Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
1a = Prima Pars =
Première Partie
Question 113 : De
la protection des bons anges
Après
avoir parlé de la mission des anges nous avons à nous occuper des bons anges
qui nous gardent et des mauvais qui nous combattent. — A l’égard de la
protection des bons anges huit questions se présentent : 1° Les hommes sont-ils
gardés par les anges ? (L’existence de l’ange gardien a été connue dos païens
eux-mêmes, qui prétendaient que tout homme avait pour compagnon son bon génie. On peut voir à ce sujet : Censorinus (De die natali, chap. 3), Horace (Epist., liv. 2, Epist. 2), le poète Ménandre, dont Eusèbe
rapporte les paroles (De præpar. Evang., liv.
12), Plutarque (in Comment. ad Alcib. 1), Plat., Pindare (Olymp. 13), Plotin et Proclus (Eun. 3, liv. 5,
chap. 4), etc.) — 2° Dieu donne-t-il à chaque homme individuellement un ange
gardien qui lui soit propre ? (Selon l’observation de saint Jérôme, l’Ecriture
nous enseigne dans une foule d’endroits que nous avons tous chacun notre ange
gardien. Le concile de Florence a approuvé (session 20) une lettre de saint
Basile qui renferme le même sentiment. Dans l’Ecriture on peut voir ce qu’il
est dit de l’ange qui reprit Agar (Gen., chap. 16), de l’ange de Jacob (Ibid., chap. 31, 32 et 43), de l’ange d’Elie (3 Rois, chap. 13), de Daniel (chap. 14),
de Zacharie (chap. 1, 2, 4, 5 et 6), et tout ce que dit Jésus-Christ (Matth., chap. 18). Tous les Pères sont unanimes à ce
sujet.) — 3° N’y a-t-il que les anges du dernier ordre qui soient chargés de
cette fonction ? (Le sentiment de saint Thomas sur ce point paraît être celui
de saint Basile dont le concile de Florence a approuvé les lettres. Voici les
expressions de ce grand docteur : Alii ipsorum gentibus propositi sunt, alii verὸ fidelium singulos consequuntur. Quantὸ autem gens uni viro præponenda est ; tantὸ majorem necesse est angeli qui gentis principatum haberet, esse dignitatem dignitate eorum quibus singulorum
tutela commissa est.) —
4° Est-il convenable que tout homme ait un ange gardien ? (Nous avons cité
l’opinion de saint Chrysostome et de saint Basile, qui paraissent
avoir cru qu’il n’y avait que les fidèles qui eussent des anges gardiens Mais
tous les autres Pères sont d’un avis différent.) — 5° A quelle époque l’ange
gardien commence-t-il à protéger l’homme ? — 6° L’ange gardien est-il toujours
avec l’homme qu’il garde ? (Saint Ambroise enseigne que l’ange gardien
s’éloigne de l’homme par moments (Ambros. in Ps. 38)
; saint Basile dit aussi la même chose (Hom. in Ps. 33).
Mais le sentiment de saint Thomas est celui de la plupart des autres Pères.) — 7°
S’afflige-t-il de la perdition de celui qu’il a gardé ? (D’après cet article,
on doit prendre dans un sens métaphorique tout ce qu’on lit dans des sermons ou
dans certains ouvrages ascétiques, à propos de la douleur qu’éprouvent les
anges quand les hommes dont la garde leur est confiée viennent à tomber dans le
péché.) — 8° Les anges se disputent-ils entre eux à l’occasion de cette
fonction ? (Cet article a pour objet d’expliquer ce que dit Daniel (chap. 10)
au sujet de l’ange Gabriel et du prince du royaume des Perses. Tous les Pères
ne sont pas d’accord sur ce prince des Perses. Origène croit qu’il s’agit là
d’un mauvais ange (Homil. 4 in Gen.).
Ce sentiment est celui de Cassien (Col. 8, chap. 15, de Richard de
Saint-Victor (liv. 1, De Emman., chap. 17).)
Article
1 : Les hommes sont-ils gardés par les anges ?
Objection
N°1. Il semble que les hommes ne soient pas gardés par les anges. Car on donne
des gardiens aux êtres qui ne savent pas ou qui ne peuvent pas se garder
eux-mêmes, comme les enfants et les infirmes. Or, l’homme peut se garder
lui-même par son libre arbitre, et il a toutes les lumières nécessaires à cet
égard, puisqu’il connaît la loi naturelle. Donc l’homme n’est pas gardé par
l’ange.
Réponse à
l’objection N°1 : L’homme peut à la vérité éviter le mal jusqu’à un
certain point par son libre arbitre, mais ce secours ne lui suffît pas, parce
que les passions nombreuses qui l’agitent rendent cette faculté très faible
pour le bien. De même la connaissance générale de la loi naturelle qui existe
naturellement dans chaque homme, peut le diriger d’une certaine manière vers le
bien, mais elle ne suffît pas non plus. Car dans l’application des principes
généraux du droit à des cas particuliers, il arrive que l’homme commet une foule d’erreurs. C’est ce que l’Ecriture exprime
par ces paroles (Sag.,
9, 14) : Les pensées des hommes sont
timides et leurs prévisions incertaines. Il était donc nécessaire que
l’homme eût un ange pour gardien.
