Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
1a = Prima Pars =
Première Partie
Question 112 : De
la mission des anges
Nous
avons maintenant à nous occuper de la mission des anges. — A cet égard quatre
questions se présentent : 1° Y a-t-il des anges qui soient envoyés pour remplir
un ministère extérieur ? (L’Ecriture parle
formellement de la mission des anges, dans une foule de circonstances : J’enverrai un ange pour vous servir de
précurseur (Ex., 33, 2) ; Et le Seigneur envoya un ange… (2 Paral., 32,
21) ; Et maintenant le Seigneur m’a
envoyé (Tobie, 12, 14) : J’envoie mon
ange (Malach., 3, 1) ; Ils priaient le Seigneur avec pleurs et avec larmes, et tout le peuple
en même temps qu’eux, d’envoyer un bon ange pour le salut d’Israël (2 Mach., 11, 6). On ne pourrait attaquer
ce point de doctrine sans être hérétique.) — 2° Tous les anges sont-ils envoyés
? (Saint Denis, saint Grégoire le Grand, saint Anselme et un grand nombre de
théologiens sont sur ce point du sentiment de saint Thomas, mais il y en a
d’autres qui sont du sentiment contraire, et qui croient que tous les anges
sont envoyés Ils se fondent tout particulièrement sur ce passage de saint Paul
: Ne sont-ils pas tous des esprits qui
servent (Héb.,
1, 14).) — 3° Ceux qui sont envoyés sont-ils ceux qui assistent à la gloire de
Dieu ? (D’après saint Thomas, saint Denis et saint Grégoire, les anges
assistants ne sont pas envoyés. Cependant il y a un grand nombre de Pères qui
ne sont pas de ce sentiment. Ils s’appuient sur ce que l’ange Raphaël, envoyé à
Tobie, dit qu’il est un des sept qui assistent devant Dieu (Tob.,
12, 15). L’ange qui apparut à Zacharie dit : Je suis Gabriel, qui me tient devant Dieu (Luc, 1,19). La
distinction que fait saint Thomas à l’égard du mot assistance pourrait
peut-être concilier cette diversité de sentiment.) — 4° A quels ordres
appartiennent ceux qui sont envoyés ? (Saint Thomas précise dans cet article ce
qu’il a dit dans les articles précédents, et il détermine, d’après les noms des
ordres et des hiérarchies, ceux des anges qui sont envoyés et ceux qui ne le
sont pas.)
Article
1 : Les anges sont-ils envoyés pour remplir un ministère extérieur ?
Objection
N°1. Il semble que les anges ne soient pas envoyés pour un ministère extérieur.
Car toute mission a pour but un lieu déterminé. Or, les actions intellectuelles
ne se rapportent à aucun lieu, parce que l’intellect est absolument en dehors
de toutes les idées de temps et d’espace. Donc puisque les actions des anges
sont des actions intellectuelles, il semble que les anges ne soient pas envoyés
pour faire une action quelconque.
Réponse à
l’objection N°1 : Une opération peut être appelée intellectuelle de deux
manières : 1° Parce qu’elle réside dans l’intellect lui-même, comme la
contemplation. Cette opération est indépendante de l’espace ou du lieu ; car,
comme le dit saint Augustin (De Trin.,
liv. 4, chap. 20), par rapport aux idées éternelles que nous avons dans notre
esprit nous ne sommes pas de ce monde. 2° On dit encore qu’une action est
intellectuelle quand elle a pour règle l’entendement et que c’est l’entendement
qui la commande. En ce sens il est évident que les opérations intellectuelles
se rapportent quelquefois à un lieu déterminé.
Objection N°2.
Le ciel empyrée est le seul lieu qui soit en rapport avec la dignité des anges.
Si on nous les envoie pour remplir un ministère quelconque, il semble qu’on
déroge par là même à leur dignité, ce qui répugne.
