il n’en est pas de même des anges. Il n’y a donc pas de parité.

 

Mais c’est le contraire. Car saint Denis distingue lui-même (De cæl. hier., chap. 6) dans les anges trois hiérarchies.

 

Conclusion Considérés par rapport à leur chef unique qui est Dieu, tous les anges et toutes les créatures raisonnables ne forment qu’une seule hiérarchie, mais considérés par rapport à la multitude qui obéit à un chef particulier, les anges ne forment pas entre eux, ni avec les hommes, une seule et même hiérarchie, mais ils en forment trois.

Il faut répondre qu’on appelle hiérarchie une principauté sacrée. Or, le mot principauté comprend deux choses, un prince ou chef et une multitude qui lui soit soumise. Si l’on considère le chef unique qui est Dieu, comme il commande non seulement aux anges, mais encore aux hommes et à toutes les créatures, il n’y aura qu’une seule hiérarchie qui comprendra tout à la fois les anges et tous les êtres raisonnables qui participent aux choses sacrées. C’est en ce sens que saint Augustin dit (De civ. Dei, liv. 12, chap. 1) qu’il y a deux cités ou sociétés, celle des bons anges et des hommes justes et celle des méchants. Mais si l’on considère la principauté sous le rapport de la multitude qui obéit à un prince particulier, il faut donner le nom de principauté à toutes ces multitudes partielles qui sont régies et gouvernées par un seul et même prince qui ne commande qu’à elles. Toutes celles qui ne reçoivent pas les ordres du même chef forment autant de principautés spéciales, comme on distingue dans un même royaume autant de cités différentes qu’il y a de villes qui ont leurs lois et leurs magistrats particuliers. Or, il est évident que les hommes perçoivent les lumières divines d’une autre manière que les anges. Car les anges les perçoivent dans toute leur pureté intelligible, tandis que les hommes les reçoivent sous des images sensibles, comme le dit saint Denis (De cæl. hier., chap. 1) ; c’est pourquoi les anges ne peuvent former avec les hommes une seule et même hiérarchie. D’après le même principe on distingue les anges en trois hiérarchies (Le concile de Latran tenu sous Léon X a reconnu ces trois hiérarchies : Concilii originem à Domino initium et formam sumpsisse satis constat. Nam cùm in principio cælum et terram creasset, cælum ipsum in tres principatus (quos hierarchias vocant) instituit, ac quemlibet principatum ad totidem angelorum choros distinxit.). En effet nous avons dit (quest. 55, art. 3) en traitant de la connaissance des anges, que les anges supérieurs ont une connaissance de la vérité plus universelle que les anges inférieurs. Or, on peut distinguer dans la manière dont ils connaissent la vérité trois degrés, parce que les raisons des choses créées sur lesquelles ils sont éclairés peuvent se considérer sous un triple aspect. 1° Elles peuvent être considérées selon qu’elles émanent du premier principe universel qui est Dieu. C’est ainsi que les perçoit la première hiérarchie qui est immédiatement en rapport avec Dieu et qui habite, selon l’expression de saint Denis, sous les portiques de la Divinité (De cæl. hier., chap. 7). 2° Elles peuvent être considérées comme dépendant des causes universelles créées qui sont déjà multiples sous un rapport, et ce mode de perception est celui qui convient à la seconde hiérarchie. 3° Elles peuvent être considérées comme appliquées à chaque objet en particulier, selon que ces objets dépendent des causes qui leur sont propres. Ce mode convient à la dernière hiérarchie, ce que nous démontrerons plus complètement en traitant de chaque ordre (art. 6). Ainsi les hiérarchies sont donc distinctes quand on les considère sous le rapport de la multitude qui obéit. D’où il est manifeste qu’ils se trompent et qu’ils sont en contradiction avec le sentiment de saint Denis, ceux qui supposent dans les personnes divines une hiérarchie qu’ils appellent supracéleste. Car dans les personnes divines il y a un ordre de nature et non d’hiérarchie (Parce que la hiérarchie suppose une certaine inégalité.), puisque, d’après saint Denis (De cœl. hier., chap. 3), l’ordre hiérarchique consiste en ce que les uns sont purifiés, illuminés, perfectionnés, tandis que les autres purifient, illuminent et perfectionnent. Ce qu’il n’est pas possible d’admettre dans les personnes divines.

 

Article 2 : Dans une hiérarchie y a-t-il plusieurs ordres ?

 

          Objection N°1. Il semble que dans une hiérarchie il n’y ait pas plusieurs ordres. Car en multipliant la définition on multiplie aussi l’objet défini. Or, d’après saint Denis, la hiérarchie est un ordre (De cœl. hier., chap. 3). Donc s’il y a plusieurs ordres il y aura aussi plusieurs hiérarchies.

Réponse à l’objection N°1 : Le mot ordre se prend en deux sens. 1° On s’en sert pour exprimer une organisation qui comprend en elle-même plusieurs degrés différents, et dans ce cas il désigne une hiérarchie. 2° On l’emploie pour ne désigner qu’un seul degré, et c’est en ce cas qu’on dit qu’il y a plusieurs ordres dans une hiérarchie.

 

Objection N°2. Les divers ordres sont des degrés différents ; les degrés, pour les êtres spirituels, s’établissent d’après les différents dons qu’ils reçoivent. Or, parmi les anges tous les dons spirituels sont communs, parce qu’ils ne possèdent rien individuellement. Donc il n’y a pas différents ordres d’anges.

Réponse à l’objection N°2 : Dans la société des anges tout ce qu’ils possèdent est en commun, mais il y en a cependant parmi eux qui possèdent les mêmes choses d’une manière plus éminente que d’autres. Car celui qui peut communiquer une chose la possède plus parfaitement que celui qui ne peut pas. Ainsi ce qui peut échauffer est plus chaud que ce qui n’échauffe pas ; celui qui peut enseigner sait mieux que celui qui ne peut pas. Et plus le don qu’un être peut communiquer est élevé, plus le degré qu’il occupe est élevé lui-même. Car le maître qui peut enseigner les sciences les plus hautes est celui qui appartient dans l’enseignement à l’ordre le plus distingué. Au moyen de ces comparaisons on peut se représenter comment la distinction des degrés ou des ordres dans les anges repose sur la différence de leurs fonctions et de leurs actes.

 

Objection N°3. Dans la hiérarchie ecclésiastique les ordres se distinguent d’après la purification, l’illumination et la perfection. Ainsi l’ordre des diacres purifie, celui des prêtres éclaire et celui des évêques perfectionne (A l’égard de cette distinction de la hiérarchie ecclésiastique, pour bien saisir le sens des paroles de saint Denis, voyez ce que l’Eglise a défini à ce sujet (Conc. Trid., sess. 23).), comme le dit saint Denis (De hier. eccl., chap. 5). Or, tout ange purifie, éclaire et perfectionne ; il n’y a donc pas d’ordre à distinguer entre eux.