Objection N°2.
Là où il y a une garde plus forte il est inutile d’en supposer une plus faible.
Or, les hommes ont Dieu pour gardien, d’après ces paroles du Psalmiste (Ps. 121, 4) : Il ne sommeillera pas, il ne dormira pas celui qui garde Israël. Il
n’est donc pas nécessaire que l’homme soit gardé par un ange.
Réponse à
l’objection N°2 : Pour faire le bien il faut deux choses. Il faut : 1° que
la volonté se porte au bien, ce qui se fait en nous par l’habitude de la
volonté morale ; 2° que la raison trouve les moyens convenables pour faire le
bien, ce qu’Aristote attribue à la prudence (Eth., liv. 10, chap. 8, et liv.
6, chap. 12). Sous le premier rapport Dieu garde l’homme immédiatement en
ornant son âme de grâces et de vertus ; sous le second il le garde encore,
parce qu’il est son premier maître, mais il lui envoie sa lumière par
l’intermédiaire des anges, comme nous l’avons dit (quest. 111, art. 1).
Objection N°3.
Celui qui garde une chose est responsable de sa perte, selon ces paroles qui
furent adressées au prophète chargé de la garde d’un fugitif : Gardez-moi bien cet homme-là ; s’il
s’échappe, votre vie répond pour la sienne (3 Rois, 20, 39). Or, il y a beaucoup d’hommes qui périssent chaque
jour en tombant dans le péché et que les anges pourraient soutenir, soit en
leur apparaissant visiblement, soit en faisant des miracles, ou de quelque
autre manière semblable. Si les hommes étaient confiés à la garde des anges, on
pourrait donc attribuer leur chute à la négligence de ces gardiens, ce qui
paraît une erreur. Les anges ne sont donc pas les gardiens des hommes.
Réponse à
l’objection N°3 : Comme les hommes s’éloignent de l’instinct naturel qui
les porte au bien pour suivre la passion du mal ; de même ils s’écartent de
l’impulsion des bons anges qui agissent sur eux invisiblement en les éclairant
pour les engager à se bien conduire. Par conséquent si les hommes périssent on
ne doit pas imputer leur perdition à la négligence des anges qui les gardent,
mais à leur propre perversité. Quant aux apparitions visibles des anges, elles
ne peuvent avoir lieu qu’autant qu’ils dérogent à la loi commune, et c’est
alors un effet tout spécial de la grâce, comme les miracles que l’on fait en
dérogeant à l’ordre de la nature.
Mais c’est le
contraire. Car il est dit (Ps. 90,
11) : Il a chargé ses anges de vous
garder dans toutes vos voies.
Conclusion Il
est nécessaire que les hommes aient des anges pour gardiens et pour guides dans
leurs actions, puisqu’il leur arrive de se tromper dans une foule de
circonstances.
Il faut
répondre que, selon l’ordre établi par la divine Providence, on remarque qu’en
toutes choses ce qui est mobile et variable est mû et réglé par ce qui est
immobile et invariable. Ainsi tous les êtres matériels sont mus et dirigés par les
substances spirituelles et immobiles, et les corps inférieurs le sont par les
corps supérieurs qui sont substantiellement invariables. Pour nous, nous avons
logiquement pour règles les premiers principes qui sont invariables, et nous en
déduisons une foule de conclusions sur lesquelles nos opinions varient. Or, il
est évident que dans les choses pratiques l’intelligence et la volonté de
l’homme peuvent varier indéfiniment et s’écarter du bien. C’est pourquoi il a
été nécessaire de préposer à la garde de l’homme un ange qui le dirige et qui
le porte au bien.
Article
2 : Chaque homme est-il gardé personnellement par un ange particulier ?
Objection
N°1. Il semble que chaque homme ne soit pas gardé par un ange. Car l’ange a
plus de puissance et de vertu que l’homme. Or, un homme suffit pour en garder
plusieurs. Donc à plus forte raison un seul ange peut-il garder une foule
d’hommes.
Réponse à
l’objection N°1 : On peut garder un homme de deux manières. 1° On peut le
garder en tant qu’individu ; dans ce cas il ne faut pas pour un homme moins
d’un gardien, il en faut même quelquefois plusieurs. 2° On peut le garder comme
faisant partie d’une société ou d’une communauté quelconque. Alors il n’y a
qu’un homme préposé à la garde de toute la société ; il doit s’occuper de
ceux qui en font partie, mais sa surveillance se borne aux actes qui ont
rapport à l’ensemble de la communauté, c’est-à-dire aux choses extérieures qui
peuvent être des causes d’édification ou de scandale. Mais les fonctions que
les anges ont à remplir envers chacun ne s’arrêtent pas là ; elles s’étendent
aussi aux choses secrètes et invisibles qui regardent le salut de chaque homme
en particulier. C’est pourquoi à chaque homme Dieu a préposé un ange spécial
qui a mission de le garder.
Objection N°2.