Réponse à
l’objection N°2 : Le ciel empyrée convient en effet à la dignité de l’ange
; car il est convenable qu’on désigne pour séjour aux êtres spirituels le
premier de tous les corps dans l’ordre de la nature. Mais l’ange n’emprunte
rien de sa grandeur au lieu qu’il habite. C’est pourquoi, quand il n’est pas
actuellement dans le ciel empyrée, sa dignité n’a point à en souffrir ; comme
le roi ne perd rien de sa majesté quand il n’est pas actuellement assis sur son
trône.
Objection N°3.
Les occupations extérieures empêchent de contempler la sagesse. C’est pourquoi
il est dit dans l’Ecriture (Ecclésiastique, 38, 25) que celui qui se livre le moins à la vie active recevra la sagesse. Si
donc il y a des anges qui soient envoyés pour remplir des fonctions
extérieures, il semble que par là même ils soient distraits de la contemplation
de Dieu, et comme tout leur bonheur consiste dans cette contemplation, leur
mission aurait pour effet de diminuer leur béatitude, ce qui répugne.
Réponse à
l’objection N°3 : Les occupations extérieures empêchent en nous la pureté
de la contemplation ; parce que ce sont les puissances sensitives que nous mettons
en action lorsque nous agissons extérieurement, et plus leur action est vive,
moins la puissance intellective a lieu de se déployer. Mais l’ange ne règle ses
actions extérieures que par son intelligence. Par conséquent, elles ne sont pas
un obstacle en elle à la contemplation. Car quand de deux actions l’une est la
règle et la raison de l’autre, elles ne se nuisent pas, mais au contraire elles
se prêtent un mutuel secours. Aussi saint Grégoire dit (Met., liv. 2, chap. 2) que les anges ne sortent pas au dehors au
point de se priver des joies de la contemplation intérieure.
Objection N°4.
C’est à l’inférieur à servir, d’après ces paroles de saint Luc (22, 27) : Quel est le plus grand de celui qui est à
table ou de celui qui sert ? n’est-ce pas celui qui
est à table ? Or, les anges sont plus grands que nous dans l’ordre de la
nature. Donc ils ne sont pas envoyés pour nous servir.
Réponse à
l’objection N°4 : Dans leurs actions extérieures les anges servent
principalement Dieu, et ne nous servent que secondairement, non parce que nous
sommes au-dessus d’eux, absolument parlant, mais parce que tout homme aussi
bien que tout ange, par là même qu’il est uni à Dieu, ne fait qu’un avec lui et
est au-dessus de toute créature. C’est ce qui fait dire à saint Paul (Philipp., 2, 3) que chacun doit croire par humilité les autres au-dessus de soi.
Mais c’est le
contraire. Car il est écrit (Ex., 23,
20) : Voici, je vais envoyer mon ange qui
vous précédera.
Conclusion
Puisque les anges agissent d’après l’ordre de Dieu sur la créature corporelle,
on dit avec raison qu’ils sont envoyés pour servir.