Réponse à l’objection N°3 : Le dernier des anges est au-dessus du premier des hommes, d’après ces paroles de l’Evangile (Matth., 11, 11) : Le plus petit dans le royaume des deux est plus grand que Jean Baptiste, dont il était dit ailleurs qu’il était le premier d’entre les enfants des hommes. Par conséquent le dernier des anges peut non seulement purifier, mais éclairer et perfectionner plus parfaitement que les ordres dont se compose notre hiérarchie. Ce n’est donc pas d’après ces actions que les ordres célestes se distinguent, mais c’est à un autre point de vue.

 

Mais c’est le contraire. Car saint Paul dit (Eph., 1, 20) que Dieu a établi le Christ-homme au-dessus de toutes les Principautés, les Puissances, les Vertus et les Dominations. Or, toutes ces dénominations désignent différents ordres d’anges dont quelques-uns appartiennent à une seule et même hiérarchie, comme nous le verrons plus loin (art. 6).

 

Conclusion Dans chaque hiérarchie on distingue trois ordres différents : l’ordre le plus élevé, l’ordre intermédiaire et l’ordre inférieur, et cette distinction est fondée sur la différence de leurs devoirs et de leurs actes.

Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. préc), une hiérarchie est une principauté, c’est-à-dire une multitude qui obéit de la même manière aux ordres d’un même chef. Or, une multitude serait désordonnée et confuse si elle ne se divisait en plusieurs ordres différents. Ainsi la nature même de la hiérarchie exige qu’il y ait des ordres différents. La distinction des ordres repose d’ailleurs sur la différence des devoirs et des actes que l’on a à remplir, comme on le voit dans une cité où il y a des ordres différents, parce qu’il y a des hommes qui remplissent différentes fonctions. Car autre est l’ordre des magistrats, autre celui des guerriers, autre celui des laboureurs, et ainsi du reste. Mais quelle que soit la multiplicité des ordres qui existent dans une même cité, ils sont toujours tous réductibles à trois (Le concile de Latran reconnaît aussi autant d’ordres que d’hiérarchies.), parce que dans toute multitude parfaitement organisée il y a toujours un principe, un milieu et une fin. C’est ainsi que dans les cités on distingue trois sortes d’hommes : ceux qui sont au premier rang, comme les notables (Optimates, les premiers d’entre les nobles.), ceux qui sont au dernier, comme les plébéiens, et ceux qui tiennent le milieu, comme les gens honorables (Populus honorabilis, la classe moyenne. La cour de Byzance avait poussé très loin cette distinction de rangs et de titres.) ; de même dans toutes les hiérarchies des anges on distingue plusieurs ordres d’après la diversité de leurs fonctions et de leurs charges, mais tous ces ordres peuvent se réduire à trois : l’ordre le plus élevé, l’ordre intermédiaire et l’ordre inférieur. C’est pourquoi saint Denis distingue trois ordres dans chaque hiérarchie (De cæl. hier., chap. 7 et 8).

 

Article 3 : Dans un même ordre, y a-t-il plusieurs anges ?

 

          Objection N°1. Il semble que dans un ordre il n’y ait pas plusieurs anges. Car nous avons dit (quest. 47, art. 2, et quest. 50, art. 4) que tous les anges sont inégaux entre eux. Or, tous les êtres qui sont du même ordre doivent être égaux. Donc il n’y a pas dans un ordre plusieurs anges.

Réponse à l’objection N°1 : Tous les anges du même ordre sont égaux par rapport au caractère général qui convient à l’ordre auquel ils appartiennent, mais ils ne le sont pas absolument. C’est pourquoi saint Denis dit que dans le même ordre il y a des anges qui sont au commencement, d’autres au milieu et d’autres à la fin (De cœl. hier., chap. 4 et chap. 10).

 

Objection N°2. Ce qu’on peut faire par le moyen d’un seul, il est inutile de le faire faire par plusieurs. Or, ce qui appartient au ministère des anges peut être fait par un seul plutôt que ce qui appartient à l’action du soleil peut être fait par un seul astre, parce que la nature angélique est plus parfaite que la nature corporelle. Par conséquent si on distingue les ordres d’après les fonctions qu’ils remplissent, comme nous l’avons dit (art. préc), il est superflu d’admettre dans un ordre plusieurs anges.

Réponse à l’objection N°2 : Cette distinction spéciale des ordres et des charges d’après laquelle chaque ange a un emploi et un rang qui lui sont propres nous est inconnue.

 

Objection N°3. Nous avons dit que tous les anges sont inégaux. Si donc il y a plusieurs anges dans un même ordre, par exemple, trois ou quatre, le dernier de l’ordre supérieur ressemblera plus au premier de l’ordre inférieur qu’au premier de son ordre. Il sera donc par là même plutôt du second ordre que du premier, ce qui semble un inconvénient. Donc il n’y a pas dans un ordre plusieurs anges.

Réponse à l’objection N°3 : Comme dans une surface qui est en partie blanche et en partie noire, les deux parties qui sont sur les limites du blanc et du noir sont plus rapprochées pour la position que les deux extrémités de même couleur, mais elles le sont moins pour la qualité ; de même deux anges qui sont à l’extrémité de deux ordres sont plus rapprochés l’un de l’autre par la nature que de certains anges de leur ordre respectif, mais ils le sont moins si on considère le caractère particulier de leurs fonctions, et c’est d’après ce caractère qu’un ordre se distingue d’un autre.

 

Mais c’est le contraire. Il est dit dans Isaïe (Is., 6, 3) : Les séraphins se criaient l’un à l’autre. Il y a donc dans l’ordre des séraphins plusieurs anges.

 

Conclusion Nous savons qu’il y a beaucoup d’anges dans un même ordre, mais nous ne savons pas l’ordre propre auquel chacun d’eux appartient.

Il faut répondre que celui qui connaît parfaitement une chose peut en distinguer les actes, les vertus, la nature jusque dans les plus petits détails. Mais celui qui ne la connaît qu’imparfaitement ne peut la distinguer qu’en général, et cette distinction est beaucoup moins multiple. Ainsi celui qui connaît imparfaitement les choses naturelles distingue leurs ordres en général ; il place, par exemple, dans l’un les corps célestes, dans l’autre les corps inférieurs inanimés, dans le troisième les plantes, dans le quatrième les animaux. Mais celui qui les connaîtrait plus parfaitement pourrait distinguer dans les corps célestes des ordres différents et subdiviser ainsi chacune des catégories générales que le premier a établies. Pour nous, comme le dit saint Denis (De cœl. hier., chap. 6), nous ne connaissons les anges et leurs fonctions qu’imparfaitement. Nous ne pouvons donc distinguer les fonctions des anges et leurs ordres qu’en général, sans pouvoir déterminer comment il y a dans le même ordre une multitude d’anges. Mais si nous connaissions parfaitement ce qui se passe dans cette sphère, nous saurions parfaitement que tout ange a ses fonctions propres et occupe le rang qui lui convient, beaucoup mieux que chaque étoile est à sa place dans le firmament, bien que nous ne puissions pas nous en rendre compte.

 

Article 4 : La distinction des hiérarchies et des ordres est-elle fondée sur la nature angélique ?