D’après saint Denis (De hier. Eccl., chap. 3), les êtres inférieurs sont ramenés à
Dieu par les êtres supérieurs au moyen des êtres intermédiaires. Or, puisque
tous les anges sont inégaux, comme nous l’avons dit (quest. 108, art. 3, objection
N°1), il s’ensuit qu’il n’y a qu’un seul ange entre lequel et les hommes il n’y
ait pas d’intermédiaire. Il n’y a donc que lui qui garde les hommes
immédiatement.
Réponse à
l’objection N°2 : Comme nous l’avons dit (quest. préc., art. 3 et 4), tous
les anges de la première hiérarchie sont immédiatement illuminés par Dieu pour
certaines choses, mais il y en a d’autres que les anges supérieurs apprennent
seuls de Dieu immédiatement, et qu’ils révèlent ensuite à ceux qui sont
au-dessous d’eux. La même observation est applicable aux anges inférieurs.
Ainsi un ange du dernier ordre est illuminé sous certains rapports par un ange
supérieur et sous d’autres il l’est par l’ange qui est placé immédiatement
au-dessus de lui. Il est donc possible qu’un ange illumine l’homme
immédiatement, bien qu’il ait d’autres anges sous lui qu’il éclaire.
Objection N°3.
Les anges les plus élevés sont ceux qui sont envoyés pour les ministères les
plus importants. Or, ce n’est pas un office plus grand de garder un homme
plutôt qu’un autre, puisque tous les hommes sont égaux par nature. Donc puisque
parmi les anges l’un est plus grand que l’autre, il semble que, d’après saint
Denis (De cœl. hier., chap. 5),
pour garder divers hommes il ne faille pas divers anges.
Réponse à
l’objection N°3 : Quoique les hommes soient égaux par nature, cependant il
y a de l’inégalité entre eux parce que la divine providence destine les uns à
de grandes choses et les autres à des choses moins importantes, d’après ces
paroles de l’Ecriture (Ecclésiastique,
33, 20) : Le Seigneur par sa sagesse qui
se communique en tant de manières différentes a séparé les-hommes
: il a béni et élevé les uns, il a maudit et humilié les autres. La garde
d’un homme peut donc être un office plus grand que la garde d’un autre.
Mais c’est le
contraire. Car à propos de ces paroles de l’Evangile : Leurs anges, dans les cieux (Matth., 18,
10) saint Jérôme dit : Telle est la dignité des âmes humaines, que Dieu délègue
à chacune d’elles dès le jour de sa naissance un ange pour la garder.
Conclusion La
providence de Dieu ayant principalement en vue les choses immortelles, divers
anges ont été préposés aux divers genres de choses qui doivent toujours durer,
et comme l’homme a une forme incorruptible, il est conforme à la raison qu’il y
ait un ange chargé de garder chaque homme en particulier.
Il faut
répondre qu’à chaque homme Dieu a délégué un ange spécial pour le garder (D’après
Origène, il y aurait même plusieurs anges préposés à la garde d’un individu.
C’est le sentiment qu’il expose (Hom. 20 in Josue). Saint Basile paraît avoir cru qu’il n’y avait
que les fidèles qui fussent gardés par les anges (Hom in Ps. 48) ; saint Chrysostome semble être du même sentiment
(Homil. 3 in Epist. ad
Colos.).). La raison en est que l’ange gardien remplit une fonction qui
entre dans le plan que la divine providence s’est tracé
à l’égard des hommes. Car la providence de Dieu n’est pas pour les hommes ce
qu’elle est pour les autres créatures corruptibles, parce que leur nature n’est
pas la même. Ainsi les hommes sont immortels non seulement par rapport à leur
espèce en général, mais ils le sont encore individuellement par rapport à leurs
propres formes qui sont leurs âmes raisonnables ; ce qu’on ne peut pas dire des
autres créatures corruptibles. Or, il est évident que la Providence s’occupe
surtout de ce qui dure perpétuellement. Elle ne s’exerce à l’égard des choses
qui passent qu’autant qu’elle les rapporte à celles qui sont perpétuelles. Elle
est donc par conséquent pour chaque homme ce qu’elle est pour chaque genre ou
chaque espèce de choses corruptibles. D’ailleurs, d’après saint Grégoire (Hom. 34 in Ev.), les divers ordres des
anges sont envoyés pour satisfaire à divers besoins ; par exemple, les Puissances ont mission de repousser les
démons, et les Vertus doivent faire
des miracles. Il est donc probable qu’aux diverses espèces du même genre sont
préposés divers anges du même ordre. Par conséquent on est en droit de conclure
que chaque homme a son ange gardien.
Article
3 : N’y a-t-il que les anges du dernier ordre qui soient nos anges
gardiens ?
Objection
N°1. Il semble qu’il n’y ait pas que les anges du dernier ordre qui soient
délégués pour garder les hommes. Car saint Jean Chrysostome dit (In Matth., hom. 60) que ces paroles de l’Evangile : Leurs anges, dans les cieux (Matth., 18, 10) s’entendent non pas des anges en général,
mais des anges les plus éminents. Donc les anges les plus éminents sont nos
anges gardiens.