Il faut
répondre que, d’après ce que nous avons dit (quest. 108, art. 6), il est
évident que Dieu envoie les anges pour remplir un ministère extérieur. En
effet, comme nous le disions en parlant de la mission des personnes divines
(quest. 43, art. 1), on appelle envoyé celui qui procède d’un autre de quelque
façon, et qui commence à être où il n’était pas auparavant, ou bien à y être
d’une autre manière. Car on dit du Fils ou de l’Esprit-Saint
qu’il est envoyé, parce qu’il procède originellement du Père, et que là où il
était par sa divinité il commence à être d’une autre manière, c’est-à-dire
qu’il est par la grâce ou la nature qu’il a prise là où il était par sa
présence. Car le propre de Dieu est d’être partout, parce que, comme il est
l’agent universel, sa puissance atteint tous les êtres, et elle existe par
conséquent en toutes choses, comme nous l’avons dit (quest. 8, art. 1). Mais
l’ange étant un agent particulier, sa puissance n’embrasse pas tout l’univers,
mais elle atteint une chose sans en atteindre une autre, et c’est pour cela
qu’elle est ici sans être ailleurs. Or, il est évident, d’après ce que nous
avons dit (quest. 110, art. 1), que les anges administrent les créatures
matérielles. Par conséquent, quand un ange doit agir de quelque manière sur une
créature corporelle, il exerce alors sur elle une action qu’il n’exerçait pas
auparavant, et il commence ainsi à être où il n’était pas, et cela d’après les
ordres de Dieu. D’où il suit, d’après ce que nous avons dit préalablement, que
l’ange est envoyé de Dieu. Mais l’action que l’ange envoyé exerce procède de
Dieu, comme de son premier principe (car c’est sa volonté et sa puissance qui
font mouvoir tous ces esprits célestes), et elle se rapporte à lui comme à sa
fin dernière. Et l’ange agit ainsi en qualité de ministre ; car tout ministre
est comme un instrument intelligent. Tout instrument étant mû par un autre
être, et son action se rapportant à une fin ultérieure, il s’ensuit qu’on
appelle les actions des anges des ministères,
et c’est pour cela qu’on dit qu’ils sont envoyés pour certaines missions
extérieures (Tous les anciens, dit Bossuet, ont cru, dès les premiers siècles,
que les anges s’entremettaient dans toutes les actions de l’Eglise ; ils ont
reconnu un ange qui intervenait dans l’oblation et la portait sur l’autel
sublime de Jésus-Christ ; un ange qu’on appelait l’ange de l’oraison, qui présentait à Dieu les vœux des fidèles (Préface de l’Apocalypse, ch. 27).).
Article
2 : Tous les anges peuvent-ils être envoyés extérieurement en mission ?
Objection
N°1. Il semble que tous les anges soient extérieurement envoyés en mission. Car
saint Paul dit (Héb.,
1, 14) que tous les esprits célestes sont
les ministres de Dieu et qu’il les envoie.
Réponse à
l’objection N°1 : Comme dans les missions des personnes divines il y a une
mission visible qui se considère par rapport à la créature corporelle, et une
mission invisible qui se produit par un effet spirituel ; de même dans les
missions des anges il y a une mission extérieure qui a pour but le ministère
qu’ils ont à remplir à l’égard des êtres corporels, et c’est cette mission que
tous ne reçoivent pas, et il y a une mission intérieure dont les effets sont
purement spirituels. C’est par cette mission qu’un ange en éclaire un autre. En
ce sens on peut dire que tous les anges sont envoyés. — On peut encore répondre
que dans cet endroit l’Apôtre a l’intention de prouver que le Christ est
au-dessus des anges qui ont donné aux Hébreux leur loi, afin de démontrer par
là l’excellence du Nouveau Testament sur l’Ancien. On ne doit donc entendre par
les anges qui ont été envoyés pour une mission extérieure que les anges qui ont
donné aux Juifs leur loi (Parmi les Pères qui ont pris les paroles de saint
Paul dans toute leur généralité, nous citerons saint Athanase (Orat. 3 cont. Arian.), saint Chrysostome (Comment. in Paul.), Eusèbe de Césarée (De Evangel. præpar., liv. 7), saint Grégoire de Nysse (cont. Eunom., liv. 10), saint Grégoire de Nazianze
(Orat. 51), saint Cyrille d’Alexandrie (De rectâ fid., liv. 32).).
Objection N°2.
Parmi les ordres des anges le plus élevé est celui des séraphins, comme nous
l’avons dit (quest. 108, art. 6). Or, c’est un séraphin qui a été envoyé pour
purifier les lèvres du prophète Isaïe (Is., chap. 6).
Donc à plus forte raison les anges inférieurs sont-ils envoyés.
Réponse à
l’objection N°2 : D’après saint Denis l’ange qui a été envoyé pour
purifier les lèvres du Prophète fut un des anges inférieurs. On lui a donné le
nom de séraphin équivoquement parce
qu’il était venu embraser les lèvres d’Isaïe. — Ou bien il faut répondre que
les anges supérieurs communiquent par le moyen des anges inférieurs leurs
propres dons, ceux qui leur ont fait donner les noms dont nous les appelons.