 

          Objection N°1. Il semble que la distinction des hiérarchies et des ordres ne soit pas fondée sur la nature des anges. Car on donne le nom d’hiérarchie à toute principauté sacrée. Saint Denis ajoute (De Eccles. Hier,. chap. 3) que le but de toute hiérarchie est de s’assimiler à Dieu autant que possible. Or, la sainteté et la ressemblance divine qui existent dans les anges est l’effet de la grâce et non de la nature. Par conséquent ce qui distingue les hiérarchies et les ordres des anges provient de la grâce et non de la nature.

 

Objection N°2. Saint Denis dit que les séraphins sont ainsi nommés parce qu’ils sont brûlants et embrasés d’amour (De cœl. hier., chap. 7). Or, cet effet semble être produit par la charité qui vient de la grâce et non de la nature. Car, d’après l’Apôtre (Rom., 5, 5), la charité est répandue dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné. Ce qui peut se dire non seulement des hommes qui sont saints, mais encore des anges eux-mêmes, d’après saint Augustin (De civ. Dei, liv. 12, chap. 9). Donc les ordres des anges ne proviennent pas de la nature, mais de la grâce.

 

Objection N°3. La hiérarchie ecclésiastique a pour type la hiérarchie céleste. Or, les divers ordres qui existent parmi les hommes ne résultent pas de la nature, ils sont produits par les dons de la grâce. Car ce n’est pas la nature qui fait que l’un est évêque, l’autre prêtre et l’autre diacre. Ce n’est donc pas non plus la nature, mais la grâce qui établit les divers ordres qu’on distingue dans les anges.

 

Mais c’est le contraire. Le Maître des sentences dit (Sent. 2, dist. 9) que l’ordre des anges est cette multitude d’esprits célestes qui se ressemblent par les grâces qu’ils ont reçues et par les dons naturels auxquels ils participent (Hugues de Saint-Victor (Sum. Sent., tract. 2, chap. 5) et Pierre Lombard (2, dist. 9) ont pensé que les bons anges n’avaient été rangés en divers ordres qu’après la chute du démon, parce qu’ils n’admettent pas, avec saint Thomas, que les anges ont été créés dans la grâce.). La distinction des ordres des anges repose donc tout à la fois sur les dons de la grâce et sur ceux de la nature.

 

Conclusion Les ordres des anges sont distingués suivant leur fin naturelle par des dons naturels ; selon leur fin surnaturelle cette distinction est préparée par la nature et complétée par la grâce ; mais parmi les hommes il n’y a que la grâce qui établisse des ordres différents.

Il faut répondre que l’ordre d’un gouvernement, c’est-à-dire l’ordre d’une multitude sous un prince se considère par rapport à la fin qu’il veut atteindre. Or, la fin des anges peut se considérer sous deux aspects : 1° Selon l’ordre de la nature, et à ce titre ils connaissent et aiment Dieu d’une connaissance et d’un amour naturels. En ce sens les ordres des anges se distinguent d’après leurs dons naturels. 2° On peut la considérer selon l’ordre surnaturel qui consiste dans la vision de la divine essence, et dans la jouissance immuable de sa bonté. On sait qu’ils ne peuvent arriver à cette fin que par la grâce. Par conséquent, quand on considère les ordres des anges par rapport à cette fin on peut dire que leurs dons naturels préparent leur distinction, et que les dons de la grâce la complètent ou la consomment ; parce que Dieu proportionne les grâces qu’il leur accorde à l’étendue de leurs facultés naturelles (Ceux qui nient que les anges aient tous la même nature et qu’ils soient tous de la même espèce ne peuvent pas, s’ils sont conséquents avec eux-mêmes, être du même sentiment que saint Thomas.), ce qu’il ne fait pas pour les hommes, comme nous l’avons dit (quest. 62, art. 2). C’est pourquoi les ordres dans l’humanité sont exclusivement distingués par les dons de la grâce, sans que la nature y ait aucune part.

Par là la réponse aux objections est évidente.

 

Article 5 : Les ordres des anges ont-ils reçu les noms qui leur conviennent ?

 

          Objection N°1. Il semble que les ordres des anges n’aient pas reçu les noms qui leur conviennent. Car on donne à tous les esprits célestes les noms d’anges, de Vertus et de Puissances. C’est donc à tort qu’on approprie ces noms généraux à quelques-uns d’entre eux. Par conséquent, il n’est pas convenable de donner à l’un des ordres angéliques le nom d’anges, et à un autre celui de Vertus.

Réponse à l’objection N°1 : On donne en général le nom d’ange à tout messager. Tous les esprits célestes, quand ils manifestent les ordres de Dieu, méritent donc d’être ainsi appelés. Mais les anges supérieurs ont des qualités plus élevées que cette manifestation, et c’est à ces qualités que leurs ordres empruntent leur dénomination. Le dernier ordre des anges n’ayant pas de qualité supérieure à cette manifestation, lui emprunte par là même son nom. Et c’est ainsi que cette dénomination générale se trouve appropriée au dernier ordre des esprits célestes, suivant la pensée de saint Denis (De cœl. hier., chap. 5). — On peut dire encore que le dernier ordre des esprits célestes peut recevoir cette dénomination particulière, parce que c’est lui qui nous annonce immédiatement les ordres de Dieu. — Quant au mot Vertu il peut s’entendre en deux sens : 1° d’une manière générale, c’est-à-dire selon qu’il tient le milieu entre l’essence et l’action. Ainsi, tous les esprits du ciel reçoivent donc le nom de vertus célestes au même titre que celui d’essences célestes (Les anges en général sont ainsi désignés sons le nom de Vertus par saint Chrysostome (Homil. 3 cont. Anomas.), Théodoret (Serm. 3 cont. Gent.), saint Hilaire (De Trin., liv. 3), saint Jérôme (Comment. in Ps. 23), Prudence (Apothéose).). 2° On peut désigner par là une certaine supériorité de forces, et en ce sens il est le nom propre d’un ordre. C’est ce qui fait dire à saint Denis (De cœl. hier., chap. 8) que le nom des Vertus exprime la mâle et inébranlable vigueur qu’elles déploient d’abord pour remplir toutes les fonctions que Dieu leur a assignées, ensuite pour recevoir toutes les lumières qui leur sont départies. Ce mot indique donc que pour tout ce qui les concerne elles s’approchent de Dieu sans aucune crainte, ce qui semble démontrer une grande force d’âme (Saint Isidore, Hugues de Saint-Victor, saint Bernard, admettent la signification donnée par saint Grégoire à ce mot.).

 

Objection N°2. La domination est le propre de Dieu, suivant ces paroles du Psalmiste (Ps. 99, 3) : Sachez que Dieu est le Seigneur et le maître (Dominus). C’est donc à tort que l’on distingue parmi les esprits célestes l’ordre des Dominations.

