Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
1a = Prima Pars =
Première Partie
Question 111 : De
l’action des anges sur les hommes
Après
avoir parlé de l’action des anges sur les créatures corporelles, nous avons
maintenant à examiner l’influence qu’ils exercent sur les hommes. Nous
rechercherons d’abord s’ils peuvent avoir sur eux quelque action par leur vertu
naturelle ; ensuite comment Dieu les envoie pour servir les hommes ; enfin
comment ils sont nos gardiens. — Sur le premier point quatre questions se présentent
: 1° L’ange peut-il éclairer l’intellect de l’homme ? (L’Ecriture
nous apprend, dans une multitude de circonstances, que les anges éclairent les
hommes : Dieu dit à Israël : Voici que
j’enverrai mon ange, afin qu’il marche devant vous, qu’il vous garde pendant le
chemin et qu’il vous fasse entrer dans la terre que je vous ai préparée.
Respectez-le, écoutez sa voix (Ex.,
23, 20-21). L’ange du Seigneur parle à Manassé (Jug., 13, 21), à Daniel (10, vv. 9, 26 et 27). Tobie est éclairé et dirigé par l’ange
Raphaël. Dans l’Apocalypse, dit Bossuet, on voit les anges aller sans cesse du
ciel à la terre et de la terre au ciel ; ils portent, ils interprètent,
ils exécutent les ordres de Dieu (Préface
de l’Apocalypse, ch. 27).) — 2° Peut-il changer sa volonté ? (Cette
question revient à ce qui a été dit précédemment (quest. 105, art. 4, et quest.
106, art. 2). C’est un nouveau développement de ces paroles de l’Apôtre : Car c’est Dieu qui opère en vous et le
vouloir et le faire (Philipp, 2,
13).) — 3° Peut-il avoir influence sur son imagination ? (Cet article a pour
objet d’expliquer toutes les apparitions des anges dont l’Ecriture parle à
propos de saint Joseph et des mages (Matth., 1, 11),
de Daniel (chap. 7), de Jérémie (chap. 1 et 24), d’Isaïe (chap. 6), etc. Car,
comme l’observe saint Denis (De cœl. hier.,
chap. 4), les livres des prophètes sont remplis de visions qui sont parvenues
aux hommes par l’intermédiaire des anges.) — 4° Peut-il impressionner ses sens
? (De cet article résulte la possibilité des enchantements et des maléfices que
reconnaît le concile d’Ancyre (can. 24), et qui ont
été condamnés par le concile de Rome, sous Grégoire II (can. 15).)
Article
1 : L’ange peut-il éclairer l’homme ?
Objection
N°1. Il semble que l’ange ne puisse pas éclairer l’homme. Car l’homme est
éclairé par la foi. C’est pourquoi saint Denis (De hier. Eccl., chap. 2) attribue
l’illumination au baptême qui est le sacrement de la foi. Or, la foi vient de
Dieu immédiatement d’après ces paroles de l’Apôtre (Eph., 2, 8) : Vous avez été sauvés par la foi, et cela ne
vient pas de vous, car c’est un don de Dieu. Donc l’homme n’est pas
illuminé par l’ange, mais il l’est immédiatement par Dieu.
Réponse à
l’objection N°1 : Il y a deux choses qui concourent à produire la foi : 1°
L’état habituel de l’intellect quand il est disposé à obéir à la volonté qui le
porte vers la vérité divine. Car l’intellect adhère aux vérités de la foi non
parce que la raison le convainc, mais parce que la volonté le lui commande,
puisque, comme le dit saint Augustin (Tract.