Ainsi on dit qu’un séraphin a purifié avec un charbon ardent les lèvres du
Prophète, non parce qu’il l’a fait lui-même immédiatement, mais parce qu’un
ange inférieur l’a fait d’après sa puissance (Cette réponse est celle de saint
Denis.). C’est ainsi que l’on dit que le Pape absout, bien qu’il ait chargé un
autre de donner l’absolution.
Objection N°3.
Les personnes divines surpassent infiniment tous les ordres des anges. Or, les
personnes divines sont envoyées. Donc à plus forte raison tous les anges, même
les plus élevés.
Réponse à
l’objection N°3 : Les personnes divines ne sont pas envoyées pour un
ministère extérieur ; quand on parle de leur mission c’est donc équivoquement,
comme nous l’avons dit (quest. 43).
Objection N°4.
Si les anges supérieurs ne sont pas envoyés pour un ministère extérieur c’est
uniquement parce que les anges supérieurs exécutent les ordres de Dieu par le
moyen des anges qui sont au-dessous d’eux. Or, tous les anges étant inégaux,
comme nous l’avons dit (quest. 108, art. 3, objection N°1), ils en ont tous
nécessairement un au-dessous d’eux, à l’exception du dernier. Donc il n’y a que
le dernier qui pourrait être envoyé, contrairement à cette parole de Daniel (7,
10) : Il y en avait des milliers qui le
servaient.
Réponse à
l’objection N°4 : Dans les charges extérieures que Dieu confie, il y a
divers degrés. Par conséquent rien n’empêche que des anges inégaux ne soient
immédiatement envoyés pour divers ministères, de telle sorte que les anges
supérieurs soient chargés des ministères les plus élevés et les anges
inférieurs de ceux qui le sont moins.
Mais c’est le
contraire. Car saint Grégoire dit, en rapportant le sentiment de saint Denis (Hom. 34 in Ev.) que les ordres supérieurs
ne sont pas envoyés pour un office extérieur.
Conclusion
Selon la loi commune il n’y a que les anges inférieurs qui soient envoyés, mais
d’après une dispense divine les supérieurs peuvent l’être aussi.
Il faut
répondre que, comme nous l’avons dit (quest. 110, art. 1), l’ordre établi par
la divine Providence veut, non seulement parmi les anges, mais encore dans tout
l’univers, que les êtres inférieurs soient régis par les êtres supérieurs.
Mais, à l’égard des choses matérielles, Dieu permet quelquefois qu’on déroge à
cet ordre dans l’intérêt d’un ordre plus élevé, par exemple, quand cette
dérogation peut servir à la manifestation de la grâce. Ainsi, quand
l’aveugle-né a vu la lumière, quand Lazare est sorti de son tombeau, Dieu a été
lui-même l’auteur immédiat de ces événements sans que les corps célestes y
aient eu aucune part. Mais les bons et les mauvais anges peuvent exercer sur
les corps inférieurs une certaine influence en dehors de l’action des corps
célestes, par exemple, en conduisant les nuées pour produire de la pluie, ou en
faisant d’autres choses semblables. Personne ne peut douter que Dieu ne puisse
révéler aux hommes quelque chose immédiatement sans l’intermédiaire des anges,
et que les anges supérieurs ne puissent aussi le faire sans avoir recours aux
anges inférieurs. En partant de ce principe il y a des auteurs qui ont dit que
d’après la loi commune les anges supérieurs ne sont pas envoyés, et qu’il n’y a
que les anges inférieurs qui le soient ; mais que cependant il arrive
quelquefois que Dieu déroge à cette loi et qu’il envoie les anges supérieurs (Le
Père Peteau soutient ce sentiment dans son traité (De angelis, liv. 2, chap. 6).). Mais ce
sentiment ne nous paraît pas raisonnable, parce que l’ordre des anges ne se
considère pas suivant l’ordre de la grâce. L’ordre de la grâce n’a pas
d’ailleurs d’ordre supérieur à lui qui oblige à y déroger, comme on déroge à
l’ordre de la nature en faveur de l’ordre de la grâce. De plus, on doit
observer qu’en faisant des miracles on déroge à l’ordre de la nature pour
affermir les hommes dans la foi ; tandis que si l’on dérogeait à l’ordre des
anges ce ne pourrait être dans ce but, puisque nous ne pourrions nous en
apercevoir. Au reste, dans les offices extérieurs que Dieu confie aux anges
qu’il envoie, il n’y a rien qui soit au-dessus de la puissance des ordres
inférieurs. De là, saint Grégoire (loc.