Réponse à l’objection N°2 : Comme le dit saint Denis (De div. nom., chap. 12), on donne à Dieu par excellence le nom de Domination, mais l’Ecriture le donne par participation à tous les ordres supérieurs qui communiquent aux ordres inférieurs les dons qu’ils ont reçus. Et, dans un autre endroit, le même docteur ajoute (De cœl. hier., chap. 8) : Le nom de Domination désigne d’abord cette liberté qui est aussi éloignée de l’esclavage et de la sujétion dégradante de la populace que de l’oppression tyrannique que les grands eux-mêmes subissent quelquefois. Il exprime en second lieu ce gouvernement ferme et inflexible qui ne se laisse entraîner à aucun acte de servilité, ni à aucun acte d’oppression (D’après saint Grégoire et saint Bernard (liv. 5, De consid., chap. 4), les Dominations commandent en maîtres, aux Principautés, aux Puissances, aux Vertus, aux archanges et aux anges.). Enfin, il désigne que ces êtres spirituels ont le plus ardent désir de participer à la véritable domination qui est en Dieu. De même le nom de tous les autres ordres indique comment ils participent à la nature divine. Ainsi le nom des Vertus signifie qu’elles participent à la vertu divine. Et il en est ainsi des autres.

 

Objection N°3. Le mot domination semble se rapporter au gouvernement aussi bien que les mots principauté et puissance. C’est donc à tort qu’on se sert de ces trois noms pour désigner trois ordres différents.

Réponse à l’objection N°3 : Les noms de Domination, de Puissance et de Principauté se rapportent au gouvernement, mais en des sens divers. Le propre des Dominations c’est de commander ce qu’il faut faire. C’est ce qui fait dire à saint Grégoire qu’il y a un ordre d’anges qui reçoit le nom de Dominations parce qu’il y en a d’autres qui leur sont soumis et qui doivent leur obéir. Le mot de Puissances désigne un certain ordre, d’après ces paroles de l’Apôtre : Celui qui résiste à la Puissance résiste à l’ordre de Dieu (Rom., 13, 2). C’est pourquoi saint Denis dit que le nom des Puissances rappelle l’ordre parfait selon lequel les esprits célestes reçoivent l’action divine et la communiquent à ceux qui sont au-dessous d’eux pour les élever ainsi jusqu’à l’Etre des êtres. C’est donc aux Puissances qu’il appartient de régler ou d’ordonner ce que doivent faire ceux qui leur obéissent (Saint Isidore, saint Bernard, Hugues de Saint-Victor et Pierre Lombard croient, avec saint Grégoire, que les Puissances doivent leur nom à l’énergie et à la force avec laquelle elles repoussent le démon.). D’après saint Grégoire les Principautés tiennent le premier rang parmi les esprits célestes. Ce sont elles qui sont les premières à exécuter ce qui est commandé. C’est pourquoi saint Denis dit qu’elles sont ainsi appelées à diriger et à guider les autres ordres sacrés (Suivant Théodoret, les Dominations, les Principautés et les Puissances sont les anges auxquels est confié le soin des nations (Comment. in Epist. ad Colos., chap. 1).). Car ceux qui dirigent les autres et qui sont placés au premier rang parmi eux reçoivent à proprement parler le nom de princes, d’après ces paroles du Psalmiste (Ps. 67, 26) : Les princes, avec ceux qui chantent de saints cantiques, vinrent au-devant de lui.

 

Objection N°4. On appelle archanges ceux qui sont en quelque sorte les chefs des anges. Ce nom ne peut donc pas convenir à un autre ordre qu’à celui des Principautés.

Réponse à l’objection N°4 : D’après saint Denis (De eccl. Hier., chap. 9) les archanges tiennent le milieu entre les Principautés et les anges. Or, le milieu comparé à un extrême semble tout à fait différer de lui bien qu’il participe à la nature de l’un et de l’autre. Ainsi le tiède est froid par rapport au chaud et il est chaud par rapport au froid. Par conséquent les archanges sont ainsi appelés comme étant les chefs des anges, parce qu’ils sont en effet des chefs quand on les considère par rapport à eux, tandis qu’ils ne sont que des anges par rapport aux Principautés. D’après saint Grégoire (loc. cit.), les archanges doivent leur nom à la supériorité qu’ils ont sur les anges comme étant appelés à annoncer toutes les grandes choses, et les Principautés sont ainsi nommées parce qu’elles sont placées au-dessus de toutes les vertus célestes qui remplissent les ordres de Dieu.

 

Objection N°5. Le nom de séraphin exprime l’ardeur de la charité, celui de chérubin indique la science. Or, la charité et la science sont des dons communs à tous les anges. Ils ne doivent donc pas être spécialement appliqués à des ordres particuliers.

Réponse à l’objection N°5 : Les séraphins ne doivent pas seulement leur nom à la charité, mais à l’excès de leur amour qu’on désigne par les mots de flamme ou d’incendie (Ces expressions sont de saint Grégoire, et saint Bernard les commente (Serm. 19 in Cant.).). C’est pourquoi saint Denis, en expliquant ce nom (De eccl. hier., chap. 7), compare leur ardeur aux propriétés du feu qui renferme la chaleur la plus élevée. Or, dans le feu il y a trois choses à considérer : 1° le mouvement d’ascension qui est continuel, et qui représente l’élan qui entraine directement les séraphins vers Dieu ; 2° sa puissance active qui est la chaleur. Elle n’existe pas seule en lui, mais elle est unie à une vertu pénétrante qui fait que quand le feu s’attache à un objet il s’en empare au point de l’embraser dans toutes ses parties et de lui communiquer l’excès de chaleur qu’il a lui-même. C’est ce qui représente l’action puissante que les séraphins exercent sur ceux qui leur sont soumis en les pénétrant des feux dont ils sont eux-mêmes dévorés et en les purifiant de toute souillure par les flammes de ce divin incendie. 3° La troisième propriété du feu est sa clarté. Elle représente la lumière inextinguible que ces anges possèdent en eux-mêmes et par laquelle ils éclairent parfaitement les autres. De même le nom de chérubin (Saint Augustin traduit ce mot (in Ps. 79) par plenitudinem scientiæ, ainsi que saint Jérôme, saint Grégoire et saint Bernard ; Origène par multitudinem scientiæ (Hom. 5 in Num.), saint Chrysostome (Hom. m cont. Anomæos) par multiplicata scientiam. La signification de ce mot est d’ailleurs très obscure.) désigne l’excellence de la science. C’est ce qui fait dire que les anges qui portent ce nom possèdent la plénitude de la science. D’après saint Denis (De eccl. hier., chap. 7), ce nom désigne quatre choses : 1° que les chérubins voient Dieu parfaitement ; 2° qu’ils reçoivent pleinement ses divines lumières ; 3° qu’ils contemplent en lui la beauté de l’univers telle qu’elle émane de sa lumière incréée ; 4° que jouissant de la plénitude de la science ils la répandent abondamment sur les autres.

 

Objection N°6. On appelle trône un siège, et l’on dit que Dieu a son siège dans la créature raisonnable du moment où il la connaît et l’aime. L’ordre des Trônes ne doit donc pas être différent de l’ordre des chérubins et des séraphins. Par conséquent, il semble donc que ces ordres ne soient pas bien nommés.