26 in Joan.), on ne croit qu’autant qu’on veut croire. Sous ce rapport la
foi vient de Dieu seul. 2° Il faut, pour que la foi existe, que les choses que
l’on doit croire soient proposées à celui qui les croit. Les hommes le font,
d’après ces paroles de l’Apôtre (Rom.,
10, 17) : La foi vient de la parole qu’on
a entendue. Mais les anges y ont encore une part plus importante ; car ce
sont eux qui révèlent aux hommes les mystères de Dieu. Ils contribuent donc à
l’illumination de la foi, et à ce titre ils éclairent les hommes non seulement
sur ce qu’ils doivent croire, mais encore sur ce qu’ils doivent pratiquer.
Objection N°2.
A l’occasion de ces paroles de l’Apôtre : Dieu
le leur ayant fait connaître (Rom.,
1, 19), la glose dit que non seulement la raison naturelle a servi à manifester
aux hommes les choses divines, mais que Dieu les leur a révélées par ses œuvres,
c’est-à-dire par la création entière. Or, la raison naturelle et la création
viennent l’une et l’autre de Dieu immédiatement. Donc Dieu illumine l’homme
immédiatement.
Réponse à
l’objection N°2 : La raison naturelle qui vient de Dieu immédiatement peut
être fortifiée par l’ange, comme nous l’avons dit (quest. 106, art. 1). De même
la vérité intelligible qui résulte des espèces que l’on emprunte aux créatures
est d’autant plus élevée que l’entendement humain est plus fort. C’est ainsi
que l’ange aide l’homme à se faire d’après les créatures une connaissance plus
parfaite de la Divinité.
Objection N°3.
Tout être qui est illuminé connaît l’auteur de son illumination. Or, les hommes
ne sentent pas qu’ils sont éclairés par les anges. Donc ils ne le sont pas par
eux.
Réponse à
l’objection N°3 : L’opération intellectuelle et l’illumination peuvent
être considérées sous un double aspect : 1° Par rapport à l’objet compris. En
ce sens tout être qui comprend ou qui est illuminé connaît qu’il comprend ou
qu’il est illuminé, parce qu’il connaît l’objet qui est présent à son esprit.
2° Par rapport au principe de la connaissance. Alors quiconque comprend une
vérité ne sait pas pour cela la nature de l’intellect qui est le principe de
son opération intellectuelle. De même quiconque est illuminé par un ange ne
sait pas pour cela que c’est un ange qui l’illumine.
Mais c’est le
contraire. Saint Denis prouve (De cœl. hier.,
chap. 4) que les révélations divines arrivent aux hommes par le moyen des
anges, comme nous l’avons dit (quest. 108, art. 6). Or, ces révélations sont
des illuminations, comme nous l’avons vu (quest. 106, art. 1). Donc les hommes
sont illuminés par les anges.
Conclusion
Puisque les hommes sont d’une nature inférieure à celle des anges ils sont
illuminés par eux.
Il faut
répondre que, d’après l’ordre établi par la Providence, les êtres inférieurs
sont soumis à l’action des êtres qui sont au-dessus d’eux, comme nous l’avons
dit (quest. préc., art. 1), et que, suivant ce principe, les anges
inférieurs sont illuminés par les anges supérieurs, et les hommes, qui sont
inférieurs aux anges, sont illuminés par eux. Toutefois, ces deux sortes
d’illumination se ressemblent sous un rapport et diffèrent sous un autre. Car
nous avons dit (quest. 106, art. 1) que l’illumination qui est la manifestation
de la vérité divine produit deux effets : 1° elle fortifie l’entendement
inférieur par l’action qu’exerce sur lui l’entendement supérieur ; 2° elle
offre à l’entendement inférieur les espèces intelligibles qui sont dans
l’entendement supérieur, et elle les lui offre de manière qu’il puisse les
saisir. Dans la région angélique, c’est l’ange supérieur qui divise la vérité
générale qu’il a en lui-même et qui la proportionne à l’intellect de l’ange
inférieur qui doit la recevoir, comme nous l’avons vu (quest. 106, art. 2 et 3)
; mais l’entendement humain ne peut saisir la vérité purement intelligible,
parce qu’il est dans sa nature de ne comprendre que par l’intermédiaire des
images sensibles, comme nous l’avons prouvé (quest. 84, art. 7). C’est pourquoi
les anges présentent aux hommes la vérité intelligible sous des formes
sensibles. Car, comme le dit saint Denis (De
cœl. hier., chap. 1), il est impossible que la lumière divine
nous arrive autrement qu’enveloppée par cette multitude de voiles sacrés. D’un
autre côté l’entendement humain est fortifié par l’action de celui de l’ange,
puisqu’il lui est inférieur. C’est ainsi que l’ange produit dans l’homme le
double effet qui résulte de l’illumination.