Réponse à
l’objection N°1 : Ce passage de saint Chrysostome peut s’entendre des
anges qui occupent le premier rang dans le dernier ordre. Car, comme le dit
saint Denis (De cœl.
hier.,
chap. 4), dans chaque ordre il y a les premiers, les derniers et ceux qui
tiennent le milieu. Et il est probable que ce sont les anges les plus élevés
qui sont chargés de ceux qui doivent parvenir au plus haut degré de gloire dans
le ciel.
Objection N°2.
Saint Paul dit (Héb., 1, 14) que les anges sont envoyés pour exercer leur ministère en faveur de ceux
qui doivent être les héritiers du salut. D’après ces paroles il semble que
la mission des anges ait pour but de garder les hommes. Or, il y a cinq ordres
qui sont envoyés pour exercer un ministère extérieur, comme nous l’avons dit
(quest. préc., art. 4). Donc tous les anges des cinq derniers ordres
sont délégués pour être des anges gardiens.
Réponse à
l’objection N°2 : Tous les anges qui sont envoyés n’ont pas pour fonction
de garder chaque homme individuellement. Il y a des ordres qui gardent ou qui
protègent des communautés ou des nations plus ou moins étendues (Ce sont les
archanges qui ont la garde de l’Eglise catholique entière, des royaumes, des
églises particulières ou de toute autre société considérable. Les Pères sont
unanimes sur ce point.).
Objection N°3.
Pour garder les hommes il semble qu’il est surtout nécessaire de repousser les
démons, ce qui, d’après saint Grégoire (Hom. 34 in Ev.),
est la fonction propre des Puissances,
et de faire des miracles ce qui appartient aux Vertus. Donc ces ordres sont aussi délégués pour garder les hommes,
et par conséquent il n’y a pas que le dernier.
Réponse à
l’objection N°3 : Les anges inférieurs exercent le ministère des anges
supérieurs, selon que ceux-ci les rendent participants de leurs dons, et ils
sont alors les exécuteurs de leur volonté. De cette manière tous les anges du
dernier ordre peuvent repousser les démons et faire des miracles.
Mais c’est le
contraire. Car, d’après le Psalmiste (Ps.
90), la garde des hommes est attribuée aux anges, et suivant saint Denis
l’ordre des anges est le dernier (De cœl. hier.,
chap. 6 et 9).
Conclusion Les
anges du dernier ordre sont chargés de la garde spéciale de chaque homme ;
quant à la garde générale de l’humanité elle est dévolue à tous les anges.
Il faut
répondre que comme nous l’avons dit (art. préc., Réponse N°1), l’homme peut être gardé de deux manières.
Il peut l’être individuellement, et c’est dans ce sens qu’on dit que chaque
homme a son ange gardien. C’est aux anges du dernier ordre à remplir cette
fonction, parce que, comme le dit saint Grégoire (loc. cit.), c’est à eux à annoncer les choses de moindre
importance. Et il semble que l’office des anges le moins élevé est celui qui
consiste à pourvoir à ce qui intéresse le salut d’un individu. — L’homme peut
être aussi gardé d’une manière générale, et dans ce sens cette fonction peut
être attribuée à des anges de divers ordres ; car plus un agent est universel
et plus il est élevé. Ainsi les Principautés
sont chargées de veiller sur l’humanité entière, ou bien cette fonction est
peut-être plutôt départie aux archanges,
qui sont appelés les princes des anges.
Car Daniel dit que saint Michel, dont nous faisons un archange, est l’un des
princes (Dan., chap. 10). D’ailleurs nous avons vu que les Vertus ont la garde de toutes les choses corporelles (Ce sont elles
qui sont envoyées pour faire des miracles.), que les Puissances ont celle des démons. Les Principautés et les Dominations,
d’après saint Grégoire, ont la direction des bons anges.
Article
4 : Tous les hommes ont-ils leur ange gardien ?
Objection
N°1. Il semble que tous les hommes n’aient pas leur ange gardien. Car l’Apôtre
dit du Christ (Philipp., 2, 7) : Qu’il s’est rendu semblable aux hommes et
qu’il a été reconnu pour homme par tout ce qui a paru de lui au dehors. Si
tous les hommes ont leur ange gardien, le Christ aurait donc eu le sien, ce qui
paraît répugner, parce que le Christ est au-dessus de tous les anges. Donc tous
les hommes n’ont pas leur ange gardien.
Réponse à
l’objection N°1 : Le Christ, comme homme, était immédiatement régi par le
Verbe de Dieu ; il n’avait donc pas besoin d’être gardé par les anges. De plus
son âme était en possession de l’essence divine, bien que par son corps, qui
pouvait souffrir et mourir, il fût voyageur comme nous. Sous ce rapport il ne
lui fallait donc pas non plus d’ange gardien, car l’ange au lieu d’être
au-dessus de lui était au contraire au-dessous, d’après ces paroles de saint
Matthieu (4, 11) : que les anges
s’approchèrent et le servirent.
Objection N°2.