Réponse à l’objection N°6 : L’ordre des Trônes (Saint Grégoire et, d’après lui, saint Isidore, saint Bernard, Hugues de Saint-Victor et Pierre Lombard, disent que les Trônes sont ainsi appelés, parce qu’ils sont le siège de Dieu, et que c’est par eux qu’il rend ses jugements.) l’emporte sur les ordres inférieurs en ce que les anges qui en font partie peuvent connaître en Dieu immédiatement les raisons de ses œuvres. Les chérubins ont la supériorité de la science et les séraphins celle de l’amour. Quoique ces deux sortes de supériorité impliquent celle qui appartient aux Trônes, celle des Trônes ne les comprend pas, et c’est pour ce motif que l’ordre des Trônes se distingue de celui des chérubins et des séraphins. Il arrive d’ailleurs toujours que les êtres supérieurs ont toutes les qualités de ceux qui sont au-dessous d’eux, tandis que ceux-ci n’ont pas celles de ceux qui les dominent. Saint Denis, en exposant les rapports ou les analogies qu’il y a entre les Trônes et les sièges matériels, distingue quatre choses : 1° La situation. Comme les sièges s’élèvent au-dessus de la terre, de même les anges qui portent le nom de Trônes s’élèvent jusqu’à ce qu’ils connaissent en Dieu immédiatement les raisons des choses. 2° La fixité. Les sièges matériels sont pour celui qui les occupe un moyen de fixité pour les anges ; ils sont eux-mêmes affermis par Dieu. 3° Le siège reçoit celui qui s’y assied et peut servir à le transporter. De même ces anges reçoivent Dieu en eux et le portent en quelque sorte aux anges inférieurs. 4° La figure. Comme le siège est ouvert d’un côté pour recevoir celui qui s’y assied, de même les anges sont toujours prêts à recevoir Dieu et à le servir.

 

Mais c’est le contraire. Car l’autorité de l’Ecriture est là pour justifier toutes ces dénominations. En effet, Isaïe (Is., chap. 6) nomme les séraphins, Ezéchiel les chérubins (chap. 1), saint Paul les Trônes (Col., chap. 1), les Dominations, les Vertus, les Puissances et les Principautés (Eph., chap. 1), saint Jude les archanges, et l’Ecriture sainte parle des anges en plusieurs endroits.

 

Conclusion Il y a neuf ordres d’anges, les séraphins, les chérubins, les Trônes, les Dominations, les Vertus, les Puissances, les Principautés, les archanges et les anges, et ils sont convenablement désignés, c’est-à-dire que les noms qu’ils portent expriment bien leurs perfections et leurs fonctions spirituelles.

Il faut répondre qu’à l’égard des noms que les ordres des anges ont reçus il faut observer que chacun de ces noms désigne les propriétés de chaque ordre, comme le dit saint Denis (De cœl. hier., chap. 7). Pour se rendre compte de ce qui est propre à chaque ordre on doit observer qu’on peut examiner une chose de trois manières : par ses propriétés, son excellence et sa participation. 1° Par ses propriétés, quand son nom exprime des qualités adéquates ou proportionnées à sa nature. 2° Par son excellence, quand le nom qu’on lui donne est au-dessous de ses qualités réelles, bien qu’il lui convienne par analogie. Tels sont, comme nous l’avons dit (quest. 13, art. 2), les noms qu’on donne à Dieu. 3° Par participation, quand on attribue à une chose un nom qui ne lui convient pas pleinement parce qu’elle n’en remplit pas tout le sens. C’est de la sorte que les hommes justes sont appelés des dieux, parce qu’ils participent à la nature divine. Si donc on veut donner à une chose un nom qui exprime sa propriété, il ne faut pas lui donner un nom qui soit au-dessus ni au-dessous de ses qualités réelles, mais on doit lui en donner un qui les exprime adéquatement. Ainsi, quand on veut donner à l’homme le nom qui lui est propre on l’appelle une substance raisonnable, mais on ne dit pas que c’est une substance intellectuelle, ce qui est le nom propre de l’ange, parce que l’intelligence pure est une faculté propre à l’ange, tandis que les hommes n’en jouissent que par participation. On ne peut pas dire non plus que c’est une substance sensible, ce qui est le nom propre de la brute ; parce que les sens sont au-dessous de la condition humaine, et ils conviennent à l’homme éminemment comparativement aux autres animaux. Pour les ordres des anges on doit observer que les perfections spirituelles sont toutes communes à tous les anges, mais qu’elles existent à un plus haut degré dans les anges supérieurs que dans les anges inférieurs. Mais comme dans les perfections elles-mêmes il y a des degrés, la perfection la plus élevée est attribuée à l’ordre supérieur par propriété et à l’ordre inférieur par participation. Au contraire, les qualités inférieures sont attribuées à l’ordre inférieur par propriété, tandis qu’elles ne conviennent à l’ordre supérieur qu’éminemment. Ainsi, l’ordre supérieur reçoit toujours son nom de la perfection la plus haute. D’après ces principes, saint Denis expose les noms des ordres selon les rapports qu’ils ont avec leurs perfections spirituelles. Saint Grégoire (Hom. 34 in Ev.) en exposant ces noms semble avoir fait plutôt attention à leurs fonctions extérieures (Cette distinction permet de concilier ensemble tous les sentiments des Pères ; car ils se rattachent en général à saint Denis ou à saint Grégoire.) ; car il dit qu’on donne le nom d’anges à ceux qui annoncent les vérités les moins importantes, le nom d’archanges à ceux qui annoncent les vérités suprêmes et souveraines, le nom de Vertus à ceux qui opèrent des miracles, le nom de Puissances à ceux qui combattent les ennemis de Dieu et les repoussent, le nom de Principautés à ceux qui président aux esprits bienheureux.

 

Article 6 : Les degrés de chaque ordre sont-ils convenablement assignés ?

 

          Objection N°1. Il semble que les degrés de chaque ordre ne soient pas convenablement assignés. Car l’ordre des prélats semble être le plus élevé. Or, les Dominations, les Principautés et les Puissances paraissent, d’après leur nom, exercer une certaine prélature. Donc ces ordres doivent être placés au premier rang.

Réponse à l’objection N°1 : La dignité des anges se mesure en raison de leurs rapports avec Dieu, et non en raison de l’autorité qu’ils exercent sur les esprits qui sont au-dessous d’eux. C’est pourquoi ce ne sont pas les ordres préposés pour diriger les autres qui occupent le premier rang, mais ce sont les ordres qui sont en rapport immédiat avec Dieu.

 

Objection N°2. Plus un ordre approche de Dieu et plus il est élevé. Or, il semble que l’ordre des Trônes soit le plus près de Dieu, parce que rien n’est plus près de celui qui est assis que son siège. Donc l’ordre des Trônes est le plus élevé.

Réponse à l’objection N°2 : Le mot de Trônes indique à la vérité l’union avec Dieu ; mais les chérubins et les séraphins lui sont encore plus intimement unis, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.).

 

Objection N°3. La science est antérieure à l’amour et l’intellect semble plus élevé que la volonté. Donc l’ordre des chérubins semble être au-dessus de l’ordre des séraphins.