Article
2 : Les anges peuvent-ils changer la volonté de l’homme ?
Objection
N°1. Il semble que les anges puissent changer la volonté de l’homme. Car, à
l’occasion de ces paroles de l’Apôtre : Celui
qui fait de ses anges des vents, et de ses ministres une flamme de feu (Héb., 1, 7), la
glose dit : ces esprits célestes sont de feu, puisqu’ils sont ardents et
qu’ils brûlent tous nos vices. Or, ils ne brûleraient pas nos vices s’ils ne
changeaient notre volonté. Donc les anges peuvent la changer.
Réponse à
l’objection N°1 : Les ministres de Dieu, les anges ou les hommes brûlent
les vices et embrasent d’ardeur pour la vertu par la persuasion.
Objection N°2.
Le vénérable Bède dit à propos de ces paroles de saint Matthieu : Mais ce qui sort de la bouche, etc. (Matth., 15, 18) que le démon ne nous inspire pas seulement
de mauvaises pensées, mais qu’il les allume encore dans notre âme. Saint Jean
Damascène ajoute (De fid.
orth.,
liv. 2, chap. 4) qu’il a été accordé aux démons de jeter dans le cœur (immittere) de
l’homme toutes les mauvaises pensées et toutes les passions immondes qu’ils
peuvent imaginer. Pour la même raison les bons anges peuvent déposer en nous de
bonnes pensées et embraser nos cœurs par de bons sentiments. Or, ils ne
pourraient le faire s’ils ne pouvaient changer notre volonté ; donc ils peuvent
la changer et ils la changent en effet.
Réponse à
l’objection N°2 : Les démons ne peuvent pas inspirer de mauvaises pensées
en les produisant intérieurement, puisque la volonté peut toujours s’y arrêter
ou non. Mais on dit que le diable enflamme nos cœurs parce qu’il nous excite à
penser des choses mauvaises et à les désirer, et qu’il le fait soit par la
persuasion, soit par l’excitation des passions. Saint Jean Damascène appelle
cette flamme une inspiration (immittere), parce qu’elle se forme et s’entretient au
dedans. Quant aux bonnes pensées on les attribue à un principe plus élevé,
c’est-à-dire à Dieu, bien qu’il nous les envoie par le ministère des anges.
Objection N°3.
L’ange illumine l’entendement humain au moyen d’images sensibles, comme nous
l’avons dit (art. préc). Or, comme l’imagination qui
sert l’intellect peut être changée par l’ange, de même l’appétit sensitif qui
sert la volonté peut l’être aussi, parce qu’il est comme l’imagination une
faculté qui se sert d’organe corporel. Donc par là même que l’ange illumine
l’intellect, il peut changer la volonté.
Réponse à
l’objection N°3 :
Dans l’état présent l’entendement humain ne peut comprendre qu’à
l’aide d’images sensibles, mais la volonté peut former ses volitions d’après
les lumières de la raison, sans suivre les inspirations de l’appétit sensitif.
Il n’y a donc pas de parité.
Mais c’est le
contraire. Car il n’y a que Dieu qui puisse changer la volonté de l’homme,
d’après ces paroles de l’Ecriture (Prov.,
21, 1) : Le cœur du roi est dans la main
du Seigneur, il le tourne partout où il veut.