cit.) fait remarquer que ceux qui annoncent les plus grandes choses
reçoivent le nom d’archanges. C’est
ainsi que l’archange Gabriel fut envoyé à la sainte Vierge, et, comme le dit le
même docteur, le mystère de l’Incarnation est bien la plus grande chose que
Dieu ait fait annoncer aux hommes. Il faut donc dire absolument avec saint
Denis que les anges supérieurs ne sont jamais envoyés pour un office extérieur.
Article
3 : Tous les anges qui sont envoyés de Dieu assistent-ils devant lui ?
Objection
N°1. Il semble que les anges que Dieu envoie assistent devant lui. Car saint
Grégoire dit (Hom. 34 in Ev.) : Les anges sont envoyés et
ils assistent devant lui, parce que bien que l’esprit de l’ange soit limité,
l’esprit souverain qui est Dieu ne l’est pas.
Objection N°2.
L’ange envoyé à Tobie avait été chargé d’un office extérieur. Cependant il dit
lui-même : Je suis l’ange Raphaël, un des
sept qui sont debout devant le Seigneur (Tob., 12,
15). Donc les anges qui sont envoyés de Dieu assistent devant lui.
Objection N°3.
Tout ange heureux est plus près de Dieu que Satan. Or, Satan assiste près du
trône de Dieu, d’après ces paroles de Job (1, 6) : Quand les fils de Dieu assistaient devant le Seigneur, Satan se trouva
parmi eux. Donc à plus forte raison les anges qui sont envoyés pour remplir
un ministère extérieur assistent-ils près de Dieu.
Réponse à
l’objection N°3 : On ne dit pas que Satan assistait, mais qu’il se
trouvait parmi les assistants. Car, comme le dit saint Grégoire (Mor., liv. 2, chap. 2), quoiqu’il ait perdu
la béatitude, il n’a pas perdu pour cela sa nature qui est semblable à celle
des anges.
Objection N°4.
Si les anges inférieurs n’assistent pas près de Dieu, c’est uniquement parce
qu’ils ne reçoivent pas immédiatement ses lumières, mais que ce sont les anges
supérieurs qui les leur transmettent. Or, tous les anges reçoivent ainsi par
l’intermédiaire de l’ange qui est au-dessus d’eux les illuminations divines, à
l’exception du premier d’entre eux qui les reçoit immédiatement. Il n’y aurait
donc que le plus élevé des anges qui assisterait à la gloire divine,
contrairement à ces paroles de Daniel (7, 10) : Des milliers l’assistaient. Donc ceux qui servent Dieu l’assistent
également.
Réponse à
l’objection N°4 : Tous les anges assistants voient immédiatement quelque
chose dans les clartés de l’essence divine, et c’est pour cela que le caractère
distinctif de la première hiérarchie c’est que tous ceux qui en l’ont partie
sont immédiatement éclairés par Dieu. Mais ceux qui sont les premiers parmi eux
perçoivent plus de choses que les autres et ils les leur communiquent en les
illuminant ; comme parmi ceux qui sont près d’un roi il y en a qui connaissent
mieux que d’autres ses secrets.
Mais c’est le
contraire. Car saint Grégoire dit (Mor., liv. 17, chap. 9) que les Puissances qu’il n’envoie
jamais pour annoncer aux hommes ses volontés l’assistent. Donc ceux qui sont
envoyés de Dieu ce ne sont pas ceux qui l’assistent.