Réponse à l’objection N°3 : Comme nous l’avons vu (quest. 27, art. 3), la connaissance existe selon ce que l’objet connu est dans le sujet qui le connaît, tandis que l’amour est en raison de l’union du sujet qui aime avec l’objet aimé. Or, les choses supérieures existent en elles-mêmes d’une manière plus éminente que dans les êtres inférieurs, tandis que les choses inférieures existent dans les êtres supérieurs plus éminemment qu’en elles-mêmes. C’est pourquoi la connaissance des choses inférieures l’emporte sur l’amour qu’elles excitent, tandis que l’amour des choses supérieures et principalement de Dieu l’emporte sur la connaissance qu’on en a.

 

Objection N°4. Saint Grégoire met les Principautés au-dessus des Puissances (Hom. 24 in Evang.). Elles ne sont donc pas placées immédiatement au-dessus des archanges, comme le dit saint Denis (De eccl. hier., chap. 9).

Réponse à l’objection N°4 : Si l’on considère avec soin le sentiment de saint Denis et de saint Grégoire, on verra qu’ils diffèrent peu ou même qu’ils ne diffèrent point du tout, si on s’en rapporte à la réalité. Car saint Grégoire entend par Principautés les esprits qui président aux autres, et d’après saint Denis cette fonction convient aux Vertus, puisque par là il entend une certaine force qui donne aux esprits inférieurs la faculté d’exécuter les ordres divins. Ensuite ceux que saint Grégoire appelle Vertus semblent les mêmes que ceux qui ont reçu de saint Denis le nom de Principautés. Car il leur attribue le don des miracles, et c’est par l’exercice de cette puissance qu’il faut commencer quand on veut préparer la voie aux archanges et aux anges chargés d’annoncer la parole de Dieu (La différence qui paraît exister entre ces deux sentiments est donc, d’après saint Thomas, plutôt dans les mots que dans les choses.).

 

Mais c’est le contraire. Car saint Denis place dans la première hiérarchie les séraphins au premier rang, les chérubins au second et les Trônes au dernier ; dans la seconde hiérarchie il place les Dominations, ensuite les Vertus et enfin les Puissances. Dans la dernière les Principautés sont au sommet, les archanges au milieu et les anges à la fin.

 

Conclusion Eu égard à la diversité des explications qu’ils donnent des noms des ordres angéliques, saint Denis et saint Grégoire n’ont pas mal assigné, même d’après les Ecritures, les différents degrés de chacun de ces ordres.

Il faut répondre qu’en assignant aux ordres des anges le rang qu’ils occupent, saint Denis et saint Grégoire sont d’accord en général ; ils ne diffèrent que par rapport aux Principautés et aux Vertus. Car saint Denis place les Vertus au-dessous des Dominations et au-dessus des Puissances et les Principautés au-dessous des Puissances et au-dessus des archanges. Saint Grégoire au contraire place les Principautés entre les Dominations et les Puissances et il met les Vertus entre les Puissances et les archanges (Saint Grégoire est d’accord avec saint Denis sur la première hiérarchie ; dans la seconde il place les Dominations, les Principautés et les Puissances, et dans la troisième, les Vertus, les archanges et les anges. Ces deux classifications ne diffèrent que par rapport au rang qu’elles assignent aux Principautés et aux Vertus. Saint Isidore (Orig., liv. 7), saint Bernard (De consid., liv. 5, chap. 4, et Serm. 19 in Cant.), Hugues de Saint-Victor (Sum. Sent., tract. 2, chap. 5), Pierre Lombard (2, Dist. 9), suivent le sentiment de saint Grégoire.). Ces deux classifications peuvent l’une et l’autre s’appuyer de l’autorité de saint Paul. Car dans un endroit (Eph., 1, 20) le grand Apôtre énumérant les ordres intermédiaires en suivant une marche ascendante dit : Que Dieu a placé le Christ à sa droite dans les cieux au-dessus de toutes les Principautés, les Puissances, les Vertus et les Dominations. Dans ce passage il place, comme le fait saint Denis, les Vertus entre les Puissances et les Dominations. Ailleurs (Col., 1, 16) il énumère les mêmes ordres en suivant une marche descendante quand il dit : Les Trônes, les Dominations, les Principautés, les Puissances, tout a été créé par lui et en lui. Il place alors les Principautés entre les Dominations et les Puissances, comme le fait saint Grégoire. — Voyons donc d’abord les raisons sur lesquelles saint Denis s’est appuyé pour déterminer le rang que chacun des ordres célestes doit occuper. Il est à remarquer que d’après lui, comme nous l’avons dit (art. 1), la première hiérarchie voit en Dieu même les raisons des choses ; la seconde les voit dans les causes universelles, et la troisième dans leurs causes selon qu’elles sont déterminées à des effets spéciaux. Et comme Dieu est la fin non seulement des fonctions que tous les anges remplissent, mais encore de toute créature, c’est à la première hiérarchie qu’il appartient de considérer la fin, la seconde doit préparer en général ce que l’on doit faire, et la dernière doit appliquer ce qui est préparé, c’est-à-dire exécuter. Car il est évident que dans toute opération on trouve ces trois choses. C’est pourquoi saint Denis considérant les propriétés des ordres d’après leurs noms a placé dans la première hiérarchie les ordres dont les noms impliquent un rapport avec Dieu. Tels sont les séraphins, les chérubins et les Trônes. Il a placé dans la seconde ceux dont les noms désignent en général un gouvernement ou une disposition quelconque. Telles sont les Dominations, les Vertus et les Puissances. Enfin il a placé dans la troisième ceux dont les noms indiquent l’exécution d’une œuvre, comme les Principautés, les anges et les archanges. Or, une créature peut être en rapport avec sa fin de trois manières. En effet, on considère d’abord la fin ; ensuite on en a une connaissance parfaite ; enfin on s’y attache d’intention. La seconde de ces opérations suppose la première et y ajoute, la troisième suppose les deux autres et y ajoute aussi. Et comme Dieu est la fin des créatures, de la même manière que le général est la fin de l’armée, selon l’expression d’Aristote (Met., liv. 12, text. 52), nous pouvons trouver dans les choses humaines une certaine analogie avec ce qui se passe dans les choses célestes. Ainsi il y en a qui ont une dignité assez élevée pour qu’ils puissent d’eux-mêmes s’approcher familièrement du roi ou du général. Il y en a d’autres qui ont de plus l’avantage de connaître ses secrets ; enfin il y en a d’autres qui sont toujours avec lui et qui ne le quittent pas plus que s’ils étaient une partie de lui-même. D’après cette comparaison nous pouvons nous faire une juste idée de la disposition des ordres qui composent la première hiérarchie. En effet, les Trônes sont élevés au point de recevoir Dieu en eux familièrement et de pouvoir connaître immédiatement les raisons des choses qui sont en lui ; ce qui est le propre de toute la première hiérarchie ; les chérubins ont une connaissance suréminente des secrets de Dieu, et les séraphins possèdent suréminemment le don qui est au-dessus de tous les autres, celui de l’union avec Dieu. Ainsi l’ordre des Trônes tire son nom de ce qui est commun à toute la hiérarchie, comme l’ordre des anges tire le sien de ce qui est commun à tous les esprits célestes. — Il y a aussi trois choses qui sont de l’essence du gouvernement. La première est la distinction des choses que l’on doit faire, ce qui est le propre des Dominations ; la seconde consiste à fournir les moyens de les exécuter, ce qui est le fait des Vertus ; et la troisième a pour objet de régler de quelle manière ce qui a été commandé ou défini pourra être exécuté, et c’est ce qui regarde les Puissances. — Quant à l’exécution elle consiste pour les anges à annoncer les ordres de Dieu. Or, quand il s’agit d’un acte quelconque, il y en a toujours qui préludent pour ainsi dire à l’action et qui guident les autres. C’est ainsi que dans un chant il y a ceux qui préludent au morceau principal, comme à la guerre il y en a qui guident les autres et qui les dirigent. Cette fonction est celle des Principautés. Il y en a d’autres qui exécutent simplement les ordres qu’ils ont reçus ; ce sont les anges. Enfin il y en a d’autres qui tiennent le milieu, et ce sont les archanges, comme nous l’avons dit (art. préc., Réponse N°4). Cette manière de déterminer les différents ordres des anges parait convenable. Car le premier d’un ordre inférieur a une certaine affinité avec le dernier de l’ordre supérieur, comme on trouve peu de différence entre le dernier des animaux et la première des plantes. Ainsi le premier ordre est celui des personnes divines qui a pour terme l’Esprit-Saint, l’amour substantiel, avec lequel l’ordre le plus élevé de la première hiérarchie a de l’affinité puisqu’il doit son nom à l’amour même dont il est embrasé. Le dernier ordre de la première hiérarchie est celui des Trônes qui a par sa nature une certaine affinité avec les Dominations. Car d’après saint Grégoire c’est par les Trônes que Dieu exerce ses jugements. Ainsi ils reçoivent les lumières divines de telle sorte qu’ils peuvent éclairer immédiatement la seconde hiérarchie qui a pour fonction de disposer et de préparer ce qui doit être fait. L’ordre des Puissances a aussi de l’affinité avec l’ordre des Principautés. Car les puissances ayant pour fonctions de déterminer le mode de l’exécution, les ordres qu’elles expriment s’adressent aux Principautés qui tiennent le premier rang parmi les esprits célestes chargés de l’exécution des volontés divines. Ainsi ce sont elles qui président au gouvernement des nations et des royaumes (Cette opinion paraît préférable à celle de Théodoret, qui attribue cette fonction aux Dominations, aux Principautés et aux Puissances.), ce qui est le premier emploi qu’on puisse assigner aux esprits de la dernière hiérarchie. Car le bien d’une nation est plus élevé que celui d’un individu. Et c’est ce qui a fait dire à Daniel (Dan., 10, 13) : Le prince du royaume des Perses m’a résisté. — Quant à l’ordre établi par saint Grégoire il a aussi sa convenance. Car les Dominations étant chargées de définir et d’ordonner ce qui a rapport au service des anges, les ordres qui leur sont soumis sont disposés d’une manière analogue aux êtres sur lesquels l’action divine s’exerce. Or, comme le dit saint Augustin (De Trin., liv. 3, chap. 4), les corps sont régis de manière que les inférieurs soient mus par les supérieurs, qu’ils obéissent ensuite tous aux êtres spirituels et que parmi les êtres spirituels les bons aient action sur les méchants. D’après ce point de vue le premier ordre qui vient après les Dominations est celui des Principautés, qui dirigent les bons esprits. On place ensuite les Puissances, qui ont pour fonctions d’attaquer les esprits méchants, comme les puissances terrestres ont celle de repousser les malfaiteurs, d’après l’apôtre saint Paul (Rom., chap. 13). Après les Puissances se trouvent les Vertus, qui exercent un certain empire sur la nature corporelle en opérant des miracles. Enfin on met en dernier lieu les anges et les archanges, qui annoncent aux hommes, les uns les choses qui sont au-dessus de leur raison, les autres celles que leur raison peut atteindre.