Le premier de tous les hommes fut Adam. Or, il ne devait pas avoir d’ange
gardien, du moins dans l’état d’innocence, parce qu’alors il n’était pressé par
aucun péril. Donc il n’y a pas des anges préposés à la garde de tous les
hommes.
Réponse à
l’objection N°2 : L’homme dans l’état d’innocence, n’avait pas à redouter
les dangers qui nous viennent maintenant de nous-mêmes, puisque toutes ses
facultés étaient intérieurement bien ordonnées, comme nous l’avons dit (quest.
95, art. 4). Mais il avait à craindre les périls extérieurs que le démon lui
pouvait susciter par ses embûches, et c’est ce que l’événement a prouvé. C’est
pourquoi il avait également besoin d’un ange gardien.
Objection N°3.
Dieu a donné aux hommes des anges gardiens pour que ces anges les mènent à la
vie éternelle, en les excitant à faire le bien et en les protégeant contre les
attaques des démons. Or, les hommes qui, suivant la prescience de Dieu, doivent
être damnés, ne parviennent jamais à la vie éternelle. Il en est de même des
infidèles qui peuvent faire des bonnes œuvres, mais qui ne les font jamais
bien, parce que leur intention n’est pas droite. Car c’est la foi qui donne la
droiture d’intention, comme le dit saint Augustin (In præf. Ps. 31). Suivant saint Paul
l’arrivée de l’antechrist sera même l’œuvre de Satan
(2 Thess., chap.
2). Donc tous les hommes n’ont pas leur ange gardien.
Réponse à
l’objection N°3 : Comme les damnés, les infidèles et l’antechrist
lui-même ne sont pas privés du secours intérieur delà raison naturelle, de même
ils ne sont pas privés non plus du secours extérieur que Dieu accorde à
l’humanité tout entière, c’est-à-dire de la protection des anges. Si cette
protection ne leur sert pas pour mériter la vie éternelle par des bonnes
œuvres, elle leur est du moins utile pour les éloigner des fautes qui
pourraient être nuisibles à eux et aux autres. Car les bons anges empêchent les
démons de nuire autant qu’ils le veulent, et l’antechrist
lui-même ne nuira pas autant qu’il le voudra.
Mais c’est le
contraire. Car saint Jérôme dit que Dieu envoie un ange à chaque âme pour la
garder.
Conclusion Tous
les hommes ont en cette vie un ange gardien pour les protéger contre les divers
périls qu’ils courent, mais arrivés à la fin de leur carrière ils ne doivent
plus avoir besoin d’anges gardiens, ils règnent avec ces esprits célestes ou
bien ils ont avec eux un démon qui les punit.
Il faut
répondre que l’homme est dans cette vie comme dans le chemin qui doit le
conduire à sa patrie. Sur sa route il y a bien des dangers qui le menacent au
dedans comme au dehors, suivant ces paroles du Psalmiste (Ps. 141,4) : Dans le sentier
où je marchais ils m’ont dressé un piège caché. C’est pourquoi, comme on
donne une garde au voyageur qui marche dans une route qui n’est pas sûre, de
même Dieu a donné à chaque homme un ange gardien pour tout le temps qu’il
serait voyageur ici-bas. Mais une fois arrivé au terme de sa carrière, il
n’aura plus de gardien, il régnera dans le ciel avec les esprits célestes, ou
il aura avec lui dans l’enfer un démon qui sera le ministre des vengeances du
Tout-Puissant.
Article
5 : L’ange gardien garde-t-il l’homme dès l’instant de sa naissance ?
Objection
N°1. Il semble que l’ange gardien ne garde pas l’homme dès l’instant de sa
naissance. Car, d’après saint Paul (Héb., 1, 14), les anges sont envoyés pour exercer leur
ministère en faveur de ceux qui reçoivent l’héritage du salut. Or, les
hommes commencent à recevoir l’héritage du salut quand ils sont baptisés. Donc
l’homme n’a un ange gardien qu’à dater de son baptême et non depuis sa
naissance.
Réponse à
l’objection N°1 : Les anges ne sont envoyés pour exercer efficacement leur
ministère qu’en faveur de ceux qui possèdent l’héritage du salut, si on
considère la fin dernière de leur mission qui est la vie éternelle. Mais ils
n’en ont pas moins une mission à remplir envers les autres. Et si la protection
qu’ils exercent à leur égard n’est pas assez efficace pour leur faire faire
leur salut, elle a du moins la vertu de leur faire éviter une foule de fautes
dans lesquelles sans cela ils seraient tombés.
Objection N°2.
Les hommes ont des anges gardiens afin d’en retirer les lumières dont ils ont
besoin. Or, les enfants qui viennent de naître ne sont pas capables d’être
éclairés parce qu’ils n’ont pas l’usage de raison. Donc les enfants n’ont pas
d’ange gardien immédiatement après leur naissance.
Réponse à
l’objection N°2 : A la vérité l’office de gardien a pour effet principal
et dernier de répandre la lumière et d’éclairer. Cependant il en a encore
beaucoup d’autres qui sont applicables aux enfants, comme de repousser les
démons et d’écarter tout ce qui pourrait leur nuire dans leur corps et dans
leur âme.