Conclusion
Comme il n’y a que Dieu qui donne la volonté il n’appartient qu’à lui de la
changer efficacement ; les anges ne le peuvent que par le moyen de la
persuasion ou par l’excitation des passions.
Il faut
répondre que la volonté peut être changée de deux manières. 1° Par une cause
intérieure. En ce sens le mouvement de la volonté n’est rien autre chose que
l’inclination de cette puissance vers l’objet voulu, et il n’y a que Dieu qui
puisse la changer, parce que c’est lui qui donne à la nature intellectuelle la
faculté d’avoir telle ou telle inclination. Car comme l’inclination naturelle
ne vient que de Dieu, l’auteur de la nature ; de même l’inclination volontaire
ne vient que de lui, parce qu’il est aussi seul l’auteur de la volonté. 2° La
volonté est mue par un agent extérieur. Dans l’ange ce phénomène ne se produit
que d’une manière, il a pour cause le bien saisi par l’intellect. Par
conséquent l’agent extérieur ne meut la volonté qu’autant qu’il est cause du
bien que l’intellect saisit pour en faire l’objet de son appétit. Sous ce
rapport il n’y a que Dieu qui puisse mouvoir efficacement la volonté ; l’ange
et l’homme ne peuvent agir sur elle que par voie de persuasion, comme nous
l’avons dit (quest. 106, art. 2). Mais dans l’homme la volonté est mue d’une
autre manière extérieurement, c’est-à-dire par la passion qui s’attache à
l’appétit sensitif. Ainsi la volonté étant portée par la concupiscence ou la
colère à vouloir une chose, les anges peuvent la mouvoir de cette manière en
excitant ses passions ; mais ils ne la meuvent pas nécessairement, parce que la
volonté est toujours libre de consentir ou de résister à la passion.
Article
3 : L’ange peut-il avoir influence sur l’imagination de l’homme ?
Objection
N°1. Il semble que l’ange ne puisse pas changer l’imagination de l’homme. Car
l’imagination, comme le dit Aristote (De animâ, liv. 3, text. 161),
est un mouvement produit par les sens. Or, si ce mouvement était produit par un
ange on ne pourrait l’attribuer aux sens. Donc il est contraire à l’essence
même de l’imagination, c’est-à-dire de l’acte de la faculté imaginative, d’être
soumise à l’action de l’ange.
Réponse à
l’objection N°1 : Le principe de l’imagination est en effet dans les sens.
Car nous ne pouvons rien imaginer que nous ne l’ayons senti de quelque manière
en tout ou en partie. Ainsi l’aveugle-né ne peut imaginer la couleur. Mais on
peut agir sur l’imagination en excitant en elle un mouvement particulier
d’après les impressions que l’esprit conserve, comme nous l’avons dit (dans le
corps de l’article.).
Objection N°2.
Les formes qui existent dans l’imagination étant spirituelles sont par là même
plus nobles que les formes qui existent dans la matière sensible. Or, l’ange ne
peut imprimer aucune forme à la matière sensible, comme nous l’avons dit
(quest. préc., art. 2). Il ne peut donc pas non plus imprimer de formes
dans l’imagination, et par conséquent il ne peut la modifier.
Réponse à
l’objection N°2 : L’ange transforme l’imagination, non en lui imprimant
une forme imaginaire qu’elle n’aurait reçue préalablement d’aucune manière par
le moyen des sens. Car il ne pourrait faire qu’un aveugle imaginât des
couleurs. Mais il la transforme par le mouvement local des esprits organiques
et des humeurs, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.).
Objection N°3.
Saint Augustin dit (Sup. Gen. ad litt., liv. 12, chap.
12) : Un esprit, en s’unissant intimement avec un autre, peut faire que ce
qu’il sait il le montre par ses images à celui avec lequel il est en rapport,
soit que celui-ci comprenne, soit qu’il en reçoive l’intelligence d’un autre.