 

Article 7 : Les ordres des anges existeront-ils encore après le jour du jugement ?

 

          Objection N°1. Il semble que les ordres des anges ne subsisteront plus après le jour du jugement. Car saint Paul dit (1 Cor., 15, 24) que quand le Christ aura soumis son royaume à Dieu son Père, il détruira toute Principauté, toute Puissance, et toute Vertu. Or, c’est à la fin du monde que tout cela aura lieu. Donc pour la même raison tous les autres ordres seront détruits en ce moment.

Réponse à l’objection N°1 : Les Principautés et les Puissances seront détruites à la fin du monde par rapport au rôle qu’elles remplissent maintenant en élevant les hommes à leur fin. Car du moment que la fin est atteinte, on n’a plus besoin d’y tendre. C’est la raison que donne saint Paul quand il dit : Lorsque le Christ aura remis son royaume à Dieu son Père, c’est-à-dire lorsqu’il aura amené tous ceux qui croient en lui à jouir de Dieu.

 

Objection N°2. Les ordres des anges existent surtout pour purifier, illuminer et perfectionner. Or, après le jour du jugement un ange ne sera pas purifié, éclairé ou perfectionné par un autre, parce qu’ils ne progresseront plus en science. Donc il serait inutile que ces ordres subsistassent encore.

Réponse à l’objection N°2 : L’action que les anges exercent sur ceux qui sont au-dessous d’eux peut être comparée à l’action qu’exercent les uns sur les autres les objets intelligibles qui sont en nous. Or, il y a en nous beaucoup de choses intelligibles qui sont les unes aux autres ce que l’effet est à la cause. Ainsi nous n’arrivons à une conséquence qu’en passant successivement par plusieurs idées intermédiaires. Or, il est évident que la connaissance d’une conclusion dépend de toutes les propositions intermédiaires qui précèdent, non seulement quand il s’agit d’acquérir une science qu’on n’a pas, mais même pour conserver celle qu’on a. La preuve en est que si l’on oubliait une de ces propositions intermédiaires, on pourrait croire à la conclusion et l’accepter de confiance, mais on n’en aurait pas la science puisqu’on ignorerait l’ordre des choses qui l’ont produite. Ainsi puisque les anges inférieurs connaissent la raison des œuvres divines par la lumière qu’ils reçoivent des anges supérieurs, leur connaissance dépend donc de cette lumière non seulement pour acquérir ce qu’ils ne savent pas, mais encore pour conserver ce qu’ils savent. Par conséquent, quoique les anges inférieurs n’aient pas à progresser après le jugement dans les connaissances qu’ils possèdent, cependant ce n’est pas une raison pour qu’ils n’aient pas besoin d’être éclairés par les anges supérieurs.

 

Objection N°3. Saint Paul dit (Héb., 1, 14) que tous les anges sont les serviteurs de Dieu et que leur mission a pour but ceux qui doivent recevoir l’héritage du salut. D’où il est manifeste que les anges ont pour fonction d’aider les hommes à faire leur salut. Or, au jour du jugement le nombre des élus sera complet ; il n’y aura donc plus alors ni ordres, ni fonctions parmi les anges.