Objection N°3.
Les enfants qui existent dans le sein de leur mère ont, à une époque donnée,
une âme raisonnable, aussi bien qu’après leur naissance. Or, tant qu’ils sont
dans le sein de leur mère, ils n’ont pas d’ange gardien, puisqu’ils ne peuvent
recevoir les sacrements. Donc ils n’en ont pas non plus immédiatement après
leur naissance.
Réponse à
l’objection N°3 : L’enfant, tel qu’il est dans le sein de la mère, n’est
pas absolument séparé d’elle. Il lui est uni et il fait en quelque sorte partie
d’elle-même, comme le fruit qui est attaché à l’arbre fait partie de cet arbre.
Il est donc probable que l’ange chargé de la garde de la mère, garde aussi
l’enfant qu’elle porte dans son sein. Mais au moment de sa naissance, quand
l’enfant se sépare d’elle, alors, d’après saint Jérôme, Dieu lui donne un ange
gardien.
Mais c’est le
contraire. Saint Jérôme dit expressément (loc. cit.,
art. 2.) que tous les hommes ont un ange gardien immédiatement après leur
naissance (Saint Jérôme n’est pas le seul de ce sentiment. Nous citerons encore
Théophilacte dans son commentaire sur ce même passage
de saint Matthieu ; Gennade (Lib. de prædest.), Tertullien (De an., chap. 57), Paschase
Radbert (Comment. in Matth.).
Les Grecs exprimaient la même pensée en admettant des génies qui présidaient à
la naissance.).
Conclusion La
protection des anges étant un bienfait général que Dieu accorde à l’humanité,
il s’ensuit que chaque homme a son ange gardien non depuis son baptême, mais
depuis sa naissance.
Il faut
répondre que, comme le dit Origène (in Matth., hom. 6), il y a
sur ce point deux opinions. Les uns ont dit que l’homme n’avait un ange gardien
qu’après son baptême ; les autres ont prétendu qu’il en avait un depuis sa
naissance. Saint Jérôme est de ce dernier sentiment et avec raison. Car les
bienfaits que Dieu accorde à l’homme comme chrétien ne datent que du moment de
son baptême ; telle est la réception de l’Eucharistie et les autres
sacrements (Saint Thomas a voulu dire que le baptême mettait l’enfant en voie
de recevoir l’Eucharistie, mais il n’a pas voulu dire que l’Eucharistie fût
nécessaire ; ce que le concile de Trente a condamné (sess. 21, chap. 4).). Mais
pour les avantages que l’homme reçoit de Dieu en tant qu’être raisonnable, il
en jouit aussitôt qu’il est né. La protection de l’ange étant un bienfait de ce
dernier genre, comme nous l’avons dit (art. 1 et 4), il s’ensuit que dès le
premier instant de sa naissance l’homme a un ange
gardien.
Article
6 : L’ange gardien abandonne-t-il l’homme quelquefois ?
Objection
N°1. Il semble que l’ange gardien abandonne quelquefois l’homme à la garde
duquel il a été préposé. Car Jérémie fait dire aux anges (Jér.,
51, 9) : Nous avons traité Babylone, et
elle n’a point été guérie ; abandonnons-la. Et Isaïe fait dire au Seigneur
(Is., 5, 5) : J’enlèverai
la haie qui protège ma vigne, et elle sera foulée aux pieds. D’après la
glose cette haie désigne les anges gardiens.
Objection N°2.
Dieu garde l’homme plus principalement que l’ange. Or, Dieu abandonne l’homme
quelquefois, d’après ces paroles du Psalmiste (Ps. 21, 1) : Dieu ! mon Dieu ! abaissez sur moi vos
regards, pourquoi m’avez-vous abandonné ? Donc à plus forte raison
l’ange gardien abandonne-t-il l’homme.
Objection N°3.
D’après saint Jean Damascène (De orth. fid., liv. 2, chap.
3), les anges, quand ils sont ici avec nous, ne sont pas dans le ciel. Or, ils
sont quelquefois dans le ciel. Donc ils nous abandonnent quelquefois.
Réponse à
l’objection N°3 : Si l’ange n’est pas toujours dans le même lieu que
l’homme qu’il garde, il ne l’abandonne pas pour cela, il continue au contraire
toujours à le protéger. Car quand il est au ciel il sait ce que devient l’homme
qu’il avait à garder, il peut instantanément se rendre près de lui.
Mais c’est le
contraire. Les démons nous combattent toujours, d’après ces paroles de saint
Pierre (1 Pierre, 5, 8) : Le diable,
votre ennemi, tourne autour de vous comme un lion rugissant qui cherche une
proie à dévorer. Donc à plus forte raison les bons anges sont-ils toujours
avec nous pour nous garder (Saint Clément d’Alexandrie croit que l’homme peut
s’élever ici-bas à un si haut degré de perfection qu’il n’ait plus besoin
d’ange gardien (Strom., liv. 7). Saint Jean Climaque dit la même chose, et il ajoute que les anges
s’éloignent des pécheurs (Grad. 5).).