Conclusion Tous
les anges qui servent Dieu l’assistent en voyant son essence, mais il n’y a que
les anges supérieurs qui l’assistent en percevant les mystères divins qui sont
en lui.
Il faut
répondre que parmi les anges il y en a qui assistent près de Dieu et d’autres
qui le servent, comme parmi ceux qui environnent un roi il y en a qui sont
toujours près de lui et qui reçoivent immédiatement ses ordres, et il y en a
d’autres auxquels ceux-ci transmettent les ordres qui leur ont été donnés. Tels
sont par exemple les gouverneurs des villes de provinces : ils sont les
serviteurs du roi, mais ils ne sont pas ses assistants. On doit d’abord
observer que tous les anges voient immédiatement l’essence divine (Scot et
Origène ont avancé l’opinion contraire que saint Thomas appelle hérétique dans
son commentaire sur l’Epitre aux Hébreux.). Sous ce
rapport tous ceux qui servent Dieu assistent devant lui. C’est la pensée de
saint Grégoire, qui dit (Mor., liv. 2, chap. 2) que ceux qui sont
envoyés pour une mission extérieure dans l’intérêt de notre salut peuvent
toujours assister à la gloire du Père et voir sa face. Mais tous les anges ne
peuvent pas connaître les secrets des mystères de Dieu bien qu’ils soient en
quelque sorte plongés dans les clartés de son essence. Il n’y a que les anges
supérieurs qui puissent les pénétrer, et ce sont eux qui les manifestent aux
anges inférieurs. En ce sens il n’y a que les anges supérieurs, ceux de la
première hiérarchie, qui soient assistants ; car, comme le dit saint Denis (De cœl. hier.,
chap. 7), le propre de ceux qui assistent c’est d’être éclairés de Dieu
immédiatement.
Par là la
solution de la première et de la seconde objection est évidente, parce qu’elles
reposent l’une et l’autre sur le premier sens selon lequel on peut entendre le
mot assistance.
Article
4 : Les anges de la seconde hiérarchie sont-ils tous envoyés ?
Objection
N°1. Il semble que les anges de la seconde hiérarchie soient tous envoyés. Car
tous les anges assistent ou servent, d’après le prophète Daniel (chap. 7). Or,
les anges de la seconde hiérarchie n’assistent pas, car ils sont illuminés par
les anges de la première, comme le dit saint Denis (De cœl. hier., chap. 8). Donc tous les anges de
la seconde hiérarchie sont envoyés pour divers ministères.
Réponse à
l’objection N°1 : Les Dominations sont à la vérité comprises parmi les
anges qui servent, non parce qu’elles exécutent les ordres de Dieu, mais parce
qu’elles disposent et ordonnent ce que les autres doivent faire. Ainsi les
architectes ne font rien par leur main dans un édifice, mais ils disposent et
ordonnent ce que les autres doivent exécuter.
Objection N°2.
Saint Grégoire dit (Mor., liv. 17, chap. 9) qu’il y a plus
d’anges qui servent qu’il n’y en a qui assistent. Or,
il n’en serait pas ainsi si les anges de la seconde hiérarchie n’étaient pas
envoyés. Donc ils le sont tous.