Réponse à l’objection N°3 : Quoique après le jour du jugement les hommes n’aient plus besoin du ministère des anges pour faire leur salut, néanmoins ceux qui seront arrivés à l’autre vie, tireront encore une certaine gloire de ce que les anges feront ou auront fait à leur égard.

 

Mais c’est le contraire. Car il est écrit (Juges, 5, 20) : Les étoiles conserveront leur ordre et leur cours, et d’après la glose ces paroles se rapportent aux anges. Donc les anges resteront toujours dans leurs ordres respectifs.

 

Conclusion Après le jour du jugement les ordres des anges subsisteront quant à la distinction des rangs, mais par rapport à l’exécution de leurs fonctions les uns existeront et les autres n’existeront pas.

Il faut répondre que dans les ordres des anges il y a deux choses à considérer, la distinction des rangs et l’exécution des charges. La distinction des rangs repose, comme nous l’avons dit (art. 4), sur l’inégalité de la grâce et de la nature. Cette double inégalité existera toujours dans les anges. Car l’inégalité de nature ne pourrait être détruite qu’autant qu’ils seraient sujets à la corruption. Quant à l’inégalité de la gloire elle existera toujours en eux en raison de la différence de leur mérite antérieur. L’exécution des charges qu’ils ont maintenant à remplir subsistera sous certains rapports et ne subsistera pas sous d’autres. Ainsi ils n’auront plus à élever les autres créatures vers leur fin puisqu’elles l’auront atteinte, mais leurs fonctions ne subsisteront pas moins telles que ce nouvel état le peut comporter. C’est ainsi que dans l’ordre militaire les fonctions restent, bien qu’elles ne soient pas les mêmes dans le combat que dans le triomphe.

 

Article 8 : Les hommes seront-ils placés dans les ordres des anges ?

 

          Objection N°1. Il semble que les hommes ne soient pas placés dans les ordres des anges. Car la hiérarchie humaine est placée au-dessous de la dernière des hiérarchies célestes, comme celle-ci se trouve sous la seconde hiérarchie céleste, et cette dernière sous la première. Or, la dernière hiérarchie des anges ne peut jamais être confondue avec la seconde, ou avec la première. Donc les hommes ne peuvent pas non plus faire partie des ordres angéliques.

Réponse à l’objection N°1 : Les anges reçoivent la grâce proportionnellement aux dons naturels qu’ils ont reçus, mais qu’il n’en est pas de même des hommes, comme nous l’avons dit (art. 4). C’est pourquoi comme les anges inférieurs ne peuvent s’élever par leur nature à un ordre supérieur, ils ne le peuvent pas non plus par l’effet de la grâce. Mais les hommes peuvent s’élever selon la grâce à l’ordre le plus éminent, quoiqu’ils ne le puissent pas selon la nature.

 

Objection N°2. Les ordres des anges ont des charges particulières, comme de garder les hommes, de faire des miracles, de repousser les démons, etc. Ces charges ne paraissent pas convenir aux âmes des saints. Donc les saints ne peuvent être placés parmi les ordres des anges.

Réponse à l’objection N°2 : Les anges tiennent naturellement le milieu entre Dieu et nous. C’est pourquoi, selon la loi commune, ils administrent non seulement les choses humaines, mais encore tous les êtres matériels. Or, les saints après cette vie seront toujours de la même nature que nous. C’est ce qui fait que d’après la loi commune ils n’administrent pas les choses humaines et ne se mêlent pas des affaires des vivants, comme le dit saint Augustin (De cura pro mort, agenda, chap. 16). Cependant par une dispense spéciale les saints sont quelquefois chargés d’agir en faveur des vivants ou des morts, soit en faisant des miracles, soit en combattant les démons, soit en faisant d’autres choses semblables, comme le dit encore le même docteur (ibid.).

 

Objection N°3. Comme les bons anges poussent au bien, ainsi les mauvais poussent au mal. Or, c’est une erreur de dire que les âmes des hommes méchants se changent en démons. Car saint Jean Chrysostome repousse cette opinion (Hom. 29 sup. Matth.). Donc les âmes des saints ne peuvent pas être unies aux ordres des anges.

Réponse à l’objection N°3 : Ce n’est pas une erreur de dire que les hommes reçoivent le châtiment des démons, mais il y en a qui ont supposé (Tertullien est l’auteur de ce sentiment. Il a avancé que l’âme des scélérats se changeait en démon.) à tort que les démons ne sont rien autre chose que les âmes des morts. Et c’est ce sentiment que saint Augustin condamne.

 

Mais c’est le contraire. Car le Seigneur dit en parlant des saints (Matth., 22, 30) : ils seront comme les anges de Dieu dans le ciel.

Conclusion Quoiqu’il doive toujours y avoir une différence de nature entre les hommes et les anges, cependant par l’effet de la grâce les hommes peuvent mériter une gloire si grande qu’ils soient mis au rang des anges de chaque ordre, c’est-à-dire qu’ils puissent être placés dans tous les ordres angéliques quels qu’ils soient.

Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. préc. et art. 4), les ordres des anges se distinguent d’après la condition de leur nature et d’après les dons de la grâce. Si on ne considère leurs ordres que sous le rapport de la nature, les hommes ne peuvent jamais être élevés jusqu’à eux, parce qu’il y aura toujours entre l’un et l’autre la même différence naturelle. C’est sur cette considération que se sont appuyés ceux qui ont supposé que les hommes ne peuvent jamais être égaux aux anges, ce qui est une erreur. Car ce sentiment est contraire aux promesses du Christ qui dit (Luc, 20, 36) : les hommes après la résurrection seront égaux aux anges qui sont dans les cieux. En effet, ce que nous tenons de la nature est en quelque sorte ce qu’il y a de matériel sous le rapport de l’ordre. Le complément de notre être vient de la grâce qui dépend de la libéralité de Dieu et non des lois naturelles. C’est pourquoi par l’effet de ce don gratuit les hommes peuvent mériter une si grande gloire qu’ils soient les égaux de tous les anges qui appartiennent aux différentes hiérarchies, et ils peuvent être ainsi élevés aux divers rangs qu’occupent les esprits célestes. Cependant il y a des théologiens qui disent que tous les élus ne sont pas élevés aux ordres des anges, que ce privilège n’appartient qu’aux vierges et aux parfaits, et que les autres formeront un ordre à part parallèle à celui des anges (Ces théologiens ont erré en supposant que les hommes les plus parfaits et ceux qui le sont moins formaient deux sociétés séparées. Ils n’ont pas remarqué, dit le cardinal Cajétan, que l’ordre de la grâce est plus étendu que celui de la nature, et que parmi les hommes il y en a qui s’élèvent au-dessus des anges, comme la Vierge Marie, d’autres à leur niveau, comme les apôtres et les hommes parfaits, d’autres qui sont au-dessous, comme les enfants morts sans baptême, mais que tous ne forment néanmoins qu’une seule et même société.). Mais ce sentiment est contraire à celui de saint Augustin qui dit (De civ. Dei, liv. 12, chap. 1) que les hommes et les anges ne formeront pas deux sociétés, mais une seule, parce que leur félicité commune est de ne s’attacher qu’à Dieu.

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.