Conclusion La
garde de l’ange n’étant que l’exécution des décrets de la divine providence qui
n’abandonne jamais l’homme totalement, l’ange gardien n’abandonne jamais non
plus d’une manière absolue celui qu’il est chargé de garder, bien que
quelquefois pour se conformer aux ordres de la justice divine il lui laisse
subir les douleurs du châtiment ou les misères du péché.
Il faut
répondre que la fonction de l’ange gardien, comme nous l’avons dit (art. 2),
n’est que la réalisation des desseins que la divine providence a sur l’homme.
Or, il est évident que l’homme, pas plus que toute autre créature, ne peut être
complètement délaissé par la Providence. Car, par là même qu’une créature
participe à l’être, elle est soumise à la Providence universelle qui embrasse
tout ce qui existe. Lors donc qu’on dit que Dieu abandonne l’homme selon
l’ordre de sa providence, on entend seulement par là qu’il permet qu’il souffre
quelque douleur ou qu’il tombe dans quelque péché. On doit dire également que
l’ange gardien n’abandonne jamais l’homme totalement, mais qu’il le laisse
seulement à lui-même sous certains rapports. Ainsi, il ne l’empêche pas
d’éprouver quelques tribulations ou de tomber dans le péché, et il ne fait en
cela que se soumettre à l’exécution de la volonté de Dieu. C’est en ce sens
qu’on dit que Babylone et la maison d’Israël ont été abandonnées par les anges,
parce que leurs anges gardiens ne les ont pas empêchées de subir les
tribulations qu’elles avaient méritées.
Par là la
réponse à la première et à la seconde objection est évidente.
Article
7 : Les anges s’affligent-ils des maux de ceux dont ils sont les
gardiens ?
Objection
N°1. Il semble que les anges s’affligent des maux de ceux dont ils sont les
gardiens. Car Isaïe dit (Is. 33, 7) : Les anges de la paix pleureront amèrement.
Or, les larmes sont le signe de la douleur et de la tristesse. Donc les anges
s’attristent des maux des hommes dont ils sont les gardiens.
Réponse à
l’objection N°1 : Ces paroles d’Isaïe peuvent s’entendre des anges,
c’est-à-dire des envoyés du roi Ezéchias, qui versèrent des larmes en entendant
les paroles de Rapsacès que le prophète rapporte
lui-même (Is., chap. 37). C’est là leur sens
littéral. Dans le sens allégorique les anges de la paix sont les apôtres et les
prédicateurs qui pleurent pour les péchés des hommes. Si on les entend des bons
anges dans le sens anagogique, alors ces expressions sont une métaphore qui
indique que les anges veulent en général le salut des hommes. Car on attribue
ordinairement à Dieu et aux anges des passions de cette nature.
Objection N°2.
La tristesse, comme le dit saint Augustin (De
civ. Dei, liv. 14, chap. 15), est produite par les choses qui nous arrivent
malgré nous. Or, la perdition de l’homme est contraire à la volonté de l’ange
qui le garde. Donc les anges s’en attristent.
Objection N°3.
Comme la tristesse est contraire à la joie, de même le péché est contraire à la
pénitence. Or, d’après saint Luc (chap. 15) les anges se réjouissent à propos
du pécheur qui fait pénitence. Donc ils s’attristent à l’occasion du juste qui
tombe dans le péché.
Réponse à
l’objection N°3 : Quand les hommes font pénitence, aussi bien que quand
ils pèchent, les anges n’ont toujours qu’une raison pour se réjouir, c’est
l’accomplissement des ordres de la providence divine.
Objection N°4.
Origène dit (Sup. Num.,
liv. 18) que les anges sont traduits au tribunal de Dieu pour que l’on sache si
c’est leur négligence qui est cause de la chute des hommes, ou si on ne doit
l’imputer qu’à leur propre lâcheté. Or, la raison veut qu’on s’afflige des maux
pour lesquels on est cité en jugement. Donc les anges s’affligent des péchés
des hommes.
Réponse à
l’objection N°4 : Si les anges sont cités au jugement des hommes ce n’est
point comme des coupables, mais comme des témoins pour convaincre ces derniers
de leur lâcheté.
Mais c’est le
contraire. Où il y a tristesse et douleur il n’y a pas de félicité parfaite.
C’est ce qui fait dire à saint Jean (Apoc., 21, 4) : Il n’y
aura plus de mort, ni de deuil, ni de cri, ni de douleur. Or, les anges
sont parfaitement heureux. Donc ils ne s’affligent de rien.
Conclusion Rien
de ce qui se passe en ce monde n’étant absolument opposé à la volonté de
l’ange, il s’ensuit qu’ils ne s’affligent point des maux des hommes dont ils
sont les gardiens.
Il faut
répondre que les anges ne s’affligent ni des péchés, ni des peines des hommes.