Réponse à
l’objection N°2 : A l’égard du nombre des anges qui assistent et qui
servent le Seigneur il y a deux sentiments. Saint Grégoire dit que ceux qui
servent sont plus nombreux que ceux qui assistent. Car il comprend ces mots : millia mille milliers le servaient, millium ministrabant ei (Dan. 7, 10) non comme si l’on multipliait mille par
mille, mais comme si l’on entendait que de plusieurs milliers d’anges il y en
avait plusieurs mille qui servaient le Seigneur. A ses yeux cette expression
n’indique donc qu’un nombre indéfini mais excessivement étendu. Quant aux anges
assistants il croit au contraire que le nombre en est déterminé par ces mots : dix mille millions l’assistaient, decies millies centenia millia assistebant ei (ibid.). Son sentiment est d’ailleurs
conforme à celui des platoniciens qui disaient que plus les êtres se
rapprochaient de l’être unique qui était leur premier principe, moins ils
étaient nombreux, comme le nombre est lui-même moins élevé à mesure qu’il se
rapproche de l’unité. Il serait aussi assez d’accord avec la distinction des
ordres telle que nous l’avons établie, puisque nous en avons reconnu six qui
servent et trois qui assistent. Mais saint Denis suppose au contraire (De cœl. hier., chap. 14)
que la multitude des anges surpasse celle des êtres matériels, parce que,
dit-il, comme les corps supérieurs surpassent pour ainsi dire infiniment les
inférieurs en grandeur, de même les substances spirituelles sont infiniment
au-dessus des êtres corporels, parce que Dieu s’attache davantage à ses
meilleures créatures et les multiplie beaucoup plus. D’après ce principe les
anges qui assistent étant supérieurs à ceux qui servent, ils doivent être plus
nombreux. Par conséquent suivant ce système il faut entendre millia millium comme
s’il y avait millies millia, mille
fois mille. Et comme dix fois cent (decies centum) font mille, si on disait dix fois cent mille (decies centena millia), on ferait comprendre par là qu’il y a autant
d’anges qui assistent qu’il y a d’anges qui servent ; mais comme il est écrit
dix mille fois cent mille (decies millies centena millia), il s’ensuit que les anges qui assistent sont
beaucoup plus nombreux que ceux qui servent. Ces nombres ne sont pas d’ailleurs
employés pour désigner quelle est la multitude des anges, mais pour faire voir
qu’elle est de beaucoup supérieure à celle des êtres matériels. Ce que
l’Ecriture exprime en accumulant les dizaines (denarii), les centaines (centenarii), les
mille (millenarii),
pour les multiplier par elles-mêmes, comme le dit saint Denis (De cœl. hier.,
chap. 14).
Mais c’est le
contraire. Car saint Denis dit (De cœl. hier.,
chap. 8) que les Dominations sont au-dessus de toute sujétion. Or, être envoyé
est une sujétion. Donc les Dominations ne le sont pas.
Conclusion Tous
les anges de la seconde hiérarchie ne sont pas envoyés extérieurement pour une
mission ; ce qui est manifeste d’après les noms que leurs divers ordres ont
reçus.
Il faut répondre que, comme nous l’avons
dit (art. 1), toute mission à l’extérieur convient à l’ange dans le sens que
l’ange exécute à l’égard de la créature corporelle les ordres de Dieu. Or, les
noms que les anges ont reçus expriment leurs qualités et leurs fonctions
propres, comme le dit saint Denis (De cœl. hier.,
chap. 7 et 8). Ainsi Dieu n’envoie pour remplir une fonction extérieure que les
anges des ordres dont le nom indique l’exécution d’une
chose commandée. Or, le nom des Dominations n’implique pas l’exécution, mais la
disposition et la préparation de ce qui doit être fait, tandis que les noms des
ordres qui viennent ensuite désignent l’exécution d’une œuvre quelconque et
expriment par conséquent des fonctions subalternes. Ainsi les anges et les archanges doivent leurs noms à la mission qu’ils remplissent
lorsqu’ils annoncent une nouvelle ; les Vertus
et les Puissances sont ainsi nommées
par rapport à l’acte qu’elles accomplissent. Les Principautés doivent leur nom, d’après saint Grégoire (Hom. 34 in Ev.), à ce qu’elles occupent le
premier rang parmi les anges qui agissent ou exécutent. Par conséquent il y a
cinq ordres dont les auges peuvent être envoyés pour exécuter extérieurement le
ministère divin, mais les quatre ordres supérieurs ne reçoivent pas de mission.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de
l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email
figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les
retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la
propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation
catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale
catholique et des lois justes.