Or, il ne semble pas que l’ange puisse se mettre en rapport avec l’imagination
de l’homme, ni que l’imagination de l’homme puisse saisir les choses
intelligibles que l’ange connaît. Il semble donc que l’ange ne puisse pas avoir
influence sur l’imagination.
Réponse à
l’objection N°3 : L’esprit de l’ange se met en rapport avec l’imagination
de l’homme, non par son essence, mais par l’effet qu’il produit dans
l’imagination, suivant l’explication que nous en avons donnée. Il lui fait
connaître ainsi ce qu’il sait, mais il ne le lui fait pas connaître de la
manière dont il le sait.
Objection N°4.
Dans la vision imaginaire l’homme s’attache aux images des choses, comme si
elles étaient les choses elles-mêmes. Or, il y a en cela erreur. Donc, puisque
les bons anges ne peuvent nous tromper, il semble qu’ils ne puissent être cause
de la vision imaginaire et qu’ils ne puissent, par conséquent, agir sur
l’imagination.
Réponse à
l’objection N°4 : L’ange qui produit une vision imaginaire éclaire
quelquefois l’intellect de celui qui la reçoit, et lui fait comprendre le sens
de ces images sensibles, et dans ce cas il n’y a pas d’erreur possible.
D’autres fois l’action de l’ange se borne à produire dans l’imagination les
images des choses ; dans ce cas s’il y a erreur elle n’est pas imputable à
l’ange, mais au défaut d’intelligence de celui qui a eu cette vision. C’est
ainsi que le Christ n’a pas été cause des erreurs des Juifs parce qu’il leur a
dit beaucoup de choses en paraboles qu’il ne leur a pas expliquées.
Mais c’est le contraire.
Car on attribue à la vision imaginaire ce que l’on voit en songe. Or, les anges
révèlent quelquefois en songe à l’homme les ordres de Dieu, comme on le voit
par ce que saint Matthieu nous raconte (chap. 1 et 2) de l’ange qui apparut à
saint Joseph pendant qu’il dormait. Donc l’ange peut agir sur l’imagination.
Conclusion Les
visions imaginaires étant quelquefois produites en nous par le mouvement local
des esprits et des humeurs du corps, comme les anges peuvent mouvoir localement
la nature corporelle, il s’ensuit que les bons anges aussi bien que les
méchants peuvent par la seule vertu de leur nature agir sur l’imagination de
l’homme.
Il faut
répondre que les bons et les mauvais anges peuvent, par la vertu de leur
nature, agir sur l’imagination de l’homme ; ce qu’on peut se démontrer ainsi.
Nous avons dit (quest. préc., art. 3) que l’ange a le pouvoir de mouvoir les corps d’un
lieu à un autre. Tout ce qui peut être l’effet de ce mouvement local est donc
par là même soumis à la puissance naturelle de l’ange. Or, il est évident que
les visions de l’imagination sont quelquefois produites en nous par le
mouvement local des esprits et des humeurs qui sont dans le corps humain. C’est
pourquoi Aristote, assignant (in lib. de Somn. et Vigil., chap. 3) les causes des visions que
l’on a en songe, dit que quand l’animal dort, le sang descend avec beaucoup
d’abondance dans les organes de la sensation, et qu’avec lui se portent au même
endroit les mouvements, c’est-à-dire les impressions qui sont restées de l’action
des choses sensibles qu’on a perçues pendant la veille. Ces impressions étant
conservées dans tous les esprits organiques, elles meuvent le principe sensitif
de telle sorte qu’il en résulte une apparition analogue à celle qui s’est
produite lorsque la sensibilité a été mue pour la première fois par les choses
extérieures. La commotion des esprits et des humeurs peut même être si forte
que ces apparitions persévèrent durant l’état de veille, comme on le voit chez
les frénétiques et chez tous ceux qui sont atteints de folie. Ainsi ce qui
arrive par la commotion naturelle des humeurs et quelquefois par la volonté de
l’homme, qui se représente quand il le veut par l’imagination ce qu’il a
d’abord connu par les sens, peut donc être produit par la puissance d’un bon ou
d’un mauvais ange, tantôt par une aliénation des sens corporels (Cette
aliénation des sens est l’extase que saint Thomas attribue aux sens et aux
mauvais anges, parce qu’il y a de ces faits que l’on attribue à l’intervention
du démon.), et tantôt sans cela.