Car la tristesse et la douleur, d’après saint Augustin (loc. cit.), ne viennent que des choses qui sont contraires à la
volonté. Or, en ce monde il n’arrive rien qui soit contraire à la volonté des
anges et des autres bienheureux, parce que leur volonté adhère pleinement à la
justice divine et qu’il ne se passe rien ici-bas que la justice divine ne
l’ordonne ou ne le permette. C’est aussi pour cette raison, qu’absolument
parlant, il ne se fait rien en ce monde de contraire à la volonté des
bienheureux. Car, comme le dit Aristote (Eth., liv. 3, chap. 1), on
appelle purement volontaire ce que l’on veut en particulier quand il s’agit
d’agir, c’est-à-dire d’après les circonstances dans lesquelles on se trouve ;
quoique ce que l’on veut alors soit contraire à la volonté qu’on a en général
dans les circonstances ordinaires. Ainsi, le nautonnier
ne veut pas en général jeter ses marchandises à la mer ; cependant, que le
péril devienne imminent, que ce soit une condition nécessaire de salut, il le
veut alors. Son action est, par suite des circonstances, plutôt volontaire
qu’involontaire. De même les anges ne veulent pas, généralement et absolument
parlant, que les hommes tombent dans le péché et qu’ils soient en proie aux
souffrances, mais par là même que la justice divine éprouve les uns par la
douleur, et laisse les autres tomber dans le péché, ils se conforment à cet
ordre.
La réponse à la
seconde objection est évidente d’après ce que nous avons dit (dans le corps de
l’article.).
Article
8 : Peut-il y avoir lutte ou discorde entre les anges ?
Objection
N°1. Il semble qu’il ne puisse y avoir ni lutte, ni discorde entre les anges.
Car il est dit dans Job (25, 2) que c’est Dieu
qui fait régner la concorde dans les hauteurs des cieux. Or, la lutte est
opposée à la concorde. Donc il n’y a pas lutte parmi les anges.
Objection N°2.
Là où le commandement est juste et la charité parfaite il ne peut pas y avoir
de combat. Or, tout cela existe parmi les anges. Donc il n’y a pas lutte parmi
eux.
Objection N°3.
Si on dit que les anges combattent pour ceux dont ils sont les gardiens, il
faut qu’un ange soutienne un parti et un autre ange un autre. Or, si un parti
est juste il est évident que l’autre ne l’est pas. D’où il suit qu’un bon ange
sera le défenseur de l’injustice ; ce qui répugne. Donc il n’y a pas de lutte
entre les bons anges.
Mais c’est le
contraire. Car le prophète Daniel fait dire (10, 13) à l’ange Gabriel : Le prince du royaume des Perses m’a résisté
vingt et un jours. Or, ce prince des Perses était l’ange préposé à la garde
du royaume des Perses. Donc un bon ange résiste à un autre et il y a entre eux
combat.
Conclusion Il
peut y avoir lutte entre les anges, non parce que leurs volontés sont en
désaccord, mais par suite de l’opposition des mérites de ceux pour lesquels ils
combattent.
Il faut
répondre qu’on a soulevé cette question à propos des paroles de Daniel que nous
venons de citer. Saint Jérôme les interprète en disant que le prince du royaume
des Perses est l’ange qui s’opposa à la délivrance du peuple d’Israël pour
lequel Daniel faisait offrir à Dieu ses prières, par l’intermédiaire de l’ange
Gabriel (Saint Jérôme paraît avoir été d’un avis contraire (De mort., ad chap. 15, Is),
ou du moins il n’est pas aisé de dire clairement quelle a été à cet égard son
opinion.). Le motif de cette lutte c’est qu’un prince des démons avait entraîné
dans le péché les Juifs qui étaient en captivité, et que c’était là ce qui
faisait obstacle à la prière que le prophète adressait à Dieu pour le peuple.
Mais d’après saint Grégoire (Mor., liv. 17, chap. 8) le prince du royaume des Perses
était un bon ange chargé de la garde de cette nation. Pour comprendre comment
un bon ange peut résister à un autre il faut observer que ce sont des anges qui
exercent les jugements de Dieu à l’égard des différentes nations aussi bien que
des divers individus. Or, les anges sont dirigés dans leurs actions par l’ordre
de Dieu. Comme il arrive quelquefois que les mérites et les intérêts des hommes
et des empires sont réciproquement opposés, de telle sorte que l’un doit
commander et l’autre obéir, et que les anges ne peuvent d’ailleurs connaître ce
que la divine sagesse a décrété à ce sujet, si elle ne le leur révèle
elle-même, il faut nécessairement qu’ils la consultent. Alors quand ils
consultent la volonté divine sur des intérêts qui sont contraires et qui se
combattent, on dit qu’ils se résistent mutuellement ; non parce que leurs
volontés sont contraires, puisqu’ils sont tous d’accord sur ce point, c’est que
les desseins de Dieu doivent s’accomplir, mais parce que les intérêts sur
lesquels ils le consultent sont opposés (Indépendamment de saint Grégoire, nous
trouvons encore le sentiment de saint Thomas, soutenu par Théodoret
(Comment. ad Dan.), saint Basile (Cont. Eunom.,
liv. 3), saint Isidore de Péluse (liv. 2, Ep. 85).).
Par là la réponse à toute
les objections est évidente.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de
l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec
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puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au
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évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de
la morale catholique et des lois justes.