Article
4 : Les anges peuvent-ils agir sur les sens de l’homme ?
Objection
N°1. Il semble que l’ange ne puisse pas modifier les sens de l’homme. Car les
opérations des sens sont des opérations vitales. Or, aucune opération de cette
nature n’a pour cause un principe extrinsèque. Donc l’opération sensitive ne
peut être produite par un ange.
Réponse à
l’objection N°1 : Le principe de l’opération sensitive ne peut exister
sans un principe intérieur qui est la faculté sensitive elle-même. Mais ce
principe intérieur peut être mû extérieurement de beaucoup de manières, comme
nous l’avons dit (dans le corps de l’article.).
Objection N°2.
La vertu sensitive est plus noble que la vertu nutritive. Or, l’ange ne peut
pas plus, à ce qu’il semble, changer la vertu nutritive que les autres formes
naturelles. Donc il ne peut pas non plus changer la vertu sensitive.
Réponse à
l’objection N°2 : Par la commotion intérieure des esprits organiques et
des humeurs l’ange peut avoir action sur la puissance nutritive ainsi que sur
la puissance appétitive, sur la puissance sensitive et en général sur toute
puissance qui se sert d’un organe corporel.
Objection N°3.
Les sens sont naturellement mus par les choses sensibles. Or, l’ange ne peut
changer l’ordre de la nature, comme nous l’avons dit (quest. 110, art. 4). Donc
il ne peut avoir action sur les sens ; c’est toujours aux choses sensibles à
les modifier.
Réponse à
l’objection N°3 : L’ange ne peut déroger aux lois générales de la
création, mais il peut déroger aux lois particulières d’une créature spéciale,
parce qu’il n’est pas soumis à ces lois. C’est ce qui fait qu’en dehors des
lois ordinaires il peut agir d’une manière qui lui est propre sur les sens de
l’homme.
Mais c’est le
contraire. Car les anges qui ont renversé Sodome ont frappé de cécité les
Sodomites, au point qu’ils ne pouvaient plus trouver l’entrée de leur maison (Gen., 19, 11). Et au livre des Rois (4
Rois, chap. 6) on lit la même chose à l’égard des Syriens qu’Elisée conduisit à
Samarie.
Conclusion L’ange
peut agir sur les sens de l’homme soit en leur présentant un objet sensible
extérieur, soit en excitant intérieurement les humeurs du corps à produire
différentes apparitions sensibles.
Il faut répondre que les sens peuvent
être modifiés de deux manières : extérieurement par les choses sensibles et
intérieurement. Car nous voyons que du moment que les esprits organiques et les
humeurs sont troublés les sens ne sont plus les mêmes. Ainsi, la langue d’un
malade trouve tout amer quand elle est chargée de bile, et il en est de même de
tous les autres sens. Or, l’ange peut de ces deux manières, par sa puissance
naturelle, modifier les sens de l’homme. En effet, il peut lui offrir
extérieurement un objet sensible qu’il prend dans la nature ou qu’il forme lui-même
à l’instant. C’est ce qu’il fait, par exemple, quand il prend un corps, comme
nous l’avons dit (quest. 51, art. 2). Il peut également mettre intérieurement
en mouvement les esprits organiques et les humeurs, comme nous l’avons dit
(art. préc.) et par leur moyen modifier les sens.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de
l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec
l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous
puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au
respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune
évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de
la morale catholique et des lois justes.